CEDH, Cour (quatrième section), AFFAIRE SCIACCA c. ITALIE, 11 janvier 2005, 50774/99

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Amélie Deltell · Revue Jade

Dans l'affaire Haldimann contre Suisse [1] , la Cour européenne des droits de l'Homme a eu, pour la première fois, l'occasion de se prononcer sur la validité de la condamnation de journalistes pour avoir enregistré, puis diffusé, une interview réalisée en caméra cachée. En l'espèce les requérants Ulrich Mathias Haldimann, Hansjörg Utz, Monika Annemarie Balmer et Fiona Rutz Strebel – respectivement rédacteur en chef de la télévision suisse alémanique (SF DRS), rédacteur responsable de l'émission « Kassenstruz », rédactrice dudit programme et journaliste de la chaîne – ont été poursuivis …

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Quatrième Section), 11 janv. 2005, n° 50774/99
Numéro(s) : 50774/99
Publication : Recueil des arrêts et décisions 2005-I
Type de document : Arrêt
Date d’introduction : 1 juin 1999
Jurisprudence de Strasbourg : Van de Hurk c. Pays-Bas, arrêt du 19 avril 1994, série A n° 288, § 66
Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], n° 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI
M.M. c. Pays-Bas, n° 39339/97, § 46, 8 avril 2003
Schüssel c. Autriche (déc.), n° 42409/98, 21 février 2002
Von Hannover c. Allemagne, n° 59320/00, §§ 50-53, 24 juin 2004
Niveau d’importance : Publiée au Recueil
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Violation de l'art. 8 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - constat de violation suffisant ; Remboursement partiel frais et dépens
Identifiant HUDOC : 001-67929
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2005:0111JUD005077499
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Sur les parties

Texte intégral

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE SCIACCA c. ITALIE

(Requête no 50774/99)

ARRÊT

STRASBOURG

11 janvier 2005


En l'affaire Sciacca c. Italie,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

 Sir  Nicolas Bratza, président,
 MM. G. Bonello,
  K. Traja,
  V. Zagrebelsky,
  L. Garlicki,
  J. Borrego Borrego,
 Mme L. Mijović, juges,
et de M. M. O'Boyle, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 décembre 2004,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 50774/99) dirigée contre la République italienne et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Carmela Sciacca (« la requérante »), a saisi la Cour le 1er juin 1999 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  La requérante est représentée par Me E.P. Reale, avocat à Syracuse. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. I.M. Braguglia, et par son coagent, M. F. Crisafulli.

3.  La requérante alléguait en particulier que la publication de sa photographie avait enfreint l'article 8 de la Convention.

4.  La requête a été attribuée à la première section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.

5.  Par une décision du 4 septembre 2003, la chambre a déclaré la requête partiellement recevable.

Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la quatrième section remaniée en conséquence. Au sein de celle-ci, la chambre appelée à examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

6.  La requérante est née en 1949 et réside à Syracuse.

7.  Professeur, elle enseignait dans une école privée, à Lentini (Syracuse). L'école était propriété de la société à responsabilité limitée G., dont la requérante ainsi que trois autres professeurs étaient les associés et dont M. G. était le gérant.

8.  En juillet 1998, Mme C. porta plainte auprès de la garde des finances (Guardia di Finanza) pour des irrégularités dans la gestion de l'activité de l'école. Elle indiqua être une associée de fait de la société G.

9.  Le parquet de Syracuse ouvrit une enquête sur les associés et le gérant. Le 20 juillet 1998, la garde des finances perquisitionna le siège de la société et le domicile des associés. A cette occasion, la requérante reçut une communication officielle l'informant qu'une enquête avait été ouverte à son sujet.

A une date non précisée, le parquet ordonna l'audition de la requérante et l'informa qu'elle était soupçonnée, avec les autres inculpés, d'extorsion, d'escroquerie et de faux. Le 12 août 1998, la garde des finances interrogea l'intéressée.

10.  Le 17 novembre 1998, le parquet demanda au juge des investigations préliminaires de décerner un mandat d'arrêt contre la requérante et certaines personnes inculpées pour participation à une association de malfaiteurs, évasion fiscale et faux en écritures publiques.

Le 28 novembre 1998, le juge des investigations préliminaires ordonna l'assignation à domicile de Mme Sciacca et des autres inculpés.

11.  Le 4 décembre 1998, la requérante reçut notification de la décision du juge. Comme toute personne assignée à domicile, elle se vit épargner la mise en détention. Cependant, la garde des finances constitua un dossier personnel à son nom ; des photographies et ses empreintes digitales y furent versées. Le même jour, le substitut du parquet chargé de l'enquête ainsi que des agents de la garde des finances donnèrent une conférence de presse.

12.  Deux journaux publièrent des articles sur l'enquête.

13.  Le premier quotidien, Giornale di Sicilia, publia deux articles, les 5 et 6 décembre 1998. Dans le premier, il parlait de « prétendues illégalités formelles et substantielles dans la gestion d'une école privée ». Après avoir indiqué que la requérante et trois autres personnes, assignées à domicile, étaient inculpées d'actes très graves (participation à une association de malfaiteurs, extorsion, faux, escroquerie et évasion fiscale), le journal signalait que d'autres inculpés « auraient également été » victimes d'extorsions commises par les quatre personnes arrêtées. Après avoir donné un aperçu de l'activité des enquêteurs, le journal précisait que les quatre personnes assignées à domicile « auraient été » les gérantes de fait de l'école. Par la suite, le quotidien expliquait en quoi consistait l'extorsion. Il ajoutait qu'une « comptabilité parallèle aurait été trouvée au domicile des quatre personnes » et que les « enquêteurs auraient constaté que les élèves inscrits » dans deux classes « étaient en réalité les époux et des cousins des femmes arrêtées ». Le seul passage relatant les déclarations des enquêteurs visait une personne autre que la requérante.

14.  L'autre article – publié le jour suivant, avec la photographie des quatre femmes arrêtées – avait un contenu similaire au premier.

15.  Le second quotidien, La Sicilia, publia le 5 décembre 1998, en première page, la photographie (format identité) des quatre personnes assignées à domicile, et indiqua que celles-ci « avaient mis en place une « école fantôme ». Le contenu de l'article était comparable à celui des articles du premier quotidien.

16.  La photographie de la requérante fut publiée, avec celle des trois autres femmes arrêtées, à quatre reprises les 5 et 6 décembre 1998. Il s'agissait à chaque fois d'une photographie d'identité prise lors de la constitution du dossier, au moment de l'arrestation de la requérante par la garde des finances, et remise par cette dernière à la presse.

17.  Le 12 décembre 1998, la requérante contesta l'assignation à domicile devant le tribunale della libertà (juridiction compétente pour examiner les mesures de précaution) de Catane.

Le 28 décembre 1998, ladite juridiction ordonna sa remise en liberté au motif que l'assignation à domicile n'était plus nécessaire pour l'enquête.

18.  Le 1er mars 1999, le parquet requit que l'intéressée fût renvoyée en jugement. L'audience devant le juge des investigations préliminaires fut fixée au 26 mai 1999. Toutefois, la requérante renonça à cette étape et demanda à être jugée par le tribunal selon la procédure abrégée.

L'audience devant le tribunal de Syracuse fut donc fixée au 6 juin 2000.

19.  Le 8 mars 2002, l'affaire s'acheva par la procédure spéciale d'application de la peine convenue entre la requérante et le ministère public (article 444 du code de procédure pénale, « applicazione della pena su richiesta delle parti »), à savoir un an et dix mois d'emprisonnement et une amende de 300 euros.

II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

20.  Les parties n'ont fourni à la Cour aucune indication quant à d'éventuelles dispositions de loi régissant la prise de photographies de personnes prévenues ou arrêtées et assignées à domicile sans être écrouées et leur communication à la presse.

Le décret du président de la République no 431 du 29 avril 1976 définit le règlement d'exécution de la loi no 354 du 26 juillet 1975 sur l'organisation pénitentiaire.

En ce qui concerne les prévenus arrêtés et écroués, les paragraphes 1 et 2 de l'article 26 du règlement d'exécution sont ainsi libellés :

« Un dossier personnel est constitué pour chaque individu détenu ou interné dès qu'il est écroué. Le dossier suit l'intéressé à chaque transfert et est conservé dans les archives de l'établissement pénitentiaire par lequel l'individu détenu ou interné est remis en liberté. Le ministère est informé de la conservation du dossier.

Les références de ce dossier personnel comprennent les données d'état civil, les empreintes digitales, la photographie et tout autre élément nécessaire à l'identification précise de la personne. »

De la lecture du paragraphe 5 du même article, il ressort que la constitution d'un dossier personnel concerne également les personnes placées en détention provisoire.

21.  La loi no 121 du 1er avril 1981 porte sur la nouvelle organisation de la sécurité publique. Les dispositions pertinentes de cette loi se lisent ainsi :

Article 6 – Coordination et direction des forces de police

« Afin de mettre en œuvre les directives établies par le ministre de l'Intérieur dans l'exercice des fonctions de coordination et de direction unitaire en matière d'ordre et de sécurité publique, le département de la sécurité publique exécute les tâches suivantes :

a)  classement, analyse et évaluation des informations et des données devant être fournies également par les forces de police en matière de protection de l'ordre et de la sécurité publique, de prévention et de répression de la criminalité, et diffusion aux services opérationnels des forces de police précitées ;

(...) »

Article 7 – Nature et quantité des données et informations collectées

« Les informations et données mentionnées à l'article 6, alinéa a), doivent se rapporter à des renseignements tirés soit de documents qui d'une façon ou d'une autre sont conservés par l'administration publique ou par des services publics, soit de jugements ou de décisions de l'autorité judiciaire, soit de documents relatifs à l'instruction pénale et disponibles aux termes de l'article 165 ter du code de procédure pénale, ou d'enquêtes de police.

Dans tous les cas, il est interdit de collecter des informations et des données sur un citoyen du seul fait de sa race, de sa religion, de ses opinions politiques ou de son adhésion aux principes d'un mouvement syndical, coopératif, caritatif, culturel, ainsi que du fait de l'activité légitime qu'il exerce en tant que membre d'une organisation œuvrant légalement dans l'un des domaines précités.

(...) »

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

22.  La requérante se plaint que la diffusion de sa photographie, à l'occasion de la conférence de presse organisée par le parquet et la garde des finances, ait enfreint son droit au respect de la vie privée. Elle invoque l'article 8 de la Convention ainsi libellé :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

23.  Le grief originel de la requérante portait également sur la diffusion, pendant ladite conférence de presse, d'informations la concernant (partie du grief que la Cour a déclarée irrecevable le 4 septembre 2003 – paragraphe 5 ci-dessus). Le Gouvernement avait présenté des observations sans faire de distinction entre les informations fournies et la communication de la photographie. Ces observations peuvent se résumer ainsi, même si elles ne portent pas spécifiquement sur la diffusion de la photographie.

Le Gouvernement rappelle que le droit de la requérante au respect de sa vie privée trouve une limitation dans le droit du public à être informé ainsi que dans le but que constitue la prévention d'autres infractions pénales. Il souligne que l'article 10 de la Convention garantit les libertés d'opinion et de presse. Celles-ci ne rencontrent une limite que lorsque l'inculpé subit un « procès dans la presse » (Sunday Times c. Royaume-Uni (no 1), arrêt du 26 avril 1979, série A no 30, pp. 38-39, § 63). Quant au second aspect, le Gouvernement affirme qu'en l'espèce il y a lieu de tenir compte de la nature des infractions pour lesquelles la requérante avait été accusée – et par la suite condamnée –, infractions qui étaient liées notamment à la gestion d'une école et lésaient les intérêts de la collectivité. Partant, les faits à l'origine des poursuites, qui ne concernaient pas strictement la vie privée de la requérante, constituaient des éléments que la communauté avait intérêt à connaître.

En conclusion, d'après le Gouvernement, il n'y a pas eu violation de la disposition invoquée.

24.  La requérante réfute la thèse du Gouvernement. Elle soutient que cette ingérence n'était ni prévue par la loi ni nécessaire pour l'un des buts indiqués au paragraphe 2 de l'article 8. En effet, les faits étaient ignorés du public, qui n'avait donc aucun intérêt à en être informé ni à connaître la progression de l'enquête. Quoi qu'il en soit, donner à la presse sa photographie, extraite du dossier, ne se justifiait nullement à ses yeux. La prétendue absence de jugement formel de culpabilité de la part de l'autorité judiciaire serait contredite par le contenu des articles écrits à l'issue de la conférence de presse.

25.  Quant aux éléments divulgués à l'occasion de la conférence de presse, la requérante conteste l'existence d'un intérêt du public à en prendre connaissance et revendique leur caractère privé. Malgré la gravité des délits, les informations relatives à la procédure pénale, et surtout la photographie prise par les enquêteurs au moment de l'arrestation, auraient dû rester secrètes. L'intéressée fait remarquer à la Cour que le Gouvernement n'a pas donné d'explications quant à la remise de la photographie aux organes de presse.

26.  La Cour note que le Gouvernement n'a pas contesté que la photographie publiée avait été prise lors de la constitution du dossier, au moment de l'arrestation de la requérante, et donnée à la presse par la garde des finances.

27.  En ce domaine, la Cour s'est déjà penchée sur la publication de photographies concernant des personnages publics (Von Hannover c. Allemagne, no 59320/00, § 50, CEDH 2004-VI) ou des personnalités politiques (Schüssel c. Autriche (déc.), no 42409/98, 21 février 2002). Après avoir conclu que la publication de photographies relevait de la vie privée, elle a examiné la question du respect par l'Etat défendeur des obligations positives qui lui incombent en la matière lorsque la publication ne tire pas son origine d'une activité ou d'une collaboration des organes de l'Etat.

28.  La présente affaire se différencie de celles déjà traitées, la requérante n'étant pas une personne qui agissait dans un contexte public (personnage public ou personnalité politique) mais une personne qui faisait l'objet de poursuites pénales. En outre, la photographie publiée, prise pour les besoins d'un dossier officiel, avait été fournie à la presse par la garde des finances (paragraphes 16 et 26 ci-dessus).

De ce fait, conformément à sa jurisprudence, la Cour se doit de rechercher si l'Etat défendeur a respecté son obligation de non-ingérence dans le droit au respect de la vie privée de la requérante. Elle se doit de vérifier s'il y a eu en l'espèce une ingérence dans ledit droit et, dans l'affirmative, si cette ingérence a satisfait aux trois conditions posées par le paragraphe 2 de l'article 8 : être « prévue par la loi », viser un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 de ladite disposition et être « nécessaire, dans une société démocratique », pour les atteindre.

29.  Sur l'existence d'une ingérence, la Cour rappelle que la notion de vie privée comprend des éléments se rapportant au droit à l'image d'une personne et que la publication d'une photographie relève de la vie privée (Von Hannover, précité, §§ 50-53). Elle a également donné des indications quant à l'étendue de la sphère de la vie privée et constaté qu'il existe « une zone d'interaction entre l'individu et des tiers qui, même dans un contexte public, peut relever de la « vie privée » (ibidem). Le caractère de « personne ordinaire » de la présente requérante élargit cette zone d'interaction susceptible de relever de la vie privée, et le fait que l'intéressée était l'objet de poursuites pénales ne saurait restreindre le champ de cette protection.

En conséquence, la Cour conclut qu'il y a eu ingérence.

30.  En ce qui concerne le respect de la condition selon laquelle l'ingérence doit être « prévue par la loi », la Cour constate que la requérante a contesté l'observation de cette condition sans être démentie par le Gouvernement.

Sur la base des informations dont elle dispose, la Cour estime que la matière n'était pas régie par une « loi » répondant aux critères fixés par la jurisprudence de la Cour, mais plutôt par une pratique. En outre, la Cour note que l'exception au secret des actes des investigations préliminaires prévue à l'article 329 § 2 du code de procédure pénale concerne la seule hypothèse de la publication d'un acte d'enquête pour les besoins de la continuation de celle-ci. Or cela n'était pas le cas en l'espèce.

La Cour arrive donc à la conclusion qu'il n'a pas été démontré devant elle que l'ingérence était prévue par la loi.

Ce constat suffit à la Cour pour conclure à la violation de l'article 8. Par conséquent, il n'y a pas lieu de rechercher si l'ingérence en question poursuivait un « but légitime » ou était « nécessaire, dans une société démocratique », pour l'atteindre (M. c. Pays-Bas, no 39339/97, § 46, 8 avril 2003).

31.  En conclusion, il y a eu violation de l'article 8 de la Convention.

II.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

32.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

33.  La requérante réclame 25 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel. Elle justifie sa demande en arguant que la publication de sa photographie l'aurait empêchée de trouver un travail et que ce dédommagement devrait compenser cette perte de chance. Par ailleurs, l'intéressée sollicite 15 000 EUR au titre du préjudice moral.

34.  Le Gouvernement ne présente pas de commentaires.

35.  Au sujet du préjudice matériel, la Cour constate que la requérante n'a démontré ni l'existence de ce dommage, ni, a fortiori, l'existence d'un quelconque lien de causalité avec la violation constatée. En conséquence, cette demande doit être rejetée.

Quant au préjudice moral, la Cour estime que, dans les circonstances de l'espèce, le constat de violation représente en soi une satisfaction équitable suffisante.

B.  Frais et dépens

36.  La requérante demande 14 932,80 EUR pour frais et dépens. Cette somme comprend la taxe sur la valeur ajoutée ainsi que la cotisation en faveur de la caisse de prévoyance des avocats.

37.  Le Gouvernement ne présente pas de commentaires.

38.  La Cour rappelle que l'allocation de frais et dépens au titre de l'article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité, de même que le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000‑XI). En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (Van de Hurk c. Pays-Bas, arrêt du 19 avril 1994, série A no 288, p. 21, § 66).

La Cour relève que la violation constatée ne concerne qu'un grief parmi d'autres qui ont été déclarés irrecevables.

39.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce, compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 3 500 EUR pour la procédure devant la Cour et l'accorde à la requérante.

C.  Intérêts moratoires

40.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 8 de la Convention ;

2.  Dit

a)  que l'Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 3 500 EUR (trois mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;

b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

3.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 11 janvier 2005, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Michael O'Boyle Nicolas Bratza
 Greffier Président

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