CEDH, Cour (quatrième section), AFFAIRE SAHIN c. ALLEMAGNE, 11 octobre 2001, 30943/96

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Quatrième Section), 11 oct. 2001, n° 30943/96
Numéro(s) : 30943/96
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Camp et Bourimi c. Pays-Bas, n° 28369/95, §§ 37 et 38, CEDH 2000-X
Elsholz c. Allemagne [GC], n° 25735/94, §§ 43, 48, 49, 50, 52, 59, 66 et 73 CEDH 2000-VIII
Hauschildt c. Danemark du 24 mai 1989, série A n° 154, p. 23, § 54
Hertel c. Suisse du 25 août 1998, Recueil 1998-VI, p. 2334, § 63
Hokkanen c. Finlande du 23 septembre 1994, série A n° 299-A, p. 20, § 55
Inze c. Autriche du 28 octobre 1987, série A n° 126, p. 18, § 44
Johansen c. Norvège du 7 août 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-III, pp. 1001-1002, § 52
Keegan c. Irlande du 26 mai 1994, série A n° 290, pp. 18-19, § 44
Oberschlick c. Autriche du 23 mai 1991, série A n° 204, p. 28, § 65
T.P. et K.M. c. Royaume-Uni, n° 28945/95, § 71 et § 72
W. c. Royaume-Uni du 8 juillet 1987, série A n° 121, p. 29, § 64
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Oui
Conclusions : Violation de l'art. 8 ; Violation de l'art. 14+8 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure nationale
Identifiant HUDOC : 001-64274
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2001:1011JUD003094396
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Sur les parties

Texte intégral

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE SAHIN c. ALLEMAGNE

(Requête n° 30943/96)

ARRÊT

STRASBOURG

11 octobre 2001

CETTE AFFAIRE A ETE RENVOYEE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE,

QUI A RENDU SON ARRÊT LE

08/07/2003

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Sahin c. Allemagne,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée des juges dont le nom suit :

MM.A. Pastor Ridruejo, président,
G. Ress,
L. Caflisch,
I. Cabral Barreto,
V. Butkevych,
MmeN. Vajić,
M.M. Pellonpää,
ainsi que de M. V. Berger, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 septembre 2001,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (n° 30943/96) dirigée contre la République fédérale d'Allemagne et dont un ressortissant de cet Etat, M. Asim Sahin (« le requérant »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 16 juin 1993 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le gouvernement allemand (« le Gouvernement ») a été représenté par ses agents, à savoir Mme H. Voelskow-Thies, Ministerialdirigentin, du ministère fédéral de la Justice, lors de la phase initiale de la procédure, puis par M. K. Stoltenberg, Ministerialdirigent, également du ministère fédéral de la Justice. Le requérant s'est vu autoriser, à titre exceptionnel, à se défendre lui-même (article 36 du règlement de la Cour).

3.  Le requérant alléguait en particulier que les décisions des tribunaux allemands rejetant sa demande tendant à l'obtention d'un droit de visite à l'égard de son enfant, née hors mariage, emportaient violation de son droit au respect de sa vie familiale et qu'il était victime d'un traitement discriminatoire à cet égard. Il invoquait les articles 8 et 14 de la Convention.

4.  La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d'entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole n° 11).

5.  La requête a été attribuée à la quatrième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de cette section, la chambre appelée à examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.

6.  Par une décision du 12 décembre 2000, la chambre a déclaré la requête partiellement recevable.

7.  Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations complémentaires (article 59 § 1 du règlement).

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

8.  Le requérant, né en 1950, était à l'époque des faits un ressortissant turc. Il acquit par la suite la nationalité allemande.

9.  Il est le père de G.N., née hors mariage le 29 juin 1988. Par un document du 15 juin 1988, il reconnut être le père de l'enfant à naître et, par un autre document du 15 août 1988, il reconnut l'enfant et s'engagea à verser des subsides pour elle.

10.  Le requérant avait rencontré la mère de l'enfant, Mme D., en 1985, et s'était installé dans l'appartement qu'elle occupait en décembre 1987. Ils y vécurent ensemble jusqu'en juillet 1989 au moins voire, comme le déclare le requérant, jusqu'en février 1990. Quoi qu'il en soit, le requérant continua à rendre visite à l'enfant et à sa mère jusqu'à cette dernière date et, de fin juillet à octobre 1990, il alla chercher régulièrement G.N. pour s'en occuper. A partir de novembre 1990, Mme D. interdit tout contact entre le requérant et l'enfant.

11.  Le 5 décembre 1990, le requérant demanda au tribunal de district de Wiesbaden de rendre une décision lui accordant un droit de visite à l'égard de sa fille tous les dimanches de 10 heures à 18 heures ainsi que le 26 décembre et le dimanche et le lundi de Pâques.

12.  Le 5 septembre 1991, le tribunal de district rejeta la demande du requérant.

S'appuyant sur l'article 1711 du code civil (Bürgerliches Gesetzbuch), le tribunal releva que c'est la mère, dans l'exercice de son droit de garde, qui décide des relations de l'enfant avec les tiers et que le père ne peut se voir accorder un droit de visite que par une décision de justice, si cela est conforme à l'intérêt de l'enfant.

Or d'après les constatations du tribunal, ces conditions n'étaient pas remplies dans le cas du requérant. Le tribunal nota qu'il avait entendu l'office de la jeunesse de Wiesbaden et les parties et interrogé plusieurs témoins lors d'une audience tenue en mars 1991. Il considéra que le souhait du requérant de voir sa fille découlait des liens sincères qu'il avait avec elle et d'une véritable affection, mais conclut néanmoins qu'il n'était pas favorable à l'enfant d'accorder un droit de visite au père étant donné que Mme D. éprouvait une forte aversion pour lui et s'opposait avec une telle fermeté à tout contact que l'enfant serait entraînée dans un climat d'antipathie et de tensions qui porterait sans doute gravement atteinte à son bien-être.

Le tribunal ne discerna aucune circonstance particulière de nature à rendre malgré tout pareils contacts bénéfiques pour l'enfant. Les relations qui s'étaient créées entre le requérant et son enfant pendant la période de cohabitation ne pouvaient en aucun cas être suffisamment importantes pour prendre le risque que l'enfant fût irritée en raison des sentiments d'aversion éprouvés par la mère. Les témoins, des puéricultrices de la crèche fréquentée par l'enfant, avaient déclaré que, à la suite de la séparation et de l'interruption des contacts avec son père, le comportement de l'enfant n'avait montré aucune particularité, ou en tout cas aucune particularité notable ou durable, et que G.N. était une enfant équilibrée, heureuse et ouverte. Il n'était donc pas prouvé que, comme le requérant l'affirmait, il avait manqué à l'enfant et elle l'avait à maintes reprises réclamé après l'interruption des contacts entre eux.

13.  Le 12 mars 1992, le requérant interjeta appel devant le tribunal régional de Wiesbaden.

14.  Le 12 mai 1992, le tribunal régional ordonna une expertise psychologique sur la question de savoir s'il était dans l'intérêt de G.N. qu'elle entretînt des contacts avec le requérant. Le 8 juillet 1992, après une première conversation avec la psychologue, le requérant la récusa au motif qu'elle était de parti pris. Il demanda également qu'un autre expert fût désigné parce que la méthode scientifique adoptée ne reflétait pas les dernières avancées de la recherche. Le 9 septembre 1992, le tribunal régional rejeta la demande du requérant, déclarant qu'au vu des explications fournies par la psychologue le 8 août 1992, il n'existait aucune raison de douter de son impartialité ou de ses capacités.

15.  Le 17 décembre 1992, le requérant pria le tribunal régional de faire avancer la procédure ainsi que de délivrer à titre provisoire une ordonnance lui accordant un droit de visite à l'égard de G.N. pendant un après-midi par semaine et interdisant à la mère de s'opposer à ces rencontres.

16.  Le 23 décembre 1992, le tribunal régional rejeta la demande du requérant tendant à l'obtention d'un droit de visite provisoire. Le tribunal estima qu'il n'y avait pas d'urgence et que l'on pouvait exiger du requérant qu'il attendît l'issue de la procédure principale. De plus, l'ordonnance sollicitée aurait préjugé de la décision définitive. Les inconvénients qui résulteraient pour l'enfant de la délivrance d'une ordonnance provisoire suivie, le cas échéant, du rejet de la demande dans le cadre de la procédure principale étaient plus importants que ceux que causerait au requérant la prolongation de la situation existante.

17.  Dans son expertise du 25 février 1993, la psychologue indiqua qu'elle avait rendu visite à la famille du requérant en juin 1992 puis de nouveau entendu le requérant, la mère de l'enfant et celle-ci à plusieurs reprises entre novembre 1992 et février 1993. Elle conclut qu'il n'était pas favorable au bien-être de l'enfant d'accorder un droit de visite sans que les parents aient auparavant des échanges pour résoudre leur conflit.

18.  Par une lettre du 8 mars 1993, le tribunal régional, relevant que le tribunal de district avait omis d'entendre l'enfant, demanda à la psychologue si le fait d'interroger l'enfant en audience au sujet de ses relations avec son père serait pour elle éprouvant sur le plan psychologique. Dans sa réponse du 13 mars 1993, la psychologue indiqua qu'elle n'avait pas posé de questions directes à l'enfant à propos de son père. En effet, lui demander si elle souhaitait voir son père comportait un risque : dans le conflit opposant ses parents, l'enfant pourrait avoir l'impression que ses déclarations étaient décisives.

19.  Lors d'une audience tenue le 30 avril 1993, le requérant et la mère de l'enfant conclurent un accord ; le requérant déclarait renoncer à toute action en justice, s'abstenir de toute question quant à la situation personnelle de la mère et ne pas exercer le droit de garde obtenu en vertu du droit turc, et ce à condition qu'ils entreprennent une thérapie parentale. La procédure fut suspendue jusqu'à la fin de cette thérapie.

20.  Le 1er juin 1993, le requérant demanda une reprise de la procédure étant donné que la mère de l'enfant n'avait approuvé aucune des deux institutions de thérapie familiale qu'il avait proposées et n'avait pas non plus formulé elle-même de proposition, comme il avait suggéré qu'elle le fît.

21.  Le 25 août 1993, le tribunal régional de Wiesbaden rejeta le recours du requérant.

Il considéra que des contacts personnels avec son enfant né hors mariage étaient censés permettre au père de s'assurer du développement et du bien-être de l'enfant et de maintenir les liens naturels les unissant. Tout en visant un but identique, les articles 1711 et 1634 du code civil prévoyaient des conditions différentes. Alors que, selon l'article 1634 du code civil, le parent n'exerçant pas le droit de garde pouvait entretenir des contacts personnels avec son enfant légitime, l'article 1711 n'accordait pas ce droit au père d'un enfant né hors mariage. Au contraire, la personne exerçant la garde, la mère en général, décidait si et dans quelle mesure le père pouvait voir son enfant. Le tribunal compétent ne pouvait accorder un droit de visite que si pareils contacts étaient dans l'intérêt de l'enfant. Cette situation plus fragile au regard de la loi découlait de la position sociale différente du père d'un enfant né hors mariage. Se fondant sur des arrêts de la Cour constitutionnelle fédérale de 1971 et 1981, le tribunal régional ne décela aucun motif de douter de la constitutionnalité de l'article 1711 du code civil. Le tribunal ajouta que si, pour des raisons de politique juridique, une réforme de la législation concernant les enfants nés hors mariage s'imposait d'urgence, il se trouvait tenu par la loi en vigueur.

Le tribunal régional estima que pareils contacts ne pouvaient être ordonnés que s'ils étaient bénéfiques pour l'enfant. On pouvait supposer qu'en règle générale, de tels contacts étaient prescrits, puisque des relations régulières entre un père et son enfant offrent à celui-ci la possibilité de se développer normalement et facilitent la formation de sa personnalité. Appliquant ces principes au cas d'espèce, le tribunal jugea que le requérant demandait un droit de visite en raison de l'amour sincère qu'il portait à sa fille. Cependant, des intentions aussi responsables ne pouvaient conduire à accorder un droit de visite dont il faudrait imposer l'exécution. L'enfant souffrirait des tensions existant entre ses parents à l'occasion de chaque visite, ce qui perturberait son développement. Aucun élément particulier ne permettait de conclure que des contacts avec son père seraient malgré tout favorables à l'enfant. A cet égard, le tribunal considéra qu'il existait déjà des tensions entre les parents durant la période de cohabitation. De plus, la psychologue avait établi que l'enfant avait occulté ses souvenirs relatifs au requérant et évitait d'en parler pour se protéger. Elle ne souffrait pas de la situation.

Le tribunal régional considéra en outre que l'expertise était fiable et n'appelait aucune critique. Le constat selon lequel les parents devaient entamer une thérapie afin de surmonter leurs conflits avant que l'enfant ne puisse avoir des contacts avec eux deux était indépendant de la question de savoir qui était responsable de cette situation. Le tribunal conclut enfin qu'il n'avait pas été exigé d'entendre l'enfant au sujet de ses relations avec son père étant donné que cela aurait été pour elle psychologiquement éprouvant.

22.  Le 21 septembre 1993, le requérant saisit la Cour constitutionnelle fédérale pour se plaindre de ce que le refus de lui accorder un droit de visite à l'égard de sa fille portait atteinte à ses droits parentaux et constituait une discrimination, et dénoncer la manière à son avis inéquitable dont avait été recueillie l'expertise. La première chambre de la Cour constitutionnelle fédérale accusa réception du recours le 29 septembre 1993.

Par une lettre du 26 avril 1994, le requérant demanda à la Cour constitutionnelle quel était le stade d'avancement de la procédure et la pria instamment de rendre une décision rapidement. Le 16 mai 1994, la Cour constitutionnelle l'informa que, dans une affaire analogue enregistrée à une date antérieure, la décision était attendue pour le courant du premier semestre de 1995.

Le 26 novembre 1995, le requérant adressa une lettre au président de la Cour constitutionnelle fédérale pour se plaindre de ce que l'examen de son recours eût été repoussé au premier semestre de 1996. Dans sa réponse du 15 février 1996, la juge chargée de l'affaire informa le requérant que, en raison de l'encombrement de son rôle, la Cour constitutionnelle fédérale n'avait pu rendre sa décision en 1995, mais pourrait probablement le faire en 1996. En effet, eu égard à l'importance du sujet traité, une telle décision devait être préparée avec soin.

23.  Le 1er décembre 1998, la Cour constitutionnelle fédérale, siégeant en un collège de trois juges, refusa d'examiner le recours constitutionnel formé par le requérant.

II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

A.  Le droit de la famille actuellement en vigueur

24.  Les dispositions légales concernant les droits de garde et de visite sont contenues dans le code civil allemand. Elles ont été amendées à plusieurs reprises et nombre d'entre elles ont été abrogées avec l'adoption de la nouvelle législation en matière familiale (Reform zum Kindschaftrecht) du 16 décembre 1997 (Journal officiel, p. 2942), entrée en vigueur le 1er juillet 1998.

25.  L'article 1626 § 1 est ainsi libellé :

« Le père et la mère ont le droit et le devoir d'exercer l'autorité parentale (elterliche Sorge) sur leur enfant mineur. L'autorité parentale comprend la garde (Personensorge) et l'administration des biens (Vermögenssorge) de l'enfant. »

26.  En vertu de l'article 1626 a § 1 du code civil, dans sa version amendée, les parents d'un enfant mineur né hors mariage exercent conjointement la garde de l'enfant s'ils font une déclaration à cet effet (déclaration sur la garde conjointe) ou s'ils se marient. Aux termes de l'article 1684, dans sa version amendée, un enfant a le droit de voir ses deux parents, qui ont chacun l'obligation d'avoir des contacts avec l'enfant et un droit de visite à son égard. De plus, les parents doivent s'abstenir de tout acte qui nuirait aux relations de l'enfant avec l'autre parent ou entraverait gravement son éducation. Les tribunaux de la famille peuvent fixer l'étendue du droit de visite ainsi que des modalités plus précises d'exercice de ce droit, également à l'égard de tiers. Ils peuvent aussi obliger les parties à remplir leurs obligations envers l'enfant. Ces tribunaux peuvent limiter ou suspendre ce droit si cela est nécessaire au bien-être de l'enfant. Ils ne peuvent décider de limiter ou suspendre ce droit pour une longue période ou définitivement que si le bien-être de l'enfant risque autrement d'en pâtir. Ils peuvent ordonner que le droit de visite soit exercé en présence d'un tiers, tels un employé de l'office de la jeunesse ou une association.

B.  Le droit de la famille en vigueur à l'époque des faits

27.  Avant l'entrée en vigueur de la nouvelle législation en matière familiale, la disposition pertinente du code civil relative aux droits de garde et de visite à l'égard d'un enfant légitime était libellée comme suit :


Article 1634

« 1.  Le parent qui n'exerce pas la garde a le droit d'entretenir des contacts personnels avec l'enfant. Le parent qui n'exerce pas le droit de garde, tout comme celui qui l'exerce, doit s'abstenir de tout acte de nature à porter préjudice aux relations de l'enfant avec autrui ou à entraver gravement l'éducation de l'enfant.

2.  Le tribunal de la famille peut fixer l'étendue de ce droit et poser des règles plus précises pour son exercice, également à l'égard de tiers ; en l'absence de décision, le parent n'ayant pas la garde peut exercer le droit prévu à l'article 1632 § 2 tout au long de la période de contact. Le tribunal de la famille peut limiter ou suspendre ce droit si cela se révèle nécessaire au bien-être de l'enfant.

3.  Un parent n'exerçant pas le droit de garde et ayant un intérêt légitime à obtenir des informations sur la situation de l'enfant peut les demander à la personne qui exerce le droit de garde, pour autant que cela soit compatible avec l'intérêt de l'enfant. Le tribunal des tutelles tranche tout différend relatif au droit à l'information.

4.  Les dispositions précédentes s'appliquent, mutatis mutandis, lorsque les deux parents exercent le droit de garde et ne sont pas séparés de manière seulement temporaire. »

28.  Les dispositions du code civil portant sur les droits de garde et de visite relativement aux enfants nés hors mariage étaient libellées comme suit :

Article 1705

« La mère a la garde de son enfant mineur né hors mariage (...) »

Article 1711

«  1.  La personne exerçant le droit de garde fixe les modalités du droit de visite du père à l'égard de l'enfant. L'article 1634 § 1, seconde phrase, s'applique par analogie.

2.  S'il est dans l'intérêt de l'enfant d'entretenir des contacts personnels avec son père, le tribunal des tutelles peut décider que le père a droit à de tels contacts. L'article 1634 § 2 s'applique par analogie. Le tribunal des tutelles peut modifier sa décision à tout moment.

3.  Le droit de demander des informations sur la situation de l'enfant est énoncé à l'article 1634 § 3.

4.  Le cas échéant, l'office de la jeunesse sert de médiateur entre le père et la personne exerçant le droit de garde. »


C.  La loi sur la procédure gracieuse

29.  Les procédures engagées en vertu de l'ancien article 1711 § 2 du code civil, comme celles se rapportant à d'autres aspects du droit de la famille, sont régies par la loi sur la procédure gracieuse (Gesetz über die Angelegenheiten der freiwilligen Gerichtsbarkeit).

30.  Conformément à l'article 12 de cette loi, le tribunal prend d'office les mesures d'enquête nécessaires pour établir les faits et recueillir les éléments de preuve qui semblent pertinents.

Dans le cadre des procédures portant sur le droit de visite, l'office de la jeunesse compétent doit être entendu avant toute décision (article 49 § 1 k)).

S'agissant de l'audition des parents dans les procédures relatives au droit de garde, l'article 50 a § 1 dispose que le tribunal doit entendre ceux-ci lorsque la procédure concerne la garde de l'enfant ou l'administration de ses biens. Pour ce qui est de la garde, le tribunal doit, en règle générale, entendre les parents en personne. Pour les affaires ayant trait à la prise en charge d'enfants par l'administration publique, les parents doivent dans tous les cas être entendus. D'après l'article 50 a § 2, un parent n'ayant pas le droit de garde doit être entendu, sauf lorsqu'il apparaît que son audition ne contribuerait pas à clarifier la situation.

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

31.  Le requérant allègue que les décisions des tribunaux allemands rejetant sa demande tendant à l'obtention d'un droit de visite à l'égard de son enfant, née hors mariage, ont emporté violation de l'article 8 de la Convention, dont les passages pertinents sont libellés comme suit :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie (...) familiale (...).

2.  Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire (...) à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »


A.  Les arguments des parties

32.  Le requérant affirme qu'il entretenait une relation familiale avec son enfant.

Les récentes recherches menées dans le domaine de la famille montrant que les contacts entre un père naturel et son enfant sont de manière générale bénéfiques, il soutient que les décisions rejetant sa demande tendant à l'obtention d'un droit de visite étaient obligatoirement contraires au bien-être de sa fille, G.N. Il invoque également les contradictions présentes dans l'argumentation du Gouvernement ainsi que l'amendement de la législation pertinente. En raison du grand laps de temps écoulé depuis leur dernière rencontre, l'enfant s'est détachée de lui.

33.  Le Gouvernement reconnaît que la relation entre le requérant et son enfant relève de la notion de vie familiale prévue à l'article 8 § 1.

A son avis, les dispositions légales régissant le droit de visite des pères à l'égard de leurs enfants nés hors mariage n'emportent pas en tant que telles violation des droits énoncés dans cet article. Le Gouvernement admet toutefois que les décisions rendues en l'espèce par les tribunaux allemands, fondées sur cette législation, ont constitué une ingérence dans le droit que le requérant tire de l'article 8 § 1.

Selon lui, cette ingérence était prévue par la loi allemande et visait à protéger les intérêts de l'enfant du requérant. De plus, elle était nécessaire dans une société démocratique au sens de l'article 8 § 2. A cet égard, le Gouvernement fait valoir que le principe qui a guidé les tribunaux allemands était celui de l'intérêt supérieur de l'enfant.

B.  L'appréciation de la Cour

1.  Quant à savoir s'il y a eu ingérence dans le droit du requérant au respect de sa vie familiale garanti par l'article 8 de la Convention

34.  La Cour rappelle que la notion de famille visée par l'article 8 ne se borne pas aux seules relations fondées sur le mariage et peut englober d'autres liens « familiaux » de facto lorsque les parties cohabitent en dehors du mariage. Un enfant issu d'une telle relation s'insère de plein droit dans cette cellule « familiale » dès sa naissance et par le fait même de celle-ci. Il existe donc entre l'enfant et ses parents un lien constitutif d'une vie familiale (arrêt Keegan c. Irlande du 26 mai 1994, série A n° 290, pp. 18-19, § 44).

En outre, pour un parent et son enfant, être ensemble représente un élément fondamental de la vie familiale, même si la relation entre les parents s'est rompue, et des mesures internes qui les en empêchent constituent une ingérence dans le droit protégé par l'article 8 de la Convention (voir, entre autres, les arrêts Johansen c. Norvège du 7 août 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996‑III, pp. 1001-1002, § 52, et Elsholz c. Allemagne [GC], n° 25735/94, CEDH 2000-VIII, § 43).

35.  En l'espèce, le requérant a vécu avec son enfant depuis la naissance de celle-ci en juin 1988 jusqu'en juillet 1989 et même, selon l'intéressé, jusqu'en février 1990. Il a continué à voir l'enfant jusqu'en novembre 1990. Les décisions ultérieures lui refusant un droit de visite s'analysent dès lors en une ingérence dans l'exercice de son droit au respect de la vie familiale garanti par le paragraphe 1 de l'article 8 de la Convention.

36.  Dans ces conditions, la Cour considère qu'il n'y a pas lieu de rechercher si l'article 1711 du code civil constitue par lui-même une ingérence dans le droit du requérant au respect de la vie familiale.

2.  Quant à savoir si l'ingérence était justifiée

37.  L'ingérence relevée au paragraphe précédent emporte violation de l'article 8 sauf si elle est « prévue par la loi », poursuit un ou plusieurs buts légitimes au sens du paragraphe 2 de cette disposition et peut passer pour « nécessaire dans une société démocratique ».

a.  « Prévue par la loi »

38.  Les décisions en cause se fondaient sur une disposition du droit interne, à savoir l'article 1711 § 2 du code civil dans sa version en vigueur à l'époque des faits.

b.  But légitime

39.  Pour la Cour, les décisions judiciaires attaquées par le requérant visaient à la protection « de la santé ou de la morale » et « des droits et libertés » de l'enfant. Elles poursuivaient donc des buts légitimes au sens du paragraphe 2 de l'article 8.

c.  « Nécessaire dans une société démocratique »

40.  Pour rechercher si la mesure litigieuse était « nécessaire dans une société démocratique », la Cour doit examiner, à la lumière de l'ensemble de l'affaire, si les motifs invoqués pour la justifier étaient pertinents et suffisants aux fins du paragraphe 2 de l'article 8 de la Convention. Sans doute, l'examen de ce qui sert au mieux l'intérêt de l'enfant est toujours d'une importance cruciale dans toute affaire de cette sorte. Il faut en plus avoir à l'esprit que les autorités nationales bénéficient de rapports directs avec tous les intéressés. La Cour n'a donc point pour tâche de se substituer aux autorités internes pour réglementer les questions de garde et de visite, mais il lui incombe d'apprécier sous l'angle de la Convention les décisions qu'elles ont rendues dans l'exercice de leur pouvoir d'appréciation (arrêts Hokkanen c. Finlande du 23 septembre 1994, série A no 299-A, p. 20, § 55, et, mutatis mutandis, Elsholz précité, § 48).

41.  La marge d'appréciation laissée aux autorités nationales compétentes variera selon la nature des questions en litige et l'importance des intérêts en jeu. Dès lors, la Cour reconnaît que les autorités jouissent d'une grande latitude pour apprécier en particulier la nécessité de prendre en charge un enfant.

Il faut en revanche exercer un contrôle plus rigoureux sur les restrictions supplémentaires, comme celles apportées par les autorités au droit de visite des parents, et sur les garanties destinées à assurer la protection effective du droit des parents et des enfants au respect de leur vie familiale. Ces restrictions supplémentaires comportent le risque d'amputer les relations familiales entre les parents et un jeune enfant (arrêt Elsholz précité, § 49).

42.  La Cour rappelle en outre qu'un juste équilibre doit être ménagé entre les intérêts de l'enfant et ceux du parent. Ce faisant, la Cour attachera une importance particulière à l'intérêt supérieur de l'enfant, qui, selon sa nature et sa gravité, peut l'emporter sur celui du parent. En particulier, l'article 8 de la Convention ne saurait autoriser le parent à faire prendre des mesures préjudiciables à la santé et au développement de l'enfant (arrêts Elsholz précité, § 50, et T.P. et K.M. c. Royaume-Uni, n° 28945/95, § 71, CEDH-).

43.  En l'espèce, les juridictions nationales compétentes ont rejeté la demande par laquelle le requérant sollicitait un droit de visite en se fondant sur les déclarations émanant de celui-ci, de la mère de l'enfant et de témoins, sur les observations de l'office de la jeunesse de Wiesbaden et sur l'avis d'une psychologue, et en tenant compte des relations tendues entre les parents, ce qui les a amenées à conclure que des contacts ne seraient pas favorables à l'enfant.

44.  La Cour ne doute pas de la pertinence de ces motifs. Toutefois, elle doit déterminer, en fonction des circonstances particulières de l'espèce et notamment de la gravité des décisions à prendre, si le requérant a pu jouer dans le processus décisionnel, considéré comme un tout, un rôle suffisamment important pour lui assurer la protection requise de ses intérêts (arrêts W. c. Royaume-Uni du 8 juillet 1987, série A n° 121, p. 29, § 64, Elsholz précité, § 52, et T.P. et K.M. précité, § 72).

45.  La Cour relève que le tribunal de district a entendu l'office de la jeunesse local et les parties et recueilli le sentiment de plusieurs témoins sur la question du développement de l'enfant après la séparation de ses parents.

Le tribunal régional, qui avait tous pouvoirs pour réexaminer toutes les questions relatives à la demande tendant à l'obtention d'un droit de visite, sollicita une expertise psychologique sur le point de savoir si des contacts entre le requérant et son enfant seraient favorables à cette dernière. Après avoir entendu le requérant, l'enfant et la mère de celle-ci, la psychologue déconseilla de tels contacts. La requête en récusation dirigée par le requérant contre la psychologue et ses critiques relatives à la méthode suivie par elle furent vaines.

46.  La Cour note que l'enfant n'a été entendue par un tribunal à aucun stade de la procédure.

Le tribunal régional a demandé à la psychologue si le fait d'interroger l'enfant, alors âgée de cinq ans environ, pendant une audience serait pour elle psychologiquement éprouvant. La psychologue expliqua qu'elle n'avait pas directement questionné l'enfant au sujet de son père. Selon elle, interroger l'enfant en audience quant à sa relation avec son père et lui poser des questions directes à ce sujet comportait un risque : dans ce conflit, l'enfant pouvait avoir l'impression que ses déclarations revêtaient un caractère décisif. Le tribunal régional se fia à l'avis de la psychologue et s'abstint d'interroger l'enfant, considérant qu'un tel procédé serait pour elle éprouvant sur le plan psychologique.

47.  De l'avis de la Cour, le fait que les tribunaux allemands n'aient pas entendu l'enfant montre que le requérant n'a pas joué dans la procédure relative au droit de visite un rôle suffisamment important. Il est fondamental que les tribunaux compétents examinent attentivement où se trouve l'intérêt supérieur de l'enfant après avoir eu un contact direct avec celui-ci. Le tribunal régional n'aurait pas dû se contenter des déclarations vagues de la psychologue quant aux risques que comportait un interrogatoire sans même envisager de prendre des dispositions spéciales pour tenir compte du jeune âge de l'enfant.

48.  Dans ces conditions, la Cour juge important le fait que la psychologue ait indiqué qu'elle n'avait pas elle-même interrogé l'enfant au sujet de son père. En effet, il était indispensable de disposer d'informations correctes et complètes sur la relation entre l'enfant et le requérant, c'est-à-dire le parent demandant un droit de visite, afin de déterminer quels étaient les véritables souhaits de G.N. et ainsi ménager un juste équilibre entre les intérêts en jeu.

49.  Eu égard à l'ensemble des circonstances, la Cour conclut que les autorités nationales ont outrepassé leur marge d'appréciation, violant ainsi dans le chef du requérant les droits garantis par l'article 8 de la Convention.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 14 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC L'ARTICLE 8

50.  Le requérant se plaint en outre d'avoir fait l'objet d'un traitement discriminatoire contraire à l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 8. L'article 14 dispose :

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

51.  D'après le requérant, l'article 1711 du code civil, qui régit les contacts entre un père et son enfant né hors mariage, est constitutif d'une discrimination envers le père d'un tel enfant, par comparaison avec les dispositions de l'article 1634 du code civil relatives aux contacts entre un père et son enfant légitime.

52.  Le Gouvernement soutient que ni les dispositions légales régissant le droit de visite relativement aux enfants nés hors mariage prises en elles-mêmes, ni leur application au cas d'espèce, n'ont entraîné à l'égard du requérant de discrimination dans la jouissance par celui-ci du droit au respect de la vie familiale.

Il rappelle que, dans certaines de ses décisions, la Commission avait déclaré que les dispositions de l'article 1711 du code civil n'entraînaient pas de discrimination contraire à l'article 14 (requête no 9588/81, décision du 15 mars 1984, requête n° 9530/81, décision du 14 mai 1984, non publiées). La thèse voulant que, souvent, les pères d'enfants nés hors mariage ne montrent pas d'intérêt pour le maintien de contacts avec leurs enfants et sont susceptibles de quitter à tout moment leur famille non fondée sur le mariage, et qu'il est normalement dans l'intérêt de l'enfant de confier à la mère les droits de garde et de visite, demeure valable, même si le nombre de familles naturelles est en augmentation. L'article 1711 § 2 du code civil ménagerait un juste équilibre entre les intérêts antagonistes en présence dans toutes ces affaires.

A cet égard, le Gouvernement fait remarquer que la nouvelle législation en matière familiale ne modifie en rien cette appréciation.

53.  La Cour a dit dans une précédente affaire qu'il n'y avait pas lieu de rechercher si, en tant que telle, l'ancienne législation allemande, à savoir l'article 1711 § 2 du code civil, établissait, entre les pères d'enfants nés hors mariage et les pères divorcés, une distinction injustifiable qui s'analyserait en une discrimination contraire à l'article 14, puisqu'il n'apparaissait pas que l'application de cette clause dans l'affaire en question eût abouti à une approche différente de celle qui aurait prévalu dans le cas d'un couple divorcé (arrêt Elsholz précité, § 59).

54.  La Cour relève qu'en l'espèce, le tribunal de district comme le tribunal régional ont expressément indiqué que le droit de visite ne pourrait être accordé que si cela était favorable à l'enfant, ainsi que le prévoyait l'article 1711 du code civil en vigueur à l'époque des faits. Le tribunal régional a ajouté que si, pour des raisons de politique juridique, une réforme de la législation sur les enfants nés hors mariage s'imposait d'urgence, il se trouvait tenu par la loi en vigueur. Ainsi, tout en reconnaissant que le requérant demandait un droit de visite à l'égard de son enfant pour des motifs sincères, cette juridiction a considéré que la volonté de la mère et les sentiments de celle-ci à l'égard du requérant constituaient des facteurs déterminants l'incitant à se prononcer contre l'octroi d'un droit de visite, dont il faudrait imposer l'exécution.

55.  La démarche suivie dans cette affaire par les tribunaux allemands s'inscrit dans le droit fil de la législation pertinente, qui ne mettait pas les pères d'enfants nés hors mariage sur le même pied que les pères divorcés, mais les défavorisait. Contrairement aux pères divorcés, les pères naturels ne jouissaient pas d'un droit de visite à l'égard de leurs enfants et lorsque la mère s'opposait à l'octroi d'un tel droit, un tribunal ne pouvait passer outre son avis que lorsque le droit de visite était « favorable à l'enfant ». Avec de telles règles et dans de telles circonstances, la charge de la preuve qui incombait au père d'un enfant né hors mariage était à l'évidence lourde. Il est un point crucial : les tribunaux ne présumaient pas que les contacts entre un enfant et son père naturel étaient favorables à l'enfant, une décision de justice qui accordait un droit de visite constituant l'exception à la disposition légale générale voulant que la mère décidât des relations de l'enfant avec le père. L'attitude négative de la mère et les tensions qui ne peuvent manquer d'exister entre les parents en cas de conflit ayant constitué les motifs décisifs à l'origine de la décision de refus d'un droit de visite, indépendamment des intentions responsables qui animaient le père, il y a matière à conclure que le traitement réservé au requérant en sa qualité de père naturel a été moins favorable que celui dont aurait bénéficié un père divorcé au cours d'une procédure tendant à suspendre le droit de visite.

56.  Une distinction est discriminatoire au sens de l'article 14 si elle manque de justification objective et raisonnable, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s'il n'y a pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Par ailleurs, les Etats contractants jouissent d'une certaine marge d'appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d'autres égards analogues justifient des distinctions de traitement (arrêt Camp et Bourimi c. Pays-Bas, n° 28369/95, CEDH 2000-X, § 37).

57.  D'après la jurisprudence de la Cour, seules des raisons très fortes pourraient amener à estimer compatible avec la Convention une distinction fondée sur la naissance hors mariage (arrêt Camp et Bourimi précité, § 38).

58.  En l'espèce, la Cour n'est pas convaincue par les arguments du Gouvernement, qui se fonde sur l'idée générale que les pères d'enfants nés hors mariage ne manifestent pas d'intérêt pour le maintien de contacts avec leurs enfants et peuvent mettre fin à tout moment à une relation non maritale.

59.  Or pareilles considérations ne s'appliquaient pas au requérant. Celui-ci vivait avec la mère à la naissance de l'enfant en juin 1988 et est resté en contact avec elle jusqu'en octobre 1990. Il a reconnu l'enfant et s'est engagé à verser des subsides et, ce qui est plus important, il a continué de manifester concrètement son désir de la voir pour des motifs sincères.

60.  Comme le Gouvernement l'a fait remarquer à juste titre, le nombre des familles non fondées sur le mariage s'est accru. Lorsqu'il a statué sur l'affaire, le tribunal régional a déclaré qu'il était urgent de procéder à une réforme législative. La Cour constitutionnelle fédérale se trouvait saisie de recours contestant la constitutionnalité de la loi applicable. La nouvelle législation en matière familiale est finalement entrée en vigueur en juillet 1998.

La Cour tient à préciser que ces amendements ne sauraient en soi passer pour attester que les règles antérieures allaient à l'encontre de la Convention. Ils montrent cependant que l'on aurait aussi pu atteindre le but de la législation en cause, à savoir la protection des intérêts des enfants et de leurs parents, sans établir de distinction fondée sur la naissance (voir, mutatis mutandis, l'arrêt Inze c. Autriche du 28 octobre 1987, série A n° 126, p. 18, § 44).

61.  La Cour conclut dès lors à la violation de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 8.

III.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

62.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

63.  Le requérant prie la Cour d'enjoindre au Gouvernement d'annuler les décisions des tribunaux allemands des 5 septembre 1991 et 27 août 1993.

La Cour n'est toutefois pas habilitée à donner de telles directives (voir, mutatis mutandis, les arrêts Hauschildt c. Danemark du 24 mai 1989, série A n° 154, p. 23, § 54, et Oberschlick c. Autriche du 23 mai 1991, série A n° 204, p. 28, § 65).

Le requérant demande aussi une indemnité pour le dommage matériel et moral et le remboursement de ses frais et dépens, faisant valoir qu'il conviendrait de majorer certaines de ces sommes du taux d'intérêt légal.

A.  Dommage

64.  Le requérant réclame trois millions d'euros au titre du dommage matériel et moral en raison de la détresse qu'il éprouve depuis qu'il a dû se séparer de son enfant et des tensions psychologiques qui l'ont empêché de reprendre son travail.

65.  Le Gouvernement ne se prononce pas.

66.  Pour ce qui est du dommage matériel, la Cour estime que le requérant n'a pas fourni de preuves concrètes pour étayer ses allégations.

67.  Quant au dommage moral, la Cour considère que le requérant a sans nul doute subi un tel dommage. Sans que l'on puisse dire à partir des éléments disponibles que le requérant se serait probablement vu accorder un droit de visite si les violations des articles 8 et 14 de la Convention ne s'étaient pas produites, il a à tout le moins été privé de la possibilité de faire valoir ses intérêts lors de la procédure relative au droit de visite. La Cour a jugé que le requérant avait été victime de lacunes dans la procédure et de discrimination, ces deux manquements étant intimement liés à une ingérence dans l'exercice d'un droit parmi les plus fondamentaux, celui au respect de la vie familiale. La Cour relève en outre que le requérant n'apparaît pas avoir revu son enfant depuis novembre 1990. On peut raisonnablement présumer que l'ensemble de ces circonstances a causé au requérant d'importantes souffrances.

68.  La Cour conclut dès lors que le requérant a subi un certain dommage moral, qui ne se trouve pas suffisamment réparé par le constat de violation de la Convention. Aucun des éléments cités plus haut ne se prête à une évaluation précise. Statuant en équité comme le veut l'article 41, la Cour alloue au requérant 50 000 DEM.

B.  Frais et dépens

69.  Le requérant sollicite en outre la somme totale de 13 046,17 DEM au titre des frais et dépens encourus devant les tribunaux allemands.

70.  D'après le Gouvernement, le requérant réclame deux fois une partie des honoraires de son avocat, à savoir le montant de 2 000 DEM. En outre, plusieurs des reçus n'indiquent pas clairement s'ils se rapportent à la procédure relative au droit de visite en cause en l'espèce ou à d'autres procédures. Les frais et dépens dont l'affectation n'est pas précisée ne sauraient donc être remboursés.

71.  Lorsque la Cour constate une violation de la Convention, elle peut accorder au requérant le paiement des frais et dépens qu'il a engagés devant les juridictions nationales pour prévenir ou faire corriger par celles-ci ladite violation (arrêt Hertel c. Suisse du 25 août 1998, Recueil 1998-VI, p. 2334, § 63). En l'espèce, eu égard à l'objet et à l'enjeu de la procédure menée devant les juridictions allemandes, le requérant est en droit de demander le remboursement des frais et dépens afférents à celle-ci pour autant que ces frais et dépens ont été réellement et nécessairement exposés et sont d'un montant raisonnable (voir, mutatis mutandis, l'arrêt Elsholz précité, § 73).

72.  Eu égard au caractère insatisfaisant d'une partie des déclarations du requérant quant à ses dépenses et des justificatifs fournis par lui, la Cour estime que seule une fraction des frais et dépens a été réellement et nécessairement exposée dans le cadre de la procédure relative au droit de visite. En conséquence, la Cour, statuant en équité, ne peut octroyer au requérant que la somme de 8 000 DEM.

C.  Intérêts moratoires

73.  Selon les informations dont la Cour dispose, le taux d'intérêt légal applicable en Allemagne à la date d'adoption du présent arrêt est de 8,62 % l'an.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1.  Dit, par cinq voix contre deux, qu'il y a eu violation de l'article 8 de la Convention ;

2.  Dit, par cinq voix contre deux, qu'il y a eu violation de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 8 ;

3.  Dit, par cinq voix contre deux,

a)  que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter de la date à laquelle l'arrêt deviendra définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, plus tout montant pouvant être dû au titre de la taxe sur la valeur ajoutée :

i.  50 000 (cinquante mille) marks allemands pour dommage moral ;

ii.  8 000 (huit mille) marks allemands pour frais et dépens ;

b)  que ces montants seront à majorer d'un intérêt simple de 8,62 % l'an à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement ;

4.  Rejette, à l'unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 11 octobre 2001 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Vincent BergerAntonio Pastor Ridruejo
GreffierPrésident
 


Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé de l'opinion dissidente de M. Pellonpää, à laquelle Mme Vajić se rallie.

A.P.R.
V.B.


OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE PELLONPÄÄ,
À LAQUELLE MME LA JUGE VAJIĆ SE RALLIE

(Traduction)

Je ne suis pas en mesure de souscrire à l'avis de la chambre selon lequel il y a eu violation de l'article 8, tant seul que combiné avec l'article 14.

J'approuve les principes généraux énoncés au paragraphe 40 de l'arrêt, à savoir qu'« [i]l faut avoir à l'esprit que les autorités nationales bénéficient de rapports directs avec tous les intéressés » et que « [l]a Cour n'a donc point pour tâche de se substituer aux autorités internes pour réglementer les questions de garde et de visite (...) ». Toutefois, l'application de ces principes aux circonstances de l'espèce ne devrait pas selon moi conduire à un constat de violation de l'article 8.

La majorité a fondé ce constat sur l'argument plutôt mince selon lequel « le fait que les tribunaux allemands n'ont pas entendu l'enfant montre que le requérant n'a pas joué dans la procédure relative au droit de visite un rôle suffisamment important » (paragraphe 47). La procédure interne ne paraît pas susciter d'autre critique.

Il n'y a rien d'étonnant à cela, puisque la procédure semble au premier abord avoir entièrement respecté les exigences procédurales de l'article 8 (et même celles de l'article 6, qui sont en règle générale plus strictes). En effet, la procédure a comporté des audiences et le recueil de nombreuses preuves, et ce au premier et au deuxième degré de juridiction. Le tribunal de première instance, à savoir le tribunal de district de Wiesbaden, a rejeté la demande du requérant tendant à l'obtention d'un droit de visite le 5 septembre 1991, après avoir tenu une audience au cours de laquelle il a entendu l'office de la jeunesse de Wiesbaden, les deux parties ainsi que plusieurs témoins. Sachant que l'enfant était âgée de trois ans à cette époque, je ne trouve pas surprenant qu'elle n'ait pas été directement interrogée par le tribunal.

La procédure s'est poursuivie devant le tribunal régional de Wiesbaden, que le requérant avait saisi en appel. Le tribunal ordonna une expertise psychologique et tint lui aussi une audience. Constatant que le tribunal de district n'avait pas entendu l'enfant, le tribunal régional se demanda s'il ne serait pas possible de l'interroger en appel. Avant de décider de cette mesure de procédure, le tribunal demanda à la psychologue désignée – et ce à juste titre puisque l'enfant n'avait que cinq ans – de donner son avis sur le point de savoir si un interrogatoire serait psychologiquement éprouvant pour elle. Au vu de cet avis, le tribunal décida de ne pas entendre l'enfant.

Je ne puis souscrire à la conclusion de la majorité selon laquelle cette décision a emporté violation de l'article 8 de la Convention.[1] Il existe des raisons évidentes pour lesquelles les tribunaux chargent des experts de déterminer quels sont les souhaits de très jeunes enfants. En l'espèce, le tribunal régional de Wiesbaden a pris la décision de ne pas entendre l'enfant après avoir spécifiquement consulté un expert à ce sujet. Dans ces conditions, la déclaration de la Cour européenne des Droits de l'Homme selon laquelle le tribunal interne n'aurait pas dû se fonder sur cet avis va, à mon sens, à l'encontre du principe précité selon lequel « la Cour n'a point pour tâche de se substituer aux autorités internes ». Dans les circonstances de l'espèce, conclure que « les autorités nationales ont outrepassé leur marge d'appréciation » (paragraphe 49) revient à ne laisser pratiquement aucune latitude aux tribunaux internes, qui sont après tout bien mieux placés que la Cour pour prendre une décision aussi délicate que celle en jeu en l'espèce.

Je ne puis non plus souscrire au constat de violation de l'article 14 combiné avec l'article 8. La chambre s'efforce d'établir une distinction entre l'espèce et l'affaire Elsholz c. Allemagne (citée au paragraphe 34 de l'arrêt), où « il n'appara[issait] pas que l'application » de l'article 1711 § 2 du code civil eût « abouti à une approche différente de celle qui aurait prévalu dans le cas d'un couple divorcé » (paragraphe 53 du présent arrêt).

Je ne suis pas convaincu par les distinctions avancées. Il est souligné au paragraphe 54 « qu'en l'espèce, le tribunal de district comme le tribunal régional ont expressément indiqué que le droit de visite ne pourrait être accordé que si cela était favorable à l'enfant ». Pour autant que ce facteur semble être présenté comme distinctif, je constate que l'on trouve des déclarations similaires dans les décisions émises par le tribunal de district et le tribunal régional dans l'affaire Elsholz (paragraphes 13 et 18 de l'arrêt Elsholz). Aux termes du paragraphe 55 du présent arrêt, « [i]l est un point crucial : les tribunaux ne présumaient pas que les contacts entre un enfant et son père naturel étaient favorables à l'enfant, une décision de justice qui accordait un droit de visite constituant l'exception à la disposition légale générale voulant que la mère décidât des relations de l'enfant avec le père. » Je ne vois pas en quoi l'approche suivie par les tribunaux internes à cet égard diffère de manière pertinente de celle adoptée dans l'affaire Elsholz, où le tribunal de district a déclaré que la disposition « portant sur les contacts entre un père et son enfant né hors mariage (...) était une dérogation qui appelait une interprétation stricte » (paragraphe 13 de l'arrêt Elsholz).

Dans l'affaire Elsholz, la Cour, avant de conclure à la non-violation de l'article 14, a souligné que, dans les décisions nationales, « la considération primordiale était (...) le risque pour le bien-être de l'enfant » (paragraphe 60). Dès lors, il n'était pas possible « d'affirmer qu'un père divorcé aurait bénéficié d'un traitement plus favorable » (paragraphe 61). Or l'intérêt de l'enfant semble également avoir été la considération primordiale en l'espèce. Le tribunal régional a en effet conclu l'exposé de ses motifs en soulignant qu'il était important de considérer la situation en adoptant le point de vue de l'enfant (« Denn massgeblich ist stets eine Bretrachtung aus der Sicht des Kindes »).

Bien que les décisions des juridictions internes rendues dans les deux affaires aient pu présenter quelques différences, celles-ci ne sont à mon avis pas de nature à justifier un constat de violation dans un cas et de non-violation dans l'autre. Pas plus que le requérant dans l'affaire Elsholz, le requérant en l'espèce n'a montré qu'un père divorcé placé dans une situation comparable aurait bénéficié d'un traitement plus favorable.


[1] Je ne fonde pas mon point de vue de manière décisive sur cet élément, mais je trouve quelque peu surprenant de critiquer le tribunal régional parce qu’il se serait contenté de l’avis de la psychologue « sans même envisager de prendre des dispositions spéciales pour tenir compte du jeune âge de l’enfant » (paragraphe 47). Il me semble difficile de croire que, lorsqu’il s’est demandé s’il allait entendre l’enfant, le tribunal ait pu ne pas tenir compte spécifiquement de son âge.

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  1. Code civil
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