CEDH, Cour (cinquième section), S.D. c. FRANCE, 26 novembre 2013, 5453/10

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Chronologie de l’affaire

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Conclusions du rapporteur public · 10 avril 2015

N°372864 M. A... 10ème et 9ème sous-sections réunies Séance du 23 mars 2015 Lecture du 10 avril 2015 CONCLUSIONS Mme Aurélie BRETONNEAU, rapporteur public Cette affaire permettra, si vous nous suivez, de tirer les conséquences de plusieurs condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l'homme intervenues en raison de l'insuffisante prise en compte de documents, notamment médicaux produits dans le cadre de demandes d'asile pour prouver l'existence d'un risque de persécution. M. A... est de nationalité sri-lankaise, et demande l'asile en …

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Cinquième Section), 26 nov. 2013, n° 5453/10
Numéro(s) : 5453/10
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 28 janvier 2010
Organisation mentionnée :
  • Human Rights Watch
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-139738
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2013:1126DEC000545310
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Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 5453/10
S.D.
contre la France

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 26 novembre 2013 en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Boštjan M. Zupančič,
Ann Power-Forde,
André Potocki,
Paul Lemmens,
Helena Jäderblom, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 28 janvier 2010,

Vu la mesure provisoire indiquée au gouvernement défendeur en vertu de l’article 39 du règlement de la Cour,

Vu la décision de traiter en priorité la requête en vertu de l’article 41 du règlement de la Cour.

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Vu les commentaires soumis par l’Association des chrétiens pour l’abolition de la torture,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

1.  Le requérant, S. D., est un ressortissant guinéen, né en 1982 et résidant à Paris. Il a été représenté par Me L. Hugon, avocat à Bordeaux. Le Gouvernement est représenté par son agent Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

A.  Les circonstances de l’espèce

1.  Concernant les faits survenus en Guinée selon le requérant

2.  Le requérant est d’ethnie peuhl et originaire de Dalaba. Son père était responsable des affaires sociales du parti d’opposition Union pour le Progrès et le Renouveau (UPR). Arrêté en raison de sa participation à divers rassemblements d’opposition et accusé de détention d’armes, il fut emprisonné et décéda, le 29 décembre 1998, à la suite des mauvais traitements qui lui furent infligés. Le requérant dit avoir été arrêté en même temps que son père et détenu pendant dix jours dans un commissariat de Dalaba : il ne précise toutefois pas les circonstances dans lesquelles il fut libéré.

3.  Après le décès de son père, le requérant devint lui-même membre de l’UPR. Chargé de la sensibilisation et de la mobilisation, il occupa les fonctions de « secrétaire général à l’organisation » pour la branche « jeunesse » du parti et organisa, à ce titre, plusieurs événements culturels et sportifs.

4.  En 2000, après avoir été violemment agressée avec sa fille par les membres du Parti de l’Unité et du Progrès (PUP), un parti opposant à l’UPR, la mère du requérant décida de retourner vivre dans sa région d’origine à Kamsar. Le requérant la suivit tout en continuant ses activités politiques.

5.  À partir de l’année 2003, la Guinée subit quotidiennement des coupures d’électricité. Pour protester contre la pénurie d’énergie, le requérant organisa une manifestation au début de l’année 2004. À l’occasion de ce rassemblement, il fut frappé par les forces de l’ordre et arrêté. Emprisonné, il s’enfuit au bout de dix jours après que sa famille eut corrompu des officiers de police. Il quitta le pays le 31 janvier 2004, se sachant en danger en raison de son statut de militant connu dans sa ville.

6.  En 2009, la « junte » nouvellement au pouvoir chercha à retrouver tous les manifestants de l’époque. C’est ainsi que, le 11 février 2009, le requérant reçut, au domicile de sa sœur, une convocation à se rendre au commissariat de Matoto. Celui-ci ne s’y étant pas rendu, sa sœur fut convoquée la semaine suivante. Ayant appris que cette convocation avait pour objet de faire juger les manifestants impliqués dans les événements de 2004 et estimant qu’elle n’avait rien à voir avec eux, la sœur du requérant n’y déféra pas non plus. Le 27 février 2009, elle fut arrêtée par les gendarmes à son domicile.

7.  Le requérant, sa sœur et trois autres manifestants furent poursuivis devant le tribunal correctionnel de Conakry pour « trouble à l’ordre public, incitation à la révolte et rébellion ». Le 5 mars 2009, la sœur du requérant comparut et fut condamnée, solidairement avec le requérant jugé par contumace, à six ans d’emprisonnement ferme et au paiement d’une somme élevée de dommages et intérêts. Leurs biens furent confisqués. Le requérant produit un extrait de ce jugement dont les passages pertinents sont ainsi libellés :

« Tribunal de première instance de Conakry

Jugement No 0075 du 05/03/2009

Affaire correctionnelle

Ministère Public c/ I.S. et 5 autres

Nature du délit : Trouble à l’ordre public, Incitation à la révolte et rébellion

JUGEMENT DU 03 MARS 2009

EXTRAIT DES MINUTES DU GREFFE

À l’audience publique ordinaire du Tribunal de première instance de Conakry, tenue le Cinq Mars Deux Mil Neuf par Monsieur M.C., Juge-Président en présence de Monsieur M.K., Substitut du Procureur avec l’assistance de Maître S.K., Greffier, a été rendu le jugement dont le dispositif suit :

LE TRIBUNAL

Statuant publiquement et contradictoirement en matière correctionnelle et en premier ressort contre I.S. né le 30 janvier 1980 à Mamou, Monsieur S.D. [le requérant] né le [...], Madame F.D. [la sœur du requérant] née le 27 février 1969 à Dalaba, O.C. né le 10 septembre 1982 à Forécariah, Monsieur A.D. né le 25 avril 1979 à Pita, Monsieur A.C. né le 12 février 1980 à Conakry ;

- Rejette les exceptions soulevées par les avocats des prévenus ;

- Faits prévus et punis par les articles 86, 87, 93, 94 et 221 du Code pénal guinéen ;

- Pour la répression condamne I.S. à 8 ans d’emprisonnement ferme ;

- Retient dans les liens de la prévention de trouble à l’ordre public, d’incitation à la révolte et rébellion le nommé I.S. et les 5 autres pour la répression leur faisant application des articles 86, 87, 93, 94 et 221 du Code pénal guinéen ;

- Condamne solidairement les nommés S.D., F.D., I.S. et A.D. à 6 ans d’emprisonnement ferme et la confiscation de leurs biens ;

SUR LES INTERETS CIVILS

- Reçoit l’État guinéen en sa constitution de partie civile ;

- Condamne I.S. et son groupe au paiement de 10.000.000 FG pour tous préjudices confondus ;

Met les frais à la charge des condamnés

Pour extrait conforme

Conakry, le 4 mars 2009

LE GREFFIER EN CHEF »

8.  Écrouée à la prison de la sûreté de Kaloum et alors qu’elle était enceinte de deux mois, la sœur du requérant décéda le 6 mars 2009, dans des « conditions non élucidées ».

2.  Quant aux événements survenus en France

9.  Le requérant formula une première demande d’admission sur le territoire au titre de l’asile à son arrivée sur le territoire français en 2004. Sa demande fut rejetée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), le 27 août 2004, aux motifs suivants :

« Les déclarations orales de l’intéressé, vagues sur le profil politique de son père, ainsi que sur les circonstances du décès de ce dernier, sont peu crédibles et non convaincantes sur ses activités politiques au sein de l’UPR, ainsi que concernant les circonstances de ses deux arrestations. Elles sont dénuées de tout élément précis ou convaincant permettant d’établir les recherches dont il affirme faire l’objet de la part des autorités de son pays. »

10.  Le 25 juillet 2005, la Commission de recours des réfugiés (CRR) confirma cette décision estimant que :

« (...) ni les pièces du dossier ni les déclarations faites en séance publique devant la commission ne permettent de tenir pour établi son engagement en faveur de l’UPR, ni les persécutions qui en ont découlé ; qu’en particulier, les documents relatifs à son militantisme, (...) ne présentent pas de garanties suffisantes d’authenticité ; que le certificat médical en date du 5 août 2004, ne permet pas d’infirmer cette analyse (...) »

11.  Le 9 juin 2006, le requérant présenta une demande de réexamen de sa situation à l’OFPRA, affirmant qu’il avait appris, le 25 septembre 2005, par un courrier envoyé par sa sœur résidant à Conakry, que deux de ses oncles et sa mère avaient été arrêtés le 19 janvier 2005, jour de la tentative d’assassinat contre le président de la République, et que sa mère était décédée au cours de sa détention. Par une décision du 13 juin 2006, l’OFPRA, considérant que le caractère de fait nouveau ne pouvait être retenu, rejeta la demande de réexamen. Il estima en effet que les faits allégués étaient antérieurs à la décision de la CRR et que la circonstance que le requérant n’avait pu en avoir connaissance à la date de l’audience devant cet organe n’était pas établie. Le requérant interjeta appel de cette décision.

12.  Le 2 juillet 2008, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), tout en admettant que les éléments constituaient des faits nouveaux, rejeta également la demande aux motifs que les pièces au dossier ne permettaient pas de les tenir pour établis :

« (...) les lettres de la sœur de l’intéressé et la déclaration de décès produites sont dénuées de force probante ; que, de surcroît, la carte de membre et l’attestation de l’Union pour le Progrès et le Renouveau en France n’emportent pas la conviction sur les activités politiques passées du requérant et sur les recherches dont il déclare faire l’objet ; que, par ailleurs, la convocation de police ne présente pas les garanties d’authenticité suffisante ; qu’enfin les certificats médicaux produits ne permettent pas d’établir un lien entre les constatations relevées lors de l’examen et les allégations du requérant (...) »

13.  Le requérant sollicita un second réexamen de sa demande d’asile le 29 octobre 2009. Sa demande, examinée en procédure prioritaire, fut rejetée le 30 octobre 2009 au motif notamment que « le document présenté comme une convocation policière n’offre aucune garantie d’authenticité et l’extrait des minutes du jugement du 3 mars 2009, outre que ses termes contredisent les déclarations de l’intéressé, qui à la date de sa comparution supposée se trouvait déjà sur le territoire français, est versé sous forme d’une copie dont l’original n’a pas été soumis à l’appréciation de l’office. Comme tel, il est dépourvu de force probante ». Le requérant interjeta appel de cette décision.

14.  À la suite d’un contrôle de police, le requérant se vit notifier, le 21 janvier 2010, un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière et fut placé en centre de rétention. Le 26 janvier 2010, le tribunal administratif de Versailles rejeta le recours du requérant contre cet arrêté. Le 28 janvier suivant, le juge des libertés et de la détention confirma le maintien en rétention du requérant.

15.  Le 28 janvier 2010, le requérant saisit la Cour d’une demande de mesure provisoire sur le fondement de l’article 39 de son règlement. Le 1er février 2010, le président de la chambre à laquelle l’affaire fut attribuée décida d’indiquer au Gouvernement français, en application de la disposition précitée, qu’il était souhaitable de ne pas expulser le requérant vers la Guinée pour la durée de la procédure devant la Cour.

16.  Le 28 février 2011, la CNDA rejeta le recours du requérant aux motifs que ce dernier reprenait les termes de sa demande écrite sans apporter d’explications complémentaires et ne présentait aucun élément sérieux susceptible de remettre en cause les motifs de la décision de l’OFPRA.

B.  Informations pertinentes concernant la situation en Guinée

1.  Situation en Guinée à l’époque des faits dénoncés

a)  En 2004

17.  Le Département d’État américain, dans son rapport pour l’année 2004, fait état de nombreux rassemblements organisés dans plusieurs villes du pays pour protester contre les manques de ressources premières et l’augmentation du prix du pétrole, et réprimés par les forces de l’ordre.

b)  En 2009

18.  L’ONG Freedom House, dans son rapport “Freedom in the World” du 16 juillet 2009, explique à propos des droits civils et politiques en Guinée :

« 2009 Key Developments: Captain Moussa Dadis Camara, the leader of a military junta that took power in December 2008, refused in 2009 to adhere to an initial promise that he would not run in the presidential election set for early 2010. His erratic and repressive rule during the year culminated in the massacre of more than 150 opposition protesters in September. The incident, which also featured brutal rapes and beatings by security forces, triggered an investigation by the United Nations as well as a series of international sanctions. In December, Camara was shot and seriously injured by one of his officers, and the consequences remained uncertain at year’s end.

Political Rights: Guinea is not an electoral democracy. Elections under presidents Ahmed Sekou Toure and Lansana Conte were heavily manipulated, and the December 2008 military coup suspended all political activity, civilian government institutions, and the constitution. The resulting junta, the National Council for Democracy and Development (CNDD), promised to hold open presidential and legislative elections in early 2010, but those plans were in doubt after the September 2009 massacre of opposition supporters and the December assassination attempt on junta leader Moussa Dadis Camara. Corruption has been cited as a serious problem by international donors, and many government activities are shrouded in secrecy. »

19.  Dans son rapport de 2009, le Département d’État américain affirme :

“Serious human rights abuses occurred during the year. Citizens did not have the right to change their government through periodic elections. Security forces conducted mass killings and beatings, publicly raped women and girls, and tortured and abused detainees to extract confessions. Prison conditions were inhumane and life threatening. Perpetrators of killings and abuse acted with impunity. There were arbitrary arrests, prolonged pretrial detention, and incommunicado detention. The judiciary was subject to corruption and outside influence, including intimidation from security forces. The government infringed on citizens’ privacy rights and restricted freedoms of speech, press, assembly, association, and movement. (...)

The major opposition parties had readily identifiable ethnic and regional bases. For the UPR and UFDG, the ethnic base was Peuhls, while for the RPG, it was the Malinke.”

20.  Dans son rapport pour l’année 2009, l’ONG Human Rights Watch constate :

« Upon taking power, Dadis Camara quickly suspended the country’s constitution, dissolved the parliament and government, and declared a ban on political and union activity. As opposition parties increased their campaign activities in anticipation of elections, the CNDD restricted freedoms of political expression and assembly through intimidation and attacks. At various times throughout the year, Dadis Camara lifted and reinstated the ban on political and union activity.

CNDD suppression of opposition supporters increased further in response to a wave of criticism and calls for mass demonstrations against the military that began in August. During a news conference on August 19, Dadis Camara warned political leaders not to protest publicly, saying, "Any political leader who makes trouble by organizing strikes or protests or any other form of mass mobilization will simply be removed from the list of candidates and will also be prosecuted." Opposition leaders who continued to criticize the CNDD were summoned to the Alpha Yaya Diallo military camp – the ad hoc seat of government – and urged to desist from commenting on Dadis Camara’s possible candidacy.

(...)

September 28 Massacre

On September 28, 2009, tens of thousands of protestors gathered at the main stadium in the capital, Conakry, to demonstrate against continued military rule and Dadis Camara’s presumed candidacy in the January 2010 presidential elections. In response to the peaceful demonstration, members of the Presidential Guard and some gendarmes working with the Anti-Drug and Anti-Organized Crime unit carried out a massacre that left some 150 people dead, many riddled with bullets and bayonet wounds, and others killed in the ensuing panic. The violence appeared to be premeditated and organized by senior CNDD officials. During the violence, the Presidential Guard fired directly into the crowd of protesters and carried out widespread rape and sexual violence against dozens of girls and women at the stadium and in the days following the crackdown, often with such extreme brutality that their victims died from the wounds inflicted. The armed forces then engaged in a systematic attempt to hide the evidence of the crimes during which they removed numerous bodies from the stadium and hospital morgues, allegedly burying them in mass graves. The CNDD claimed that opposition supporters had stolen arms from a police station, and that the 57 official dead had been mostly crushed to death after an altercation with the security forces.

(...)

Prolonged arbitrary detention of perceived opponents of the CNDD government remains a serious human rights issue. From late December 2008 through October 2009, some 20 military personnel and an unknown number of men believed to be opposition supporters were detained without charge in several military detention centers in and around Conakry. Many of the military officers detained formed part of the late President Conté’s Presidential Guard, while others were detained following an alleged coup attempt against the CNDD. Those in detention were subjected to various forms of mistreatment, including torture, and were often prevented from receiving family visits. »

2.  Situation actuelle en Guinée

21.  Il est renvoyé à la partie documents internationaux des décisions M.A.D c. France (no 50284/07, 12 octobre 2010), A.Y. c. France (no 25579/09, 11 octobre 2011) et X.T. c. France (no 50751/08, 20 mars 2012).

22.  Parmi les sources plus récentes, l’ONG International Crisis Group, dans un rapport du 18 février 2013, fait le bilan sur la situation en Guinée depuis l’élection d’Alpha Condé en 2010 :

« Deux ans après la victoire d’Alpha Condé au terme de la première élection vraiment compétitive de l’histoire de la Guinée postcoloniale, le pays n’a toujours pas d’Assemblée nationale. Les élections législatives s’annoncent compliquées : les tensions ethniques avivées par l’élection de 2010 demeurent et le système électoral est au coeur de la controverse. Une étape a été franchie en septembre 2012, avec la création d’une nouvelle Commission électorale nationale indépendante (CENI), mais la situation s’est bloquée à nouveau en décembre autour de la question du fichier électoral.

(...)

Au premier tour, Alpha Condé, le candidat du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), enraciné parmi l’électorat malinké dominant en Haute Guinée n’avait remporté que 18 pour cent des voix. Au deuxième tour, à la tête de l’Alliance Arc-en-ciel, qui rassemblait 90 partis et seize candidats vaincus au premier tour dont l’homme politique malinké Lansana Kouyaté et Jean-Marc Telliano et Papa Koly Kourouma, influents en Guinée forestière, il avait obtenu 52,5 pour cent des voix.

(...)

Toujours pour ses partisans, le président Condé aurait réussi à atteindre directement le « vrai » peuple guinéen, qui est las des disputes politiques et se rangera du côté des résultats concrets. La communauté peul elle-même serait affectée : les ralliements au camp présidentiel se multiplieraient – sont avancés pour preuves les visites de certains grands commerçants peul à la présidence ou le soutien de certains hommes politiques peul. On compte parmi eux Bah Ousmane, ministre d’État.

(...)

L’opposition a également protesté contre les faiblesses techniques et l’absence de transparence dans la relance de la révision des listes électorales ainsi que contre la non-prise en compte du vote des Guinéens de l’étranger. Le 29 janvier, l’opposition, élargie pour l’occasion à certains partis « centristes », a appelé à de nouvelles manifestations et a rejeté le dialogue direct soudain proposé par les autorités pour le 12 février, y voyant une simple manoeuvre pour les amener à annuler leurs mobilisations.

Une nouvelle réunion de la CENI, le 11 février, a vu la majorité pro-Condé de la commission valider le dispositif actuel de révision du fichier électoral, tandis que les commissaires issus de l’opposition quittaient la séance. La suspension de leur participation aux travaux de la commission est évoquée. La situation reste donc préoccupante.

(...)

Par ailleurs, alors même que l’armée, également travaillée par la question ethnique, n’a avancé que lentement sur la réforme du secteur de la sécurité et que le niveau de tension reste élevé entre des forces de sécurité habituées à l’impunité et une population exaspérée par les violences militaires et policières, des troubles électoraux pourraient dégénérer gravement. Ils pourraient entre autres présenter une occasion rêvée pour ceux qui, dans l’armée, acceptent encore mal leur sujétion nouvelle au pouvoir civil.

(...)

Par ailleurs, en Guinée, les forces de défense et de sécurité ont souvent la main lourde, en particulier face à la contestation. Certes, les autorités donnent des signes encourageants. Mais ces évolutions sont trop récentes et inabouties pour remettre véritablement en cause les habitudes d’impunité et de brutalité. En témoignent la violence persistante des forces de sécurité, encore très brutales hors de Conakry, ainsi que les nombreuses agressions rarement élucidées impliquant des hommes en tenue militaire équipés d’armes de guerre. Il est donc encore impossible d’avoir des certitudes quant au bon comportement des forces de l’ordre dans un climat de forte tension, en particulier face à une jeunesse d’opposition radicalisée, encore avivée par la répression parfois très brutale qu’elle a pu subir au fil des mois de protestation. »

23.  Plusieurs articles publiés dans la presse guinéenne début janvier 2012 et notamment dans le quotidien Le Matin Guinée font état du ralliement de l’UPR au RPG–Arc-en-ciel, la coalition menée par le président Alpha Condé, dans la perspective des élections législatives de septembre 2013.

24.  Dans un rapport récent du 23 mai 2013, l’ONG Amnesty International décrit les difficultés existantes liées à l’organisation des élections législatives en Guinée et dénonce l’usage de la torture et la pratique de l’exécution extrajudiciaire, notamment pour réprimer les manifestations organisées par les forces d’opposition. Une marche d’opposition réunissant des partisans des principaux partis d’opposition en faveur de la transparence dans les élections législatives, le 27 février 2013, a ainsi donné lieu à des combats pendant plusieurs jours avec les forces de l’ordre causant 9 morts et plus de 200 blessés.

25.  L’utilisation continue de la torture et d’autres traitements inhumains et dégradants, pourtant interdits par la Constitution guinéenne, est également rapportée par le Département d’État américain (voir Rapport du 19 avril 2013).

GRIEFS

26.  Le requérant prétend que, s’il est raccompagné à la frontière et remis aux autorités guinéennes, il sera très probablement interpellé dès son arrivée à l’aéroport. Incarcéré, il risque de subir des traitements contraires à l’article 3 et une exécution extrajudiciaire contraire à l’article 2.

27.  Invoquant l’article 13 combiné aux articles 2 et 3 de la Convention, le requérant se plaint du traitement de sa demande d’asile selon la procédure prioritaire et de l’absence de garanties entourant le recours administratif disponible pour contester un arrêté de reconduite à la frontière, rendant ce recours ineffectif.

28.  Invoquant les articles 5 et 6 de la Convention, le requérant soutient enfin qu’en cas de retour, le jugement du tribunal de grande instance de Conakry du 5 mars 2009 serait mis à exécution alors même que cette décision se fonde sur un « simulacre de justice ».

EN DROIT

A.  Sur la violation alléguée des articles 2 et 3 de la Convention

29.  Le requérant allègue qu’un renvoi vers son pays d’origine, la Guinée, l’exposerait à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention, voire à une mort certaine en violation de l’article 2. Ces dispositions sont ainsi libellées :

Article 2

« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.

2. La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire :

a) pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ;

b) pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l’évasion d’une personne régulièrement détenue ;

c) pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection. »

Article 3

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

1.  Thèses des parties

a)  Le Gouvernement

30.  Le Gouvernement souligne en premier lieu le fait que l’existence d’un risque de mauvais traitements à l’encontre du requérant a été examinée à plusieurs reprises par les instances compétentes en matière d’asile et par les juridictions administratives. Ces examens successifs n’ont, selon lui, pas permis de conclure à l’existence d’un tel risque.

31.  S’appuyant sur de récentes décisions de la Cour (notamment M.A.D c. France du 12 octobre 2010 et X.T. c. France du 20 mars 2012) et sur divers rapports internationaux dont celui du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme publié le 21 janvier 2013, le Gouvernement insiste ensuite sur l’évolution positive de la situation politique en Guinée. Une mission d’information organisée sur place par l’OFPRA en collaboration avec l’Office fédéral des migrations de la Suisse (ODM) et le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides de Belgique (CGRA) a d’ailleurs constaté que s’étaient tenues en juin et novembre 2010 des élections présidentielles libres et transparentes qui laissent entrevoir « la possibilité d’une rupture avec l’autoritarisme, les violations des droits de l’homme et la corruption qui prévalent depuis plus de 50 ans ».

32.  Dans ce contexte, le Gouvernement rappelle que le requérant soutient avoir quitté la Guinée en 2004 afin de se soustraire à des persécutions exercées contre lui par le régime de Lansana Conté à raison de son engagement politique en faveur de l’UPR, alors parti d’opposition. Or, compte tenu de l’évolution récente de la situation politique précédemment décrite et du fait que l’UPR est désormais associé au pouvoir en Guinée, le Gouvernement estime que doit s’appliquer à la présente espèce le raisonnement suivi par la Cour dans l’affaire précitée X.T c. France, dans laquelle elle avait affirmé que « la situation personnelle du requérant à l’égard des autorités est, à ce jour, radicalement différente de celle qui était la sienne au moment de son départ de Guinée ». C’est également à l’aune de ce contexte que le Gouvernement considère comme hautement improbable l’exécution de la condamnation dont le requérant allègue avoir fait l’objet, celle-ci ayant été prononcée sous le Gouvernement de transition dirigé par la junte militaire, régime déchu à l’heure actuelle.

33.  Le Gouvernement émet des doutes quant à la crédibilité du récit du requérant et à l’authenticité des documents produits. Il s’étonne tout d’abord de ce que le requérant ait pu prendre la suite de son père en tant que responsable de l’UPR en 1998 alors qu’il n’était âgé que de seize ans et qu’il était donc mineur. Tout en précisant ne pas pouvoir produire de preuves écrites de ce qu’il avance compte tenu de l’exigence d’anonymat imposée par la Cour, il expose ensuite que ses contacts en Guinée ont confirmé ses doutes. Les membres du Bureau exécutif national de l’UPR qu’il a contactés ont affirmé ne pas compter le requérant parmi leurs membres, ni même le connaître. De plus, renseignements pris auprès d’un magistrat directeur du centre de formation et de documentation judiciaire, ancien directeur de la législation en Guinée, et auprès des greffiers en chef de la cour d’appel de Conakry et du tribunal de première instance de Conakry-Kaloum, il apparaît que le juge dont le nom figure dans l’extrait du jugement du 3 mars 2009 n’était pas en poste à Conakry à cette date, qu’aucun parquetier ne répond au nom de Mamady Konate, signalé pourtant dans les documents produits par le requérant comme le substitut du procureur et que le greffier mentionné dans le jugement n’était pas en poste à Conakry à l’époque des faits. Le Gouvernement insiste à cet égard sur le fait que le jugement de condamnation présente des anomalies patentes interdisant de lui accorder une quelconque valeur probante. Ainsi, il comporte trois dates différentes (3, 4 et 5 mars 2009), fait mention de six accusés tout en ne statuant que sur la culpabilité de trois d’entre eux et fait apparaître enfin des condamnations à deux peines différentes pour un seul accusé, le dénommé « I.S ». Le Gouvernement souligne que la prétendue condamnation par contumace de l’intéressé n’est en rien établie, une telle mention ne figurant ni explicitement, ni implicitement à la lecture du document censé être la copie d’un extrait du jugement. Le bureau du Réseau des associations de défense des droits de l’homme (RADDHO) en Guinée aurait également indiqué au Gouvernement n’avoir eu connaissance d’aucun décès dans les prisons de Conakry, encore moins de celui d’une femme enceinte, évènement dont l’association aurait pourtant été immédiatement informée s’il s’était produit. Le Gouvernement rappelle par ailleurs, s’agissant du décès de sa sœur dont le requérant rend responsables les autorités guinéennes, que l’OFPRA relevait, dans sa décision du 30 octobre 2009, l’incohérence manifeste quant à l’instance ayant produit l’acte de décès. L’OFPRA estimait, en effet, que l’acte de décès produit était « dépourvu de toute garantie d’authenticité au regard de la présence d’un tampon du tribunal de première instance de la cour d’appel de Conakry en haut du document ».

34.  Le Gouvernement attire enfin l’attention de la Cour sur les démarches réalisées par le requérant auprès des services consulaires guinéens à Paris pour obtenir la prorogation de son passeport.

35.  Eu égard à ce qui précède, le Gouvernement conclut au caractère manifestement mal fondé des griefs tirés de la violation des articles 2 et 3 de la Convention.

b)  Le requérant

36.  Le requérant indique craindre, du fait de sa condamnation par contumace, d’être interpellé, incarcéré et torturé à son arrivée en Guinée, voire même de faire l’objet d’une exécution extrajudiciaire.

37.  Il insiste, en premier lieu, sur le fait que les affirmations du Gouvernement ne sont corroborées par aucune pièce et qu’elles relèvent, pour la plupart, de conversations informelles avec différents organismes.

38.  S’agissant de son appartenance à l’UPR, le requérant explique que ce parti a connu une refonte totale depuis l’arrivée au pouvoir du capitaine Moussa Dadis Camara et que les militants sont désormais totalement divisés. Le soutien apporté lors des élections par le président de l’UPR, Ousmane Bah, au capitaine Camara qui avait pourtant promis de ne faire qu’un passage temporaire au pouvoir et, partant, de ne pas se présenter aux élections, a fait apparaître le premier comme un traître aux yeux de nombreux militants. Les « Guinéens de l’extérieur » et notamment ceux qui vivent en France sont, depuis l’implosion du parti, considérés comme refusant leur soutien à Ousmane Bah. Cela explique, selon le requérant, que le bureau exécutif national de Conakry, refondu totalement depuis son départ de Guinée, refuse de confirmer son appartenance à l’UPR. Le requérant souligne, par ailleurs, qu’en raison de son militantisme auprès du comité de base à Dalaba, seul ce comité est en mesure de confirmer son activisme. À cet égard, le requérant fournit une attestation écrite par le secrétaire général de l’UPR à Dalaba, Diallo Alsainou, certifiant l’appartenance du requérant à l’UPR, le décès de son père ainsi que l’activisme en faveur de ce parti de la part de toute sa famille.

39.  Il produit devant la Cour une carte de membre fondateur de l’UPR, sur laquelle figurent le tampon de l’UPR et la photographie d’un jeune homme qu’il dit être la sienne. Le requérant affirme être devenu membre fondateur à seize ans, ce qui localement correspond à une distinction honorifique, en raison du soutien actif de son père en faveur de l’UPR. Commerçant prospère jouissant à Dalaba d’une forte réputation, ce dernier finançait largement le parti et la plupart des réunions se tenaient dans sa maison. Le requérant explique qu’il cherche à entrer en contact avec des notables de Dalaba et des anciens responsables locaux de l’UPR qui pourraient attester du rôle joué localement par son père.

40.  S’agissant des doutes soulevés quant à l’authenticité des décisions judiciaires produites, le requérant insiste sur le fait que le Gouvernement procède uniquement par voie d’affirmation, sans produire aucune preuve des informations qu’il apporte.

41.  S’agissant du décès de sa sœur, le requérant indique qu’il n’est pas insensé que le tribunal d’instance de Conakry soit compétent pour viser un acte de décès et qu’au demeurant, le Gouvernement ne produit aucun texte infirmant cette compétence. Le requérant souligne enfin le fait qu’aucune attestation écrite de la part du RADDHO n’a été fournie. Selon lui, l’affirmation selon laquelle aucun décès de prisonnier n’échappe à la connaissance du RADDHO est exagérée.

42.  Le requérant fait valoir qu’à la différence du Gouvernement, il produit de nombreux documents, dont une attestation du président du comité de base de l’UFR de Simbaya dont sa sœur était membre active. Cette attestation a été obtenue grâce à la co-épouse de sa sœur résidente à Dalaba. Dans un courrier particulièrement détaillé, celle-ci décrit les différentes démarches qu’elle a dû accomplir auprès de l’UFR pour obtenir cette attestation, et précise les conditions dans lesquelles la sœur du requérant a été arrêtée et incarcérée. Elle indique que cette dernière a été victime d’un procès controuvé au cours duquel elle a été accusée, par un prétendu militant de l’UPR, qu’aucun responsable du parti ne connaissait, d’avoir fourni de l’essence aux manifestants de Kamsar. Le président du comité de base de Symbaya a expliqué à la co-épouse de la sœur du requérant que le Dr Négué, en poste à l’hôpital de Donka, avait constaté sur le corps de la défunte qu’elle avait été victime d’abus sexuels et de tortures. Le requérant dit tenter de contacter le Dr Négué.

43.  Le requérant rappelle avoir transmis à la Cour une attestation de l’UFR datée du 4 décembre 2009, rapportant l’arrestation et le décès de sa sœur, laquelle n’a jamais été contestée par le Gouvernement.

44.  Enfin, le requérant souligne avoir mis en œuvre de nombreuses démarches pour essayer d’attester de la véracité des risques qu’il encourt. Mais il précise que, ne disposant pas des mêmes moyens qu’un gouvernement, ces démarches nécessitent du temps pour aboutir, ce dont il prie la Cour de tenir compte.

c)  La tierce partie intervenante

45.  S’appuyant sur les connaissances acquises après plusieurs années d’accompagnement de demandeurs d’asile et, notamment, de Guinéens, l’ACAT explique qu’il existe de nombreux partis politiques guinéens, dont l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) dirigée par Cellou Dallein Diallo, le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG) créé par l’opposant historique, Alpha Condé, l’Union des forces républicaines (UFR) créée en 2000 et présidé par Sydia Touré et l’Union pour le progrès et le renouveau (UPR) dirigé par Ousmane Bah depuis 2004. Ce multipartisme ne protège cependant nullement les militants de ces différents partis de la répression.

46.  L’ACAT explique que l’absence de démocratie et les crises économiques ont régulièrement poussé les Guinéens à organiser des manifestations et des mouvements de grèves mobilisant la majeure partie de la population guinéenne, laquelle est très politisée, notamment parmi les jeunes. La vie politique guinéenne est ainsi marquée par de fréquentes manifestations organisées pour protester contre la corruption, la mauvaise gouvernance ou la détérioration de la situation économique.

47.  Parmi les rouages de l’appareil politique officiel, figurent les « chefs de quartiers ». A la tête des quartiers dans les centres urbains ou à la tête du comité rural de développement dans les campagnes, ils exercent les fonctions d’officier d’état civil, de juge de proximité et d’informateur. Généralement proches des militaires, ils jouent un rôle important car ils connaissent les populations et informent les autorités de toute activité suspecte, sous peine de perdre leur fonction. De ce fait, militants et sympathisants politiques sont facilement exposés à la répression.

48.  L’ACAT expose que ces mouvements de protestation sont fortement réprimés. Sont principalement victimes de la torture en Guinée les personnes considérées comme des opposants au régime en place (militaires mis au ban, membres et sympathisants de l’opposition politique, défenseurs des droits de l’homme, syndicalistes) et les prisonniers de droit commun. La police et l’armée sont les principaux responsables des tortures en Guinée. Ils l’utilisent dans les affaires dites « politiques » pour punir les personnes considérées comme une menace par le pouvoir central et pour terroriser les populations susceptibles de se mobiliser contre le régime en place.

49.  L’ACAT fait, enfin, valoir que les conditions de détention dans les prisons guinéennes sont contraires aux normes internationales. Outre la surpopulation, la malnutrition est la cause de décès de plus de 15 % des prisonniers entre 2008 et 2009. Les opposants politiques sont fréquemment soumis à des actes de torture et ne peuvent recevoir de visites de leur famille. L’ACAT rappelle enfin que les autorités guinéennes n’ont jamais mené d’enquête sur les violations graves des droits de l’homme commises dans le pays.

2.  Appréciation de la Cour

a)  Principes généraux

50.  La Cour rappelle que, selon les principes applicables à l’espèce, les États contractants ont, en vertu d’un principe de droit international bien établi et sans préjudice des engagements découlant pour eux des traités internationaux, y compris la Convention, le droit de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux. Cependant, l’expulsion d’un étranger par un État contractant peut soulever un problème au regard de l’article 3, et donc engager la responsabilité de l’État en cause au titre de la Convention, lorsqu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé, si on l’expulse vers le pays de destination, y courra un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3. En pareil cas, cette disposition implique l’obligation de ne pas expulser la personne en question vers ce pays (Hirsi Jamaa et autres c. Italie [GC], no 27765/09, § 114, 23 février 2012).

51.  L’existence d’un risque de mauvais traitements doit être examinée à la lumière de la situation générale dans le pays de renvoi et des circonstances propres au cas de l’intéressé (Saadi c. Italie [GC], no 37201/06, § 130, CEDH 2008).

52.  La Cour considère qu’il appartient en principe au requérant de produire des éléments susceptibles de démontrer qu’il serait exposé, en cas de mise à exécution de la mesure incriminée, à un risque de traitements contraires à l’article 3, à charge ensuite pour le Gouvernement de dissiper les doutes éventuels au sujet de ces éléments (Saadi, précité, § 129 ; NA. c. Royaume-Uni, no 25904/07, § 111, 17 juillet 2008). Il n’appartient normalement pas à la Cour de substituer sa propre appréciation des faits à celle des juridictions internes, mieux placées pour évaluer les preuves produites devant elles (voir, entre autres, Klaas c. Allemagne, 22 septembre 1993, § 29, série A no 269). Elle reconnaît que, eu égard à la situation particulière dans laquelle se trouvent souvent les demandeurs d’asile, il convient dans de nombreux cas de leur accorder le bénéfice du doute lorsque l’on apprécie la crédibilité de leurs déclarations et des documents soumis à l’appui de celles‑ci. Toutefois, lorsque des informations sont soumises qui donnent de bonnes raisons de douter de la véracité des déclarations du demandeur d’asile, celui-ci est tenu de fournir une explication satisfaisante pour les incohérences de son récit (voir, notamment, Collins et Akaziebie c. Suède (déc.), no 23944/05, 8 mars 2007 et N. c. Suède, no 23505/09, § 53, 20 juillet 2010,). De la même manière, il incombe au requérant de fournir une explication suffisante pour écarter d’éventuelles objections pertinentes quant à l’authenticité des documents par lui produits (Mo.P. c. France (déc.), no 55787/09, § 53, 30 avril 2013).

53.  Enfin, s’il convient de se référer en priorité aux circonstances dont l’État en cause avait connaissance au moment de l’expulsion, la date à prendre en compte pour l’examen du risque encouru est celle de la date de l’examen de l’affaire par la Cour (Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 86, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V).

b)  Application de ces principes au cas d’espèce

54.  La Cour observe, en premier lieu, que les rapports internationaux relatifs à la situation en Guinée avant le départ du requérant en 2004 dénoncent le traitement réservé aux opposants au régime ainsi que les conditions précaires dans lesquelles ceux-ci étaient détenus (voir paragraphes 17-20). Il ressort également de ces rapports que la vie politique guinéenne était à l’époque marquée par de fréquentes manifestations organisées pour protester contre la corruption, la détérioration de la situation économique et la pénurie d’énergie.

55.  La date à prendre en considération pour l’examen du risque encouru étant celle de l’examen de l’affaire, la Cour estime donc nécessaire de tenir compte des importantes évolutions politiques et institutionnelles qui ont eu lieu en Guinée (voir M.A.D c. France (déc.), no 50284/07, 12 octobre 2010 ; A.Y. c. France (déc.), no 25579/09, 11 octobre 2011 ; X.T. c. France (déc.), no 50751/08, 20 mars 2012). Au vu des informations à la disposition de la Cour, la situation actuelle en Guinée apparaît très instable, le pays étant l’objet de tensions à l’occasion des élections et les forces de sécurité se montrant parfois violentes à l’encontre des opposants au régime. Les rapports internationaux consultés font cependant apparaître que l’actuel président Alpha Condé a entrepris de fusionner son parti, le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), avec une quarantaine de petits partis pour former le RPG Arc-en-ciel et que l’un de ces partis est l’UPR, dont le président, Ousmane Bah, a été nommé au poste de ministre d’État chargé des travaux publics et des transports (voir paragraphes 21-25). Rien n’indique donc que la seule appartenance au parti UPR d’un individu suffise à l’exposer à une menace personnelle en cas de retour.

56.  Le requérant fait valoir qu’en raison de son engagement politique au sein de l’UPR et de sa condamnation par contumace, il craint de subir des traitements contraires à l’article 3 de la Convention en cas de retour en Guinée. La Cour constate que le requérant présente un récit assez circonstancié, compatible avec la situation en Guinée telle que décrite dans les rapports internationaux disponibles et étayé par de nombreux documents. Elle note toutefois les réserves émises par le Gouvernement, au regard des décisions des juridictions internes et des informations obtenues grâce à des contacts sur place, quant à la crédibilité du récit et l’authenticité des documents produits, ainsi que l’argument selon lequel l’anonymat imposé dans cette affaire l’aurait empêché d’engager plus d’investigations.

La Cour écarte d’emblée la justification fondée sur l’anonymat puisque, si l’identité du requérant est dissimulée dans les documents publics de l’affaire, cela n’empêche pas le Gouvernement, qui a accès à cette information confidentielle, d’effectuer toute enquête nécessaire (voir, en ce sens, P.I. c. France (déc.), no 37180/10, § 49, 12 juin 2012).

La Cour relève, par ailleurs, qu’en l’espèce, les éléments apportés par le requérant – tant son récit que les preuves documentaires – furent écartés par les autorités au moyen de motivations succinctes. S’agissant ainsi des documents produits par le requérant, les instances en charge de l’asile se sont bornées soit à affirmer qu’ils ne présentaient pas de garanties suffisantes d’authenticité sans indiquer les motifs fondant leurs suspicions, soit à leur dénier toute force probante parce qu’ils n’avaient été soumis que sous forme de copie. Il en résulte que la Cour ne trouve pas d’éléments suffisamment explicites dans ces motivations des instances nationales pour écarter le récit du requérant et rejeter sa demande.

La Cour considère cependant que les observations présentées par le Gouvernement sont précises, détaillées et circonstanciées, en particulier concernant l’appartenance du requérant à l’UPR, sa condamnation par contumace et les circonstances entourant le décès de sa sœur. La Cour n’estime pas nécessaire de se prononcer sur le premier point dans la mesure où, au vu des rapports internationaux consultés, même à supposer le militantisme politique du requérant avéré, celui-ci ne l’exposerait pas, à lui seul, à des risques de mauvais traitements en cas de retour en Guinée. La Cour considère, en revanche, avec le Gouvernement, s’agissant du second point, que le jugement de condamnation, qui comporte trois dates différentes, qui déclare coupables les six accusés tout en ne statuant sur la peine à infliger que sur le sort de quatre d’entre eux et qui fait apparaitre enfin des condamnations à deux peines différentes pour un seul accusé, le dénommé « I.S », semble dénué de garanties suffisantes d’authenticité. Le requérant, qui ne fournit aucune explication à ces incohérences, ne dissipe nullement les doutes pertinemment soulevés par le Gouvernement. La Cour ne saurait donc accorder force probante au jugement de condamnation présenté par le requérant. En tout état de cause, elle note que, même à supposer ce document authentique, la mise à exécution de la condamnation, cinq ans après, paraît hautement improbable compte tenu des bouleversements politiques survenus en Guinée. S’agissant du troisième point, la Cour observe qu’en dépit de ce qui lui avait été demandé, le Gouvernement se borne à rapporter les informations que lui aurait transmises le RADDHO sans verser aux débats la moindre preuve documentaire à l’appui de ses dires. Elle estime cependant que, compte tenu de l’absence de force probante du jugement produit, la condamnation de la sœur du requérant et, partant, son incarcération ultérieure paraissent douteuses. Or, là encore, le requérant ne prouve plus avant ni ses dires, ni même l’authenticité des documents qu’il a produits. Compte tenu de ces éléments, la Cour considère que le requérant a failli à démontrer l’existence d’un risque sérieux et personnel auquel il serait exposé en cas de retour dans son pays d’origine.

57.  La Cour prend enfin acte du fait, rapporté par le Gouvernement et non contesté par le requérant, que ce dernier n’a pas craint de s’adresser aux autorités guinéennes pour solliciter la prorogation de son passeport.

58.  Eu égard à ce qui précède, la Cour en conclut que les griefs tirés des articles 2 et 3 doivent être rejetés comme étant manifestement mal fondés au sens de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

59.  Partant, la mesure indiquée en application de l’article 39 du règlement de la Cour prend fin.

B.  Sur la violation alléguée de l’article 13 de la Convention combiné aux articles 2 et 3

60.  Invoquant l’article 13 combiné aux articles 2 et 3 de la Convention, le requérant se plaint du caractère non suspensif du recours devant la CNDA dans le cadre de la procédure de traitement prioritaire des demandes d’asile et de l’absence d’effectivité du recours devant le juge administratif contre la mesure d’éloignement. La première de ces dispositions est ainsi libellée :

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

1.  Thèses des parties

a)  Le Gouvernement

61.  Le Gouvernement estime que le requérant disposait de recours juridictionnels effectifs et invite la Cour à constater que de tels recours offrent des garanties suffisantes au regard de l’article 13 de la Convention.

b)  Le requérant

62.  Le requérant insiste sur le fait que le recours contre la mesure d’éloignement devant le tribunal administratif, certes suspensif, n’offre pas les mêmes garanties qu’un recours devant la CNDA.

c)  La tierce partie

63.  L’ACAT considère que la procédure prioritaire manque de garanties suffisantes et ne correspond donc pas à un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention.

2.  Appréciation de la Cour

64.  Ayant examiné le grief sous l’angle des articles 2 et 3 de la Convention, la Cour conclut à l’absence de grief défendable de violation d’un droit substantiel garanti par la Convention. En conséquence, le grief tiré de l’article 13 est inapte à prospérer.

65.  Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

C.  Sur la violation alléguée des articles 5 et 6 § 1 de la Convention

66.  Le requérant invoque les articles 5 et 6 § 1 de la Convention pour se plaindre de l’absence d’équité de la procédure devant les juridictions guinéennes et le « simulacre de justice » qui a donné lieu à la peine d’emprisonnement. Son éloignement emporterait, selon lui, la violation des droits à la liberté et à un procès équitable. Les dispositions pertinentes sont respectivement libellées :

Article 5

« 1.  Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales (...) »

Article 6

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

1.  Thèses des parties

67.  Le Gouvernement allègue, à titre liminaire, que ce grief, qui n’a pas été soulevé par le requérant devant les juridictions internes, est irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes.

68.  À titre subsidiaire, le Gouvernement rappelle la jurisprudence de la Cour relativement aux dispositions des articles 5 § 1 et 6 de la Convention. Une décision d’expulsion ou d’extradition peut exceptionnellement soulever une question sous l’angle de l’article 6 lorsqu’un requérant a subi ou risque de subir dans son pays un « déni flagrant de justice » du fait de sa soumission à un procès manifestement contraire aux dispositions de cet article ou des principes que celui-ci consacre. De plus, la Cour a jugé que l’éloignement d’un étranger pouvait contrevenir aux dispositions de l’article 5 § 1 de la Convention si, dans le pays vers lequel il doit être reconduit, il risque d’être arbitrairement détenu pendant plusieurs années sans être présenté à la justice ou s’il risque d’être détenu après avoir été condamné à l’issue d’un procès manifestement inéquitable. Selon le Gouvernement, c’est cette seconde hypothèse que soulève la présente affaire dans laquelle le requérant allègue avoir été condamné à une peine de six ans d’emprisonnement au terme d’un procès in absentia. Le Gouvernement s’interroge cependant sur la réalité de la condamnation en cause ainsi que sur la pertinence des éléments de preuves avancés par le requérant. À cet effet, le Gouvernement appuie ses allégations en affirmant que les membres du bureau exécutif national de l’UPR ne connaissaient pas le requérant comme étant membre de la fédération UPR de Conakry, que le président, le substitut du procureur ainsi que le greffier dont les noms figurent sur l’extrait de jugement produit par le requérant n’étaient pas en poste à Conakry à la date figurant sur ce document, voire ne l’avaient jamais été, mais également que le bureau du RADDHO n’a pu obtenir, après enquête, aucune information selon laquelle le décès d’une femme serait intervenu dans une prison de Conakry le 6 mars 2009. Eu égard à ces derniers éléments d’information, le Gouvernement souligne que le requérant n’en conteste pas la réalité, mais seulement les conditions de leur collecte. Le Gouvernement insiste enfin sur le fait que le jugement de condamnation présente des anomalies patentes interdisant de lui accorder une quelconque valeur probante. Ainsi, il comporte trois dates différentes (3, 4 et 5 mars 2009), fait mention de six accusés tout en ne statuant que sur la culpabilité de trois d’entre eux et fait apparaître enfin des condamnations à deux peines différentes pour un seul accusé, le dénommé « I.S ». Le Gouvernement souligne que la prétendue condamnation par contumace de l’intéressé n’est en rien établie, une telle mention ne figurant ni explicitement, ni implicitement à la lecture du document censé être la copie du jugement.

69.  Le Gouvernement rappelle enfin que la protection par ricochet dont bénéficient les étrangers en situation d’être reconduits dans leur pays d’origine n’a pas vocation à s’appliquer uniformément à tous les droits protégés par la Convention.

70.  Au vu de tout ce qui précède, le Gouvernement estime que le requérant n’a réussi à convaincre ni de la réalité des risques encourus, ni de l’existence d’un jugement le concernant rendu par les autorités judiciaires guinéennes et invite ainsi la Cour à rejeter comme étant manifestement mal fondés les griefs tirés d’une violation des articles 5 § 1 et 6 de la Convention.

71.  Le requérant combat cette thèse.

2.  Appréciation de la Cour

72.  La Cour n’estime pas nécessaire de trancher la question de l’épuisement des voies de recours soulevée par le Gouvernement, le grief étant, en tout état de cause, irrecevable pour défaut manifeste de fondement.

73.  La Cour rappelle, à titre liminaire, qu’il n’est pas exclu qu’une décision d’expulsion puisse exceptionnellement soulever un problème sur le terrain de l’article 6 de la Convention au cas où l’intéressé aurait subi ou risquerait de subir un déni de justice flagrant dans l’État requérant (voir, mutatis mutandis, Soering c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, § 113, série A no 161, et Einhorn c. France (déc.), no 71555/01, 16 octobre 2001). De la même manière, l’article 5 peut trouver à s’appliquer dans une affaire d’expulsion (Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni, no 8139/09, § 203, CEDH 2012 (extraits)). Tel serait le cas si, par exemple, l’État d’accueil détenait arbitrairement un requérant pendant plusieurs années sans avoir l’intention de le traduire en justice, ou si un requérant risquait d’être détenu pendant une longue période dans l’État d’accueil après avoir été condamné à l’issue d’un procès manifestement inéquitable.

74.  La Cour observe que le requérant prétend avoir été condamné à une peine de six ans d’emprisonnement au terme d’un procès par contumace inéquitable. Le risque allégué par le requérant sous l’angle des articles 5 et 6 suppose à l’évidence que soit démontrée la réalité de la condamnation. À cet égard, la Cour ne peut que renvoyer à l’analyse qu’elle a faite, à l’occasion du grief tiré des articles 2 et 3 de la Convention, sur le jugement de condamnation produit (voir paragraphe 55) et constater que, compte tenu des conclusions à laquelle elle est parvenue au sujet de ce document, le requérant a failli à rapporter la preuve qu’il ferait l’objet d’un déni de justice flagrant en cas de retour en Guinée.

75.  Dans ces conditions, il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et que cette partie de la requête doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Claudia WesterdiekMark Villiger
GreffièrePrésident

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CEDH, Cour (cinquième section), S.D. c. FRANCE, 26 novembre 2013, 5453/10