CEDH, Cour (troisième section), AFFAIRE DURSUN ET AUTRES c. TURQUIE, 4 décembre 2003, 44267/98

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Troisième Section), 4 déc. 2003, n° 44267/98
Numéro(s) : 44267/98
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Findlay c. Royaume-Uni, arrêt du 25 février 1997, Recueil 1997-I, p. 284, § 85
Çiraklar c. Turquie, arrêt du 28 octobre 1998, Recueil 1998-VII, p. 3074, §§ 44-45, 49
Incal c. Turquie, arrêt du 9 juin 1998, Recueil 1998 IV, § 72 in fine
Gençel c. Turquie, no 53431/99, §§ 11-12, 27, 23 octobre 2003
Özdemir c. Turquie, no 59659/00, § 26, 35-36, 6 février 2003
Özel c. Turquie, no 42739/98, §§ 20-21, 33-34, 7 novembre 2002
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Violation de l'art. 6-1 en ce qui concerne l'indépendance et l'impartialité ; Non-lieu à examiner l'art. 6 en ce qui concerne l'équité ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - constat de violation suffisant ; Remboursement partiel frais et dépens
Identifiant HUDOC : 001-66070
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2003:1204JUD004426798
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Sur les parties

Texte intégral

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE DURSUN ET AUTRES c. TURQUIE

(Requête no 44267/98)

ARRÊT

STRASBOURG

4 décembre 2003

DÉFINITIF

04/03/2004

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Dursun et autres c. Turquie,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

MM.G. Ress, président,
I. Cabral Barreto,
L. Caflisch,
P. Kūris,
R. Türmen,
B. Zupančič,
J. Hedigan, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 novembre 2003,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 44267/98) dirigée contre la République de Turquie et dont cinq ressortissants de cet Etat, MM. Mehmet Dursun, Seyithan Akdeniz, Yakup Güneş, Eşref Taşdemir et Ali Yıldız (« les requérants »), avaient saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 29 juin 1998 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Les requérants, qui ont été admis au bénéfice de l'assistance judiciaire, sont représentés par Mes A. Aslanian (Mehmet Dursun) et S. Kaya (les quatre autres requérants), avocats à Paris et à Ankara. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») n'a pas désigné d'agent dans la procédure devant la Cour.

3.  La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d'entrée en vigueur du Protocole no 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole no 11).

4.  Le 4 juillet 2000, la Cour (première section) a déclaré la requête partiellement irrecevable et a décidé de communiquer le restant de la requête au Gouvernement.

5.  Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la troisième section ainsi remaniée (article 52 § 1).

6.  Par une lettre du 9 octobre 2002, la Cour a informé les parties qu'elle se prononcerait, en application de l'article 29 §§ 1 et 3 de la Convention, tant sur la recevabilité que sur le fond de la requête.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

7.  Les requérants sont des ressortissants turcs, nés respectivement en 1973, 1974, 1973, 1962 et 1953.

A.  Mehmet Dursun (M.D.), Seyithan Akdeniz (S.A.) et Yakup Güneş (Y.G.)

8.  Le 4 novembre 1992, Y.G., le 4 janvier 1993, M.D., et le 9 juin 1993, S.A. furent placés en garde à vue.

9.  Le 28 novembre 1992, Y.G., le 8 janvier 1993, M.D., et le 22 juin 1993, S.A. furent traduits devant le juge qui ordonna leur mise en détention provisoire.

10.  Le procureur de la République près la cour de sûreté de l'Etat de Diyarbakır, reprochant aux requérants de porter atteinte à l'unité indivisible de l'Etat, intenta une action pénale à leur encontre sur le fondement de l'article 125 du code pénal.

11.  Par un arrêt du 17 octobre 1996, la cour de sûreté de l'Etat de Diyarbakır, composée de deux juges civils et d'un juge militaire, déclara les requérants coupables de l'infraction visée à l'article 125 du code pénal. La cour condamna les requérants à la peine de mort. En application de l'article 59 du code pénal concernant les circonstances atténuantes, elle commua la peine en réclusion à perpétuité.

12.  Par un arrêt du 19 janvier 1998, la Cour de cassation rejeta le pourvoi introduit par les requérants.

13.  L'arrêt fut prononcé le 28 janvier 1998.

B.  Ali Yıldız (A.Y.) et Eşref Taşdemir (E.T.)

14.  Le 10 novembre, A.Y., et le 14 novembre 1992, E.T. furent placés en garde à vue.

15.  Le 23 novembre 1992, les requérants furent traduits devant le juge qui ordonna leur mise en détention provisoire.

16.  Le 11 décembre 1992, le procureur de la République près la cour de sûreté de l'Etat de Diyarbakır, reprochant aux requérants de porter atteinte à l'unité indivisible de l'Etat, intenta une action pénale à leur encontre sur le fondement de l'article 125 du code pénal.

17.  Par un arrêt du 6 mars 1996, la cour de sûreté de l'Etat de Diyarbakır, composée de deux juges civils et d'un juge militaire, condamna les requérants à une peine d'emprisonnement de trois ans et neuf mois en application de l'article 169 du code pénal, pour assistance à une bande armée.

18.  Par un arrêt du 16 mars 1998, la Cour de cassation rejeta le pourvoi introduit par les requérants.

19.  L'arrêt fut prononcé le 18 mars 1998.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

20.  Le droit et la pratique internes pertinents sont décrits dans les arrêts Özel c. Turquie (no 42739/98, §§ 20-21, 7 novembre 2002) et Gençel c. Turquie (no 53431/99, §§ 11-12, 23 octobre 2003).

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

21.  Les requérants allèguent que leur cause n'a pas été entendue équitablement par un tribunal indépendant et impartial. Ils exposent à cet égard qu'un juge militaire, dont l'indépendance envers ses supérieurs militaires n'est pas dûment assurée, siégeait au sein de la cour de sûreté de l'Etat de Diyarbakır. Le requérant Eşref Taşdemir se plaint en outre de n'avoir pas pu faire entendre un témoin dont le nom avait été communiqué à la cour de sûreté de l'Etat. Les requérants y voient une violation de l'article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention qui, en ses parties pertinentes, se lit ainsi :

« 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement (...) par un tribunal indépendant et impartial (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...)

3.  Tout accusé a droit notamment à :

(...)

d)  interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;

(...) »

A.  Sur la recevabilité

22.  Le Gouvernement invite la Cour à rejeter, pour non-respect du délai de six mois prévu à l'article 35 de la Convention, le grief concernant la composition de la cour de sûreté de l'Etat. Il soutient que la décision interne définitive, concernant le grief relatif au manque d'indépendance et d'impartialité de la cour de sûreté de l'Etat, est celle rendue par cette même juridiction. A cet égard, il fait valoir que ni la cour de sûreté de l'Etat ni la Cour de cassation n'étaient habilitées à se prononcer sur ce grief dans la mesure où la composition des cours de sûreté de l'Etat découlait, à l'époque des faits, de la législation interne. Il en conclut que les requérants auraient dû introduire leur requête dans les six mois suivant le moment où ils s'étaient rendus compte de l'inefficacité des recours internes, c'est-à-dire à partir des arrêts de la cour de sûreté de l'Etat, à savoir le 17 octobre 1996 pour les premier, deuxième et troisième requérants et le 6 mars 1996 pour les quatrième et cinquième requérants. Or, il souligne que la requête a été introduite le 29 juin 1998. A l'appui de son argumentation, le Gouvernement fait référence à la jurisprudence de la Cour (entre autres, İpek c. Turquie (déc.), no 39706/98, 7 novembre 2000 et Göztok c. Turquie (déc.), no 35830/97, 6 février 2001).

23.  La Cour rappelle qu'elle a rejeté une exception semblable dans l'affaire Özdemir c. Turquie (arrêt précité, § 26). Elle n'aperçoit aucun motif de déroger à sa précédente conclusion et rejette donc l'exception du Gouvernement.

24.  La Cour estime, à la lumière des critères qui se dégagent de sa jurisprudence (voir notamment Çıraklar c. Turquie, arrêt du 28 octobre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VII) et compte tenu de l'ensemble des éléments en sa possession, que la requête doit faire l'objet d'un examen au fond. Elle constate en outre que celle-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité.

B.  Sur le fond

1.  Sur l'indépendance et l'impartialité de la cour de sûreté de l'Etat

25.  La Cour a traité à maintes reprises d'affaires soulevant des questions semblables à celles du cas d'espèce et a constaté la violation de l'article 6 § 1 de la Convention (voir Özel, précité, §§ 33-34, et Özdemir, précité, §§ 35‑36).

26.  La Cour a examiné la présente affaire et considère que le Gouvernement n'a fourni aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Elle constate qu'il est compréhensible que les requérants, qui répondaient devant une cour de sûreté de l'Etat d'infractions prévues et réprimées par le code pénal, aient redouté de comparaître devant des juges parmi lesquels figurait un officier de carrière appartenant à la magistrature militaire. De ce fait, ils pouvaient légitimement craindre que la cour de sûreté de l'Etat se laissât indûment guider par des considérations étrangères à la nature de sa cause. Partant, on peut considérer que les doutes nourris par les requérants quant à l'indépendance et à l'impartialité de cette juridiction étaient objectivement justifiés (Incal c. Turquie, arrêt du 9 juin 1998, Recueil 1998‑IV, § 72 in fine).

27.  La Cour conclut que, lorsqu'elle a jugé et condamné les requérants, la cour de sûreté de l'Etat n'était pas un tribunal indépendant et impartial au sens de l'article 6 § 1.

2.  Sur l'équité de la procédure pénale

28.  Le Gouvernement ne se prononce pas quant à l'existence d'une violation.

29.  La Cour rappelle avoir déjà jugé dans des affaires similaires qu'un tribunal, dont le manque d'indépendance et d'impartialité a été établi, ne peut, en toute hypothèse, garantir un procès équitable aux personnes soumises à sa juridiction.

30.  Eu égard au constat de violation du droit des requérants à voir leur cause entendue par un tribunal indépendant et impartial auquel elle parvient, la Cour estime qu'il n'y a pas lieu d'examiner le présent grief (voir, entre autres, Çıraklar c. Turquie, arrêt du 28 octobre 1998, Recueil 1998-VII, §§ 44-45).

II.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

31.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage matériel et moral

32.  Les requérants allèguent avoir subi un préjudice matériel et moral qu'ils évaluent respectivement à 15 244,90 euros (EUR) pour Mehmet Dursun, 214 420 EUR pour Seyithan Akdeniz, 215 800 EUR pour Yakup Güneş, 50 000 EUR pour Eşref Taşdemir et 102 000 EUR pour Ali Yıldız.

33.  Le Gouvernement conteste ces prétentions.

34.  En ce qui concerne le dommage matériel allégué, la Cour ne saurait spéculer sur le résultat auquel la procédure devant la cour de sûreté de l'Etat aurait abouti si l'infraction à la Convention n'avait pas eu lieu. Il n'y a donc pas lieu d'accorder aux requérants une indemnité à ce titre (Findlay c. Royaume-Uni, arrêt du 25 février 1997, Recueil 1997-I, p. 284, § 85).

35.  Quant au préjudice moral, la Cour estime que, dans les circonstances de l'espèce, le constat de violation constitue en soi une satisfaction équitable suffisante (Çıraklar, précité, p. 3074, § 49).

36.  Lorsque la Cour conclut que la condamnation d'un requérant a été prononcée par un tribunal qui n'était pas indépendant et impartial au sens de l'article 6 § 1, elle estime qu'en principe le redressement le plus approprié serait de faire rejuger le requérant en temps utile par un tribunal indépendant et impartial (Gençel, précité, § 27).

B.  Frais et dépens

37.  Les requérants demandent également 30 000 EUR pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes et la Cour. Les requérants ne fournissent aucun justificatif.

38.  Le Gouvernement conteste ces prétentions.

39.  Compte tenu des éléments en sa possession et de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime raisonnable d'allouer aux requérants conjointement 1 500 EUR, moins les 630 EUR versés par le Conseil de l'Europe au titre de l'assistance judiciaire.

C.  Intérêts moratoires

40.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête recevable ;

2.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention en raison du manque d'indépendance de la cour de sûreté de l'Etat de Diyarbakır ;

3.  Dit qu'il n'y a pas lieu d'examiner les autres griefs tirés de l'article 6 de la Convention ;

4.  Dit que le présent arrêt constitue par lui-même une satisfaction équitable suffisante pour le préjudice moral ;

5.  Dit

a)  que l'Etat défendeur doit verser aux requérants réunis, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 1 500 EUR (mille cinq cents euros) pour frais et dépens, moins les 630 EUR versés par le Conseil de l'Europe au titre de l'assistance judiciaire, plus tout montant pouvant être dû au titre de la taxe sur la valeur ajoutée ou toutes autres charges fiscales exigibles au moment du versement, à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement ;

b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 4 décembre 2003 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Vincent BergerGeorg Ress
GreffierPrésident

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