CEDH, Cour (deuxième section), ABEBERRY c. FRANCE, 21 septembre 2004, 58729/00

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 21 sept. 2004, n° 58729/00
Numéro(s) : 58729/00
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 8 février 2000
Jurisprudence de Strasbourg : Alves Costa c. Portugal (déc.), n° 65297/01, 25 mars 2004
Bladet Tromsø et Stensaas c. Norvège [GC], n° 21980/93, § 65, CEDH 1999 III
Tolstoy Myloslavsky c. Royaume Uni, arrêt du 13 juillet 1995, série A n° 316-B, § 45
Van de Hurk c. Pays-Bas, arrêt du 19 avril 1994, série A n° 288, p. 20, § 61
Higgins et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 19 février 1998, Recueil 1998-I, § 42
Garcia Ruiz c. Royaume-Uni [GC], arrêt du 21 janvier 1999, n° 30544/96, § 26, CEDH 1999-I
Jersild c. Danemark, arrêt du 23 septembre 1994, série A n° 298, p. 23, § 31
Lehideux et Isorni c. France, arrêt du 23 septembre 1998, Recueil 1998-VII, § 57
De Haes et Gijsels c. Belgique, arrêt du 24 février 1997, Recueil 1997-I, pp. 233-235, §§ 37, 42
Thorgeir Thorgeirson c. Islande, arrêt du 25 juin 1992, série A n° 239, pp. 27-28, §§ 65-67
Prager et Oberschlick c. Autriche, arrêt du 26 avril 1995, série A n° 313, p. 19, § 38
Goodwin c. Royaume-Uni, arrêt du 27 mars 1996, Recueil 1996-II, p. 501, § 40
Civet c. France, arrêt du 28 septembre 1999, n° 29340/95, § 41, CEDH 1999-VI
Constantinescu c. Roumanie, n° 28871/95, §§ 74-75, CEDH 2000-VIII
Van Geyseghem c. Belgique [GC], n° 26103/95, § 27, CEDH 1999-I
Janowski c. Pologne [GC], n° 25716/94, § 33, CEDH 1999-I
Oberschlick c. Autriche (n° 2) du 1er juillet 1997, Recueil 1997-IV, p. 1275, § 29
Perna c. Italie [GC], n° 48898/99, §§ 31, 47, 39, CEDH 2003-V
Radio France c. France, n° 53984/00, § 40, CEDH 2004
Fressoz et Roire c. France [GC], n° 29183/95, § 54, CEDH 1999-I
Thoma c. Luxembourg, n° 38432/97, §§ 45, 64, CEDH 2001-III
Vides Aizsardzibas Klubs c. Lettonie, n° 57829/00, § 44, 27 mai 2004
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-66903
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2004:0921DEC005872900
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Texte intégral

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 58729/00
présentée par Jakes ABEBERRY
contre la France

La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant le 21 septembre 2004 en une chambre composée de :

MM.A.B. Baka, président,
J.-P. Costa,
L. Loucaides,
C. Bîrsan,
K. Jungwiert,
M. Ugrekhelidze,
MmeA. Mularoni, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 8 février 2000,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, M. Jakes Abeberry, est un ressortissant français, né en 1930 et résidant à Bayonne. Il est représenté devant la Cour par Me Didier Rouget, avocat au barreau de Bayonne.

A.  Les circonstances de l'espèce

Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

Le requérant est le directeur de publication d'un hebdomadaire politique basque nommé Enbata.

Les faits de la cause se situent dans le contexte des nombreuses publications ayant porté en Espagne et en France sur les activités des « Groupes antiterroristes de libération » dits « GAL », commandos terroristes reconnus par la justice espagnole comme ayant été créés sous la responsabilité du gouvernement espagnol afin de mener clandestinement une lutte armée contre l'organisation nationaliste basque ETA (Euskadi ta Askatasuna : Pays basque et liberté) dans le Pays basque français, et qui ont été à l'origine d'une importante vague d'attentats meurtriers entre 1983 et 1987.

Le 11 septembre 1995, le journal quotidien espagnol « El Mundo del Pais vasco » (Le Monde – Pays basque) publia un article faisant notamment état de révélations d'un policier espagnol nommé A. L.-C., selon lesquelles, J.C., commissaire divisionnaire français de la police de l'air et des frontières (PAF) d'Hendaye, aurait reçu de l'argent provenant des fonds secrets du gouvernement espagnol pour faciliter les agissements du GAL sur le territoire français. La première partie de cet article, composée d'un titre, d'un sous-titre et de quatre paragraphes, apparaissait en couverture et pouvait se lire comme suit :

[Traduction française communiquée par le requérant]

« Le commissaire français J.C. était payé par le ministère de l'Intérieur pour collaborer contre ETA

L'officier A. L.-C. lui remit personnellement l'argent à plusieurs reprises

Le commissaire français J.C., chef de la PAF (police des frontières) à Hendaye et responsable suprême de la lutte anti-terroriste au sud de la France dans les années 80, perçut des gratifications de l'ordre de plusieurs millions en provenance des fonds réservés du ministère de l'Intérieur espagnol, en échange de sa collaboration contre ETA.

Selon l'officier de police A. L.-C., témoin à charge dans l'affaire Lasa et Zabala, « La collaboration française en matière d'anti-terrorisme est un véritable mythe car les français commencèrent à collaborer lorsqu'on commença à leur graisser la patte ».

Cet agent raconta : « Nous faisions la bringue avec les policiers français pour qu'ensuite ils acceptent des pots de vin ».

A. L.-C., qui était à cette époque coordinateur de police affecté au gouvernement civil du Gipuzkoa, a assuré à El Mundo qu'il s'était rendu lui-même à plusieurs reprises à Hendaye (France), à la demande de Julien E., alors gouverneur, pour remettre au commissaire J.C. des enveloppes contenant des millions en francs français. »

Le même jour, une dépêche de l'AFP (agence française de presse) reprit les termes de l'article du journal El Mundo sous le titre : « GAL : un policier français recevait des primes des autorités espagnoles, selon El Mundo ».

1.  Les publications litigieuses

Le 14 septembre 1995, le journal Enbata publia, sur la couverture de son numéro 1392, la photographie en gros plan et en pleine page du commissaire de police français J.C. en uniforme, accompagnée du titre suivant en gros caractères :

« J.C. les dividendes de la traque d'ETA »

Le titre, le sous-titre et les paragraphes suivants apparaissaient en page trois du même numéro du journal :

« Le commissaire de la PAF, J.C., émargeait sur les fonds secrets du gouvernement espagnol

Il a reçu beaucoup d'argent en échange d'informations sur les réfugiés basques. L'actuel sous-directeur de la PAF, bien entendu, dément

C'est ce que révèle l'officier de police A. L.-C., témoin à charge dans l'affaire des deux réfugiés Lasa-Zabala (voir Enbata précédent). Il était dans les années 80 coordinateur de la police auprès du gouverneur civil du Gipuzkoa, Julien E. Celui-ci le chargeait à l'époque de remettre au commissaire en poste à la PAF d'Hendaye, J.C., des enveloppes dont le contenu totaliserait plusieurs millions de francs français en provenance du ministère de l'Intérieur espagnol. Le tout en échange de la collaboration des policiers français dans la lutte anti-ETA. A. L.-C. qui a révélé tout cela au quotidien EL Mundo (édition du 11 septembre) précise : « La collaboration française en matière d'anti-terrorisme est un véritable mythe car les français commencèrent à collaborer lorsqu'on commença à leur graisser la patte ». L'officier de police espagnol poursuit : « Nous faisions la bringue avec les policiers français pour qu'ensuite ils acceptent des pots de vin » (...)

 Les versements se faisaient directement à celui qui fut le plus haut responsable de la lutte anti-ETA pendant les années du GAL (...) »

Et, enfin, en page huit du journal (sommaire) :

« J.C. émarge sur les fonds secrets du gouvernement espagnol. »

Le 26 octobre 1995, le journal Enbata publia, dans son numéro 1398, une page de couverture avec une photographie de J.C. en uniforme, accompagnée des mentions suivantes :

« Commissaire J.C. »

« J.C. – H. ordures galeuses » [« H » désignant un tiers]

Et en bas de couverture :

« L'antenne française »

2.  La procédure pénale diligentée à l'encontre du requérant

Le 16 novembre 1995, le requérant fut cité à comparaître, ès qualités de directeur de la publication du journal Enbata, devant le tribunal correctionnel de Bayonne par J.C., partie civile, du chef de diffamation publique envers un fonctionnaire public, dépositaire ou agent de l'autorité publique, citoyen chargé d'un service ou d'un mandat public, pour avoir publié et diffusé les deux articles des 14 septembre et 26 octobre 1995, les énonciations contenues dans ces articles étant de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération du commissaire divisionnaire J.C., infraction prévue et réprimée par les articles 29 alinéa 1, 31 alinéa 1, 42, 43, 44 et suivants de la loi du 29 juillet 1881.

Les éléments des articles retenus au titre de la prévention étaient les couvertures des deux numéros d'Enbata incriminés avec leurs mentions et les photographies de J.C., le titre du sommaire en page huit, le titre et le sous‑titre de la page trois du numéro du 14 septembre 1995 ainsi que les paragraphes suivants de cette même page :

 « (...) Celui-ci le chargeait à l'époque de remettre au commissaire en poste à la PAF d'Hendaye, J.C., des enveloppes dont le contenu totaliserait plusieurs millions de francs français en provenance du ministère de l'Intérieur espagnol. Le tout en échange de la collaboration des policiers français dans la lutte anti-ETA (...)

Les versements se faisaient directement à celui qui fut le plus haut responsable de la lutte anti-ETA pendant les années du GAL (...) »

L'audience fut fixée au 22 février 1996.

Le 19 février 1996, le requérant demanda au procureur général près la cour d'appel de Pau de saisir la chambre criminelle de la Cour de cassation afin que soit ordonné le renvoi de l'affaire du tribunal correctionnel de Bayonne à une autre juridiction pour cause de suspicion légitime, en raison du lien étroit existant entre l'objet de la citation directe du 16 novembre 1995 – à savoir l'article du 14 septembre 1995 – et les activités qu'exerçait J.C. comme commissaire de police dans la circonscription de ce tribunal au moment des faits.

Le 22 février 1996, l'audience publique eut lieu devant le tribunal correctionnel. Ce dernier constata que les témoins cités par le requérant n'avaient pas comparu, et que l'un d'eux, A. L.-C., avait fait parvenir une note pour le tribunal rédigée en langue espagnole, intitulée « Nota para el tribunal ». Le requérant soutint que les mentions publiées le 26 octobre 1995 étaient constitutives d'une injure et non d'une diffamation, puis il se retira en cours d'audience, ainsi que ses avocats.

Le 26 février 1996, le procureur général près la cour d'appel de Pau rejeta la demande de renvoi devant une autre juridiction pour cause de suspicion légitime. Sur recours du requérant, le procureur général près la Cour de cassation confirma cette décision le 8 mars 1996, constatant que la demande de renvoi était tardive pour n'avoir été formée que trois jours avant la date de l'audience devant le tribunal correctionnel – le procureur général près la cour d'appel disposant d'un délai de dix jours pour se prononcer en vertu de l'article 665 du code de procédure pénale – et que les débats s'étaient déroulés entre temps devant ce tribunal dans des conditions qui n'étaient aucunement critiquées par le requérant.

Par un jugement du 27 mars 1996, le tribunal correctionnel reconnut le requérant coupable du délit de diffamation publique envers un fonctionnaire public sur le fondement des articles 29 alinéa 1 et 31 alinéa 1 de la loi du 28 juillet 1881, et le condamna à la peine de 20 000 francs (FRF) d'amende, soit 3 048,98 euros (EUR), retenant la motivation suivante concernant l'article du 26 octobre 1995 :

« Attendu qu'il est soutenu que [l'] imputation constitue une injure et non une diffamation.

Attendu que J.C. soutient que M. Abeberry ayant fait une offre de preuve ne peut soutenir qu'il ne s'agit pas d'une diffamation.

Attendu cependant que même si cette offre de preuve peut avoir un caractère conservatoire, il convient de considérer sur le fond que le texte et le montage photographique qui l'accompagne doivent s'analyser en fonction du contexte.

Attendu que le terme « galeux » implique obligatoirement un caractère diffamatoire dans l'appartenance attribuée à une organisation purement criminelle sans philosophie politique particulière.

Attendu que ce terme ne peut être analysé comme un adjectif passé à titre injurieux dans le langage courant, ne serait-ce qu'en raison des passions encore révélées ces jours par ces actions criminelles. »

Et, concernant l'article du 14 septembre 1995 :

« (...) Attendu que M. Abeberry s'est retiré en cours d'audience ainsi que ses avocats et qu'ils n'ont pas développé d'argumentation au fond, ni leur offre de preuve, mais qu'un dossier a été déposé.

Attendu que les témoins cités dans le cadre de l'offre de preuve ne sont pas venus et qu'un écrit émanant de A. L.-C. a été versé aux débats.

Attendu que cet écrit n'est pas en langue française et n'est accompagné d'aucune traduction ; qu'il apparaît simplement qu'il est fait certaines allégations imprécises tant en ce qui concerne les dates que les circonstances des faits relatés et qu'ainsi cet écrit, sujet à caution, ne peut être retenu.

Attendu que les articles de journaux déposés à l'appui de la défense sont aussi imprécis et ne constituent en aucune façon un élément de preuve, d'autant qu'ils sont pour la plupart incomplets.

Attendu en ce qui concerne la bonne foi, que celle-ci ne peut être retenue, les allégations n'étant pas la simple reprise d'un article d'El Mundo, mais comportant de nombreux rajouts.

Attendu qu'il appartient à tout journaliste d'avoir dès la publication, des éléments suffisants pour rapporter la preuve de ce qu'il allègue ; qu'en l'espèce aucune de ces preuves n'a été rapportée et que les articles et les phrases incriminées constituent bien le délit de diffamation publique envers J.C. en sa qualité de commissaire divisionnaire (...)

Attendu que l'infraction est grave comme portant atteinte à un responsable de service public dont les fonctions sont difficiles et dont la carrière en démontre la qualité.

Attendu au surplus que J.C. a participé de très près à la lutte contre le GAL ayant personnellement, ou son service, contribué à l'arrestation de plusieurs membres du GAL. »

Le tribunal condamna également le requérant à payer à J.C., partie civile, 150 000 FRF, soit 22 867,35 EUR, à titre de dommages-intérêts et 15 000 FRF, soit 2 286,74 EUR, au titre de ses frais de procédure, et ordonna la publication du jugement dans cinq journaux aux frais du condamné. Le tribunal motiva la condamnation civile comme suit :

« Attendu que le préjudice est réel et que la volonté de mettre en cause l'honneur de la partie civile est établi.

Attendu que le militantisme peut être respectable, que la lutte contre une organisation de caractère criminel dont les actes de nature terroriste ont gravement atteint la paix civile est certes légitime, mais qu'elle ne peut permettre, surtout à un journaliste ou directeur de publication en charge d'une mission essentielle, de porter atteinte sans preuve à l'honneur d'un homme. »

Les 4 et 9 avril 1996, le requérant, la partie civile et le ministère public interjetèrent appel du jugement devant la cour d'appel de Pau.

L'affaire fut appelée à l'audience de la cour d'appel du 26 juin 1996. Le requérant déposa des conclusions demandant notamment à la cour d'ordonner l'audition du témoin A. L.-C. et de reporter en conséquence les débats à une date ultérieure. La cour d'appel accorda le renvoi de l'affaire au 18 septembre 1996, puis un nouveau renvoi fut accordé au 18 décembre 1996. Entre-temps, le 24 septembre 1996, le requérant cita, en qualité de témoin, A. L.-C. d'avoir à comparaître à cette dernière audience.

A l'audience du 18 décembre 1996, le requérant déposa des conclusions dans lesquelles il demanda notamment à la cour d'appel, avant toute défense au fond, de juger que le terme « ordure galeuse » constituait une injure et non pas une diffamation et, sur le fond, de constater que les imputations à son encontre n'étaient pas fondées dans la mesure où il rapportait la preuve de la vérité des faits considérés comme diffamatoires par la partie civile et qu'au surplus, sa bonne foi devait entraîner sa relaxe pure et simple. La cour d'appel constata par ailleurs la non-comparution de A. L.-C en qualité de témoin.

Par un arrêt du 5 février 1997, la cour d'appel confirma le jugement sur l'action publique, réduisit les dommages-intérêts dus à la partie civile à la somme de 50 000 FRF, soit 7 622,45 EUR, porta à 30 000 FRF, soit 4 573,47 EUR, l'indemnité lui étant due au titre des frais de procédure et ordonna la publication d'un extrait de l'arrêt dans trois journaux. La cour d'appel retint la motivation suivante :

« Sur la qualification de l'expression « ordure galeuse » :

Attendu que J. Abeberry soutient que les mots « ordure galeuse » ne peuvent constituer une diffamation et ne peuvent être qualifiés que d'injures ;

Attendu qu'aux termes de l'article 29, alinéa 1, de la loi du 29 juillet 1881, toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur et à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation,

Qu'en l'espèce, l'épithète « galeuse » accolé au mot ordure doit être reçu dans son acception spécifique ; que le terme « galeuse » renvoie, en effet, au sigle « GAL » (...) et n'est pas employé dans son sens habituel désignant une maladie de peau contagieuse ; que l'expression utilisée par le prévenu est bien l'imputation d'un fait précis, en l'occurrence l'allégation de l'appartenance de J.C. à une organisation criminelle identifiée,

Que c'est à juste titre que le tribunal a considéré l'expression « ordure galeuse » comme diffamatoire,

Qu'en tout état de cause, J. Abeberry, qui a notifié ses offres de preuve conformément aux articles 55 et 56 de la loi du 29 juillet 1881, a implicitement accepté de débattre sur le terrain de la diffamation.

Sur le caractère diffamatoire des écrits incriminés : (...)

1o - Enbata no 1392 du 14 septembre 1995

(...) Attendu que les allégations contenues dans les passages [de cet article et cités au titre de la prévention] constituent l'imputation de faits déterminés, précis et explicites : la fourniture par un commissaire de police français de renseignements au gouvernement espagnol sur des réfugiés basques, contre la remise de fortes sommes d'argent,

Que ces imputations sont de nature à porter atteinte à l'honneur du commissaire J.C., les faits tombant sous l'application de la loi pénale, s'agissant de corruption dans l'exercice de ses fonctions,

Que les allégations visent, sans aucune ambiguïté, J.C. dont la photographie s'étale en page de couverture de l'hebdomadaire Enbata,

Que J. C. est identifié et mis en cause en sa qualité de commissaire de police, chef de la police Air-Frontière à Hendaye, chargé de la lutte anti-ETA ; que la partie civile a, ainsi, exactement visé l'article 31 de la loi du 29 juillet 1881 dans sa citation ;

2o - Enbata no 1398 du 26 octobre 1995

 Attendu que [le] montage photographique [en cause] associé aux mentions reproduites assimile, de façon précise, le commissaire J.C. à l'organisation criminelle dénommée « GAL »,

Qu'il s'agit d'allégations de faits déterminés portant atteinte à l'honneur de J.C., commissaire divisionnaire de police chargé d'un service ou d'un mandat public (...) »

S'agissant de l'offre de preuve de la vérité des faits diffamatoires faite par le requérant, la cour d'appel retint que la preuve complète et absolue de ses imputations par le diffamateur, exigée par les articles 55 et 56 de la loi du 29 juillet 1881, n'était pas rapportée. Elle retint notamment que les témoins cités par le requérant ne s'étaient pas présentés devant la cour et que les documents versés aux débats n'apportaient aucun élément de preuve quant à la vérité des allégations énoncées dans les publications incriminées, les articles de presse fournis ne mentionnant pas le nom de J.C. ou le citant, soit en référence à des propos diffamatoires tenus par des organes de presse eux-mêmes poursuivis devant d'autres juridictions, soit en mettant en évidence l'absence de sérieux des imputations litigieuses. Par ailleurs, la cour d'appel écarta des débats le document intitulé « Nota para el tribunal » ayant pour auteur A. L.-C., en ce qu'aucune disposition de la loi ne permettait à un témoin de substituer à sa déposition orale une déclaration écrite non signifiée à la partie poursuivante.

Enfin, relativement à la bonne foi du prévenu, la cour d'appel considéra ce qui suit :

« Attendu que J. Abeberry soutient qu'il a agi de bonne foi ; qu'il lui appartient toutefois, aux termes d'une jurisprudence de principe en matière de droit de la presse, d'en apporter la preuve,

Qu'en se bornant à reprendre à son compte et sans autres investigations les propos tenus par A. L.-C. dans un quotidien (El Mundo) impliqué dans un contexte électoral passionné, ou le contenu d'une dépêche diffusée par l'AFP le 11 septembre 1995 qui reprend également un article d'El Mundo, J. Abeberry ne peut prétendre avoir fourni une information sincère et objective,

Qu'il ne peut justifier avoir poursuivi un but légitime, alors qu'il réfute la qualification de journaliste préférant celle de militant de la cause basque, affirmant diriger un journal d'opinion,

Qu'il s'est abstenu avant de diffuser les articles incriminés de rencontrer ou d'approcher J.C. et de lui permettre de répondre aux graves accusations unilatérales et subjectives de A. L.-C., personnage très controversé, dont la fiabilité reste discutable,

Que le fait que ce dernier ait réitéré ses accusations lors d'un entretien accordé postérieurement à S.G., entendu à l'audience, ne saurait conforter la faible crédibilité des « révélations » du policier espagnol,

Que le prévenu ne saurait sérieusement soutenir qu'il s'est contenté de défendre la mémoire des victimes des attentats du GAL en dénonçant les implications de la police française,

Qu'enfin le ton employé dans les articles incriminés : « J.C. émargeait sur les fonds secrets du gouvernement espagnol », « il a reçu beaucoup d'argent... », « ordure galeuse », caractérisent, au contraire, l'intention de nuire à un haut fonctionnaire de police particulièrement efficace dans sa lutte contre l'organisation terroriste ETA,

Que les propos écrits sous la responsabilité de J. Abeberry manquent singulièrement de prudence et de modération,

Que la bonne foi du prévenu ne peut être, en conséquence, retenue (...) »

Le requérant forma un pourvoi en cassation. Il déposa un mémoire ampliatif, dans lequel il contesta notamment le caractère diffamatoire des articles incriminés et le fait que sa bonne foi n'ait pas été retenue.

Le 5 octobre 1999, la Cour de cassation rejeta le pourvoi dans les termes suivants :

« Attendu, en premier lieu, qu'en matière de diffamation, le prévenu qui a spontanément offert, dans les conditions précisées à l'article 55 de la loi du 29 juillet 1881, de faire la preuve de la vérité des faits diffamatoires, ne saurait ensuite soutenir que les termes ou expressions incriminées ne seraient pas diffamatoires, faute de contenir l'imputation d'un fait précis susceptible de preuve ;

Attendu, en second lieu, qu'après avoir admis le caractère diffamatoire envers le plaignant des passages incriminés, les juges ont écarté l'exception de bonne foi invoquée en défense, en relevant que le prévenu ne justifie pas avoir poursuivi un but légitime, que ses propos manquent de prudence et de modération et que le ton employé caractérise l'intention de nuire ;

Attendu qu'en l'état de ces constatations et énonciations, dépourvues d'insuffisance et de contradiction, desquelles il résulte que le prévenu n'a pas apporté la preuve, qui lui incombait, de circonstances justificatives propres à établir sa bonne foi, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ( ...) »

B.  Le droit interne pertinent

Les articles pertinents de la loi du 28 juillet 1881 sur la liberté de la presse se lisent ainsi :

Article 29

« Toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l'identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés.

Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure. »

Article 30

« La diffamation commise par l'un des moyens énoncés en l'article 23 envers les cours, les tribunaux, les armées de terre, de mer ou de l'air, les corps constitués et les administrations publiques, sera punie d'une amende de 45 000 euros. »

Article 31

« Sera punie de la même peine, la diffamation commise par les mêmes moyens, à raison de leurs fonctions ou de leur qualité, envers un ou plusieurs membres du ministère, (...) un fonctionnaire public, un dépositaire ou agent de l'autorité publique, (...) un citoyen chargé d'un service ou d'un mandat public temporaire ou permanent (...) »

Article 35

« La vérité du fait diffamatoire, mais seulement quand il est relatif aux fonctions, pourra être établie par les voies ordinaires, dans le cas d'imputations contre les corps constitués, les armées de terre, de mer ou de l'air, les administrations publiques et contre toutes les personnes énumérées dans l'article 31 (...)

Si la preuve du fait diffamatoire est rapportée, le prévenu sera renvoyé des fins de la plainte. »

Article 42

« Seront passibles, comme auteurs principaux des peines qui constituent la répression des crimes et délits commis par la voie de la presse, dans l'ordre ci-après, savoir :

1o Les directeurs de publications ou éditeurs, quelles que soient leurs professions ou leurs dénominations (...) »

Article 55

« Quand le prévenu voudra être admis à prouver la vérité des faits diffamatoires, conformément aux dispositions de l'article 35 de la présente loi, il devra, dans le délai de dix jours après la signification de la citation, faire signifier au ministère public ou au plaignant au domicile par lui élu, suivant qu'il est assigné à la requête de l'un ou de l'autre :

1o Les faits articulés et qualifiés dans la citation, desquels il entend prouver la vérité ;

2o La copie des pièces ;

3o Les noms, professions et demeures des témoins par lesquels il entend faire la preuve (...) »

Article 56

« Dans les cinq jours suivants, en tous cas moins de trois jours francs avant l'audience, le plaignant ou le ministère public, suivant le cas, sera tenu de faire signifier au prévenu, au domicile par lui élu, les copies des pièces et les noms, professions et demeures des témoins par lesquels il entend faire la preuve du contraire sous peine d'être déchu de son droit. »

GRIEFS

1.  Le requérant soutient que sa condamnation a porté atteinte à son droit à la liberté d'expression garanti par l'article 10 de la Convention. S'il admet que cette ingérence des autorités publiques dans son droit à la liberté d'expression était prévue par la loi, il fait valoir que sous couvert de viser le but légitime de la protection de la réputation ou des droits d'autrui, à savoir ceux de J.C., cette ingérence avait en réalité pour but de protéger un secret d'Etat et d'empêcher la presse d'investigation de faire son travail concernant les activités terroristes du GAL, spécialement à l'égard d'un journal nationaliste basque. Enfin, il considère que les informations diffusées par le journal Enbata à propos de l'implication de certains fonctionnaires français dans les activités du GAL faisaient partie d'un débat public répercuté par d'autres journaux et qu'il s'agissait d'un débat d'intérêt général eu égard à l'importance de cette question pour la population basque. Il en conclut que l'ingérence n'était, en l'espèce, pas nécessaire dans une société démocratique et que la sanction était disproportionnée, ayant pour but « d'abattre », pour des raisons politiques, le journal Enbata par un biais financier.

2.  Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, il se plaint de la partialité des juridictions du fond, à savoir le tribunal correctionnel de Bayonne et la cour d'appel de Pau, qui, selon lui, étaient connues localement pour leur laxisme envers les terroristes du GAL et ont été influencées par la partie civile qui, en tant que policier, a travaillé dans leur ressort. Il fait également valoir que les décisions de ces juridictions ont porté atteinte au principe de l'égalité des armes en le plaçant dans une situation de net désavantage par rapport à la partie civile et qu'il n'a pas été en mesure de préparer sa défense dans des conditions conformes aux exigences de l'article 6 § 3 b). Enfin, il se plaint de l'absence de motivation suffisante de l'arrêt de la Cour de cassation.

EN DROIT

1.  Le requérant se plaint d'une atteinte à sa liberté d'expression et invoque la violation de l'article 10 de la Convention, ainsi rédigé :

 « 1.  Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. (...)

2.  L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »

La Cour estime que la condamnation litigieuse s'analyse en une « ingérence » dans l'exercice par le requérant de sa liberté d'expression. Pareille immixtion enfreint l'article 10, sauf si elle est « prévue par la loi », dirigée vers un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 et « nécessaire », dans une société démocratique, pour atteindre ceux-ci.

Le requérant ne conteste pas que cette ingérence soit prévue par la loi. Il met cependant en doute qu'elle ait été inspirée par un but légitime et qu'elle ait constitué une mesure nécessaire dans une société démocratique.

La Cour n'a trouvé dans le dossier aucun élément de nature à étayer les allégations du requérant selon lesquelles la condamnation dont il a fait l'objet visait en réalité à museler la presse dans son travail d'information du public sur les activités terroristes du GAL.

Selon la Cour, l'ingérence poursuivait sans aucun doute l'un des buts énumérés à l'article 10 § 2 : la protection « de la réputation ou des droits d'autrui » (voir, parmi d'autres, l'arrêt Tolstoy Myloslavsky c. Grande‑Bretagne, arrêt du 13 juillet 1995, série A no 316-B, § 45). La Cour souligne à cet égard que le droit à la réputation figure parmi les droits garantis par l'article 8 de la Convention, en tant qu'élément du droit au respect de la vie privée. Reste la question de savoir si cette ingérence constituait une « mesure nécessaire dans une société démocratique ».

La Cour a souligné à de très nombreuses reprises le rôle essentiel de « chien de garde » que joue la presse dans une société démocratique. S'il lui incombe de communiquer, dans le respect de ses devoirs et de ses responsabilités, des informations et des idées sur toutes les questions d'intérêt général, la presse ne doit pas franchir certaines limites, notamment quant à la réputation et aux droits d'autrui (voir Jersild c. Danemark, arrêt du 23 septembre 1994, série A no 298, p. 23, § 31 ; De Haes et Gijsels c. Belgique, arrêt du 24 février 1997, Recueil 1997-I, pp. 233-234, § 37, et Thoma c. Luxembourg, no 38432/97, § 45, CEDH 2001-III). Bien que la liberté journalistique comprenne aussi le recours possible à une certaine dose d'exagération, voire même de provocation (voir Prager et Oberschlick c. Autriche, arrêt du 26 avril 1995, série A no 313, p. 19, § 38), elle est subordonnée à la condition que les intéressés agissent de bonne foi, de manière à fournir des informations exactes et dignes de crédit dans le respect de la déontologie journalistique (voir Bladet Tromsø et Stensaas c. Norvège précité, § 65, et Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 54, CEDH 1999-I).

La « nécessité » d'une quelconque restriction à l'exercice de la liberté d'expression doit se trouver établie de manière convaincante. La Cour n'a point pour tâche, lorsqu'elle exerce ce contrôle, de se substituer aux juridictions nationales, mais de vérifier sous l'angle de l'article 10 les décisions qu'elles ont rendues en vertu de leur pouvoir d'appréciation. En l'espèce, il est essentiel de savoir si ces juridictions ont correctement fait usage de ce pouvoir en condamnant le requérant pour diffamation. Pour cela, la Cour doit considérer l'« ingérence » litigieuse, à la lumière de l'ensemble de l'affaire, pour déterminer si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants » (voir, parmi de nombreux précédents, Goodwin c. Royaume-Uni, arrêt du 27 mars 1996, Recueil 1996-II, p. 501, § 40). La nature et la lourdeur des peines infligées sont aussi des éléments à prendre en considération lorsqu'il s'agit de mesurer la proportionnalité de l'ingérence (Perna c. Italie [GC], no 48898/99, § 39, CEDH 2003-V).

En l'espèce, la Cour relève que le requérant a été reconnu coupable de diffamation envers un fonctionnaire public, le commissaire J.C., en raison de la publication de deux numéros du journal Enbata dont les éléments mis en cause relevaient manifestement d'une question d'intérêt général, non seulement pour la population basque, mais également pour l'ensemble de la population française, s'agissant des circonstances dans lesquelles la lutte contre l'organisation terroriste ETA avait été menée par les autorités de police françaises en collaboration avec les autorités espagnoles, et de la possible corruption de fonctionnaires.

A cet égard, la Cour rappelle que les limites de la critique admissible sont, comme pour les hommes politiques, plus larges pour les fonctionnaires agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles que pour les simples particuliers. Cependant, ils ne sauraient être traités sur un pied d'égalité avec les hommes politiques car ils ne s'exposent pas sciemment à un contrôle attentif de leurs faits et gestes (arrêts Oberschlick c. Autriche (no 2) du 1er juillet 1997, Recueil 1997-IV, p. 1275, § 29, et Janowski c. Pologne [GC], no 25716/94, § 33, CEDH 1999-I).

La Cour observe que les publications litigieuses portaient sur le même sujet et contenaient de graves accusations à l'égard du fonctionnaire en question, lui imputant des faits précis de corruption. Elle rappelle que, contrairement aux jugements de valeur, qui ne se prêtent pas à une démonstration de leur exactitude, la matérialité de tels faits peut se prouver, de sorte que la proportionnalité de l'ingérence dépend de l'existence d'une base factuelle solide pour les propos litigieux (cf. De Haes et Gijsels c. Belgique, précité, p. 235, § 42 ; Perna c. Italie [GC], précité, §§ 31 et 47 ; Alves Costa c. Portugal (déc.), no 65297/01, 25 mars 2004).

Certes, la première publication, en date du 14 septembre 1995, était composée, outre la photographie et le texte de couverture, d'un article en page trois du journal, reprenant un article précédemment publié dans le journal espagnol El Mundo, indiqué par Enbata comme source de ses informations.

Or, la Cour rappelle que l'on ne saurait exiger de manière générale que les journalistes se distancient systématiquement et formellement du contenu d'une citation qui pourrait insulter des tiers, les provoquer ou porter atteinte à leur honneur, une telle exigence ne se conciliant pas avec le rôle des médias d'informer sur des faits ou des opinions et des idées qui ont cours à un moment donné (voir l'arrêt Thoma c. Luxembourg, précité, § 64).

Elle estime cependant que la motivation de la cour d'appel mettant en cause le caractère sincère et objectif de l'information ainsi fournie et relevant que les propos écrits sous la responsabilité du requérant manquaient singulièrement de prudence et de modération n'apparaît ni arbitraire, ni déraisonnable.

La Cour relève à cet égard, qu'outre l'article repris d'El Mundo, la première publication litigieuse était composée d'une photographie en gros plan de J.C. en couverture, et en uniforme, accompagnée de la mention « J.C. les dividendes de la traque d'ETA », de sorte que ces éléments pouvaient clairement apparaître aux lecteurs comme une affirmation de la corruption de J.C. dans le cadre de ses fonctions officielles.

Il en va a fortiori de même concernant la seconde publication en cause, en date du 26 octobre 1995, composée d'une photographie de J.C. en couverture, notamment accompagnée de la mention « J.C. – H ordures galeuses ». La Cour relève de prime abord que les termes d' « ordure galeuse » constituaient des propos injurieux, d'ailleurs revendiqués en tant que tels par le requérant dans le cadre de sa défense devant les juridictions internes. Surtout, elle observe, à l'instar de ces dernières, que pris dans le contexte général de la publication en cause, ces termes désignaient clairement J.C. comme ayant prêté son concours aux formations terroristes et clandestines du GAL, ce qui était de nature à porter une atteinte grave à sa réputation et à son honneur, s'agissant d'un commissaire de police spécialement chargé de la lutte anti-terroriste menée contre ETA.

La Cour relève que le requérant, qui avait fait une offre de preuve des faits diffamatoires, s'est trouvé dans l'incapacité de la rapporter et ce malgré le renvoi de l'affaire accordée par la cour d'appel pour permettre la convocation du témoin A. L.-C. Elle constate, à l'instar de la cour d'appel, que le requérant n'a pas non plus fait état de démarches en vue d'interroger les protagonistes de l'affaire, dont J.C., et qu'il s'est d'ailleurs lui-même proclamé comme étant un « militant de la cause basque » dirigeant « un journal d'opinion » et non comme un journaliste.

Aux yeux de la Cour, la gravité des faits imputés à J.C. et le fait que le journal Enbata ne disposait d'aucune base factuelle susceptible de fonder l'information litigieuse (cf., a contrario, Thorgeir Thorgeirson c. Islande, arrêt du 25 juin 1992, série A no 239, pp. 27-28, §§ 65-67 ; Vides Aizsardzības Klubs c. Lettonie, no 57829/00, § 44, 27 mai 2004) aurait dû inciter le requérant à faire preuve de la plus grande rigueur et d'une particulière mesure, ce qui ne lui apparaît pas avoir été le cas en l'espèce.

La Cour n'est pas non plus convaincue que les photographies et les mentions de couverture susdécrites pouvaient utilement contribuer au débat public – de sorte que l'intérêt légitime de l'Etat à protéger la réputation de J.C. n'entrait pas en conflit avec l'intérêt du requérant de participer à une libre discussion publique (cf. Constantinescu c. Roumanie, no 28871/95, § 74-75, CEDH 2000-VIII) – ni que l'on puisse voir là, compte tenu notamment du ton injurieux employé dans la seconde publication, l'expression de la « dose d'exagération » ou de « provocation » dont il est permis d'user dans le cadre de l'exercice de la liberté journalistique.

En conclusion, la Cour juge « pertinents et suffisants » les motifs retenus par les juridictions du fond pour conclure qu'il avait été porté atteinte à l'honneur de J.C., rejeter la bonne foi du requérant et le condamner.

Quant à la « proportionnalité » de l'ingérence litigieuse, la Cour relève que le requérant a été déclaré coupable d'un délit et condamné au paiement d'une amende pénale, ce qui, en soi, confère aux mesures prises à son égard un degré élevé de gravité (voir, mutatis mutandis, l'arrêt Lehideux et Isorni c. France du 23 septembre 1998, Recueil 1998-VII, § 57). Toutefois, vu la marge d'appréciation que l'article 10 de la Convention laisse aux Etats contractants, il ne saurait être considéré qu'une réponse pénale à des faits de diffamation est, en tant que telle, disproportionnée au but poursuivi (Radio France c. France, no 53984/00, § 40, CEDH 2004-...).

Ceci étant, la Cour relève que l'amende prononcée – 20 000 FRF, soit 3 048,98 EUR – qui a d'ailleurs été sensiblement réduite en appel, était d'un montant relativement modéré compte tenu, notamment, de la peine maximum encourue à l'époque des faits pour l'infraction commise, à savoir un an d'emprisonnement et 300 000 FRF d'amende, soit environ 45 735 EUR, ou l'une de ces deux peines seulement. Le même constat s'impose s'agissant des dommages-intérêts que le requérant a été condamné à payer à J.C. : 50 000 FRF, soit 7 622,45 EUR (cf. Radio France c. France, précité, ibidem). La cour d'appel a également ordonné l'insertion d'un extrait de l'arrêt dans trois journaux.

La Cour ne juge pas convaincantes les allégations du requérant selon lesquelles les mesures prises à son encontre viseraient à « abattre » le journal en cause par un biais financier.

Au vu des circonstances de l'espèce, elle estime que ces mesures n'étaient pas disproportionnées au but légitime poursuivi et que l'ingérence litigieuse peut, dès lors, passer pour « nécessaire dans une société démocratique ».

Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

2.  Le requérant se plaint de la partialité des juridictions du fond, de ce que la procédure devant elles ait porté atteinte à ses droits de la défense, ainsi que de l'insuffisance de motivation de l'arrêt de la Cour de cassation. Il invoque l'article 6 §§ 1 et 3 b), qui se lit comme suit :

« 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, (...)

3.  Tout accusé a droit notamment à : (...)

b)  disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense (...) »

La Cour rappelle que les exigences du paragraphe 3 de l'article 6 de la Convention s'analysent en des aspects particuliers du droit à un procès équitable, garanti par le paragraphe 1, de sorte qu'elle examinera le grief sous l'angle de ces deux textes combinés (voir, par exemple, l'arrêt Van Geyseghem c. Belgique [GC] no 26103/95, § 27, CEDH 1999-I).

La Cour rappelle ensuite qu'aux termes de l'article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes ; tout requérant doit avoir donné aux juridictions internes l'occasion que l'article 35 § 1 a pour finalité de ménager aux Etats contractants : éviter ou redresser les violations alléguées contre lui. Ainsi, le grief dont on entend saisir la Cour doit d'abord être soulevé, au moins en substance, dans les formes et délais prescrits par le droit interne, devant les juridictions nationales appropriées (voir, entre autres, l'arrêt Civet c. France du 28 septembre 1999, no 29340/95, CEDH 1999-VI, § 41).

En ce qui concerne les allégations du requérant relativement à l'impartialité des juridictions du fond, à savoir le tribunal correctionnel de Bayonne et la cour d'appel de Pau, et le respect de ses droits de la défense devant elles, la Cour relève que le requérant s'est vu refuser le renvoi de l'affaire pour cause de suspicion légitime du tribunal correctionnel de Bayonne à une autre juridiction pour avoir présenté sa demande tardivement, puis qu'il n'a, à aucun moment devant la Cour de cassation, soulevé expressément ou en substance les griefs qu'il invoque à présent. Le requérant ne saurait donc être considéré comme ayant épuisé les voies de recours internes. La Cour ne perçoit, en outre, aucun élément d'arbitraire ou apparence de violation dans le cadre de la procédure pénale diligentée à l'encontre du requérant.

Concernant le grief du requérant selon lequel l'arrêt de la Cour de cassation ne serait pas suffisamment motivé, la Cour rappelle que selon sa jurisprudence, si l'article 6 § 1 de la Convention oblige les tribunaux à motiver leurs décisions, il ne peut se comprendre comme exigeant une réponse détaillée à chaque argument (Van de Hurk c. Pays-Bas, arrêt du 19 avril 1994, série A no 288, p. 20, § 61). L'étendue de ce devoir peut varier selon la nature de la décision et doit s'analyser à la lumière des circonstances de chaque espèce (Higgins et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 19 février 1998, Recueil 1998-I, § 42 et Garcia Ruiz c. Royaume-Uni [GC], arrêt du 21 janvier 1999, no 30544/96, § 26, CEDH 1999-I). La Cour estime qu'en l'espèce, la Cour de cassation a répondu de manière suffisante aux moyens développés par le requérant dans son mémoire ampliatif, et que ce grief est donc manifestement mal fondé.

Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée en application de l'article 35 §§ 1, 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

S. DolléA.B Baka
GreffièrePrésident

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CEDH, Cour (deuxième section), ABEBERRY c. FRANCE, 21 septembre 2004, 58729/00