CEDH, Commission (deuxième chambre), PINTO FERREIRA c. le PORTUGAL, 2 mars 1994, 21145/93
Chronologie de l’affaire
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Sur la décision
Référence : | CEDH, Commission (Deuxième Chambre), 2 mars 1994, n° 21145/93 |
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Numéro(s) : | 21145/93 |
Type de document : | Recevabilité |
Date d’introduction : | 9 novembre 1992 |
Niveau d’importance : | Importance faible |
Opinion(s) séparée(s) : | Non |
Conclusion : | partiellement irrecevable |
Identifiant HUDOC : | 001-27289 |
Identifiant européen : | ECLI:CE:ECHR:1994:0302DEC002114593 |
Texte intégral
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête No 21145/93
présentée par Manuel PINTO FERREIRA
contre le Portugal
La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième Chambre),
siégeant en chambre du conseil le 2 mars 1994 en présence de
MM. S. TRECHSEL, Président
H. DANELIUS
G. JÖRUNDSSON
J.-C. SOYER
H.G. SCHERMERS
F. MARTINEZ
L. LOUCAIDES
J.-C. GEUS
M.A. NOWICKI
I. CABRAL BARRETO
J. MUCHA
D. SVÁBY
M. K. ROGGE, Secrétaire de la Chambre ;
Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme
et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 9 novembre 1992 par Manuel PINTO
FERREIRA contre le Portugal et enregistrée le 14 janvier 1993 sous le No
de dossier 21145/93 ;
Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la
Commission ;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant est un ressortissant portugais né en 1956. Il était
officier de police et est à présent détenu à l'établissement
pénitentiaire de Santa Cruz do Bispo, à Matosinhos (Portugal).
Les faits, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se
résumer comme suit.
Le 3 octobre 1988, M. J.R. déposa plainte auprès de la Garde
nationale républicaine (Guarda Nacional Republicana - GNR) de Marco de
Canaveses et déclara avoir été victime d'un crime d'atteinte volontaire
à un bien mobilier (sa voiture) appartenant à autrui. Il indiqua comme
suspect le requérant.
Le jour même, une information judiciaire fut ouverte et un officier
de la GNR procéda à des investigations. Par la suite, un mandat de
perquisition fut délivré par le juge du tribunal de Marco de Canaveses.
Dans ce but, le juge, accompagné par le procureur et par des officiers
de la GNR, se déplaça au domicile du requérant. Toutefois, le requérant
ne se trouvant pas à son domicile, le juge décida d'ajourner la
perquisition au lendemain.
La perquisition eut lieu le 4 octobre 1988, sous la direction du
juge et sans la présence du requérant, qui ne se trouvait pas chez lui.
La perquisition fut ainsi signifiée à une voisine du requérant, aux
termes de l'article 176 par. 2 du Code de procédure pénale. Suite à la
perquisition, le juge ordonna la saisie de certains objets, lesquels
auraient été utilisés pour commettre l'infraction en cause. Ainsi, furent
saisis notamment quelques flacons contenant de l'acide sulfurique, des
chaussures et des pinceaux et couteaux.
A une date qui n'a pas été précisée, le dossier fut transmis au
tribunal de grande instance (tribunal de círculo) de Penafiel, compétent
pour procéder au jugement.
Le tribunal rendit son jugement le 22 mars 1990. Il jugea le
requérant coupable d'un crime d'atteinte volontaire à un bien mobilier
appartenant à autrui et, compte tenu de la volonté de nuire démontré par
le requérant, condamna ce dernier à la peine de quatre ans de prison
ferme et au versement d'une indemnité de 321.944 Escudos à M. J.R. au
titre de dommages et intérêts. Le requérant fut également condamné à la
peine de démission des forces de police.
Le requérant interjeta un recours devant la Cour suprême (Supremo
Tribunal de Justiça) contre ce jugement le jour même de son prononcé.
Dans son mémoire, il alléguait que la perquisition et la saisie étaient
entachées de nullité. Il soutenait également que les dispositions du
nouveau Code de procédure pénale prévoyant l'obligation pour l'accusé de
faire appel du jugement de la première instance directement devant la
Cour suprême étaient contraires au principe du double degré de
juridiction énoncé à l'article 32 par. 1 de la Constitution.
La Cour suprême rendit son arrêt le 14 novembre 1990. Elle considéra
que ni la perquisition ni la saisie n'étaient entachées de nullité
puisque effectuées conformément à la loi. Estimant d'autre part que les
dispositions du Code de procédure pénale en cause n'étaient pas
contraires à la Constitution, la Cour suprême confirma le jugement de
première instance en ce qui concernait les peines appliquées au
requérant. Enfin, la Cour déclara la perte en faveur de l'Etat des biens
du requérant qui avaient fait l'objet de la saisie du 4 octobre 1988.
Le requérant interjeta alors un recours devant le tribunal
constitutionnel portant sur les dispositions du Code de procédure pénale
en cause.
Le tribunal constitutionnel rejeta le recours par arrêt du
28 octobre 1992.
Le requérant fut incarcéré le 2 février 1993 à l'établissement
pénitentiaire de Sta. Cruz do Bispo à Matosinhos.
Le requérant prétend que toute la correspondance qu'il veut envoyer
doit d'abord être vérifiée par un fonctionnaire de l'établissement
pénitentiaire. Par ailleurs, le 4 mai 1993, une lettre que le requérant
voulait faire parvenir au quotidien "Jornal de Notícias" aurait été
interceptée par les services de l'établissement et n'aurait pas été
envoyée.
Enfin, deux lettres envoyées par des amis du requérant, datées des
22 février 1993 et 31 mai 1993, lui seraient parvenues décachetées.
GRIEFS
1. Le requérant se plaint d'abord de ce que la perquisition effectuée
le 4 octobre 1988 a violé le droit au respect de sa vie privée et de son
domicile. Il invoque l'article 8 de la Convention.
2. Il se plaint d'autre part de ce que la saisie effectuée le même
jour, suite à laquelle il a été privé de ses biens, a violé le droit au
respect de ses biens au sens de l'article 1 du Protocole N° 1.
3. Le requérant se plaint également de ce que sa privation de liberté
a été contraire à l'article 5 de la Convention. Il invoque à cet égard
l'article 5 par. 1 et 5.
4. Dans une lettre envoyée le 11 mars 1993, le requérant se plaint
également d'une ingérence dans le droit au respect de sa correspondance
par les autorités pénitentiaires, contraire à l'article 8 de la
Convention. Par lettre du 26 novembre 1993, le requérant a précisé, sur
demande du Secrétariat de la Commission, les griefs portant sur le
respect de sa correspondance.
5. Enfin, dans une lettre envoyée le 26 août 1993, le requérant se
plaint de ce que la peine de démission qui lui a été appliquée par les
juridictions portugaises a constitué une ingérence dans sa vie privée
contraire à l'article 8.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint de ce que la perquisition effectuée à son
domicile le 4 octobre 1988 a violé le droit au respect de sa vie privée
et de son domicile. Il invoque l'article 8 (art. 8) de la Convention qui
stipule :
"1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale,
de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans
l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est
prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une
société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la
sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de
l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection
de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et
libertés d'autrui."
La Commission constate que l'ingérence en question dans les droits
du requérant était une perquisition effectuée par mandat du juge et qui
s'est déroulée sous sa direction. Cette mesure des autorités a constitué
indéniablement une ingérence dans l'exercice des droits du requérant au
respect de sa "vie privée" et de son "domicile" (voir Cour Eur. D.H.,
arrêt Funke du 25 février 1993, à paraître dans série A n° 256-A, par.
48).
Il échet dès lors de rechercher si l'ingérence litigieuse
remplissait les conditions du paragraphe 2 (art. 8-2) de cette
disposition de la Convention.
Or, la Commission constate que la perquisition en cause était prévue
par la loi puisque effectuée aux termes de l'article 176 par. 2 du Code
de procédure pénale. La Commission relève ensuite que la perquisition
litigieuse visait manifestement la prévention des infractions pénales.
Le but en est légitime et la manière comme la mesure litigieuse a été
effectuée n'apparaît pas en l'espèce comme disproportionnée ou
déraisonnable. La Commission relève à cet égard que la perquisition a
été effectuée suite à un mandat judiciaire et sous la direction d'un
juge.
Il n'y a donc aucune apparence de violation de la disposition
invoquée par le requérant. Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal
fondé au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
2. Le requérant se plaint également de ce que la saisie effectuée le
4 octobre 1988, suite à laquelle il a été privé de ses biens, a violé le
droit au respect de ses biens au sens de l'article 1 du Protocole N° 1
(P1-1). Cette disposition est ainsi libellée :
"Toute personne ... a droit au respect de ses biens. Nul ne peut
être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans
les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit
international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que
possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent
nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à
l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres
contributions ou des amendes."
La Commission constate que les juridictions portugaises ont ordonné
la perte en faveur de l'Etat des biens du requérant en raison du fait que
les objets en cause avaient été utilisés pour commettre une infraction.
Cette confiscation, tout en entraînant, il est vrai, une privation
de propriété, doit s'analyser comme une réglementation de l'usage des
biens, découlant donc du second alinéa de l'article 1 du Protocole N° 1
(P1-1) (cf. Cour Eur. D.H., arrêt Agosi du 24 octobre 1986, série A n°
108, p. 17, par. 51).
Cet alinéa laisse aux Etats une grande marge d'appréciation pour
mettre en oeuvre "les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer
l'usage des biens conformément à l'intérêt général".
En cette matière, l'intérêt général de la communauté est celui
d'assurer dans les meilleures conditions la répression des infractions
pénales.
Or, de l'avis de la Commission, rien ne permet de dire que la saisie
des biens du requérant ait été opérée d'une manière arbitraire ou
disproportionnée de façon à rompre l'équilibre qui doit exister entre les
exigences de l'intérêt général et l'intérêt de l'individu concerné.
Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé au sens de
l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
3. Le requérant se plaint également de ce que sa privation de liberté
a été contraire à l'article 5 (art. 5) de la Convention. Il invoque les
paragraphes 1 et 5 (art. 5-1, 5-5) de cette disposition.
La Commission se borne à constater que le requérant a été incarcéré
suite à l'arrêt du tribunal constitutionnel du 28 octobre 1992, avec
lequel le jugement de condamnation est devenu définitif.
Le requérant a donc été privé de sa liberté aux termes de l'article
5 par. 1 a) (art. 5-1-a) de la Convention "... après condamnation par un
tribunal compétent." Il n'y a par conséquent aucune apparence de
violation de cette disposition de la Convention ou de son article 5 par.
5 (art. 5-5).
Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal
fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
4. Dans une lettre envoyée le 11 mars 1993, le requérant se plaint
d'une ingérence dans le droit au respect de sa correspondance par les
autorités pénitentiaires, contraire à l'article 8 (art. 8) de la
Convention.
En l'état actuel du dossier, la Commission estime ne pas être en
mesure de se prononcer sur la recevabilité de ce grief et juge nécessaire
de porter cette partie de la requête à la connaissance du Gouvernement
portugais par application de l'article 48 par. 2 b) de son Règlement
intérieur.
5. Enfin, dans une lettre envoyée le 26 août 1993, le requérant se
plaint de ce que la peine de démission qui lui a été appliquée par les
juridictions portugaises a constitué une ingérence dans sa vie privée
contraire à l'article 8 (art. 8) de la Convention.
La Commission rappelle à cet égard que pour tout grief non contenu
dans la requête proprement dite, le cours du délai de six mois prévu par
l'article 26 (art. 26) de la Convention n'est interrompu que le jour où
ce grief est articulé pour la première fois devant la Commission (cf. N°
10293/83, déc. 12.12.85, D.R. 45 p. 41).
La décision interne définitive à cet égard étant celle qui a été
rendue par le tribunal constitutionnel le 28 octobre 1992, et le présent
grief ayant été articulé pour la première fois devant la Commission le
26 août 1993, il s'ensuit que la requête est sur ce point frappée de
tardiveté et doit donc être rejetée conformément à l'article 27 par. 3
(art. 27-3) de la Convention.
Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité,
AJOURNE l'examen du grief du requérant portant sur le respect de
sa correspondance ;
DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE pour le surplus.
Le Secrétaire Le Président
de la Deuxième Chambre de la Deuxième Chambre
(K. ROGGE) (S. TRECHSEL)
Textes cités dans la décision