CEDH, Cour (quatrième section), AFFAIRE RAF c. ESPAGNE, 17 juin 2003, 53652/00

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Quatrième Section), 17 juin 2003, n° 53652/00
Numéro(s) : 53652/00
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Scott c. Espagne, arrêt du 18 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI
De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique, arrêt du 18 juin 1971, série A n° 12, p. 39, § 71
Kolompar c. Belgique, arrêt du 24 septembre 1992, série A n° 235, p.56, §§ 40-43
Organisation mentionnée :
  • Comité des Ministres
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Non-violation de l'art. 5
Identifiant HUDOC : 001-65706
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2003:0617JUD005365200
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Sur les parties

Texte intégral

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE RAF c. ESPAGNE

(Requête no 53652/00)

ARRÊT

STRASBOURG

17 juin 2003

DÉFINITIF

24/09/2003

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Raf c. Espagne,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

SirNicolas Bratza, président,
MM.M. Pellonpää,
A. Pastor Ridruejo,
MmeE. Palm,
MM.M. Fischbach,
J. Casadevall,
S. Pavlovschi, juges,
et de Mme F. Elens-Passos, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 12 mars 2002 et 20 mai 2003,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 53652/00) dirigée contre le Royaume d’Espagne et dont M. Roland Raf (« le requérant »), de nationalité yougoslave, a saisi la Cour le 22 octobre 1999 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, est représenté devant la Cour par Me Eduardo Rodríguez González, avocat à Madrid. Le gouvernement espagnol (« le Gouvernement ») était représenté par son agent, M. J. Borrego Borrego, chef du service juridique des droits de l’homme au ministère de la Justice jusqu’au 31 janvier 2003. Il est représenté par M. Ignacio Blasco Lozano, depuis cette date.

3.  Le requérant se plaignait de la durée de sa détention aux fins d’extradition et invoquait l’article 5 de la Convention. Arrêté le 11 avril 1997, il aurait encore été à la date d’introduction de sa requête, soit le 16 décembre 1999, privé de liberté en attente de son extradition. Il fait valoir que l’Audiencia Nacional informée que le Conseil des Ministres avait accordé son extradition vers la France, sa détention à ce titre n’aurait plus été justifiée, du fait que le 13 avril 1999, il avait été remis en liberté dans le cadre de l’affaire pénale en cours.

4.  La requête a été attribuée à l’ancienne quatrième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.

5.  Par une décision du 22 octobre 1999, la chambre a décidé de communiquer pour observations (article 54 § 3 b) du règlement) le grief tiré de l’article 5 de la Convention et de déclarer la requête irrecevable pour le surplus.

6.  Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).

7.  Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la quatrième section ainsi remaniée (article 52 § 1).

8.  Par une décision du 12 mars 2002, la Cour a déclaré le restant de la requête recevable.

9.  Le requérant a déposé ses observations ainsi que ses demandes de satisfaction équitable au titre de l’article 41 de la Convention. Le Gouvernement a déposé ses observations sur la demande de satisfaction équitable du requérant.

10.  Le 1er avril 2003, la chambre a décidé qu’il n’y avait pas lieu de tenir une audience sur le fond de l’affaire (article 59 § 3 du règlement).

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

11.  Le requérant est né en Yougoslavie en 1949 et est actuellement incarcéré en France.

1.  La procédure pénale devant les juridictions espagnoles

12.  Le 11 avril 1997, le requérant fut arrêté à Torremolinos (Málaga) et une procédure pénale pour appartenance présumée à une bande spécialisée dans la fabrication de faux papiers d’identité et vols avec effraction de coffres-forts fut engagée à son encontre.

13.  Par une décision du 11 avril 1997, le juge d’instruction no 1 de Torremolinos ordonna le placement en détention provisoire du requérant au titre de cette procédure.

14.  Par une décision du 13 avril 1999, l’Audiencia Provincial de Málaga ordonna la mise en liberté du requérant pour la procédure suivie en Espagne. Le délai maximum s’étant écoulé, la détention provisoire pour cette cause ne pouvait plus être prolongée. Le requérant demeura toutefois détenu aux fins d’extradition (voir paragraphes 19 et 43 ci-dessous).

15.  Par un arrêt contradictoire du 19 mai 1999, l’Audiencia Provincial de Málaga condamna le requérant à une peine de huit ans de prison au total et à une amende pour délits de vol, faux en écriture et possession d’armes.

16.  Le requérant se pourvut en cassation. Le pourvoi est pendant devant le Tribunal suprême.

17.  A plusieurs reprises, l’Audiencia Provincial de Málaga refusa de faire droit aux demandes de l’Audiencia Nacional d’autoriser l’extradition du requérant, car le requérant avait été condamné et devait purger sa peine en Espagne (voir paragraphe 34 ci-dessous).

18.  Par une décision du 19 mai 2000, l’Audiencia Provincial de Málaga accéda finalement à la remise temporaire du requérant aux autorités françaises, en attendant que le Tribunal suprême, qui connaissait du pourvoi, confirme ou infirme l’arrêt condamnant le requérant.

2.  La procédure d’extradition du requérant vers la France

19.  Parallèlement à la procédure pénale, une procédure d’extradition à l’encontre du requérant fut engagée. Par une décision du 11 avril 1997 du juge central d’instruction no 5 près l’Audiencia Nacional, le requérant fut placé en détention provisoire sous écrou extraditionnel, en exécution d’un mandat d’arrêt international délivré par Interpol, à la suite d’un ordre de détention internationale donné le 17 décembre 1996 par le juge d’instruction de Grasse (France).

20.  Le 12 avril 1997, eut lieu l’audience fixée par l’article 12 §§ 1 et 2 de la loi 4/1985 d’extradition passive, le requérant s’opposant à l’extradition.

21.  Le 9 mai 1997, les autorités françaises demandèrent au gouvernement espagnol l’extradition du requérant pour viol avec actes de barbarie, tortures et séquestration.

22.  Le requérant s’étant opposé à son extradition, le dossier, suite à une décision du 21 septembre 1997, fut transmis du juge central d’instruction no 5 de l’Audiencia Nacional à la chambre pénale de l’Audiencia Nacional, afin d’entamer la procédure d’extradition.

23.  Le requérant, n’ayant pas désigné d’avocat et d’avoué, fut requit de le faire par une ordonnance du 6 novembre 1997. Il désigna un avocat et un avoué qui prirent connaissance du dossier le 14 novembre 1997.

24.  Par une ordonnance du 26 novembre 1997, l’audience fut fixée au 23 janvier 1998.

25.  Le 5 janvier 1998, l’avocat et l’avoué du requérant renoncèrent à assurer sa représentation légale.

26.  Par une ordonnance du 12 janvier 1998, le requérant se vit désigner un avocat et un avoué d’office, et l’audience qui avait été fixée pour le 23 janvier 1998 fut reportée.

27.  Par une ordonnance du 2 avril 1998, la date de l’audience fut fixée au 15 avril 1998. Ce jour-là, l’audience ne put avoir lieu et une nouvelle audience fut fixée au 28 mai 1998. Cette dernière eut lieu à la date indiquée.

28.  Par une décision de 23 octobre 1998, la chambre pénale de l’Audiencia Nacional autorisa l’extradition du requérant. Le 30 octobre 1998, le requérant présenta un recours de súplica contre cette décision. Par une décision du 14 décembre 1998, la chambre pénale de l’Audiencia Nacional, siégeant en séance plénière, rejeta ce recours et confirma la décision attaquée, jugeant non fondées les allégations du requérant selon lesquelles les formalités de la procédure d’extradition n’avaient pas été respectées.

29.  Par une ordonnance du 16 février 1999, l’Audiencia Nacional fixa au 23 mars 1999 l’audience prévue à l’article 504 du code de procédure pénale.

30.  Le 19 février 1999, le Conseil des Ministres accorda l’extradition du requérant. L’Audiencia Nacional reçut cette communication le 4 mars 1999.

31.  Le 23 mars 1999, eut lieu l’audience prévue à l’article 504 du code de procédure pénale. Par une décision du 25 mars 1999, l’Audiencia Nacional autorisa la prorogation de la détention provisoire pour une période d’un an à compter du jour d’incarcération du requérant à savoir, jusqu’au 11 avril 2000. Elle signala, que la détention provisoire de deux ans pouvait être prorogée de deux ans supplémentaires (article 504 § 4 du code de procédure pénale, paragraphe 42 ci-dessus). Contre cette décision, le 29 mars 1999, le requérant présenta un recours de súplica. Par une décision du 26 avril 1999 de l’Audiencia Nacional, le recours de súplica fut rejeté et la décision attaquée, confirmée.

32.  Le requérant forma un recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel sur le fondement, entre autres, de l’article 17 § 4 (droit à la liberté) de la Constitution. Par une décision du 30 juin 1999, la haute juridiction déclara le recours irrecevable et estima que l’écrou extraditionnel était justifié et avait pour but d’éviter la fuite du requérant. Elle ajouta que le fait que l’extradition du requérant aux autorités françaises était déjà accordée, en attente d’être exécutée, et que la nature du délit pour lequel l’extradition avait été demandée, constituaient des motifs raisonnables et non arbitraires pour justifier la prolongation de la détention du requérant.

33.  Le 21 septembre 1999, le requérant présenta une demande de mise en liberté devant l’Audiencia Nacional, alléguant la durée excessive de la procédure d’extradition. Par une décision du 6 octobre 1999, cette demande fut rejetée. Le requérant présenta alors un recours de súplica le 9 octobre 1999, qui fut rejeté par une décision du 15 novembre 1999.

34.  Les 21 mai, 16 septembre et 14 décembre 1999, ainsi que les 23 et 28 mars 2000, l’Audiencia Nacional demanda à l’Audiencia Provincial de Málaga la remise temporaire du requérant aux autorités françaises. Cette dernière n’accéda pas aux différentes demandes.

35.  Conformément à l’article 504 du code de procédure pénale, par une décision du 28 mars 2000, l’Audiencia Nacional prorogea la détention provisoire du requérant pour un nouveau délai d’un an en attendant la décision définitive concernant son éventuelle remise. Le requérant présenta un recours de súplica, qui fut rejeté par une décision de l’Audiencia Nacional siégeant en séance plénière, du 13 avril 2000.

36.  Le 9 mai 2000, le requérant saisit alors le Tribunal constitutionnel d’un nouveau recours d’amparo. Par une décision du 3 novembre 2000, la haute juridiction rejeta le recours, estimant que la détention sous écrou extraditionnel du requérant n’avait pas dépassé les limites temporaires nécessaires pour garantir la légalité de l’extradition.

37.  Le 19 mai 2000, l’Audiencia Provincial de Málaga autorisa la remise temporaire du requérant aux autorités françaises. Par la suite, le 16 juin 2000, l’Audiencia Nacional proposa à celles-ci la remise temporaire du requérant jusqu’à ce que le Tribunal suprême statue sur le pourvoi à l’encontre de l’arrêt de l’Audiencia Provincial de Malaga. Dans cette décision, l’Audiencia Nacional précisa qu’en accord avec la législation espagnole, le délai maximum de la détention provisoire de requérant était de quatre ans et venait à échéance le 11 avril 2001 (article 504 § 5 du code de procédure pénale, paragraphe 42 ci-dessus).

38.  Le 12 décembre 2000 les autorités françaises décidèrent d’accepter la remise temporaire du requérant.

39.  Le 16 janvier 2001, l’Audiencia Nacional décida alors, en vertu de l’article 19 de la Convention européenne d’extradition, de la remise temporaire du requérant aux autorités françaises.

3.  La remise du requérant aux autorités françaises

40.  Le 14 février 2001, le requérant fut remis aux autorités françaises.

41.  Actuellement, le requérant se trouve en détention provisoire en France, situation qui est nécessaire pour mettre fin au trouble, exceptionnel et persistant, de l’« ordre public » provoqué par l’infraction, en raison de la gravité de celle-ci, des circonstances de sa commission et de l’importance du préjudice qu’elle a causé.

II.  LE DROIT INTERNE

42.  Les principales dispositions du code de procédure pénale, pertinentes en l’espèce, sont les suivantes : 

Article 503

« Le juge ne peut ordonner la détention provisoire que si les conditions suivantes son remplies :

1o.  Il doit être établi qu’un acte pouvant constituer un délit a été commis.

2o.  Le délit doit être punissable d’une peine supérieure à celle de prisión menor ou, si la peine prévue est plus courte, le juge doit estimer nécessaire de placer le prévenu en détention, compte tenu de ses antécédents judiciaires, des circonstances du délit, d’un trouble causé à l’ordre public ou de la fréquence des actes analogues commis par lui (...)

3o.  Il doit y avoir des motifs suffisants pour considérer l’inculpé comme pénalement responsable du délit. »

Article 504 § 4

« La détention provisoire ne pourra dépasser trois mois pour une infraction passible d’une peine d’arresto mayor (arrêts de sept à quinze fins de semaine), un an pour une peine de prisión menor (six mois à trois ans), et deux ans lorsque la peine encourue est plus lourde. Dans ces deux derniers cas, en présence de circonstances portant à croire que l’affaire ne pourra être jugée dans ces délais et que l’inculpé risque de se soustraire à la justice, la détention pourra être prolongée respectivement jusqu’à deux et quatre ans. La prolongation de la détention provisoire sera prononcée par ordonnance, après audition de l’inculpé et du représentant du parquet. »

Article 504 § 5

« Une fois l’inculpé condamné, la détention pourra être prolongée jusqu’à la moitié de la peine imposée dans l’arrêt, dans le cas au un recours aurait été présenté contre cet arrêt. »

43.  Plus particulièrement, quant à la réglementation de l’écrou extraditionnel, il convient de mentionner que la procédure d’extradition relève de l’Audiencia Nacional à Madrid, indépendamment du lieu de détention de la personne à extrader (article 65 § 4 de la loi organique du Pouvoir judiciaire). L’instruction préliminaire de ce type d’affaire incombe au juge central d’instruction près l’Audiencia Nacional (articles 88 de la loi organique du Pouvoir judiciaire et 8 § 2 de la loi de 1985 sur l’extradition). En application de l’article 19 de cette dernière loi, pour que le titre d’extradition, autorisé par l’Audiencia Nacional et accordé par le Conseil des Ministres, en attente d’exécution, soit effectif, l’inculpé ou le condamné doit disposer de l’accord de l’organe judiciaire qui connaît de son procès en Espagne ou purger ses peines en Espagne, afin d’être remis temporairement ou définitivement vers l’Etat demandeur.

Loi 4/85 sur l’extradition, du 21 mars 1985

Article 10 § 3

« Sous réserve des prescriptions de la présente loi, sont régis par les dispositions pertinentes du code de procédure pénale la durée maximale pendant laquelle une personne peut être écrouée en vue de son extradition, ainsi que les droits qui lui sont garantis en tant que détenue. »

Article 19 § 2

« Si la personne à extrader fait l’objet d’une instruction ou a été reconnue coupable par une juridiction espagnole (...) l’extradition peut être reportée jusqu’à ce que sa responsabilité pénale soit établie en Espagne ou que la remise, temporaire ou définitive, puisse intervenir conformément aux conditions convenues avec l’Etat demandeur. »

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 DE LA CONVENTION

44.  Le requérant se plaint de l’irrégularité de sa privation de liberté en attente d’extradition. Il invoque l’article 5 de la Convention, dont les parties pertinentes sont libellées comme suit :

« 1.  Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

a)  s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;

(...)

c)  s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;

(...)

f)  s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours.

(...)

3.  Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires, et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience (...) »

A.  Argumentation des parties

1.  Le requérant

45.  Le requérant se plaint de l’irrégularité de sa privation de liberté en attente d’extradition. Il allègue que sa détention a cessé d’être « selon les voies légales » aux fins de l’article 5 § 1 de la Convention, en raison de sa durée excessive. Il se plaint notamment d’avoir été privé de liberté en Espagne en exécution de l’écrou extraditionnel pendant 1 406 jours par décision de l’Audiencia Nacional. Il relève qu’il s’est toujours opposé aux prorogations de sa détention. Par ailleurs, les organes judiciaires espagnols n’auraient pas respecté les délais établis dans le code de procédure pénale et la loi d’extradition passive, alors qu’il aurait lui-même respecté tous les délais légaux.

46.  Le requérant souligne qu’il a été mis en liberté par l’Audiencia Provincial de Málaga le 13 avril 1999, mais qu’il est demeuré incarcéré à la suite d’une décision de l’Audiencia Nacional en raison de la procédure d’extradition, déjà close, et contrairement à la décision du Conseil des Ministres. Il estime qu’à partir du 13 avril 1999, il aurait dû être libéré si l’Audiencia Nacional ne l’avait pas maintenu en détention sous prétexte d’un délit ne relevant pas de sa compétence. Par ailleurs, il insiste sur ce que la procédure d’extradition achevée, il n’a été livré aux autorités françaises que le 14 février 2001.

47.  Dans ses observations complémentaires du 7 mai 2002, le requérant se plaint du fait que la cour d’appel d’Aix-en-Provence ne reconnaît pas comme détention provisoire le temps qu’il a passé en détention provisoire en Espagne sous écrou extraditionnel.

2.  Le Gouvernement

48.  Le Gouvernement affirme au contraire que les diverses procédures engagées par le requérant ont été traitées avec toute la célérité possible.

49.  Le Gouvernement relève que la remise du requérant aux autorités françaises n’a pu être effective plus tôt en raison de l’affaire pénale pendante en Espagne, conformément à la législation espagnole applicable, le juge connaissant de l’affaire s’étant opposé à cette remise. De même, le requérant ayant formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt de l’Audiencia Provincial de Málaga du 19 mai 1999, il fallut attendre l’accord de cette dernière en date du 19 mai 2000 pour procéder à une extradition temporaire, qui dût aussi être acceptée par les autorités françaises, le 21 décembre 2000, à la suite de quoi, la remise fut effectuée au plus vite, le 14 février 2001.

50.  Le Gouvernement note que le requérant est le seul responsable des faits graves pour lesquels la France sollicite son extradition ainsi que de la procédure pénale suivie à son encontre par les tribunaux espagnols, procédure qui aboutit à une condamnation, par un arrêt du 19 mai 1999, de l’Audiencia Provincial de Málaga. Par ailleurs, conformément au code de procédure pénale, l’Audiencia Provincial de Málaga s’est toujours opposée à la remise en France du requérant en raison de la procédure pénale suivie en Espagne.

B.  Appréciation de la Cour

51.  A titre préliminaire, et pour autant que le requérant, dans ses observations complémentaires du 7 mai 2002, se plaint du fait que la cour d’appel d’Aix-en-Provence ne reconnaît pas comme détention provisoire le temps qu’il a passé en détention provisoire en Espagne sous écrou extraditionnel, la Cour constate que ce grief est dirigé contre la France et estime donc que la requête étant exclusivement dirigée contre l’Espagne, elle n’en est pas valablement saisie.

52.  Le requérant estime sa privation de liberté illégale à un double titre : sa détention n’aurait pas été régulière et la durée de sa détention sous écrou extraditionnel aurait été excessive.

1.  Sur la régularité de la détention

53.  S’agissant de la prétendue irrégularité de la détention sous écrou extraditionnel dont a fait l’objet le requérant, il appartient à la Cour de rechercher si cette détention était « régulière » aux fins de l’article 5 § 1, en tenant compte notamment des garanties qu’offre le système interne. En matière de « régularité » d’une détention, y compris l’observation des « voies légales », la Convention renvoie pour l’essentiel à l’obligation d’observer les normes de fond comme de procédure de la législation nationale, mais exige, de surcroît, la conformité de toute privation de liberté au but de l’article 5 : protéger l’individu contre l’arbitraire.

54.  La Cour constate que le requérant fut arrêté à Málaga le 11 avril 1997. Présenté au juge d’instruction le même jour, il fut mis en détention provisoire pour appartenance présumée à une bande spécialisée dans la fabrication de faux papiers d’identité et vols avec effraction de coffres-forts. Toujours le même jour, dans le cadre d’une procédure d’extradition, le requérant fut également placé sous écrou extraditionnel.

55.  Le 13 avril 1999, le requérant fut remis en liberté, le délai maximum prévu pour la détention provisoire subie dans le cadre de la procédure pénale en Espagne étant écoulé (voir paragraphe 14 ci-dessus). Cependant, il resta sous écrou extraditionnel, la détention provisoire y relative, de deux ans, pouvant être prolongée de deux années supplémentaires (voir paragraphes 31, 42 et 43 ci-dessus).

56.  La Cour relève encore que le 19 mai 1999, l’Audiencia Provincial de Málaga condamna le requérant à une peine de huit ans de prison (voir paragraphe 15 ci-dessus) et qu’entre-temps, par une décision du 23 octobre 1998, la chambre pénale de l’Audiencia Nacional avait autorisé l’extradition (voir paragraphe 28 ci-dessus). Le 14 décembre 1998, l’Audiencia Nacional, siégeant en séance plénière confirma cette décision. Deux mois plus tard, le 19 février 1999, le Comité des Ministres accorda l’extradition (voir paragraphe 30 ci-dessus).

57.  Dans ces circonstances, la Cour constate que, du 11 avril 1997 au 13 avril 1999, le requérant fut détenu non seulement au titre de l’écrou extraditionnel mais aussi dans les conditions prévues par l’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article 5 de la Convention, car il était soupçonné d’avoir commis certaines délits pour lesquels il était poursuivi devant les juridictions espagnoles.

58.  Du 13 avril 1999 au 19 mai 1999, date de sa condamnation, le requérant fut détenu au seul titre de l’écrou extraditionnel, dans les conditions prévues par l’article 5 § 1 f) de la Convention.

59.  Après le 19 mai 1999, date de sa condamnation par l’Audiencia Provincial de Málaga, le requérant fut détenu dans les conditions prévues à l’article 5 § 1 a), soit « après condamnation par un tribunal compétent ».

60.  La Cour relève que le 16 janvier 2001, alors que le requérant purgeait sa peine d’emprisonnement, l’Audiencia Nacional décida de sa remise temporaire aux autorités françaises (voir paragraphe 39 ci-dessus). Dès lors, elle considère qu’à partir du 16 janvier 2001, le requérant se trouvait sous écrou extraditionnel, dans les conditions prévues par l’article 5 § 1 f) de la Convention, jusqu’à sa remise aux autorités françaises, le 14 février 2001. Dans la mesure où le requérant se plaint qu’il n’a pas été remis aux autorités françaises directement après l’accord du Conseil des Ministres en date du 19 février 1999 sur son extradition (voir paragraphe 30 ci-dessus), la Cour note qu’en droit espagnol, une décision d’extradition ne peut être exécutée que moyennant l’accord préalable des juridictions connaissant des procédures pénales suivies à l’encontre de l’intéressé en Espagne ou une fois que celui-ci a purgé les peines auxquelles il a déjà été condamné en Espagne (voir paragraphes 34 et 37 ci-dessus).

61.  La Cour constate ainsi que la détention du requérant a toujours été couverte par l’une des exceptions prévues à l’article 5 § 1 de la Convention. En l’absence d’autres indications permettant de penser que cette détention n’a pas été conforme aux « voies légales », force est de constater que le requérant n’a pas été privé de liberté de manière contraire à cette disposition, et qu’il a bénéficié de garanties suffisantes pour être protégé d’une privation arbitraire de liberté, sa détention étant conforme aux exigences de l’article 5 de la Convention.

2.  Sur la durée de la détention sous écrou extraditionnel

62.  Pour ce qui est du grief du requérant tiré du fait que la durée de sa détention au titre de l’extradition aurait été excessive, la Cour rappelle que l’article 5 § 3 ne renvoie qu’au paragraphe 1 c) dudit article 5 (De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique, arrêt du 18 juin 1971, série A no 12, p. 39, § 71). Il est donc inapplicable à la détention à titre extraditionnel prévue par l’article 5 § 1 f).

63.  La Cour relève que, dans l’arrêt Scott c. Espagne (arrêt du 18 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI), elle avait décidé de qualifier de manière autonome l’écrou extraditionnel subi par le requérant, qu’elle examina alors sous l’angle de l’article 5 § 1 c) de la Convention, compte tenu du fait que cet écrou extraditionnel n’avait été prorogé qu’en raison de la trop longe instruction de l’affaire pénale concomitante en Espagne. Par ce biais, la Cour avait ainsi pris en compte, dans l’affaire citée, la durée totale de la privation de liberté subie par le requérant, même si, formellement, elle relevait de l’écrou extraditionnel.

64.  La Cour tient à souligner qu’une telle requalification du grief du requérant afin de pouvoir examiner la durée de l’écrou extraditionnel n’est, en tout état de cause, pas possible en l’espèce, dans la mesure où la prorogation de la détention litigieuse tomberait dans le champ d’application de l’article 5 § 1 a), puisque, à la différence de l’affaire Scott précitée, le requérant a été condamné, au pénal en Espagne, par une décision de l’Audiencia Provincial de Málaga du 19 mai 1999, et n’était dès lors pas détenu au seul titre du paragraphe c), auquel renvoie l’article 5 § 3.

65.  Dans ces circonstances, la Cour considère que le requérant se trouvait seulement sous écrou extraditionnel, dans les conditions prévues par l’article 5 § 1 f) de la Convention, pendant deux périodes : entre le 13 avril 1999, jour de sa mise en liberté pour la procédure suivie en Espagne, et le 19 mai 1999, date de sa condamnation, soit un mois et six jours et entre le 16 janvier 2001, date à laquelle l’Audiencia Nacional décida de la remise temporaire du requérant, et le 14 février 2001, date de sa remise effective aux autorités françaises, soit vingt-huit jours. Partant, la Cour considère, à la lumière des critères dégagés par la jurisprudence et compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, que cette durée ne saurait passer pour déraisonnable (Kolompar c. Belgique, arrêt du 24 septembre 1992, série A no 235, p.56, §§ 40-43).

66.  Eu égard à ces éléments, la Cour estime que les autorités ont globalement fait preuve de la diligence requise dans la conduite de l’affaire du requérant et qu’en conséquence, il n’y a pas eu violation de l’article 5 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 17 juin 2003 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Françoise Elens-PassosNicolas Bratza
Greffière adjointePrésident

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CEDH, Cour (quatrième section), AFFAIRE RAF c. ESPAGNE, 17 juin 2003, 53652/00