CEDH, Cour (cinquième section), SOCIETE COFINFO c. FRANCE, 12 octobre 2010, 23516/08

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Cinquième Section), 12 oct. 2010, n° 23516/08
Numéro(s) : 23516/08
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 9 mai 2008
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-101343
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2010:1012DEC002351608
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Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 23516/08
présentée par SOCIÉTÉ COFINFO
contre la France

La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant le 12 octobre 2010 en une chambre composée de :

Peer Lorenzen, président,
Jean-Paul Costa,
Karel Jungwiert,
Rait Maruste,
Mark Villiger,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Ganna Yudkivska, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 9 mai 2008,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par la requérante,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

La requérante, la société Cofinfo, est une société de droit français, dont le siège social est à Paris. Elle est représentée devant la Cour par Me Laurent Pettiti, avocat à Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

A.  Les circonstances de l'espèce

Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

La société Kentucky, dissoute le 23 novembre 2005 et aux droits de laquelle vient la requérante, acquit en 1997 pour la somme de 777 489 euros (EUR) un immeuble à Paris dans le onzième arrondissement. Le 26 décembre 1999, seize familles comprenant soixante-deux personnes, dont trente-neuf enfants en bas âge, décidèrent de s'installer dans cet immeuble laissé inoccupé par la société Kentucky.

Par une ordonnance du 22 mars 2000, le président du tribunal de grande instance de Paris, statuant en référé, ordonna l'expulsion des occupants, qu'il jugea sans droit ni titre, estimant que l'occupation résultait d'une voie de fait. Il mit à leur charge une indemnité provisionnelle d'occupation, dont le montant était majoré à expiration d'un délai de trois mois et jusqu'à parfaite libération des lieux.

Le 23 août 2000, la société Kentucky demanda le concours de la force publique pour procéder à l'expulsion. Elle renouvela sa demande le 17 janvier 2001. Par une ordonnance du 1er juin 2002, le juge des référés du tribunal administratif de Paris rejeta le recours de la requérante contre le refus préfectoral, pour défaut d'urgence, compte tenu du délai écoulé entre ce refus et les démarches de la requérante.

Le 18 septembre 2002 la requérante sollicita à nouveau le concours de la force publique. Le 11 décembre 2002, le juge des référés du tribunal administratif rejeta une nouvelle fois son recours, jugeant que le refus du préfet était fondé sur un motif d'ordre public qui résulterait de l'expulsion des soixante-deux occupants sans solution de relogement.

La requérante expose que la société Kentucky a fait parallèlement l'objet d'arrêtés préfectoraux l'enjoignant de procéder à des travaux pour assurer la salubrité des lieux, ces travaux étant finalement réalisés par les autorités à ses frais. Une procédure reste pendante à cet égard.

Le 4 avril 2001, l'immeuble fut mis en vente au prix de 3 811 225 EUR.

Le 1er juin 2001, la ville de Paris décida d'exercer son droit de préemption pour la somme de 1 829 388 EUR. La société Kentucky renonça ensuite à la vente.

Le 10 octobre 2003, une nouvelle requête en référé fut rejetée pour défaut d'urgence, eu égard à cette procédure de préemption alors encore en cours.

Parallèlement, le 17 mai 2002, la société Kentucky sollicita une demande d'indemnisation (1 021 737 EUR) auprès de la préfecture de police, puis, le 16 janvier 2003, saisit au fond le tribunal administratif pour obtenir la somme de 1 245 466 EUR en réparation du préjudice résultant de l'inexécution de la décision judiciaire. Cette demande fut jointe à une demande de référé-provision présentée le 2 août 2005 par la société Kentucky pour un montant de 3 201 479 EUR.

Par un jugement du 14 mars 2006, le tribunal administratif de Paris reconnut la responsabilité de l'Etat et fixa le préjudice de la requérante à 1 654 358,75 EUR, sur la base du juste loyer et des frais de procédure engagés du fait du refus implicite de l'administration.

Le 5 juin 2007, la cour administrative d'appel de Paris réforma le jugement du tribunal administratif. Le montant du préjudice fut ramené à 689 424 EUR correspondant au taux de rendement du capital immobilisé, des charges en résultant et des frais de procédure. Les juges estimèrent que le bien n'était pas, en l'état, susceptible d'être loué aux conditions du marché.

Le 16 novembre 2007, le Conseil d'Etat déclara non admis le recours formé par la requérante contre cette décision.

Une procédure, engagée par l'Etat pour recouvrer la différence entre l'indemnité allouée en première instance et celle accordée en appel, est actuellement pendante. La requérante a par ailleurs engagé une nouvelle action pour demander l'indemnisation de son préjudice au-delà de la période actuellement indemnisée, soit à compter du 29 juin 2005.

Par ailleurs, le 18 octobre 2007, l'immeuble fut évacué à la suite d'un incendie et fit l'objet, le 19 octobre 2007, d'un arrêté d'interdiction d'habiter.

Une procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique au profit de la société immobilière d'économie mixte de la ville de Paris (« SIEMP ») avait auparavant été engagée par l'Etat. Le 6 juin 2006, deux enquêtes publiques avaient été ouvertes à cette fin par le préfet. Par un arrêté du 28 décembre 2006, celui-ci avait déclaré d'utilité publique l'aménagement de l'immeuble par la SIEMP.

Par une ordonnance du 31 octobre 2007, le juge de l'expropriation du tribunal de grande instance de Paris expropria la requérante au profit de la SIEMP. La requérante forma un pourvoi en cassation, actuellement pendant, contre cette décision. Elle fit par ailleurs appel d'un jugement rendu le 25 juin 2007 par le tribunal de grande instance de Paris et fixant à 4 822 368 EUR l'indemnité de dépossession due à la requérante par la SIEMP. Le 7 janvier 2010, la cour d'appel de Paris ramena le montant de cette indemnité à 4 165 000 EUR.

B.  Le droit et la pratique internes pertinents

1.  L'exécution des décisions de justice

La Cour renvoie sur ce point à l'affaire Matheus c. France (no 62740/00, §§ 36-40, 31 mars 2005).

2.  Le droit au logement

a)  l'article 1er de la loi no 89-462 du 6 juillet 1989

Les dispositions pertinentes en l'espèce de ce texte sont ainsi rédigées :

« Le droit au logement est un droit fondamental ; il s'exerce dans le cadre des lois qui le régissent.

L'exercice de ce droit implique la liberté de choix pour toute personne de son mode d'habitation grâce au maintien et au développement d'un secteur locatif et d'un secteur d'accession à la propriété ouverts à toutes les catégories sociales.

(...) »

b)     l'article 1er de la loi no 90-449 du 31 mai 1990 visant la mise en œuvre du droit au logement

Les dispositions pertinentes en l'espèce de cet article sont ainsi rédigées :

« Garantir le droit au logement constitue un devoir de solidarité pour l'ensemble de la nation.

Toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières, en raison notamment de l'inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d'existence, a droit à une aide de la collectivité, dans les conditions fixées par la présente loi, pour accéder à un logement décent et indépendant ou s'y maintenir. »

c)  La jurisprudence du Conseil constitutionnel

Les extraits pertinents en l'espèce de la décision no 94-359 du 19 janvier 1995 sont ainsi rédigés :

« 5. Considérant qu'aux termes du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, "La nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement" ; qu'aux termes du onzième alinéa de ce Préambule, la nation "garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence" ;

6. Considérant qu'il ressort également du Préambule de la Constitution de 1946 que la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle ;

7. Considérant qu'il résulte de ces principes que la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent est un objectif de valeur constitutionnelle ;

8. Considérant qu'il incombe tant au législateur qu'au Gouvernement de déterminer, conformément à leurs compétences respectives, les modalités de mise en œuvre de cet objectif à valeur constitutionnelle ; que le législateur peut à cette fin modifier, compléter ou abroger des dispositions législatives antérieurement promulguées à la seule condition de ne pas priver de garanties légales des principes à valeur constitutionnelle qu'elles avaient pour objet de mettre en œuvre. »

A compter du 1er janvier 2008 est entrée en vigueur la loi no 2007-290 du 5 mars 2007, qui énonce un « droit au logement opposable ».

GRIEFS

1.  Invoquant l'article 6 de la Convention, la requérante se plaint de l'absence d'exécution de l'ordonnance du 22 mars 2000, ainsi que de la durée de la procédure qui en a résulté.

2.  La requérante invoque également l'article 1 du Protocole no 1. Elle dénonce une atteinte au droit au respect de son bien résultant de l'impossibilité de jouir librement de son immeuble et d'en percevoir les loyers.

EN DROIT

1.  La requérante se plaint de la non-exécution de l'ordonnance rendue en sa faveur par le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris. Elle invoque l'article 6 § 1 de la Convention ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

Le Gouvernement affirme à titre principal que la requérante n'aurait pas saisi les juridictions internes compétentes pour contester l'inaction des autorités. Or le Gouvernement allègue que la requérante a privilégié le recours en référé qu'elle savait voué à l'échec.

Le Gouvernement fait valoir à titre subsidiaire que la décision du préfet de refuser le concours de la force publique serait légitime. Elle répondrait en effet à des préoccupations d'ordre social et de sécurité publique, à défaut de solution de relogement pour les familles occupant l'immeuble avec le soutien d'une association militante.

L'atteinte aux intérêts de la requérante répondrait en outre, pour le Gouvernement, à de fortes nécessités d'intérêt général. Dès lors, le Gouvernement considère que la requérante, marchand de bien professionnel uniquement intéressé à la revente du bien avant le 1er janvier 2002 pour des raisons fiscales, a pu subir une telle atteinte durant huit ans, sans que celle-ci ait pour autant un caractère disproportionné.

Le Gouvernement ajoute que la requérante ne peut prétendre avoir fait l'objet d'une dépossession totale de son bien, du fait de son indemnisation par le juge administratif, de l'évacuation de l'immeuble en 2007, puis de l'entrée en possession de l'immeuble par la société immobilière d'économie mixte de la ville de Paris, moyennant une indemnité qui aurait permis à la requérante de réaliser une plus-value substantielle si elle n'avait pas fait appel du jugement d'expropriation.

La requérante soutient avoir épuisé les voies de recours internes.

Elle allègue ensuite que l'exécution de la décision du juge judiciaire a été retardée de manière particulièrement excessive, sans que l'Etat apporte de précision sur le risque avancé de trouble à l'ordre public. Elle critique également le fait que, selon elle, la passivité des autorités en l'espèce masquerait les lacunes de leur politique du logement.

La requérante estime par conséquent que rien ne justifiait qu'elle soit privée de son bien pendant plusieurs années.

Elle considère enfin que l'indemnisation octroyée tant par le juge administratif que par le juge de l'expropriation ne réparait pas en totalité son préjudice, du fait du caractère incomplet de la première et du montant insuffisant de la seconde au regard de la valeur vénale du bien.

En premier lieu, la Cour juge inutile d'examiner la thèse du Gouvernement selon laquelle le grief serait irrecevable pour défaut d'épuisement des voies de recours internes au sens de l'article 35 § 1 de la Convention, dans la mesure où il est en tout état de cause irrecevable pour les raisons suivantes.

La Cour rappelle que le droit à un tribunal serait illusoire si l'ordre juridique interne d'un Etat contractant permettait qu'une décision judicaire définitive et obligatoire reste inopérante au détriment d'une partie. En effet, on ne comprendrait pas que l'article 6 § 1 décrive en détail les garanties de procédure – équité, publicité et célérité – accordées aux parties et qu'il ne protège pas la mise en œuvre des décisions judiciaires ; si cet article devait passer pour concerner exclusivement l'accès au juge et le déroulement de l'instance, cela risquerait de créer des situations incompatibles avec le principe de la prééminence du droit que les Etats contractants se sont engagés à respecter en ratifiant la Convention. L'exécution d'un jugement ou arrêt, de quelque juridiction que ce soit, doit donc être considérée comme faisant partie intégrante du « procès » au sens de l'article 6 (voir, entre autres, Hornsby c. Grèce, 19 mars 1997, § 40, Recueil des arrêts et décisions 1997-II).

Par ailleurs, la Cour a considéré que si on peut admettre que les Etats interviennent dans une procédure d'exécution d'une décision de justice, pareille intervention ne peut avoir comme conséquence d'empêcher, d'invalider ou encore de retarder de manière excessive l'exécution, ni moins encore, de remettre en question le fond de cette décision (Immobiliare Saffi c. Italie [GC], no 22774/93, § 74, CEDH 1999-V). Un sursis à l'exécution d'une décision de justice pendant le temps strictement nécessaire à trouver une solution satisfaisante aux problèmes d'ordre public peut se justifier dans des circonstances exceptionnelles (ibidem, § 69).

La Cour rappelle en outre que, si le droit à l'exécution d'une décision de justice est un des aspects du droit d'accès à un tribunal (Hornsby, précité, § 40), ce droit n'est pas absolu et appelle par sa nature même une réglementation par l'Etat. Les Etats contractants jouissent en la matière d'une certaine marge d'appréciation. Il revient pourtant à la Cour de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention ; elle doit se convaincre que les limitations mises en œuvre ne restreignent pas l'accès offert à l'individu d'une manière ou à un point tels que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même. Pareille limitation ne se concilie avec l'article 6 § 1 que si elle tend à un but légitime, et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Si la restriction est compatible avec ses principes, il n'y a pas de violation de l'article 6 (Popescu c. Roumanie, no 48102/99, 2 mars 2004, § 66, et Matheus, précité, § 55).

En l'espèce, la Cour observe que l'ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris n'a pas reçu exécution jusqu'à l'évacuation du bâtiment litigieux pour raisons de sécurité, soit pendant plus de sept années. Certes, elle note que la requérante a été indemnisée pour responsabilité de l'Etat du fait du refus de prêter son concours à l'exécution de cette ordonnance, au titre d'une partie de la période en question. Néanmoins, cette indemnisation ne saurait, en tout état de cause, constituer une exécution ad litteram de la décision litigieuse, de nature à permettre à la requérante de recouvrer la jouissance de son bien (Matheus, précité, § 58).

Pour autant, la Cour estime qu'il y a lieu de prendre en considération les circonstances particulières de l'affaire. Ainsi, elle observe que le refus des autorités de procéder à l'exécution de la décision ne résultait pas d'une carence de leur part. A la différence de l'affaire Matheus précitée, les juridictions administratives n'ont d'ailleurs retenu aucune faute à l'encontre de l'administration. Il apparaît au contraire qu'un tel refus répondait au souci de pallier les risques sérieux de troubles à l'ordre public liés à l'expulsion de plusieurs familles, parmi lesquelles se trouvaient majoritairement des enfants, et ce d'autant que cette occupation s'inscrivait dans le cadre d'une action militante à visée médiatique. De surcroît, les occupants se trouvaient en situation de précarité et fragilité, et apparaissaient mériter, à ce titre, une protection renforcée (voir, a contrario, Immobiliare Saffi, précité, § 58, et Matheus, précité, § 59).

La Cour note également que les refus successifs opposés à la requérante ont été soumis à un contrôle juridictionnel, en l'occurrence celui du juge administratif (voir, a contrario, Immobiliare Saffi, précité, § 72), lequel a rejeté à trois reprises ses recours.

Quant au fait que l'attitude de l'administration a perduré dans le temps, la Cour considère, tout en rappelant que l'absence de logements de substitution ne saurait justifier un tel comportement (Prodan c. Moldova, no 49806/99, § 53, CEDH 2004-III (extraits)), que les autorités ne sont pas restées inertes pour trouver une solution au problème posé. Dans ce contexte, la Cour rappelle également qu'une certaine marge d'appréciation est reconnue aux autorités nationales dans l'application des lois relevant de la politique sociale et économique, plus particulièrement dans le domaine du logement ou de l'accompagnement social de locataires en difficulté (voir, a contrario, Matheus, précité, § 68, et R.P. c. France, no 10271/02, § 36, 21 janvier 2010). Il y a lieu de prendre en compte, à cet égard, les délais qui auraient, en tout état de cause, été nécessaires au relogement de soixante-deux personnes, soit seize familles. La Cour note que les autorités municipales ont exercé leur droit de préemption lorsque la requérante a mis en vente l'immeuble en 2001, puis qu'une procédure d'expropriation, certes contestée par la requérante et encore pendante de ce fait, a été ensuite mise en oeuvre par l'Etat.

La Cour estime enfin devoir tenir compte de l'atteinte portée aux intérêts de la requérante. Elle note à cet égard que la société Kentucky, aux droits de laquelle vient la requérante, qui n'a fait état d'aucun projet de viabilisation des lieux dans le délai de deux ans antérieur à leur occupation, a par ailleurs tardé à contester le premier refus qui lui a été opposé, comme l'a noté le juge administratif dans son ordonnance du 1er juin 2002. Cette société a ensuite mis en vente l'immeuble, afin d'obtenir le bénéfice d'une disposition fiscale, avant de se rétracter, alors que la ville de Paris avait exercé son droit de préemption. Enfin, il apparaît qu'après le rejet, le 10 octobre 2003, de sa requête en référé au motif de l'exercice de ce droit, la société Kentucky, puis la requérante, bien qu'ayant ensuite renoncé à la vente, n'ont pas renouvelé de demande directe d'exécution de la décision du 22 mars 2000.

Dans ces conditions, si elle retient que la requérante a indéniablement subi une atteinte à ses intérêts, la Cour n'estime pas devoir qualifier celle-ci de disproportionnée au regard des considérations sérieuses d'ordre public et social ayant motivé le refus qui lui a été opposé, dans les circonstances exceptionnelles de l'espèce, par l'administration.

Au vu de ce qui précède, la Cour estime que le refus des autorités françaises de prêter leur concours à l'exécution de l'ordonnance du juge des référés du 22 mars 2000 n'a pas eu pour effet de porter atteinte à la substance du droit à un tribunal garanti par l'article 6 § 1 de la Convention.

Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

2.  La requérante se plaint également, du fait du défaut d'octroi de la force publique, d'avoir subi une atteinte au droit au respect de ses biens, tel que reconnu à l'article 1 du Protocole no 1, qui dispose :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »

Le Gouvernement affirme à titre principal que la requérante ne peut plus prétendre être victime d'une atteinte au respect de ses biens. En effet, pour le Gouvernement, le juge administratif a reconnu le préjudice subi par la requérante du fait de l'inexécution d'une décision de justice, constitutive de l'atteinte litigieuse, et a procédé, par une décision dont le Gouvernement rappelle les motifs, à une réparation appropriée en lui allouant une indemnité. En outre, pour le Gouvernement, la réparation du préjudice est totale du fait de l'évacuation de l'immeuble en 2007, le grief étant par ailleurs prématuré pour la période courant à compter du 29 juin 2005.

Le Gouvernement estime subsidiairement que l'existence d'un préjudice tiré d'une perte de loyers n'est pas avérée. Se référant à l'arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Paris, il fait valoir que la requérante n'avait pas l'intention de se comporter en bailleur. Il fait à nouveau remarquer que la requérante n'aurait pas formé le recours approprié pour recouvrer l'usage de son bien. De surcroît, le Gouvernement avance que le refus du concours de la force publique résulte d'impératifs d'ordre public et social et non d'une carence des autorités, qui auraient au contraire cherché à reloger les occupants de l'immeuble. D'ailleurs, selon le Gouvernement, le juge administratif aurait reconnu la légitimité de la position de l'administration en allouant à la requérante des indemnités sur le fondement de la responsabilité sans faute. Le Gouvernement en conclut que ces indemnités, même réduites en appel, ont permis de maintenir un juste équilibre entre l'intérêt général et les intérêts de la requérante.

La requérante se plaint en revanche de ne pas avoir obtenu de réparation adéquate. Elle considère que la juridiction administrative a procédé, sans recourir à une méthode d'évaluation du préjudice, à une indemnisation incomplète, ignorant les pertes de loyers, les charges liées à l'occupation et les dégradations commises par les occupants, alors même que la requérante aurait été empêchée de rénover l'immeuble du fait de son occupation. Elle ajoute qu'il lui a été impossible de reprendre possession du bien, du fait de l'arrêté préfectoral d'interdiction d'occuper l'immeuble, puis de l'expropriation.

La Cour observe que le grief soulevé par la requérante sous l'angle de l'article 1 du Protocole no 1 se confond dans une large mesure avec celui tiré de l'article 6 de la Convention. Compte tenu des conclusions auxquelles elle est parvenue au regard de ce dernier article, et sans qu'il soit besoin d'examiner les exceptions d'irrecevabilité soulevées par le Gouvernement, la Cour estime qu'aucune question distincte ne se pose au regard de l'article 1 du Protocole no 1 (voir, a contrario, Matheus, précité, § 72). En particulier, à supposer même que la question de la qualité de victime de la requérante puisse se poser, compte tenu de la décision interne d'indemnisation, son examen distinct n'est pas justifié, étant donné la réponse précédemment apportée par la Cour sous l'angle de la proportionnalité de l'action des autorités.

Partant, le grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

3.  La requérante se plaint enfin de la durée excessive de la procédure ayant fait suite à l'occupation de son immeuble. Elle y voit une violation de l'article 6 § 1 de la Convention.

La requérante, qui situe en 2000 le début de la procédure, affirme avoir invoqué devant la cour administrative d'appel l'article 6 § 1, et partant, avoir soulevé en substance le grief tiré de la durée excessive de la procédure.

Le Gouvernement, qui estime que la procédure n'a réellement débuté qu'en 2003, avec le dépôt d'un recours en indemnisation, considère en tout état de cause que la requérante s'est abstenue de saisir le juge administratif d'une action en responsabilité de l'Etat pour durée excessive de la procédure.

La Cour, qui note que le grief porte en réalité sur la durée de la procédure devant le juge administratif, observe que la présente requête a été introduite le 9 mai 2008. Or, tout grief tiré de la durée d'une procédure devant les juridictions administratives introduit devant elle le 1er janvier 2003, ou après cette date, sans avoir préalablement été soumis aux juridictions internes dans le cadre d'un recours en responsabilité de l'Etat pour fonctionnement défectueux du service public de la justice, est irrecevable quel que soit l'état de la procédure au plan interne (Broca et Texier-Micault c. France, no 27928/02 et 31694/02, § 22, 21 octobre 2003).

Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l'article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

              Claudia WesterdiekPeer Lorenzen
GreffièrePrésident

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