CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE BROCA ET TEXIER-MICAULT c. FRANCE, 21 octobre 2003, 27928/02;31694/02

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Chronologie de l’affaire

Commentaires3

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www.revuegeneraledudroit.eu · 21 février 2021

Imprimer ... 843 • Le juge ordinaire, qu'il soit administratif ou judiciaire, est, en vertu du principe de subsidiarité et en tant que juge national, le « juge primaire » de la ConvEDH, ou, si l'on peut dire, le juge naturel de la protection des droits fondamentaux. C'est à lui qu'il revient d'interpréter et d'appliquer le droit interne à la lumière des principes mis en place dans le texte européen et d'écarter, si nécessaire, la loi nationale lorsqu'elle n'est pas compatible avec les exigences de la ConvEDH. Les juges se sont ainsi appropriés progressivement les principes …

 

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Face au constat de l'explosion des technologies de l'information et de communication (TIC) numériques dans les sociétés européennes, cet article s'interroge sur la manière dont elles ont été appréhendées par la Cour européenne des droits de l'homme. Il met également en évidence l'impact pour les États parties de cette entrée des TIC dans l'office du juge strasbourgeois. En effet, s'il apparaît que la Cour encourage le développement des technologies numériques tant au niveau européen qu'au niveau national, l'analyse de la jurisprudence européenne révèle aussi qu'elle s'efforce d'encadrer …

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 21 oct. 2003, n° 27928/02;31694/02
Numéro(s) : 27928/02, 31694/02
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Arvois c. France, n° 38249/97, § 18, 23 novembre 1999
Frydlender c. France [GC], n° 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII
Giummarra et autres c. France (déc.), n° 61166/00, 12 juin 2001
Malve c. France (déc.), n° 46051/99, 20 janvier 2001
Mifsud c. France [GC] (déc.), 57220/00, 11 septembre 2002
Van der Kar et Lissaur van West c. France (déc.), nos 44952/98 et 44953/98, 7 novembre 2000
Zutter c. France (déc.), n° 30197/96, 27 juin 2000
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Violation de l'art. 6-1 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention
Identifiant HUDOC : 001-65935
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2003:1021JUD002792802
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Sur les parties

Texte intégral

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE BROCA et TEXIER-MICAULT c. FRANCE

(Requêtes nos 27928/02 et 31694/02)

ARRÊT

STRASBOURG

21 octobre 2003

DÉFINITIF

21/01/2004

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Broca c. France et l’affaire Texier-Micault c. France,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM.A.B. Baka, président,
J.-P. Costa,
Gaukur Jörundsson,
K. Jungwiert,
V. Butkevych,
MmeW. Thomassen,
M.M. Ugrekhelidze, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 30 septembre 2003,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine des affaires se trouvent deux requêtes (nos 27928/02 et 31694/02) dirigées contre la République française et dont des ressortissants de cet Etat, M. Robert Broca et Mme Mireille Texier-Micault (« les requérants »), ont saisi la Cour les 15 juillet 2002 et 16 août 2002 respectivement en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Ronny Abraham, Directeur des Affaires juridiques au Ministère des Affaires étrangères. M. Broca assure lui-même la défense de ses intérêts devant la Cour ; Mme Texier-Micault est représentée par Me François Gaston, avocat à Poitiers.

3.  Le 1er octobre 2002, la deuxième section a décidé de joindre les requêtes et de communiquer les griefs tirés de la durée des procédures au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l’article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.

EN FAIT

4.  Le premier requérant (requête no 27928/02) est né en 1931 et réside à Toulouse. La seconde requérante (requête no 31694/02) est née en 1936 et réside à Poitiers.


A.  Les circonstances de chacune des espèces

1.Requête no 27928/02

5.  Le premier requérant était fonctionnaire du Ministère de l’Education nationale. Il exerçait les fonctions de chef des services administratifs d’une bibliothèque interuniversitaire.

En 1982, alors que le requérant était encore en activité, certains de ses collègues lui imputèrent des faits criminels et le dénoncèrent auprès de Présidents d’Universités, du recteur et du Ministre de l’Education nationale.

Ledit Ministre ordonna une enquête administrative, laquelle conclut à l’absence de fondement des accusations portées contre le requérant.

Le requérant demanda plusieurs fois – vainement – à sa hiérarchie de saisir les juridictions répressives afin de voir les auteurs des propos litigieux poursuivis pour dénonciations calomnieuses. Il saisit ensuite les juridictions civiles, lesquelles se déclarèrent incompétentes.

Atteint d’une dépression nerveuse, le requérant fut placé en congé de longue durée du 8 mars 1988 au 26 novembre 1991, puis mis à la retraite pour invalidité imputable au service.

6.  Le 21 septembre 1993, le requérant déposa devant le tribunal administratif de Toulouse une demande tendant à la condamnation de l’Etat à lui réparer le préjudice que lui avaient causé les dénonciations litigieuses, leurs auteurs étant fonctionnaires de l’Education nationale. Cette demande fut rejetée par un jugement du 17 avril 1997.

7.  Saisie par le requérant le 23 juillet 1997, la cour administrative d’appel de Bordeaux rejeta la requête par un arrêt du 31 mai 2001, lequel est ainsi motivé :

« Considérant qu’il résulte de l’instruction et notamment des pièces produites en appel par M. Broca, que durant l’année 1982, le requérant, alors chef des services administratifs de la bibliothèque interuniversitaire de Toulouse, a fait l’objet, de la part de personnels de cet établissement, d’imputations calomnieuses ; que, toutefois, il résulte également de l’instruction que, dès qu’elle a été informée de cette campagne de calomnie à l’égard de M. Broca, l’administration a procédé à une enquête pour s’informer des faits reprochés au requérant et a mis fin à cette campagne, peu de temps après la fin de l’enquête, en informant le personnel des conclusions de ladite enquête et en sanctionnant les fonctionnaires qui en étaient responsables ; que, dans ces conditions, l’administration n’a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité ; que, par suite, M. Broca n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué en date du 17 avril 1997, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l’Etat à réparer les dommages qui lui auraient été causés par les agissements susmentionnés ».

8.  Le 31 juillet 2001, le requérant se pourvut en cassation devant le Conseil d’Etat. La haute juridiction déclara le pourvoi non admis, par une décision du 27 mai 2002 ainsi libellée :

« Considérant qu’aux termes de l’article L. 822-1 du code de justice administrative : « le pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat fait l’objet d’une procédure préalable d’admission [;] l’admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n’est fondé sur aucun moyen sérieux » ;

Considérant que, pour demander l’annulation de l’arrêt susvisé, M. Broca soutient qu’il n’est pas établi que la minute de cet arrêt soit revêtue de la signature du président de la formation de jugement, du rapporteur de l’affaire et du greffier d’audience ; que l’arrêt attaqué ne vise pas le mémoire produit le 24 juillet 1998 par le requérant devant la cour administrative d’appel de Bordeaux et n’en analyse pas le contenu dans ses motifs, alors que ce mémoire comportait des éléments nouveaux ; que la cour n’a pas répondu aux moyens tirés de ce que la carrière de M. Broca a subi un grave préjudice et de ce que l’autorité administrative aurait dû engager des poursuites pénales contre les agents qui l’ont calomnié ; que la cour a insuffisamment motivé son arrêt en se bornant à énoncer que l’administration avait mi fin à la campagne, sans préciser le délai qui s’était écoulé entre la saisine de l’enquêteur, le dépôt des conclusions de celui-ci et les décisions prises ; que la cour a entaché son arrêt d’une insuffisance de motivation et commis une erreur de droit en s’abstenant de rechercher si les fautes de certains agents ne devaient pas être regardées comme non détachables du service et donc comme étant de nature à engager la responsabilité de l’Etat ;

Considérant qu’aucun des moyens invoqués par M. Broca devant le Conseil d’Etat n’est de nature à permettre l’admission de la requête ».

2. Requête no 31694/02

9.  La seconde requérante est propriétaire d’une habitation sise sur le territoire de la commune de Champniers. Son immeuble étant régulièrement inondé par des eaux de ruissellement provenant de la voie publique, la requérante – vainement – demanda à plusieurs reprises à la commune de remédier à cette situation en procédant aux travaux nécessaires.

10.  Le 8 juillet 1998, la requérante saisit le tribunal administratif de Poitiers d’une demande tendant à ce que la commune de Champniers soit condamnée à entreprendre lesdits travaux et à lui verser une indemnité de 10 000 francs. Par un jugement du 27 avril 2000, le tribunal retint la responsabilité de la commune et la condamna au paiement de 4 000 francs en réparation des dommages subis par l’immeuble depuis 1978, et 5 000 francs, au titre des préjudices à venir « si mieux n’aime à réaliser des fonds de bateaux au droit de la propriété de la requérante ».

11.  Le 7 juillet 2000, la commune de Champniers saisit la cour administrative d’appel de Bordeaux de ce jugement. La requérante obtint l’aide juridictionnelle le 5 février 2001. Le 2 août 2001, le greffe de la cour d’appel indiqua à l’avocat de l’intéressée qu’ « en raison de l’encombrement des rôles, il n [‘était] pas possible d [‘]indiquer la date exacte à laquelle l’affaire (...) pourra être inscrite à une audience ». D’après les informations dont dispose la Cour, l’affaire est pendante devant cette juridiction.


B.  Le droit et la pratique internes pertinents

12.  Le 28 juin 2002, le Conseil d’Etat a rendu l’arrêt suivant (Assemblée, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice c. Magiera) :

« Considérant que, par [un arrêt du 11 juillet 2001] la cour administrative d’appel de Paris, après avoir constaté que la procédure que M. Magiera avait précédemment engagée à l’encontre de l’Etat et de la société « La Limousine » et qui avait abouti à la condamnation de ces défendeurs à lui verser une indemnité de 78 264 F, avait eu une durée excessive au regard des exigences de l’article 6 § 1 de la Convention (...), a condamné l’Etat à verser à M. Magiera une indemnité de 30 000 F pour la réparation des troubles de toute nature subis par lui du fait de la longueur de la procédure ;

(...)

Considérant qu’aux termes de l’article 6 § 1 de la Convention (...) : toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) » ; qu’au terme de l’article 13 de la même Convention : « toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention, ont été violés a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles » ;

Considérant qu’il résulte de ces stipulations, lorsque le litige entre dans leur champ d’application, ainsi que, dans tous les cas, des principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions administratives, que les justiciables ont droit à ce que leurs requêtes soient jugées dans un délai raisonnable ;

Considérant que si la méconnaissance de cette obligation est sans incidence sur la validité de la décision juridictionnelle prise à l’issue de la procédure, les justiciables doivent néanmoins pouvoir en faire assurer le respect ; qu’ainsi lorsque la méconnaissance du droit à un délai raisonnable de jugement leur a causé un préjudice, ils peuvent obtenir la réparation du dommage ainsi causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice ;

Considérant qu’après avoir énoncé que la durée de la procédure avait été excessive, la cour administrative d’appel en a déduit que la responsabilité de l’Etat était engagée, vis-à-vis de M. Magiera ; que, ce faisant, loin de violer les textes et les principes susrappelés, elle en a fait une exacte appréciation ;

Considérant que le caractère raisonnable du délai de jugement d’une affaire doit s’apprécier de manière à la fois globale – compte tenu, notamment, de l’exercice des voies de recours – et concrète, en prenant en compte sa complexité, les conditions de déroulement de la procédure et, en particulier, le comportement des parties tout au long de celle-ci, mais aussi, dans la mesure où la juridiction saisie a connaissance de tels éléments, l’intérêt qu’il peut y avoir, pour l’une ou l’autre, compte tenu de sa situation particulière, des circonstances propres au litige et, le cas échéant, de sa nature même, à ce qu’il soit tranché rapidement ;

Considérant que pour regarder comme excessif le délai de jugement du recours de M. Magiera, la cour administrative d’appel de Paris énonce que la durée d’examen de l’affaire devant le tribunal administratif de Versailles a été de 7 ans et 6 mois pour « une requête qui ne présentait pas de difficulté particulière » ; qu’en statuant ainsi, la cour, contrairement à ce que soutient le ministre, a fait une exacte application des principes rappelés ci-dessus ;

(...)

Considérant que l’action en responsabilité engagée par le justiciable dont la requête n’a pas été jugée dans un délai raisonnable doit permettre la réparation de l’ensemble des dommages tant matériels que moraux, directs et certains, qui ont pu lui être causés et dont la réparation ne se trouve pas assurée par la décision rendue sur le litige principal ; que peut ainsi, notamment, trouver réparation le préjudice causé par la perte d’un avantage ou d’une chance ou encore par la reconnaissance tardive d’un droit ; que peuvent aussi donner lieu à réparation les désagréments provoqués par la durée abusivement longue d’une procédure lorsque ceux-ci ont un caractère réel et vont au-delà des préoccupation habituellement causées par un procès, compte tenu notamment de la situation personnelle de l’intéressé ;

Considérant que la cour administrative d’appel de Paris a estimé, par une appréciation souveraine, que M. Magiera avait subi, du fait de l’allongement de la procédure, « une inquiétude et des troubles dans les conditions d’existence » dont elle a chiffré la somme destinée à en assurer la réparation à 30 000 F ; qu’il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que, contrairement à ce que soutient le ministre, la cour administrative d’appel de Paris n’a pas commis d’erreur de droit ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que le garde des Sceaux, Ministre de la Justice, n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris en date du 11 juillet 2001 ».

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

13.  Les requérants allèguent que la durée des procédures qu’ils ont respectivement engagées devant les juridictions administratives a méconnu le principe du « délai raisonnable », que l’article 6 § 1 de la Convention consacre en ces termes:

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...). »


A.  Sur les périodes à considérer

14.  S’agissant de la première requête (no 27928/02), la période à considérer sous l’angle du délai raisonnable de l’article 6 § 1 débute le 21 septembre 1993 avec la saisine du tribunal administratif de Toulouse et s’achève le 27 mai 2002, date de l’arrêt du Conseil d’Etat. Elle est donc de huit ans et un peu plus de huit mois pour trois instances.

15.  S’agissant de la seconde requête (no 31694/02), ladite période débute le 8 juillet 1998, date de la saisine du tribunal administratif de Poitiers. Pendante depuis le 7 juillet 2000 devant la cour administrative d’appel de Bordeaux, la procédure a duré cinq ans et environ trois mois à ce jour.

B.  Sur la recevabilité

1.Thèses des comparants

16.  Le Gouvernement soutient que les requérants disposaient en droit interne d’un recours efficace permettant de dénoncer la durée de la procédure et obtenir réparation. Il expose qu’il résulte de la jurisprudence du Conseil d’Etat (Darmont, Assemblée, 29 décembre 1978, Rec. p. 542) qu’une faute lourde commise par une juridiction administrative dans l’exercice de la fonction juridictionnelle, est susceptible d’engager sa responsabilité. Il se réfère à deux jugements prononcés en 1999 par le tribunal administratif de Paris (Magiera, 24 juin 1999 ; Lévy, 30 septembre 1999) qui indiqueraient que la durée d’une procédure est susceptible de mettre cette responsabilité en jeu ; il précise que, dans l’affaire Magiera, la Cour administrative d’appel de Paris a, par un arrêt du 11 juillet 2001, « fait droit à des conclusions indemnitaires en réparation de préjudices nés d’une méconnaissance des stipulations de l’article 6 § 1 de la Convention » quant au « délai raisonnable », sans exiger la démonstration de l’existence d’une faute lourde, et que la cour d’appel a en conséquence alloué au demandeur une indemnité de 30 000 FRF pour une procédure ayant duré sept ans et six mois. Le Gouvernement ajoute que cette jurisprudence a été confirmée par un arrêt du Conseil d’Etat du 28 juin 2002 : Garde des Sceaux, Ministre de la Justice c. Magiera.

Le Gouvernement souligne que le principe de la responsabilité de l’Etat s’applique tant aux procédures achevées au plan interne qu’aux procédures pendantes. Quel que soit l’état de la procédure dont la durée apparaît excessive, les principes rappelés par l’arrêt Darmont et confirmés par l’arrêt Magiera permettraient au justiciable d’obtenir devant les juridictions nationales un constat de manquement à son droit de voir sa cause entendue dans un délai raisonnable ainsi que la réparation du préjudice en résultant. Sur ce point, il expose que l’arrêt Magiera du Conseil d’Etat n’établit aucune distinction entre procédures pendantes et procédures achevées : une réparation peut être accordée à la seule condition qu’un lien de causalité soit établi entre le dépassement du délai raisonnable de jugement et le dommage.

Quant au moment auquel ce recours a acquis le degré de certitude juridique requis pour pouvoir et devoir être utilisé aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention, le Gouvernement estime qu’il s’agit de la date de la lecture de l’arrêt Darmont. Il expose à cet égard que les arrêts du Conseil d’Etat et de la cour administrative d’appel dans l’affaire Magiera et les jugements du tribunal administratif de Paris précités se bornent en réalité à mettre en œuvre la jurisprudence Darmont.

Dans le cas où la Cour n’adopterait pas cette conclusion, le Gouvernement l’invite à retenir la date à laquelle a été prononcé l’arrêt du Conseil d’Etat dans l’affaire Magiera, soit le 28 juin 2002. Il souligne que, parce qu’il a été rendu par la formation la plus solennelle du Conseil d’Etat, cet arrêt ne peut être remis en question et a fait l’objet d’un « retentissement médiatique immédiat ou presque » : il figurerait sur le site Internet du Conseil d’Etat depuis le 1er juillet 2002, aurait été publié et commenté le 20 juillet 2002 dans l’AJDA, le site Internet Legalnews en aurait fait état le 12 juillet 2002, la Lettre de la Cour administrative d’appel de Paris l’aurait signalé dans son numéro de septembre 2002, les conclusions du commissaire du gouvernement auraient été publiées aux Petites Affiches le 2 octobre 2002, un commentaire de l’arrêt aurait figuré dans le numéro du même jour du JCP Semaine Juridique, et il aurait été commenté dans la Gazette du Palais du 13 octobre 2002.

Selon le Gouvernement, si la Cour juge cependant que l’efficacité du recours dont il est question n’était pas certaine à la date d’introduction des présentes requêtes, cela ne ferait pas nécessairement obstacle à ce qu’elles soient déclarées irrecevables pour non-épuisement des voies de recours internes. Il rappelle à cet égard que la Cour est parvenue à une telle conclusion dans des affaires relatives à la durée de procédures devant les juridictions italiennes (Brusco c. Italie (déc.), no 39789/01, 6 septembre 2001, CEDH 2001-IX), croates (Nogolica c. Croatie (déc.), no 77784/01, 5 septembre 2002, CEDH 2002-VIII) et slovaques (Andrasik et autres c. Slovaquie (déc.), nos 57984/00, 60237/00, 60242/00, 60679/00, 60680/00, 68563/01 et 60226/00), 22 octobre 2002), au motif que les requérants avaient accès à des procédures pourtant instituées par les législateurs de ces Etats après l’introduction des requêtes. Or, d’une part, les justiciables français disposeraient d’une possibilité équivalente d’obtenir aujourd’hui réparation devant les juridictions administratives ; d’autre part, soumis à une règle de prescription quadriennale, le recours en responsabilité contre l’Etat à raison de la durée excessive d’une procédure resterait en l’espèce ouvert aux requérants.

Le Gouvernement invite en conséquence la Cour à déclarer la requête irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes.

17.  Les requérants concluent au rejet de l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Gouvernement.

2.Appréciation de la Cour

18.  La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes : tout requérant doit avoir donné aux juridictions internes l’occasion que cette disposition a pour finalité de ménager en principe aux Etats contractants : éviter ou redresser les violations alléguées contre eux. Cette règle se fonde sur l’hypothèse que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée (voir, par exemple, Mifsud c . France [GC] (déc.), 57220/00, 11 septembre 2002).

En matière de « délai raisonnable » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, un recours purement indemnitaire – tel le recours en responsabilité de l’Etat pour fonctionnement défectueux du service public de la justice dont il est question en l’espèce – est en principe susceptible de constituer une voie de recours à épuiser au sens de l’article 35 § 1, même lorsque la procédure est pendante au plan interne au jour de la saisine de la Cour (voir en particulier la décision Mifsud précitée).

19.  Les dispositions de l’article 35 § 1 de la Convention ne prescrivent cependant que l’épuisement des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues ; il incombe à l’Etat défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (ibidem, notamment).

A cet égard, dans les affaires relatives à la durée de procédures devant les juridictions administratives qu’elle a examinées antérieurement, la Cour a constamment jugé que, nonobstant la jurisprudence Darmont du Conseil d’Etat, les jugements du tribunal administratif de Paris des 24 juin et 30 septembre 1999 auxquels se réfère le Gouvernement ne suffisent « manifestement pas à faire la démonstration du caractère effectif et accessible de la voie de recours invoquée s’agissant d’un grief tiré de la durée d’une procédure devant le juge administratif, d’autant moins qu’ils émanent d’une juridiction de première instance » (voir, parmi de nombreux autres, Epoux Goletto c. France, no 54596/00, 4 février 2003, Benhaim c. France, no 58600/00, 4 février 2003 et Jarlan c. France, no 62274/00, 15 avril 2003) ; elle a en particulier relevé qu’ils se bornent à indiquer ce qui suit (respectivement) :

« considérant qu’il ne résulte pas de l’instruction que M. Magiera ait subi un préjudice indemnisable ; qu’en effet, le préjudice invoqué n’est établi ni dans sa réalité, ni dans son montant ; que, dès lors, les conclusions de la requête tendant à l’octroi d’une indemnité ne peuvent qu’être rejetées » ;

« considérant (...) que le requérant n’établit pas que le délai anormalement long mis par le tribunal administratif de Versailles pour juger son recours fiscal résulterait d’une faute lourde dans le fonctionnement de cette juridiction administrative ».

L’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Paris le 11 juillet 2001 dans l’affaire Magiera fait en revanche clairement droit à des conclusions indemnitaires en réparation de préjudices nés d’un dépassement du « délai raisonnable » de l’article 6 § 1 de la Convention et alloue au demandeur une indemnité de 30 000 FRF pour une instance ayant duré sept ans et six mois. Assurément – la Cour l’a d’ailleurs déjà reconnu (voir Lutz c. France (no 1), no 48215/99, 26 mars 2002, § 20) – cet arrêt apporte plus de poids à l’argumentation du Gouvernement. Cependant, frappé de pourvoi à l’initiative du Garde de Sceaux, il était susceptible d’être annulé par le Conseil d’Etat, de sorte qu’aucune conclusion définitive ne pouvait en être tirée.

Par un arrêt du 28 juin 2002 (Garde des Sceaux, Ministre de la Justice c. Magiera ; paragraphe 12 ci-dessus), l’Assemblée du contentieux du Conseil d’Etat a confirmé cette décision de la cour administrative d’appel de Paris. Rendu par la formation la plus solennelle de la haute juridiction administrative, cet arrêt se réfère expressément à l’article 6 § 1 de la Convention et au droit « des justiciables (...) à ce que leurs requêtes soient jugées dans un délai raisonnable », et reconnaît à ceux-ci, « lorsque la méconnaissance de [ce droit] leur a causé un préjudice, [la possibilité d’]obtenir la réparation du dommage ainsi causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice » ; il souligne en particulier ce qui suit :

« (...) l’action en responsabilité engagée par le justiciable dont la requête n’a pas été jugée dans un délai raisonnable doit permettre la réparation de l’ensemble des dommages tant matériels que moraux, directs et certains, qui ont pu lui être causés et dont la réparation ne se trouve pas assurée par la décision rendue sur le litige principal ; (...) peut ainsi, notamment, trouver réparation le préjudice causé par la perte d’un avantage ou d’une chance ou encore par la reconnaissance tardive d’un droit ; (...) peuvent aussi donner lieu à réparation les désagréments provoqués par la durée abusivement longue d’une procédure lorsque ceux-ci ont un caractère réel et vont au-delà des préoccupations habituellement causées par un procès, compte tenu notamment de la situation personnelle de l’intéressé ».

Il ressort ainsi clairement de cet arrêt que le recours en responsabilité de l’Etat pour fonctionnement défectueux du service public de la justice permet aux justiciables, parties à une procédure devant les juridictions administratives, d’obtenir un constat de violation de leur droit à voir leur cause entendue dans un « délai raisonnable » et l’indemnisation du préjudice qui en résulte. La Cour juge en outre convaincante la thèse du Gouvernement selon laquelle cela vaut pour les procédures pendantes comme pour les procédures achevées au plan interne (voir, par analogie, la décision Mifsud précitée).

Les arrêts du Conseil d’Etat sont définitifs et s’imposent aux juridictions du fond ; rendu par l’Assemblée du contentieux, l’arrêt Magiera du 28 juin 2002 s’impose en outre, sinon en droit, du moins en pratique, à la section du contentieux et aux sous-sections du contentieux de la haute juridiction.

La Cour déduit de ce qui précède que le recours dont il est question se trouve établi « à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique » pour pouvoir et devoir être utilisé aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention, ceci, à première vue, dès le jour du prononcé de l’arrêt Magiera, soit dès le 28 juin 2002 (en vertu du brocard « res judicata pro veritate habetur »).

20.  Il ne serait cependant pas équitable d’opposer une voie de recours nouvellement intégrée dans le système juridique d’un Etat contractant aux individus qui se portent requérants devant la Cour, avant que les justiciables concernés en aient eu connaissance de manière effective. Du fait de la publication officielle dont les lois, qui ont d’ailleurs un effet erga omnes, font l’objet, la date de cette prise de connaissance est en principe certaine lorsque la voie de recours dont il est question est l’œuvre du législateur (même si l’adage « nul n’est censé ignorer la loi » reflète une certaine dose de fiction juridique). Il en va différemment dans les cas où, comme en la présente cause, le recours interne est le fruit d’une évolution jurisprudentielle : l’équité commande de prendre en compte un laps de temps raisonnable, nécessaire aux justiciables pour avoir effectivement connaissance de la décision interne qui la consacre. La durée de ce délai varie en fonction des circonstances, en particulier de la publicité dont ladite décision a fait l’objet. S’agissant de l’arrêt du Conseil d’Etat du 28 juin 2002 dont il est présentement question, il semble qu’à ce jour, il n’a pas encore été publié au « Recueil Lebon », qui est le recueil « officiel » des arrêts du Conseil d’Etat, du Tribunal des conflits et des juridictions administratives ; le Gouvernement indique cependant qu’il figure sur le site Internet du Conseil d’Etat depuis le 1er juillet 2002 et a été publié et commenté le 20 juillet 2002 dans l’AJDA, que le site Internet Legalnews en a fait état le 12 juillet 2002, que la Lettre de la Cour administrative d’appel de Paris l’a signalé dans son numéro de septembre 2002, que les conclusions du commissaire du gouvernement ont été publiées aux Petites Affiches le 2 octobre 2002, qu’un commentaire a figuré dans le numéro du même jour du JCP Semaine Juridique, et qu’il a été commenté à la Gazette du Palais du 13 octobre 2002. Dans ces conditions, selon la Cour, il peut être considéré qu’il avait acquis un degré de certitude juridique suffisant à une période qui se situe aux alentours de la fin de l’année 2002, soit environ six mois après sa lecture ; elle rappelle à toutes fins utiles qu’elle a suivi une démarche comparable s’agissant de l’évolution jurisprudentielle consacrant la possibilité pour les justiciables d’obtenir une indemnisation à raison de la durée d’une procédure judiciaire, par le biais d’un recours fondé sur l’article L. 781-1 du code de l’organisation judiciaire (voir, notamment, Giummarra et autres c. France (déc.), no 61166/00, 12 juin 2001) ; le problème était analogue, puisque, si cet article est issu d’une loi, insérée dans ce code par décret du 16 mars 1978, c’est l’évolution récente de l’interprétation jurisprudentielle dudit article qui a conduit la Cour à considérer, par la décision Giummara, qu’il instituait une voie de recours interne à épuiser. Quant à la différence entre l’espèce Giummara et la présente affaire, tenant à ce qu’ici il s’agit d’un arrêt du Conseil d’Etat et non d’un arrêt de cour d’appel, elle ne vaut pas, car dans la décision Giummara la Cour avait retenu comme date de l’arrêt le jour où celui-ci, faute de pourvoi en cassation, était devenu définitif.

La Cour juge en conséquence raisonnable de retenir que l’arrêt Magiera du Conseil d’Etat ne pouvait plus être ignoré du public à partir du 1er janvier 2003. Elle en conclut que c’est à partir de cette date, et non du 28 juin 2002 qu’il doit être exigé des requérants qu’ils usent de ce recours aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention.

21.  Enfin, la Cour rappelle que l’épuisement des voies de recours internes s’apprécie en règle générale à la date d’introduction de la requête (voir, par exemple, Zutter c. France (déc.), no 30197/96, 27 juin 2000, Van der Kar et Lissaur van West c. France (déc.), nos 44952/98 et 44953/98, 7 novembre 2000, et Malve c. France (déc.), no 46051/99, 20 janvier 2001, ainsi que les arrêts Epoux Goletto, Benhaim et Jarlan précités). Elle n’a fait exception à ce principe que dans des circonstances spécifiques (voir essentiellement les décisions Brusco, Nogolica, Andrasik et autres citées par le Gouvernement), lesquelles, manifestement, ne se trouvent pas présentement réunies ; à cet égard, elle se réfère en particulier aux motifs de la décision Brusco précitée.

Au demeurant, elle a constamment fait application de ce principe dans les affaires relatives à la durée de procédures devant les juridictions administratives françaises qu’elle a examinées précédemment (voir, parmi de nombreux autres, les arrêts Epoux Goletto, Benhaim et Jarlan précités) et a suivi une démarche similaire lorsqu’elle a jugé que l’action fondée sur l’article L. 781-1 du code de l’organisation judiciaire constitue une voie de recours interne à épuiser au sens de l’article 35 § 1 de la Convention s’agissant de griefs relatifs à la durée de procédures judiciaires (voir les décision Giummarra et Mifsud précitées). 

En conséquence, dès lors qu’une requête dénonçant la durée d’une procédure devant les juridictions administratives françaises a été introduite devant la Cour avant le 1er janvier 2003, peu importe que le requérant ait, par la suite, pour une raison ou une autre, la possibilité d’engager au plan interne le recours dont il est question.

22.  En résumé, tout grief tiré de la durée d’une procédure devant les juridictions administratives introduit devant la Cour le 1er janvier 2003 ou après cette date sans avoir préalablement été soumis aux juridictions internes dans le cadre d’un recours en responsabilité de l’Etat pour fonctionnement défectueux du service public de la justice est irrecevable, quel que soit l’état de la procédure au plan interne.

23.  La Cour ayant été saisi des présentes affaires les 15 juillet et 16 août 2002, soit avant le 1er janvier 2003, il ne saurait être reproché aux requérants de ne pas avoir usé de ce recours. Il y a lieu en conséquence de rejeter l’exception soulevée par le Gouvernement.

24.  Ceci étant, la Cour estime que ces requêtes soulèvent des questions de fait et de droit au regard de la Convention qui nécessitent un examen au fond. La Cour conclut par conséquent qu’elles ne sont pas manifestement mal fondées au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Constatant par ailleurs qu’elles ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.

C.  Sur le fond

25.  Le Gouvernement reconnaît que l’examen de la cause du premier requérant (requête no 27928/02) ne soulevait aucune difficulté particulière, que l’intéressé n’a pas contribué à ralentir le déroulement de la procédure et que, si l’instance devant le Conseil d’Etat fut « particulièrement brève », la durée de la procédure devant les juges du fond « peut être considérée comme relativement longue ». Il déclare en conséquence « s’en reme[tre] à la sagesse de la Cour pour apprécier le bien-fondé du grief ».

Il souligne en revanche que la cause de la seconde requérante (requête no 31694/02) a été entendue rapidement par le tribunal administratif de Poitiers (un an et dix mois) et qu’à ce jour, la durée de l’instance devant la cour administrative d’appel de Bordeaux ne saurait être jugée excessive.

26.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

Elle constate que les causes des requérants ne présentaient aucune difficulté, et que rien n’indique que leurs comportements respectifs ont contribué à prolonger les procédures.

Par ailleurs, elle prend acte de la déclaration du Gouvernement dans le cadre de la requête no 27928/02 et, s’agissant de la requête no 31694/02, relève que l’instance est pendante en appel depuis le 7 juillet 2000 et que le Gouvernement ne fournit aucune explication à cet égard.

Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que les causes des requérants n’ont pas été entendues dans un délai raisonnable. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention à l’égard de chacun des requérants.

II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

27.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

28.  Le premier requérant réclame 152 000 euros (EUR) pour « préjudices professionnels et de carrière » et 300 000 euros pour dommage moral. Quant à la seconde requérante, elle réclame 2 287 EUR pour dommage moral.

29.  Le Gouvernement ne se prononce pas.

30.  La Cour rappelle que le constat de violation de la Convention auquel elle parvient résulte exclusivement d’une méconnaissance du droit des requérants à voir leurs causes entendues dans un « délai raisonnable ». Dans ces circonstances, elle n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et un quelconque dommage matériel dont le premier requérant aurait eu à souffrir ; il y a donc lieu de rejeter cet aspect de ses prétentions (voir, par exemple, l’arrêt Arvois c. France du 23 novembre 1999, no 38249/97, § 18).

La Cour estime en revanche que le prolongement des procédures litigieuses au-delà du « délai raisonnable » a causé aux requérants un tort moral certain, justifiant l’octroi d’une indemnité. Statuant en équité comme le veut l’article 41, elle fait droit à la demande de la seconde requérante et lui alloue la somme qu’elle demande, soit 2 287 EUR pour dommage moral, et octroie 5 000 EUR au premier requérant à ce titre.

B.  Frais et dépens

31.  Le premier requérant ne formule aucune demande. La seconde requérante réclame 500 EUR, taxe sur la valeur ajoutée comprise (« TVA »), pour les frais et dépens encourus devant la Cour. Elle produit une note d’honoraires datée du 14 octobre 2002.

32.  Le Gouvernement ne se prononce pas.

33.  La Cour estime qu’il y a lieu de faire droit à la demande de la seconde requérante, le montant réclamé étant raisonnable et dûment justifié par une note d’honoraires. Elle lui alloue en conséquence 500 EUR pour frais et dépens, TVA comprise.

C.  Intérêts moratoires

34.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Déclare les requêtes recevables ;

2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention à l’égard de chacun des deux requérants ;

3.  Dit

a)  que l’Etat défendeur doit verser, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention :

i.               à M. Broca, 5 000 EUR (cinq mille euros) pour dommage moral ;

ii.               à Mme Texier-Micault, 2 287 EUR (deux mille deux cent quatre-vingt-sept euros) pour dommage moral, et 500 EUR pour frais et dépens, TVA comprise ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4.  Rejette la demande de satisfaction équitable de M. Broca pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 21 octobre 2003 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. DolléA.B. Baka
GreffièrePrésident

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CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE BROCA ET TEXIER-MICAULT c. FRANCE, 21 octobre 2003, 27928/02;31694/02