CEDH, Cour (première section), AFFAIRE KÜCÜK c. TURQUIE, 10 juillet 2001, 26398/95

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Chronologie de l’affaire

Commentaire1

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CEDH · 10 juillet 2001

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Première Section), 10 juill. 2001, n° 26398/95
Numéro(s) : 26398/95
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt Akkus c. Turquie du 9 juillet 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-IV, p. 1310, § 29
Arrêt Campbell et Fell c. Royaume-Uni du 28 juin 1984, série A n° 80, pp. 55-56, § 143
Arrêt Lithgow et autres c. Royaume-Uni du 8 juillet 1986, série A n° 102, p. 50, § 120
Arrêt Yasar et autres c. Turquie, nos. 27697/95 et 27698/95, 14 novembre 2000, § 27
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Oui
Conclusions : Violation de P1-1 ; Dommage matériel - réparation pécuniaire ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure de la Convention
Identifiant HUDOC : 001-64138
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2001:0710JUD002639895
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Sur les parties

Texte intégral

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE KÜÇÜK c. TURQUIE

(Requête n° 26398/95)

ARRÊT

STRASBOURG

10 juillet 2001

DÉFINITIF

10/10/2001

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Küçük c. Turquie,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

MmeE. Palm, présidente,
MM.L. Ferrari Bravo,
Gaukur Jörundsson,
B. Zupančič,
T. Panţîru,
R. Maruste, juges,
F. Gölcüklü, juge ad hoc,
et de M. M. O’Boyle, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 14 décembre 1999 et 19 juin 2001,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (n° 26398/95) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Ahmet Küçük (« le requérant »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 24 janvier 1995 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant est représenté devant la Cour par Me Tepe, avocat au barreau d’Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. T. Uluçevik, ainsi que par M. H.K. Gür, ministre plénipotentiaire, directeur général adjoint pour le Conseil de l’Europe et les Droits de l’Homme près le ministère des affaires étrangères à Ankara.

3.  La requête a pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l’Etat défendeur aux exigences de l’article 1er du Protocole n° 1 à la Convention. Le 20 mai 1998, la Commission (deuxième chambre) a décidé de porter la requête à la connaissance du Gouvernement, en l’invitant à présenter par écrit des observations sur sa recevabilité et son bien-fondé.

4.  A la suite de l’entrée en vigueur du Protocole n° 11 le 1er novembre 1998, l’examen de l’affaire a été confié, en application de l’article 5 § 2 dudit Protocole, à la nouvelle Cour.

5.  La requête a été attribuée à la première section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement. A la suite du déport de M. Rıza Türmen, juge élu au titre de la Turquie (article 28), le Gouvernement a désigné M. F. Gölcüklü pour siéger en qualité de juge ad hoc (articles 27 § 2 de la Convention et 29 § 1 du règlement).

6.  Le 18 novembre 1998, le Gouvernement a présenté ses observations demandées par la Commission, et le requérant y a répondu le 4 janvier 1999. Par une décision du 14 décembre 1999, la chambre a déclaré la requête recevable.

7.  Tant le requérant que le Gouvernement n’ont pas déposé d’observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).

8.  La Cour a décidé de ne pas tenir d’audience sur le fond de l’affaire.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

9.  Citoyen turc, M. Küçük, né en 1949, réside à Adana.

10.  En novembre 1990, un terrain appartenant au requérant, sis à Istanbul, fut exproprié par la Direction générale des routes nationales (Karayolları Genel Müdürlüğü « la Direction »). Une indemnité de 87 540 000 livres turques (TRL) fixée par la Direction fut versée au requérant à la date d’expropriation.

11.  Le 27 mai 1992, le requérant saisit le tribunal de grande instance d’Istanbul d’un recours en augmentation de l’indemnité d’expropriation.

12.  Par un jugement du 23 octobre 1992, le tribunal de grande instance d’Istanbul accorda au requérant une augmentation de 641 960 000 TRL, assortie d’un intérêt moratoire de 30 %, à compter du 1er août 1991.

13.  Par un arrêt du 8 février 1993, la Cour de cassation confirma le jugement de première instance.

14.  Suite à l’introduction de la requête devant la Commission, le 10 octobre 1998, soit cinq ans et huit mois environ après la décision interne définitive, le requérant perçut la somme de 1 744 000 000 TRL à titre d’indemnité complémentaire majorée d’un intérêt au taux de 30 % l’an.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A.  La Constitution

15.  Dans sa partie pertinente, l’article 46 de la Constitution relatif aux expropriations dispose :

« (...) L’indemnité d’expropriation sera versée au comptant et en espèces. (...) Au cas où la loi autoriserait des paiements à terme (...) la fraction n’ayant pas été payée au comptant sera assortie d’intérêts moratoires au taux maximum prévu pour les dettes de l’Etat (...) »

B.  La loi n° 3095 du 4 décembre 1984

16.  A l’époque des faits, le taux des intérêts moratoires dus pour le retard dans le règlement des dettes de l’Etat était de 30 % l’an en vertu de la loi n° 3095. Ce taux a été réajusté par ordonnance du 8 août 1997, d’après laquelle, à partir du 1er janvier 1998, le taux légal a été fixé à 50 % l’an. Enfin, une dernière modification est intervenue le 15 décembre 1999 d’après laquelle le taux légal est indexé, à partir du 1er janvier 2000, sur le taux de réescompte appliqué par la Banque centrale dans les crédits de courte durée.

17.  A l’époque des faits, le taux des intérêts moratoires applicable aux créances de l’Etat était de 7 % par mois, soit 84 % par an (article 51 de la loi n° 6183 portant sur le recouvrement des créances de l’Etat et arrêté n° 89/14915 du Conseil des ministres).

C.  Données économiques

18.  L’inflation en Turquie, mesurée par l’indice des prix du détail, était, en 1992-1998, de 81,9 % l’an en moyenne. Les effets de l’inflation en Turquie sont indiqués sur les indices des prix de détail publiés par l’Institut des statistiques de l’Etat. D’après la liste pertinente, l’indice de l’inflation au mois de mai 1993 (trois mois après la date de l’arrêt de la Cour de cassation) est de « 1991,40 », l’indice de l’inflation au mois d’octobre 1998 (période de versement de l’indemnité complémentaire) atteint le chiffre de « 60194,7 ».

En octobre 1998, le cours moyen du dollar américain était, selon les taux de change appliqués par la Banque centrale de Turquie, de 285 080 TRL.

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1er DU PROTOCOLE N° 1 A LA CONVENTION

19.  Le requérant se plaint de ce que son droit au respect de ses biens n’a pas été respecté en raison du retard de l’administration expropriante dans le paiement des compléments d’indemnité d’expropriation, assortis d’intérêts moratoires insuffisants par rapport au taux d’inflation très élevé en Turquie. Il invoque à cet égard l’article 1er du Protocole n° 1, ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

20.  Se référant à la jurisprudence de la Cour, le Gouvernement souligne que l’article 1er du Protocole n° 1 n’exige pas une indemnisation intégrale dans tous les cas d’expropriation. Il soutient qu’en l’espèce un juste équilibre a été ménagé entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits de l’individu.

21.  Le Gouvernement se prévaut de sa grande marge d’appréciation dans la fixation et l’application des taux d’intérêt qui feraient partie intégrante de sa politique en matière de création et de bonne gestion des services publics.

22.  Le requérant s’oppose à la thèse du Gouvernement et prétend que la présente affaire ne diffère pas de l’affaire Akkuş c. Turquie (arrêt Akkuş c. Turquie du 9 juillet 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-IV).

23.  La Cour observe que le requérant, exproprié de son terrain, s’est vu reconnaître une indemnité d’expropriation qui lui fut versée à l’issue de la procédure d’expropriation (paragraphe 10 ci-dessus). A la suite d’une action en augmentation qu’il avait introduite, il obtint gain de cause devant le tribunal de grande instance d’Istanbul. Dans son jugement du 23 octobre 1992, le tribunal estima ce montant insuffisant et enjoignit la direction à verser une indemnité complémentaire ; en application de la loi n° 3095, la somme ainsi fixée fut assortie d’un intérêt moratoire de 30 % l’an, calculé à compter de la date à laquelle le terrain en question fut exproprié (paragraphe 12 ci-dessus).

Toutefois, la Direction ne paya les compléments d’indemnité que le 10 octobre 1998, soit cinq ans et huit mois environ après l’arrêt de la Cour de cassation.

24.  Considérant la cause dans son ensemble, la Cour relève que la situation dont se plaint le requérant relève de son « droit au respect de ses biens ». Eu égard à sa jurisprudence établie en la matière (voir l’arrêt Akkuş précité, pp. 1303 et suiv., et, mutatis mutandis, Yaşar et autres c. Turquie, nos 27697/95 et 27698/95, 14.11.2000, § 27), elle doit rechercher si un juste équilibre a été maintenu entre les exigences de l’intérêt général et les impératifs des droits fondamentaux de l’individu. A ce titre, il y a lieu de prendre en considération les modalités d’indemnisation prévues par la législation nationale et la manière dont elles ont été appliquées dans le cas du requérant (voir l’arrêt Lithgow et autres c. Royaume-Uni du 8 juillet 1986, série A n° 102, p. 50, § 120).

25.  La Cour l’a déjà souligné dans son arrêt Akkuş : un retard anormalement long dans le paiement d’une indemnité en matière d’expropriation a pour conséquence d’aggraver la perte financière de la personne expropriée et de la placer dans une situation d’incertitude, surtout si l’on tient compte de la dépréciation monétaire dans certains Etats (arrêt précité, p. 1310, § 29).

26.  En l’espèce, la Cour constate que le montant de l’indemnité complémentaire assorti d’un intérêt moratoire de 30 % l’an a été versé au requérant le 10 octobre 1998, soit cinq ans et huit mois environ après l’arrêt de la Cour de cassation, et alors que l’inflation en Turquie à cette époque atteignait en moyenne 81,9 % l’an et que le taux des intérêts moratoires applicable aux créances de l’Etat était de 84 % par an pour la même période.

27.  Il est indéniable que le retard en question pris dans le paiement de l’indemnité complémentaire accordée par les juridictions internes est imputable aux seuls manquements de l’administration expropriante, qui a fait subir au requérant un préjudice distinct s’ajoutant à l’expropriation de son bien. C’est ce retard qui amène la Cour à considérer que le requérant a eu à supporter une charge exorbitante qui a rompu le juste équilibre devant régner entre, d’une part, les exigences de l’intérêt général et, d’autre part, la sauvegarde du droit au respect des biens.

28.  En conclusion, il y a eu violation de l’article 1er du Protocole n° 1 à la Convention.

II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

29.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

30.  Le requérant réclame 140 000 dollars américains (USD) pour son préjudice matériel. Il sollicite en outre la réparation d’un préjudice moral évalué à 10 000 USD.

31.  Le Gouvernement n’a pas présenté d’observations sur les demandes du requérant.

32.  Selon la méthode déjà adoptée dans l’arrêt Akkuş (p. 1311, § 35), la Cour considère que, pour apprécier les préjudices matériels subis par le requérant, il faut prendre en considération la différence entre les montants effectivement versés au requérant et ceux qu’il aurait reçus si ses créances avaient été ajustées pour tenir compte de l’érosion monétaire pendant la période tardive (paragraphe 26 ci-dessus), à raison d’un taux d’inflation de l’ordre de 81,9 % l’an.

33.  Ayant procédé à son propre calcul à la lumière des données économiques pertinentes dont elle dispose (paragraphe 18 ci-dessus), la Cour convient d’octroyer au requérant une indemnité de 92 590 USD, à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement.

34.  En outre, considérant la cause dans son ensemble, la Cour estime que le requérant a dû subir un certain dommage moral au titre duquel elle lui accorde 1 000 USD.

B.  Frais et dépens

35.  Le requérant demande également 10 000 USD pour les frais et dépens encourus devant la Cour.

36.  Le Gouvernement ne se prononce pas.

37.  La Cour rappelle qu’au titre de l’article 41 de la Convention, elle rembourse les frais dont il est établi qu’ils ont été réellement et nécessairement exposés et sont d’un montant raisonnable (voir notamment l’arrêt Campbell et Fell c. Royaume-Uni du 28 juin 1984, série A n° 80, pp. 55-56, § 143).

Compte tenu des éléments en sa possession et des critères qui se dégagent de sa jurisprudence, la Cour octroie en équité la somme de 2 000 USD à titre de frais et dépens.

C.  Intérêts moratoires

38.  La Cour estime approprié de fixer à 6 % le taux annuel des intérêts moratoires sur les sommes octroyées en dollars américains.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l’UNANIMITÉ,

1.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 1er du Protocole n° 1 à la Convention ;

2.  Dit

a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement : pour dommage matériel, 92 590 (quatre-vingt douze mille cinq cent quatre-vingt-dix) dollars américains ; pour dommage moral, 1 000 (mille) dollars américains, pour frais et dépens, 2 000 (deux mille) dollars américains, plus tout montant pouvant être dû au titre de la taxe ou toutes autres charges fiscales exigibles au moment du versement ;

b)  que ces montants seront à majorer d’un intérêt simple de 6 % l’an à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement ;

3.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 juillet 2001 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Michael O’BoyleElisabeth Palm
GreffierPrésidente

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Textes cités dans la décision

  1. Constitution du 4 octobre 1958
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