CEDH, Cour (troisième section), AFFAIRE PETRINA c. ROUMANIE, 14 octobre 2008, 78060/01

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Chronologie de l’affaire

Commentaires4

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Troisième Section), 14 oct. 2008, n° 78060/01
Numéro(s) : 78060/01
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Abeberry c. France (déc.) no 58729/00, 21 septembre 2004
Chauvy et autres c. France, no 64915/01, §§ 69, 70, in fine, CEDH 2004-VI
Constantinescu c. Roumanie, no 28871/95, § 73, CEDH 2000-VIII
Cumpana et Mazare c. Roumanie [GC], no 33348/96, §§ 98-101, CEDH 2004-XI
C.V. Tudor c. Roumanie (déc.) no 6928/04, 15 juin 2006
Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, § 49, Recueil, 1999-VI
Earl Spencer and Countess Spencer c. Royaume Uni (dec.), nos 28851/95 et 28852/95, 16 janvier 1998
Emre c. Suisse, no 42034/04, § 99, 22 mai 2008
Fayed and the House of Fraser Holdings plc c. Royaume Uni, no 17101/90, décision de la Commission du 15 mai 1992
Feldek c. Slovakie, no 20032/95, §§ 74, 86, CEDH 2001-VIII
Bladet Tromsø et Stensaas c. Norvège ([GC], no 21980/93, §§ 68-72, CEDH 1999-III
Gunnarsson c. Islande, (déc.), no 4591/04, 20 octobre 2005
Iliya Stefanov c. Bulgarie, no 67755/01, § 92, 22 mai 2008
Ivanciuc c. Roumanie, (déc.), no 18624/03, 8 septembre 2005
Leempoel & S.A. ED Ciné Revue c. Belgique, no 64772/01, § 67, 9 novembre 2006
Lešník c. Slovaquie, no 35640/97, § 57 in fine, CEDH 2003-IV
Lingens c. Autriche, 8 juillet 1986, § 46, série A no 103
Minelli c. Suisse, (déc.), no 14991/02, 14 juin 2005
Nikula c. Finlande, no 31611/96, §§ 51-52, CEDH 2002-II
Perna c. Italie [GC], no 48898/99, § 47, CEDH 2003-V
Pfeifer c. Autriche, no 12556/03, §§ 35, 37, in fine, 15 novembre 2007
Rotaru c. Roumanie ([GC], no 28341/95, § 32, CEDH 2000-V
Schüssel c. Autriche (déc.), no 42409/98, 21 février 2002
Vides Aizsardzibas Klubs c. Lettonie, no 57829/00, § 44, 27 mai 2004
Von Hannover c. Allemagne [GC], no 59320/00, §§ 50, 53, 56, 70, CEDH 2004-VI
White c. Suede, no 42435/08, §§ 19 et 30, 19 septembre 2006
Ždanoka c. Lettonie (déc.), no 58278/00, 6 mars 2003
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Exception préliminaire rejetée (ratione materiae) ; Violation de l'art. 8 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - réparation
Identifiant HUDOC : 001-88963
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2008:1014JUD007806001
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Sur les parties

Texte intégral

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE PETRINA c. ROUMANIE

(Requête no 78060/01)

ARRÊT

STRASBOURG

14 octobre 2008

DÉFINITIF

06/04/2009

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Petrina c. Roumanie,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Corneliu Bîrsan,
Boštjan M. Zupančič,
Egbert Myjer,
Ineta Ziemele,
Luis López Guerra,
Ann Power, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 23 septembre 2008,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 78060/01) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Liviu Petrina (« le requérant »), a saisi la Cour le 16 janvier 2001 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. R.-H. Radu, du ministère des Affaires étrangères.

3.  Le 21 janvier 2003, la Cour a déclaré la requête partiellement irrecevable et a décidé de communiquer le grief tiré de l’article 8 de la Convention au Gouvernement. Le 15 novembre 2007, se prévalant des dispositions de l’article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4.  Le requérant est né en 1940 et réside à Bucarest.

5.  Le 7 octobre 1997, lors d’une émission télévisée (« Starea de veghe ») ayant pour sujet le projet de la loi concernant l’accès aux informations détenues par les archives des anciens services de sûreté de l’Etat (« la Securitate »), C.I. (journaliste à l’hebdomadaire Caţavencu) affirma, entre autres, que dans la cadre du Parti national paysan (« P.N.T. ») il y aurait des anciens agents de ce service. Il affirma également qu’il s’agissait de « faux héros », d’« agents de la Securitate » qui auraient fait de la prison pour « autre chose » et qui prétendaient être d’« anciens détenus politiques ». Il donna comme exemple le nom du requérant. Une transcription des passages pertinents de cette émission a été versée au dossier.

6.  Le 27 octobre 1997, dans l’hebdomadaire Caţavencu, fut publié par C.I. un article intitulé « Les faits hallucinants du secrétaire d’État Grigore l’Impénétrable » (« Halucinantele fapte ale secretarului de stat Indescifrabil Grigore ») dans lequel le requérant figurait comme ancien secrétaire d’État au ministère des Affaires étrangères, ayant le grade de « capitaine dans la Securitate », étant aussi « une taupe » dans le P.N.T. Copie de cet article a été versée au dossier.

7.  Le 5 novembre 1997, le requérant déposa une plainte pénale avec constitution de partie civile devant le tribunal de première instance du premier arrondissement de Bucarest, à l’encontre de C.I., pour insulte et diffamation. Le requérant dénonçait comme diffamatoires les affirmations de C.I. lors de l’émission télévisée du 7 octobre 1997, selon lesquelles il serait un ancien agent de Securitate, « infiltré illégalement dans le Parti national paysan », ainsi que les affirmations contenues dans l’article de presse publié le 27 octobre 1997 dans l’hebdomadaire Caţavencu, selon lesquelles il était un « capitaine dans la Securitate » et « une taupe dans le Parti national paysan ».

8.  Le 30 mars 2000, le tribunal de première instance du premier arrondissement de Bucarest acquitta C.I. et rejeta les demandes civiles du requérant. Le tribunal, après avoir constaté que C.I. était l’auteur des affirmations prétendument diffamatoires, estima qu’elles n’avaient qu’un caractère « général, imprécis et qu’en conséquence les infractions n’existaient pas, en raison de l’absence d’élément intentionnel ». Le tribunal jugea que l’hebdomadaire Caţavencu était une publication avec un rôle moralisateur et humoristique. Le requérant se pourvut en recours (recurs) contre ce jugement.

9.  Par un arrêt du 18 juillet 2000, le tribunal départemental de Bucarest rejeta le recours du requérant comme mal fondé. Le tribunal estima que les affirmations de C.I. constituaient « des jugements de valeur qui dérivaient de la liberté d’opinion et de son droit de communiquer des idées ». Le tribunal invoqua l’affaire Lingens c. Autriche (arrêt du 8 juin 1986), dans laquelle une distinction est faite entre les « faits » et « les jugements de valeur », les faits pouvant être prouvés, à la différence des jugements. Le tribunal souligna ensuite l’importance de l’application directe de la Convention en droit interne, notamment dans la pratique interne. Le tribunal rappela que, sous réserve du paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention, la liberté d’expression vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui « heurtent, choquent ou inquiètent ». Quant à la presse, il souligna que celle-ci ne doit pas dépasser les limites du droit à une bonne réputation, mais qu’elle a comme tâche de transmettre aux citoyens des informations et des idées. Cette liberté est d’autant plus importante chaque fois que la presse communique des informations sur la vie politique et les politiciens. Enfin, le tribunal, citant l’affaire Lingens, nota que « l’homme politique en bénéficie lui aussi, même quand il n’agit pas dans le cadre de sa vie privée, mais en pareil cas les impératifs de cette protection doivent être mis en balance avec les intérêts de la libre discussion des questions politiques. »

10.  Le 13 janvier 1998, le requérant déposa à l’encontre de M.D., journaliste à Caţavencu, une plainte pénale avec constitution de partie civile, pour insulte et diffamation. Il fit valoir que celui-ci, dans un article publié sous sa signature, avait affirmé que le requérant était « major dans la Securitate » et que, par son intermédiaire, les membres du P.N.T. avaient prétendu être les « vrais » parlementaires pendant le Parlement provisoire de 1990.

11.  Par jugement du 27 janvier 2000, le tribunal de première instance du premier arrondissement de Bucarest acquitta M.D. des chefs d’insulte et diffamation et rejeta les demandes civiles du requérant. Le tribunal motiva ce jugement par l’absence, dans les propos litigieux, d’imputation au requérant d’un « fait déterminé, individualisé par des détails circonstanciés ». Le tribunal constata aussi que l’inculpé était pamphlétaire, l’article en cause ayant également un tel caractère, et que « les conséquences de ce type de pamphlet étaient toujours bénéfiques pour la société ».

12.  Le requérant forma un pourvoi en recours contre ce jugement, qui fut rejeté par arrêt du 18 juillet 2000 du tribunal départemental de Bucarest, celui-ci reprenant le même raisonnement.

13.  Le 14 décembre 2004, le requérant a versé au dossier une attestation de la part du conseil national pour l’étude des archives du Département de la Sécurité de l’État « Securitate », indiquant que le requérant ne figurait pas parmi les personnes ayant collaboré avec les organes de Securitate.

II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

14.  Les dispositions pertinentes du code pénal roumain, telles que rédigées à l’époque des faits, se lisaient ainsi :

INFRACTIONS CONTRE LA DIGNITÉ

Article 205 - L’insulte

« L’atteinte à l’honneur ou à la réputation d’une personne par des mots, gestes ou tout autre moyen, ou par l’exposition de celle-ci à la moquerie, sera punie d’une peine d’emprisonnement d’un mois à deux ans ou d’une amende (...)

Le parquet peut être saisi par une plainte émanant de la victime (...) »

Article 206 - La diffamation

« L’affirmation ou l’imputation en public d’un certain fait concernant une personne, fait qui, s’il était vrai, exposerait cette personne à une sanction pénale, administrative ou disciplinaire, ou au mépris public, sera punie d’une peine d’emprisonnement de trois mois à un an ou d’une amende. »

Article 207 - La preuve de la vérité

« La preuve de la vérité des affirmations ou des imputations peut être accueillie si l’affirmation ou l’imputation ont été commises pour la défense d’un intérêt légitime. Les agissements au sujet desquels la preuve de la vérité a été faite ne constituent pas l’infraction d’insulte ou de diffamation. »

15.  Le code pénal a été modifié en profondeur en 2004 par la loi no 301/2004 dont l’entrée en vigueur n’est prévue que pour le 1er septembre 2008. Le nouveau texte relatif à la diffamation est ainsi libellé :

« L’affirmation ou l’imputation en public par tout moyen d’un certain fait concernant une personne, fait qui, s’il était vrai, exposerait cette personne à une sanction pénale, administrative ou disciplinaire, ou au mépris public, est punie de 10 à 200 jours d’amende.

(...) »

16.  Le code pénal a été modifié et complété par la loi no 160 du 30 mai 2005 portant approbation de l’ordonnance d’urgence du gouvernement no 58 du 23 mai 2002, publiée au Journal officiel no 470 du 2 juin 2005.

L’article unique de cette ordonnance se lit comme suit :

« (...)

A. article I point 2 : l’alinéa premier de l’article 206 aura le libellé suivant :

L’affirmation ou l’imputation en public par tout moyen d’un certain fait concernant une personne, fait qui, s’il était vrai, exposerait cette personne à une sanction pénale, administrative ou disciplinaire, ou au mépris public, est punie d’une amende de 2 500 000 ROL à 130 000 000 ROL. (...) »

17.  La loi no 178 du 4 juillet 2006 portant modification du code pénal et d’autres lois a abrogé les articles 205 à 207 du code.

18.  Les dispositions relatives à l’accès des citoyens à leur dossier personnel tenu par la Securitate et visant à démasquer le caractère de police politique de cette organisation, peuvent se résumer comme suit :

a)  Loi no 187/1999, publiée le 9 décembre 1999 au Journal officiel (Monitorul Oficial). Un résumé des dispositions pertinentes de cette loi figure dans l’arrêt Rotaru c. Roumanie ([GC], no 28341/95, § 32, CEDH 2000-V).

b)  Ordonnance d’urgence du gouvernement (« O.U.G. ») no 16/2006 pour la modification de la loi no 187/1999, publiée dans le Journal officiel du 27 février 2006. Cette ordonnance avait pour but de remédier aux difficultés apparues dans l’application de la loi no 187/1999.

c)  Décision no 51/2008 de la Cour constitutionnelle, publiée le 2 février 2008 dans le Journal Officiel. Cette décision déclare la loi no 187/1999, telle que modifiée par l’ordonnance no 16/2006, inconstitutionnelle. Les juges de la Cour constitutionnelle ont estimé que l’activité du Conseil national pour l’étude des archives de la Securitate (« C.N.S.A.S. ») était de nature juridictionnelle, ce qui en faisait une instance extraordinaire, prohibée par la Constitution roumaine (art. 125, alinéa 5). Les motifs de la décision insistent entre autres sur l’absence, dans la procédure devant le C.N.S.A.S., des garanties d’un procès équitable.

d)  Ordonnance d’urgence du Gouvernement (« O.U.G. ») no 24/2008 concernant l’accès aux informations contenues dans les dossiers de la Securitate. Cette ordonnance a pour but de trouver une solution suite à la situation créée par la décision de la Cour constitutionnelle et de transformer le C.N.S.A.S. en entité administrative autonome, sans aucune attribution juridictionnelle.

e)  Règlement d’organisation et fonctionnement du C.N.S.A.S., publié dans le Journal officiel du 18 avril 2008. Ce règlement régit l’organisation et le fonctionnement du C.N.S.A.S. en tant qu’entité administrative autonome, sous le contrôle du Parlement.

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

19.  Invoquant l’article 10 de la Convention, le requérant se plaint en substance de ce qu’il a subi une atteinte au droit à une bonne réputation et au droit à l’honneur en raison des affirmations de C.I. lors de l’émission télévisée du 7 octobre 1997 et le 27 octobre 1997 dans la revue Caţavencu. Il invoque les mêmes griefs en ce qui concerne les affirmations de M.D. du 13 janvier 1998 dans l’hebdomadaire Caţavencu. La Cour rappelle d’abord qu’elle est maîtresse de la qualification juridique des faits soumis à son examen. Elle a par ailleurs jugé dans le passé que le droit à la protection de la réputation est un droit qui relève, en tant qu’élément de la vie privée, de l’article 8 de la Convention (voir Chauvy et autres c. France, no 64915/01, § 70, in fine, CEDH 2004-VI). L’article 8 de la Convention se lit comme suit :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A.  Sur la recevabilité

i)  Observation préliminaire

20.  Le Gouvernement exprime des doutes quant à la date d’introduction de la requête, sans toutefois soulever une exception en ce sens. Il affirme qu’il n’y aurait aucune preuve concernant la date d’introduction de la requête et demande à la Cour de lui confirmer si le délai de six mois, tel que prévu à l’article 35 §1 de la Convention, a été respecté en l’espèce.

21.  Le requérant indique que la date d’introduction de la requête est le 16 janvier 2001, date d’envoi de sa première lettre à la Cour, information disponible également dans la cadre de la décision partielle sur la recevabilité de l’affaire, du 21 janvier 2003. Il considère que sa requête a été introduite dans le délai légal prévu à l’article 35 § 1 de la Convention.

22.  La Cour rappelle, comme dans sa décision du 21 janvier 2003 sur la recevabilité de l’affaire, que la présente requête a été introduite le 16 janvier 2001 (date de la première lettre du requérant), et que les décisions internes définitives datent du 18 juillet 2000. Par conséquent, le délai de six mois prévu à l’article 35 § 1 de la Convention a été respecté.

ii)  Sur l’exception d’incompatibilité ratione materiae soulevée par le Gouvernement

23.  Le Gouvernement considère que les affirmations que le requérant dénonce comme diffamatoires ne sont pas de nature à affecter sa vie privée et demande à la Cour de rejeter ce grief pour incompatibilité ratione materiae avec la Convention. Selon le Gouvernement, l’appartenance ou non du requérant à la Securitate concerne surtout des aspects de la vie publique et non privée de celui-ci. Le fait d’intégrer ou collaborer avec cette organisation, représente, selon le Gouvernement, une manifestation de volonté de la part du requérant similaire à l’adhésion à une association, un parti politique, ou toute autre activité qui sort du champ de la vie privée. D’après le Gouvernement, au moment des faits, l’appartenance d’une personne aux services de la Securitate pouvait être vérifiée en vertu de la loi no 14 du 3 mars 1992 sur l’organisation et fonctionnement du service roumain de renseignements (consultation de documents secrets après l’accord préalable du directeur du Service).

24.  Le Gouvernement considère que les affirmations des journalistes étaient exprimées dans le cadre d’un débat public concernant la nomination du requérant, personnage politique connu, à un poste au sein du ministère des Affaires étrangères. Le Gouvernement reconnaît que les affirmations litigieuses peuvent représenter une ingérence dans le droit au respect de la réputation du requérant, mais sans que cela puisse constituer une atteinte au droit au respect de sa vie privée. Il invoque a contrario l’affaire Earl Spencer and Countess Spencer c. Royaume Uni ((dec.), nos 28851/95 et 28852/95, 16 janvier 1998). Le Gouvernement rappelle qu’en cas de conflit entre la liberté d’expression et la réputation, la Cour ne saurait leur accorder le même poids, la liberté de la presse étant plus importante, surtout quand sont concernés des hommes politiques. Enfin, le Gouvernement affirme que, si la vie privée d’une personne pourrait éventuellement être mise en cause par la révélation de faits réels et concernant des aspects n’ayant pas vocation à être révélés publiquement, en l’espèce il s’agissait de faux propos qui ne peuvent pas porter préjudice au requérant car ils ne concernaient pas des aspects liés à sa vie privée.

25.  Le Gouvernement estime qu’il s’agit en l’espèce d’un conflit entre particuliers, concernant des informations sur le passé du requérant, ni secrètes, ni confidentielles, portant sur la vie publique de celui-ci. D’après le Gouvernement, la présente affaire est différente de l’affaire Rotaru précitée et présente une situation similaire à celle de l’affaire Ždanoka c. Lettonie ((déc.), no 58278/00, 6 mars 2003) (usage d’informations publiques sur la coopération des requérants, politiciens, avec les anciens régimes communistes).

26.  Le requérant considère que l’approche suggérée par le Gouvernement selon laquelle « l’adhésion à la Securitate » serait similaire à l’adhésion à une association ou parti politique, serait abusive. Il insiste sur le fait que les tribunaux roumains ont manqué à leur devoir de protéger le droit du requérant au respect de sa vie privée. Selon le requérant, après la chute du régime communiste en 1989, la Securitate était comparée aux groupes mortifères nazis. Il considère que le régime qui a suivi la chute du communisme a empêché l’accès aux dossiers détenus par la Securitate afin de pouvoir exercer une certaine confusion et manipuler l’opinion publique. Dans ses observations en réponse à celles formulées par le Gouvernement, sur la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire, le requérant demande à la Cour d’ordonner au Gouvernement roumain de clarifier sa situation concernant l’appartenance à la Securitate. Il ajoute qu’il ne s’agit pas d’un conflit entre particuliers, comme le Gouvernement l’affirme, car C.I. et M.D. défendraient les intérêts d’un certain parti politique. Enfin, le requérant fait référence à l’attestation de la part du C.N.S.A.S. qui prouve qu’il n’avait pas été identifié comme un agent ou collaborateur de la Securitate.

27.  La Cour rappelle que la notion de vie privée comprend des éléments se rapportant à l’identité d’une personne tels que son nom, sa photo, son intégrité physique et morale ; la garantie offerte par l’article 8 de la Convention est principalement destinée à assurer le développement, sans ingérences extérieures, de la personnalité de chaque individu dans les relations avec ses semblables. Il existe donc une zone d’interaction entre l’individu et des tiers qui, même dans un contexte public, peut relever de la « vie privée » (voir Von Hannover c. Allemagne [GC], no 59320/00, § 50, CEDH 2004-VI). La Cour a conclu que la publication d’une photo interfère avec la vie privée d’une personne même si cette personne est une personne publique (Schüssel c. Autriche (déc.), no 42409/98, 21 février 2002, et Von Hannover précitée, § 53).

28.  Dans la présente affaire il s’agit de deux publications et d’une émission télévisée susceptibles d’affecter la réputation du requérant. Or, la Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, le droit à la protection de la réputation est un droit qui relève, en tant qu’élément de la vie privée, de l’article 8 de la Convention (voir Abeberry c. France (déc.) no 58729/00, 21 septembre 2004 et Leempoel & S.A. ED Ciné Revue c. Belgique, no 64772/01, § 67, 9 novembre 2006). Dans l’affaire Chauvy précitée (qui concernait une atteinte à la liberté d’expression), la Cour a jugé que la réputation d’une personne, affectée par la publication d’un livre, était protégée par l’article 8 de la Convention et que sa tâche était de vérifier si les autorités ont ménagé un juste équilibre dans la protection de deux valeurs garanties par la Convention (articles 8 et 10) et qui peuvent se trouver en conflit dans ce type d’affaires.

29.  Qu’il s’agisse de la publication d’un rapport par les autorités de l’Etat, dans le cas d’une enquête concernant l’activité commerciale de la société des requérants (voir Fayed and the House of Fraser Holdings plc c. Royaume Uni, no 17101/90, décision de la Commission du 15 mai 1992), ou de la publication d’une série d’articles accusant le requérant de meurtre (voir White c. Suede, no 42435/08, §§ 19 et 30, 19 septembre 2006), ou de l’utilisation d’un terme diffamatoire, accompagné par une photographie du requérant, publié dans un magazine hebdomadaire (voir Minelli c. Suisse, (déc.), no 14991/02, 14 juin 2005), la Cour confirme la protection du droit à la réputation d’une personne par l’article 8 de la Convention, comme une partie intégrante du droit au respect de la vie privée. Dans une autre affaire, la question de la protection du droit au respect de réputation par l’article 8 de la Convention a été laissé ouverte (voir Gunnarsson c. Islande, (déc.), no 4591/04, 20 octobre 2005). Enfin, dans l’affaire Pfeifer c. Autriche (no 12556/03, § 35, in fine, 15 novembre 2007), la Cour a jugé que la réputation d’une personne représente une partie de son identité personnelle et psychique, qui relèvent de sa vie privée, même dans le cadre d’une critique dans le contexte d’un débat public. Par conséquent, l’article 8 trouve d’application en l’espèce. Il s’ensuit que l’exception préliminaire du Gouvernement doit être rejetée.

30.  La Cour constate ensuite que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B.  Sur le fond

31.  Le Gouvernement considère qu’une éventuelle application de l’article 8 de la Convention, en l’espèce, entrainerait un conflit entre deux droits fondamentaux garantis par la Convention, le droit au respect de la vie privée et la liberté d’expression. Chacun de ces droits serait susceptible, selon le Gouvernement, de limiter l’exercice de l’autre et d’être lui-même limité. Il estime qu’en l’espèce, le droit à la protection de la réputation se heurte à la liberté d’expression. Le gouvernement rappelle l’importance de la marge d’appréciation de l’Etat, tant sur le terrain de l’article 8 que sur celui de l’article 10 de la Convention.

32.  Le Gouvernement estime qu’une éventuelle condamnation des journalistes aurait été contraire aux dispositions de l’article 10 de la Convention. D’après lui, il est incontestable qu’en l’espèce il s’agissait d’un débat d’intérêt public, à savoir l’intérêt de connaître les collaborateurs de l’ancien régime et d’éviter que ces personnes occupent des postes dans la nouvelle démocratie instaurée. C’est le cas du requérant, qui se portait candidat à un poste de Secrétaire d’Etat dans le ministère des Affaires étrangères. Cela justifierait, selon le Gouvernement, le caractère factuel des affirmations. Le Gouvernement considère qu’il incombait au requérant de prouver le contraire, situation dans laquelle les tribunaux internes auraient alors pu condamner les journalistes pour diffamation. En ce qui concerne les obligations positives découlant de l’article 8 de la Convention, selon le Gouvernement, le système judiciaire devrait offrir au requérant une voie de recours afin d’obtenir redressement de la violation alléguée ; or, en l’espèce, le requérant a bénéficié de la possibilité de déposer plainte pour diffamation, ce qui a été relevé par les tribunaux internes ; et, par ailleurs, comme la Cour l’a constaté lors de sa décision sur la recevabilité du 21 janvier 2003, la procédure litigieuse a revêtu un caractère équitable.

33.  Le requérant affirme n’avoir jamais travaillé pour la Securitate. D’après lui, il appartenait aux autorités nationales de mener des recherches afin de savoir si lesdites affirmations correspondaient à la réalité. A ce sujet, il estime que les autorités ont refusé de permettre l’accès des intéressés aux informations contenues dans les dossiers de la Securitate, afin de manipuler l’opinion publique et calomnier les membres de l’opposition, dont il faisait partie. Selon lui, il ne s’agissait pas d’entraver l’exercice de la liberté d’expression mais seulement d’apporter certaines limites aux affirmations diffamatoires qui avaient porté préjudice à son droit au respect de sa réputation. Il renvoie aux observations du Gouvernement, selon lesquelles les affirmations des journalistes avaient un caractère factuel, ce qui contredit la motivation retenue par les tribunaux internes et confirme sa thèse.

34.  La Cour note que le requérant ne se plaint pas d’un acte de l’Etat, mais d’une absence de protection suffisante de sa réputation de la part de celui-ci.

35.  La Cour réitère que si l’article 8 a essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se limite pas à commander à l’Etat de s’abstenir de pareilles ingérences : à cet engagement négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes au respect effectif de la vie privée ou familiale. Elles peuvent nécessiter l’adoption de mesures visant au respect de la vie privée jusque dans les relations des individus entre eux. La frontière entre les obligations positives et négatives de l’Etat au regard de l’article 8 ne se prête pas à une définition précise ; les principes applicables sont néanmoins comparables. En particulier, dans les deux cas, il faut prendre en compte le juste équilibre à ménager entre l’intérêt général et les intérêts de l’individu, l’État jouissant en toute hypothèse d’une marge d’appréciation (voir Pfeifer précitée, § 37).

36.  En l’espèce, il incombe à la Cour de déterminer si l’Etat, dans le contexte des obligations positives découlant de l’article 8 de la Convention, a ménagé un juste équilibre dans la protection du droit du requérant à la réputation, élément intégrant du droit à la protection de la vie privée, et de la liberté d’expression protégée par l’article 10 (voir, entre autres Von Hannover précitée, § 70).

37.  La Cour observe que les affirmations du journaliste C.I., lors de l’émission télévisée du 7 octobre 1997, contenaient des propos directs concernant la collaboration du requérant avec la Securitate. L’article de presse publié le 27 octobre 1997 par le même journaliste renforçait les mêmes propos. A cette occasion, C.I. ne mettait pas en doute la qualité du requérant d’agent de Securitate, lui attribuant même un grade supérieur dans la hiérarchie des anciens services secrets (voir §§ 5 et 6 ci-dessus). L’article du 13 janvier 1998, publié par M.D., concernait le même sujet et contenait des propos similaires (voir § 10 ci-dessus). La Cour considère que, bien qu’il y ait eu trois épisodes différents, les propos litigieux s’inscrivaient dans le cadre du même débat et faisaient partie d’une campagne de presse dirigée contre le requérant.

38.  La Cour rappelle que la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique et que cette liberté vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de « société démocratique ». La presse joue un rôle essentiel dans une société démocratique : si elle ne doit pas franchir certaines limites, s’agissant notamment de la protection de la réputation et des droits d’autrui, il lui incombe néanmoins de communiquer, dans le respect de ses devoirs et responsabilités, des informations et des idées sur toutes les questions d’intérêt général. La liberté journalistique comprend aussi le recours possible à une certaine dose d’exagération, voire de provocation (voir Von Hannover précitée, § 56).

39.  Dans ce contexte, la Cour estime que l’obligation positive découlant de l’article 8 de la Convention doit entrer en jeu si les affirmations en cause dépassent les limites des critiques acceptables sous l’angle de l’article 10 de la Convention (cf. mutatis mutandis Chauvy précitée, § 70 in fine).

40.  La Cour rappelle de plus que l’article 10 § 2 de la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression dans le domaine du discours politique ou des questions d’intérêt général. En outre, les limites de la critique admissible sont plus larges à l’égard d’un homme politique, visé en cette qualité, que d’un simple particulier : à la différence du second, le premier s’expose inévitablement et consciemment à un contrôle attentif de ses faits et gestes tant par les journalistes que par la masse des citoyens ; il doit, par conséquent, montrer une plus grande tolérance (voir Feldek c. Slovakie, no 20032/95, § 74, CEDH 2001-VIII).

41.  Dans sa pratique, la Cour distingue entre faits et jugements de valeur. Si la matérialité des premiers peut se prouver, les seconds ne se prêtent pas à une démonstration de leur exactitude. Pour les jugements de valeur, cette exigence est irréalisable et porte atteinte à la liberté d’opinion elle-même, élément fondamental du droit garanti par l’article 10 (cf. Lingens précitée, p. 28, § 46, et Ivanciuc c. Roumanie, (déc.), no 18624/03, 8 septembre 2005).

42.  Il n’en demeure pas moins que le fait de mettre directement en cause des personnes déterminées implique l’obligation de fournir une base factuelle suffisante, et que même un jugement de valeur peut se révéler excessif s’il est totalement dépourvu de base factuelle (cf. Ivanciuc précitée et Cumpănă et Mazăre précitée (§§ 98-101)).

43.  La Cour estime que le sujet du débat en cause – l’adoption d’une législation permettant de dévoiler les noms des anciens collaborateurs de la Securitate – débat médiatisé et suivi avec attention par le grand public, représentait un intérêt majeur pour la société roumaine entière. La collaboration des hommes politiques avec cette organisation était une question sociale et morale très sensible dans le contexte historique spécifique de la Roumanie (voir mutatis mutandis C.V. Tudor c. Roumanie (déc.) no 6928/04, 15 juin 2006).

44.  La Cour estime que malgré le caractère satirique de l’hebdomadaire Caţavencu, les articles en cause étaient de nature à offenser le plaignant, puisqu’il n’y avait aucun indice concernant l’éventuelle appartenance de celui-ci à cette organisation. Elle note également que le message des articles litigieux était clair et direct, dépourvu de tout élément ironique ou humoristique.

45.  Si en vertu du rôle qui lui est dévolu la presse a effectivement le devoir d’alerter le public lorsqu’elle est informée de présumées malversations de la part d’élus locaux et de fonctionnaires publics, le fait de mettre directement en cause des personnes déterminées, en indiquant leurs noms et leurs fonctions, impliquait pour les journalistes en l’espèce l’obligation de fournir une base factuelle suffisante (Lešník c. Slovaquie, no 35640/97, § 57 in fine, CEDH 2003-IV ; Vides Aizsardzības Klubs c. Lettonie, no 57829/00, § 44, 27 mai 2004). Or, il ne s’agissait , en l’espèce, ni d’une question qui échappe à la catégorie des faits historiques clairement établis, ni d’un renseignement concernant le passé du requérant, divulgué par le requérant lui-même, ni de rapports officiels pouvant constituer une base pour la divulgation de certaines informations (voir a contrario Chauvy (§ 69), Feldek (§ 86) précitées, et Bladet Tromsø et Stensaas c. Norvège ([GC], no 21980/93, §§ 68-72, CEDH 1999-III).

46.  Lorsqu’on examine la teneur des propos litigieux, dans leur ensemble, il ressort qu’ils renfermaient des imputations factuelles et que les deux journalistes entendaient transmettre à l’opinion publique un message peu équivoque – à savoir que le requérant, personnage politique connu dans la nouvelle démocratie roumaine, avait détenu une position importante dans l’appareil de répression communiste, s’était « déguisé » après la Révolution de 1989 en défenseur de la démocratie (voir, mutatis mutandis, Cumpǎnǎ et Mazǎre, précitée, § 100 et Perna, précitée, § 47). La Cour est convaincue que les propos litigieux visaient directement la personne du requérant et non pas ses capacités professionnelles (voir a contrario et mutatis mutandis Nikula c. Finlande, no 31611/96, §§ 51-52, CEDH 2002-II).

47.  Dans ce contexte, et compte tenu du climat de terreur instauré par les agents des anciens services de renseignements, la Cour ne saurait partager l’opinion des tribunaux internes selon laquelle les affirmations de C.I. et M.D. avaient un caractère « général et indéterminé ». D’ailleurs, le Gouvernement ne conteste pas le caractère factuel des affirmations (voir § 31 ci-dessus).

48.  Dès lors, la Cour ne croit pas que l’on puisse voir là le recours à la « dose d’exagération » ou de « provocation » dont il est permis de faire usage dans le cadre de l’exercice de la liberté journalistique (Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, § 49, Recueil, 1999-VI). Selon elle, la présente affaire porte sur une présentation déformée de la réalité, dépourvue de toute base factuelle (voir, mutatis mutandis, Constantinescu c. Roumanie, no 28871/95, § 73, CEDH 2000-VIII).

49.  La Cour est d’avis qu’en l’espèce, les affirmations des deux journalistes ont franchi les limites acceptables, en accusant le requérant d’avoir fait partie d’un groupe de répression et de terreur utilisé par l’ancien régime comme instrument de police politique. A cela s’ajoute l’absence d’un cadre législatif permettant, à l’époque des faits, l’accès du public aux dossiers de la Securitate, situation qui ne saurait être imputable au requérant.

50.  Même si on admettait que les affirmations en cause puissent être considérées comme des jugements de valeur, la Cour considère qu’elles sont dépourvues de toute base factuelle. Il n’y avait aucun indice que le requérant ait travaillé en tant qu’agent de la Securitate ; et la réponse officielle du C.N.S.A.S., en 2004, a d’ailleurs confirmé l’absence de toute implication du requérant dans les structures de la Securitate (voir § 13
ci-dessus).

51.  Pour ce qui est de la jurisprudence Ždanoka précitée, invoquée par le Gouvernement défendeur, la Cour estime que le cas d’espèce est fondamentalement différent de l’affaire précitée. Ainsi, dans l’affaire invoquée, les informations entraînant l’inéligibilité de la requérante n’étaient ni secrètes, ni même confidentielles, puisqu’elles pouvaient être librement consultées aux archives publiques.

52.  Dans ces circonstances, la Cour n’est pas convaincue que les raisons avancés par les tribunaux internes afin de protéger la liberté d’expression étaient suffisantes pour primer face à la réputation du requérant. La Cour estime qu’il n’y avait pas un rapport de proportionnalité raisonnable entre les intérêts concurrents impliqués.

Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.

II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

53.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

54.  Le requérant demande 175 200 euros (« EUR ») au titre du préjudice matériel subi en raison des affirmations diffamatoires qui l’auraient empêché d’être nommé secrétaire d’État au ministère des Affaires étrangères et ultérieurement de devenir ambassadeur. Ce montant correspond au manque à gagner concernant les salaires que le requérant aurait pu encaisser s’il occupait les fonctions susmentionnés. Il demande également 100 000 EUR au titre du préjudice moral qu’il aurait subi. Il affirme avoir subi lui-même et ses proches des souffrances importantes à la suite des affirmations diffamatoires en cause, sa vie privée et sa carrière politique étant affectées pour une longue période de temps. Cette situation serait d’autant plus grave, selon le requérant, car une des personnes ayant porté atteinte à son droit à une bonne réputation, C.I., a récemment reconnu avoir collaboré avec la Securitate.

55.  Le Gouvernement considère que le montant sollicité par le requérants pour la réparation de l’éventuel préjudice matériel est excessif, ayant à la fois un caractère spéculatif et futur. Il invoque en ce sens la jurisprudence Iliya Stefanov c. Bulgarie (no 67755/01, § 92, 22 mai 2008). En tout état de cause, le Gouvernement soutient que le préjudice matériel allégué par le requérant n’a pas été prouvé et renvoie à la jurisprudence Emre c. Suisse (no 42034/04, § 99, 22 mai 2008). Enfin, il considère qu’un éventuel constat de violation pourrait représenter une réparation satisfaisante pour le préjudice moral prétendument subi.

56.  La Cour partage l’avis du Gouvernement en ce qui concerne la demande de préjudice matériel formulée par le requérant. Par ailleurs, le lien entre les allégations diffamatoires en l’espèce et la perte de salaire alléguée est purement spéculatif. Dès lors, aucun montant ne saurait être dû à ce titre (cf. mutatis mutandis Emre précitée, § 99).

57.  En revanche, la Cour considère que le requérant a subi un dommage moral certain en relation directe avec la violation de l’article 8 de la Convention qu’elle a constatée. La Cour est d’avis que l’intéressé a certainement éprouvé des sentiments de frustration et d’angoisse que le constat d’une violation ou la publication du présent arrêt ne suffiraient pas à réparer. Eu égard aux circonstances de la cause et statuant en équité comme le veut l’article 41, elle décide de lui octroyer 5 000 EUR.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Rejette l’exception préliminaire soulevée par le Gouvernement ;

2.  Déclare le restant de la requête recevable ;

3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

4.  Dit

i)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 5 000 EUR, (cinq mille euros) pour préjudice moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt à charge du requérant ;


ii)  que cette somme sera à convertir dans la monnaie de l’Etat défendeur au taux applicable à la date du règlement ;

iii)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 14 octobre 2008, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Santiago QuesadaJosep Casadevall
GreffierPrésident

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CEDH, Cour (troisième section), AFFAIRE PETRINA c. ROUMANIE, 14 octobre 2008, 78060/01