CEDH, Cour (troisième section), AFFAIRE BOUCHET c. FRANCE, 20 mars 2001, 33591/96

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Chronologie de l’affaire

Commentaire1

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CEDH · 20 mars 2001

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Troisième Section), 20 mars 2001, n° 33591/96
Numéro(s) : 33591/96
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt Clooth c. Belgique du 12 décembre 1991, série A n° 225, p. 15, § 40
Arrêt I.A. c. France du 23 septembre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-VII, pp. 2978-2979, § 102, § 104
Arrêt Ismaël Debboub alias Husseini Ali c. France du 9 novembre 1999, n° 37786/97
Arrêt Kemmache c. France du 27 novembre 1991, série A n° 218, p. 24, § 47
Arrêt Kudla c. Pologne [GC], n° 30210/96, §§ 110-111, CEDH-2000
Arrêt Letellier c. France du 26 juin 1991, série A n° 207, p. 18, § 35
Arrêt Matznetter c. Autriche du 10 novembre 1969, série A n° 9, pp. 32-33, § 9
Arrêt P.B. c. France du 1er août 2000, n° 38781/97
Arrêt Wassink c. Pays-Bas du 27 septembre 1990, série A n° 185-A, p. 14, § 38
Requête n° 24722/94, décision du 10 avril 95, Décisions et rapports 81-A, p. 135
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Oui
Conclusions : Non-violation de l'art. 5-3 ; Non-violation de l'art. 5-5
Identifiant HUDOC : 001-63905
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2001:0320JUD003359196
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Sur les parties

Texte intégral

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE BOUCHET c. FRANCE

(Requête n° 33591/96)

ARRÊT

STRASBOURG

20 mars 2001

DÉFINITIF

05/09/2001

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive.


En l’affaire Bouchet c. France,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. L. Loucaides, président,
J.-P. Costa
P. Kūris,
MmeF. Tulkens,
M.K. Jungwiert,
SirNicolas Bratza,
MmeH.S. Greve, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 11 janvier et 6 avril 2000 et 6 mars 2001,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (n° 33591/96) dirigée contre la France et dont un ressortissant de cet Etat, Gilles Bouchet (« le requérant »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 9 août 1996 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, est représenté par Me M.A. Chamard-Cabibel, avocate au barreau du Puy-En-Velay. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Ronny Abraham, Directeur des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3.  Le requérant se plaignait en particulier de la durée de la détention provisoire et invoquait l’article 5 §§ 3 et 5 de la Convention.

4.  Le 14 janvier 1998, la Commission (Deuxième Chambre) a décidé de porter les griefs tirés de l’article 5 §§ 3 et 5 de la Convention à la connaissance du Gouvernement en l’invitant à présenter par écrit des observations sur la recevabilité et le bien fondé de ceux-ci. Le Gouvernement a présenté ses observations le 15 mai 1998 et le requérant y a répondu le 10 juin 1998.

5.  La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d’entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole n° 11). Elle a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement).

6.  Par une décision du 11 janvier 2000, la chambre a déclaré la requête partiellement recevable et a décidé de poser au Gouvernement une question supplémentaire. Celui y a répondu par des observations complémentaires le 25 février 2000.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

7.  Le 27 mai 1995, le requérant fut convoqué à la brigade de gendarmerie. Il fut placé en garde à vue, pendant vingt-trois heures, en raison d’une plainte pour viol déposée pour son ex-compagne avec laquelle il avait vécu quatre années.

8.  Le 8 janvier 1996, le requérant fut interpellé et se vit notifier la prolongation de la garde à vue précédente. Le même jour, le requérant fut mis en examen pour le crime de viol et le délit de trouble à la tranquillité d’autrui par des appels téléphoniques malveillants, par un juge d’instruction du Puy-en-Velay. Il fut placé sous mandat de dépôt. Le 24 janvier 1996, une confrontation et des expertises psychiatriques eurent lieu.

9.  Le 26 février 1996, le requérant déposa une demande de mise en liberté, que le juge d’instruction rejeta le 1er mars dans l’attente du rapport d’expertise psychiatrique. Ce dernier fut déposé le 4 mars 1996. Sollicité par le requérant, l’expert compléta ses observations en formulant un avis selon lequel la détention aurait des effets néfastes sur l’état psychique du requérant.

10.  Le 14 mars 1996, le requérant déposa une nouvelle demande de mise en liberté. Par ordonnance du 18 mars 1996, le juge d’instruction mit le requérant en liberté en relevant que :

« Le maintien en détention provisoire ne s’impose plus au regard des dispositions de l’article 144 du code de procédure pénale :

–  risque de pression sur la victime : Mme S. a été entendue à plusieurs reprises, la confrontation a eu lieu ;

–  garanties de représentation : le mis en examen a un emploi (il n’a pas été licencié) au demeurant qualifié, un domicile, il est père d’un enfant de trois ans ;

–  risque de renouvellement de l’infraction : les mesures de soins prescrites par l’ordonnance de placement sous contrôle judiciaire permettront une prise de conscience par le mis en examen et éviteront la réitération des faits (tel est l’avis des experts) ;

–  ordre public : celui-ci n’a pas été troublé par des faits dont il n’a été fait aucune publicité. »

Le juge plaça le requérant sous contrôle judiciaire, avec notamment interdiction d’entrer en contact avec la victime. Le procureur de la République interjeta appel de cette ordonnance.

11.  Le 26 mars 1996, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Riom ordonna la réincarcération du requérant. Au cours de l’audience, l’avocat du requérant fit valoir que si effectivement son client avait été très attaché à Mme S. et très affecté par son infidélité, il n’y avait plus de risque d’incident au moment de son incarcération ; il produisit une lettre de l’expert psychiatre répondant à sa demande et qui précisait que l’intéressé a présenté une psychose passionnelle mais qu’il s’est détaché de cet objet passionnel, qu’il demeure fragile qu’il serait dangereux de détruire l’équilibre recouvré par une nouvelle incarcération qui pourrait avoir des conséquences psychiques profondes et aboutir à une autolyse. La chambre d’accusation estima notamment que le requérant, narcissique et jaloux, présentait une personnalité tourmentée pouvant entraîner des réactions imprévisibles, tandis que la victime témoignait d’une immaturité affective et sociale, d’une certaine suggestibilité et vulnérabilité sans cependant de tendance à l’affabulation ou à la mythomanie. Elle jugea que « le sentiment de persécution et l’agressivité présentées par Gilles Bouchet peuvent faire craindre une réitération des faits et des pressions sur la victime et son entourage » et « qu’une mesure de contrôle judiciaire même strict n’apparaît pas suffisante pour atténuer le trouble à l’ordre public (...) ». Enfin, elle critiqua la demande de complément d’expertise adressée directement par le requérant à l’expert, estimant que ce dernier n’avait pas à donner un avis que le juge n’avait pas lui-même sollicité, et s’exprima comme suit :

« Attendu que s’il peut paraître étonnant qu’une partie à la procédure sollicite directement le Dr R. commis par le juge en qualité d’expert psychiatre pour l’inviter à compléter ses précédentes conclusions sur le point particulier des conséquences éventuelles d’une réincarcération sur le psychisme du mis en examen, il est encore plus surprenant que cet expert réponde à cette sollicitation et formule un avis qui ne lui est pas demandé par le magistrat instructeur ; que cet avis sollicité apparaît tendancieux dans la mesure où le même expert concluait dans son rapport déposé le 4 mars à l’existence d’un risque de récidive [et] n’avait absolument pas considéré que la détention provisoire en cours était incompatible avec l’état psychique de Bouchet et était susceptible de perturber son équilibre au point d’entraîner des risques majeurs pour lui-même ; qu’en tout état de cause il appartient à l’administration pénitentiaire d’assurer au détenu la surveillance et les soins nécessités par son état psychique dans la mesure où il n’est pas formellement établi que cet état n’est plus compatible avec la détention ».

12.  Le requérant, qui avait retrouvé son emploi, fut arrêté sur son lieu de travail et remis en détention provisoire.

13.  Le 26 avril 1996, le requérant présenta une demande de mise en liberté. Celle-ci fut rejetée par la chambre d’accusation par arrêt du 14 mai 1996.

14.  Le 28 mai 1996, suite à la demande d’une contre-expertise psychiatrique, un rapport fut déposé. Il énonçait que les actes reprochés au mis en examen étaient en rapport avec les traits de personnalité décrits dans l’arrêt du 26 mars 1996 et qu’un risque de récidive était toujours possible compte tenu du contexte de frustration affective.

15.  Le 13 juin 1996, le requérant présenta une nouvelle demande de mise en liberté auprès du juge d’instruction qui, compte tenu de sa position antérieure quant au bien-fondé d’une telle demande, invita le requérant à saisir directement la chambre d’accusation (article 148 du code de procédure pénale).

16.  Par arrêt du 25 juin 1996, la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par le requérant contre l’arrêt du 26 mars 1996 dans les termes suivants :

« (...)  Attendu que pour infirmer cette ordonnance et dire que le mandat de dépôt initial reprendra ses effets, la chambre d’accusation, après avoir analysé les faits de la cause et les charges pesant sur Gilles Bouchet, ainsi que les conclusions des expertises médico-psychologique et psychiatrique le concernant, relève qu’il appartient à l’administration pénitentiaire d’assurer la surveillance et les soins nécessités par l’état psychique ou physique de l’intéressé dans la mesure où il n’est pas formellement établi que cet état ne serait pas compatible avec la détention, et retient qu’une mesure de contrôle judiciaire, même strict, n’apparaît pas suffisante, eu égard au trouble durable causé à l’ordre public, au risque de réitération des faits et des pressions sur la victime ; Attendu qu’en l’état de ces énonciations, la chambre d’accusation a répondu comme elle le devait au mémoire dont elle était saisie et a justifié sa décision par des considérations de fait et de droit répondant aux exigences des articles 144 et 145 du code de procédure pénale ».

17.  Également le 25 juin 1996, le juge d’instruction délivra une commission rogatoire aux fins de transcription de la cassette du répondeur téléphonique du requérant.

18.  Le 3 juillet 1996, le requérant formula une demande de mise en liberté qui fut rejetée par la chambre d’accusation en date du 16 juillet 1996 au motif qu’il existait un risque de récidive et de pression sur la victime en rapport avec la personnalité perturbée de l’accusé et fragile de la victime.

19.  Le 2 juillet 1996, le requérant a tenté de se suicider.

20.  Le 25 septembre 1996, le juge d’instruction délivra une commission rogatoire aux fins de se rendre dans l’établissement dans lequel la victime avait acheté le vêtement qu’elle portait le jour des faits.

21.  Le 30 octobre 1996, l’instruction fut clôturée.

22.  Le 21 novembre 1996, le conseil du requérant écrivit au juge d’instruction pour lui demander la mise en liberté du requérant. Il releva notamment que seul le procureur s’opposait à la liberté, alors que les mesures ordonnées le 18 mars 1996 permettaient d’éviter toute difficulté. Le conseil du requérant indiqua notamment que l’instruction était terminée, que la confrontation et autres mesures avaient été effectuées, que le trouble à l’ordre public n’existait plus puisque même les parents de la victime lui écrivaient en prison pour le soutenir, qu’il présentait des garanties de représentation liées à un casier judiciaire vierge, à un domicile et un travail. En outre, l’avocat soutint que le requérant était « perturbé » en raison de sa détention et des problèmes multiples qu’elle entraînait sur le plan professionnel, familial et affectif. Enfin, il releva que les faits permettaient de mettre sérieusement en doute la thèse du viol : aucune trace de violence au vu du certificat médical rédigé juste après les faits ; doute quant à la pénétration ; rapport médical attestant de l’absence de lésions et de la présence de sécrétions féminines importantes mélangées aux traces de sperme examinées ; aucune alerte alors que la victime habite une maison jumelée, dans un lotissement et que le requérant a pu normalement fumer une cigarette et prendre un verre dans une pièce voisine après les faits.

23.  Par arrêt du 10 décembre 1996, la chambre d’accusation rejeta cette demande dans des termes identiques aux précédentes en précisant « (...) que les garanties offertes par un contrôle judiciaire qu’autoriseraient certes les garanties de représentation du requérant paraissaient insuffisantes ».

24.  Par arrêt du 11 février 1997, le requérant fut renvoyé devant la cour d’assises du département de la Haute-Loire.

25.  Le 16 avril 1997, l’affaire fut renvoyée à une session ultérieure de la cour d’assises.

26.  Par arrêt du 7 mai 1997, la cour d’assises rejeta la demande de mise en liberté présentée par le requérant au motif que les obligations du contrôle judiciaire étaient insuffisantes pour écarter le risque de pression sur les témoins et la victime (le requérant n’ayant pas contesté avoir harcelé la victime par des appels téléphoniques malveillants pendant la phase d’enquête préliminaire sur le viol ; les personnalités de la victime et du requérant sont fragiles) et le risque de fuite (le requérant ne rapportant pas la preuve d’une possibilité réelle d’emploi stable et fixe).

27.  Par arrêt de la cour d’assises du 3 juillet 1997, après audience des 2 et 3 juillet, le requérant fut acquitté pour le crime de viol et condamné à un an d’emprisonnement pour le délit connexe de trouble à la tranquillité d’autrui. La cour d’assises prononça en outre l’interdiction des droits civiques, civils et de famille du requérant pour une durée de cinq ans. Le requérant fut libéré le même jour.

28.  Le 18 décembre 1997, le requérant saisit la commission nationale d’indemnisation en matière de détention provisoire, en application de l’article 149 du code de procédure pénale, en raison de la détention provisoire subie du 8 janvier 1996 au 18 mars 1996, puis du 26 mars 1996 au 3 juillet 1997. Il demanda une indemnisation à hauteur de 550 000 FRF.

29.  Par une décision du 16 octobre 1998, la commission d’indemnisation déclara la demande du requérant irrecevable au motif que l’indemnité à raison d’une détention provisoire ne peut être accordée que si la procédure a été terminée à l’égard du demandeur par une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement devenue définitive.

II.  DROIT INTERNE PERTINENT

30.  Code de procédure pénale

Article 137

« La personne mise en examen reste libre sauf, à raison des nécessités de l’instruction ou à titre de mesure de sûreté, à être soumise au contrôle judiciaire ou, à titre exceptionnel, placée en détention provisoire selon les règles et les conditions énoncées ci-après. »

Article 138

« Le contrôle judiciaire peut être ordonné par le juge d’instruction si la personne mise en examen encourt une peine d’emprisonnement correctionnel ou une peine plus grave. Ce contrôle astreint la personne concernée à se soumettre, selon la décision du juge d’instruction, à une ou plusieurs des obligations ci-après énumérées :

(...)

9° S’abstenir de recevoir ou rencontrer certaines personnes spécialement désignées par le juge d’instruction, ainsi que d’entrer en relation avec elles, de quelque façon que ce soit ;

10° Se soumettre à des mesures d’examen, de traitement ou de soins (...) »

Article 139 alinéa 1

« La personne mise en examen est placée sous contrôle judiciaire par une ordonnance du juge d’instruction qui peut être prise en tout état de l’instruction ».

Article 144

« En matière criminelle et en matière correctionnelle, si la peine encourue est égale ou supérieure soit à un an d’emprisonnement en cas de délit flagrant, soit à deux ans d’emprisonnement dans les autres cas et si les obligations du contrôle judiciaire sont insuffisantes au regard des fonctions définies à l’article 137, la détention provisoire peut être ordonnée ou prolongée :

1°  Lorsque la détention provisoire de la personne mise en examen est l’unique moyen de conserver les preuves ou les indices matériels ou d’empêcher soit une pression sur les témoins ou les victimes, soit une concertation frauduleuse entre personnes mises en examen et complices ;

2°  Lorsque cette détention est nécessaire pour protéger la personne concernée, pour mettre fin à l’infraction ou prévenir son renouvellement, pour garantir le maintien de la personne concernée à la disposition de la justice ou pour préserver l’ordre public du trouble causé par l’infraction. (...) »

Article 149

« Sans préjudice de l’application des dispositions des articles 505 et suivants du code de procédure civile, une indemnité peut être accordée à la personne ayant fait l’objet d’une détention provisoire au cours d’une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement devenue définitive, lorsque cette détention lui a causé un préjudice manifestement anormal et d’une particulière gravité ».

31.  Code pénal

Article 222-16

« Les appels téléphoniques malveillants ou les agressions sonores, réitérés en vue de troubler la tranquillité d’autrui, sont punis d’un an d’emprisonnement et de 100 000 francs d’amende »

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION

32.  Le requérant se plaint de la durée de sa détention. Il invoque l’article 5 § 3 de la Convention, selon lequel :

« Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, (...) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »

A.  Période à prendre en considération

33.  Les périodes à considérer s’étendent du 8 janvier 1996, date du placement du requérant sous mandat de dépôt, au 18 mars 1996, date de la mise en liberté sous contrôle judiciaire du requérant, et du 26 mars 1996, date de la réincarcération du requérant, au 3 juillet 1997, avec l’arrêt de la cour d’assises le condamnant à un an d’emprisonnement. L’incarcération litigieuse totale s’étend donc sur dix-sept mois et dix-sept jours.

B.  Le caractère raisonnable de la durée de la détention

1. Thèses des parties

34.  Le requérant considère que sa mise sous contrôle judiciaire était parfaitement justifiée compte tenu de ce que l’instruction était déjà bien avancée – les principaux protagonistes ayant été entendus – sinon terminée, avant sa mise en liberté le 18 mars 1996. En outre, il explique que le danger allégué de trouble à l’ordre public et de risque de pression sur la victime s’est amenuisé avec le temps, et en particulier compte tenu du laps de temps qui s’est écoulé entre sa garde à vue et son placement sous mandat de dépôt (huit mois). Il en serait de même du laps de temps entre la clôture de l’instruction et le jugement de la cour d’assises.

35.  Il fait valoir également que sa détention était motivée par sa mise en examen pour viol et non pas pour le délit connexe qu’il n’a jamais contesté. En cas contraire, il n’aurait pas été détenu aussi longtemps ; en effet, en matière correctionnelle, la détention ne peut excéder quatre mois. C’est donc bien au regard des faits criminels reprochés qu’il a été mis en détention aussi longtemps et pour lesquels il a bénéficié d’une décision d’acquittement.

36.  Après avoir souligné la courte durée de la détention provisoire dont a fait l’objet le requérant, à savoir dix-sept mois et dix-sept jours, le Gouvernement plaide que celle-ci se trouve justifiée. La persistance de soupçons à l’égard de l’intéressé durant la période considérée ne saurait faire aucun doute. Quant aux autres motifs retenus par les juridictions compétentes, ils seraient pertinents et suffisants.

37.  Ainsi, la nature et les circonstances du crime en cause, la vulnérabilité de la victime et la personnalité déséquilibrée du requérant, malgré l’absence de publicité des faits litigieux, auraient concouru à la réalisation d’un trouble grave et durable à l’ordre public. En outre, le maintien en détention du requérant était justifié par la nécessité d’éviter des pressions sur la victime, risque qui aurait persisté jusqu’au jour du jugement en raison, toujours, des troubles psychiques de l’intéressé et de la vulnérabilité de son ex-concubine. Enfin, ces considérations auraient été également déterminantes pour la chambre d’accusation pour retenir le risque de réitération des faits. En résumé, les circonstances de la cause justifieraient que le requérant ne fût pas libéré pendant la procédure.

38.  Quant à la longueur de la détention provisoire, elle serait essentiellement due à la complexité de l’affaire, résultant de l’insuffisance des preuves matérielles dans ce genre d’agression et de la nécessité de délivrer plusieurs commissions rogatoires, d’ordonner la saisie des dossiers médicaux, la réalisation d’expertises médico-psychologiques ainsi que des investigations spécifiques telles que la recherche d’ADN. Le comportement des autorités judiciaires serait irréprochable à tous les stades de la procédure.

2.  Appréciation de la Cour

a)  Principes se dégageant de la jurisprudence de la Cour

39.  Il incombe en premier lieu aux autorités judiciaires nationales de veiller à ce que, dans un cas donné, la durée de la détention provisoire d’un accusé ne dépasse pas la limite du raisonnable. A cette fin, il leur faut examiner toutes les circonstances de nature à révéler ou écarter l’existence d’une exigence d’intérêt public justifiant, eu égard à la présomption d’innocence, une exception à la règle du respect de la liberté individuelle et en rendre compte dans leurs décisions relatives aux demandes d’élargissement. C’est essentiellement sur la base des motifs figurant dans ces décisions, ainsi que des faits non controuvés indiqués par l’intéressé dans ses recours, que la Cour doit déterminer s’il y a eu ou non violation de l’article 5 § 3 de la Convention.

40.  La persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée d’avoir commis une infraction est une condition sine qua non de la régularité du maintien en détention, mais au bout d’un certain temps elle ne suffit plus ; la Cour doit alors établir si les autres motifs adoptés par les autorités judiciaires continuent à légitimer la privation de liberté. Quand ceux-ci se révèlent « pertinents » et « suffisants », la Cour cherche de surcroît si les autorités nationales compétentes ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure (voir, notamment, les arrêts Letellier c. France du 26 juin 1991, série A n° 207, p. 18, § 35 ; I.A. c. France du 23 septembre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VII, pp. 2978‑2979, § 102 ; Ismaël Debboub alias Husseini Ali c. France du 9 novembre 1999, n° 37786/97, P.B. c. France du 1er août 2000, n° 38781/97 et Kudla c. Pologne [GC], n° 30210/96, §§ 110-111, CEDH‑2000).

b)  Application en l’espèce

41.  La première incarcération du requérant, soit du 8 janvier au 18 mars 1996, résultant de son placement initial en détention, ne nécessite pas un examen particulier de la Cour tant il est aisé de concevoir qu’elle fut justifiée par l’existence de soupçons pesant sur le requérant, eu égard à la nature criminelle des faits qui lui étaient reprochés. Ainsi, la nature des infractions à élucider et les exigences de l’instruction ont pu justifier une telle détention (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Kemmache c. France du 27 novembre 1991, série A n° 218, p. 24, § 47).

42.  Par la suite, et à partir de sa réincarcération ordonnée par la chambre d’accusation de la cour d’appel de Riom le 26 mars 1996, les juridictions saisies refusèrent la libération du requérant en se fondant sur le risque de trouble à l’ordre public, le risque de réitération des faits en raison de l’état psychique du requérant et de pression sur la victime elle-même très fragile.

i.  la nécessité de préserver l’ordre public du trouble causé par l’infraction

43.  La Cour reconnaît que, par leur gravité particulière et par la réaction du public à leur accomplissement, certaines infractions peuvent susciter un trouble social de nature à justifier une détention provisoire, au moins pendant un temps. Dans des circonstances exceptionnelles, cet élément peut donc entrer en ligne de compte au regard de la Convention, en tout cas dans la mesure où le droit interne reconnaît la notion de trouble à l’ordre public provoqué par une infraction. Cependant, on ne saurait l’estimer pertinent et suffisant que s’il repose sur des faits de nature à montrer que l’élargissement du détenu troublerait l’ordre public. En outre, la détention ne demeure légitime que si l’ordre public reste effectivement menacé ; sa continuation ne saurait servir à anticiper sur une peine privative de liberté (arrêt I.A. c. France précité § 104).

Or ces conditions ne se trouvent pas remplies en l’espèce. La Cour considère que ledit risque n’a jamais été suffisamment important pour constituer une motivation substantielle de la détention du requérant. Il semble pour le moins paradoxal que pour des faits commis en 1995, le trouble à l’ordre public ne soit apparu qu’en janvier 1996. Par ailleurs, dès le 18 mars 1996, le juge d’instruction faisait remarquer que les faits n’avaient fait l’objet d’aucune publicité. Par la suite, le risque de trouble à l’ordre public fut abordé abstraitement par les autorités compétentes, les décisions litigieuses se bornant à faire référence à la nature du crime en cause, aux circonstances dans lesquelles il a été commis et aux états psychiques de l’accusé et de la victime.

ii.  le risque de réitération des faits et de pression sur la victime

44.  La Cour note que les deux motifs sont liés et qu’ils furent constamment repris par les autorités compétentes, et ce, malgré la position du juge d’instruction pour qui les risques de pression sur la victime et de renouvellement de l’infraction cessèrent d’exister après la confrontation entre les parties et avec la prescription de mesures de soins au bénéfice du requérant.

45.  La Cour rappelle que des éléments concrets comme la continuation très prolongée d’actes répréhensibles, l’importance du dommage subi et la nocivité de l’inculpé peuvent avoir de l’importance pour les juges (voir l’arrêt Matznetter c. Autriche du 10 novembre 1969, série A n° 9, pp. 32-33, § 9). Elle rappelle également que la gravité d’une infraction peut conduire les autorités à placer et laisser un suspect en détention provisoire pour empêcher de nouvelles infractions, si les circonstances de la cause, notamment les antécédents et la personnalité de l’intéressé, rendent le danger plausible et la mesure adéquate (arrêt Clooth c. Belgique du 12 décembre 1991, série A n° 225, p. 15, § 40). 

46.  La Cour relève que dès la décision de réincarcération et jusqu’au jugement de la cour d’assises, la particulière gravité du crime et l’état psychique du requérant constituèrent les principales justifications à la privation de liberté. Elle note que les juridictions saisies s’appuyèrent sur le résultat des expertises médico-psychologiques et psychiatriques qui ont fait état du caractère du requérant, décrit comme un « important narcissique », « agressif » et présentant une « personnalité tourmentée » pouvant entraîner des réactions imprévisibles. Etre humain « persécuté », ce dernier n’aurait par ailleurs pas cessé de menacer la victime par des appels malveillants, et n’a jamais contesté l’avoir harcelée pendant toute la phase de l’instruction. La Cour constate que ces éléments ont été minutieusement pris en considération par la chambre d’accusation qui, même en dépit de la reconnaissance des garanties adéquates de représentation du requérant en cas d’élargissement, a estimé que le risque de récidive était toujours possible compte tenu du contexte délicat de l’affaire. Ce dernier comprenait également la fragilité de la victime, témoignant d’une « immaturité affective et sociale », qui justifia qu’on prenne des mesures de protection importantes à son égard. La vulnérabilité des parties à la procédure constitua ainsi un motif pertinent et continu légitimant la privation de liberté du requérant.

47.  La Cour relève encore que l’état psychique du requérant n’a pas été jugé incompatible avec la détention et que les juridictions saisies s’assurèrent de ce que l’administration pénitentiaire serait à même de procurer au requérant les soins nécessités par son état.

48.  Compte tenu de ces éléments, et y ajoutant la circonstance décisive de la courte durée du maintien en détention du requérant en la matière, en l’espèce criminelle, la Cour est d’avis que la privation de liberté litigieuse n’a pas enfreint l’article 5 § 3 de la Convention.

II.  SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 5 § 5 DE LA CONVENTION

49.  Le requérant estime avoir droit à une réparation en raison de la détention subie. Il invoque l’article 5 § 5 de la Convention aux termes duquel :

« Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. »

50.  La Cour rappelle que le droit à réparation au sens de l’article 5 § 5 suppose préalablement qu’une violation de l’un des autre paragraphes de l’article 5 ait été établie soit par un organe interne, soit par les organes de la Convention (voir, par exemple, l’arrêt Wassink c. Pays-Bas du 27 septembre 1990, série A n° 185-A, p. 14, § 38 ou la requête n° 24722/94, décision 10.04.95, D.R. 81-A, p. 135).

51. Eu égard à sa conclusion supra, et à l’absence d’un constat de violation par les autorités nationales (l’indemnisation ne concernant en tout état de cause pas la relaxe partielle, et n’étant de surcroît pas un « droit » à l’époque des faits de l’espèce), la Cour considère qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 5.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

  Dit, par 4 voix contre 3, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 §§ 3 et 5 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 20 mars 2001 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. DolléL. Loucaides              Greffière              Président

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinions séparée suivante :

– opinion dissidente de Mme Tulkens à laquelle se rallient MM. les Juges Loucaides et Sir Nicolas Bratza.

S.D.
L.L.


Opinion dissidente de Mme la juge Tulkens à laquelle se rallient MM. les juges Loucaides et Sir Nicolas Bratza

Nous regrettons de ne pouvoir nous joindre à la majorité qui a estimé qu’il n’y a pas eu, en l’espèce, violation de l’article 5 §§ 3 et 5 de la Convention.

1.  En ce qui concerne, tout d’abord, l’article 5 § 3 de la Convention, certes, la durée de la détention provisoire peut sembler, de prime abord raisonnable. Toutefois, la question de la pertinence des motifs retenus par les juridictions nationales doit être examinée à la lumière de la disposition légale applicable, à savoir l’article 137 du Code de procédure pénale.

L’article 137 du nouveau Code de procédure pénale dispose que la liberté est la règle : « La personne mise en examen reste libre ». C’est seulement « à raison des nécessités de l’instruction ou à titre de mesure de sûreté » que cette personne peut être « soumise au contrôle judiciaire » ou « à titre exceptionnel, placée en détention provisoire ». Ce « dégradé » dans les interventions tend à renforcer la présomption d’innocence et à limiter, dans toute la mesure du possible, la détention provisoire. Dans cette perspective, le but du contrôle judiciaire est d’éviter le recours à la détention chaque fois que celle-ci n’est pas absolument nécessaire. Comme dans beaucoup de pays européens, cette mesure constitue une mesure alternative à la détention provisoire. Celle-ci apparaît ainsi comme la solution ultime et elle ne peut, dès lors, être justifiée que lorsque toutes les autres solutions s’avèrent insuffisantes.

Compte tenu de la teneur de cette disposition, et de son application en l’espèce, nous pensons que l’examen de la violation alléguée de l’article 5 § 3 consiste à examiner non seulement si, isolément, la longueur de la détention provisoire est ou non conforme à l’exigence du délai raisonnable mais aussi si, en fonction de l’ensemble des alternatives qui pouvaient être envisagées, les autorités judiciaires nationales n’ont recouru à la détention provisoire que lorsque la privation de liberté s’avérait strictement nécessaire[1].

En l’espèce, le juge d’instruction, deux mois et demi après le placement du requérant sous mandat de dépôt, ordonna sa mise en liberté sous contrôle judiciaire, en prenant soin d’indiquer que tous les motifs qui avaient initialement justifié la détention s’étaient affaiblis au fur et à mesure des investigations effectuées et des vérifications accomplies et qu’ils ne suffisaient plus pour justifier la privation de liberté. En outre, il précisa que « les mesures de soins prescrites par l’ordonnance de placement sous contrôle


judiciaire permettront une prise de conscience par le mis en examen et éviteront la réitération des faits (tel est l’avis des experts) ». Sur appel du procureur, la chambre d’accusation décida néanmoins de réincarcérer le requérant au motif que lui et la victime présentaient des personnalités fragiles et perturbées pouvant entraîner un risque de réitération des faits et de pression sur la seconde. Loin de constituer une sanction pour manquement à l’obligation du contrôle judiciaire, qui aboutit normalement à une révocation de celui-ci, la décision de maintien en détention s’appuie sur l’insuffisance du contrôle judiciaire au regard des nécessités de l’instruction.

Il est dès lors nécessaire d’examiner si le refus par la chambre d’accusation d’entériner le choix du juge d’instruction en faveur du contrôle judiciaire, lequel offrait une alternative à la détention, s’est avéré fondé au regard des objectifs poursuivis.

Le motif tiré du danger de réitération des faits, joint aux troubles de la personnalité du mis en examen et de la victime, constitua jusque devant la cour d’assises une des justifications du maintien en détention. A cet égard, il convient toutefois d’observer que le requérant présentait un casier judiciaire vierge. En outre, il demeura en liberté plus de sept mois après le dépôt de la plainte de Mme S., sans que dans cet intervalle un quelconque acte de sa part ne vint conforter la thèse de la chambre d’accusation. Certes, le rapport d’expertise ordonné par le juge d’instruction fit état de la « fragilité » du requérant et celui déposé en mai 1996, à la suite de sa demande de contre-expertise, reprit les termes de la décision de réincarcération du 26 mars 1996 faisant allusion à la compatibilité de son état psychique avec la détention. A aucun moment cependant, y compris après la clôture de l’instruction, les autorités compétentes ne se posèrent la question de savoir si la « fragilité » ou « l’agressivité » du requérant avait évolué, ni si les comportements qui légitimaient, à leurs yeux, la détention devaient faire l’objet d’un réexamen aux fins d’établir l’existence d’un trouble d’une ampleur telle qu’il justifie la privation de liberté. En outre, aucune autre solution, comme un accompagnement psychologique du requérant qui aurait également permis la protection de la victime, ne fut envisagée par la chambre d’accusation. Or, nous ne pouvons pas exclure qu’un tel suivi aurait pu atténuer les troubles que présentaient l’intéressé à l’époque des faits et nous ne sommes dès lors pas satisfaits par l’affirmation générale et continue de la chambre d’accusation selon laquelle « il n’est pas formellement établi que son état n’était plus compatible avec sa détention ».

Par ailleurs, quant au risque de pression envers la victime, présentant elle aussi une personnalité tourmentée, nous constatons là encore qu’aucun problème relationnel entre les parties ne s’est posé entre le dépôt de la plainte et la mise en examen du requérant. Il ressort également de la décision de placement sous contrôle judiciaire du 18 mars 1996 que la confrontation entre les intéressés se déroula sans problème, élément qui motiva pour partie la décision du juge d’instruction.

Enfin, dans la mesure où les garanties de représentation du requérant ont toujours été reconnues, à compter de la décision du juge d’instruction de mettre le requérant en liberté, aucune justification à la détention n’était pertinente. En outre, la plupart des commissions rogatoires ont été ordonnées avant la mise en liberté du requérant le 18 mars 1996, en tout cas au regard du chef d’inculpation principal, c’est à dire le viol. Nous ne pensons pas dès lors, que les actes d’instruction – peu nombreux – aient pu rendre nécessaire la détention du requérant pour une période aussi importante.

Dans ces conditions, nous pensons que les risques invoqués auraient dû être concrètement examinés par rapport aux garanties qu’offrait le contrôle judiciaire. De nature préventive ou curative, la mesure de contrôle judiciaire aurait pu concerner non seulement le requérant, en lui assurant surveillance et assistance (obligation de soin), mais également la victime dont les intérêts doivent évidemment être sauvegardés. Nous pensons qu’il convient d’examiner la légalité de détention provisoire en tenant compte de l’ensemble des options disponibles pour l’État qui doit choisir la voie la moins restrictive pour les droits de l’inculpé. Le droit à la liberté et à la sûreté garanti, dans une société démocratique, par l’article 5 de la Convention revient à admettre seulement les privations de liberté strictement nécessaires[2].

Reste les appels malveillants et le harcèlement de la victime pendant la phase de l’instruction, ainsi que le souligne la cour d’assises dans son arrêt du 7 mai 1997. Nous notons toutefois que cet arrêt est antérieur à l’arrêt sur le fond du 3 juillet 1997 et qu’aucune motivation de cette nature ne figure dans la décision de réincarcération du 26 mars 1996. Par ailleurs, force est de constater que la détention provisoire subie était imputable à la mise en examen du requérant pour le crime de viol pour lequel il a été acquitté et qu’elle ne pouvait concerner, en tout état de cause, le délit d’appels malveillants, délit pour lequel la détention provisoire n’était pas envisageable (délit punissable d’une peine maximum d’un an d’emprisonnement).

En conclusion, dans les circonstances particulières de la cause, par sa durée excessive, nous pensons que la détention du requérant a enfreint l’article 5 § 3 de la Convention.

2.  Le requérant estime avoir droit à une réparation en raison de la détention subie. En l’absence d’indemnisation possible en droit interne (l’indemnisation ne concernant en tout état de cause pas la relaxe partielle et n’étant, de surcroît, pas un « droit » à l’époque des faits), nous concluons aussi à la violation de l’article 5 § 5 de la Convention.


[1].O. De Schutter, « Les cadres de la fonction de juger les droits fondamentaux : le cas de la détention préventive », La justice pénale et l’Europe, Bruxelles, Bruylant, 1996, p. 184.

[2]Ibid., p. 185.

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CEDH, Cour (troisième section), AFFAIRE BOUCHET c. FRANCE, 20 mars 2001, 33591/96