CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE RICHART-LUNA c. FRANCE, 8 avril 2003, 48566/99

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 8 avr. 2003, n° 48566/99
Numéro(s) : 48566/99
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Arvois c. France, no 38249/97, 23 novembre 1999, § 18, non publié
Duclos c. France, arrêt du 17 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI, § 55
Erkner et Hofauer c. Autriche, arrêt du 23 avril 1987, série A no 117, § 68
Wiesinger c. Autriche, arrêt du 30 octobre 1991, série A no 213, § 57
Ciobanu c. Roumanie, no 29053/95, 16 juillet 2002, § 32, non publié
Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Violation de l'art. 6-1 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - réparation pécuniaire
Identifiant HUDOC : 001-65560
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2003:0408JUD004856699
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Texte intégral

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE RICHART-LUNA c. FRANCE

(Requête no 48566/99)

ARRÊT

STRASBOURG

8 avril 2003

DÉFINITIF

08/07/2003

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies

à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Richart-Luna c. France,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM.A.B. Baka, président,
J.-P. Costa,
L. Loucaides,
C. Bîrsan,
K. Jungwiert,
M. Ugrekhelidze,
MmeA. Mularoni, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 9 juillet 2002 et 18 mars 2003,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 48566/99) dirigée contre la République française et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Carmen Richart-Luna (« la requérante »), a saisi la Cour le 9 février 1999 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Ronny Abraham, Directeur des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3.  La requérante se plaignait de la durée de la procédure civile.

4.  La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.

5.  Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la deuxième section ainsi remaniée (article 52 § 1).

6.  Par une décision du 9 juillet 2002, la Cour a déclaré la requête recevable.

7.   Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).


EN FAIT

8.  La requérante est née en 1944 et réside à Cannes.

9.  Le 16 octobre 1987, la requérante fut victime d'un accident de la circulation lors duquel elle fut blessée.

10.  Par ordonnance de référé en date du 2 mars 1988, le président du tribunal de grande instance de Grasse, saisi par elle, lui alloua une provision et désigna un expert pour l'examiner.

11.  Lors de l'audience du tribunal de police de Cannes du 22 avril 1988, la requérante se constitua partie civile par son avocat. Par jugement du 22 avril 1988, le tribunal de police de Cannes déclara l'autre conductrice responsable de l'accident dont la requérante avait été victime, et alloua une provision à cette dernière.

12.  Par ordonnances de référé des 26 octobre 1988, 2 août 1989 et 29 novembre 1989, le tribunal de grande instance de Grasse accorda à la requérante deux nouvelles provisions, ordonna la mainlevée de l'opposition pratiquée par la requérante sur le chèque qu'elle avait libellé à l'ordre du garage ayant effectué des réparations sur son véhicule suite à l'accident, et ordonna l'expertise relative aux réparations sollicitée par la requérante. Le 7 novembre 1990, le président du tribunal de grande instance de Grasse débouta la requérante de sa demande de provision complémentaire.

13.  En août 1991, l'expert désigné par l'ordonnance du 2 mars 1988 rendit son rapport d'expertise. Par ordonnance de référé du 12 février 1992, le tribunal de grande instance de Grasse débouta la requérante de sa demande de contre-expertise et de provision.

14.  Par exploit du 24 mars 1992, la requérante assigna la responsable de l'accident en présence de la caisse primaire d'assurance maladie, en réparation des préjudices subis du fait de l'accident, devant le tribunal de grande instance de Grasse. Le 12 juin 1992, l'audience de plaidoiries eut lieu.

15.  Par jugement du 8 juillet 1992, le tribunal de grande instance de Grasse désigna un collège d'experts médicaux et alloua une nouvelle provision à la requérante.

16.  Le 7 août 1992, l'autre conductrice responsable de l'accident fit appel de ce jugement. Un nouvel expert fut nommé par ordonnance du 12 août 1992. Le 14 août 1992, elle fit délivrer une assignation en défense à l'exécution provisoire devant le premier président de la cour d'appel d'Aix‑en‑Provence. Par ordonnance de référé du 7 septembre 1992, la cour d'appel d'Aix-en-Provence la débouta de ses demandes.

17.  Le 7 décembre 1992, la requérante déposa ses conclusions. Par ordonnance du juge de la mise en état du 19 février 1993, une nouvelle provision fut allouée à la requérante. Les experts déposèrent leur rapport en décembre 1992. La requérante déposa ses conclusions le 7 janvier 1993, la partie adverse les 15 et 28 janvier 1993. Le 19 février 1993, le juge de la mise en état alloua une provision à la requérante. Le 2 avril 1993, se tint l'audience de plaidoiries.

18.  Par jugement du 11 juin 1993 le tribunal de grande instance de Grasse condamna in solidum l'autre conductrice et son assureur à payer à la requérante la somme de 212 235,52 francs français (FRF).

19.  La requérante interjeta appel de ce jugement le 22 juillet 1993 et la partie adverse le 13 août 1993. La requérante communiqua des pièces et déposa ses conclusions les 31 janvier et 17 février 1994. La partie adverse déposa ses conclusions le 1er mars 1994. Le 31 mars 1994, fut prise une ordonnance de clôture.

20.  Par arrêt avant dire droit du 8 novembre 1994, la cour d'appel d'Aix‑en‑Provence ordonna une nouvelle expertise et désigna un collège de trois experts ayant pour mission d'établir un rapport unique permettant l'évaluation des divers préjudices subis. Le 2 décembre 1995 l'un des expert, B., déposa son rapport. Par ordonnances d'incidents des 4 juin 1996 et 29 octobre 1996, le conseiller de la mise en état de la cour d'appel d'Aix‑en‑Provence rejeta deux demandes de provision complémentaire de la requérante et ordonna à B. de s'expliquer sur le rapport médical déposé sous sa seule signature alors qu'un rapport collégial devait être déposé. Le 13 janvier 1997, par ordonnance sur difficulté d'expertise, le conseiller de la mise en état demanda à deux des experts de s'expliquer sur les difficultés de l'expertise et sur l'absence de rapport commun.

21.  Le 28 février 1997, fut prise une injonction de conclure à l'égard de l'autre conductrice responsable de l'accident et de son assureur.

22.  Le 14 mars 1997, la requérante déposa une requête pour fixation prioritaire. Sa requête fut rejetée par ordonnance du 25 mars 1997.

23.  La requérante déposa des pièces et conclusions complémentaires les 11 juillet, 14 août et 19 août 1997.

24.  Par arrêt avant dire droit du 4 novembre 1997, la cour d'appel d'Aix‑en‑Provence mit les experts en demeure de rédiger un rapport commun, à remettre au plus tard le 15 décembre 1997 au greffe de la cour. Ce rapport fut déposé le 21 novembre 1997.

25.  Par courrier du 25 novembre 1997, le conseiller de la mise en état invita les parties à conclure pour le 5 janvier 1998. La requérante déposa ses conclusions et des pièces les 8, 15 et 16 janvier et les 26 février, 16 mars et 19 mars 1998. La partie adverse conclut les 26 janvier, 11 mars et 20 mars 1998. Le 6 mai 1998 fut prise une ordonnance de clôture des débats.


26.  La requérante demanda que soit prononcée la nullité du rapport commun. La cour d'appel d'Aix-en-Provence, par arrêt avant dire droit du 16 septembre 1998, décida de ne pas tenir compte de ce rapport qui, en l'état, ne permettait pas aux magistrats saisis d'exercer leur contrôle, notamment en raison des lacunes dans les conclusions d'ordre psychiatrique. Elle ordonna une nouvelle expertise en commettant pour y procéder un nouveau collège de trois experts. Un nouveau rapport d'expertise commun fut déposé le 16 novembre 1999. Il constatait une incapacité temporaire totale, du 16 octobre 1987 au 16 octobre 1989, puis une incapacité permanente partielle de 30 % pour les troubles dépendant exclusivement de l'accident.

27.  Par ordonnance d'incident du 23 novembre 1999, une nouvelle provision fut allouée à la requérante.

28.  Des sommations de conclure furent adressées à la requérante les 13 et 28 décembre 1999 ; elle fut invitée à conclure avant le 25 février 2000 par le conseiller de la mise en état. Elle déposa ses conclusions le 23 février 2000 et communiqua des pièces les 24 mars, 31 mars et 18 mai 2000. Le 30 mars 2000, le conseiller de la mise en état délivra à la partie adverse une injonction de conclure ; elle déposa ses conclusions le 11 mai 2000.

29.  Le 3 octobre 2000, le conseiller de la mise en état alloua une nouvelle provision à la requérante.

30.  L'affaire fut examinée par la cour d'appel à l'audience du 24 janvier 2001.

31.  Par arrêt du 4 avril 2001, la cour d'appel mit à néant le jugement du 11 juin 1993 déféré en ce qu'il avait condamné in solidum l'autre conductrice responsable de l'accident et son assureur à indemniser la requérante à hauteur de 212 235,52 FRF. Confirmant toutes les autres dispositions et statuant à nouveau des chefs invoqués, elle condamna in solidum l'autre conductrice et son assureur à payer à la requérante 1 960 000 FRF en réparation de son préjudice corporel et matériel.

32.  La partie adverse forma un pourvoi en cassation le 2 juillet 2001. Le 22 janvier 2002, le premier président de la Cour de cassation rendit une ordonnance de déchéance des demandeurs au pourvoi, ceux-ci n'ayant produit aucun mémoire dans le délai légal.


EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

33.  La requérante se plaint de la durée excessive de la procédure qu'elle a diligentée. Elle invoque l'article 6 qui se lit comme suit en ses dispositions pertinentes :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A.   Période à considérer

34.  La Cour rappelle que, dans sa décision sur la recevabilité de la requête du 9 juillet 2002, elle a fixé au 22 avril 1988 le début de la période à considérer en l'espèce sous l'angle du « délai raisonnable » de l'article 6 § 1 de la Convention.

35.  Dans ses observations envoyées à la Cour après l'adoption de cette décision sur la recevabilité, le Gouvernement invite la Cour à réexaminer, à la lumière de nouveaux arguments, la question du point de départ de la période à considérer, et à fixer le début du « délai raisonnable » au 24 mars 1992.

36.  La Cour ne décèle cependant aucun élément nouveau, susceptible de justifier le réexamen de cette question (voir, mutatis mutandis, Ciobanu c. Roumanie, no 29053/95, § 32, 16 juillet  2002, non publié). Elle rejette donc la demande du Gouvernement.

37.  La procédure, qui a commencé le 22 avril 1988 et s'est achevée le 22 janvier 2002, a duré treize ans et neuf mois pour quatre degrés d'instances (tribunal de police de Cannes, tribunal de grande instance de Grasse, cour d'appel d'Aix-en-Provence et Cour de cassation).

B.  Caractère raisonnable de la durée de la procédure

38.  Le Gouvernement fait valoir que la procédure présentait une incontestable complexité en raison des nombreux incidents liés aux diverses expertises. Les autorités judiciaires ont en effet eu à faire face à des difficultés inhabituelles en matière d'expertise. Or, compte tenu de l'indépendance des experts, les autorités judiciaires n'ont d'autre choix, en cas de retards dans le dépôt des rapports d'expertise, que de nommer d'autres experts, ce qui contribue au ralentissement de la procédure.

39.  Le Gouvernement rappelle par ailleurs qu'en matière civile, l'article 2 du nouveau code de procédure civile laisse l'initiative aux parties et que l'article 3 du même code prescrit au juge de veiller au bon déroulement de l'instance. Le Gouvernement relève que la procédure devant le tribunal de grande instance de Grasse a duré un an, deux mois et dix-huit jours, ce qui constitue un délai raisonnable. S'agissant de la procédure devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, elle a duré sept ans, huit mois et onze jours. Le Gouvernement affirme que cette durée résulte à la fois du comportement des experts et des parties. Ainsi, après le dépôt du rapport des experts le 16 novembre 1999, deux sommations de conclure ont été nécessaires pour que la requérante dépose ses conclusions, ce qu'elle n'a fait que le 23 février 2000 après l'intervention du conseiller de la mise en état. Cette période de plus de trois mois est donc imputable à la requérante. Le conseiller de la mise en état a dû délivrer à la requérante une nouvelle injonction de conclure le 30 mars 2000. Par ailleurs, les parties ont procédé à plus d'une trentaine d'échanges de conclusions et transmissions de pièces. Le Gouvernement relève en outre qu'un allongement de la procédure a résulté de ce que la requérante a exercé toutes les voies de droit pour contester les expertises. Et c'est toujours à sa demande que les magistrats ont procédé au changement d'experts et annulé le rapport déposé le 21 novembre 1997. Le Gouvernement considère que les autorités judiciaires ne sauraient être tenues pour responsables du défaut de diligence des experts. Il relève qu'en l'espèce, les experts ne se sont pas acquittés de leur mission de façon satisfaisante, et qu'une grande partie de la durée de la procédure est directement imputable à leur comportement. Au vu de ces éléments, le Gouvernement estime que la durée de la procédure devant la cour d'appel n'est pas imputable aux autorités judiciaires, mais résulte essentiellement du comportement des parties et des experts. Le Gouvernement relève que la procédure devant la Cour de cassation n'a duré que six mois et vingt jours, ce qui est raisonnable.

40.  Le Gouvernement affirme, par ailleurs, que la requérante est en grande partie responsable des retards pris dans la procédure, en raison de son choix de ne pas poursuivre sur les intérêts civils devant le tribunal de police, et de rester en référé pendant quatre ans avant de saisir les juridictions civiles au fond. A cet égard, il estime que la période qui couvre les procédures de référé entre 1988 et 1992 ne doit pas être mise à la charge du Gouvernement.

41.  La requérante relève, quant à elle, qu'un des experts qui avait été désigné par le tribunal de grande instance de Grasse était décédé depuis un certain temps lors de sa désignation. En outre, elle met en cause la responsabilité des juges qui n'ont pas fait les diligences nécessaires pour obtenir des experts le dépôt des rapports d'expertise, et qui n'ont pas pris toutes les précautions pour désigner des collèges d'experts compétents. Elle affirme avoir dénoncé ces « errements » au cours de la procédure.

42.  La requérante conteste les arguments du Gouvernement tendant à lui imputer la responsabilité des lenteurs de la procédure. Elle affirme que les procédures de référé ont précisément été introduites par son avocat pour obtenir une issue rapide.

43.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l'affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d'autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000‑VII).

44.  La Cour constate que l'affaire présentait une certaine complexité en fait, relative en particulier à l'évaluation du préjudice de la requérante.

45.  La Cour rappelle que le comportement de la requérante constitue un élément objectif, non imputable à l'Etat défendeur et qui entre en ligne de compte pour déterminer s'il y a eu ou non dépassement du délai raisonnable de l'article 6 § 1 (Wiesinger c. Autriche, arrêt du 30 octobre 1991, série A no 213, § 57 ; Erkner et Hofauer c. Autriche, arrêt du 23 avril 1987, série A no 117, § 68). La Cour relève que, suite à la condamnation pénale de la conductrice responsable de ses blessures, la requérante a tardé à solliciter une indemnisation devant les juges du fond : elle a introduit, sur une période de trois ans et onze mois, plusieurs requêtes en référé pour obtenir des provisions et pour que soient ordonnées des expertises, et ce n'est que le 24 mars 1992 qu'elle a assigné la conductrice responsable en indemnisation devant les juridictions civiles du fond. La Cour estime que les autorités judiciaires ne sauraient se voir imputer ce délai qui n'est dû qu'au choix de la requérante de n'introduire, dans un premier temps, que des procédures de référé.

46.  La Cour relève que, suite à cette période imputable à la requérante, la procédure s'est déroulée devant les juridictions civiles du fond entre le 24 mars 1992 et le 22 janvier 2002, soit pendant près de neuf ans et dix mois. La Cour estime que la durée de cette partie de la procédure est a priori longue, et que seules des circonstances particulières pourraient la justifier.

47.  La Cour rappelle que l'article 2 du nouveau code de procédure civile laisse l'initiative aux parties : il leur incombe « d'accomplir les actes de la procédure dans les formes et délais requis », de sorte que leur comportement a une influence particulière sur le déroulement de la procédure. Cela ne dispense pourtant pas les tribunaux de veiller à ce que le procès se déroule dans un délai raisonnable ; l'article 3 du même code prescrit d'ailleurs au juge de veiller au bon déroulement de l'instance et l'investit du « pouvoir d'impartir les délais et d'ordonner les mesures nécessaires ». Il convient en outre de rappeler que l'article 6 § 1 de la Convention oblige les Etats contractants à organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs cours et tribunaux puissent remplir chacune de ses exigences (voir, parmi beaucoup d'autres, Duclos c. France, arrêt du 17 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996‑VI, § 55) et, notamment, garantir à chacun le droit d'obtenir une décision définitive dans un délai raisonnable (voir, par exemple, Frydlender précité, § 45).

48.  La Cour relève en particulier des délais importants devant la cour d'appel, qui a mis plus de sept ans et huit mois pour statuer. Des retards ont été causés par des difficultés en matière d'expertise. Les experts désignés le 8 novembre 1994 pour déposer un rapport commun ont d'abord rendu des rapports individuels et n'ont déposé leur rapport commun que trois ans plus tard. La Cour relève à cet égard que le conseiller de la mise en état a, à plusieurs reprises, adressé des rappels aux experts et pris des ordonnances leur enjoignant de conclure. La requérante s'est plainte par plusieurs courriers adressés au conseiller de la mise en état de la carence des experts, sollicitant une accélération de la procédure. De plus, le rapport commun finalement déposé le 21 novembre 1994 présentait des lacunes de sorte qu'il n'a pas pu être pris en compte : le 16 septembre 1998, la cour d'appel a désigné un nouveau collège d'experts chargés de déposer un nouveau rapport commun, qui a été déposé le 16 novembre 1999, soit un an et deux mois plus tard. Au total, les problèmes liés aux expertises ont donc retardé la procédure de plus de quatre ans. La Cour estime qu'un tel délai est manifestement déraisonnable et qu'il ne saurait en aucun cas être imputé à la requérante.

49.  En définitive, après avoir décompté de la durée globale de la procédure le délai de trois ans et onze mois imputable à la requérante, la Cour constate que la durée de la procédure restante qui est de neuf ans et dix mois s'explique principalement par la défaillance des autorités judiciaires. Elle estime qu'une telle durée est en soi une durée excessive.

50.  Dans ces circonstances, la Cour conclut à une violation de l'article 6 § 1 de la Convention.

II.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

51.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »


A.  Dommage

52.  La requérante réclame 9 150 euros (EUR) « à titre d'indemnisation des frais médicaux non remboursés ». Elle sollicite en outre « le versement des sommes [qu'elle aurait] dû percevoir de la date de l'accident jusqu'au 11 juin 1997, date à laquelle [elle a été] reconnue handicapée ». Elle demande en outre 244 000 EUR pour dommage moral.

53.  Le Gouvernement conclut au rejet des prétentions de la requérante en ce qu'elles se rapportent à la réparation d'un préjudice matériel. Quant au préjudice moral, le Gouvernement propose de verser 6 500 EUR à la requérante.

54.  La Cour rappelle que le constat de violation de la Convention auquel elle parvient résulte exclusivement d'une méconnaissance du droit de la requérante à voir sa cause entendue dans un « délai raisonnable ». Dans ces circonstances, elle n'aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et un quelconque dommage matériel dont la requérante aurait eu à souffrir ; il y a donc lieu de rejeter cet aspect de ses prétentions (voir, par exemple, Arvois c. France, no 38249/97, § 18, 23 novembre 1999, non publié).

55.  La Cour estime en revanche que le prolongement de la procédure litigieuse au-delà du « délai raisonnable » a causé à la requérante un tort moral certain, justifiant l'octroi d'une indemnité. Statuant en équité comme le veut l'article 41, elle lui octroie 8 000 EUR à ce titre.

B.  Frais et dépens

56.  La requérante ne réclamant rien au titre des frais et dépens exposés devant la Cour, aucune somme ne saurait lui être allouée.

C.  Intérêts moratoires

57.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.


PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;

2.  Dit

a)  que l'Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 8 000 EUR (huit mille euros) pour dommage moral ;

b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

3.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 8 avril 2003 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. DolléA.B. Baka
GreffièrePrésident

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