CEDH, Cour (troisième section), AFFAIRE VERSINI c. FRANCE, 10 juillet 2001, 40096/98

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Chronologie de l’affaire

Commentaire1

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CEDH · 10 juillet 2001

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Troisième Section), 10 juill. 2001, n° 40096/98
Numéro(s) : 40096/98
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt Brigandi c. Italie du 19 février 1991, série A n° 194, p. 32, § 32,
Arrêt Capuano c. Italie du 25 juin 1987, série A n° 119
Arrêt Doustaly c. France du 22 avril 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II, § 39
Arrêt Gergouil c. France du 21 mars 2000, n° 40111/98, § 19
Arrêt Mahieu c. France, n° 43288/98, 19 juin 2001, § 27
Arrêt Piccolo c. Italie, n° 45891, 7 novembre 2000, § 10
Arrêt Santilli c. Italie du 19 février 1991, série A n° 194, p. 62, § 22
Arrêt Wiesinger c. Autriche du 30 octobre 1991, série A n° 213, § 57
Arrêt Zanghì c. Italie du 19 février 1991, série A n° 194, p. 47, § 23
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure civile ; Article 6-1 - Délai raisonnable) ; Dommage matériel - demande rejetée (Article 41 - Dommage matériel ; Satisfaction équitable) ; Préjudice moral - réparation (Article 41 - Préjudice moral ; Satisfaction équitable)
Identifiant HUDOC : 001-64139
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2001:0710JUD004009698
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Sur les parties

Texte intégral

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE VERSINI c. FRANCE

(Requête n° 40096/98)

ARRÊT

STRASBOURG

10 juillet 2001

DÉFINITIF

10/10/2001

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Versini c. France,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

MM.W. Fuhrmann, président,
J.-P. Costa,
MmeF. Tulkens,
M.K. Jungwiert,
SirNicolas Bratza,
M.K. Traja,
M.M. Ugrekhelidze, juges,

et deMmeS. Dolle, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 6 avril 2000 et 19 juin 2001,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (n° 40096/98) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, Jean‑Luc Versini (« le requérant »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 17 novembre 1997 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant est représenté devant la Cour par Me  Puechavy, avocat à Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme M. Dubrocard, sous-directrice des Droits de l’Homme à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères.

3.  Le requérant se plaignait d’une violation des articles 6 § 1 de la Convention (durée de la procédure) et 1 du Protocole n° 1.

4.  La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d’entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole n° 11).

5.  La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.

6.  Par une décision du 6 avril 2000, la chambre a déclaré la requête recevable.

7.  Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

8.  Le 6 décembre 1996, le requérant devint propriétaire de certaines parcelles où se trouvait depuis de nombreuses années sa maison familiale entourée d’un jardin, à Calvi.

9.  Le 28 janvier 1991, le maire de Calvi adressait à Mme Versini, mère du requérant et décédée entre-temps, une lettre dans laquelle il précisait que la commune envisageait l’ouverture d’une rue prolongée, indispensable au désenclavement du quartier. Il adressait, par ce même courrier, un imprimé de déclaration d’abandon du terrain nécessaire à l’emprise de la voie qui incluait une des parcelles appartenant à la famille Versini. Mme Versini répondait qu’elle n’était pas d’accord pour abandonner ladite parcelle. Le mois suivant, la famille Versini rejeta encore l’offre de la mairie pour une cession gratuite dans la limite des 10 % de la superficie totale de la parcelle, avec indemnisation éventuelle pour la surface excédant ces 10 %.

10.  En 1992, les travaux furent exécutés ; la nouvelle voie amputa la propriété familiale de la parcelle susmentionnée ainsi qu’une partie importante d’une seconde parcelle.

11.  Le 12 novembre 1992, la famille Versini engagea devant le tribunal de grande instance de Bastia une action tendant à obtenir à titre principal la restitution des terrains et l’allocation d’une somme de 50 000 francs français (FRF) à titre de dommages-intérêts et, subsidiairement, la nomination d’un expert aux fins de l’évaluation du préjudice subi.

12.  Lorsque l’assignation fut délivrée le 12 novembre 1992 à la commune de Calvi, celle-ci ne constitua pas avocat devant le tribunal de grande instance comme elle en avait l’obligation. En conséquence, le juge de la mise en état, après avoir appelé l’affaire à l’audience du 11 mars 1993, rendit l’ordonnance de clôture le 6 mai 1993 et fixa l’audience au 30 septembre 1993. La commune de Calvi sollicita alors le rabat de l’ordonnance de clôture le 21 juillet 1993 et constitua avocat le 28 juillet 1993. Le tribunal accueillit cette demande le 30 septembre 1993. En deuxième lieu, jusqu’au jugement du 22 mai 1997 (voir paragraphe 13 ci‑dessous), les parties échangèrent de nombreux mémoires, soit onze jeux de conclusions ; la commune déposa ses premières conclusions le 10 mars 1994, à la suite de deux injonctions de conclure rendues par le juge de la mise en état.

13.  Par jugement avant dire droit du 22 mai 1997, le tribunal de grande instance conclut que l’action de la commune de Calvi était constitutive d’une voie de fait et que les demandeurs avaient droit à une indemnisation, en vertu de l’article 545 du code civil, pour l’atteinte portée à leur droit de propriété. Il considéra, d’une part, que la théorie de la voie de fait qui prévoit une indemnisation, dans l’hypothèse où l’administration empiète illégalement sur une propriété privée, satisfaisait aux exigences de l’article 1 du Protocole n° 1 et, d’autre part, que la demande en restitution des parcelles ne saurait être accueillie, en relevant pour ce dernier point les motifs suivants :

« Attendu que le tribunal des conflits a rappelé à plusieurs reprises que les tribunaux de l’ordre judiciaire ne peuvent, alors même que l’implantation de l’ouvrage public sur une propriété privée a été constitutive d’une voie de fait, ordonner sa démolition, prescrire aucune mesure de nature à porter atteinte sous quelque forme que ce soit, à son intégrité ou à son fonctionnement ; qu’ordonner la restitution desdites parcelles reviendrait à empêcher toute utilisation de la voie Albert 1er ; que le préjudice subi par les demanderesses ne peut être réparé que par l’allocation de dommages-intérêts dont le montant pourra être justement évalué par un expert ».

14.  Le tribunal désigna alors un expert avec pour mission d’évaluer le montant de l’indemnité. L’expert devait déposer son rapport avant le 30 octobre 1997. Toutefois, comme ce dernier déclina la mission au motif qu’il n’avait pas la qualité de géomètre-expert, les demandeurs sollicitèrent auprès du tribunal, le 4 juillet 1997, son remplacement. Le requérant consigna la somme de 3 000 francs pour les opérations d’expertise.

15.  Par une ordonnance du 9 juillet 1997, le juge chargé du contrôle des expertises nomma un deuxième expert, puis, le 16 septembre 1997, un troisième, le deuxième ayant aussi refusé la mission. Le troisième, n’ayant pas non plus accepté la mission, fut remplacé le 2 octobre 1997 par un quatrième puis, le 10 décembre 1997, par un cinquième qui lui accepta la mission. Ce dernier présenta une demande de consignation complémentaire sans avoir commencé ses opérations d’expertise. Une ordonnance du 2 février 1998, mais adressée au requérant le 24 mars 1998, fixait la consignation complémentaire à 9 802,18 francs ; elle précisait que cette somme devait être consignée avant le 19 mars 1998. Comme le requérant ne versa pas la somme demandée, le juge lui envoya une lettre de rappel, le 20 mars 1998. Le 6 avril 1998, le requérant répondit qu’il allait s’y conformer.

16.  Les 3 avril, 12 mai, 22 juin et 7 juillet 1998, le juge de la mise en état invitait le cinquième expert à déposer son rapport en l’état, en vertu de l’article 280 du code de procédure civile, la partie demanderesse n’ayant pas versé la consignation complémentaire. Par une lettre du 9 juillet, le requérant invita l’expert à retarder le dépôt de son rapport afin de présenter, par voie d’incident devant le juge de la mise en état, une demande de provision. Ce dernier déposa, le 31 juillet 1998, un rapport succinct de quatre pages dans lequel il concluait que l’une des deux parcelles litigieuses n’appartenait pas au requérant. Celui-ci s’est alors plaint auprès du juge de la mise en état, le 9 septembre 1998, et allégua que l’expert avait outrepassé sa mission qui consistait seulement à évaluer le dommage qu’avait subi le requérant ; il précisait qu’il ressortait d’autres pièces du dossier que cette parcelle lui appartenait. Le 4 novembre 1998, le juge déclara irrecevable une demande du requérant l’invitant à ordonner une nouvelle expertise et une provision de 20 000 francs. Le 3 décembre 1998, le requérant déposa des conclusions par lesquelles il sollicitait une nouvelle expertise, auxquelles la commune répondit après une injonction du juge, du 1er avril 1999.

17.  Le 3 juin 1999, la procédure fut déclarée close et la date d’audience fut fixée au 4 novembre 1999.

18.  Par un jugement avant dire droit du 6 janvier 2000, le tribunal de grande instance de Bastia ordonna au requérant de justifier de la transmission à son profit des droits ayant appartenu à deux sociétés immobilières, dont la mère du requérant, décédée en cours d’instance, était la gérante.

19.  Le 8 mars 2001, le tribunal de grande instance de Bastia condamna la commune de Calvi à payer au requérant 36 000 francs en compensation de l’emprise irrégulière sur sa propriété, ainsi que 5 000 francs en réparation du préjudice moral et 10 000 francs pour dépens (article 700 du code de procédure civile). Enfin, le tribunal estima que l’ancienneté du litige justifiait le prononcé d’une décision exécutoire par provision pour la moitié des sommes accordées.

II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

20.  Les dispositions pertinentes du nouveau code de procédure civile se lisent ainsi :

Article 2

« Les parties conduisent l’instance sous les charges qu’il leur incombent. Il leur appartient d’accomplir les actes dans les formes et délais requis ».

Article 3

« Le juge veille au bon déroulement de l’instance ; il a le pouvoir d’impartir les délais et d’ordonner les mesures nécessaires ».

Article 528

« Le délai à l’expiration duquel un recours ne peut plus être exercé court à compter de la notification du jugement, à moins que ce délai n’ait commencé à courir, en vertu de la loi dès la date du jugement.

Le délai court même à l’encontre de celui qui notifie ».

Article 544

« Les jugements qui tranchent dans leur dispositif une partie du principal et ordonnent une mesure d’instruction ou une mesure provisoire peuvent être immédiatement frappés d’appel comme les jugements qui tranchent tout le principal (...) »

Article 780

« Si l’un des avocats n’a pas accompli les actes de la procédure dans le délai imparti, le renvoi devant le tribunal et la clôture de l’instruction peuvent être décidées par le juge d’office ou à la demande de l’autre partie, sauf en ce dernier cas, la possibilité pour le juge de refuser par ordonnance motivée non susceptible de recours ».

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

21.  Le requérant allègue une violation de l’article 6 § 1 de la Convention, qui dans sa partie pertinente se lit ainsi :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

22.  Le Gouvernement soutient d’abord que l’affaire présentait une certaine complexité, notamment en ce qui concerne la demande principale du requérant relative à la restitution des parcelles.

23.  Mais avant tout et surtout, l’examen de la chronologie de la procédure démontre que les parties, par leur comportement, ont contribué à allonger la durée de la procédure. En premier lieu, lorsque l’assignation a été délivrée le 12 novembre 1992 à la commune de Calvi, celle-ci n’a pas constitué avocat devant le tribunal de grande instance comme elle en avait l’obligation. En conséquence, le juge de la mise en état, après avoir appelé l’affaire à l’audience du 11 mars 1993, a rendu l’ordonnance de clôture le 6 mai 1993 et fixé l’audience au 30 septembre 1993. La commune de Calvi a alors sollicité le rabat de l’ordonnance de clôture le 21 juillet 1993 et a constitué avocat le 28 juillet 1993. Le tribunal a accueilli cette demande le 30 septembre 1993. En deuxième lieu, jusqu’au jugement du 22 mai 1997, les parties ont échangé de nombreux mémoires, soit onze jeux de conclusions, étant précisé que la commune a déposé ses premières conclusions le 10 mars 1994, à la suite de deux injonctions de conclure rendues par le juge de la mise en état. En troisième lieu, lorsque, après cinq tentatives, le juge de la mise en état a pu désigner un expert, il a rendu une ordonnance de consignation complémentaire que le requérant n’a jamais exécutée, malgré une lettre de rappel du 20 mars 1998 et son engagement de verser cette somme, exprimé dans une lettre transmise le 6 avril au greffe. Le juge de la mise en état a alors demandé à l’expert de déposer son rapport en l’état, ce qui a été fait le 31 juillet 1998. Le 9 septembre 1998, le requérant a présenté des conclusions d’incident afin d’obtenir une nouvelle expertise et une provision de 20 000 francs. Ces demandes ont été rejetées par ordonnance du 4 novembre 1998. Enfin, le 3 décembre 1998, le requérant a déposé des conclusions sollicitant une nouvelle mesure d’expertise, auxquelles la commune a répondu, après une injonction du juge, du 1er avril 1999.

24.  En revanche, le juge de la mise en état a veillé au bon déroulement de la procédure en délivrant des injonctions de conclure aux parties (trois pour la commune et une pour le requérant), en adressant à ce dernier une lettre de rappel pour la consignation complémentaire et en tranchant avec diligence les incidents dont il a été saisi. En outre, il s’est heurté aux refus des différents experts d’effectuer la mission et il a été ainsi conduit à rendre quatre ordonnances de remplacement d’expert. A quoi s’ajoute la lenteur de l’expert à déposer son rapport, ce qui a obligé le juge à lui envoyer quatre lettres de rappel. A cet égard, la carence du requérant à consigner la provision complémentaire explique pour partie celle de l’expert à effectuer sa mission avec diligence.

25.  Le requérant rétorque que l’affaire ne présentait aucune complexité et qu’il ne se faisait guère d’illusion sur sa demande principale qui était surtout de principe car l’adage « ouvrage public mal planté ne se détruit pas » résiste au sein des juridictions internes. Bien qu’il s’agisse d’une procédure civile, le comportement fautif de la commune de Calvi entraîne celle de l’Etat, car c’est lui dans son unité qui est responsable. Alors que le requérant avait consigné la somme de 3 000 francs pour les opérations d’expertise, après cinq tentatives de nomination d’expert, l’expert désigné a eu l’audace de demander une provision supplémentaire et cette demande n’a été transmise au requérant que le 20 mars, soit trois mois plus tard. Si le requérant a bien tenté d’obtenir une provision pour couvrir les frais d’expertise par un incident devant le juge de la mise en état, il est injuste de lui imputer une responsabilité quelconque dans le retard de la procédure. Face à une expertise succincte et laconique (quatre pages), le requérant était bien fondé à demander une expertise complémentaire. Enfin, il ressort de la jurisprudence des juridictions internes que l’expert, indépendant pour l’établissement de son rapport, reste néanmoins soumis au contrôle des autorités judiciaires, tenues d’assurer le bon déroulement de l’expertise.

26.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d’autres, l’arrêt Doustaly c. France du 22 avril 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998‑II, § 39) et suivant les circonstances de la cause, lesquelles commandent en l’occurrence une évaluation globale (cf., mutatis mutandis, arrêt Piccolo c. Italie, n° 45891, 7.11.00, § 10).

27.  En premier lieu, la Cour observe que l’affaire ne présentait aucune complexité : il s’agissait d’un litige ordinaire portant sur une voie de fait de l’administration.

28.  S’agissant du comportement du requérant, la Cour rappelle qu’on ne saurait reprocher au requérant d’avoir fait usage des diverses possibilités procédurales que lui ouvrait le droit interne. Toutefois, le comportement d’un requérant constitue un élément objectif, non imputable à l’Etat défendeur et qui entre en ligne de compte pour déterminer s’il y a eu ou non dépassement du délai raisonnable (arrêt Wiesinger c. Autriche du 30 octobre 1991, série A n° 213, § 57). Quant au comportement des autorités judiciaires, la Cour rappelle que seules les lenteurs imputables à l’Etat peuvent amener à constater un dépassement du délai raisonnable (voir, notamment, l’arrêt Gergouil c. France du 21 mars 2000, n° 40111/98, § 19).

29.  La Cour note que la procédure a débuté le 12 novembre 1992 et a pris fin le 8 mars 2001. Elle a donc duré huit ans et quatre mois environ pour une instance. Or il a fallu quatre ans et six mois environ au tribunal de grande instance de Bastia pour conclure que l’action de la commune de Calvi était constitutive d’une voie de fait et ordonner une expertise (jugement du 22 mai 1997). Si les deux parties ont déposé un grand nombre de conclusions, la commune de Calvi, qui est considérée comme faisant partie de l’Etat au regard de la Convention, n’a constitué avocat que le 28 juillet 1993 et ne déposa ses premières conclusions que le 10 mars 1994. En outre, le tribunal a dû remplacer quatre fois l’expert qu’il avait désigné, ce qui a retardé de beaucoup le dépôt de l’expertise (le 31 juillet 1998 au lieu du 30 octobre 1997, comme l’avait ordonné le jugement du 22 mai 1997) ; de plus, l’expert a outrepassé sa mission qui consistait seulement à évaluer le dommage subi, ce qui a amené le requérant à demander de nouvelles expertises et a contribué à rallonger davantage la procédure. Sur ce point, la Cour rappelle qu’un expert, indépendant dans l’établissement de son rapport, reste néanmoins soumis au contrôle des autorités judiciaires, tenues d’assurer le bon déroulement de l’expertise (arrêt Capuano c. Italie du 25 juin 1987, série A n° 119).

30.  La Cour estime alors qu’une telle durée pour un seul degré de juridiction ne saurait être considérée comme raisonnable au regard de l’article 6 § 1 de la Convention.

31.  Par conséquent, il y a eu violation de cet article.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE N° 1

32.  Se fondant sur l’arrêt de la Cour dans l’affaire Guillemin c. France (du 21 février 1997, Recueil 1997-I, § 54), le requérant allègue aussi une violation de l’article 1 du Protocole n° 1, qui dispose :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

33.  Le Gouvernement soutient qu’à supposer même que le tribunal de grande instance de Bastia ait rendu sa décision dans un délai excessif, le caractère éventuellement tardif de la fixation de l’indemnité ne constituerait pas une violation de l’article 1 du Protocole n° 1, mais serait seulement la conséquence de la durée de la procédure ; par conséquent, elle ne devrait être prise en considération que dans le cadre de la satisfaction équitable susceptible d’être allouée en raison de la violation de l’article 6 de la Convention. Le Gouvernement se fonde à cet égard sur l’arrêt Varipati c. Grèce (n° 38459/97, [Section 2], § 32, 26.10.99).

34.  Le Gouvernement souligne, en outre, qu’à la différence de l’affaire Guillemin dans laquelle la Cour avait constaté un retard excessif de la procédure imputable à l’Etat, en l’espèce la durée de la procédure résulte du comportement des parties et notamment du requérant lui-même qui n’a pas consigné la provision et a sollicité une nouvelle expertise.

35.  Vu la conclusion figurant au paragraphe 31, la Cour ne juge pas nécessaire d’examiner le grief tiré de l’article 1 du Protocole n° 1 (voir les arrêts Brigandi, Zanghì et Santilli c. Italie du 19 février 1991, série A n° 194, p. 32, § 32, p. 47, § 23 et p. 62, § 22, respectivement, et l’arrêt Mahieu c. France, n° 43288/98 (section 3), 19.06.01, § 27).

III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

36.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »


A.  Dommage

37.  Le requérant sollicite la somme forfaitaire de 200 000 francs pour les préjudices matériel et moral résultant de la durée non raisonnable de la procédure et de l’impossibilité de disposer de son bien, et compte tenu du fait qu’il est handicapé.

38.  Le Gouvernement soutient que seuls les préjudices résultant directement des violations alléguées pourraient, le cas échéant, donner lieu à l’octroi d’un dédommagement. Il se déclare prêt à verser jusqu’à 30 000 francs en cas de constat de violation de l’article 6 § 1 de la Convention. En revanche, en ce qui concerne l’article 1 du Protocole n° 1, il réitère que le préjudice allégué résulte seulement de la durée de la procédure. Si, toutefois, la Cour concluait à une violation autonome de cet article, le constat de la violation constituerait une satisfaction équitable suffisante.

39.  La Cour note que le tribunal de grande instance de Bastia accorda une indemnité au requérant pour la privation de sa propriété et, par conséquent, elle n’estime devoir allouer aucune somme au titre du préjudice matériel demandé. En revanche, elle considère que le requérant a dû subir un tort moral certain du fait de la durée de la procédure. Statuant en équité, comme le veut l’article 41, elle octroie 30 000 francs de ce chef.

B.  Frais et dépens

40.  Pour frais et dépens, le requérant réclame 20 000 francs.

41.  Le Gouvernement souligne que seuls les frais engagés devant la Cour pourraient être pris en charge, à condition qu’ils soient dûment justifiés.

42.  La Cour estime la demande justifiée et raisonnable et décide de l’accueillir en entier.

C.  Intérêts moratoires

43.  Selon les informations dont dispose la Cour, le taux d’intérêt légal applicable en France à la date d’adoption du présent arrêt est de 4,26 % l’an.


PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l’UNANIMITÉ,

1.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

2.  Dit qu’il n’est pas nécessaire d’examiner de surcroît le grief tiré de l’article 1 du Protocole n° 1 ;

3.  Dit

a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 30 000 (trente mille) francs pour dommage moral, et 20 000 (vingt mille) francs pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû au titre de la taxe sur la valeur ajoutée ;

b)  que ces montants seront à majorer d’un intérêt simple de 4,26 % l’an à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement ;

4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 juillet 2001 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. Dolle W. Fuhrmann
GreffierPrésident

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code civil
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