CEDH, Cour (quatrième section comité), BARTNIK c. POLOGNE, 11 mars 2014, 53628/10

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Quatrième Section Comité), 11 mars 2014, n° 53628/10
Numéro(s) : 53628/10
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 13 septembre 2010
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-142318
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2014:0311DEC005362810
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Sur les parties

Texte intégral

QUATRIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 53628/10
Stanisław BARTNIK
contre la Pologne

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant le 11 mars 2014 en un comité composé de :

Nona Tsotsoria, présidente,

Paul Mahoney,

Krzysztof Wojtyczek, juges,

et de Fatoş Aracı, greffière adjointe de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 13 septembre 2010,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

1.  Le requérant, M. Stanisław Bartnik, est un ressortissant polonais, né en 1970, résidant à Białystok.

A.  Les circonstances de l’espèce

2.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

3.  Le requérant est l’auteur d’articles sur une coopérative de quartier (spółdzielnia mieszkaniowa) dénommée « Słoneczny Stok » (« La Côte d’or ») dont il est membre, publiés sur un site Internet d’information qu’il a fondé. La coopérative en question compte plus de dix mille locataires.

4.  Entre juin et septembre 2005, le requérant publia sur son site une série de textes dans lesquels il dénonçait les méthodes de gestion de la coopérative par ses administrateurs S.P. et W.A. À l’époque des faits, S.P. était également sénateur au Parlement national.

Dans un article intitulé « Le génie de la Côte d’Or » (« Dzin Slonecznego Stoku ») le requérant qualifiait S.P. d’« Aladin qui, avec le soutien de son génie, a terrorisé 34 mille de personnes » et de « créature particulière » dont « la famille possède 18 logements au sein de la coopérative ». Le requérant imputait à S.P., entre autres, le financement de sa compagne électorale avec l’argent provenant des loyers collectés auprès des locataires, l’abus des biens de la coopérative et l’extorsion des loyers des locataires retraités. Le requérant qualifiait W.A. d’« ombre du grand leader » ayant « la bride haute sur toute une armée d’employés ».

Dans deux articles intitulés « Les néophytes ou les hypocrites ?» (« Neofici czy hipokryci ? ») et « L’appel aux employés de la coopérative » (« Odezwa do pracownikow spoldzielni »), le requérant qualifiait les administrateurs de la coopérative de « jeunes, ardents néophytes (...) régnant à la coopérative de manière absolue comme Richelieu, recouvrant les loyers comme les publicains romains [dont] la cour était accessible aux seuls quelques privilégiés » qui « lavaient les cerveaux des membres [de la coopérative]».

Dans un article intitulé «  S.P.- fuite en avant » (« Plewa - ucieczka do przodu »), le requérant avait écrit que S.P. « allait mettre sur la paille les locataires et les dépouiller de leur argent », « détourner les millions de la coopérative en haussant les prix des travaux ».

Dans un article intitulé « Les baraques de la rue Stroma » (« Baraki na Stromej »), le requérant imputait aux administrateurs le gaspillage de fonds de la coopérative en soutenant que certains services de la coopérative « employaient respectivement 37 et 35 personnes ; on y gagne non pas mille zlotys net - les salaires s’élèvent à quelques milliers zlotys net ».

Dans un article intitulé «  Le concert à Mozart » (« Koncert w Mozarcie ») le requérant qualifiait les administrateurs d’« auto-talents en matière de manipulation » et traitait W.A. de « menteur ».

Dans un article intitulé « Le diable au sein de la coopérative » (« Diabel w spoldzielni »), le requérant avait écrit que « S.P. et W.A. étaient enclins à entretenir des rapports mafieux et à se maintenir au pouvoir à la coopérative... À quoi peut-on s’attendre du bandit ? (...) du voleur dont on a fait un gardien de la loi...(...) de l’affairiste et de l’offrant de pots-de-vin (...) filous, affairistes, voleurs et charogne morale – qu’ils soient en prison ».

Dans un article intitulé « Vive le garde-corps » (« Niech zyje balustrada ») le requérant affirmait que « les gérants ont bricolé une structure efficace et indestructible. Ils permettent de s’enrichir à l’armée de toute sorte de paresseux et de ratés, de fidèles soldats complaisants (...) ils arrivent à sélectionner les personnes appropriées qui leur permettent de régulariser cette structure ».

5.  Suite aux publications du requérant, S.P. et W.A. déposèrent à son encontre une plainte pénale pour diffamation.

6.  Par un jugement du 19 janvier 2010, en se basant sur l’article 212 § 2 du Code pénal (paragraphe 14 ci-dessous), le tribunal de district de Białystok déclara le requérant coupable du délit de diffamation envers les plaignants, le punit par une amende de 800 PLN (environ 200 Eur) et l’obligea de rembourser à chacun des plaignants les frais de procédure de 3 172 PLN.

7.  Le tribunal retint que, du fait des propos tenus dans ses publications, le requérant avait exposé les plaignants au mépris public préjudiciable à leurs fonctions à la coopérative et avait porté atteinte à leur réputation.

Le tribunal nota que les déclarations du requérant, par lesquelles il imputait aux plaignants les irrégularités dans la gestion de la coopérative, voire les agissements criminels, étaient diffamatoires dès lors qu’elles ne reposaient sur aucune base factuelle. Le requérant n’avait pas démontré que ses affirmations concernant le prétendu financement de la compagne électorale de S.P. grâce aux fonds de la coopérative de même que les prétendus détournement et évasion de fonds de la coopérative ainsi que les escroqueries commises au détriment des locataires étaient avérées. Le tribunal observa dans ce contexte qu’une enquête pénale diligentée dans le passé au sujet du gaspillage et de l’abus des biens de la coopérative par les administrateurs avait été clôturée par une décision constatant l’absence de l’infraction. En outre, aucun témoin parmi ceux entendus dans la procédure n’avait été en mesure d’étayer les allégations formulées par le requérant par des éléments factuels. Le tribunal souligna que les témoignages effectués par certains témoins, défavorables aux administrateurs de la coopérative, avaient été écartés en tant que non crédibles, étant donné que leurs auteurs étaient impliqués aux litiges avec la coopérative à titre personnel.

8.  Le tribunal considéra que, en traitant les plaignants de «  filous, affairistes, voleurs, donneurs des pots-de vin, charogne morale », le requérant s’était exprimé dans un langage offensant qui n’était pas en adéquation avec les circonstances de l’espèce ou les thèmes abordés dans ses publications. Le tribunal rejeta l’argument du requérant selon lequel il voulait exprimer - dans un langage satirique - son avis critique au sujet de la situation à la coopérative et que la teneur de ses propos était en rapport avec son implication émotionnelle dans les affaires de cette dernière. Tout en rappelant que même un jugement de valeur pouvait être excessif en l’absence d’une base factuelle, le tribunal considéra que, du fait de la teneur des expressions employées à l’égard des plaignants, le requérant avait outrepassé les limites du genre satirique.

9.  Le tribunal rejeta l’argument du requérant selon lequel il s’était exprimé en tant que « journaliste civique » (dziennikarz obywatelski) et, en tant que tel, avait droit à une dose d’exagération et au recours à la satire. Il rappela que même les journalistes professionnels étaient tenus d’observer les règles déontologiques leur interdisant de porter atteinte à la réputation d’autrui par des propos dépourvus de fondement. Le tribunal souligna que le droit à la critique ne pouvait s’exercer par des expressions offensantes et des calomnies.

10.  Le tribunal jugea que l’atteinte à la réputation des plaignants était aggravée par le fait que les propos incriminés, publiés sur Internet, pouvaient être consultés sans difficulté par un grand nombre de lecteurs.

11.  Dans la mesure où le requérant soutenait qu’en tant que personnes publiques, les administrateurs de la coopérative ne pouvaient prétendre à la protection étendue de la Convention européenne des droits de l’homme, le tribunal souligna que les déclarations concernant les personnes publiques n’étaient protégées par la Convention que si elles étaient effectuées dans l’intérêt général, étaient avérés, justes (rzetelne) et proportionnées au regard de l’intérêt visé par la publication. Or, ces conditions n’étant pas été remplies en l’espèce, le requérant avait dépassé les limites de la liberté d’expression.

12.  En retenant la sanction à l’encontre du requérant, le tribunal tint compte de la gravité relativement élevée des faits lui étant reprochés, de son casier judiciaire vierge et de sa situation financière.

13.  Dans un appel contre le jugement du 19 janvier 2010, le requérant soutint, entre autres, que le tribunal de district n’avait pas suffisamment tenu compte du caractère satirique de ses publications ni de sa conviction - qui était sincère - qu’il s’exprimait dans l’intérêt général. Le requérant souligna que l’emploi de la satire en tant que moyen d’expression était autorisé dans le cadre de la liberté d’expression, cette dernière s’appliquant également aux propos qui « choquent, heurtent ou inquiètent ». Le requérant soutint que certaines de ses déclarations dans le texte « Le diable à la coopérative » ne visaient pas directement les plaignants mais tendaient à mettre en lumière certains maux pouvant se produire dans chaque communauté. Le requérant insista sur le caractère avéré de ses déclarations concernant les salaires versés aux employés de la coopérative et aux prestataires de services travaillant pour cette dernière.

14.  Par un jugement du 20 mai 2010, le tribunal régional confirma le jugement du 19 janvier 2010, sauf dans la mesure concernant la condamnation du requérant pour ses propos sur les salaires versés aux employés de la coopérative. Tout en notant que les salaires en question étaient bien supérieurs au salaire moyen national, le tribunal innocenta le requérant dans cette mesure. Le tribunal retint en outre que le requérant n’avait pas qualifié W.A. de « menteur ». Par conséquent, il ramena à 500 PLN (environ 125 Eur) l’amende qui lui était infligée.

15.  Le tribunal régional considéra que le requérant avait outrepassé les limites de la liberté d’expression, étant donné qu’il avait imputé aux plaignants - dans un langage offensant et sans motif valable - divers agissements prohibés dont la réalité n’avait jamais été établie. Le tribunal observa que le contenu des publications incriminées ne laissait aucun doute quant à l’identité des personnes visées. Il jugea que les affirmations du requérant au sujet de la prétendue majoration des rémunérations versées aux prestataires de services travaillant pour la coopérative n’étaient pas justifiées. En effet, le requérant n’avait pas démontré que la qualité des services aurait pu être la même si les tarifs des prestations avaient été réduits.

B.  Le droit interne pertinent

16.  L’article 212 § 1 du Code pénal (CP) statue que quiconque impute à autrui (...) un comportement ou des qualités susceptibles de le rabaisser aux yeux de l’opinion publique ou de mettre en péril la confiance nécessaire à l’exercice de sa fonction, de sa profession ou d’une activité donnée, est passible d’une peine d’amende ou d’une mesure portant restriction à sa liberté.

17.  Selon l’article 212 § 2, lorsque l’infraction prévue au paragraphe 1 est commise au travers de moyens de communication de masse, son auteur est passible d’amende, de mesure portant restriction à la liberté ou de réclusion criminelle d’un an au maximum.

18.  Selon l’article 213 § 2 du CP, l’infraction prévue à l’article 212 §§ 1 ou 2 n’est pas constituée lorsque les propos divulgués publiquement sont avérés et concernent le comportement d’une personne exerçant une fonction publique ou bien tendent à la défense d’intérêt public légitime.

GRIEF

19.  Invoquant l’article 10 de la Convention, le requérant se plaint que sa condamnation pour diffamation porte atteinte à son droit à la liberté d’expression.

EN DROIT

20.  Le requérant se plaint d’une atteinte à son droit à la liberté d’expression et allègue la violation de l’article 10, ainsi libellé :

« 1.  Toute personne a droit à la liberté d’expression (...)

 2.  L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique (...) à la protection de la réputation ou des droits d’autrui (...).  »

21.  La Cour observe que la condamnation du requérant s’analyse en une « ingérence » dans l’exercice de son droit à la liberté d’expression, au sens du premier paragraphe de l’article 10 de la Convention. L’ingérence était « prévue par la loi », à savoir l’article 212 § 2 du CP polonais et poursuivait un but légitime, à savoir « la protection de la réputation d’autrui », plus particulièrement celle de S.P. et W.A.. Reste à déterminer si l’ingérence était « nécessaire dans une société démocratique ».

22.  La Cour renvoie à cet égard aux principes fondamentaux qui se dégagent de sa jurisprudence en la matière (voir, parmi de nombreux autres, Lindon Otchakovsky-Laurens et July c. France [GC], nos 21279/02 et 36448/02, §§ 45 et 46, CEDH 2007‑XI, et July et Sarl Libération c. France, no 20893/03, §§ 60 à 64, CEDH 2008-...).

23.  Elle rappelle que, dans l’exercice de son pouvoir de contrôle, elle n’a point pour tâche de se substituer aux juridictions internes compétentes, mais de vérifier sous l’angle de l’article de la Convention concerné, les décisions qu’elles ont rendues en vertu de leur pouvoir d’appréciation (News Verlags GmbH & Co. KG c. Autriche, no 31457/96, § 52, CEDH 2000-I).

24.  En particulier, il lui incombe de déterminer si les motifs invoqués par les juridictions nationales pour justifier l’ingérence apparaissent « pertinents et suffisants » et si la mesure incriminée était « proportionnée aux buts légitimes poursuivis » (Chauvy et autres c. France, no 64915/01, § 70, CEDH 2004‑VI, Alves da Silva c. Portugal, no 41665/07, § 23, 20 octobre 2009).

25.  Dans l’exercice de son pouvoir de contrôle, la Cour doit examiner l’ingérence litigeuse à la lumière de l’ensemble de l’affaire, y compris la teneur des propos reprochés au requérant et le contexte dans lequel celui-ci les a tenus (Fleury c. France, no 29784/06, § 39, 4 octobre 2010).

26.  En l’espèce, la Cour note que les déclarations litigeuses ont été effectuées dans une série de textes publiés par le requérant sur son site. Le requérant dénonçait les dysfonctionnements dans la gestion d’une grande coopérative de quartier et mettait en cause ses administrateurs, personnes qui étaient en charge de gestion du patrimoine de la coopérative dans l’intérêt de l’ensemble des locataires. La Cour peut accepter que les textes incriminés portaient sur un sujet d’intérêt général (Cihan Ozturk c. Turquie, no 17095/03, § 27, 9 juin 2009), important pour une communauté locale. Elle accepte par ailleurs l’argument du requérant selon lequel le « journalisme civique » constitue un élément et une garantie de la société démocratique.

27.  La Cour rappelle en même temps qu’en raison des « devoirs et responsabilités » inhérents à l’exercice de la liberté d’expression, tout individu qui s’engage dans un débat public d’intérêt général – y compris celui mené au niveau local - est tenu de ne pas dépasser certaines limites quant au respect – notamment – de la réputation et des droits d’autrui (voir, par analogie Fleury ci-dessus, § 45). Elle rappelle par ailleurs que l’Internet est un outil d’information différent de la presse écrite, posant des risques plus importants pour les droits protégés en vertu de l’article 8 de la Convention (Wegrzynowski et Smolczewski c. Pologne, no 33846/07, § 98, 16 juillet 2013).

28.  En l’espèce, les tribunaux internes ont jugé que le requérant avait porté atteinte à la réputation des plaignants en raison de certains de ses propos leur imputant les irrégularités contraires à leur fonction et préjudiciables aux intérêts des locataires. Les juridictions nationales ont jugé que les propos incrimines étaient diffamatoires, dans la mesure où ils n’avaient aucune base factuelle. Pour justifier leur conclusion en la matière, les juridictions nationales se sont notamment référées au fait que l’enquête diligentée au sujet des prétendues irrégularités dans la gestion de la coopérative n’avait établi aucune infraction imputable aux administrateurs et qu’en outre, les prétendues malversations n’avaient pas confirmées par les témoignages recueillis dans le cadre de la procédure.

Les juridictions internes ont également considéré que le requérant avait dépassé les limites de la liberté d’expression compte tenu de la teneur des termes utilisés dans ses publications. Elles ont observé que les déclarations de l’intéressé étaient accompagnées d’assertions à caractère offensant et d’expressions injurieuses dépassant le registre satirique revendiqué par le requérant.

29.  La Cour rappelle sa jurisprudence désormais bien établie selon laquelle il y a lieu, pour apprécier l’existence d’un « besoin social impérieux » propre à justifier une ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression, de distinguer entre faits et jugements de valeur. Si la matérialité des premiers peut se prouver, les seconds ne se prêtent pas à une démonstration de leur exactitude (voir, parmi d’autres, l’arrêt De Haes et Gijsels c. Belgique, 24 février 1997, § 42, Recueil des arrêts et décisions 1997‑I, et Harlanova c. Lettonie (déc.), no 57313/00, 3 avril 2003).

30.  Certes, lorsqu’il s’agit d’allégations sur la conduite d’un tiers, il peut parfois s’avérer difficile, comme en l’espèce, de distinguer entre imputations de fait et jugements de valeur. Il n’en reste pas moins que le fait de mettre directement en cause les personnes déterminées implique l’obligation de fournir une base factuelle suffisante (Cumpănă et Mazăre c. Roumanie [GC], no 33348/96, §§ 98‑99, CEDH 2004‑XI, Lombardo et autres c. Malte, no7333/06, § 60, 24 avril 2007).

31.  En l’espèce, la Cour observe que, bien que la plupart des déclarations du requérant constituent des jugements de valeur, certaines de ses affirmations, notamment celles concernant le financement de la compagne électorale de S.P., le détournement et l’évasion des fonds de la coopérative ainsi que les escroqueries commises par les administrateurs au détriment des locataires, contiennent des éléments factuels. À cet égard, la Cour relève que les juridictions nationales ont estimé que les déclarations du requérant concernant les agissements prétendument délictueux des plaignants n’avaient été étayées par aucune base factuelle. La Cour ne décèle pas d’éléments pour s’écarter des conclusions auxquelles sont parvenus les tribunaux nationaux. Avec ces derniers elle considère que les propos incriminés portaient atteinte à la réputation et à la considération des plaignants en tant que administrateurs de la coopérative. Le requérant non seulement n’a pas démontré la véracité de ses allégations mais aussi n’a pas apporté de preuves de diligence requise dans ses démarches pour établir les faits. La condamnation du requérant à cet égard ne fait donc apparaître aucune apparence de violation de l’article 10 de la Convention (Alves Costa c. Portugal (déc.), no 65297/01, 25 mars 2004).

32.  Qui qu’il en soit, la Cour rappelle que même un jugement de valeur peut se révéler excessif s’il est totalement dépourvu de base factuelle (Sokolowski c. Pologne, no 75955/01, § 48, 29 mars 2005).

33.  Le langage employé rentre en ligne de compte dans l’appréciation de la proportionnalité d’une ingérence dans le droit à la liberté d’expression (voir, par exemple, Ivanciuc c. Roumanie (déc.), no 18624/03, 8 septembre 2005, Alves Costa citée ci-dessus, ou Katamadzé c. Géorgie (déc.), no 68857/01, 14 février 2006).

34.  En l’espèce, le requérant reprochait aux juridictions internes de n’avoir pas suffisamment tenu compte du caractère satirique de ses publications.

Tout en reconnaissant le rôle important des interventions satiriques dans le libre débat des questions d’intérêt général, en particulier au niveau local (Alves da Silva, § 29 ou Cihan Ozturk, § 30, précités), en l’espèce, la Cour souscrit à l’appréciation des juridictions internes selon lesquelles les termes utilisés par le requérant, tels que « bandits, filous, affairistes, voleurs, donneurs des pots-de vin, charogne morale «  était de nature à offenser les plaignants, en particulier du fait qu’aucune irrégularité susceptible de leur être imputée n’avait jamais été établie. La Cour ne croit pas que l’on puisse voir là le recours à la « dose d’exagération » ou de « provocation » dont il est permis de faire usage dans le cadre de la liberté d’expression. En effet, il était loisible au requérant de formuler ses critiques à l’encontre de la gestion de la coopérative et de contribuer ainsi à une libre discussion sur les problèmes en cause, sans employer les mots incriminés (Alves Costa, précitée).

35.  La Cour relève en outre que les déclarations incriminées n’ont pas été faites de manière spontanée ou au cours d’un rapide échange verbal (Katamadzé, précitée, Barata Monteiro c. Portugal, no 4035/08, § 36, 11 avril 2011). Elle doute qu’en l’espèce, le requérant ait agi de bonne foi et en fonction des critères véritablement civiques pour dénoncer les pratiques préjudiciables pour l’ensemble des locataires. Selon elle, il s’agit de la présentation déformée de la réalité, en absence de base factuelle (Ivanciuc, citée ci-dessus).

36.  Enfin, la nature et la lourdeur des peines infligées sont des éléments à prendre en considération lorsqu’il s’agit de mesurer la proportionnalité d’une atteinte au droit à la liberté d’expression garanti par l’article 10 précité (Skałka c. Pologne, no 43425/98, §§ 41-42, arrêt du 27 mai 2003).

37.  La Cour note sur ce point que le requérant a été condamné à une amende pénale d’un montant relativement faible et au remboursement aux plaignants des frais de procédure.

38.  Eu égard à ce qui précède, la Cour est d’avis que la condamnation du requérant et la peine qui lui a été infligée n’étaient pas disproportionnées au but légitime poursuivi et que les motifs invoqués par les juridictions internes pour justifier ces mesures étaient pertinents et suffisants. Les autorités nationales pouvaient donc raisonnablement tenir l’ingérence dans l’exercice, par le requérant, de son droit à la liberté d’expression pour nécessaire dans une société démocratique afin de protéger la réputation et les droits d’autrui.

39.  Il s’ensuit que la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée, conformément à l’article de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fatoş AracıNona Tsotsoria
              Greffière adjointePrésidente

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