CEDH, Cour (quatrième section), AFFAIRE GREENS ET M.T. c. ROYAUME-UNI [Extraits], 23 novembre 2010, 60041/08;60054/08

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Quatrième Section), 23 nov. 2010, n° 60041/08;60054/08
Numéro(s) : 60041/08, 60054/08
Publication : Recueil des arrêts et décisions 2010 (extraits)
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : A. et autres c. Royaume-Uni [GC], n° 3455/05, § 135, CEDH 2009
Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 68, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV
Akdivar et autres c. Turquie (Article 50), 1 avril 1998, §§ 35-38, Recueil 1998-II
B.B. c. Royaume-Uni, n° 53760/00, § 36, 10 février 2004
Bourdov c. Russie (n° 2), n° 33509/04, §§ 125, 127, 128 et 146, CEDH 2009
Branko Tomašic et autres c. Croatie, n° 46598/06, § 73, CEDH 2009 (extraits)
Broniowski c. Pologne [GC], n° 31443/96, § 189-194 et 198, CEDH 2004-V
Broniowski c. Pologne (règlement amiable) [GC], n° 31443/96, §§ 36 et 42, CEDH 2005-IX
Hutten-Czapska c. Pologne [GC] n° 35014/97, §§ 231-239, CEDH 2006-VIII
Frodl c. Autriche, n° 20201/04, § 32, 8 avril 2010
Hatton et autres c. Royaume-Uni [GC], n° 36022/97, § 97, CEDH 2003-VIII
Hirst c. Royaume-Uni (n° 2) [GC], n° 74025/01, §§ 52 et 61, CEDH 2005-IX
Hood c. Royaume-Uni [GC], n° 27267/95, §§ 88-89, CEDH 1999-I
Hutten-Czapska c. Pologne (règlement amiable) [GC], n° 35014/97, §§ 33 et 42, 28 avril 2008
James et autres c. Royaume-Uni, 21 février 1986, § 85, série A n° 98
Kennedy c. Royaume-Uni, n° 26839/05, §§ 109 et 197, CEDH 2010
Leander c. Suède, 26 mars 1987, § 77 (d), série A n° 116
Mentes et autres c. Turquie (Article 50), 24 juillet 1998, §§ 18-21, Recueil 1998-IV
Olaru et autres c. Moldova, nos 476/07, 22539/05, 17911/08 et 13136/07, §§ 49, 51, 52 et 61, 28 juillet 2009
Roche c. Royaume-Uni [GC], n° 32555/96, § 137, CEDH 2005-X
Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 249, CEDH 2000 VIII
Sejdovic c. Italie [GC], n° 56581/00, § 46, CEDH 2006-II
Selçuk et Asker c. Turquie, 24 avril 1998, §§ 116-119, Recueil 1998-II
S. et Marper c. Royaume-Uni [GC], nos 30562/04 et 30566/04, § 134, 4 décembre 2008
Sukhovetsky c. Ukraine, n° 13716/02, §§ 68-69, CEDH 2006-VI
Willis c. Royaume-Uni, n° 36042/97, § 62, CEDH 2002-IV
Wolkenberg et autres c. Pologne (déc.), n° 50003/99, § 34, CEDH 2007 (extraits)
Xenides-Arestis c. Turquie, n° 46347/99, § 50, 22 décembre 2005
Organisation mentionnée :
  • Comité des Ministres
Niveau d’importance : Publiée au Recueil
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Violation de l'article 3 du Protocole n° 1 - Droit à des élections libres-{général} (article 3 du Protocole n° 1 - Vote) ; Non-violation de l'article 13 - Droit à un recours effectif (Article 13 - Recours effectif) ; Etat défendeur tenu de prendre des mesures générales (Article 46 - Arrêt pilote ; Mesures générales) ; Préjudice moral - constat de violation suffisant
Identifiant HUDOC : 001-101857
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2010:1123JUD006004108
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Sur les parties

Texte intégral

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE GREENS et M.T. c. ROYAUME-UNI

(Requêtes nos 60041/08 et 60054/08)

ARRÊT

[Extraits]

STRASBOURG

23 novembre 2010

DÉFINITIF

11/04/2011

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l'article 44 § 2 de la Convention.


En l’affaire Greens et M.T. c. Royaume-Uni,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Lech Garlicki, président,
Nicolas Bratza,
Ljiljana Mijović,
Davíd Thór Björgvinsson,
Ledi Bianku,
Mihai Poalelungi,
Vincent A. de Gaetano, juges,
et de Lawrence Early, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 16 novembre 2010,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouvent deux requêtes (nos 60041/08 et 60054/08) dirigées contre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et dont deux ressortissants de cet Etat, MM. Robert W. Greens et M.T. (« les requérants »), ont saisi la Cour le 14 novembre 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Le président de la chambre a accédé à la demande formulée par M.T. après la communication de l’affaire aux fins de la non-divulgation de son identité (article 47 § 3 du règlement de la Cour).

2.  Les requérants ont été représentés par Me T. Kelly, avocat à Coatbridge. Le gouvernement britannique (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Willmott, du ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth.

3.  Devant la Cour, les requérants dénonçaient le refus des autorités de les inscrire sur les listes électorales pour les élections nationales et européennes. Ils voyaient là une violation de l’article 3 du Protocole no 1. Sur le terrain de l’article 13, ils se plaignaient également de ne pas disposer de recours effectif face à cette situation.

4.  Les 25 et 28 août 2009 respectivement, le président de la chambre a décidé de communiquer les requêtes au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et sur le fond de l’affaire.

5.  La Commission pour l’égalité et les droits de l’homme (Equality and Human Rights Commission) a été autorisée à se porter tiers intervenant dans la procédure en vertu de l’article 36 § 2 de la Convention et de l’article 44 § 3 du règlement de la Cour.

6.  Le 6 juillet 2010, la chambre a décidé d’informer les parties qu’elle envisageait d’appliquer la procédure de l’arrêt pilote. Elle a reçu d’elles des commentaires écrits sur ce point.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

7.  Le premier requérant, M. Greens, purgeait une peine de prison d’une durée déterminée à Peterhead au moment de l’introduction de sa requête devant la Cour. Il pouvait faire l’objet d’une libération conditionnelle à partir du 29 mai 2010. On ne sait pas s’il a, depuis cette date, bénéficié d’une telle mesure. Le deuxième requérant, M.T., purge actuellement une peine de prison d’une durée déterminée à Peterhead. Selon les informations communiquées par le Gouvernement, il devrait être libéré en novembre 2010.

8.  Le 23 juin 2008, les requérants sollicitèrent auprès de l’agent responsable de la tenue des listes électorales (ci-après « l’agent ») de Grampian leur inscription sur les listes électorales. Ils indiquèrent que leur lieu de résidence était la prison de Peterhead.

9.  Le 3 juillet 2008, l’agent leur répondit en se référant aux refus qui leur avaient précédemment été opposés en 2007 en vertu des articles 3 et 4 de la loi de 1983 sur la représentation du peuple (Representation of the People Act 1983), telle que modifiée (paragraphes 19 et 21 ci-dessous), au motif qu’ils étaient détenus à la suite d’une condamnation pénale. Il demandait s’il y avait eu un changement dans leurs situations respectives.

10.  Le 5 août 2008, les requérants répondirent à l’agent que depuis l’arrêt rendu par la Cour en l’affaire Hirst c. Royaume-Uni (no 2) ([GC], no 74025/01, CEDH 2005‑IX) et la déclaration d’incompatibilité faite par la Registration Appeal Court dans l’affaire Smith c. Scott (...), il était tenu de procéder à leur inscription.

11.  Le 12 août 2008, l’agent rejeta les demandes d’inscription des requérants au motif qu’ils étaient détenus à la suite d’une condamnation pénale.

12.  Par une lettre du 14 août 2008, les requérants l’informèrent qu’ils souhaitaient contester ce refus devant la Sheriff Court.

13.  Le 12 septembre 2008, le Sheriff examina les recours des requérants conjointement avec d’autres recours formés dans plusieurs affaires semblables et ordonna la communication d’observations écrites.

14.  Le 25 septembre 2008, les requérants adressèrent à la Sheriff Court une lettre dans laquelle ils exposaient leurs arguments. Ils déposèrent des observations complémentaires le 1er octobre 2008. Alléguant ne pas pouvoir bénéficier d’une assistance judiciaire aux fins de la procédure, ils déclarèrent qu’ils se représenteraient eux-mêmes.

15.  Le 10 novembre 2008, leurs recours respectifs furent rejetés.

16.  Le 20 novembre 2008, un autre détenu dont le recours avait également été rejeté le 10 novembre 2008, M. Beggs, demanda à la Sheriff Court d’Aberdeen de solliciter l’avis de la Registration Appeal Court (paragraphe 22 ci-dessous). Le 30 décembre 2008, le Sheriff rejeta cette demande. M. Beggs pria alors la Cour de session (Court of Session) d’ordonner au Sheriff de solliciter cet avis, arguant qu’il avait commis une erreur de droit en refusant de le faire. Selon les dernières informations dont dispose la Cour, mais dont on ne sait pas si elles restent d’actualité, cette procédure serait encore pendante.

17.  Le 4 juin 2009 eurent lieu les élections européennes. Les requérants ne purent y voter.

18.  Le 6 mai 2010 eut lieu une élection législative au Royaume-Uni. Les requérants ne purent y voter.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A.  La législation électorale

1.  La loi de 1983 sur la représentation du peuple

19.  L’article 3 de la loi de 1983 sur la représentation du peuple (« la loi de 1983 ») dispose :

« 1.  Toute personne condamnée est, pendant son incarcération dans un établissement pénitentiaire en exécution de sa peine (...), légalement incapable de voter aux élections parlementaires ou locales quelles qu’elles soient. »

20.  La privation du droit de vote ne s’applique pas aux personnes emprisonnées pour atteinte à l’autorité de la justice (article 3 § 2 a)) ni à celles emprisonnées faute, par exemple, d’avoir payé une amende (article 3 § 2 c)).

21.  L’article 4 de la loi de 1983 dispose :

« 1.  Peuvent être inscrites sur les listes électorales d’une circonscription ou d’une sous-circonscription aux fins des élections parlementaires les personnes qui, à la date pertinente,

a)  résident dans la circonscription ou la sous-circonscription ;

b)  ne sont pas frappées par une incapacité légale de voter (âge mis à part) ;

(...)

3.  Peuvent être inscrites sur les listes électorales d’une zone électorale quelle qu’elle soit aux fins des élections locales les personnes qui, à la date pertinente,

a)  résident dans la zone en question ;

b)  ne sont pas frappées par une incapacité légale de voter (âge mis à part) ;

(...) »

22.  Les articles 56 et 57 prévoient un droit de recours contre les décisions des agents responsables de la tenue des listes électorales. En Ecosse, il existe en outre un pourvoi contre les décisions du Sheriff devant une formation de trois juges de la Cour de session (cette formation est dénommée « Registration Appeal Court »).

2.  La loi de 2002 sur les élections au Parlement européen

23.  L’article 8 de la loi de 2002 sur les élections au Parlement européen (« la loi de 2002 ») dispose en son paragraphe 1 que toute personne visée par les paragraphes 2 à 5 peut voter aux élections européennes. Ces paragraphes, en leurs parties pertinentes, prévoient ceci :

« 2.  Le présent paragraphe s’applique à quiconque aurait, le jour du scrutin, le droit de voter aux élections parlementaires (...)

(...)

5.  Le présent paragraphe s’applique à toute personne ayant le droit de voter dans la région en vertu du règlement de 2001 sur les élections au Parlement européen (droit de vote de certains citoyens de l’Union) (règlement S.I. 2001/1184, citoyens de l’Union européenne à l’exclusion des citoyens du Commonwealth ou de la République d’Irlande). »

B.  La loi sur les droits de l’homme de 1998

24.  L’article 3 de la loi de 1998 sur les droits de l’homme (« la loi sur les droits de l’homme ») prévoit ceci :

« 1.  Dans toute la mesure du possible, la législation primaire et la législation déléguée doivent être interprétées et appliquées de manière compatible avec les droits reconnus par la Convention.

2.  Le présent article

a)  s’applique à la législation primaire et à la législation déléguée dès leur promulgation ;

(...) »

25.  L’article 4 dispose :

« 1.  Le paragraphe 2 du présent article s’applique à toute procédure dans le cadre de laquelle un tribunal est appelé à dire si une disposition législative est compatible avec un droit reconnu par la Convention.

2.  Si le tribunal considère que la disposition en cause est incompatible avec un droit reconnu par la Convention, il peut prononcer une déclaration d’incompatibilité.

(...) »

26.  Enfin, en vertu de l’article 6 § 1, il est illégal pour une autorité publique d’agir de manière incompatible avec le respect d’un droit garanti par la Convention. Le paragraphe 2 précise ceci :

« Le paragraphe 1 ne s’applique pas aux actes relevant des cas suivants :

a)  en raison d’une ou plusieurs disposition(s) de la législation primaire, l’autorité n’aurait pas pu agir différemment ; ou

b)  l’autorité a agi en application d’une ou plusieurs disposition(s) relevant de la législation primaire ou en découlant qui ne peuvent être interprétées ou appliquées de manière compatible avec les droits reconnus par la Convention. »

(...)

D.  Le rapport de la commission mixte aux droits de l’homme

41.  Dans un récent rapport intitulé « Enhancing Parliament’s role in relation to human rights judgments » (Renforcer le rôle du Parlement relativement aux arrêts rendus dans le domaine des droits de l’homme, 15e rapport 2009-2010, mars 2010), une commission parlementaire, la commission mixte aux droits de l’homme, a examiné les suites données au niveau national à l’arrêt rendu par la Grande Chambre dans l’affaire Hirst précitée. Elle a noté ceci :

« 108.  (...) notre plus grande déception concerne l’absence de progrès dans cette affaire. Nous regrettons que le Gouvernement n’ait pas encore publié les textes issus de sa deuxième consultation, qui s’est achevée il y a près de six mois, en septembre 2009. Cela semble montrer qu’il n’a pas la volonté politique d’avancer une proposition pour examen par le Parlement.

(...)

116.  Il y a maintenant près de cinq ans que la Grande Chambre a rendu son arrêt dans l’affaire Hirst c. Royaume-Uni. La consultation gouvernementale s’est achevée en septembre 2009. Depuis lors, malgré l’imminence des élections législatives, le Gouvernement n’a avancé aucune proposition pour examen par le Parlement. Nous répétons, comme nous l’avons déjà dit à maintes reprises, que le délai de traitement de cette affaire est inacceptable.

117.  (...) Lorsque l’on a décelé une violation de la Convention, les individus ont droit, en vertu de l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme, à un recours effectif. Tant que le Gouvernement continuera à repousser la levée de l’interdiction générale de voter imposée aux détenus, non seulement il demeurera dans une situation politique embarrassante vis-à-vis du Conseil de l’Europe, mais encore il s’exposera aux coûts potentiellement importants découlant de litiges à répétition et des indemnités qu’il aura à verser à l’issue de ceux-ci. »

E.  Faits récents

42.  Le 2 novembre 2010, un bref débat a eu lieu à la Chambre des communes à la suite d’une question posée au Gouvernement quant à ses projets relatifs au droit de vote des détenus. Au cours de ce débat, Mark Harper, ministre du Bureau du Cabinet, a souligné que depuis l’arrêt Hirst précité, le Gouvernement était juridiquement tenu de modifier la loi. Il a déclaré que celui-ci examinait activement la manière d’exécuter cet arrêt et que des propositions de loi seraient faites une fois que des décisions auraient été prises à cet égard.

43.  Le 3 novembre 2010, en réponse à une question posée à la Chambre des communes, le Premier ministre a souligné également que le Gouvernement était tenu d’avancer des propositions aux fins de l’application de l’arrêt Hirst.

III.  LES RÉSOLUTIONS ET DÉCISIONS PERTINENTES DU COMITÉ DES MINISTRES

44.  Le 3 décembre 2009, dans le cadre du contrôle de l’exécution de l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Hirst, le Comité des Ministres a adopté la résolution intérimaire CM/ResDH(2009)160, dans laquelle il s’est exprimé ainsi :

« Le Comité des Ministres, (...)

Rappelant que dans le présent arrêt, la Cour a estimé que la restriction générale, automatique et indifférenciée au droit de vote infligée à tous les détenus condamnés purgeant leur peine, outrepasse une marge d’appréciation acceptable, aussi large soit‑elle, et est incompatible avec l’article 3 du Protocole no 1 (...) ;

Rappelant que, tout en reconnaissant que les droits conférés par l’article 3 du Protocole no 1 ne sont pas absolus, la Cour a expressément noté qu’en l’espèce, la restriction globale s’appliquait automatiquement à tous les détenus, indépendamment de la durée de leur peine, de la nature ou de la gravité de l’infraction qu’ils avaient commise et de leur situation personnelle ;

Rappelant en outre que la Cour a constaté que « rien ne montre que le Parlement ait jamais cherché à peser les divers intérêts en présence ou à apprécier la proportionnalité d’une interdiction totale de voter visant les détenus condamnés » ;

Notant que la restriction globale imposée par l’article 3 de la loi de 1983 sur la représentation du peuple (Representation of the People Act 1983) reste en vigueur et continue à produire effet ;

Rappelant que, dans un plan d’action révisé soumis en décembre 2006, les autorités du Royaume-Uni se sont engagées à entreprendre un processus de consultation en deux étapes afin de déterminer les mesures nécessaires pour exécuter l’arrêt de la Cour et soumettre le projet de loi nécessaire au Parlement en mai 2008 ;

Notant que les autorités du Royaume-Uni ont fourni des informations détaillées concernant le processus de consultation et qu’elles s’engagent à continuer à le faire ;

Notant toutefois que la seconde étape de la consultation s’est achevée le 29 septembre 2009 et que les autorités du Royaume-Uni vont maintenant entamer une analyse détaillée des réponses obtenues afin de déterminer la meilleure manière de mettre en place un système accordant le droit de vote aux détenus basé sur la durée de la peine d’emprisonnement prononcée à leur encontre ;

EXPRIME SES VIVES PREOCCUPATIONS au sujet du retard considérable pris pour l’exécution de l’arrêt, lequel engendre un risque important que les prochaines élections générales prévues au Royaume-Uni avant juin 2010 se déroulent dans des conditions non conformes à la Convention ;

PRIE INSTAMMENT l’Etat défendeur d’adopter rapidement, au terme de la seconde étape du processus de consultation, les mesures nécessaires pour exécuter l’arrêt de la Cour ;

(...) »

45.  Le 4 mars 2010, le Comité des Ministres a adopté une décision dans laquelle il a relevé qu’en dépit de l’arrêt rendu par la Grande Chambre dans l’affaire Hirst précitée, d’une déclaration d’incompatibilité avec la Convention faite en vertu de la loi sur les droits de l’homme par la plus haute juridiction civile écossaise dans l’affaire Smith c. Scott et du fait qu’un grand nombre de personnes étaient concernées, l’interdiction automatique et indifférenciée faite aux détenus d’exercer leur droit de vote restait appliquée ; il a exprimé à nouveau sa vive préoccupation face au risque que l’arrêt de la Cour ne soit pas exécuté avant les élections législatives et que, le nombre croissant d’individus potentiellement concernés par cette interdiction donnant lieu à des violations analogues à l’égard d’un grand nombre de personnes, il n’y ait une augmentation importante du nombre de requêtes répétitives portées devant la Cour européenne ; et il a exhorté les autorités à prendre rapidement les mesures, même temporaires, nécessaires pour assurer l’exécution de l’arrêt de la Cour avant les élections, qui étaient imminentes.

46.  Le 3 juin 2010, le Comité des Ministres a adopté une autre décision dans laquelle il a exprimé son profond regret face au fait que, malgré les appels répétés qu’il avait adressés au Royaume-Uni, l’interdiction générale de voter imposée aux détenus condamnés ait été toujours en vigueur au moment des élections législatives, qui s’étaient tenues le 6 mai 2010 ; et il a déclaré ne pas douter que le nouveau gouvernement adopterait des mesures générales pour appliquer l’arrêt avant les élections qui devaient se tenir en 2011 en Ecosse, au Pays de Galles et en Irlande du Nord, et ainsi éviter un nouvel afflux de requêtes répétitives devant la Cour.

47.  Le 15 septembre 2010, le Comité des Ministres a adopté sa décision la plus récente concernant l’exécution de l’arrêt Hirst précité. Cette décision se lit ainsi :

« Les Délégués,

1.  rappellent que, dans le présent arrêt, rendu le 6 octobre 2005, la Cour a estimé que la restriction générale, automatique et indifférenciée au droit de vote infligée à tous les détenus condamnés purgeant leur peine, outrepasse toute marge d’appréciation acceptable, et est incompatible avec l’article 3 du Protocole no 1 (...) ;

2.  rappellent que depuis la 1059e réunion (juin 2009), le Comité exhorte le Royaume-Uni à prévenir de futures requêtes répétitives en adoptant des mesures de caractère général pour exécuter l’arrêt ;

3.  regrettent profondément qu’en dépit des exhortations que le Comité des Ministres a adressées au fil des ans au Royaume-Uni pour qu’il exécute l’arrêt, le risque de requêtes répétitives devant la Cour européenne s’est concrétisé dans la mesure où la Cour a communiqué trois requêtes au Gouvernement afin d’adopter la procédure de l’arrêt pilote et a reçu plus de 1 340 requêtes ;

4.  notent que selon les informations fournies par les autorités du Royaume-Uni pendant la réunion, le nouveau gouvernement réfléchit véritablement à explorer activement la meilleure manière d’exécuter l’arrêt ;

5.  regrettent cependant qu’aucune information matérielle tangible et concrète n’ait été présentée au Comité sur la manière dont le Royaume-Uni a désormais l’intention de se conformer à l’arrêt ;

6.  exhortent le Royaume-Uni à donner la priorité à l’exécution sans plus de délai de cet arrêt, et à informer le Comité des Ministres des mesures substantielles prises à cet égard ;

7.  soulignent dans ce contexte, qu’étant donné la marge d’appréciation laissée à l’Etat, les mesures à adopter doivent veiller à ce qu’une restriction aux droits de vote des détenus condamnés purgeant leur peine, si elle est maintenue, soit proportionnée et qu’il y ait un lien discernable et suffisant entre elle et la sanction, le comportement ainsi que la situation de la personne touchée ;

(...) »

EN DROIT

77.  La Cour rappelle que dans l’arrêt Hirst c. Royaume-Uni (no 2) ([GC], no 74025/01, CEDH 2005‑IX), elle a conclu ceci :

« 82.  La Cour réaffirme (...) que, si la marge d’appréciation [relative à l’application de l’article 3 du Protocole no 1] est large, elle n’est pas illimitée. De surcroît, bien que la situation ait été quelque peu améliorée avec la loi de 2000, qui a accordé pour la première fois le droit de vote aux personnes en détention provisoire, l’article 3 de la loi de 1983 demeure un instrument sans nuances, qui dépouille du droit de vote, garanti par la Convention, un grand nombre d’individus, et ce de manière indifférenciée. Cette disposition inflige une restriction globale à tous les détenus condamnés purgeant leur peine et s’applique automatiquement à eux, quelle que soit la durée de leur peine et indépendamment de la nature ou de la gravité de l’infraction qu’ils ont commise et de leur situation personnelle. Force est de considérer que pareille restriction générale, automatique et indifférenciée à un droit consacré par la Convention et revêtant une importance cruciale outrepasse une marge d’appréciation acceptable, aussi large soit-elle, et est incompatible avec l’article 3 du Protocole no 1. »

78.  Les dispositions légales en question, à savoir l’article 3 de la loi de 1983, n’ayant pas été modifiées depuis l’arrêt Hirst, les requérants de la présente affaire n’ont pas pu voter aux élections législatives qui se sont tenues au Royaume-Uni en mai 2010. En outre, l’interdiction générale instaurée par l’article 3 de la loi de 1983 a été étendue aux élections au Parlement européen par l’article 8 de la loi de 2002, qui le reprend. De ce fait, les requérants n’ont pas non plus pu voter aux élections européennes de juin 2009.

79.  Ces considérations suffisent à la Cour pour conclure qu’il y a eu violation de l’article 3 du Protocole no 1 à l’égard de l’un et l’autre requérants.

V.  ARTICLE 46 DE LA CONVENTION

103.  L’article 46 de la Convention est ainsi libellé :

« 1.  Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.

2.  L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution (...) »

A.  Application de la procédure d’arrêt pilote

104.  En juillet 2010, les parties ont été informées que la Cour envisageait d’appliquer la procédure d’arrêt pilote (Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, § 189-194, CEDH 2004‑V). Les requérants ne s’y sont pas opposés. Le Gouvernement a indiqué que les caractéristiques des requêtes faisant l’objet de l’affaire rendaient difficile l’application au cas d’espèce de la procédure d’arrêt pilote. Selon lui, la difficulté résultait premièrement de l’ample marge d’appréciation que, à l’en croire, la Grande Chambre avait laissée à l’Etat dans l’arrêt Hirst précité, et deuxièmement de l’arrêt rendu peu de temps auparavant dans l’affaire Frodl [c. Autriche, no 20201/04, 8 avril 2010], où il estimait que la Cour s’était écartée de manière significative des principes énoncés dans l’arrêt Hirst et qui était pendante devant le panel de la Grande Chambre.

105.  La Cour observe que, le 4 octobre 2010, le panel de la Grande Chambre a refusé la demande de renvoi formée par le gouvernement défendeur dans l’affaire Frodl précitée. L’arrêt rendu par la chambre dans cette affaire est donc devenu définitif, en vertu de l’article 44 § 2 c) de la Convention. Compte tenu du long retard pris par l’Etat défendeur dans l’application de l’arrêt Hirst et du nombre important de requêtes répétitives qu’elle reçoit en conséquence, la Cour considère que malgré l’ample marge d’appréciation qu’elle lui a laissée dans cet arrêt, il y a lieu de formuler des conclusions sur le terrain de l’article 46 de la Convention dans la présente affaire.

B.  Principes généraux

106.  La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 46 de la Convention, interprété à la lumière de l’article 1, l’Etat défendeur est juridiquement tenu d’appliquer, sous le contrôle du Comité des Ministres, les mesures générales et/ou individuelles appropriées pour assurer le respect du droit dont a été constatée la violation à l’égard du requérant. Il doit aussi prendre ces mesures pour les autres personnes qui se trouvent dans la même situation que le requérant, notamment en résolvant les problèmes qui sont à l’origine du constat de violation (Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 249, CEDH 2000‑VIII, S. et Marper c. Royaume‑Uni [GC], nos 30562/04 et 30566/04, § 134, CEDH 2008, Bourdov c. Russie (no 2), no 33509/04, § 125, CEDH 2009, et Olaru et autres c. Moldova, nos 476/07, 22539/05, 17911/08 et 13136/07, § 49, 28 juillet 2009). Le Comité des Ministres n’a cessé de souligner cette obligation dans le cadre du contrôle qu’il exerce de l’exécution des arrêts de la Cour (voir, parmi bien d’autres, les résolutions intérimaires suivantes : DH(97)336, concernant des durées de procédure en Italie, DH(99)434, concernant l’action des forces de sécurité en Turquie, ResDH(2001)65, concernant l’affaire Scozzari et Giunta c. Italie, ResDH(2006)1, concernant les affaires Riabykh c. Russie (no 52854/99, CEDH 2003‑IX) et Volkova c. Russie (no 48758/99, 5 avril 2005), et ResDH(2007)75, concernant la durée de la détention provisoire en Pologne).

107.  Afin de faciliter la bonne mise en œuvre de ses arrêts selon ces principes, la Cour peut appliquer une procédure d’arrêt pilote. Cette procédure lui permet de relever clairement dans un arrêt l’existence de problèmes structurels sous-jacents aux violations et d’indiquer des mesures ou des actions précises que l’Etat défendeur doit prendre pour y remédier (Broniowski, précité, §§ 189-194 et dispositif, et Hutten-Czapska c. Pologne [GC], no 35014/97, §§ 231-239 et dispositif, CEDH 2006‑VIII). Cette approche judiciaire est cependant appliquée dans le plein respect des fonctions respectives des organes de la Convention : il revient au Comité des Ministres d’évaluer les mesures individuelles et générales mises en place en vertu de l’article 46 § 2 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Broniowski c. Pologne (règlement amiable) [GC], no 31443/96, § 42, CEDH 2005‑IX, et Hutten-Czapska c. Pologne (règlement amiable) [GC], no 35014/97, § 42, 28 avril 2008).

108.  Un autre but important poursuivi par la procédure d’arrêt pilote est d’inciter l’Etat défendeur à trouver, au niveau national, une solution aux nombreuses affaires individuelles nées du même problème structurel, donnant ainsi effet au principe de subsidiarité qui est à la base du système de la Convention. En effet, la Cour ne s’acquitte pas forcément au mieux de sa tâche, qui consiste selon l’article 19 de la Convention à « assurer le respect des engagements résultant pour les Hautes Parties contractantes de la (...) Convention et de ses Protocoles », en répétant les mêmes conclusions dans un grand nombre d’affaires (Bourdov, précité, § 127, et Olaru, précité, § 51). Cette procédure a pour objet de faciliter la résolution la plus rapide et la plus effective d’un dysfonctionnement affectant la protection du droit conventionnel en cause dans l’ordre juridique interne (Wolkenberg et autres c. Pologne (déc.), no 50003/99, § 34, 4 décembre 2007). Si elle doit tendre principalement au règlement de ces dysfonctionnements et à la mise en place, le cas échéant, de recours internes effectifs permettant de dénoncer les violations commises, l’action de l’Etat défendeur peut aussi comprendre l’adoption de solutions ad hoc telles que des règlements amiables avec les requérants ou des offres unilatérales d’indemnisation, en conformité avec les exigences de la Convention. La Cour peut donc décider d’ajourner l’examen de toutes les affaires similaires, donnant ainsi à l’Etat défendeur une possibilité de les régler selon ces diverses modalités (voir, mutatis mutandis, Broniowski, précité, § 198, et Xenides-Arestis c. Turquie, no 46347/99, § 50, 22 décembre 2005).

109.  Cependant, la Cour a déjà eu l’occasion de dire que, si l’Etat défendeur n’adopte pas pareilles mesures à la suite de l’arrêt pilote et s’il persiste à méconnaître la Convention, elle n’a d’autre choix que de reprendre l’examen de toutes les requêtes similaires portées devant elle et de statuer sur celles-ci afin de garantir le respect effectif de la Convention (Bourdov, précité, § 128, et Olaru, précité, § 52).

C.  Appréciation de la Cour

1.  Indication de mesures spécifiques aux fins de la mise en œuvre du présent arrêt

110.  La Cour rappelle que dans l’arrêt de Grande Chambre qu’elle a rendu en 2005 (arrêt Hirst précité), elle a conclu que force était de considérer que la restriction générale, automatique et indifférenciée au droit de voter imposée par l’article 3 de la loi de 1983 outrepassait une marge d’appréciation acceptable, aussi large fût-elle. Elle souligne que le constat de violation de l’article 3 du Protocole no 1 en l’espèce découle directement du manquement des autorités à prendre des mesures pour assurer le respect de l’arrêt Hirst (paragraphes 78-79 ci-dessus).

111.  L’une des implications fondamentales de l’application de la procédure d’arrêt pilote est que l’appréciation que fait alors la Cour de la situation litigieuse s’étend nécessairement au-delà des seuls intérêts du requérant dont il s’agit et commande d’examiner aussi la cause sous l’angle des mesures générales qui doivent être prises dans l’intérêt des autres personnes potentiellement concernées (Broniowski (règlement amiable), précité, § 36, et Hutten-Czapska (règlement amiable), précité, § 33). Comme la Cour l’a déjà dit, la situation actuelle a donné lieu à l’introduction après l’arrêt de Grande Chambre de nombreuses requêtes fondées. A ce stade, environ 2 500 requêtes ont été introduites pour des griefs analogues, dont quelque 1 500 ont été enregistrées et sont en attente d’une décision. Ce chiffre continue d’augmenter, et chaque nouvelle élection organisée sans que la législation ait été modifiée est potentiellement source d’un grand nombre de nouvelles affaires : selon les statistiques communiquées par [la commission mixte aux droits de l’homme], l’Etat défendeur compte en permanence quelque 70 000 détenus (...), soit autant de requérants potentiels. Le manquement du Gouvernement à avancer des propositions de loi visant à mettre un terme à l’incompatibilité actuelle du droit électoral avec l’article 3 du Protocole no 1 n’est pas seulement un facteur aggravant en ce qui concerne la responsabilité de l’Etat au regard de la Convention pour une situation actuelle ou passée, il constitue aussi une menace pour l’efficacité future du mécanisme de la Convention (Broniowski, précité, § 193).

112.  La Cour rappelle que, dans l’arrêt Hirst précité, la Grande Chambre a constaté une violation du droit de voter mais laissé à l’Etat défendeur la liberté de décider de quelle manière précisément assurer le respect des droits garantis par la Convention. En vertu de l’article 46 § 2, l’exécution de l’arrêt Hirst fait actuellement l’objet du contrôle du Comité des Ministres, qui examine régulièrement l’évolution de la situation au niveau interne et s’efforce d’obtenir un règlement rapide du problème (paragraphes 44-47 ci‑dessus). Le Gouvernement ne conteste pas que des mesures générales doivent être prises au niveau national pour assurer la bonne exécution de l’arrêt Hirst. Il est clair également qu’il est nécessaire de modifier la loi pour rendre le droit électoral compatible avec les exigences de la Convention (voir, notamment, les paragraphes 42-43 ci-dessus). Compte tenu du temps déjà écoulé et des conséquences en termes de requêtes répétitives, la Cour, comme le Comité des Ministres, souhaite que l’on parvienne à remédier au problème le plus rapidement et le plus efficacement possible, dans le respect des garanties de la Convention. La question se pose donc de savoir s’il est opportun aujourd’hui qu’elle apporte au gouvernement défendeur des conseils sur les mesures à prendre aux fins d’une bonne exécution de l’arrêt.

113.  La Cour observe que, dans l’arrêt Frodl (précité, § 32), elle a dit, compte tenu des circonstances particulières de l’espèce, que toute décision relative à la privation du droit de vote devait être prise par un juge et qu’il devait y avoir un lien entre l’infraction commise et les questions relatives aux élections et aux institutions démocratiques. Pour ces motifs, elle a conclu dans cette affaire à la violation de l’article 3 du Protocole no 1. Elle rappelle cependant que, dans l’arrêt Hirst précité, la Grande Chambre n’a pas souhaité préciser quelles étaient les mesures que le Royaume-Uni devait prendre pour rendre son régime électoral compatible avec l’article 3 du Protocole no 1, bien que le Gouvernement ait soutenu dans cette affaire que de telles précisions étaient nécessaires (Hirst, § 52). Comme la Grande Chambre l’a souligné dans l’arrêt Hirst, il existe de nombreuses manières d’organiser et de faire fonctionner les systèmes électoraux et une multitude de différences au sein de l’Europe, notamment dans l’évolution historique, la diversité culturelle et la pensée politique, qu’il incombe à chaque Etat contractant d’incorporer dans sa propre vision de la démocratie (ibidem, § 61). La Cour rappelle que son rôle dans ce domaine est subsidiaire : les autorités nationales se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour se prononcer sur les besoins et contextes locaux et, dès lors, lorsque des questions de politique générale sont en jeu, sur lesquelles des divergences peuvent raisonnablement exister dans un Etat démocratique, il y a lieu d’accorder une importance particulière au rôle du décideur national (Hatton et autres c. Royaume-Uni [GC], no 36022/97, § 97, CEDH 2003‑VIII, et Soukhovetski c. Ukraine, no 13716/02, §§ 68-69, CEDH 2006‑VI).

114.  Comme la Registration Appeal Court  et comme le juge Burton à la High Court, la Cour considère que le gouvernement de l’Etat défendeur dispose dans le contexte actuel d’une large palette de solutions politiques. A cet égard, elle observe qu’il a procédé à des consultations sur la modification législative envisagée et qu’il travaille activement à des projets de propositions (paragraphes 42-44 et 47 ci-dessus). Soulignant l’ample marge d’appréciation dont jouissent les Etats dans ce domaine (Hirst, précité § 61), elle estime qu’il appartient d’abord au Gouvernement de décider, après avoir mené les consultations appropriées, de la manière qu’il estimera la plus appropriée pour respecter l’article 3 du Protocole no 1 lorsqu’il formulera ses propositions de loi. Ces propositions seront examinées le moment venu par le Comité des Ministres dans le cadre du contrôle de l’exécution de l’arrêt Hirst. Par ailleurs, il reviendra peut-être à la Cour, ultérieurement, dans l’exercice de son rôle de contrôle et dans le contexte d’une éventuelle nouvelle requête introduite en vertu de l’article 34, d’apprécier la compatibilité du nouveau régime avec les exigences de la Convention.

115.  Cela étant, si elle n’estime pas opportun de préciser quelle devrait être la teneur des futures propositions de loi, la Cour considère que la longueur du délai écoulé a démontré la nécessité de fixer un calendrier pour l’introduction de propositions de modification de la loi électorale. Elle conclut donc que l’Etat défendeur doit présenter des propositions de modification de l’article 3 de la loi de 1983 et, le cas échéant, de l’article 8 de la loi de 2002, dans un délai de six mois à compter de la date à laquelle le présent arrêt sera devenu définitif, en vue de la promulgation d’une loi électorale respectant l’arrêt Hirst dans un délai qui sera déterminé par le Comité des Ministres.

2.  Affaires analogues

116.  Compte tenu des conclusions exposées dans le présent arrêt et dans l’arrêt Hirst précité, il est clair que toute affaire analogue pendante devant la Cour et satisfaisant aux critères de recevabilité aboutira à un constat de violation de l’article 3 du Protocole no 1. Il est donc regrettable que le Gouvernement n’ait pas agi plus rapidement de manière à redresser la situation avant les élections européennes de 2009 et les élections législatives de 2010. De plus, s’il est à espérer qu’une nouvelle loi sera promulguée aussi rapidement que possible, il est loin d’être évident qu’une solution adéquate aura été mise en place avant les élections qui doivent se tenir en Ecosse en mai 2011, et la conséquence probable de ce délai serait une vague de nouvelles requêtes introduites devant la Cour par des détenus qui ne pourraient alors pas voter à ces élections bien qu’ils en aient le droit.

117.  La Cour a déjà souligné la nature duelle de la procédure d’arrêt pilote : d’une part, elle a pour but d’aider les Etats défendeurs à remédier à une défaillance précise découlant d’un problème général ou systémique, d’autre part, elle vise à assurer le traitement efficace des affaires de suivi (paragraphes 107-108 ci-dessus). La question est donc de savoir comment traiter les nombreuses requêtes déjà introduites devant la Cour et celles qui seront éventuellement introduites avant que le droit électoral ne soit modifié.

118.  La Cour observe que les circonstances de la présente affaire diffèrent de celles de précédentes affaires pilotes. Par le passé, la procédure d’arrêt pilote a généralement été employée pour constater une violation de la Convention et exiger de l’Etat défendeur que, le plus souvent dans un délai donné, il mette en place une procédure appropriée ou apporte une réparation adéquate à tous les individus concernés. Dans l’intervalle, le traitement de toutes les requêtes pendantes devant la Cour concernant les mêmes griefs était suspendu (voir, par exemple, l’approche de la Cour dans les arrêts Broniowski, précité, § 198, Bourdov, précité, § 146, et Olaru, précité, § 61). Or ces affaires concernaient des griefs liés à des biens ou à l’inexécution de décisions de justice internes. Dans ces conditions, l’avantage qu’il y avait à exiger des autorités internes qu’elles mettent en place une procédure donnée ou qu’elles apportent une réparation précise dans toutes les affaires pendantes était clair. En l’espèce, en revanche, la violation est de nature totalement différente. Il n’est pas nécessaire d’examiner les cas un par un pour déterminer la réparation appropriée. De plus, aucune indemnisation financière n’est envisageable : la solution que peut apporter la Cour est de nature déclarative. La seule chose à faire est de modifier la législation, ce qui apportera sans aucun doute une satisfaction à ceux qui sont ou pourraient être visés par l’interdiction générale, mais ne peut redresser les violations passées de la Convention au niveau individuel.

119.  La Cour rappelle les termes de l’article 37 § 1 de la Convention, qui, en ses parties pertinentes, est ainsi libellé :

« 1.  A tout moment de la procédure, la Cour peut décider de rayer une requête du rôle lorsque les circonstances permettent de conclure

(...)

c)  que, pour tout autre motif dont la Cour constate l’existence, il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête.

Toutefois, la Cour poursuit l’examen de la requête si le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles l’exige. »

120.  Compte tenu des considérations exposées ci-dessus (paragraphes 116-118) et du délai de six mois qu’elle impartit au Gouvernement dans le présent arrêt pour avancer des propositions de loi, la Cour est d’avis qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen des requêtes dénonçant une violation de l’article 3 du Protocole no 1 en raison de l’interdiction générale de voter imposée aux détenus condamnés. Ces requêtes se distinguent de celles où une mesure individuelle pourrait être nécessaire à l’exécution d’un arrêt sur l’affaire, telles par exemple que les requêtes dénonçant l’inexécution d’une décision de justice interne ou la durée d’une procédure nationale, dans lesquelles il s’impose généralement d’octroyer une compensation financière. La Cour souligne qu’elle a clairement dit, tant dans le présent arrêt que dans l’arrêt Hirst précité, que la situation actuelle a emporté et continue d’emporter violation de l’article 3 du Protocole no 1 à l’égard de chaque détenu placé dans l’impossibilité de voter à une élection du seul fait de sa condition de détenu. Elle a par ailleurs décidé de ne pas octroyer de somme pour dommage moral relativement à cette violation. La somme octroyée en l’espèce ne couvre que les frais et dépens liés à la procédure devant elle et reflète le fait que de longues observations écrites ont été soumises. A la lumière de ce qui précède, elle ne considérerait probablement pas, dans de futures affaires de suivi, que des frais de justice d’un tel montant aient été nécessairement et raisonnablement engagés et, partant, elle n’octroierait probablement aucune somme au titre de l’article 41. Eu égard à son approche de la satisfaction équitable exposée ci-dessus, elle considère qu’une modification du droit électoral aux fins de respecter l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire Hirst constituerait également une exécution du présent arrêt et de tout arrêt pouvant être rendu après celui-ci dans des affaires analogues actuellement pendantes devant elle. Dans ces conditions, elle estime qu’elle s’est acquittée de l’obligation que lui fait l’article 19 de la Convention « d’assurer le respect des engagements résultant pour les Hautes Parties contractantes de la (...) Convention et de ses Protocoles » et qu’il n’y a rien à gagner à répéter les mêmes conclusions dans une longue série d’arrêts sur des affaires semblables, ce qui ne servirait pas mieux la justice mais pèserait lourdement sur les ressources de la Cour et accroîtrait encore le nombre déjà considérable d’affaires en souffrance. Une telle démarche ne contribuerait notamment pas de manière utile ou sensée au renforcement de la protection des droits de l’homme dans le système de la Convention.

121.  En conclusion, la Cour juge qu’il y a lieu, dans l’attente de l’exécution par l’Etat défendeur du point 6 a) du dispositif du présent arrêt, de lever l’examen des requêtes enregistrées avant la date dudit arrêt et soulevant des griefs similaires à ceux de l’affaire Hirst. Si cette exécution intervient, elle envisagera de rayer ces requêtes du rôle en vertu de l’article 37 § 1 c) de la Convention, sans préjudice de son pouvoir de décider, en vertu de l’article 37 § 2, de les y réinscrire si l’Etat défendeur manquait à modifier le droit électoral pour se conformer à l’arrêt Hirst conformément au point 6 b) du dispositif du présent arrêt.

122.  De même, la Cour estime opportun de suspendre l’examen des requêtes non encore enregistrées à la date du présent arrêt ainsi que des futures requêtes soulevant des griefs analogues, sans préjudice de toute décision d’en reprendre le traitement si l’Etat défendeur ne respectait pas complètement les termes du point 6 a) du dispositif du présent arrêt ou si d’autres circonstances le justifiaient.


PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

(...)

3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 du Protocole no 1 ;

(...)

5.  Dit que la violation constatée ci-dessus trouve son origine dans le manquement de l’Etat défendeur à exécuter l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire Hirst ;

6.  Dit que l’Etat défendeur doit :

a)  présenter, dans un délai de six mois à compter de la date à laquelle le présent arrêt sera devenu définitif, des propositions de loi visant à modifier la loi de 1983 et, le cas échéant, la loi de 2002 de manière à en rendre les dispositions conformes à la Convention ;

b)  promulguer les nouvelles dispositions dans un délai qui sera déterminé par le Comité des Ministres ;

(...)

Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 23 novembre 2010, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Lawrence EarlyLech Garlicki
GreffierPrésident

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CEDH, Cour (quatrième section), AFFAIRE GREENS ET M.T. c. ROYAUME-UNI [Extraits], 23 novembre 2010, 60041/08;60054/08