CEDH, Cour (quatrième section comité), GRECU c. ROUMANIE, 15 septembre 2020, 1035/18

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Quatrième Section Comité), 15 sept. 2020, n° 1035/18
Numéro(s) : 1035/18
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 5 janvier 2018
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-205350
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2020:0915DEC000103518
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Sur les parties

Texte intégral

QUATRIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 1035/18
Marinică-Dorel GRECU
contre la Roumanie

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant le 15 septembre 2020 en un comité composé de :

 Faris Vehabović, président,
 Iulia Antoanella Motoc,
 Carlo Ranzoni, juges,

et de Ilse Freiwirth, greffière adjointe de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 19 décembre 2017,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

1.  Le requérant, M. Marinică-Dorel Grecu, est un ressortissant roumain né en 1967 et résidant à Moara Nica.

Les circonstances de l’espèce

2.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

  1. Action en recherche de paternité contre le requérant

3.  Par un jugement du 20 août 2002, le tribunal départemental de Suceava (« le tribunal départemental ») déclara le requérant père de l’enfant G.A., né le 13 juin 2001, à la suite d’une action en recherche de paternité formée par la mère de G.A. contre le requérant. Ce jugement était fondé sur des témoignages qui attestaient d’une liaison entre la mère de l’enfant et le requérant.

4.  Le requérant forma un recours contre ce jugement sans le motiver. Par un arrêt définitif du 4 février 2003, la cour d’appel de Suceava (« la cour d’appel ») annula le recours du requérant pour défaut de motivation.

5.  À la suite d’une action distincte de la mère de G.A. contre le requérant, ce dernier fut condamné à verser à G.A. une pension alimentaire.

  1. Action en contestation de paternité

6.  Le 4 mars 2015, le requérant saisit le tribunal de première instance de Suceava (« le tribunal de première instance ») d’une action contre G.A. et sa mère en contestation de sa paternité. Il demanda au tribunal d’ordonner la réalisation d’une expertise médico-légale de paternité.

7.  Le tribunal de première instance fit droit à la demande du requérant et ordonna à G.A. et à sa mère de se soumettre à un test ADN de paternité lequel fut réalisé le 11 janvier 2016. Il ressortait des conclusions de ce test qu’il était exclu que le requérant soit le père de G.A.

8.  L’Institut national de médecine légale « Mina Minovici » (« l’Institut ») informa le tribunal de première instance de ce que des tests ADN de paternité étaient réalisés en Roumanie depuis l’année 2000.

9.  Interrogé par le tribunal de première instance, G.A. déclara qu’il considérait le requérant être son père et qu’il souhaitait garder les liens avec lui, voire les renforcer.

10.  Par un jugement du 5 octobre 2016, le tribunal de première instance rejeta l’action du requérant. Il nota que le requérant avait cohabité avec la mère de l’enfant pendant sa grossesse et qu’il avait rompu les liens avec celle-ci à la naissance de G.A.

11.  Le tribunal prit note que d’après le test de paternité réalisé en l’espèce, il était exclu que le requérant soit le père de G.A. Il jugea qu’en application de la jurisprudence de la Cour (Kroon et autres c. Pays-Bas, 27 octobre 1994, série A no 297‑C, Mizzi c. Malte, no 26111/02, CEDH 2006‑I (extraits), Shofman c. Russie, no 74826/01, 24 novembre 2005, Paulík c. Slovaquie, no 10699/05, CEDH 2006‑XI (extraits), et Tavlı c. Turquie, no 11449/02, 9 novembre 2006), une mise en balance des intérêts en cause devait être réalisée. Pour ce faire, le tribunal de première instance prit en compte que l’enfant était mineur et qu’il souhaitait renforcer sa relation avec le requérant, qu’il considérait être son père. Il nota aussi que G.A. et sa mère s’étaient soumis à l’expertise ADN sous l’ordre du tribunal et non pas de leur propre gré, que le requérant aurait pu défendre ses intérêts dans l’action en recherche de paternité, ce qu’il n’avait pas fait, qu’il avait attendu plus de douze ans afin d’engager la présente action alors qu’il avait des doutes sur sa paternité dès la naissance de G.A. et qu’un test de paternité pouvait être réalisé à l’époque où l’action en recherche de paternité avait eu lieu (paragraphe 8 ci-dessus). Le tribunal de première instance souligna qu’il n’y avait pas de consensus entre les parties quant à la nécessité de faire prévaloir la vérité biologique et il conclut que l’intérêt supérieur de l’enfant mineur militait en l’espèce pour le maintien de sa paternité.

12.  Le requérant n’interjeta pas d’appel de ce jugement qui devint définitif.

  1. Demande en révision du jugement du 20 août 2002 du tribunal départemental de Suceava

13.  Le 21 octobre 2016, se fondant sur le résultat de l’expertise médico‑légale établissant qu’il n’était pas le père de G.A. (paragraphe 7 ci‑dessus) et invoquant l’arrêt Ostace c. Roumanie, (no 12547/06, 25 février 2014), le requérant saisit le tribunal départemental pour demander la révision du jugement du 20 août 2002 (paragraphe 3 ci-dessus). Il soutenait, entre autres, que l’enfant et sa mère avaient toujours refusé à se soumettre à la réalisation d’une expertise médico-légale de paternité et qu’il était dans l’intérêt supérieur de l’enfant de faire prévaloir la réalité biologique sur la réalité sociale. Il ajouta que par le rejet de sa demande en révision, lui‑même se trouvait doublement puni : tant sur le plan patrimonial que sur le plan de son état civil.

14.  La mère de G.A. s’opposa aux allégations du requérant.

15.  Par un jugement du 7 avril 2017, le tribunal départemental rejeta la demande du requérant. Il jugea que la situation du requérant n’était pas similaire à celle du requérant dans l’affaire Ostace c. Roumanie. À cet égard, il observa qu’à la différence de l’affaire Ostace, en l’espèce, la possibilité de pratiquer un test ADN de paternité existait à l’époque de l’action en recherche de paternité (paragraphes 3 et 8 ci-dessus) et que G.A., mineur, s’y était soumis sous l’ordre du tribunal et non pas de son plein gré (paragraphe 7 ci-dessus).

16.  Le tribunal départemental nota ensuite qu’il convenait de tenir compte des constats faits par le tribunal de première instance dans son jugement du 5 octobre 2016, qui avait tranché avec autorité de la chose jugée la contestation de paternité engagée par le requérant à l’égard de G.A. (paragraphe 11 ci-dessus). Il mit plus particulièrement en avant qu’afin de rendre son jugement, le tribunal de première instance avait mis en balance les intérêts en cause et qu’il avait décidé, à la lumière de l’ensemble des preuves, y compris du résultat du test ADN de paternité, de faire prévaloir les intérêts de G.A., mineur, qui ne doutait pas de sa filiation paternelle et souhaitait renforcer les liens avec son père. Le tribunal départemental nota enfin que le requérant n’avait pas contesté le jugement du 5 octobre 2016 susmentionné et qu’il n’avait pas agi avec diligence dans le cadre de l’action en recherche de paternité afin d’obtenir un test ADN de paternité qui pouvait être réalisé en 2002.

17.  Sur recours du requérant, par un arrêt définitif du 19 octobre 2017, la cour d’appel confirma le bien-fondé du jugement rendu en première instance.

18.  Par un arrêt définitif du 19 décembre 2019, le tribunal départemental rejeta une nouvelle action engagée par le requérant contre G.A. tendant à constater que le jugement du 20 août 2002 ne produisait plus d’effet en raison du résultat du test ADN de paternité. Le tribunal départemental constata que la paternité du requérant à l’égard de G.A. avait été établie par des décisions passées en force de chose jugée (paragraphes 11 et 17 ci‑dessus). Un autre chef de demande tendant à constater la cessation de son obligation de verser une pension alimentaire à G.A. fut rejeté pour défaut de fondement.

GRIEFS

19.  Invoquant l’article 8 de la Convention, le requérant se plaint de l’impossibilité d’obtenir la reconnaissance en justice du fait qu’il n’est pas le père de G.A. alors qu’un rapport d’expertise a exclu sa paternité.

20.  Le 7 mai 2020, le requérant a soulevé de nouveaux griefs formulés en lien avec la procédure finalisée par l’arrêt définitif du 19 décembre 2019 du tribunal départemental. Ainsi, invoquant l’article 6 de la Convention, il se plaint du rejet par les juridictions nationales de cette action. Sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, il se plaint de son obligation de verser une pension alimentaire à G.A. Enfin, sur le terrain de l’article 8 de la Convention, il se plaint à nouveau de l’impossibilité d’obtenir la reconnaissance en justice du fait qu’il n’est pas le père de G.A.

EN DROIT

  1. Sur le grief formulé sur le terrain de l’article 8 de la Convention

21.  Le requérant se plaint de l’impossibilité d’obtenir la reconnaissance en justice du fait qu’il n’est pas le père de G.A. Il invoque l’article 8 de la Convention, ainsi libellé :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

22.  La Cour rappelle que la détermination des relations juridiques d’un père avec son fils putatif relève de la « vie privée » de l’intéressé (Ostace c. Roumanie, no 12547/06, § 30, 25 février 2014, et İyilik c. Turquie, no 2899/05, § 23, 6 décembre 2011). L’article 8 de la Convention est dès lors applicable aux faits de l’espèce.

23.  Elle rappelle ensuite que les principes à appliquer en matière d’établissement d’un lien de filiation sont déjà bien établis dans sa jurisprudence (voir, par exemple, Mizzi c. Malte, no 26111/02, CEDH 2006‑I (extraits), Tavlı c. Turquie, no 11449/02, 9 novembre 2006, et Paulík c. Slovaquie, no 10699/05, CEDH 2006 XI). Dans l’arrêt Ostace c. Roumanie (précité), elle a conclu à la violation de l’article 8 de la Convention à raison de l’impossibilité pour le requérant d’obtenir la réouverture d’une procédure à l’issue de laquelle il avait été déclaré père d’un enfant, alors qu’il avait entre-temps réussi à obtenir, avec le consentement de l’enfant devenu majeur, une preuve biologique nouvelle qui attestait qu’il n’était pas le père de ce dernier (Ostace, précité, §§ 43‑45).

24.  Se tournant vers les faits de la présente affaire, la Cour note que le requérant avait des doutes quant à sa paternité dès la naissance de G.A. (paragraphe 11 ci-dessus) et qu’il avait été reconnu père de G.A. dans le cadre d’une action judiciaire en recherche de paternité engagée contre lui par la mère de l’enfant (paragraphe 3 ci-dessus). Or, elle observe qu’à l’époque où cette procédure avait eu lieu, des tests ADN de paternité pouvaient être réalisés en Roumanie (paragraphe 8 ci-dessus) et que le requérant pouvait solliciter aux juridictions nationales d’ordonner la réalisation d’un tel test, ce qu’il n’avait pas fait (voir, pour une situation contraire, Ostace, précité, §§ 6 et 14, où le requérant avait été reconnu père de l’enfant dans une action en recherche de paternité qui avait eu lieu à une époque où le test ADN ne pouvait pas être réalisé en Roumanie). Ensuite, alors qu’il avait saisi le tribunal départemental d’une action en contestation de paternité, ce dernier a ordonné la réalisation d’un test ADN et a examiné au fond la question juridique de la paternité de G.A. posée devant lui (paragraphe 12 ci-dessus). Dès lors, la Cour ne peut que constater que le requérant avait eu à sa disposition des voies judiciaires qui lui permettaient de contester efficacement la paternité de G.A. à la lumière des preuves biologique nouvelles (voir A.L. c. Pologne, no 28609/08, § 78, 18 février 2014, et, a contrario, Mizzi, précité, § 112, et Ostace, précité, § 44).

25.  La Cour note aussi que le requérant n’a pas agi avec diligence dans les procédures internes portant sur la paternité de G.A. : d’une part, le requérant n’avait pas motivé son recours formé contre le jugement du 2 août 2002, ce qui a abouti à l’annulation de sa voie de recours (paragraphe 4 ci‑dessus) ; d’autre part, il n’avait pas formé appel contre le jugement du 5 octobre 2016 du tribunal de première instance (paragraphe 12 ci-dessus).

26.  Elle note ensuite que tant l’action en contestation de paternité que la demande de révision ont été rejetées après que les juridictions nationales avaient réalisé une mise en balance des intérêts en cause (paragraphes 15 et 16 ci-dessus ; voir, en ce sens, R.L. et autres c. Danemark, no 52629/11, § 41, 7 mars 2017, et, a contrario, Ostace précité, §§ 10 et 43). En particulier, les juridictions nationales ont examiné la nécessité de garantir la sécurité juridique et la stabilité des liens familiaux et celle de protéger les intérêts de l’enfant d’un côté et l’intérêt d’établir la vérité biologique d’un autre côté (Ostace, précité, §§ 43 et 45). À cet égard, il convient de rappeler que les autorités nationales sont mieux placées pour apprécier l’intérêt supérieur de l’enfant, étant donné qu’elles bénéficient d’un contact direct avec toutes les personnes concernées (voir, par exemple, A.L. c. Pologne, précité, § 72, et R.L. et autres c. Danemark, précité, § 39). Si la mise en balance, par les autorités nationales, des intérêts en cause s’est faite dans le respect des critères établis par la jurisprudence de la Cour, il faut des raisons sérieuses pour que celle‑ci substitue son avis à celui des juridictions internes (A.L. c. Pologne, précité, § 72).

27.  En l’occurrence, en appliquant la jurisprudence pertinente de la Cour en la matière (paragraphe 11 ci-dessus), le tribunal de première instance dans son jugement du 5 octobre 2016 a mis en balance les intérêts en cause. Il a décidé, à la lumière des pièces du dossier et après avoir entendu G.A., qu’il était dans l’intérêt supérieur de l’enfant de faire prévaloir la réalité sociale sur la réalité biologique. Par la suite, lors de l’examen de la demande de révision, les juridictions nationales ont examiné l’affaire à la lumière des critères établis dans la jurisprudence de la Cour en la matière et plus particulièrement dans l’arrêt Ostace c. Roumanie et ont rendu des décisions largement motivées (paragraphes 15 et 16 ci-dessus).

28.  La Cour observe que le requérant n’avait pas obtenu la réalisation du test ADN de paternité avec le consentement de l’enfant devenu majeur mais sur ordre du tribunal, ce qui démontre qu’il n’y avait pas de consensus entre les parties intéressées quant à la nécessité de l’établissement de la vérité biologique sur la paternité de G.A. (voir, a contrario, Ostace, précité, § 44).

29.  En outre, en l’espèce G.A. était mineur lorsque les procédures tendant à contester sa paternité ont eu lieu (il était âgé de quinze ans lorsque la procédure en contestation de paternité a eu lieu et âgé de seize ans lorsque la demande de révision a été engagée ; voir, pour une situation différente, Ostace, précité, §§ 6 et 9, où l’enfant était majeur lorsque la demande en révision a été formée). Par ailleurs, le tribunal de première instance a rendu son jugement dans le cadre de l’action en contestation de paternité après avoir entendu G.A. (paragraphe 9 ci-dessus ; voir R.L. et autres c. Danemark, précité, § 48, et, mutatis mutandis, M. et M. c. Croatie, no 10161/13, § 171, CEDH 2015 (extraits), où la Cour a noté qu’un enfant capable de discernement a le droit d’exprimer librement ses opinions et le droit de voir ses opinions dûment prises en considération, eu égard à son âge et à son degré de maturité et, en particulier, il doit se voir offrir la possibilité d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative le concernant).

30.  Compte tenu de ce qui précède, la Cour ne décèle en l’espèce aucune apparence de violation de l’article 8 de la Convention. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

  1. Sur les autres griefs

31.  Invoquant les articles 6 et 8 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, le requérant soulève des griefs en lien avec la procédure finalisée par l’arrêt définitif du 19 décembre 2019 du tribunal départemental. Compte tenu de l’ensemble des éléments dont elle dispose, et pour autant qu’elle soit compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par ces articles. Il s’ensuit que ces griefs sont également manifestement mal fondés et qu’ils doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 8 octobre 2020.

 Ilse Freiwirth Faris Vehabović
Greffière adjointe Président

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