CEDH, Cour (cinquième section), TARDIEU DE MALEISSYE c. FRANCE, 15 décembre 2009, 51854/07

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Cinquième Section), 15 déc. 2009, n° 51854/07
Numéro(s) : 51854/07
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 14 novembre 2007
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-96659
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2009:1215DEC005185407
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Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 51854/07
présentée par Anne-Lorraine TARDIEU DE MALEISSYE et autres
contre la France

La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant le 15 décembre 2009 en une chambre composée de :

Peer Lorenzen, président,
Renate Jaeger,
Jean-Paul Costa,
Rait Maruste,
Mark Villiger,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Zdravka Kalaydjieva, juges,

et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 14 novembre 2007,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Les requérantes, Mmes Anne-Lorraine, Jacqueline et Marie‑Antoinette Tardieu de Maleissye, ressortissantes françaises, nées respectivement en 1957, 1956 et 1955, résident à Savigné-L'Evêque, Fontenay-sur-Mer et Aureille. Elles sont représentées devant la Cour par Me J. Turot, avocat à Paris.

A.  Les circonstances de l'espèce

Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les requérantes, peuvent se résumer comme suit.

Le père des requérantes, qui avait eu la double nationalité française et américaine, avant de renoncer à la nationalité française en 1947, vécut vingt-cinq ans aux Etats-Unis, où il avait des attaches familiales.

Le 23 juin 1947, alors qu'il vivait aux Etats-Unis, il remit un ensemble de valeurs mobilières à un trust régi par le droit de l'Etat de New York. Par ce mécanisme juridique, la propriété des valeurs concernées était cédée à un trustee, à charge pour ce dernier d'en verser les revenus éventuels au constituant et de transférer les biens, au décès de celui-ci, à des tiers bénéficiaires, en l'espèce les enfants nés ou à naître du constituant, après avoir géré ces biens indépendamment de son propre patrimoine et dans l'intérêt des bénéficiaires. Ces derniers bénéficiaient d'un droit de propriété dit « équitable » sur les biens, leur permettant uniquement d'intenter contre le trustee toute action réelle ou personnelle visant à conserver le patrimoine et à garantir une gestion conforme à sa destination. Il s'agissait d'un trust inter vivos, dès lors constitué dès son acceptation par le trustee, et non d'un trust testamentaire qui n'aurait pris effet qu'au décès du constituant.

Par un avenant du 4 janvier 1950, le constituant rendit son engagement irrévocable, renonçant ainsi définitivement à la propriété des biens inclus dans le trust.

Revenu vivre en France au début des années 70, il décéda le 7 mai 1995.

Le 6  août 1996, ses trois héritières, les requérantes, déposèrent une déclaration de succession auprès des services fiscaux, mentionnant l'existence du trust.

Compte tenu de la convention fiscale franco-américaine du 31 août 1994 (modifiée par avenant du 8 décembre 2004), qui vise à éliminer le risque de double imposition, l'administration américaine informa les autorités fiscales françaises, par une note du 1er mars 1998, que le trust n'avait pas été taxé aux Etats-Unis.

S'ensuivit un litige entre les requérantes et l'administration fiscale s'agissant de la taxation en France du trust ou de ses effets, une telle institution n'étant ni régie, ni même prévue par la loi française. L'administration fiscale considéra que le trust réalisait une donation à la date du décès du père des requérantes, donation qui devait être rapportée à la succession pour le calcul des droits d'enregistrement en matière de mutation à titre gratuit, par application de l'article 784 du code général des impôts.

Par un avis de mise en recouvrement du 25 mai 1999, l'administration fiscale mit à la charge des requérantes des droits et pénalités pour un montant total de 5 841 108 francs français (soit 890 471 euros). L'administration rejeta le recours contentieux intenté par les requérantes. Ces dernières contestaient le principe même de l'imposition en droit français de valeurs mobilières américaines mises en trust, la date retenue par l'administration pour calculer l'impôt, le transfert de propriété opéré par le trust ayant eu lieu plus de dix ans avant le décès du de cujus, ainsi que l'application des dispositions de l'article 784 du code général des impôts pour requalifier le trust.

Par un jugement du 2 juillet 2003, le tribunal de grande instance de Brest annula l'avis de mise en recouvrement en raison d'une irrégularité de fond. L'administration fiscale interjeta appel.

Le 4 mai 2005, la cour d'appel de Rennes infirma le jugement et constata la validité de l'avis de mise en recouvrement, jugeant notamment que les dispositions de l'article 784 du code général des impôts, relatives aux mutations à titre gratuit, devaient s'appliquer aux circonstances de l'espèce et que le dispositif de trust constituait une donation indirecte qui avait produit effet au jour du décès du donateur. Elle estima dès lors qu'il n'était pas nécessaire d'examiner les moyens et arguments des requérantes selon lesquels le trust avait en réalité, selon le droit américain, produit effet à leur égard dès 1950 par un transfert de propriété.

Par un arrêt du 15 mai 2007, la Cour de cassation rejeta le pourvoi des requérantes.

B.  Le droit interne pertinent

Les dispositions de l'article 784 du code général des impôts, applicables à l'époque des faits, se lisent comme suit :

Article 784

« Les parties sont tenues de faire connaître, dans tout acte constatant une transmission entre vifs à titre gratuit et dans toute déclaration de succession, s'il existe ou non des donations antérieures consenties à un titre et sous une forme quelconque par le donateur ou le défunt aux donataires, héritiers ou légataires et, dans l'affirmative, le montant de ces donations ainsi que, le cas échéant, les noms, qualités et résidences des officiers ministériels qui ont reçu les actes de donation, et la date de l'enregistrement de ces actes.

La perception est effectuée en ajoutant à la valeur des biens compris dans la donation ou la déclaration de succession celle des biens qui ont fait l'objet de donations antérieures, à l'exception de celles passées depuis plus de dix ans, et, lorsqu'il y a lieu à application d'un tarif progressif, en considérant ceux de ces biens dont la transmission n'a pas encore été assujettie au droit de mutation à titre gratuit comme inclus dans les tranches les plus élevées de l'actif imposable.

Pour le calcul des abattements et réductions édictés par les articles 779, 780, et 790 B (1) il est tenu compte des abattements et des réductions effectués sur les donations antérieures visées au deuxième alinéa consenties par la même personne. »

GRIEF

1.  Invoquant l'article 1 du Protocole no 1, les requérantes estiment que l'imposition des trusts n'est pas prévue par la loi française et que, partant, l'Etat français a violé le principe de la légalité de l'impôt en les imposant néanmoins.

2.  Les requérantes estiment en outre que la technique du trust de common law est très analogue à celle de la donation-partage avec réserve d'usufruit prévue par le droit français, ce qui serait confirmé tant par la doctrine que par l'administration fiscale française lorsqu'elle s'oppose à l'institution du trust en droit français : il s'ensuit que les requérantes estiment avoir fait l'objet d'une discrimination fondée sur la nationalité, au sens de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 1 du Protocole no 1, le trust fait par leur père, de nationalité américaine et vivant alors aux Etats-Unis, ayant finalement été lourdement imposé par la décision des autorités françaises de retenir une autre qualification fiscale, alors que le trust est en réalité très proche du système français de donation-partage avec réserve d'usufruit qui, si elle avait été réalisée en France, aurait permis une transmission des biens sans droits de succession et avec des droits de donation nuls ou très faibles.

EN DROIT

Les requérantes allèguent une violation de l'article 1 du Protocole no 1, pris seul et combiné avec l'article 14 de la Convention, dont les dispositions se lisent comme suit :

Article 1 du Protocole no 1

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »

Article 14

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

La Cour rappelle que l'imposition fiscale est en principe une ingérence dans le droit garanti par le premier alinéa de l'article 1 du Protocole no 1 car elle prive la personne concernée d'un élément de propriété, à savoir de la somme qu'elle doit payer ; cette ingérence se justifie conformément au deuxième alinéa de cet article, qui prévoit expressément une exception pour ce qui est du paiement des impôts ou d'autres contributions (Wasa Liv Ömsesidigt, Försäkringsbolaget Valands Pensionsstiftelse et un groupe d'environ 15 000 personnes c. Suède, no 13013/87, décision de la Commission du 14 décembre 1988, Décisions et Rapports (DR) 58, p. 163, Buffalo Srl en liquidation c. Italie, no 38746/97, § 32, 3 juillet 2003, et Orion-Breclav, S.R.O. c. la République tchèque, (déc.), no 43783/98, 13 janvier 2004). Une telle question n'échappe pas pour autant à tout contrôle de la Cour, puisque celle-ci doit vérifier si l'article 1 du Protocole no 1 a fait l'objet d'une application correcte.

Selon la jurisprudence bien établie de la Cour, toute ingérence, y compris celle résultant d'une mesure tendant à assurer le paiement des impôts, doit ménager un « juste équilibre » entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la protection des droits fondamentaux de l'individu. Le souci de réaliser cet équilibre se reflète dans la structure de l'article 1 tout entier, y compris dans son second alinéa ; dès lors, il doit y avoir un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi. Par conséquent, l'obligation financière née du prélèvement d'impôts ou de contributions peut léser la garantie consacrée par cette disposition si elle impose à la personne ou à l'entité en cause une charge excessive ou porte fondamentalement atteinte à leur situation financière (Buffalo Srl en liquidation, précité, § 32).

Par ailleurs, pour rechercher si cette exigence se trouve remplie, il est reconnu qu'un Etat contractant, spécialement quand il élabore et met en œuvre une politique en matière fiscale, jouit d'une large marge d'appréciation, et la Cour respecte l'appréciation portée par le législateur en pareilles matières, sauf si elle est dépourvue de base raisonnable (the National & Provincial Building Society, the Leeds Permanent Building Society and the Yorkshire Building Society c. Royaume-Uni, 23 octobre 1997, § 80, Recueil des rapports et décisions 1997-VII). Les décisions en ce domaine impliquent une appréciation de problèmes politiques, économiques et sociaux que la Convention laisse à la compétence des Etats parties (Travers et 27 autres c. Italie, no 15117/89, décision de la Commission du 16 janvier 1995, Drosopoulos c. Grèce, no 40442/98, 7 décembre 2000, et Baláž c. Slovaquie (déc.), no 60243/00, 16 septembre 2003).

En l'espèce, s'agissant de la légalité de l'ingérence, la Cour constate tout d'abord que la France n'a pas ratifié la Convention de La Haye du 1er juillet 1985 relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance et que, partant, elle n'est pas liée par les stipulations de celle-ci. Par ailleurs, la Cour note que les requérantes ont été imposées sur le fondement de l'article 784 du code général des impôts, relatif aux mutations à titre gratuit. L'imposition litigieuse était donc prévue par la loi.

Certes, les requérantes contestent cette qualification légale, dès lors que le trust de common law n'est pas prévu par le droit français.

Néanmoins, de l'avis de la Cour, si le droit français ignore ce mécanisme, cela ne signifie pas qu'il soit dénué d'effet en France, notamment lorsque, à l'instar de la présente affaire, la succession est soumise à la loi française. En conséquence, les autorités internes devaient nécessairement appliquer la loi nationale pertinente pour trancher la question des conséquences du trust en France, nonobstant le fait que cet instrument était soumis à une loi étrangère.

De plus, l'imposition en matière de succession, qui n'est pas contestée en soi par les requérantes, répondait à un intérêt général, et la manière dont a été appliquée, en l'espèce, cette imposition que les requérantes estiment discriminatoire, joue dans l'appréciation par la Cour de la proportionnalité de l'ingérence.

Précisément, s'agissant de l'exigence de proportionnalité entre l'ingérence dans le droit de la requérante et le but d'intérêt général poursuivi, la Cour estime que les modalités d'application de la législation en question relevaient de la large marge d'appréciation qui est reconnue à l'Etat en la matière, notamment dans le cadre de la mise en œuvre de sa politique fiscale (Imbert de Trémiolles c. France, nos 25834/05 et 27815/05, 4 janvier 2008).

En premier lieu, la Cour relève que les requérantes n'ont pas fait l'objet d'une double imposition, compte tenu de la convention franco-américaine du 31 août 1994 et dès lors que les autorités françaises ont eu confirmation, par une note des autorités américaines du 1er mars 1998, de ce que le trust n'avait pas été taxé aux Etats-Unis.

En second lieu, la Cour note que les juridictions saisies du recours des requérantes ont procédé à une appréciation in concreto de leur situation, dans le cadre strict du litige lié à la déclaration de succession en France et à ses conséquences au regard de l'existence du trust. Dans son arrêt du 4 mai 2005, la cour d'appel de Rennes a ainsi expressément motivé la qualification en droit français au vu des circonstances de l'espèce, estimant que les droits de mutation à titre gratuit étaient exigibles.

Sur ce point, les requérantes estiment cependant que si la loi française devait être interprétée comme soumettant le trust aux normes internes, elles auraient alors fait l'objet d'une discrimination.

La Cour rappelle que l'article 14 de la Convention complète les autres clauses normatives de la Convention et des Protocoles. Il n'a pas d'existence indépendante, puisqu'il vaut uniquement pour « la jouissance des droits et libertés » qu'elles garantissent. Certes, il peut entrer en jeu sans un manquement à leurs exigences et, dans cette mesure, il possède une portée autonome, mais il ne saurait trouver à s'appliquer si les faits du litige ne tombent pas sous l'empire de l'une au moins desdites clauses (voir notamment Van Raalte c. Pays-Bas du 21 février 1997, § 33, Recueil 1997‑I, Domalewski c. Pologne (déc.), no 34610/97, CEDH 1999-V, et Schwengel c. Allemagne (déc.), no 52442/99, 3 mars 2000).

Aux yeux de la Cour, les requérantes n'établissent pas en quoi les décisions des juridictions internes auraient introduit une différence de traitement à leur détriment, sauf à remettre en question l'appréciation des faits opérée par les juridictions internes, ce qui ne relève pas de sa compétence.

Dans ces circonstances, la Cour estime que l'obligation de paiement des droits litigieux ne constitue pas une mesure disproportionnée ou un abus du droit de percevoir des impôts et d'autres contributions, droit reconnu à l'Etat par l'article 1 du Protocole no 1, et ne révèle pas davantage une discrimination contraire à l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 1 du Protocole no 1.

Il s'ensuit que la requête doit être rejetée pour défaut manifeste de fondement, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

              Claudia WesterdiekPeer Lorenzen
GreffièrePrésident

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