CEDH, Commission (deuxième chambre), GRANATA c. la FRANCE, 21 octobre 1998, 39626/98

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Commission (Deuxième Chambre), 21 oct. 1998, n° 39626/98
Numéro(s) : 39626/98
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 16 janvier 1998
Jurisprudence de Strasbourg : Cour Eur. D.H. Arrêt Eckle c. Allemagne du 15 juillet 1982, série A n° 51, p. 30, par. 66
Arrêt Quinn c. France du 22 mars 1995, série A n° 311, p. 19, par. 47 Comm. Eur. D.H. No 7826/77, déc. 2.5.78, D.R. 14, p. 197
No 10427/83, déc. 12.5.86. D.R. 47, p. 85
No 10746/84, déc. 16.10.86, D.R. 49, p. 126
No 12158/86, déc. 7.12.87, D.R. 54, p. 178
No 18578/91, déc. 19.5.95, non publiée
No 22650/93, déc. 9.4.97, non publiee No 24684/94, déc. 29.11.95, non publiée
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Partiellement irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-30043
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1998:1021DEC003962698
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Sur les parties

Texte intégral

DÉCISION PARTIELLE

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête N° 39626/98

présentée par Giovanni GRANATA

contre la France

                            __________

La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième Chambre), siégeant en chambre du conseil le 21 octobre 1998 en présence de

MM.J.-C. GEUS, Président

M.A. NOWICKI

G. JÖRUNDSSON

A. GÖZÜBÜYÜK

J.-C. SOYER

H. DANELIUS

MmeG.H. THUNE

MM.F. MARTINEZ

I. CABRAL BARRETO

D. ŠVÁBY

P. LORENZEN

E. BIELIŪNAS

E.A. ALKEMA

A. ARABADJIEV

MmeM.-T. SCHOEPFER, Secrétaire de la Chambre ;

Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ;

Vu la requête introduite le 16 janvier 1998 par Giovanni GRANATA contre la France et enregistrée le 3 février 1998 sous le N° de dossier 39626/98 ;

Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la Commission ;

Après avoir délibéré,

Rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, ressortissant italien né en 1939, est chercheur et réside à Aix-en-Provence.

Devant la Commission, il est représenté par M. Philippe Bernardet, sociologue, résidant à la Fresnaye-sur-Chédouet. Il a introduit devant la Commission une autre requête, enregistrée sous le N° 39634/98.

Les faits, tels qu'ils ont été présentés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

A.Circonstances particulières de l'affaire

Le 15 mai 1990, le Dr D., appelé par la femme du requérant,  établit un certificat médical indiquant que le requérant, dangereux pour lui-même et pour autrui, nécessitait une hospitalisation d'urgence en établissement psychiatrique sur le mode d'un placement d'office. A la demande du médecin, la police requit le transport et l'admission du requérant au centre hospitalier spécialisé (CHS) d'Aix-en-Provence. Dans un procès-verbal d'audition dressé le lendemain par l'officier de police judiciaire, la femme du requérant fit état d'un certain nombre d'incidents concernant les enfants du couple.

Par arrêté du 16 mai 1990, le maire d'Aix-en-Provence ordonna le placement provisoire d'urgence du requérant en se référant au certificat médical. Le 17 mai 1990, le préfet des Bouches-du-Rhône prit un arrêté confirmant le placement d'office et visant également le certificat du Dr D.

Le 21 mai 1990, le préfet ordonna la levée du placement d'office du requérant, qui poursuivit son traitement en hospitalisation libre.

Le requérant engagea une procédure administrative et une procédure civile.

Procédure administrative

Le 8 juin 1991, le requérant saisit le tribunal administratif de Marseille de plusieurs recours en annulation contre les arrêtés du maire et du préfet, ainsi que contre les décisions d'admission et de maintien en placement du directeur du CHS.

L'audience eut lieu le 12 octobre 1993. Par jugement du 9 novembre 1993, le tribunal administratif annula les arrêtés du maire et du préfet, au motif qu'ils n'étaient pas suffisamment motivés au regard de la réglementation applicable. Le tribunal rejeta par ailleurs les recours contre les décisions du directeur du CHS, en considérant que ce dernier n'avait commis aucune voie de fait en admettant le requérant dans l'établissement et que, s'étant borné à exécuter les arrêtés d'internement, il n'avait pris aucune nouvelle décision. Le tribunal condamna en outre la commune d'Aix-en-Provence à verser au requérant 5 000 F au titre des frais non remboursables de procédure.

Le requérant fit appel devant le Conseil d'Etat le 13 janvier 1994, en limitant son appel à la partie du jugement qui avait rejeté ses recours contre les décisions du directeur. La commune d'Aix-en-Provence forma un appel incident.

Par arrêt du 17 novembre 1997, le Conseil d'Etat confirma le jugement du tribunal administratif, dans les termes suivants :

"Considérant qu'une personne majeure présentant des signes de maladie mentale et dont le comportement paraît présenter un danger imminent pour sa propre sécurité, ou pour celle d'autrui, peut être retenue contre son gré dans un établissement d'hospitalisation, général ou spécialisé, pendant le temps strictement nécessaire à la mise en oeuvre des mesures d'internement d'office ou de placement volontaire prévues par le Code de la santé publique ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que (le requérant), qui présentait des signes de troubles mentaux qui, selon les termes du certificat médical établi par le médecin appelé en consultation par son épouse, le rendaient dangereux pour lui-même et pour autrui, a été conduit par les services de police, le 15 mai 1990 vers 20 h 30, au centre hospitalier spécialisé Montperrin où il a été admis contre son gré le soir même ; qu'il a fait l'objet, dès le lendemain, d'un arrêté de placement d'office provisoire pris par le maire d'Aix-en-Provence sur le fondement de l'article L. 344 du Code de la santé publique, dans sa rédaction alors en vigueur ; que l'intéressé doit, dans ces conditions et compte tenu de l'urgence, être regardé comme n'ayant été maintenu contre son gré dans cet établissement hospitalier que pendant le temps strictement nécessaire à la mise en oeuvre d'une mesure de placement d'office ; que, par suite, la décision par laquelle le directeur du centre hospitalier spécialisé Montperrin a décidé d'admettre (le requérant) dans son établissement n'est pas entachée d'illégalité (...)

Considérant que, lorsqu'il admet ou maintient dans son établissement un malade dont l'autorité compétente a ordonné le placement d'office ou le maintien en placement d'office, le directeur d'un établissement psychiatrique se borne à exécuter cet ordre et ne prend pas lui-même une nouvelle décision susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ; que la mesure ainsi prise par le directeur du centre hospitalier ne perd pas son caractère d'acte ne faisant pas grief du fait que, postérieurement à la date de son intervention, l'arrêté prononçant ou maintenant le placement d'office a été annulé par le juge administratif ; que la circonstance que les arrêtés du maire (...) et du préfet (...) n'ont pas été notifiés est sans incidence sur leur légalité ; qu'il suit de là que (le requérant) n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté comme irrecevables ses conclusions dirigées contre les mesures prises les 16 et 17 mai 1990 par le directeur du centre hospitalier (..)."

Par ailleurs, le Conseil d'Etat déclara irrecevable l'appel incident de la commune, au motif qu'il avait été formé après l'expiration du délai d'appel et qu'il soulevait un litige différent de celui du requérant.

 Procédure civile

Par actes des 2, 3, 4 et 9 décembre 1991, le requérant, sa mère et son frère assignèrent l'Etat, la ville d'Aix-en-Provence, le CHS, le Dr D. et les médecins du CHS devant le tribunal de grande instance de Paris, en réparation du préjudice causé par l'internement du requérant. Ils soulevaient la voie de fait constituée par l'admission du requérant au CHS, l'illégalité de son maintien dans cet établissement, ainsi que celle des arrêtés du maire et du préfet, l'absence de notification des arrêtés à la famille, le caractère injustifié de la mesure d'internement ainsi que la contrainte de soins imposée au requérant durant son internement.

Par jugement du 20 septembre 1993, le tribunal de grande instance décida de surseoir à statuer jusqu'à la décision de la juridiction administrative.

Le 12 janvier 1998, l'avocat du requérant informa le président de la chambre du tribunal de grande instance que le Conseil d'Etat avait rendu son arrêt le 17 novembre 1997 et demanda le rétablissement de l'affaire au rôle.

Une audience de procédure eut lieu le 23 mars 1998. Le président donna injonction à l'avocat des demandeurs de conclure avant le 4 mai 1998.

Correspondance avec le Secrétariat de la Commission

Le requérant a écrit pour la première fois au Secrétariat le 13 mai 1993. Un échange de correspondance s'en est ensuivi tant avec lui qu'avec Maître V., avocat au barreau de Paris, qui a indiqué le représenter par lettre du 12 juillet 1994. Le 14 octobre 1994, un formulaire de requête a été adressé à Maître V., qui ne l'a jamais renvoyé. Le 29 mai 1996, le requérant a écrit au Secrétariat pour s'enquérir du sort de sa requête. Le 6 janvier 1997, Maître V. a indiqué au Secrétariat que le Conseil d'Etat ne s'était pas encore prononcé et a précisé les griefs du requérant. Un nouveau formulaire de requête a été envoyé à Maître V. le 18 février 1997. Le requérant a repris contact avec le Secrétariat le 29 septembre 1997 pour connaître l'état d'avancement de sa requête. Enfin, l'actuel mandataire du requérant a renvoyé le formulaire dûment rempli le 16 janvier 1998.

B.Eléments de droit interne

Code de la santé publique (rédaction en vigueur au moment des faits)

Article L. 343 

"A Paris, le préfet de police et, dans les départements, les préfets ordonneront d'office le placement, dans un établissement d'aliénés, de toute personne interdite ou non interdite, dont l'état d'aliénation compromettrait l'ordre public ou la sûreté des personnes.

Les ordres des préfets seront motivés et devront énoncer les circonstances qui les auront rendus nécessaires (...)"

Article L. 344

"En cas de danger imminent, attesté par le certificat d'un médecin ou par la notoriété publique, les commissaires de police à Paris et les maires dans les autres communes, ordonneront, à l'égard des personnes atteintes d'aliénation mentale, toutes les mesures provisoires nécessaires, à la charge d'en référer dans les vingt-quatre heures au préfet, qui statuera sans délai."

Voies de recours

Il existe en droit français une double compétence juridictionnelle en matière d'internement psychiatrique. En ce qui concerne l'appréciation de la régularité de l'internement et la réparation éventuelle à accorder, la répartition classique des compétences entre le juge civil et le juge administratif, fondée sur le principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs, était ainsi exprimée par un arrêt du Tribunal des Conflits (arrêt n° 2973 du 3 juillet 1995, Préfet de Paris c. Boucheras, Gaz. Pal. 7-8 juin 1996, p. 13) :

"(...) si l'autorité judiciaire est seule compétente, en vertu des articles L. 333 et s. du Code de la santé publique, pour apprécier la nécessité d'une mesure de placement d'office en hôpital psychiatrique et les conséquences qui peuvent en résulter, il appartient à la juridiction administrative d'apprécier la régularité de la décision administrative qui ordonne le placement et, le cas échéant, les conséquences dommageables de son défaut de notification ainsi que des fautes du service public qui auraient pu être commises à cet égard (...)"

Cette jurisprudence a connu dans les dernières années une évolution au sein des deux ordres de juridiction, notamment pour tenir compte des exigences de la Convention, qui est directement applicable en droit français et a primauté sur les lois internes, en vertu de l'article 55 de la Constitution.

Dans un arrêt récent (17 février 1997), le Tribunal des Conflits a énoncé comme suit la nouvelle répartition des compétences entre les deux ordres de juridictions :

"(...) si l'autorité judiciaire est seule compétente (...) pour apprécier la nécessité d'une mesure de placement d'office en hôpital psychiatrique et les conséquences qui peuvent en résulter, il appartient à la juridiction adminitrative d'apprécier la régularité de la décision administrative qui ordonne le placement ; (...) lorsque cette dernière s'est prononcée sur ce point, l'autorité judiciaire est compétente pour statuer sur les conséquences dommageables de l'ensemble des irrégularités entachant la mesure de placement d'office (...)"

Il en résulte que, désormais, tout le contentieux de la réparation de l'internement psychiatrique est confié au seul juge judiciaire.

GRIEFS

1.Le requérant se plaint de l'irrégularité de son internement, définitivement reconnue par l'arrêt du Conseil d'Etat. Il souligne qu'il peut toujours se prétendre victime, puisque le Conseil d'Etat a considéré - à tort selon lui - que son admission au CHS le 15 mai 1990 était régulière et puisque les frais d'hospitalisation ont été laissés à sa charge. Il estime que cette admission était contraire à la réglementation française applicable, et que le Conseil d'Etat a outrepassé ses pouvoirs. Il considère par ailleurs que son internement était injustifié. Il invoque l'article 5 par. 1 e) de la Convention.

2.Il soutient n'avoir pas été informé des motifs de sa privation de liberté, contrairement aux prescriptions de l'article 5 par. 2 de la Convention. Il fait valoir que cette absence d'information l'a empêché de saisir le juge judiciaire d'une action en sortie immédiate.

3.Il  considère que son internement était fondé en réalité sur une "mise en cause de menace de mort sur l'un de ses enfants et de diverses violences à leur encontre", ayant motivé l'intervention de la police dans le cadre du Code de procédure pénale. Il ne fut jamais appelé à se défendre des accusations portées contre lui, ne fut pas aussitôt déféré devant un juge ni jugé, ce qu'il estime contraire à l'article 5 par. 3 de la Convention.

4.Se référant à ses considérations au point 2 ci-dessus, il se plaint de n'avoir pu, en raison de l'absence d'information, accéder au juge judiciaire pour demander sa sortie immédiate, contrairement aux prescriptions de l'article 5 par. 4 de la Convention. Il expose qu'en tout état de cause son accès au juge aurait été interdit ou différé, car les règles de procédure civile devant le tribunal de grande instance imposent, soit la représentation par avocat, soit à tout le moins une assignation de l'adversaire par huissier de justice.

5.Selon lui, une réparation trop tardive ne répond pas aux exigences de l'article 5 par. 5 de la Convention. Il estime en outre que cet article est violé en raison de la complexité des règles de répartition de compétence entre juridictions de l'ordre administratif et de l'ordre judiciaire, des limites du pouvoir de chaque ordre de juridictions et du fait que le juge administratif ne saurait passer pour indépendant et impartial au sens de l'article 6 par. 1 de la Convention.

6.Il estime n'avoir pas bénéficié des garanties de l'article 6 par. 2 et 3 de la Convention, alors qu'il était accusé de violences à l'encontre de ses enfants, puisqu'aucun avocat ne fut commis et qu'aucune instruction ne fut diligentée.

7.Il considère qu'il n'a pas eu accès à un tribunal, au sens de l'article 6 par. 1 de la Convention, pour faire juger du bien-fondé des accusations en matière pénale dirigées contre lui.

8.Citant la même disposition, il se plaint de ne pas avoir eu accès à un tribunal pour faire entendre sa cause dans un délai raisonnable, s'agissant de son droit civil à réparation. Il estime également que la complexité de la répartition des compétences entre juridictions civiles et administratives fait obstacle à l'accès effectif au juge de la réparation.

9.Selon lui, la contrainte de soins médicamenteux qui lui a été imposée constitue une ingérence injustifiée dans son droit au respect de sa vie privée.

10.Faisant valoir qu'à son arrivée au CHS, il a été mis en chambre d'isolement, il allègue la violation de l'article 3 de la Convention.

11.Il estime enfin ne pas disposer d'un recours pertinent pour faire cesser les violations des articles 6 par. 1, 5 par. 1, 2, 4 et 5, 6 par. 2 et 3, 3 et 8 de la Convention qu'il allègue.

EN DROIT

1.La Commission estime nécessaire d'examiner en premier lieu la question de la date d'introduction de la requête.

Selon sa pratique établie, la Commission considère que la date de l'introduction d'une requête est celle de la première lettre par laquelle le requérant formule, ne serait-ce que sommairement, les griefs qu'il entend soulever. Toutefois, lorsqu'un intervalle de temps important s'écoule avant qu'un requérant ne donne les informations complémentaires nécessaires à l'examen de la requête, la Commission examine les circonstances particulières de l'affaire pour décider de la date à considérer comme date d'introduction de la requête (cf. N° 12158/86, déc. 7.12.87, D.R. 54, p. 178).

Elle note à cet égard que la première communication du requérant  remonte au 13 mai 1993, et que deux formulaires de requête furent successivement adressés à son avocat le 14 octobre 1994 et le 18 février 1997. Toutefois, près de onze mois s'écoulèrent avant que le formulaire dûment complété soit renvoyé au Secrétariat le 16 janvier 1998 par l'actuel mandataire du requérant.

Ces circonstances conduisent la Commission à fixer la date d'introduction de la requête au 16 janvier 1998.

2.Le requérant se plaint de l'irrégularité de son internement, qu'il considère par ailleurs comme injustifié. Il soutient n'avoir pas été informé des motifs de sa privation de liberté.

Il invoque l'article 5 par. 1 e) et 2 de la Convention, qui se lit ainsi :

"1.Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

(...)

e.s'il s'agit de la détention régulière (...) d'un aliéné (...)

2.Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu'elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle."

a)Irrégularité de l'internement

     L'article 25 par. 1 de la Convention se lit comme suit :

"La Commission peut être saisie d'une requête (...) par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers, qui se prétend victime d'une violation par l'une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la présente Convention (...)"

Pour qu'un requérant cesse d'être victime, au sens de l'article 25 précité, des violations qu'il allègue, il faut que "les autorités nationales (aient) reconnu explicitement ou en substance, puis réparé, la violation" (cf. notamment Cour eur. D.H., arrêt Eckle c. Allemagne du 15 juillet 1982, série A n° 51, p. 30, par. 66 ; N° 7826/77, déc. 2.5.78, D.R. 14, p. 197).

 Dans sa décision du 19 mai 1995 sur la recevabilité de la requête  A.B. c. France (N 18578/91, non publiée), relative à un internement psychiatrique, la Commission a posé comme principe que, dès lors que le non-respect des voies légales a été reconnu par le tribunal administratif et réparé par l'annulation de l'acte, et que le requérant dispose, en droit français, d'une possibilité d'indemnisation de l'irrégularité, il ne peut plus se prétendre victime. Cette jurisprudence a été confirmée dans plusieurs autres affaires

(N° 24684/94, Pansart c. France, déc. 29.11.95, N° 22650/93 Mercier c. France, déc. 9.4.97, non publiées).

La Commission relève, à cet égard, que le juge administratif a considéré que les arrêtés du maire et du préfet étaient irréguliers en raison de leur insuffisance de motivation et les a annulés. Par ailleurs, l'action du requérant visant à obtenir réparation de son internement est actuellement pendante devant le tribunal de grande instance.

Il en résulte que les violations de l'article 5 par. 1 et 2 de la Convention, alléguées par le requérant  et tenant au non-respect des voies légales et au défaut d'information sur les motifs de l'internement ont été reconnues en substance par la juridiction interne et réparées.

La Commission estime, dès lors, que le requérant ne peut plus se prétendre victime de ce chef, au sens de l'article 25 précité.

Il s'ensuit que cette partie de la requête est incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention, au sens de l'article 27 par. 2 de la Convention.

b)  Caractère injustifié de l'internement

Pour autant que le requérant se plaint du caractère injustifié de son internement, la Commission observe qu'il a introduit devant le tribunal de grande instance une action dirigée contre l'Etat, le préfet, le maire et les médecins,  dans laquelle il fait notamment valoir que son état mental ne justifiait pas la mesure d'internement et en demande réparation.

 Il s'ensuit qu'il n'a pas encore épuisé les voies de recours internes à cet égard et que cet aspect de la requête est irrecevable en application des articles 26 et 27 par. 3 de la Convention.

c)Rejet du recours par le Conseil d'Etat

Le requérant se plaint de ce que  le Conseil d'Etat a considéré, à tort selon lui, que son admission au CHS le 15 mai 1990 était régulière.

La Commission rappelle qu'en matière de régularité de la détention, y compris l'observation des voies légales, la Convention renvoie pour l'essentiel à la législation nationale. Mieux placées que les organes de la Convention pour vérifier le respect du droit interne (cf. Cour eur. D.H., arrêt Quinn c. France du 22 mars 1995, série A n° 311, p. 19, par. 47), les juridictions nationales ont constaté en l'espèce la régularité de la détention initiale du requérant lors de son admission au CHS. Aucun élément du dossier ne permet à la Commission d'arriver à une conclusion différente.

Dès lors, cet aspect de la requête est manifestement mal fondé, au sens de l'article 27 par. 2 de la Convention.

3.Le requérant se plaint de ce qu'il n'a jamais été appelé à se défendre des accusations portées contre lui et n'a pas été aussitôt déféré devant un juge ni jugé, ce qu'il estime contraire à l'article 5 par. 3 de la Convention, qui dispose :

"3.Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l'intéressé à l'audience."

La Commission observe toutefois que le requérant n'a pas été arrêté et détenu dans les conditions de l'article 5 par. 1 c) de la Convention, mais en application de l'article 5 par. 1 e).  Dès lors, l'article 5 par. 3 précité, qui se référe expressément aux situations prévues par le paragraphe 1 c) du même article, n'a pas vocation à s'appliquer.

Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé, au sens de l'article 27 par. 2 de la Convention.

4.Le requérant se plaint de n'avoir pu, en raison de l'absence d'information, accéder au juge judiciaire pour demander sa sortie immédiate, contrairement aux prescriptions de l'article 5 par. 4 de la Convention, qui est ainsi rédigé :

"Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale."

La Commission observe toutefois que l'internement du requérant au titre du placement d'office a pris fin le 21 mai 1990, alors que la requête a été introduite le 16 janvier 1998.

  Il s'ensuit que ce grief n'est pas soulevé dans le délai de six mois prévu par l'article 26 de la Convention et que cette partie de la requête est en conséquence irrecevable, en application de l'article 27 par. 3 de la Convention.

5.Le requérant considère qu'une réparation trop tardive ne répond pas aux exigences de l'article 5 par. 5 de la Convention. Il estime en outre que cet article est violé en raison de la complexité des règles de répartition de compétence entre juridictions de l'ordre administratif et de l'ordre judiciaire.

L'article 5 par. 5 de la Convention se lit ainsi :

"5.Toute personne victime d'une arrestation ou d'une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation."

En l'état actuel du dossier, la Commission n'est pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ce grief et estime nécessaire de porter cette partie de la requête à la connaissance du gouvernement défendeur, en application de l'article 48 par. 2 b) du Règlement intérieur.

6.Le requérant considère qu'il n'a pas eu accès à un tribunal, au sens de l'article 6 par. 1 de la Convention, pour faire juger du bien-fondé des accusations en matière pénale dirigées contre lui. Il estime également n'avoir pas bénéficié des garanties de l'article 6 par. 2 et 3 de la Convention.

L'article 6 par. 1, 2 et 3 de la Convention, dans ses dispositions pertinentes, se lit ainsi :

"1.Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) et dans un délai raisonnable, par un tribunal (...)  qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.

2.Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

3.Tout accusé a droit notamment à :

a. être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillé de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui ;

b.disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

c.se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent ;

d.interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;

e.se faire assister gratuitement d'un interprète, s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience."

La Commission observe que le requérant n'a, à aucun moment, fait l'objet d'une "accusation en matière pénale", au sens de l'article 6 par. 1 ci-dessus (cf. mutatis mutandis, ses considérations au point 3 ci-dessus).

Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée, au sens de l'article 27 par. 2 de la Convention.

7.Selon le requérant, la contrainte de soins médicamenteux qui lui a été imposée constitue une ingérence injustifiée dans son droit au respect de sa vie privée.

Il invoque l'article 8 de la Convention, qui dispose :

"1.Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui."

La Commission relève que, dans l'instance pendante devant le tribunal de grande instance, le requérant demande notamment réparation du préjudice résultant de la contrainte de soins médicamenteux.

Il en résulte qu'il n'a pas encore épuisé les voies de recours internes sur ce point et que cet aspect de la requête est irrecevable en application des articles 26 et 27 par. 3 de la Convention.

8.Faisant valoir qu'à son arrivée au CHS, il a été mis en chambre d'isolement, le requérant allègue la violation de l'article 3 de la Convention, qui est ainsi libellé :

"Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants."

La Commission observe que les conditions posées par l'article 26 de la Convention ne sont pas remplies, puisque le requérant se plaint de faits remontant à mai 1990 et qu'il n'a pas soulevé ce grief dans l'instance pendante devant la juridiction civile.

Il s'ensuit que cette partie de la requête est irrecevable en application des articles 26 et 27 par. 3 de la Convention.

9.Le requérant estime enfin ne pas disposer d'un recours pertinent pour faire cesser les violations des articles 6 par. 1, 5 par. 1, 2, 4 et 5, 6 par. 2 et 3, 3 et 8 de la Convention qu'il allègue.

 Il cite l'article 13 de la Convention, qui est ainsi rédigé :

"Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles."

La Commission rappelle, en premier lieu que, pour ceux des griefs du requérant qu'elle a examinés sous l'angle des articles 5 par. 4 et 5 et 6 par. 1 de la Convention, ces dispositions doivent être considérées comme lex specialis et l'article 13 ne trouve pas à s'appliquer.

S'agissant des autres griefs du requérant, la Commission relève que lesdits griefs sont irrecevables. Elle rappelle que le droit reconnu par l'article 13 ne peut être exercé que pour un grief défendable (cf. notamment N° 10427/83, déc. 12.5.86, D.R. 47, p. 85 ; N° 10746/84, déc. 16.10.86, D.R. 49, p. 126).

Il s'ensuit que le grief du requérant, tiré de l'article 13, est manifestement mal fondé, au sens de l'article 27 par. 2 de la Convention.

Par ces motifs, la Commission,

AJOURNE l'examen des griefs du requérant concernant la durée de la procédure               civile et le droit à réparation ;

à l'unanimité,

DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE pour le surplus.

       M.-T. SCHOEPFER                             J.-C. GEUS

          Secrétaire                                                 Président

    de la Deuxième Chambre                    de la Deuxième Chambre

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CEDH, Commission (deuxième chambre), GRANATA c. la FRANCE, 21 octobre 1998, 39626/98