CEDH, Commission, POERSCHKE c. la REPUBLIQUE FEDERALE D'ALLEMAGNE, 17 décembre 1965, 2120/64

  • Berlin·
  • Commission·
  • Détention·
  • Gouvernement·
  • Arrestation·
  • Ajournement·
  • Durée·
  • Médecine légale·
  • Lettre·
  • Délai

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CEDH, Commission, 17 déc. 1965, n° 2120/64
Numéro(s) : 2120/64
Publication : Recueil 19, pp. 7-21
Type de document : Recevabilité
Niveau d’importance : Importance élevée
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Partiellement irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-27891
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1965:1217DEC000212064
Télécharger le PDF original fourni par la juridiction

Texte intégral

EN FAIT

Considérant que les faits de la cause peuvent se résumer ainsi:

A l'époque de l'introduction de sa plainte, le requérant, ressortissant

allemand né en 1936, se trouvait en détention préventive à

Berlin-Moabit et ce depuis le 9 février 1963.

Tel que l'a présenté le conseil du requérant, le déroulement des faits

s'établit de la manière suivante:

a)

9 février 1963 - Arrestation du requérant en flagrant délit (tentative

de vol qualifié dans un magasin d'alimentation);  un mandat d'arrêt est

décerné par le Tribunal cantonal (Amtsgericht) de Tiergarten.

15 mars 1963 - Dépôt de l'acte d'accusation (Anklageschrift).

4 avril 1963 - Notification de l'acte d'accusation au requérant.

29 avril 1963 - Décision de la 11ème Grande Chambre Criminelle relative

à l'ouverture des débats (Eröffnungsbeschluss).

30 avril 1963 - Ordonnance du Président de cette Chambre, fixant le

jour des débats (Hauptverhandlungstermin) au 8 août 1963.

b)

12 mars 1963 - Le requérant demande en vain sa mise en liberté

(Haftverschonungsantrag).

25 mars 1963 - Le requérant réitère sa demande de mise en liberté.

5 avril 1963 - Rejet de cette demande par la Chambre.

10 juin 1963 - Le requérant se plaint pour la première fois de sa

détention préventive (Haftbeschwerde) - la plainte n'est pas retenue.

1er juillet 1963 - Le requérant proteste à nouveau contre sa détention

continue.

15 juillet 1963 - Le "recours ultérieur" (weitere Beschwerde) du

requérant est rejeté par la Cour d'Appel (Kammergericht).

c)

8 août 1963 - Au cours des débats, le Parquet (Sitzungsvertreter der

Staatsanwaltschaft) demande une expertise psychiatrique sur le point

de savoir si Poerschke était pénalement responsable de ses actes lors

de leur commission;  en conséquence, l'audience est ajournée et le Dr.

Sprengler est chargé de cette expertise.

d)

12 août 1963 - Le Président de la Chambre Criminelle fait transmettre

le dossier du requérant à l'"Institut régional de Médecine légale et

sociale" et lui impartit un délai de deux mois pour l'établissement du

rapport d'expertise.

30 août 1963 - L'"Institut régional de Médecine légale et sociale"

demande une extension de ce délai pour le motif que le Dr. Sprengler

est en vacances jusqu'à la mi-octobre 1963;  cette demande est

accueillie et le délai est prolongé jusqu'au mois de novembre 1963.

23 décembre 1963 - Le rapport d'expertise psychiatrique est établi et

transmis au Parquet (Staatsanwaltschaft).

e)

12 août 1963 - Le requérant se plaint auprès de la Chambre Criminelle;

il lui reproche de faire volontairement traîner la procédure le

concernant (Beschwerde wegen mutwilliger Verschleppung des Verfahrens);

en particulier, il allègue qu'une expertise psychiatrique pouvait être

faite avant même les débats.

Suivant une annotation apposée sur cette plainte, Me Derge, avocat

commis d'office pour défendre M. Poerschke [à l'insu du requérant,

semble-t-il], se serait mis d'accord avec le Président de la Chambre

(Landgerichtsdirektorin Koch) pour que cette plainte du requérant ne

soit pas considérée comme un recours hiérarchique afin que la procédure

ne soit pas retardée par la reprise du dossier de l'Institut régional.

Nonobstant cet "arrangement", le requérant continue à se plaindre de

la lenteur de la procédure et de la durée même de sa détention.

26 août 1963 - Le requérant se plaint une nouvelle fois de la durée

de sa détention (Haftbeschwerde, "Beschwerde wegen Verstosses gegen das

Gesetz zum Schutze der persönlichen Freiheit").

Sur les instructions du Président de la Chambre Criminelle, cette

opposition (Beschwerde) est versée au dossier au lieu d'être transmise

à la juridiction compétente.

3 septembre 1963 - Le requérant introduit une nouvelle

"Haftbeschwerde", en invoquant l'article 5, paragraphe 3 de la

Convention.

10 septembre 1963 - Le requérant forme une nouvelle "Haftbeschwerde".

20 septembre 1963 - Le Tribunal régional de Berlin décide qu'une lettre

du requérant adressée à l'"Innere Alliierte Kommission beim Kontrollrat

von Berlin der Alliierten Militärkommission", ne sera pas transmise en

raison de son caractère diffamatoire.

4 novembre 1963 - Décision de la Cour d'Appel (Kammergericht) de Berlin

relative:

- à la "Haftbeschwerde" du 3 septembre 1963;

- aux autres recours (Beschwerden) introduits contre les décisions du

Tribunal régional de Berlin du 8 août 1963;

- à la décision rendue le 20 septembre 1963 par le Tribunal régional

de Berlin.

Dans la motivation de son rejet (pour danger de fuite) de la demande

de libération du requérant, la Court se réfère notamment à sa décision

du 15 juillet 1963.  Elle expose d'autre part, quant à la durée de la

détention, ce qui suit: "... L'opinion de l'accusé, suivant laquelle

le maintien de l'ordre d'arrestation enfreint l'article 5, paragraphe

3, phrase 2 de la Convention des Droits de l'Homme, n'est pas fondée

(abwegig).  Le "brigandage grave" (schwerer Raub) est sanctionné d'une

peine de cinq ans de réclusion au minimum (article 250 du Code pénal

allemand).  La durée de la détention préventive n'est par conséquent

nullement disproportionnée à celle de la peine prévisible.  Le

déroulement de la procédure n'a pas non plus subi de retards anormaux.

L'audience du 8 août 1963 a été ajournée pour la seule raison que

l'accusé devait être examiné quant à sa responsabilité pénale.  Cette

décision a été prise dans son propre intérêt, car il peut prétendre à

être acquitté s'il est irresponsable."

[14 novembre 1963 - Le requérant s'adresse à la Commission européenne

des Droits de l'Homme.]

f)

4 janvier 1964 - Le Parquet reçoit le rapport d'expertise

psychiatrique.

10 janvier 1964 - Le Parquet transmet ledit rapport au Tribunal

Régional de Berlin.

14 janvier 1964 - Par ordonnance du Président de la Chambre Criminelle,

les débats sont fixés au 7 juillet 1964 (2. Termin zur

Hauptverhandlung).

g)

10 janvier 1964 - Le requérant se plaint auprès du Ministre (Senator)

de la Justice.

21 janvier 1964 - Cette plainte est confisquée pour être diffamatoire

et n'est pas transmise à son destinataire.

25 janvier 1964 - En invoquant la Convention le requérant se plaint à

nouveau de la durée de sa détention.

8 février 1964 - Nouvelle "Haftbeschwerde" du requérant, fondée sur les

articles 5, paragraphe 3, et 3 de la Convention.

Sur les instructions du Président de la Chambre Criminelle, cette

requête n'est pas transmise à la juridiction compétente

(Beschwerdegericht), mais versée sans autre au dossier.

14 février 1964 - Le requérant se plaint de ce que les débats sont

fixés seulement au mois de juillet 1964.

Suivant le conseil du requérant, cette lettre devait sans nul doute

être considérée comme un recours hiérarchique contre le Président de

la Chambre Criminelle; or, elle n'a pas été soumise à l'autorité

hiérarchique (Dienstaufsichtsbehörde), mais versée au dossier sans

autre, sur les instructions (Verfügung) du Président de la Chambre

Criminelle.

4 et 20 avril 1964 - Lettres du requérant se référant, entre autres,

à l'article 6, paragraphe 2 de la Convention.

[8 mai 1964 - Nouvelle requête de Poerschke contre sa détention - pour

la suite de cette procédure, cf. infra, h), paragraphe 2.]

1er juin 1964 - La Cour d'Appel de Berlin rejette les requêtes formées

par Poerschke au sujet de sa détention.

h)

24 juin (?) 1964 - Le Président de la 11ème Chambre Criminelle décide

(Verfügung) d'annuler l'audience prévue pour le 7 juillet 1964, après

avoir été informé:

- par l'Institut régional de Médecine légale, que le Dr. Sprengler,

expert, devait déposer le 7 juillet 1964 devant la 16ème Chambre

Criminelle du tribunal régional de Berlin;

- que le principal témoin à charge, le Sieur Jokiel, partait en

vacances ce même jour par la voie des airs.

Suivant une annotation (Aktenvermerk) du Président de la Chambre

Criminelle, c'est le requérant lui-même qui a causé ce nouvel

ajournement par ses demandes et requêtes ("... Wenn der Angeschuldigte

dauernd durch solche unsinnigen Eingaben und Beschwerden auffällt, dann

muss er die selbst verschuldete lange Dauer der Untersuchungshaft in

Kauf nehmen ...").  Le Président relève, spécialement, qu'à la suite

d'une requête de Poerschke, la Cour d'Appel ne pourra pas retourner le

dossier au Tribunal avant le 7 juillet 1964.

D'après l'avocat de Poerschke, la requête dont il s'agit a été

introduite le 8 mai 1964.  Par une lettre du début du mois de juin, le

Procureur Général aurait signalé au Président de la Chambre Criminelle

qu'aucune suite n'avait encore été donnée à ladite requête.  Le

Président de la Chambre n'aurait cependant prêté attention

(aufgefallen) à cette lettre que lorsqu'il lui a fallu motiver un

nouvel ajournement de l'audience.  En droit (article 306 du Code de

procédure pénale), la requête aurait dû être soumise à la juridiction

compétente 3 jours après son introduction le fait que la Cour d'Appel

n'en ait pris connaissance que le 24 juin 1964 ne serait donc nullement

imputable au requérant et ce dernier ne serait donc point responsable

de l'ajournement de l'audience.

24 juillet (?) 1964 - Le Président de la Chambre Criminelle fixe

l'audience aux 7 et 8 octobre 1964 (3. Hautpverhandlungstermin).

i)

7, 14, 23 et 26 octobre 1964 - Audiences. Le Parquet requiert une peine

de trois ans de prison pour tentative de vol qualifié

(gemeinschaftlicher versuchter schwerer Raub in Tateinheit mit

gefährlicher Körperverletzung).

Le Tribunal régional inflige à Poerschke trois ans de réclusion.  Il

tient compte de ce que le requérant, décrit par l'expert comme un

psychopathe sans grande volonté (Psychopath ohne Krankheitswert;

haltlos und willensschwach), avait bu de l'alcool (2,1 o/oo) avant de

commettre l'infraction (d'où applicabilité de l'article 52 paragraphe

2 du Code pénal).  Le Tribunal prend aussi en considération la

circonstance, aggravante, que Poerschke avait déjà subi plusieurs

condamnations pour des crimes analogues.

La durée de la détention préventive n'est déduite de celle de la peine

qu'à raison de 18 mois sur un peu plus de 20.  Le Tribunal s'en

explique en ces termes:

"La durée de la détention préventive, dans la mesure où elle n'a pas

été imputée (angerechnet), a pour cause (verschuldet) les lettres et

requêtes insensées de l'accusé lui-même et les transferts de dossier

qu'elles ont nécessités."

Le requérant s'est pourvu en accusation, dans le délai légal, contre

le jugement (Urteil) du 26 octobre 1964.

j)

1er avril 1965 - "Haftbeschwerde" de Poerschke, parvenue au Tribunal

régional de Berlin le 2 avril 1965;  contrairement aux prescriptions

de l'article 306 paragraphe 2 du Code de procédure pénale, elle

n'aurait pas été transmise à la Cour d'Appel (Kammergericht) dans les

trois jours mais n'y serait arrivée que le 8 mai 1965.  Selon Me

Mahler, "la Chambre Criminelle du Tribunal régional était apparemment

préoccupée de confisquer des lettres du requérant qui étaient censées

être diffamatoires;  eu égard à cette préoccupation, le Tribunal

régional n'est pas parvenu à satisfaire à la loi ...".

14 mai 1965 - La Cour d'Appel (Kammergericht) de Berlin rejette la

Haftbeschwerde du 1er avril 1965 (motifs: danger de fuite du requérant

qui devra encore subir 18 mois de réclusion si son pourvoi en cassation

est rejeté;  absence de relations stables du requérant à Berlin;  le

requérant a indiqué lui-même le 26 octobre 1964, qu'en cas de

condamnation il vivrait à l'avenir comme un criminel).

k)

25 mai 1965 - La 5ème Chambre Criminelle (5. Strafsenat) de la Cour

fédérale de Justice casse in toto le jugement du 26 octobre 1964 et

renvoie l'affaire, pour nouvel examen et décision, à une autre Grande

Chambre Criminelle du Tribunal régional de Berlin.  Elle constate en

effet que le Tribunal régional, au lieu d'accorder à Poerschke "le

dernier mot", a eu le tort de lui enjoindre de "respecter la vérité",

faute de quoi "la parole lui serait retirée".

l)

Au printemps 1965 - Le requérant se trouvait donc toujours en détention

préventive; aussi son conseil a-t-il demandé par des lettres des 15

mars 1965 et 30 juin 1965, l'examen prioritaire de la requête (article

38 du règlement intérieur).

Considérant que les griefs de Poerschke peuvent se résumer ainsi:

Le requérant se plaint, en premier lieu, de la durée de sa détention

préventive;  estimant n'avoir pas été "jugé dans un délai raisonnable",

il relève qu'il n'a pas non plus été "libéré pendant la procédure"

(article 5 paragraphe 3 de la Convention) (voir plus loin).

Poerschke allègue en outre la violation:

- de l'article 3 de la Convention, car le fait d'avoir subi, avant les

débats de première instance, 20 mois de détention préventive "sans

nécessité pratique" constituerait un "traitement inhumain";

- de l'article 6 paragraphe 2: à en croire le requérant, le Président

de la Chambre Criminelle aurait fixé, en janvier 1964, une date

d'audience beaucoup plus rapprochée que le 7 juillet 1964 s'il n'avait

pas été convaincu par avance de la culpabilité de l'accusé;

- de l'article 8: le requérant aurait été victime d'entraves

injustifiées à sa correspondance privée;  de plus, certaines de ses

requêtes auraient été confisquées, d'autres n'auraient reçu aucune

suite (cf. supra, passim).

Le conseil du requérant ne semble pas avoir intégralement maintenu ce

dernier grief: dans son mémoire du 15 mars 1965 (pages 4, 7, 8, 9 et

19) et sa lettre du 30 juin 1965 (page 2), Me Mahler se borne à exposer

que la non-transmission de plusieurs requêtes dans le délai légal de

trois jours, ainsi que le classement des recours hiérarchiques des 10

janvier et 14 février 1964, représentent, de la part du Président de

la Chambre, une violation manifeste de la loi et un déni de justice.

En ce qui concerne la durée de sa détention préventive, le requérant

avance la thèse suivante:

a) Le Tribunal régional de Berlin aurait indûment tardé à confier à un

expert le soin d'étudier la question de savoir si Poerschke était

pénalement responsable de ses actes au moment de leur commission.

Dès le jour de l'arrestation (9 février 1963), en effet l'officier de

police chargé de l'enquête aurait versé au dossier l'annotation que

voici:

"Quant à la personnalité de Poerschke, il est connu que celui-ci a été

libéré, le 19 novembre 1962, de la maison de santé de Bonnhof où, après

avoir tenté de se suicider, il avait subi une cure de désintoxication

(Trinkentziehungskur).  Il est également connu qu'un accident de

voiture lui a valu, il y a quelques années une double fracture du crâne

et une lésion (Quetschung) du cerveau.  Depuis lors, il lui arrive de

souffrir de troubles de la mémoire lorsqu'il a bu de l'alcool en dépit

des conseils médicaux."

De même, on aurait consigné au dossier, à l'époque, une mention selon

laquelle le requérant avait déclaré à la police ne plus se souvenir de

ses actes et ignorer la raison de son arrestation.

Poerschke en déduit que le Parquet aurait dû demander, une expertise

dès le stade de l'enquête (Ermittlungsverfahren).  A ses yeux, en tout

cas, le Tribunal aurait dû prendre cette mesure aussitôt après

l'établissement de l'acte d'accusation, en vue de la préparation de

l'audience: l'ajournement des débats, prononcé le 8 août 1963, eût

ainsi été évité.

b) Le requérant reproche aussi au Tribunal régional de non pas avoir

fixé l'audience, après le dépôt de l'acte d'accusation (15 mars 1963),

à une date plus rapprochée que le 8 août 1963: à l'en croire, l'enquête

avait été simple - la police avait interrogé les témoins immédiatement

après l'arrestation - et n'avait duré que cinq semaines.  Quant à

l'argument suivant lequel le Tribunal était débordé de travail, il ne

justifierait point un délai de presque six mois entre la mise en

accusation et l'audience: l'idée de "Rechtsstaat" exigerait des

sacrifices supplémentaires, et d'ailleurs il n'aurait existé aucune

impossibilité matérielle.

c) En troisième lieu, Poerschke s'étonne de ce que le Tribunal régional

de Berlin n'ait pas confié l'expertise, le 8 août 1963, à une personne

autre que le Dr. Sprengler puisque ce dernier était en vacances jusqu'à

la mi-octobre.  Il affirme que plus de cinquante experts, compétents

en la matière, se trouvaient alors à Berlin à la disposition de la

justice.  A son avis, pareille accélération de la procédure s'imposait

en l'espèce: si une expertise n'avait pas été décidée antérieurement

la "faute" en incombait au Ministère Public (Strafverfolgungsorgane);

en outre, l'expertise aurait pu être établie avant octobre et

l'audience se tenir avant la fin de 1963.

d) Le requérant estime qu'il aurait fallu, pour les mêmes raisons, le

mettre en liberté provisoire à partir du 8 août 1963.  Il invoque à ce

sujet, en sus de l'article 5 paragraphe 3 de la Convention, la notion

de "Rechtsstaat": dans certains cas, le droit de l'individu primerait

l'intérêt de la collectivité.

e) Toujours selon Poerschke, le Tribunal régional de Berlin aurait dû,

après réception du rapport d'expertise (janvier 1964), fixer les débats

à une date beaucoup plus rapprochée que le 7 juillet 1964.

Dans sa lettre du 15 mars 1965 (pages 11 et 18), Me Mahler écrit à ce

propos:

"Es ist tief bedauerlich und zugleich alarmierend, dass eine derartige

Entscheidung eines Strafkammervorsitzenden überhaupt möglich ist.  Wenn

bei einer derartigen Verfahrensgestaltung die betroffenen Angeklagten

ausfällig werden und die beteiligten Richter der vorsätzlichen

Rechtsbeugung beschuldigen, so ist das eine durchaus verständliche

Reaktion."

f) Le requérant allègue enfin que ni l'empêchement du Dr. Sprengler,

ni les vacances du témoin Jokiel ne constituaient des motifs suffisants

pour justifier l'ajournement de l'audience du 7 juillet 1964.

En résumé, Poerschke souligne qu'il est resté vingt mois en détention

préventive avant que son affaire fût examinée pour la première fois par

un tribunal;  d'après lui, aucune raison valable ne saurait expliquer

ce fait.

Me Mahler considère que son client a épuisé les voies de recours

internes dont il disposait pour se plaindre de la durée de sa détention

préventive (cf. les "Haftsbeschwerden" susmentionnées);  il se réfère,

à cet égard, à la décision de la Commission sur la recevabilité de la

requête No 2122/64 (Wemhoff c/République Fédérale d'Allemagne).

Le requérant aurait également respecté le délai de six mois prévu à

l'article 26 in fine de la Convention: il a saisi la Commission le 14

novembre 1963, soit dix jours après l'arrêt que le Kammergericht a

rendu le 4 novembre 1963.

Tout en protestant de son innocence, Poerscke ne formule pas clairement

l'objet de sa demande;  son conseil ne fournit pas non plus de

précisions sur ce point.

Historique de la procédure

Considérant que la procédure suivie à ce jour devant la Commission peut

se résumer ainsi:

1. A la demande de Me Mahler, le Président de la Commission a ordonné,

le 25 juin 1965, que la requête fût traitée par priorité (article 38

du Règlement intérieur).

2. En exécution de cette ordonnance, la requête a été soumise, le 9

juillet 1965, à une groupe de trois membres de la Commission, "aux fins

d'examen préalable de sa recevabilité" (article 45 paragraphe 1 du

Règlement intérieur).  Ledit groupe a été unanime à estimer que la

requête semblait recevable (article 45 paragraphe 2 du Règlement

intérieur).

3. En conséquence, le Président de la Commission, par une ordonnance

du 12 juillet 1965, a chargé le Secrétaire de la Commission de donner

connaissance de la requête au Gouvernement défendeur et d'inviter

celui-ci à présenter à la Commission, avant le 7 septembre 1965, ses

observations écrites sur la recevabilité de la requête (article 45

paragraphe 2 in fine du Règlement intérieur).

4. Le 18 août 1965, le Gouvernement défendeur a demandé que ce délai

fût prorogé de huit semaines.  Il a fait valoir, en ce sens, qu'il lui

fallait entreprendre des recherches nombreuses et longues et que

l'affaire avait perdu de son urgence, le requérant ayant été mis en

liberté provisoire par une décision du Tribunal régional de Berlin, le

9 juillet 1965 ("... wird unter Aufrechterhaltung des Haftbefehls ...

vom 10. Februar 1963 ... mit dem Vollzug der Untersuchungshaft

verschont" - zweimal wöchentlich Meldepflicht, etc.).

Le Président a prolongé d'un mois ledit délai, en soulignant que la

Commission voulait examiner la requête avant la fin de l'année en

cours.

5. Le Gouvernement défendeur a présenté ses observations le 7 octobre

1965 (Document DH/Misc. (65) 55). Il y a signalé, in fine, qu'une

audience aurait lieu dans cette affaire les 19 et 23 novembre 1965,

devant le Tribunal régional de Berlin. Il a suggéré à la Commission de

surseoir à statuer jusqu'à ce que le résultat de cette audience fût

connu. Les 8 octobre et 3 décembre 1965. Le Gouvernement défendeur a

avisé le Secrétaire de la Commission qu'il produirait, le cas échéant,

un mémoire complémentaire après l'audience susmentionnée.

6. Les observations du Gouvernement fédéral ont été communiquée: au

conseil du requérant le 8 octobre 1965, avec prière d'y répondre dans

un délai de quatre semaines.

La réplique de Me Mahler (Document D 9956) est parvenue au Secrétaire

de la Commission le 18 novembre 1965. Par une lettre du 30 novembre

1965, Me Mahler a informé le Secrétaire du résultat provisoire de

l'audience du 29 novembre 1965: le requérant aurait été condamné à une

peine de 18 mois de travaux forcés (Zuchthaus), plus 9 mois de prison;

à sa demande, Me Mahler aurait formé un pourvoi en cassation (Revision)

qui demeurerait pendant à l'heure actuelle.

7. Les observations du Gouvernement défendeur et la réplique du Conseil

de Poerschke ont été soumises à un "groupe de trois" le 9 décembre

1965.  Sur la base du rapport dudit groupe, la Commission a repris

l'examen de la recevabilité de la requête le 17 décembre 1965.

EN DROIT

Considérant que dans ses premiers envois à la Commission, rédigés par

lui-même, le requérant invoquait entre autres les articles 3, 8 et 6

paragraphe 2 (art. 3, 6-2, 8) de la Convention;

Considérant que le conseil de Poerschke n'a pas entièrement maintenu

ces griefs dans son mémoire du 15 mars 1965 (cf. supra);

Considérant que ni le Gouvernement défendeur dans ses observations

écrites sur la recevabilité de la requête (Document DH/Misc (65) 55),

ni Me Mahler dans sa réplique (Document D 9956), n'ont directement

abordé ces allégations particulières du requérant;  qu'ils se sont

presque exclusivement attachés aux griefs principaux du requérant,

relatifs à la durée de sa détention préventive et à la longueur de son

procès (article 5 paragraphe 3 (art. 5-3) de la Convention);

Considérant qu'il y a lieu de statuer d'ores et déjà sur la

recevabilité desdites allégations, que le requérant ne semble pas avoir

entendu retirer;

Considérant tout d'abord, pour autant que le requérant voit dans la

durée de sa détention préventive, outre une violation de l'article 5

paragraphe 3 (art. 5-3)(cf. le dernier "considérant" de la présente

décision) un "traitement inhumain" contraire à l'article 3 (art. 3) de

la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés

fondamentales, que l'examen du dossier ne permet de dégager, en l'état,

aucune apparence de manquement aux exigences de cet article;  que la

requête est donc, à cet égard, manifestement mal fondée au sens de

l'article 27 paragraphe 2 (art. 27-2);

Considérant d'autre part, pour autant que le requérant se plaint de

plusieurs atteintes au respect de sa correspondance privée (article 8

(art. 8) de la Convention), que la Commission, aux termes de l'article

26 (art. 26) de la Convention, "ne peut être saisie qu'après

l'épuisement des voies de recours internes, tel qu'il est entendu selon

les principes de droit international généralement reconnus ...";  que

le requérant dans la mesure où il a formulé devant la justice allemande

ses griefs en la matière, ne semble pas avoir interjeté appel contre

les décisions (Beschlüsse) portant confiscation de certaines de ses

lettres, et notamment d'une lettre destinée à la rédaction de la

"Berliner Zeitung" (Beschluss du 22 avril 1964 - cf. la lettre adressée

par Poerschke au Secrétaire de la Commission le 4 juin 1964); qu'à tout

le moins, il ne prouve pas qu'il ait exercé les recours dont il

disposait à ce sujet;  qu'en outre, la Commission n'aperçoit aucune

circonstance particulière qui ait pu dispenser Poerschke, selon les

principes de droit international généralement reconnus, d'épuiser

lesdits recours; qu'il s'ensuit que la requête, à cet égard, ne remplit

pas l'une des conditions de recevabilité définies à l'article 26

(art. 26) de la Convention (cf. aussi l'article 27 paragraphe 3

(art. 27-3));

Considérant en troisième lieu, quant à la violation prétendue de

l'article 6 paragraphe 2 (art. 6-2) de la Convention, que le requérant

estime que le Président de la 11ème Chambre Criminelle du Tribunal

régional de Berlin aurait fixé, en janvier 1964, une date d'audience

beaucoup plus rapprochée que le 7 juillet 1964 s'il n'avait pas été

convaincu par avance de la culpabilité de l'accusé;

Que le Gouvernement défendeur fait valoir, sur ce point, qu'"il n'y a

pas d'indice pour admettre que le Président de la Chambre était

convaincu de la culpabilité de l'accusé avant même l'ouverture des

débats" (Document DH/Misc (65) 55, page 9);

Que Me Mahler a répondu ce qui suit:

"... (En principe) aucun citoyen ne peut être privé de sa liberté sans

qu'un jugement définitif ait été prononcé à cet effet par un tribunal

... La détermination du 'délai raisonnable' (prévu à l'article 5

paragraphe 3 (art. 5-3)) ne peut ... dépendre ni du délai requis pour

l'instruction, ni de la gravité de la peine à prévoir ... Une privation

de liberté de plusieurs années ne doit pas être imposée à un citoyen,

qui peut être innocent, dans le seul but d'assurer à l'Etat un droit

éventuel à la répression ...

"Compte tenu de l'article 6 paragraphe 2 (art. 6-2) de la Convention

..., ce principe ne doit pas faire l'objet d'une restriction fondée sur

le montant de la peine à prévoir; dans le cas contraire, la présomption

d'innocence ancrée dans cette disposition serait, en effet, privée de

tout contenu. Le montant de la peine ne peut pas être déterminé avant

que la procédure pénale ait été achevée par un jugement définitif.

Même s'il existe, d'après le contenu du dossier, une très forte

présomption de culpabilité, il faut compter avec la possibilité d'un

acquittement. La question de l'admissibilité de la détention préventive

doit donc toujours et exclusivement être examinée en tenant compte du

fait que, conformément à l'article 6 paragraphe 2 (art. 6-2) de la

Convention, toute personne est présumée innocente jusqu'à ce que sa

culpabilité ait été légalement établie. La durée de la détention

préventive ne doit en aucun cas être justifiée par la possibilité d'une

condamnation à une peine d'emprisonnement."(Document D 9956, pages 7

et 8);

Qu'il appert, cependant, que cette argumentation du conseil du

requérant concerne au premier chef la durée, en tant que telle, de

toute détention préventive;  que ni Poerschke, ni Me Mahler n'ont

fourni d'éléments concrets donnant à penser que le Président de la

11ème Chambre Criminelle du Tribunal régional de Berlin a tenu l'accusé

pour coupable dès avant l'ouverture de l'audience;  qu'il en résulte

que la requête, ici encore, est manifestement mal fondée au sens de

l'article 27 paragraphe 2 (art. 27-2) de la Convention;

Considérant enfin que la Commission, avant de se prononcer sur la

recevabilité d'une requête, peut "inviter les parties à lui donner des

explications orales" (article 46 paragraphe 1 in fine du Règlement

intérieur);  qu'elle estime devoir user de cette faculté pour le

restant de la requête, qui a trait à la durée de la détention

préventive de Poerschke, à la longueur du procès litigieux et au sort

de certaines requêtes que l'intéressé a adressées aux autorités

judiciaires pendant sa détention et au sujet de celle-ci (traitement

"dilatoire" ou classement pur et simple) que, sur ce dernier point, le

requérant a invoqué l'article 8 (art. 8) de la Convention et non

l'article 13 (art. 13);  que la Commission n'en recherchera pas moins,

d'office, s'il existe ou non en l'espèce une apparence de violation du

second de ces textes, seul pertinent sur ce point;

Par ces motifs,

1. - Ajourne, dans l'attente des explications orales du requérant et

du Gouvernement défendeur, sa décision sur la recevabilité des griefs

visés au "considérant" qui précède.

2. - Déclare irrecevable le restant de la requête.

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires

Textes cités dans la décision

  1. CODE PENAL
  2. Code de procédure pénale
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
CEDH, Commission, POERSCHKE c. la REPUBLIQUE FEDERALE D'ALLEMAGNE, 17 décembre 1965, 2120/64