CEDH, Cour (première section), CHATZIVASILIADIS c. GRÈCE, 26 novembre 2013, 51618/12

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CEDH · 19 décembre 2013

Communiqué de presse sur l'affaire 51618/12

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Première Section), 26 nov. 2013, n° 51618/12
Numéro(s) : 51618/12
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 4 août 2012
Organisation mentionnée :
  • Comité européen pour la prévention de la torture
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-139753
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2013:1126DEC005161812
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Sur les parties

Texte intégral

PREMIÈRE SECTION

DÉCISION

Requête no 51618/12
Dimitrios CHATZIVASILIADIS
contre la Grèce

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant le 26 novembre 2013 en une chambre composée de :

Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
Elisabeth Steiner,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse, juges,
et de André Wampach, greffier adjoint de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 4 août 2012,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

1.  Le requérant, M. Dimitrios Chatzivasiliadis, est un ressortissant grec né en 1973 et résidant à Athènes. Il est représenté devant la Cour par Me M. Daliani, avocate à Athènes.

2.  Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les délégués de son agent, M. D. Kalogiros et Mme M. Vergou, auditeurs auprès du Conseil juridique de l’Etat.

A.  Les circonstances de l’espèce

3.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

1.  La détention du requérant

4.  Accusé d’actes de terrorisme et de détention d’armes, le requérant fut placé en détention provisoire le 16 février 2011, à la prison de Korydallos.

5.  Par une décision du 5 août 2011, la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Athènes ordonna le maintien en détention du requérant jusqu’au 11 février 2012.

6.  Le 23 novembre 2011, le requérant demanda sa mise en liberté sous condition. Le 8 décembre 2011, le juge d’instruction fit droit à cette demande.

7.  Le requérant fut mis en liberté le 12 décembre 2011.

8.  Entretemps, les 27 juillet et 6 décembre 2011, le requérant avait déposé auprès des autorités de la prison de Korydallos deux requêtes dans lesquelles il se plaignait de ses conditions de détention. N’ayant reçu aucune réponse, il fit appel, dans un acte daté du 9 décembre 2011 et enregistré le 12 décembre 2011, du rejet implicite de ces requêtes devant la chambre d’accusation du tribunal correctionnel du Pirée. Dans cet acte, il demandait son transfert dans une cellule de 40 m² pourvue d’une douche et disposant d’eau chaude en permanence, de même que l’installation de WC dans les espaces communs, l’aménagement d’un réfectoire avec la mise à disposition d’une nourriture suffisante, la création d’espaces permettant le lavage et le séchage des vêtements, la fourniture de produits d’hygiène et d’entretien, ainsi que l’aménagement de salles de gymnastique couvertes, de récréation et de cinéma.

9.  Le 25 janvier 2012, la chambre d’accusation, considérant ce recours comme étant « sans objet », le rejeta au motif que l’intéressé n’était plus détenu depuis le 12 décembre 2011. Cette décision fut notifiée au requérant le 9 février 2012.

2.  Les conditions de détention du requérant

a)  La version du requérant

10.  Le requérant fut détenu dans l’aile A de la prison, cette aile comportant 120 cellules individuelles de 8 m² occupées chacune en réalité par 3 voire 4 détenus. Entre le mois de février 2011 et l’été de la même année, la cellule du requérant accueillit au total 4 détenus. Par la suite et jusqu’à la mise en liberté de l’intéressé, ce nombre fut réduit à 3. Les détenus étaient obligés de passer dix-huit heures par jour sur leur lit.

11.  Dans cette même aile, il y avait dix douches pour 400 détenus, ouvertes sept heures par jour, sans eau chaude. En raison de l’absence de toilettes dans les parties communes de la prison, les douches contenaient souvent des excréments, les détenus y faisant leurs besoins quand ils travaillaient pendant les heures de fermeture des cellules. Les douches servaient aussi pour le lavage des vêtements des détenus. Ces derniers étaient obligés d’acheter avec leurs propres deniers des produits d’entretien pour les cellules et des produits pour leur hygiène corporelle.

12.  Seule une partie des 30 m² de la cour était abritée. En conséquence, par temps de pluie en hiver, la majorité des 400 détenus ne pouvaient pas marcher ou faire de l’exercice, et ils restaient ainsi confinés dans leurs cellules. De plus, la plupart des détenus s’entassaient dans le couloir central de l’aile pendant les heures où ils étaient autorisés à sortir de leurs cellules.

13.  La nourriture était de faible valeur nutritive. Une fois par semaine, chaque détenu recevait un fruit. Il était impossible pour le requérant, végétarien, de se nourrir correctement. Faute de réfectoire, les repas étaient distribués dans le couloir de l’aile en question et, lors du service, les récipients contenant la nourriture étaient posés sur le sol crasseux de la cage d’escalier, ce qui attirait rats et cafards.

b)  La version du Gouvernement

14.  Le Gouvernement souligne que les conditions de détention du requérant étaient bonnes. Le requérant fut détenu dans une cellule de 9,5 m² avec deux autres détenus, ce qui constituait une surface d’espace personnel acceptable par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Le requérant avait la possibilité de se déplacer hors de sa cellule, en règle générale, de 8 h à 12 h et de 14 h (l’hiver) ou 15 h (l’été) à 20 h 30 ou 21 h. Les détenus avaient la possibilité de faire de l’exercice physique dans la cour de la prison, d’une superficie de 2 600 m², ou dans la petite salle de gymnastique que le requérant mentionne lui-même dans sa requête.

15.  Des salles d’eau fonctionnaient quotidiennement aux sous-sols de toutes les ailes de la prison et il y avait de l’eau chaude pendant certaines heures de la journée. Les cellules disposaient d’une fenêtre avec des barreaux et des vitres et étaient équipées d’un éclairage artificiel suffisant, réglé par les détenus eux-mêmes. Elles étaient chauffées par un système de chauffage central en hiver et, pendant la période d’été 2001-2002, les détenus ayant de problèmes de santé se voyaient attribuer des ventilateurs.

16.  L’alimentation était de quantité suffisante et de bonne qualité suivant les règles de l’alimentation méditerranéenne.

B.  Le droit et la pratique internes pertinents

1.  L’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil

17.  L’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil se lit comme suit :

Article 105

« L’Etat est tenu de réparer les dommages causés par les actes illégaux ou omissions de ses organes lors de l’exercice de la puissance publique, sauf si les actes ou omissions [en question] ont eu lieu en méconnaissance d’une disposition destinée à servir l’intérêt public. L’organe fautif est solidairement responsable avec l’Etat, sous réserve des dispositions spéciales sur la responsabilité des ministres. »

18.  Par deux arrêts nos 2893/2008 et 1215/2010, le Conseil d’Etat admit qu’une personne détenue pour cause de dette envers un tiers et placée, en violation de l’article 1050 § 2 du code de procédure civile, dans la même cellule que des personnes condamnées pour des infractions pénales avait subi un dommage moral et avait à ce titre, en application de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil et de l’article 57 du code civil, droit à une indemnité. Il indiqua que la déclaration de la nullité de la détention de l’intéressé et sa mise en liberté ne constituaient pas une cause de disparition du dommage moral subi par celui-ci pendant sa détention. Il précisa en outre que le manque de lieux de détention appropriés à la détention des personnes condamnées pour dettes envers des tiers ne pouvait justifier une exonération partielle ou totale de la responsabilité de l’Etat. Il jugea également que, aux fins de déterminer le montant de l’indemnité à octroyer à l’intéressé, il fallait tenir compte des conditions de détention de ce dernier. Il ajouta cependant que, l’appréciation desdites conditions ne pouvait conduire à exclure tout préjudice moral, étant donné que celui-ci naissait de la seule illégalité de la privation de liberté de l’intéressé, et ce indépendamment de l’appréciation en question. Dans les deux arrêts susmentionnés, la haute juridiction considéra ainsi que les intéressés avaient été, du fait de leur détention avec des personnes condamnées pour des infractions pénales, exposés à des invectives, insultes, atteintes à leur intégrité physique et autres violences, ces divers agissements visant surtout les personnes non considérées comme auteurs d’infractions pénales dans de tels lieux de détention.

19.  Par un arrêt no 1396/2008, la cour administrative d’appel d’Athènes accorda des sommes comprises entre 40 000 euros (EUR) et 50 000 EUR aux proches d’un détenu décédé en prison à la suite d’une ingestion de cyanure mis dans son repas. Elle fonda sa décision sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil, sur l’article 65 (relatif aux mesures d’ordre et de sécurité) du code pénitentiaire, ainsi que sur la loi no 58819/2003 portant règlement du fonctionnement des établissements pénitentiaires.

20.  S’agissant des tribunaux administratifs, celui de Nauplie, dans un arrêt no 7/2009, et celui d’Athènes, dans un arrêt no 1881/2011, accordèrent également des sommes comprises entre 30 000 EUR et 180 000 EUR à des proches de détenus décédés à la suite de l’utilisation de stupéfiants introduits frauduleusement en prison. Ces juridictions fondèrent leurs décisions sur l’article 105 précité, sur l’article 102 (relatif aux obligations des directeurs des établissements pénitentiaires en matière de sécurité des détenus) de la loi no 1851/1989 (code des règles fondamentales relatives au traitement des détenus) et sur l’article 2 de la Convention.

2.  Le code pénitentiaire (loi no 2776/1999)

21.  Les dispositions pertinentes en l’espèce du code pénitentiaire se lisent ainsi :

Article 21 (espace de détention)

« 1. Chaque maison d’arrêt (...) est divisée en plusieurs secteurs, sans possibilité de communication entre les détenus qui y sont placés. Ces secteurs comportent des cellules et, de manière exceptionnelle, des dortoirs pouvant accueillir de préférence jusqu’à six personnes.

(...)

4. Les dortoirs doivent être d’une superficie d’au moins 6 mètres carrés pour chaque détenu ; ils doivent être équipés de lits, d’armoires et de tables de dimensions suffisantes, ainsi que d’un nombre égal de chaises.

5. Les cellules individuelles et les dortoirs disposent de leurs propres installations destinées au chauffage et à l’hygiène (lavabos, toilettes). Chacune des installations destinées à l’hygiène ne peut servir à plus de trois détenus. L’existence d’une douche dans les cellules et dans les dortoirs n’est pas nécessaire s’il y a un nombre suffisant d’installations communes, avec de l’eau froide et de l’eau chaude, permettant de pourvoir à l’hygiène corporelle de chaque détenu.

(...) »

Article 25 (hygiène et propreté)

« 1. La direction [de chaque maison d’arrêt] assure les conditions d’hygiène et de propreté dans la prison, garantit le bon fonctionnement des installations et fournit les produits nécessaires à l’hygiène corporelle des détenus.

(...) »

Article 32 (alimentation)

« 1. L’Etat est tenu de fournir une alimentation adéquate aux détenus (...) »

GRIEF

22.  Invoquant l’article 3 de la Convention, le requérant se plaint de ses conditions de détention.

EN DROIT

23.  Le requérant allègue avoir subi un traitement inhumain et dégradant en raison de ses conditions de détention à la prison de Korydallos. Il invoque l’article 3 de la Convention, aux termes duquel :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

24.  Le Gouvernement excipe du non-respect du délai de six mois ainsi que du non-épuisement des voies de recours internes par le requérant.

25.  En premier lieu, il soutient que le requérant aurait dû saisir la Cour dans un délai de six mois à compter de sa mise en liberté, le 12 décembre 2011, soit au plus tard au 12 juin 2012, et non le 4 août 2012. Il considère que le recours introduit le 12 décembre 2011 par le requérant devant la chambre d’accusation du tribunal correctionnel était fictif car l’intéressé avait déjà été libéré à ce moment-là.

26.  En deuxième lieu, il reproche au requérant de ne pas avoir fait usage de l’action en dommages-intérêts prévue par l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil.

27.  La Cour estime ne pas avoir à examiner l’exception relative au non‑respect du délai de six mois, étant donné que la requête doit être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes.

28.  La Cour rappelle en effet que, s’agissant de l’épuisement des voies de recours internes, l’article 35 § 1 de la Convention prévoit une répartition de la charge de la preuve. Le gouvernement défendeur doit ainsi convaincre la Cour que le recours dont il invoque l’existence était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire qu’il était accessible et susceptible d’offrir au requérant le redressement de ses griefs et qu’il présentait des perspectives raisonnables de succès (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 68, Recueil 1996‑IV, et Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 46, CEDH 2006-II).

29.  A ce titre, la Cour a déjà considéré dans l’arrêt Ananyev et autres c. Russie (nos 42525/07 et 60800/08, § 98, 10 janvier 2012) que, pour qu’un système de protection des droits des détenus garantis par l’article 3 de la Convention soit effectif, les recours préventifs et les recours indemnitaires doivent coexister de façon complémentaire. L’importance particulière de cette disposition impose que les Etats établissent, au-delà d’un simple recours indemnitaire, un mécanisme effectif permettant de mettre rapidement un terme à tout traitement contraire à l’article 3 de la Convention. A défaut d’un tel mécanisme, la perspective d’une possible indemnisation risquerait de légitimer des souffrances incompatibles avec cet article et d’affaiblir sérieusement l’obligation des Etats de mettre leurs normes en accord avec les exigences de la Convention (ibid., § 98).

30.  La Cour considère cependant que, s’agissant de l’épuisement des voies de recours internes, la situation peut être différente entre une personne qui a été détenue dans des conditions qu’elle estime contraires à l’article 3 de la Convention et qui saisit la Cour après sa mise en liberté et un individu qui la saisit alors qu’il est toujours détenu dans les conditions qu’il dénonce.

31.  En l’espèce, la Cour observe que le requérant a été mis en liberté le 12 décembre 2011. En saisissant la Cour le 4 août 2012, il ne visait de toute évidence pas à empêcher la continuation de sa détention dans des conditions inhumaines ou dégradantes, mais à obtenir un constat postérieur de violation de l’article 3 de la Convention par la Cour et, le cas échéant, une indemnité pour le dommage moral qu’il estime avoir subi.

32.  La Cour rappelle, en outre, que dans son arrêt A.F. c. Grèce (no 53709/11, §§ 55-60, 13 juin 2013) elle a estimé qu’il convenait d’examiner si les dispositions d’un texte législatif ou réglementaire susceptibles d’être invoquées aux fins d’une action en application de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil étaient rédigées en termes suffisamment précis et garantissaient des droits « justiciables ».

33.  A cet égard, la Cour relève que le requérant était détenu à la prison de Korydallos et était ainsi soumis aux dispositions du code pénitentiaire.

34.  La Cour note que les principaux griefs du requérant concernant ses conditions de détention, formulés tant devant les autorités grecques que devant elle, portaient et portent sur la surpopulation régnant dans cette prison, sur l’état des installations sanitaires, sur des problèmes d’hygiène et sur une insuffisance de nourriture. Or de l’avis de la Cour, les articles 21, 25 et 32 du code pénitentiaire garantissent en ces domaines des droits subjectifs et pouvant être invoqués devant les juridictions. L’action indemnitaire fondée sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil combiné avec les articles susmentionnés du code pénitentiaire, et également avec l’article 3 de la Convention qui est directement applicable dans l’ordre juridique interne, constituait ainsi une voie de recours qui aurait pu être intentée par le requérant.

35.  Il s’ensuit que la requête doit être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

              André WampachIsabelle Berro-Lefèvre
Greffier adjointPrésidente

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