CEDH, Commission (plénière), TOUVIER c. la FRANCE, 13 janvier 1997, 29420/95

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Commission (Plénière), 13 janv. 1997, n° 29420/95
Numéro(s) : 29420/95
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 30 novembre 1995
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt Asch du 26 avril 1991, série A n° 203, p. 10, par. 25
Arrêt Barbera, Messegué et Jabardo du 6 décembre 1988, série A n° 146, p. 31, par. 68
Arrêt Beaumartin du 24 novembre 1994, série A n° 296-B, p. 63, par. 38
Arrêt Bricmont du 7 juillet 1989, série A n° 158, p. 31, par. 89
Arrêt Delta du 19 décembre 1990, série A n° 191, p. 15, par. 35
Cour Eur. D.H. Arrêt Engel et autres du 8 juin 1976, série A n° 22, pp. 38-39, par. 91
Arrêt Funke du 25 février 1993, série A n° 254-A, p. 22, par. 44
Arrêt Murray du 8 février 1996, recueil 1996
Arrêt Vidal du 22 avril 1992, série A n° 235-B, pp. 32-33, par. 33
Références à des textes internationaux :
Statut du tribunal militaire international de Nuremberg;Travaux préparatoires de la Convention
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-28405
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1997:0113DEC002942095
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Sur les parties

Texte intégral

                           SUR LA RECEVABILITÉ

                 de la requête N° 29420/95

                 présentée par Paul TOUVIER

                 contre la France

                            __________

      La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre

du conseil le 13 janvier 1997 en présence de

           M.    S. TRECHSEL, Président

           Mme   J. LIDDY

           MM.   E. BUSUTTIL

                 A.S. GÖZÜBÜYÜK

                 A. WEITZEL

                 J.-C. SOYER

                 H. DANELIUS

                 F. MARTINEZ

                 L. LOUCAIDES

                 J.-C. GEUS

                 M.A. NOWICKI

                 I. CABRAL BARRETO

                 B. CONFORTI

                 N. BRATZA

                 I. BÉKÉS

                 J. MUCHA

                 D. SVÁBY

                 G. RESS

                 A. PERENIC

                 C. BÎRSAN

                 P. LORENZEN

                 K. HERNDL

                 E. BIELIUNAS

                 E.A. ALKEMA

                 M. VILA AMIGÓ

           Mme   M. HION

           M.    H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ;

      Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme

et des Libertés fondamentales ;

      Vu la requête introduite le 30 novembre 1995 par Paul TOUVIER contre

la France et enregistrée le 1er décembre 1995 sous le N° de

dossier 29420/95 ;

      Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la

Commission ;

      Après avoir délibéré,

      Rend la décision suivante :

EN FAIT

      Le requérant, de nationalité française, né en 1915, décédé le

17 juillet 1996, était sans profession et se trouvait emprisonné à la

maison d'arrêt de la Santé. Par lettre du 24 juillet 1996, les héritiers

du requérant, à savoir son épouse, née en 1925, et ses deux enfants, nés

en 1948 et 1950, tous trois de nationalité française et résidant à Paris,

ont exprimé leur intention de poursuivre la requête. Devant la

Commission, le requérant et ses héritiers sont représentés par Maître

Jacques Trémolet de Villers, avocat au barreau de Paris.

      Les faits, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se

résumer comme suit.

      Pendant la seconde guerre mondiale, le requérant fut chef

départemental, puis chef régional du Deuxième service de la milice

française à Lyon, de novembre 1943 à la fin du mois d'août 1944. A la fin

de la guerre, le requérant prit la fuite.

      Par arrêt du 10 septembre 1946, la Cour de justice de Lyon condamna

le requérant, par contumace, à la peine de mort, confiscation des biens

et dégradation nationale pour trahison.

      Par arrêt du 4 mars 1947, la Cour de justice de Chambéry  condamna

également le requérant, par contumace, à la peine de mort, confiscation

des biens et dégradation nationale pour intelligences avec l'ennemi.

      Le 3 juillet 1947, le requérant fut arrêté à Paris. Il parvint à

s'échapper le 9 juillet 1947.

      Une loi n° 64-1326 du 26 décembre 1964 constata, par un article

unique, en se référant notamment au Statut du tribunal international de

Nuremberg annexé à l'accord interallié du 8 août 1945, que les crimes

contre l'humanité étaient imprescriptibles.

      Concernant les condamnations de 1946 et 1947, la prescription de la

peine de mort fut acquise au bout de vingt ans, mais les autres peines

restèrent en vigueur, par application des dispositions du Code pénal.

      Le requérant déposa une demande de grâce présidentielle, dans

laquelle il aurait partiellement reconnu sa responsabilité. Un

rapporteur émit un avis négatif, rappelant la participation du requérant

au massacre de Rillieux : sept personnes, dont six d'origine juive et une

non identifiée, furent fusillées le 29 juin 1944 par des "francs-gardes",

unité de la milice française du Rhône placée sous la direction du

requérant, agissant lui-même sur instigation du "commandeur" Knab, chef

de la Gestapo, à la suite de l'assassinat de Philippe Henriot, ministre

et membre de la milice, par des agents de la France Libre.

      Par décret en date du 23 novembre 1971, le Président de la

République accorda la grâce au requérant concernant les peines

d'interdiction de séjour et de confiscation des biens auxquelles il était

soumis en raison des condamnations de 1946, 1947 et d'autres

condamnations ultérieures pour vol et tentative de vol. Les dégradations

civiles furent maintenues. Cette mesure de grâce sera fortement

critiquée, notamment par des personnalités politiques ou judiciaires.

      Le 5 juin 1972, l'hebdomadaire "L'EXPRESS" publia un article

intitulé : "L'EXPRESS a retrouvé le bourreau de Lyon". Cette publication

fut suivie par tous les médias nationaux, qui traitèrent notamment le

requérant d'"aide-bourreau de l'occupant nazi", "assassin", "tortionnaire

de la gestapo", "bourreau des juifs de Lyon", "criminel de guerre, qui

faisait du racisme la motivation de ses crimes sadiques et de ses

pillages cupides". Ayant reçu des menaces de mort, le requérant se

réfugia dans un monastère.

      Le 9 février 1973, l'hebdomadaire "Tribune Juive" lança un appel à

témoins aux victimes de la milice de Lyon en publiant une photo du

requérant.

      Les 9 novembre 1973, un juge d'instruction de Lyon reçut la plainte

avec constitution de partie civile, pour crime contre l'humanité, de

R.E., laquelle accusait le requérant d'avoir commis un attentat contre

une synagogue à Lyon en 1943, et de G.G., fils de l'une des victimes de

Rillieux.

      Le 27 mars 1974, un juge d'instruction de Chambéry reçut les

plaintes avec constitution de partie civile de A.M.-R., J.L.-A., G.C. et

R.N., pour crime contre l'humanité.

      Les deux juges d'instruction rendirent des ordonnances

d'incompétence, qui furent confirmées par les chambres d'accusation des

cours d'appel de Lyon et de Chambéry les 30 mai et 11 juillet 1974.

      Par trois arrêts du 6 février 1975, la Cour de cassation cassa les

arrêts aux motifs qu'il appartenait aux juges de vérifier si les faits

invoqués constituaient ou non des crimes contre l'humanité, lesquels ne

relèvent pas de juridictions spéciales et dont les éléments constitutifs

sont différents des crimes de guerre ou d'intelligence avec l'ennemi.

Elle renvoya les affaires devant la cour d'appel de Paris.

      Par plusieurs arrêts du 27 octobre 1975, la cour d'appel de Paris

infirma les ordonnances d'incompétence pour instruire, mais considéra que

la prescription de l'action publique était acquise pour les faits

criminels dénoncés et déclara les parties civiles irrecevables.

      Par arrêt du 30 juin 1976, la Cour de cassation cassa ces arrêts aux

motifs notamment qu'il appartenait à la chambre d'accusation de

déterminer, au vu des conventions internationales, notamment des articles

7 et 60 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, si l'auteur

présumé d'un crime contre l'humanité pouvait bénéficier de la

prescription de l'action publique. Elle renvoya l'affaire devant la

chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris autrement composée.

      Par trois arrêts du 17 décembre 1976, la chambre d'accusation de la

cour d'appel de Paris interrogea le ministre des Affaires étrangères pour

interprétation des conventions internationales, afin de se faire préciser

les points suivants :

      "1°- Le principe de l'imprescriptibilité des crimes contre

      l'humanité doit-il être considéré comme se déduisant ou non

      des dispositions du Statut du tribunal militaire international

      joint en annexe à l'accord interallié du 8 août 1945, qui

      définit en son article 6, lesdits crimes sans prévoir aucune

      limitation dans le temps pour la poursuite et la répression de

      ces infractions ?

      2°- L'article 7 alinéa 2 de la Convention européenne de

      sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales

      publiée par le décret numéro 74.360 du 3 mai 1974 dispose-t-il

      à la fois pour le passé et l'avenir ou seulement pour

      l'avenir ?

      3°- Dans le cas de réponse négative à la question numéro 1,

      l'auteur des crimes dénoncés, à les supposer établis, se

      trouverait-il exclu ou non du bénéfice de la non-rétroactivité

      de la loi pénale en vertu des dispositions de l'article 7

      alinéa 2 de la Convention européenne des Droits de l'Homme et

      des libertés fondamentales visées dans la question 2 ?

      4°- Dans le cas où la Convention européenne des Droits de

      l'Homme et des libertés fondamentales les disposerait à la

      fois pour le passé et pour l'avenir, le droit à l'acquisition

      de la prescription admis par la législation française entre-t-

      il, au regard des dispositions combinées des articles 7 alinéa

      2 et 60 de cette Convention, lorsqu'il s'agit de crime contre

      l'humanité, dans la catégorie des Droits de l'Homme et des

      libertés fondamentales auxquels selon ledit article 60, aucune

      des dispositions de la même convention ne peut porter

      atteinte ?"

      Dans un rapport en date du 15 juin 1979, le ministre des Affaires

étrangères rendit son avis, concluant notamment que :

l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité pouvait se déduire du

Statut du tribunal militaire international de Nuremberg ; que l'article

7 alinéa 2 de la Convention disposait à la fois pour le passé et pour

l'avenir et que les crimes contre l'humanité pouvaient être exclus du

principe de non rétroacitivité de la loi pénale, compte tenu notamment

de la décision de la Commission européenne des Droits de l'Homme du 26

juillet 1957 (Annuaire, Vol. 1, p. 239). Sur la dernière question posée,

le ministre estima qu'il s'agissait "de savoir si un droit à la

prescription des crimes contre l'humanité, à supposer qu'il soit admis

par notre législation, entrerait dans la catégorie des 'droits de l'homme

et des libertés fondamentales' reconnus conformément à nos lois, ne

concerne pas l'interprétation de conventions internationales mais celui

de notre législation. Elle échappe donc à la compétence d'interprétation

du ministre des Affaires étrangères".

      Par trois arrêts du 27 juillet 1979, la chambre d'accusation de la

cour d'appel de Paris, prenant acte des réponses apportées par le

ministre des Affaires étrangères, constata que les crimes contre

l'humanité dénoncés par les parties civiles, à les supposer établis,

n'étaient pas couverts par la prescription. Elle renvoya le dossier à un

juge d'instruction près le tribunal de grande instance de Paris afin de

poursuivre l'information.

      Après qu'un nouveau juge d'instruction eut été désigné, un témoin,

L.G., présent lors du choix des victimes de Rillieux, fut entendu le 22

octobre 1981. Son interrogatoire constituera un fait nouveau pour le

ministère public, justifiant un réquisitoire supplétif et un mandat

d'arrêt à l'encontre du requérant.

      Par arrêt du 17 septembre 1983, la Cour de cassation ordonna le

dessaisissement du juge d'instruction de Lyon au profit de celui de

Paris, concernant une plainte contre le requérant pour crime contre

l'humanité constitué par l'assassinat de V.B. et de son épouse.

L'instruction se poursuivit devant le juge d'instruction près le tribunal

de grande instance de Paris.

      Le 24 mai 1989, le requérant fut arrêté puis inculpé "d'assassinat,

tentatives d'assassinat, arrestations illégales et séquestration de

personnes, crimes contre l'humanité et de crimes contre l'humanité sous

les qualifications d'arrestations arbitraires, séquestrations

arbitraires, arrestations et séquestrations arbitraires, suivies de

tortures corporelles, meurtres avec préméditation et complicité". Il fut

également mis en détention provisoire.

      Par arrêt du 19 octobre 1989, la chambre d'accusation de la cour

d'appel de Paris rejeta une demande de mise en liberté et confirma la

légalité de la détention du requérant, aux motifs qu'il était poursuivi

pour un crime, lequel était imprescriptible compte tenu des termes de la

loi du 26 décembre 1964. A cette occasion, la chambre d'accusation se

livra à sa propre démonstration de la portée de la loi de 1964.

      Par arrêt du 25 janvier 1990, la Cour de cassation refusa la demande

de renvoi de l'affaire devant le juge d'instruction de Lyon dans

l'intérêt d'une bonne administration de la justice.

      Par arrêt du 11 juillet 1991, la chambre d'accusation de la cour

d'appel de Paris fit droit à la demande de mise en liberté présentée par

le requérant et le soumit à plusieurs obligations, dont le versement

d'une caution, dans le cadre d'un contrôle judiciaire.

      Cette décision provoqua des protestations relayées par les médias.

Le 6 janvier 1992, un comité d'historiens remit un rapport, commandé par

le cardinal archevêque de Lyon, révélant les complicités apportées au

requérant par des hommes d'église.

      Par un arrêt du 13 avril 1992 (de 215 pages), la chambre

d'accusation de Paris rendit une décision de non-lieu, soit pour absence

de charges suffisantes, soit, concernant le crime de Rillieux, parce

qu'il ne résultait pas de l'information qu'il constituait, au vu des

circonstances de l'espèce et de la jurisprudence de la Cour de cassation,

un crime contre l'humanité ; les faits se trouvaient dès lors prescrits.

Le contrôle judiciaire prit fin.

      Une vague de protestation suivit cet arrêt, avec notamment des

propos du Président de la République et de certains ministres repris par

la presse. Le procureur général près la cour d'appel de Paris forma un

pourvoi en cassation.

      Par arrêt du 27 novembre 1992, la Cour de cassation cassa l'arrêt

de non-lieu, mais seulement en ses dispositions relatives au drame de

Rillieux, relevant notamment que la cour d'appel ne pouvait, sans se

contredire, écarter la qualification de crime contre l'humanité "tout en

relevant que les faits avaient été commis à l'instigation d'un

responsable de la Gestapo, organisation déclarée criminelle comme

appartenant à un pays ayant pratiqué une politique d'hégémonie

idéologique". Elle renvoya l'affaire devant la chambre d'accusation de

la cour d'appel de Versailles.

      Par arrêt du 2 juin 1993, la chambre d'accusation de la cour d'appel

de Versailles renvoya le requérant devant la cour d'assises du

département des Yvelines, estimant qu'il résultait de l'information des

charges suffisantes contre le requérant de :

      "s'être à Lyon les 28 et 29 juin 1944, sciemment rendu

      complice d'un crime contre l'humanité, d'une part en donnant

      des instructions pour commettre les crimes d'homicides

      volontaires avec préméditation sur les personnes de MM.

      Glaeser, Krzykowski, Schlusseman, Ben Zimra, Zeizig, Prock et

      d'un homme non identifié, d'autre part, en aidant ou assistant

      les auteurs de ces homicides volontaires dans les faits qui

      les ont consommés, alors que lesdits homicides volontaires

      entraient dans le cadre d'un plan concerté pour le compte d'un

      Etat pratiquant une politique d'hégémonie idéologique à

      l'encontre de personnes choisies en raison de leur

      appartenance à une collectivité raciale ou religieuse...".

      Par arrêt du 7 juillet 1993, la chambre d'accusation décida de

placer le requérant sous contrôle judiciaire, limitant ses possibilités

de déplacement. Le requérant forma un pourvoi contre cette décision,

pourvoi qui fut rejeté par la Cour de cassation le 21 octobre 1993.

      Par arrêt du 21 octobre 1993, la Cour de cassation rejeta également

le pourvoi formé par le requérant contre l'arrêt de renvoi devant la cour

d'assises aux motifs : d'une part, que la règle non bis in idem n'était

pas opposable en l'espèce, nonobstant la condamnation à mort de 1946,

compte tenu de la nouvelle qualification des faits, à savoir celle de

crime contre l'humanité ; d'autre part, que la constatation, par la

chambre d'accusation, des éléments matériels et intentionnel du crime

contre l'humanité reproché justifiait le renvoi devant la cour d'assises.

      Par arrêt du 3 novembre 1993, la Cour de cassation refusa de

renvoyer l'affaire à la cour d'assises du département du Rhône. Par arrêt

du 16 mars 1994, elle rejeta un pourvoi formé par le requérant contre une

ordonnance du président de la cour d'assises autorisant l'enregistrement

audiovisuel de son procès.

      Durant les débats devant la cour d'assises, le requérant demanda

l'audition d'Edouard Balladur, Premier ministre en exercice, en sa

qualité d'ancien Secrétaire général de la Présidence de la République,

afin de lui faire préciser dans quelles conditions une mesure de grâce

avait été accordée le 23 novembre 1971. La cour d'assises rendit un arrêt

incident pour rejeter la demande d'audition, aux motifs qu'elle

n'apparaissait pas indispensable à la manifestation de la vérité. Il

demanda également l'audition de Jean Guitton, membre de l'Académie

française, à la fin de l'instruction à l'audience. Cette demande fut

également rejetée. Le requérant présenta d'autres demandes d'auditions,

qui furent rejetées.

      Par arrêt du 20 avril 1994, la cour d'assises du département des

Yvelines condamna le requérant à la réclusion criminelle à perpétuité

pour complicité de crime contre l'humanité.

      Le requérant forma un pourvoi en cassation, invoquant onze moyens

de cassation, dans le cadre d'un mémoire ampliatif et d'un mémoire

additionnel. Concernant les refus de demandes d'auditions de témoins, le

requérant ne souleva de moyens que pour les seules demandes concernant

Edouard Balladur et Jean Guitton.

      Par arrêt du 1er juin 1995, la Cour de cassation rejeta son pourvoi.

Concernant les demandes d'audition, elle releva notamment que les

conclusions du requérant n'articulaient aucun fait ou circonstance de

nature à caractériser l'importance du témoignage du Premier ministre et

que l'audition de Jean Guitton, qui n'avait été ni cité, ni dénoncé,

n'avait pas été jugée utile à la manifestation de la vérité par la cour

d'assises.

GRIEFS

1.    Le requérant se plaint d'avoir été victime avec sa famille, depuis

1972, de l'orchestration des forces politiques et médiatiques internes

et internationales, l'obligeant à vivre en clandestin. Le requérant se

plaint de ce que, jusqu'au procès sur le fond, il a été détenu, puis a

subi par deux fois un contrôle judiciaire. Il invoque l'article 5 de la

Convention à titre principal et estime que, partant, les articles 1 du

Protocole N° 1 et 2 par. 1 du Protocole N° 4 auraient également été

violés.

2.    Il estime n'avoir pas été jugé par un tribunal indépendant au sens

de l'article 6 par. 1 de la Convention, un rapport en interprétation des

conventions internationales ayant été donné par le ministre des Affaires

étrangères à la demande de la chambre d'accusation.

3.    Il estime avoir été systématiquement présumé coupable, par les

médias comme par des personnalités politiques exerçant des fonctions

officielles. Il invoque l'article 6 par. 2 de la Convention.

4.    Le requérant estime que, même après sa condamnation, il ignore

toujours la nature et la cause de l'accusation portée contre lui. Il

invoque l'article 6 par. 3 a) de la Convention.

5.    Il se plaint de n'avoir pu faire valoir des témoignages susceptibles

d'intervenir à décharge. Il invoque l'article 6 par. 1 et 3 d) de la

Convention.

6.    Le requérant invoque également un article 6 par. 3 g) qui, selon

lui, prévoit que : "toute personne accusée d'une infraction pénale a

droit en pleine égalité aux garanties suivantes : g) à ne pas être forcée

de témoigner contre elle-même ou de s'avouer coupable".

7.    Le requérant estime également avoir été condamné à cause de la loi

de 1964 qui, rétroactivement, déclara imprescriptibles les crimes contre

l'humanité. Il invoque l'article 7 par. 1 de la Convention. Il estime en

outre que l'exception à la rétroactivité, telle que prévue au paragraphe

2 de l'article 7, ne peut être retenue en l'espèce, les faits pour

lesquels il a été condamné constituant un crime de droit commun et non

un crime contre l'humanité.

8.    Le requérant estime, d'une part, que la nationalité allemande du

principal "décideur" des faits de Rillieux a conditionné la qualification

de crime contre l'humanité et, d'autre part, que l'élément intentionnel

de l'infraction a été volontairement déformé. Il en conclut une double

discrimination en raison de la nationalité d'un tiers et de la

déformation de son intention. Il invoque l'article 14 de la Convention.

9.    Il se plaint, enfin, de la violation de l'article 4 du Protocole N°

7, estimant avoir été jugé pour les mêmes faits que ceux pour lesquels

il fut condamné le 10 septembre 1946 et le 4 mars 1947.

EN DROIT

1.    Le requérant se plaint d'avoir été victime avec sa famille, depuis

1972, de l'orchestration des forces politiques et médiatiques internes

et internationales, l'obligeant à vivre en clandestin. Le requérant se

plaint de ce que, jusqu'au procès sur le fond, il a été détenu, puis a

subi par deux fois un contrôle judiciaire. Il invoque l'article 5

(art. 5) de la Convention à titre principal et estime que, partant, les

articles 1 du Protocole N° 1 et 2 par. 1 du Protocole N° 4

P1-1, P4-2-1) auraient également été violés.

      La Commission rappelle qu'elle ne peut être saisie qu'après

l'épuisement des voies de recours internes et dans les six mois à compter

de la décision interne définitive ou de la cessation de la situation

litigieuse, conformément aux dispositions de l'article 26 (art. 26) de

la Convention.

      Or la Commission relève que les faits litigieux sont antérieurs à

la condamnation du requérant par arrêt de la cour d'assises du

département des Yvelines le 20 avril 1994, arrêt rendu plus de six mois

avant l'introduction de la requête.

      Par ailleurs, concernant le grief tiré d'une éventuelle atteinte à

son droit au respect de ses biens au sens de l'article 1 du Protocole N°

1 (P1-1), la Commission constate que le requérant n'a exercé aucun

recours pour en obtenir réparation.

      Il s'ensuit que ces griefs doivent être rejetés pour non-épuisement

des voies de recours internes et non respect du délai de six mois prévu

à l'article 26 (art. 26) de la Convention, par application de l'article

27 par. 3 (art. 27-3) de la Convention.

2.    Le requérant estime n'avoir pas été jugé par un tribunal indépendant

au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, un rapport en

interprétation des conventions internationales ayant été donné par le

ministre des Affaires étrangères à la demande des juridictions. L'article

6 par. 1 (art. 6-1) prévoit que :

      "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue

      équitablement (...) par un tribunal indépendant et

      impartial (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute

      accusation en matière pénale dirigée contre elle."

      La Commission relève qu'au cours de l'instruction préparatoire,

la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris a, par trois arrêts

en date du 17 décembre 1976, posé quatre questions relatives à

l'interprétation de conventions internationales au ministre des

Affaires étrangères. Ce dernier y a répondu dans un rapport du

15 juin 1979.

      La Commission reconnaît que la réponse donnée par le ministre

pouvait influencer la poursuite ou non de la procédure, s'agissant de

la question purement procédurale de la prescription et, partant, de la

possibilité d'exercer l'action publique. Cependant, la Commission note

que le ministre des Affaires étrangères s'est déclaré incompétent pour

estimer si "un droit à la prescription des crimes contre l'humanité,

à supposer qu'il soit admis (par la législation interne), entrerait

dans la catégorie des 'droits de l'homme et des libertés fondamentales'

reconnus conformément aux lois internes", s'agissant de

l'interprétation de la législation. La Commission relève également que

la chambre d'accusation a considéré, dans son arrêt du 27 juillet 1979,

que les crimes contre l'humanité n'étaient pas couverts par la

prescription en se fondant non seulement sur l'interprétation donné par

le ministre mais également sur la loi du 26 décembre 1964. Il ressort

enfin de l'arrêt du 19 octobre 1989 que la chambre d'accusation a

entendu justifier l'imprescriptibilité selon des termes propres, sans

référence à l'avis donné par le ministre, en se fondant principalement

non sur les conventions internationales mais sur la loi du

26 décembre 1964, dont l'appréciation relève de la seule compétence du

juge.

      En conséquence, la Commission estime que la cause du requérant

a été entendue par un tribunal "indépendant" au sens de l'article 6

par. 1 (art. 6-1) de la Convention (voir, a contrario, Cour eur. D.H.,

arrêt Beaumartin c/France du 24 novembre 1994, série A n° 296-B, p. 63,

par. 38).

      Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté comme étant

manifestement mal fondé, par application de l'article 27 par. 2

(art. 27-2) de la Convention.

3.    Le requérant estime avoir été systématiquement présumé coupable,

par les médias comme par des personnalités politiques exerçant des

fonctions officielles. Il invoque l'article 6 par. 2 (art. 6-2) de la

Convention, lequel prévoit que :

      "Toute personne accusée d'une infraction est présumée

      innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement

      établie."

      La Commission constate que les déclarations de certaines

autorités publiques durant la procédure pénale s'expliquaient par la

polémique dont le requérant faisait l'objet depuis longtemps, en raison

de ses activités durant la seconde guerre mondiale, lesquelles furent

constatées par deux arrêts définitifs de condamnation à mort par

contumace en date des 10 septembre 1946 et 4 mars 1947. En tout état

de cause, les déclarations litigieuses, prises dans leur ensemble, ne

pouvaient être interprétées comme déclarant le requérant coupable des

faits pour lesquels l'instruction était en cours (voir notamment,

mutatis mutandis, N° 10847/84, déc. 7.10.85, D.R. 44, p. 238).

      Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté comme étant

manifestement mal fondé, par application de l'article 27 par. 2

(art. 27-2) de la Convention.

4.    Le requérant estime que, même après sa condamnation, il ignorait

toujours la nature et la cause de l'accusation portée contre lui. Il

invoque l'article 6 par. 3 a) de la Convention, lequel prévoit que :

      "3.  Tout accusé a droit notamment à :

      a)    être informé, dans le plus court délai, dans une

      langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la

      nature et de la cause de l'accusation portée contre lui ;

      (...)."

      La Commission relève que, dès le 24 mai 1989, date de son

arrestation et son inculpation, le requérant a été informé des faits

reprochés, tels qu'ils ressortaient des plaintes avec constitution de

partie civile, ainsi que de leur qualification juridique, notamment de

"crimes contre l'humanité et de crimes contre l'humanité sous les

qualifications d'arrestations arbitraires, séquestrations arbitraires,

arrestations et séquestrations arbitraires, suivies de tortures

corporelles, meurtres avec préméditation et complicité", puis renvoyé

par la chambre d'accusation de la cour d'appel de Versailles devant la

cour d'assises des chefs de "complicité de crime contre l'humanité".

La Commission relève enfin qu'il résulte clairement des circonstances

de l'espèce que, durant la procédure, le requérant s'est expliqué et

a présenté ses moyens de défense concernant les faits reprochés et leur

qualification.

      Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté comme étant

manifestement mal fondé, par application de l'article 27 par. 2

(art. 27-2) de la Convention.

5.    Le requérant se plaint de n'avoir pu faire valoir des témoignages

susceptibles d'intervenir à décharge. Il invoque l'article 6 par. 1 et

3 d) (art. 6-1, 6-3-d) de la Convention.

      L'article 6 par. 3 d) (art. 6-3-d) de la Convention dispose :

      "3.  Tout accusé a droit notamment à :

      (...)

      d.   interroger ou faire interroger les témoins à charge et

      obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à

      décharge dans les mêmes conditions que les témoins à

      charge ;

      (...)."

      La Commission rappelle qu'il revient en principe aux juridictions

nationales d'apprécier les éléments rassemblés par elles et la

pertinence de ceux dont les accusés souhaitent la production

(cf. notamment Cour eur. D.H., arrêt Barbera, Messegué et Jabardo

c/Espagne du 6 décembre 1988, série A n° 146, p. 31, par. 68).

L'article 6 par. 3 d) (art. 6-3-d) leur laisse, toujours en principe,

le soin de juger de l'utilité d'une offre de preuve par témoins au sens

autonome que ce terme possède dans le système de la Convention (Cour

eur. D.H., arrêt Asch c/Autriche du 26 avril 1991, série A n° 203, p.

10, par. 25) et il n'exige pas la convocation et l'interrogation de

tout témoin à décharge, mais vise à l'égalité des armes (Cour eur.

D.H., arrêts Engel et autres c/Pays-Bas du 8 juin 1976, série A n° 22,

pp. 38-39, par. 91 ; Bricmont c/Belgique du 7 juillet 1989, série A n°

158, p. 31, par. 89). Mais la notion d'"égalité des armes" n'épuisant

pas le contenu des paragraphes 1 et 3 de l'article 6 (art. 6) de la

Convention, la Commission doit vérifier si la procédure litigieuse,

considérée dans son ensemble, a respecté le principe d'équité posé au

paragraphe 1 de l'article 6 (art. 6) (Cour eur. D.H., arrêts Delta

c/France du 19 décembre 1990, série A n° 191, p. 15, par. 35 ; Vidal

c/Belgique du 22 avril 1992, série A n° 235-B, pp. 32-33, par. 33).

      En l'espèce, la Commission relève que le requérant fait état de

certains refus de demandes d'auditions dont il ne s'est pas plaint dans

le cadre de son pourvoi en cassation formé contre l'arrêt de la cour

d'assises en date du 20 avril 1994.

      Il s'ensuit que cette partie du grief doit être rejetée pour non-

épuisement des voies de recours internes, par application des

articles 26 et 27 par. 3 (art. 26, 27-3) de la Convention.

      La Commission constate, par ailleurs, que le requérant se plaint

de n'avoir pu faire entendre : d'une part, le Premier ministre Edouard

Balladur, ce dernier ayant été Secrétaire général de la Présidence de

la République durant le mandat du Président Georges Pompidou, afin de

lui faire préciser les conditions de l'octroi de la grâce

présidentielle du 23 novembre 1971 ; d'autre part, Jean Guitton, membre

de l'Académie française.

      La Commission observe tout d'abord que les faits concernés par

la demande d'audition du Premier ministre étaient étrangers aux faits

reprochés au requérant et que, au demeurant, s'il le souhaitait, il a

pu valablement rappeler et commenter la mesure de grâce durant les

débats. Enfin, la Commission constate qu'il ressort de l'arrêt de la

Cour de cassation que le requérant n'a pas étayé sa demande devant la

cour d'assises pour en préciser l'éventuelle importance.

      Concernant l'autre demande d'audition, la Commission note qu'elle

fut seulement déposée à la fin de l'instruction à l'audience de la cour

d'assises. La Commission, qui constate que la cour d'assises a estimé

qu'une telle audition n'était pas nécessaire à la manifestation de la

vérité, n'a relevé aucun élément susceptible d'établir une violation

des dispositions alléguées sur ce point.

      Il s'ensuit que cette partie du grief doit être rejetée comme

étant manifestement mal fondée, par application de l'article 27 par. 2

(art. 27-2) de la Convention.

6.    Le requérant invoque également un article 6 par. 3 g)

(art. 6-3-g) qui, selon lui, prévoirait que : "toute personne accusée

d'une infraction pénale a droit en pleine égalité aux garanties

suivantes : g) à ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou

de s'avouer coupable".

      La Commission, qui rappelle qu'il n'existe pas de paragraphe 3

g) de l'article 6 (art. 6-3-g) de la Convention, estime que ce grief

doit en réalité être examiné sous l'angle du paragraphe 1 de l'article

6 (art. 6-1).

      La Commission rappelle que, même si l'article 6 (art. 6) ne le

mentionne pas expressément, le droit de se taire et de ne pas

contribuer à sa propre incrimination sont des normes internationales

généralement reconnues qui sont au coeur de la notion de procès

équitable consacrée par l'article 6 (art. 6) (cf. Cour eur. D.H.,

arrêts Funke c/France du 25 février 1993, série A n° 254-A, p. 22, par.

44 ; Murray c/R.-U. du 8 février 1996, Recueil 1996, à paraître).

      En l'espèce, la Commission relève que le requérant se plaint de

ce que le dossier de grâce présidentielle fut joint au dossier pénal

par le premier juge d'instruction, car la demande de grâce aurait

comporté un certain aveu de responsabilité.

      La Commission n'est pas appelée à se prononcer sur le point de

savoir si l'utilisation du dossier de grâce a pu porter atteinte au

droit du requérant de ne pas contribuer à sa propre incrimination.

      En effet, la Commission relève que ce point ne fut pas soumis à

l'examen de la Cour de cassation. Il ne ressort d'ailleurs pas des

éléments présentés à la Commission qu'une demande de retrait de

certaines pièces du dossier, notamment du dossier de grâce

présidentielle, ait été formulée durant l'instruction et que les

recours ouverts en droit interne aient été exercés sur ce point,

conformément aux dispositions de l'article 26 (art. 26) de la

Convention.

      Il s'ensuit que cette partie du grief doit être rejetée pour non-

épuisement des voies de recours internes, par application des

articles 26 et 27 par. 3 (art. 26, 27-3) de la Convention.

      La Commission relève par ailleurs que le requérant s'est plaint,

dans le cadre de son pourvoi en cassation formé contre l'arrêt de

condamnation en date du 20 avril 1994, de ce que le président ne

l'avait pas informé de son droit de se taire et de ne pas contribuer

à sa propre incrimination.

      La Commission estime cependant, au vu des circonstances de

l'espèce, que le requérant ne peut prétendre avoir ignoré l'existence

du droit de se taire et de ne pas contribuer à sa propre incrimination.

Elle ne relève en outre aucune apparence de violation de ce principe,

le requérant n'ayant jamais été contraint de témoigner contre lui-même.

      Il s'ensuit que cette partie du grief doit être rejetée comme

étant manifestement mal fondée, par application de l'article 27 par. 2

(art. 27-2) de la Convention.

7.    Le requérant estime également avoir été condamné à cause de la

loi de 1964 qui, rétroactivement, déclara imprescriptibles les crimes

contre l'humanité. Il invoque l'article 7 par. 1 (art. 7-1) de la

Convention. Il estime en outre que l'exception à la rétroactivité,

telle que prévue au paragraphe 2 de l'article 7 (art. 7-2), ne peut

être retenue en l'espèce, les faits pour lesquels il a été condamné

constituant un crime de droit commun et non un crime contre l'humanité.

      L'article 7 (art. 7) de la Convention dispose que :

      "1.  Nul ne peut être condamné pour une action ou une

      omission qui, au moment où elle a été commise, ne

      constituait pas une infraction d'après le droit national ou

      international. De même il n'est infligé aucune peine plus

      forte que celle qui était applicable au moment où

      l'infraction a été commise.

      2.   Le présent article ne portera pas atteinte au jugement

      et à la punition d'une personne coupable d'une action ou

      d'une omission qui, au moment où elle a été commise, était

      criminelle d'après les principes généraux du droit reconnus

      par les nations civilisées."

      La Commission relève que le requérant a été condamné à la

réclusion criminelle à perpétuité pour complicité de crime contre

l'humanité, par arrêt de la cour d'assises du département des Yvelines

en date du 20 avril 1994. La Commission constate par ailleurs que

l'infraction de crime contre l'humanité et son imprescriptibilité

furent consacrées par le Statut du tribunal international de Nuremberg

annexé à l'accord interallié du 8 août 1945 et qu'une loi française du

26 décembre 1964 s'y réfère expressément pour disposer que les crimes

contre l'humanité sont imprescriptibles.

      La Commission estime qu'il n'est pas nécessaire de se prononcer

sur le point de savoir si les faits reprochés au requérant pouvaient,

lorsqu'ils ont été commis, recevoir une telle qualification.

      La Commission doit vérifier si l'exception posée au paragraphe 2

de l'article 7 (art. 7-2) trouve à s'appliquer aux circonstances de

l'espèce.

      La Commission rappelle qu'il ressort des travaux préparatoires

de la Convention que le paragraphe 2 de l'article 7 (art. 7-2) a pour

but de préciser que cet article n'affecte pas les lois qui, dans les

circonstances tout à fait exceptionnelles qui se sont produites à

l'issue de la deuxième guerre mondiale, ont été passées pour réprimer

les crimes de guerre et les faits de trahison et de collaboration avec

l'ennemi et ne vise à aucune condamnation juridique ou morale de ces

lois (cf. N° 268/57, déc. 20.7.57, Ann. Conv., vol. 1, p. 241). Elle

estime que ce raisonnement vaut également pour les crimes contre

l'humanité.

      Enfin, la Commission rappelle qu'elle n'est pas compétente pour

examiner une requête relative à des erreurs de fait ou de droit

prétendument commises par les juridictions internes, sauf si et dans

la mesure où ces erreurs lui semblent susceptibles d'avoir entraîné une

atteinte aux droits et libertés garantis par la Convention (voir par

exemple N° 13926/88, déc. 4.10.90, D.R. 66 pp. 209, 225 ; N° 17722/91,

déc. 8.4.91, D.R. 69 pp. 345, 354). La Commission rappelle également

que l'application et l'interprétation du droit interne sont en principe

réservées à la compétence des juridictions nationales (voir notamment

N° 10153/82, déc. 13.10.86, D.R. 49 p. 67).

      En l'espèce, la Commission constate que le requérant a été

condamné non pour un crime de droit commun mais pour complicité de

crime contre l'humanité, ce qui ressort clairement de la procédure

diligentée contre le requérant et de l'arrêt de condamnation.

      Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté comme étant

manifestement mal fondé, par application de l'article 27 par. 2

(art. 27-2) de la Convention.

8.    Le requérant estime, d'une part, que la nationalité allemande du

principal "décideur" des faits de Rillieux a conditionné la

qualification de crime contre l'humanité et, d'autre part, que

l'élément intentionnel, concernant le requérant, a été volontairement

déformé. Il en conclut une double discrimination en raison de la

nationalité d'un tiers et de l'élément intentionnel le concernant. Il

invoque l'article 14 (art. 14) de la Convention, qui prévoit :

      "La jouissance des droits et libertés reconnus dans la

      présente Convention doit être assurée, sans distinction

      aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur,

      la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes

      autres opinions, l'origine nationale ou sociale,

      l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la

      naissance ou toute autre situation."

      La Commission, dans la mesure où le grief a été étayé et où elle

est compétente pour en connaître, n'a relevé aucune apparence de

violation de la disposition invoquée.

      Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté comme étant

manifestement mal fondé, par application de l'article 27 par. 2

(art. 27-2) de la Convention.

9.    Le requérant se plaint enfin de la violation de l'article 4 du

Protocole N° 7 (P7-4), estimant avoir été jugé pour les mêmes faits que

ceux pour lesquels il fut condamné le 10 septembre 1946 et le 4 mars

1947.

      En l'espèce, la Commission constate que les faits ayant abouti

à la condamnation du requérant, par arrêts en date des

10 septembre 1946 et 4 mars 1947, diffèrent de ceux pour lesquels il

fut condamné par la cour d'assises des Yvelines le 20 avril 1994.

      Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté comme étant

manifestement mal fondé, par application de l'article 27 par. 2

(art. 27-2) de la Convention.

      Par ces motifs, la Commission,

      à la majorité, DECLARE IRRECEVABLE le grief tiré d'une prétendue

      double condamnation en raison des mêmes faits ;

      à l'unanimité, DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE pour le surplus.

      H.C. KRÜGER                         S. TRECHSEL

       Secrétaire                          Président

    de la Commission                     de la Commission

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Textes cités dans la décision

  1. Loi n° 64-1326 du 26 décembre 1964
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CEDH, Commission (plénière), TOUVIER c. la FRANCE, 13 janvier 1997, 29420/95