CEDH, Cour (première section), AFFAIRE BIONDO c. ITALIE, 28 février 2002, 51030/99

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Première Section), 28 févr. 2002, n° 51030/99
Numéro(s) : 51030/99
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Bottazzi c. Italie [GC], n° 34884/97, § 22, § 30, CEDH 1999-V
Organisation mentionnée :
  • Comité des Ministres
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Oui
Conclusions : Violation de l'art. 6-1 ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure de la Convention
Identifiant HUDOC : 001-64742
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2002:0228JUD005103099
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Sur les parties

Texte intégral

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE BIONDO c. ITALIE

(Requête n° 51030/99)

ARRÊT

STRASBOURG

28 février 2002

DÉFINITIF

28/05/2002

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Biondo c. Italie,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

M.C.L. Rozakis, président,
MmeF. Tulkens,
MM.L. Ferrari Bravo,
G. Bonello,
P. Lorenzen,
MmesN. Vajić,
S. Botoucharova, juges,
et de M. E. Fribergh, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 31 janvier 2002,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant italien, M. Giuseppe Biondo (« le requérant »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme le 1er octobre 1998 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). La requête a été enregistrée le 17 septembre 1999 sous le numéro de dossier 51030/99. Le requérant est représenté par Me S. Forgione, avocat à Solopaca (Bénévent). Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. U. Leanza, et par son coagent, M. V. Esposito.

2.  La Cour a déclaré la requête recevable le 30 novembre 2000.

EN FAIT

3.  Le 28 novembre 1994, le requérant déposa un recours devant le juge d’instance de Bénévent, faisant fonction de juge du travail, afin d’obtenir la reconnaissance de son droit à une réévaluation de son indemnité de chômage d’exploitant agricole (rivalutazione dell’indennità di disoccupazione agricola).

4.  Le 6 décembre 1994, le juge d’instance fixa la date de la première audience au 22 juin 1998. Toutefois en raison de la mutation du juge, l’audience fut renvoyée d’office au 4 février 1999. Le jour venu, le greffe n’ayant pas communiqué au requérant la date de l’audience, le juge reporta l’affaire au 10 juin 1999. Entre-temps, le 15 décembre 1998, le requérant et la sécurité sociale (I.N.P.S.) étaient parvenus à un règlement amiable.

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

5.  Le requérant allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

6.  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

7.  La période à considérer a débuté le 28 novembre 1994 et s’est terminée le 15 décembre 1998.

8.  Elle a donc duré plus de quatre ans pour une instance.

9.  La Cour rappelle avoir constaté dans de nombreux arrêts (voir, par exemple, Bottazzi c. Italie [GC], n° 34884/97, § 22, CEDH 1999-V) l’existence en Italie d’une pratique contraire à la Convention résultant d’une accumulation de manquements à l’exigence du « délai raisonnable ». Dans la mesure où la Cour constate un tel manquement, cette accumulation constitue une circonstance aggravante de la violation de l’article 6 § 1.

10.  Ayant examiné les faits de la cause à la lumière des arguments des parties et compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime que la durée de la procédure litigieuse ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable » et qu’il y a là encore une manifestation de la pratique précitée.

Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.

II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

11.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

12.  Le requérant réclame 25 000 000 lires italiennes (ITL) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

13.  La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 5 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral.

B.  Frais et dépens

14.  Le requérant demande également 8 850 620 ITL pour les frais et dépens encourus devant la Cour.

15.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (voir, par exemple, l’arrêt Bottazzi précité, § 30). En l’espèce et compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 1 500 EUR pour la procédure devant la Cour et l’accorde au requérant.

C.  Intérêts moratoires

16.  Selon les informations dont dispose la Cour, le taux d’intérêt légal applicable en Italie à la date d’adoption du présent arrêt était de 3 % l’an.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1.  Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

2.  Dit, par six voix contre une,

a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt est devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 5 000 EUR (cinq mille euros) pour dommage moral et 1 500 EUR (mille cinq cents euros) pour frais et dépens ;

b)  que ces montants seront à majorer d’un intérêt simple de 3 % l’an à compter de l’expiration de ce délai et jusqu’au versement ;

3.  Rejette, à l’unanimité, les demandes de satisfaction équitable pour le surplus.


Fait en français, puis communiqué par écrit le 28 février 2002, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Erik FriberghChristos Rozakis
GreffierPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée de M. Ferrari Bravo.

C.L.R.
E.F.


OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE FERRARI BRAVO

Je regrette de devoir me dissocier de mes collègues dans les 133 affaires jugées aujourd’hui, mais je crois que la mesure est comble et que l’on ne peut plus se taire.

Dans toutes ces affaires la Cour, en se fondant sur l’arrêt Bottazzi c. Italie [GC], n° 34884/97, CEDH 1999-V) proclame qu’en Italie il existe “une pratique contraire à la Convention résultant d’une accumulation de manquement” à l’exigence que la cause soit entendue dans un délai raisonnable. Ceci dit, elle condamne l’Italie pour violation de l’article 6 § 1.

Or, il est bien possible que cela soit vrai mais il faut voir, cas par cas, quelles étaient les circonstances de l’affaire, chose que la Cour, débordée par une avalanche de requêtes italiennes, ne fait désormais plus.

Ceci est peut-être compréhensible, mais n’est pas juste. Voyons brièvement pourquoi.

Mon attention a été attirée, je l’avoue, par le fait que les affaires décidées aujourd’hui venaient, toutes, de la même circonscription alors qu’à d’autres endroits la disposition incriminée (l’article 6 § 1) n’avait pas soulevé des mouvements similaires. Devait-on conclure que seulement à cet endroit-là la justice faisait défaut ? Cela ne me semblait pas.

A mieux y regarder et prenant par exemple l’affaire Mario Francesco Palmieri c. Italie (requête n° 51022/99), dans la mesure bien entendu où l’on peut se faire une idée dans des jugements si synthétiques, on voit que le procès a commencé à une date (le 6 décembre 1994, date de la notification, je suppose), après quoi la première audience a été fixée presque quatre ans plus tard, puis renvoyée de quelques mois jusqu’au 4 février 1999 (je suppose à l’initiative du greffe du tribunal) sans que personne ne proteste. A ce moment-là l’affaire avait été résolue car le 15 décembre 1998 les parties au procès national étaient parvenues à un règlement amiable ! Mais il fallut encore un certain temps pour que le juge constate qu’il n’y avait plus de différend entre les parties : 15 novembre 1999, fin de l’activité !

Y a-t-il eu un dommage pour le requérant ? A mon avis aucun. Y a-t-il eu une activité technique pour le procès ? Pas du tout, sauf, peut-être, les quelques lignes de l’exploit (répétées probablement dans d’autres affaires). Où est donc le préjudice moral (!) que le requérant fait réclamer par son avocat strasbourgeois à hauteur de 25 000 000 lires italiennes (maintenant 12 700 euros (EUR) environ) et de 8 850 620 lires italiennes de frais (lesquels ?).

La Cour, évidemment, ne concède pas tout ce que le requérant avait demandé, mais toutefois lui fait un beau cadeau de 5 000 EUR à titre de préjudice moral et de 1500 EUR pour la procédure (laquelle ?) devant la Cour elle-même. Dans quelles poches iront ces sommes, j’aimerais bien le savoir. J’espère que ce seront celles du requérant.

La même chose arrive, mutatis mutandis, pour la grande majorité des autres arrêts.

Mais enfin que devrait faire le législateur italien pour laver ses péchés ? Probablement, dans les rêves de certains juges de la Cour, on devrait arriver à un procès civil ultra-rapide qui se solderait en quelques mois, peut-être sans degré d’appel, ou sans troisième degré en cassation. Mais cela soulèverait très probablement un tollé des avocats italiens bien plus grave que les arrêts de condamnation de la Cour. Et puis, a-t-on le droit d’imposer à l’Italie une vision du procès civil qui existe peut-être dans certains pays de l’Europe du Nord mais pas ailleurs, des pays dans lesquels, d’autre part, le procès est si cher que l’on y recourt seulement dans des affaires de grande importance ? La chose, à mon avis, est fort douteuse.

Je pense que la meilleure chose serait de signaler cette situation au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux fins d’une évaluation politique de la situation. Autrement on risque de se lancer dans une voie qui, je le regrette, me semble vraiment une voie sans issue.

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