CEDH, Cour (chambre), AFFAIRE KARAKAYA c. FRANCE, 26 août 1994, 22800/93

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Chronologie de l’affaire

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C. G. · Dalloz Etudiants · 29 février 2012

CEDH · 26 août 1994

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Chambre), 26 août 1994, n° 22800/93
Numéro(s) : 22800/93
Publication : A289-B
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt Vallée c. France du 26 avril 1994, série A no 289-A, p. 17, par. 34, p. 18, par. 38, p. 19, par. 47
Arrêt X c. France du 31 mars 1992, série A no 234-C, p. 90, par. 32, p. 91, par. 36, p. 94, par. 47
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Oui
Conclusions : Violation de l'Art. 6-1 ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention
Identifiant HUDOC : 001-62447
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1994:0826JUD002280093
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Texte intégral

COUR (CHAMBRE)

AFFAIRE KARAKAYA c. FRANCE

(Requête no22800/93)

ARRÊT

STRASBOURG

26 août 1994



En l’affaire Karakaya c. France[*],

La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit:

MM. R. Ryssdal, président,

L.-E. Pettiti,

Mme E. Palm,

MM. I. Foighel,

A.N. Loizou,

J.M. Morenilla,

A.B. Baka,

D. Gotchev,

P. Jambrek,

ainsi que de M. H. Petzold, greffier f.f.,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 24 juin et 23 août 1994,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:

PROCEDURE

1.   L’affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme ("la Commission") le 13 avril 1994, dans le délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (no 22800/93) dirigée contre la République française et dont un ressortissant turc, M. Mustafa Karakaya, avait saisi la Commission le 30 septembre 1993 en vertu de l’article 25 (art. 25).

La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu’à la déclaration française reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l’Etat défendeur aux exigences de l’article 6 par. 1 (art. 6-1).

2.   En réponse à l’invitation prévue à l’article 33 par. 3 d) du règlement, le requérant a manifesté le désir de participer à l’instance et désigné son conseil (article 30).

3.   La chambre à constituer comprenait de plein droit M. L.-E. Pettiti, juge élu de nationalité française (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le 26 avril 1994, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir Mme E. Palm, M. I. Foighel, M. A.N. Loizou, M. J.M. Morenilla, M. A.B. Baka, M. D. Gotchev et M. P. Jambrek, en présence du greffier adjoint (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43).

4.   En sa qualité de président de la chambre (article 21 par. 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté, par l’intermédiaire du greffier adjoint, l’agent du gouvernement français ("le Gouvernement"), l’avocat du requérant et le délégué de la Commission au sujet de l’organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Conformément à l’ordonnance rendue en conséquence, le greffier adjoint a reçu le mémoire du requérant le 9 mai 1994, celui du Gouvernement le 9 juin. Le 13 juin, le secrétaire de la Commission a informé le greffier adjoint que le délégué n’entendait pas y répondre par écrit.

5.   Le 20 mai 1994, la Commission a produit les pièces de la procédure suivie devant elle; le greffier adjoint l’y avait invitée sur les instructions du président.

6.   Ainsi qu’en avait décidé le président, les débats se sont déroulés en public le 21 juin 1994, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu:

- pour le Gouvernement

Mme M. Merlin-Desmartis, conseillère de tribunal               administratif,

détachée à la direction des affaires juridiques du ministère

des Affaires étrangères, agent,

Mme O. Dorion, bureau éthique et droit,

sous-direction des professions de santé, direction générale              

de la santé du ministère des Affaires sociales, de la Santé              

et de la Ville, conseil;

- pour la Commission

M. J.-C. Soyer, délégué;

- pour le requérant

Me J.-A. Blanc, avocat

au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, conseil.

La Cour a entendu en leurs déclarations Mme Merlin-Desmartis, M. Soyer et Me Blanc.

EN FAIT

I.   LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

7.   Ressortissant turc né en 1956, M. Mustafa Karakaya vit depuis de nombreuses années en France, où il a travaillé comme ouvrier-mécanicien jusqu’en 1990, date à laquelle il a été licencié pour motif économique.

8.   Au chômage depuis lors, il a été classé invalide à 80 % dès décembre 1991, en raison de séquelles articulaires dues à sa maladie.

Il est en effet hémophile, et a subi de fréquentes transfusions sanguines: il a été infecté par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) entre le 16 août et le 29 octobre 1984, cette dernière date n’ayant été déterminée qu’au cours de la procédure devant le tribunal administratif de Paris (paragraphe 17 ci-dessous). En avril 1992, il a été classé au stade III et avant-dernier de la contamination sur l’échelle du Centre de contrôle des maladies d’Atlanta.

A. Les recours en réparation

1. Le recours administratif

9.   Le 29 décembre 1989, le requérant adressa une demande préalable d’indemnisation - conformément à l’article R.102 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel (paragraphe 21 ci-dessous) - au ministre de la Solidarité, de la Santé et de la Protection sociale. Il réclamait une somme de 2 500 000 francs français (f), car, selon lui, sa contamination par le virus d’immunodéficience humaine résultait du retard fautif du ministre à mettre en oeuvre une réglementation adéquate de la délivrance des produits sanguins.

Six cent quarante-neuf autres requêtes gracieuses furent envoyées au ministre, le nombre des hémophiles contaminés s’élevant à l’époque à mille deux cent cinquante.

10.  Le 30 mars 1990, un mois avant l’expiration du délai légal de quatre mois (paragraphe 21 ci-dessous), le directeur général de la santé rejeta la requête de l’intéressé.

2. Le recours contentieux

11.  Le 23 mai 1990, M. Karakaya saisit le tribunal administratif de Versailles d’un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle et à l’octroi par l’Etat d’une indemnité de 2 500 000 f, plus les intérêts légaux. Le 18 octobre, il déposa son mémoire complémentaire.

Le ministre présenta son mémoire en défense le 22 avril 1991. Il y invitait le tribunal "à rejeter la demande du requérant", mais ajoutait:

"Cependant, pour le cas où il vous paraîtrait que le principe d’une faute de l’Etat pourrait être retenu, je vous demande de bien vouloir procéder à la désignation d’un expert afin d’établir si le préjudice pour lequel le requérant demande une indemnisation est véritablement imputable à cette faute."

12.  Par une ordonnance du 1er juillet 1991, prise en vertu de l’article R.82 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, l’affaire fut renvoyée au Conseil d’Etat, qui l’attribua au tribunal administratif de Paris, juridiction désignée pour connaître de l’ensemble des requêtes introduites contre l’Etat par les hémophiles contaminés.

a) L’instruction

i. Devant le tribunal administratif de Paris

13.  L’affaire fut inscrite à l’audience du 8 avril 1992. Le 22, le tribunal rendit un jugement avant dire droit, ainsi rédigé:

"(...) la responsabilité de l’Etat est engagée à l’égard des personnes atteintes d’hémophilie et qui ont été contaminées par le VIH à l’occasion de la transfusion de produits sanguins non chauffés, pendant la période de responsabilité susdéfinie, soit entre le 12 mars et le 1er octobre 1985."

D’autre part, il enjoignit au requérant de "produire un état des indemnités de toutes natures qu’il [avait] pu percevoir en réparation du préjudice qu’il [exposait] dans la (...) requête".

Le 25 août 1992, M. Karakaya reçut notification du jugement. Le 27, il adressa au tribunal une copie des offres du fonds d’indemnisation (paragraphe 18 ci-dessous).

14.  Les débats se déroulèrent le 3 février 1993. Le 14 avril, le tribunal rendit un second jugement avant dire droit, désignant un expert afin de déterminer notamment, dans la mesure du possible, si le requérant avait reçu des produits sanguins dérivés pendant la période de responsabilité de l’Etat précédemment définie et de formuler un avis sur la probabilité d’un lien de causalité entre l’administration des produits sanguins dérivés pendant cette période et la contamination par le VIH.

Le jugement fut notifié à M. Karakaya le 13 septembre 1993.

ii. Devant la cour administrative d’appel de Paris

15.  Le 24 septembre 1993, ce dernier interjeta appel des deux jugements avant dire droit des 22 avril 1992 et 14 avril 1993 devant la cour administrative d’appel de Paris, en vue d’obtenir leur annulation et de voir trancher le litige immédiatement par les juges du second degré sans avoir recours à une expertise.

16.  Par un arrêt du 31 mars 1994, la cour rejeta la requête. Elle concluait à l’irrecevabilité des conclusions dirigées contre le premier jugement et à l’utilité de l’expertise ordonnée par le second.

b) Le jugement

17.  Le 10 décembre 1993, l’expert déposa son rapport devant le tribunal administratif de Paris. On pouvait y lire:

"(...) ma conviction est que la contamination VIH initiale de M. Karakaya procède selon toute vraisemblance d’injections de produits antihémophiliques dérivés du sang effectuées entre le 16 août 1984 et le 29 octobre 1984."

L’affaire fut inscrite à l’audience du 16 février 1994. Le 2 mars, le tribunal administratif rendit le jugement suivant:

"Considérant qu’il résulte du rapport d’expertise que l’existence d’un lien de causalité entre la contamination du requérant par le virus de l’immunodéficience humaine et l’administration de produits dérivés du sang, pendant la période de responsabilité de l’Etat comprise entre le 12 mars et le 1er octobre 1985, telle qu’elle a été définie par jugement du 22 avril 1992, ne peut être regardée comme établie; qu’en effet l’expert indique que la séropositivité de M. Karakaya a été révélée sur un prélèvement du 13 novembre 1984; que, par suite, les conclusions de la requête de M. Karakaya tendant à la condamnation de l’Etat à réparer le préjudice subi du fait de cette contamination ne peuvent qu’être rejetées;

(...)"

Le requérant reçut notification du jugement le 5 avril 1994, mais n’interjeta pas appel dans le délai de deux mois qui s’ouvrait à lui.

B. La demande présentée au fonds d’indemnisation

18.  Le 17 avril 1992, M. Karakaya saisit le fonds d’indemnisation, instauré par la loi du 31 décembre 1991 (paragraphe 19 ci-dessous).

Le 13 mai 1992, ce dernier lui proposa un montant de 1 234 500 f, payable en trois versements échelonnés sur deux ans, en réparation de son "préjudice de séropositivité", dont il faudrait déduire 100 000 f versés par le fonds privé de solidarité des hémophiles. L’intéressé devait en outre obtenir une somme de 411 500 f dès la déclaration du SIDA (syndrome d’immunodéficience acquise).

A la suite de l’acceptation de l’offre par le requérant, le fonds lui adressa le 1er juin 1992 un premier versement de 378 170 f.

Le 9 décembre 1992, l’intéressé lui demanda le paiement immédiat du solde de l’indemnité de séropositivité; il se référait aux arrêts de la cour d’appel de Paris du 27 novembre 1992, selon lesquels l’échelonnement du paiement de ladite indemnité exigeait l’accord des bénéficiaires.

Le 18 février 1993, le fonds lui adressa la somme réclamée de 756 330 f.

II.  LE MÉCANISME D’INDEMNISATION

A. La législation

19.  La loi du 31 décembre 1991 "portant diverses dispositions d’ordre social" a créé un mécanisme spécifique d’indemnisation des hémophiles et des transfusés contaminés à la suite d’injections de produits sanguins. Son article 47 dispose:

"I. Les victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus d’immunodéficience humaine causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de produits dérivés du sang réalisée sur le territoire de la République française sont indemnisées dans les conditions définies ci-après.

II. (...)

III. La réparation intégrale des préjudices définis au I est assurée par un fonds d’indemnisation, doté de la personnalité civile, présidé par un président de chambre ou un conseiller de la Cour de cassation, en activité ou honoraire, et administré par une commission d’indemnisation.

(...)

IV. Dans leur demande d’indemnisation, les victimes ou leurs ayants droit justifient de l’atteinte par le virus d’immuno-déficience humaine et des transfusions de produits sanguins ou des injections de produits dérivés du sang.

(...)

Les victimes ou leurs ayants droit font connaître au fonds tous les éléments d’information dont [ils] disposent.

Dans un délai de trois mois à compter de la réception de la demande, qui peut être prolongé à la demande de la victime ou de ses ayants droit, le fonds examine si les conditions d’indemnisation sont réunies; il recherche les circonstances de la contamination et procède à toute investigation et ce, sans que puisse lui être opposé le secret professionnel.

(...)

V.  Le fonds est tenu de présenter à toute victime mentionnée au I une offre d’indemnisation dans un délai dont la durée est fixée par décret et ne peut excéder six mois à compter du jour où le fonds reçoit la justification complète des préjudices (...)

(...)

VI. La victime informe le fonds des procédures juridictionnelles éventuellement en cours. Si une action en justice est intentée, la victime informe le juge de la saisine du fonds.

VII. (...)

VIII. La victime ne dispose du droit d’action en justice contre le fonds d’indemnisation que si sa demande d’indemnisation a été rejetée, si aucune offre ne lui a été présentée dans le délai mentionné au premier alinéa du V ou si elle n’a pas accepté l’offre qui lui a été faite. Cette action est intentée devant la cour d’appel de Paris.

IX. Le fonds est subrogé, à due concurrence des sommes versées, dans les droits que possède la victime contre la personne responsable du dommage ainsi que contre les personnes tenues à un titre quelconque d’en assurer la réparation totale ou partielle dans la limite du montant des prestations à la charge desdites personnes. Toutefois, le fonds ne peut engager d’action au titre de cette subrogation que lorsque le dommage est imputable à une faute.

Le fonds peut intervenir devant les juridictions de jugement en matière répressive même pour la première fois en cause d’appel en cas de constitution de partie civile de la victime ou de ses ayants droit contre le ou les responsables des préjudices définis au I. Il intervient alors à titre principal et peut user de toutes les voies de recours ouvertes par la loi.

Si les faits générateurs du dommage ont donné lieu à des poursuites pénales, le juge civil n’est pas tenu de surseoir à statuer jusqu’à décision définitive de la juridiction répressive.

X.  Sauf disposition contraire, les modalités d’application du présent article sont fixées par décret en Conseil d’Etat.

XI. (...)

XII. L’alimentation du fonds d’indemnisation sera définie par une loi ultérieure.

XIII. (...)

XIV. (...)"

B. La jurisprudence

20.  Par trois arrêts du 9 avril 1993, l’Assemblée du contentieux du Conseil d’Etat décida "que la responsabilité de l’Etat est intégralement engagée à l’égard des personnes contaminées par le virus de l’immunodéficience humaine à la suite d’une transfusion de produits sanguins non chauffés opérée entre le 22 novembre 1984 et le 20 octobre 1985".

III.   LE DROIT PROCÉDURAL PERTINENT

A. Le régime applicable en l’espèce

21.  A l’époque des faits de la cause, le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel contenait notamment les dispositions suivantes:

Article R.102

"Sauf en matière de travaux publics, le tribunal administratif ne peut être saisi que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée.

Le silence gardé pendant plus de quatre mois sur une réclamation par l’autorité compétente vaut décision de rejet.

(...)"

Article R.129

"Le président du tribunal administratif ou de la cour administrative d’appel ou le magistrat que l’un d’eux délègue peut accorder une provision au créancier qui a saisi le tribunal ou la cour d’une demande au fond, lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Il peut, même d’office, subordonner le versement de la provision à la constitution d’une garantie."

Article R.142

"Immédiatement après l’enregistrement de la requête introductive d’instance au greffe, le président du tribunal ou, à Paris, le président de la section à laquelle cette requête a été transmise désigne un rapporteur.

Sous l’autorité du président de la formation de jugement à laquelle il appartient, le rapporteur fixe, eu égard aux circonstances de l’affaire, le délai accordé, s’il y a lieu, aux parties pour produire mémoire complémentaire, observations, défense ou réplique. Il peut demander aux parties, pour être joints à la procédure contradictoire, toutes pièces ou tous documents utiles à la solution du litige."

Article R.150

"Lorsque l’une des parties ou l’administration appelée à produire des observations n’a pas observé le délai qui lui a été imparti en exécution des articles R.142 et R.147 du présent code, le président de la formation de jugement lui adresse une mise en demeure.

En cas de force majeure, un nouveau et dernier délai peut être accordé.

Si la mise en demeure reste sans effet ou si le dernier délai assigné n’est pas observé, la juridiction statue."

Article R.151

"Lorsqu’elle concerne une administration de l’Etat, la mise en demeure est adressée à l’autorité compétente pour représenter l’Etat; dans les autres cas, elle est adressée à la partie ou à son mandataire, s’il a été constitué."

Article R.182

"Un membre du tribunal administratif ou de la cour administrative d’appel peut être commis par la formation de jugement ou par son président pour procéder à toutes mesures d’instruction autres que celles qui sont prévues aux sections 1 à 4 du présent chapitre."

B. Le régime actuel

22.  Le décret no 93-906 du 12 juillet 1993 s’applique aux instances en cours à la date de sa publication. Il fixe les modalités d’application de l’article 47 de la loi du 31 décembre 1991 (paragraphe 19 ci-dessus):

"Titre II

Dispositions relatives aux actions en responsabilité intentées à l’encontre des responsables des dommages définis au I de l’article 47 de la loi du 31 décembre 1991 susvisée

Article 15

Le fonds peut, pour exercer l’action subrogatoire prévue au IX de l’article 47 de la loi du 31 décembre 1991 susvisée, intervenir même pour la première fois en cause d’appel devant toute juridiction de l’ordre administratif ou judiciaire. Il intervient alors à titre principal et peut user de toutes les voies de recours ouvertes par la loi.

Article 16

Les greffes et secrétariats-greffes des juridictions des ordres administratif et judiciaire adressent au fonds, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, copie des actes de procédure saisissant celles-ci, à titre initial ou additionnel, de toute demande en justice relative à la réparation des préjudices définis au I de l’article 47 de la loi du 31 décembre 1991 susvisée.

Article 17

Dans le délai d’un mois à compter de la réception de la lettre mentionnée à l’article 16, le fonds indique au président de la juridiction concernée, par lettre simple, s’il a été ou non saisi d’une demande d’indemnisation ayant le même objet et, dans l’affirmative, l’état d’avancement de la procédure. Il fait en outre savoir s’il entend ou non intervenir à l’instance.

Lorsque la victime a accepté l’offre faite par le fonds, celui-ci adresse au président de la juridiction copie des documents par lesquels ont eu lieu l’offre et l’acceptation. Le fonds fait connaître le cas échéant l’état de la procédure engagée devant la cour d’appel de Paris en application des dispositions du titre I du présent décret et communique, s’il y a lieu, l’arrêt rendu par la cour.

Les parties sont informées par le greffe ou le secrétariat-greffe des éléments communiqués par le fonds.

Article 18

Copie des décisions rendues en premier ressort et, le cas échéant, en appel, dans les instances auxquelles le fonds n’est pas intervenu est adressée à celui-ci par le greffe ou le secrétariat-greffe.

Article 19

(...)

Article 20

Les dispositions des articles 15 à 19 sont applicables aux instances en cours à la date d’entrée en vigueur du [présent] décret (...)"

PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION

23.  M. Karakaya a saisi la Commission le 30 septembre 1993. Il alléguait le dépassement du délai raisonnable dont l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention exige le respect.

24.  La Commission a retenu la requête (no 22800/93) le 19 janvier 1994. Dans son rapport du 9 mars 1994 (article 31) (art. 31), elle conclut, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt[*].

CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR

25.  Dans son mémoire, le Gouvernement

"s’en remet à la sagesse de la Cour pour apprécier la violation de l’article 6 (art. 6) de la Convention et demande, le cas échéant, que la réparation du préjudice moral subi par M. Karakaya soit fixée à 200 000 f auxquels s’ajouteront les frais et dépens".

26.  De son côté, le requérant invite la Cour à dire

"qu’il y a violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention et que l’Etat défendeur devra verser au requérant 350 000 f pour dommage et 58 114 f pour frais et dépens".

EN DROIT

I.   SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 6 PAR. 1 (art. 6-1)

27.  M. Karakaya se plaint de la durée de l’examen de l’action en réparation qu’il a engagée contre l’Etat. Il allègue une violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, ainsi libellé:

"Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...)"

A. Sur l’applicabilité de l’article 6 par. 1 (art. 6-1)

28.  Requérant et Commission s’accordent à estimer l’article 6 par. 1 (art. 6-1) applicable en l’espèce, ce que le Gouvernement ne conteste pas.

B. Sur l’observation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1)

1. Période à considérer

29.  La période à considérer a débuté le 29 décembre 1989, date de la demande préalable d’indemnisation au ministre de la Solidarité, de la Santé et de la Protection sociale (paragraphe 9 ci-dessus). Elle a pris fin le 5 avril 1994, date de notification du jugement du tribunal administratif de Paris du 2 mars 1994 (paragraphe 17 ci-dessus). Elle s’étend donc sur quatre ans et trois mois.

2. Caractère raisonnable de la durée de la procédure

30.  Le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, notamment la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes. Sur ce dernier point, l’enjeu du litige pour l’intéressé entre en ligne de compte (voir les arrêts X c. France du 31 mars 1992, série A no 234-C, p. 90, par. 32, et Vallée c. France du 26 avril 1994, série A no 289-A, p. 17, par. 34).

a) Complexité de l’affaire

31.  D’après M. Karakaya, l’affaire ne présentait pas la moindre complexité, car les principes de la responsabilité de l’Etat dans la contamination des hémophiles ont été dégagés depuis le jugement rendu le 20 décembre 1991 par la formation plénière du tribunal administratif de Paris. Dans ses arrêts X c. France et Vallée c. France, la Cour avait déjà jugé qu’un délai de deux ans et, a fortiori, un délai de quatre ans et trois mois excédait le délai raisonnable.

32.  Le Gouvernement, lui, rappelle les difficultés et incertitudes auxquelles furent confrontées les juridictions saisies des premiers recours en réparation jusqu’à l’arrêt adopté le 9 avril 1993 par l’Assemblée du Conseil d’Etat, qui a fixé le fondement de la responsabilité de l’Etat. De plus, il a fallu attendre le rapport de l’Inspection générale des Affaires sanitaires et sociales établi en septembre 1991 pour arrêter la date à laquelle les pouvoirs publics avaient été clairement alertés sur le rôle de la transfusion sanguine dans la transmission du SIDA.

33.  La Commission souscrit en substance à la thèse du requérant.

34.  Pour la Cour, même si l’affaire revêtait une certaine complexité, les données permettant de trancher la question de la responsabilité de l’Etat étaient disponibles depuis longtemps (voir les arrêts X c. France et Vallée précités, respectivement p. 91, par. 36, et p. 18, par. 38).

b) Comportement du requérant

35.  Le Gouvernement souligne que M. Karakaya a produit son mémoire complémentaire cinq mois après l’introduction de son recours devant le tribunal administratif.

36.  D’après le requérant, cette circonstance n’entre nullement en ligne de compte: en vertu des dispositions du code des tribunaux administratifs, le tribunal aurait pu communiquer ledit recours au ministre de la Santé et lui impartir un délai pour répondre. Au demeurant, le mémoire complémentaire était en tous points identique à ceux déposés par les quatre cents autres hémophiles à l’appui de leur recours.

37.  Comme la Commission, la Cour note que de toute manière plus de trois ans et cinq mois se sont écoulés entre le dépôt de ce mémoire (18 octobre 1990) et la fin de la procédure (5 avril 1994).

c) Comportement des autorités nationales

i. Les autorités administratives

38.  M. Karakaya critique la lenteur du ministre compétent à déposer ses mémoires en réponse, soit trois mois en matière gracieuse et onze mois en matière contentieuse (paragraphes 10 et 11 ci-dessus). Au surplus, il estime que le gouvernement a tardé avec la création d’un fonds d’indemnisation et trouve inadmissible un délai d’un an et demi entre la publication de la loi du 31 décembre 1991 et celle du décret d’application du 12 juillet 1993 (paragraphes 19 et 22 ci-dessus).

39.  En revanche, le Gouvernement affirme que les pouvoirs publics ont fait diligence pour indemniser rapidement les victimes des transfusions sanguines, notamment grâce au fonds créé par la loi du 31 décembre 1991.

40.  Avec la Commission, la Cour relève que la création d’un fonds spécial, pour louable qu’elle soit, n’eut pas pour effet d’accélérer les procédures au principal ou complémentaires devant les juridictions saisies de requêtes de personnes contaminées. Elle note aussi que le ministre de la Santé a présenté son mémoire en défense presque onze mois (22 avril 1991) après l’introduction du recours (23 mai 1990) et six mois après le dépôt du mémoire complémentaire (18 octobre 1990).

ii. Les juridictions administratives

41.  D’après M. Karakaya, compte tenu de l’espérance de vie moyenne de douze ans pour une personne contaminée par le virus du SIDA, le tribunal administratif aurait dû utiliser ses pouvoirs d’injonction pour raccourcir des délais anormalement longs de procédure et de notification de jugements. Par ailleurs, le second jugement avant dire droit (14 avril 1993), ordonnant une expertise médicale, constituerait une absurdité puisqu’il intervenait un an après le premier (22 avril 1992) qui avait déjà défini la période de responsabilité de l’Etat.

Malgré l’octroi par le fonds de 378 170 f le 1er juin 1992 et de 756 330 f le 18 février 1993, à un moment où le délai raisonnable était déjà dépassé, l’enjeu de la procédure devant les juridictions administratives demeurait considérable à la fois sur les plans moral et pécuniaire complémentaire.

42.  Le Gouvernement soutient que le premier jugement avant dire droit demandant au requérant l’état des indemnités versées par le fonds et le second ordonnant une expertise médicale, s’imposaient tous deux.

L’indemnisation par le fonds, intervenue en cours d’instance, aurait fait perdre au litige une grande partie de son enjeu financier, et la condamnation de l’administration par le Conseil d’Etat dans ses arrêts d’avril 1993 en aurait également réduit la portée sur le plan moral.

43.  A l’instar de la Commission, la Cour estime que l’enjeu de la procédure litigieuse revêtait une importance extrême pour le requérant, eu égard au mal incurable qui le mine et à son espérance de vie réduite: infecté en 1984, il a été classé dès 1992 au stade III et avant-dernier de la contamination (paragraphe 8 ci-dessus). Bref, une diligence exceptionnelle s’imposait en l’occurrence, nonobstant le nombre de litiges à traiter, d’autant qu’il s’agissait d’un débat dont le gouvernement connaissait les données depuis plusieurs années et dont la gravité ne pouvait lui échapper (voir les arrêts X c. France et Vallée précités, respectivement p. 94, par. 47, et p. 19, par. 47).

Or le tribunal administratif n’a pas utilisé ses pouvoirs d’injonction pour presser la marche de l’instance, alors qu’il n’ignorait ni l’arrêt X c. France ni l’état de santé de M. Karakaya.

44.  A cet égard, plusieurs délais semblent anormalement longs:

- la phase de vingt-deux mois entre la saisine du tribunal administratif de Versailles (23 mai 1990) et la première audience (8 avril 1992) (paragraphes 11 et 13 ci-dessus);

- la période d’un an entre le premier jugement avant dire droit (22 avril 1992) et le second (14 avril 1993) (paragraphes 13 et 14 ci-dessus) même si ce dernier était nécessaire, l’expertise médicale ayant révélé la contamination de M. Karakaya à une date située en dehors de la période de responsabilité de l’Etat;

- le délai de quatre mois pour notifier le jugement du 22 avril 1992 (paragraphe 13 ci-dessus);

- le laps de temps de cinq mois pour notifier le jugement du 14 avril 1993 (paragraphe 14 ci-dessus).

45.  Se référant à ses arrêts X c. France et Vallée, la Cour rappelle qu’une durée de procédure de plus de quatre ans pour obtenir un jugement de première instance dépasse largement le délai raisonnable pour une affaire d’une telle nature. Ce délai était déjà dépassé avant même l’indemnisation du requérant par le fonds les 1er juin 1992 et 18 février 1993 (paragraphe 18 ci-dessus). Après cette dernière date, un enjeu très important, tant pécuniaire que moral, subsistait pour M. Karakaya.

En résumé, il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1).

II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 50 (art. 50)

46.  Aux termes de l’article 50 (art. 50) de la Convention,

"Si la décision de la Cour déclare qu’une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d’une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s’il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable."

A. Dommage

47.  M. Karakaya sollicite d’abord 350 000 f pour préjudice moral, somme supérieure à celle allouée par la Cour dans l’affaire Vallée pour une durée de procédure identique en raison de l’absence d’indemnisation devant les juridictions nationales.

48.  Le Gouvernement estime que si la Cour concluait à la violation de l’article 6 (art. 6), elle devrait confirmer sa jurisprudence dans l’affaire Vallée et limiter à 200 000 f la réparation accordée à ce titre.

49.  Quant au délégué de la Commission, il souscrit en substance à l’opinion du Gouvernement.

50.  La Cour constate que le requérant a subi un tort moral incontestable, mais elle ne saurait lier le montant de la réparation accordée pour un préjudice né de la longueur de la procédure à l’issue du litige devant les juridictions nationales. Par ailleurs, elle relève que l’intéressé a déjà obtenu en cours d’instance (1er juin 1992 et 18 février 1993) une somme de 1 134 500 f versée par le fonds d’indemnisation. Prenant en compte les divers éléments pertinents et statuant en équité comme le veut l’article 50 (art. 50), elle alloue 200 000 f à M. Karakaya.

B. Frais et dépens

51.  Le requérant réclame en outre 58 114 f pour les frais et dépens qu’il a supportés devant les organes de la Convention.

52.  Le Gouvernement ne s’oppose pas à la demande et le délégué de la Commission se prononce pour un remboursement.

53.  La Cour accueille en entier les prétentions de l’intéressé.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L’UNANIMITE,

1.   Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1);

2.   Dit que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, 200 000 (deux cent mille) francs français pour dommage et 58 114 (cinquante huit mille cent quatorze) pour frais et dépens;

3.   Rejette les prétentions de l’intéressé pour le surplus.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 26 août 1994.

Rolv RYSSDAL

Président

Herbert PETZOLD

Greffier f.f.


[*] Note du greffier: l'affaire porte le n° 12/1994/459/540.  Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.

[*] Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 289-B de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.

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CEDH, Cour (chambre), AFFAIRE KARAKAYA c. FRANCE, 26 août 1994, 22800/93