CEDH, Cour (quatrième section), AFFAIRE O'DONOGHUE ET AUTRES c. ROYAUME-UNI [Extraits], 14 décembre 2010, 34848/07

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Chronologie de l’affaire

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revdh.revues.org · 28 septembre 2011

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CEDH · 14 décembre 2010

Communiqué de presse sur l'affaire 34848/07

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Quatrième Section), 14 déc. 2010, n° 34848/07
Numéro(s) : 34848/07
Publication : Recueil des arrêts et décisions 2010 (extraits)
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : A. et autres c. Royaume-Uni [GC], no. 3455/05, §§ 153 - 159, CEDH 2009-...
B. et L. c. Royaume-Uni, n° 36536/02, 13 septembre 2005
Burden v. Royaume-Uni [GC], n° 13378/05, § 60, CEDH 2008-
Akdivar et autres c. Turquie arrêt du 16 septembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1998-II, §§ 65-66
F. c. Suisse, arrêt du 18 décembre 1987, série A n° 128
Civet c. France [GC], n° 29340/95, § 41, CEDH 1999-VI
Sanders c. France, n° 31401/96, Com. Dec., 16 octobre 1996, D.R. n° 160, p. 163
D.H. et autres v. République tchèque [GC], n° 57325/00, § 175, CEDH 2007
Draper c. Royaume-Uni, n° 8186/78, Comm. Rep., 10 juillet 1980, D.R. 24, § 49
Frasik v. Pologne, n° 22933/02, CEDH 2010-... (extraits)
Hamer c. Royaume-Uni, n° 7114/75, Comm. Rep. 13 décembre 1979, D.R. 24
Hirst c. Royaume-Uni (n° 2) [GC], n° 74025/01, § 82, CEDH 2005-IX
Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark, 7 décembre 1976, § …, série A n° 23
Klip et Krüger c. Pays-Bas (1997) DR 91-A
Kreuz c. Pologne, n° 28249/95, § 60, CEDH 2001-VI
Rees c. Royaume-Uni, 17 octobre 1986, § 50, série A n° 106
Niveau d’importance : Publiée au Recueil
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Partiellement irrecevable ; Violation de l'art. 12 ; Violation de l'art. 14+12 ; Violation de l'art. 14+9 ; Dommage matériel et préjudice moral - réparation
Identifiant HUDOC : 001-102298
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2010:1214JUD003484807
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Sur les parties

Texte intégral

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE O’DONOGHUE ET AUTRES c. ROYAUME-UNI

(Requête no 34848/07)

ARRÊT

[Extraits]

STRASBOURG

14 décembre 2010

DÉFINITIF

14/03/2011

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention.


En l’affaire O’Donoghue et autres c. Royaume-Uni,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Lech Garlicki, président,
Nicolas Bratza,
Ljiljana Mijović,
Davíd Thór Björgvinsson,
Ján Šikuta,
Päivi Hirvelä,
Mihai Poalelungi, juges,
et de Lawrence Early, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 23 novembre 2010,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 34848/07) dirigée contre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et dont un ressortissant nigérian, M. Osita Chris Iwu, et trois personnes ayant la double nationalité britannique et irlandaise, Mme Sinead O’Donoghue, M. Ashton Osita Iwu et M. Tiernan Robert O’Donoghue (« les requérants »), ont saisi la Cour le 31 juillet 2007 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Devant la Cour, les requérants, qui avaient été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, ont été représentés par l’association AIRE Centre. Le gouvernement britannique (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. D. Walton, du ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth.

3.  Le 13 novembre 2008, la chambre de la quatrième section de la Cour à laquelle l’affaire avait été attribuée a décidé de communiquer la requête au Gouvernement et de la traiter en priorité, comme le permet l’article 41 du règlement de la Cour. Par ailleurs, elle a résolu d’informer les parties qu’elle examinait l’opportunité d’appliquer en l’espèce une procédure d’arrêt pilote (Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, §§ 189-194 et son dispositif, CEDH 2004‑V, et Hutten-Czapska c. Pologne [GC], no 35014/97, §§ 231‑239 et son dispositif, CEDH 2006‑VIII) et les a invitées à présenter leurs observations sur ce point. Après examen des observations des parties, la chambre a décidé de ne pas appliquer la procédure en question.

4.  Les parties ont demandé la tenue d’une audience. Toutefois, le 13 octobre 2009, la Cour a décidé de ne pas tenir d’audience sur la recevabilité et le fond de la requête, en application de l’article 54 § 3 de son règlement.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

A.  Le régime des certificats d’approbation

1.  La première version du régime

5.  La première version du régime des certificats d’approbation (Certificate of Approval Scheme) fut élaborée en 2005 par le ministère de l’Intérieur. L’article 19 de la loi de 2004 sur l’asile et l’immigration (traitement des demandeurs, etc.) (« la loi de 2004 ») offrait une base légale à ce régime, qui fut complété par un règlement de 2005 sur l’immigration (procédure de mariage) (S.I. 2005/15) (« le règlement de 2005 ») et des directives émises par la direction de l’immigration (« les IDI »).

6.  La première version du régime prévoyait que, pour pouvoir se marier, les personnes relevant du contrôle de l’immigration devaient être en possession soit d’une autorisation d’entrée sur le territoire britannique expressément délivrée en vue d’un mariage au Royaume-Uni, soit d’un certificat d’approbation. Etaient exclus de la catégorie des « personnes relevant du contrôle de l’immigration » les ressortissants de l’Espace économique européen (« l’EEE ») et les détenteurs d’un titre de séjour à durée illimitée.

7.  Les personnes relevant du contrôle de l’immigration souhaitant obtenir un certificat d’approbation devaient en faire la demande auprès du ministre de l’Intérieur et s’acquitter de frais de dossier s’élevant à 295 livres sterling (GBP). Deux personnes relevant du contrôle de l’immigration désireuses de se marier devaient présenter chacune une demande et payer l’une et l’autre les frais exigés. Les IDI prévoyaient que, pour être éligibles à un certificat d’approbation, les personnes concernées devaient détenir un titre d’entrée ou de séjour au Royaume-Uni d’une durée supérieure à six mois et n’expirant pas moins de trois mois après le dépôt de la demande.

8.  La première version du régime ne s’appliquait pas aux personnes souhaitant célébrer un mariage selon les rites de l’Eglise d’Angleterre.

2.  L’avis de la High Court sur la première version du régime

9.  Le 10 avril 2006, le juge Silber rendit dans l’affaire R (on the application of Baiai and others) v. Secretary of State for the Home Department [2006] EWHC 823 QB (Admin) un jugement sur la question de savoir si la première version du régime portait atteinte aux droits des personnes relevant du contrôle de l’immigration en situation régulière sur le territoire britannique au titre des articles 12 et 14.

10.  Il estima que la jurisprudence de la Cour n’interdisait pas l’adoption d’une loi visant à empêcher les personnes concernées de contracter un mariage dans le but d’échapper au contrôle de l’immigration, même si la loi en question pouvait faire obstacle au droit au mariage. En outre, il releva que l’objectif poursuivi par la loi et invoqué par le Gouvernement, à savoir la prévention des mariages de complaisance, était suffisamment important pour justifier une limitation au droit consacré par l’article 12.

11.  Toutefois, il considéra que les mesures instaurées par la première version du régime en vue de la réalisation de l’objectif poursuivi par le législateur étaient disproportionnées en ce qu’elles étaient dépourvues de lien rationnel avec l’objectif en question. En premier lieu, il observa que tous les mariages religieux autres que ceux célébrés devant l’Eglise d’Angleterre étaient subordonnés à la délivrance d’un certificat alors pourtant qu’il était de notoriété publique que la plupart des mariages de complaisance étaient contractés devant les services de l’état civil. Il ajouta que le régime applicable aux mariages religieux célébrés hors de l’Eglise d’Angleterre était critiquable parce qu’il était identique au régime régissant les mariages civils bien que les précautions prises par les autres cultes pour empêcher les mariages de complaisance fussent identiques à celles instaurées par l’Eglise anglicane. En deuxième lieu, il releva que le postulat voulant, d’une part, que tous les mariages religieux célébrés hors de l’Eglise d’Angleterre fussent considérés de plein droit comme fictifs et subordonnés de ce fait à la délivrance d’un certificat et, d’autre part, que tous les mariages célébrés devant cette Eglise fussent automatiquement reconnus comme authentiques et dispensés pour cette raison de l’exigence d’un certificat ne reposait sur aucune base. En troisième lieu, il considéra que la première version du régime passait arbitrairement sous silence de nombreux facteurs pouvant être pertinents pour se prononcer sur l’éventuelle absence d’authenticité d’un projet de mariage – tels que des preuves certaines et corroborées de l’existence, entre les futurs époux, d’une relation amoureuse de plusieurs années au cours desquelles ils avaient pu avoir un enfant ou avoir acquis une maison ensemble – et indiqua qu’il avait peine à comprendre comment un dispositif ignorant de tels éléments pouvait avoir un « lien rationnel » avec l’objectif législatif prétendument poursuivi, à savoir la prévention des mariages de complaisance. En quatrième et dernier lieu, il releva que l’absence de lien rationnel entre la première version du régime et cet objectif législatif pouvait également se déduire du fait que, pour déterminer si des personnes non ressortissantes de l’Union européenne pouvaient se marier au Royaume-Uni, le régime en question s’attachait exclusivement à leur situation au regard du droit des étrangers.

12.  En conséquence, le juge Silber considéra que la première version du régime n’était pas proportionnée et portait gravement atteinte aux droits consacrés par l’article 12.

13.  Il ajouta qu’elle était incompatible avec l’article 14 de la Convention en ce qu’elle opérait une discrimination fondée sur la religion et la nationalité. Il précisa qu’elle était directement discriminatoire en ce qu’elle visait des individus qui, en raison de leurs convictions religieuses ou parce qu’ils n’en avaient pas, ne pouvaient ou ne voulaient pas se marier selon les rites de l’Eglise anglicane, tandis que les personnes désireuses de se marier selon les rites de cette Eglise échappaient au régime litigieux.

14.  Il releva en outre que les frais imposés aux personnes concernées étaient aussi discriminatoires car celles qui se trouvaient dans une situation identique mais qui souhaitaient se marier selon les rites de l’Eglise anglicane en étaient exonérées.

15.  Dans un autre jugement ([2006] EWHC 1454 (Admin)), le juge Silber estima que le refus d’autorisation de se marier opposé à M. Baiai, un immigré qui était alors en situation irrégulière, n’avait pas porté atteinte aux droits de celui-ci au titre de l’article 12, car son mariage avec une ressortissante de l’EEE lui aurait permis de « passer devant les autres » et aurait nui à l’efficacité du contrôle de l’immigration.

16.  Souscrivant à l’opinion du juge Silber selon laquelle la première version du régime institué au titre de l’article 19 de la loi de 2004 était discriminatoire, le ministre de l’Intérieur s’abstint de la contester en appel. Toutefois, il fut autorisé à interjeter appel des conclusions du juge Silber sur l’article 12 de la Convention. M. Baiai obtint lui aussi l’autorisation de faire appel.

3.  L’avis de la Cour d’appel sur la première version du régime

17.  Le 23 mai 2007, la Cour d’appel rendit un arrêt dans l’affaire SSHD v. Baiai and others ([2007] EWCA Civ 478). Elle approuva l’avis du juge Silber selon lequel le régime prévu par l’article 19 de la loi de 2004 était disproportionné et attentatoire aux articles 12 et 14 de la Convention. En revanche, elle marqua son désaccord avec la conclusion à laquelle le juge Silber était parvenu à l’égard de M. Baiai, considérant que la situation de celui-ci au regard du droit des étrangers était sans rapport avec l’authenticité de son projet de mariage, seul critère pertinent pour déterminer s’il lui était loisible d’exercer son droit de se marier. En conséquence, elle débouta le ministre de l’Intérieur de l’appel qu’il avait formé et accueillit celui de M. Baiai. Le ministre de l’Intérieur fut autorisé à se pourvoir devant la Chambre des lords.

4.  L’avis de la Chambre des lords sur la première version du régime

18.  Le 30 juillet 2008, la Chambre des lords rendit un arrêt dans l’affaire R. (on the application of Baiai and others) v. Secretary of State for the Home Department ([2008] UKHL 53). Rejetant le pourvoi dont elle était saisie, elle déclara que l’article 19 § 3 b) de la loi de 2004 devait se lire comme suit : « [la partie relevant du contrôle de l’immigration] a l’autorisation écrite du ministre de l’Intérieur de se marier au Royaume-Uni, pareille autorisation ne pouvant être refusée à un demandeur réunissant les conditions requises désireux de contracter un mariage ne revêtant pas un caractère fictif, la demande et l’octroi de cette autorisation ne pouvant être subordonnés à des conditions qui entraveraient déraisonnablement l’exercice par le demandeur de son droit de se marier au titre de l’article 12 de la Convention européenne. »

19.  Lord Bingham releva que, depuis sa création, la Cour avait qualifié le droit au mariage de « fondamental » et que, contrairement à l’article 8, l’article 12 conférait un droit et non un droit au respect d’aspects particuliers de la vie privée.

20.  Il observa en outre que la latitude laissée au droit interne n’était pas illimitée, et que l’on avait souligné que les législations nationales régissant l’exercice du droit de se marier ne devaient jamais porter atteinte ou nuire à la substance de ce droit. Il constata que, en pratique, la Cour veillait très scrupuleusement au respect du droit de se marier, relevant qu’elle avait donné raison à des requérants empêchés de s’unir au motif qu’ils étaient détenus (Hamer c. Royaume-Uni, no 7114/75, rapport de la Commission du 13 décembre 1979, Décisions et rapports (DR) 24, p. 62), à un requérant qui s’était vu imposer un délai obligatoire avant de pouvoir se marier pour la quatrième fois (F. c. Suisse, 18 décembre 1987, série A no 128), et à un autre requérant qui projetait de se marier avec sa belle-fille et devait obtenir une dérogation législative spéciale à cet effet (B. et L. c. Royaume-Uni, no 36536/02, 13 septembre 2005).

21.  Après avoir analysé – entre autres – les décisions rendues par les organes de Strasbourg dans les affaires Sanders c. France (no 31401/96, décision de la Commission du 16 octobre 1996, DR 87-A, p. 160) et Klip et Krüger c. Pays-Bas (no 33257/96, décision de la Commission du 3 décembre 1997, DR 91-B, p. 66), il parvint aux conclusions suivantes :

« Une autorité nationale peut légitimement subordonner le droit d’un ressortissant étranger de se marier à des conditions raisonnables dans le but de déterminer si le mariage projeté est ou non un mariage de complaisance et de l’empêcher si tel est le cas. En effet, l’article 12 a pour but de protéger le droit de contracter un véritable mariage, non de conférer aux personnes concernées le droit d’obtenir un avantage accessoire en contractant un mariage de pure forme pour des motifs inavoués.

(...)

Il ressort de [la jurisprudence] (...) que, lorsqu’une personne projette de se marier dans un Etat membre dont elle n’a pas la nationalité, celui-ci peut légitimement rechercher si le mariage en question est ou non un mariage de complaisance et recueillir des informations à cet égard. L’hypothèse selon laquelle il serait possible d’apporter d’importantes restrictions à tous les mariages de ce genre ou à une sous‑catégorie d’entre eux sans rechercher s’ils sont fictifs ou authentiques et sans procédure à cet effet ne trouve aucun appui dans la jurisprudence. »

22.  En ce qui concerne la première version du régime, lord Bingham s’exprima ainsi :

« Hormis ses aspects discriminatoires, auxquels la ministre de l’Intérieur s’est engagée à remédier, je ne pense pas que l’article 19, pris isolément, soit juridiquement critiquable. Il est loisible aux Etats membres, conformément à l’article 12, de chercher à empêcher les mariages de complaisance. Rien dans le texte de l’article 19 n’autorise ou n’oblige les autorités à refuser de délivrer une autorisation pour un mariage non qualifiable de mariage de complaisance. D’ailleurs, cette disposition ne mentionne aucunement les mariages de complaisance ou fictifs et ne fournit aucune indication quant aux motifs pour lesquels une autorisation peut être délivrée ou refusée. L’article 19 peut être interprété, conformément à son libellé et à l’article 12, comme imposant aux personnes relevant du contrôle de l’immigration de signaler leur projet de mariage, comme autorisant les autorités compétentes à enquêter pour rechercher si le mariage projeté est un mariage de complaisance et comme permettant à ces dernières de refuser de délivrer l’autorisation demandée dans le seul cas où il apparaît que le mariage projeté est un mariage de complaisance.

J’estime en outre que le règlement de 2005 ne prête pas le flanc à la critique, à une réserve près. Son annexe 2 contient certaines indications sur les informations que les personnes sollicitant l’autorisation de se marier doivent fournir, et une enquête sur la question de savoir si un mariage projeté est ou non fictif exigerait bien entendu de très nombreuses précisions (davantage que celles requises par l’annexe). La réserve que m’inspire ce texte concerne les frais réclamés aux demandeurs. Il va sans dire que des frais d’un montant excessif pour les demandeurs indigents pourraient porter atteinte à la substance du droit de se marier qui est ici en cause. Des frais s’élevant à 295 £ (590 £ pour un couple dont les deux membres relèvent du contrôle de l’immigration) pourraient avoir un tel effet.

Les directives de la direction de l’immigration, qui semblent avoir été édictées sans autorisation expresse du Parlement, permettent aux autorités de refuser l’autorisation de se marier – sauf pour des motifs humanitaires dont l’existence est en pratique peu souvent reconnue – à toutes les personnes dépourvues de titre de séjour sur le territoire britannique, ainsi qu’à celles qui ont obtenu une autorisation d’entrée ou de séjour au Royaume-Uni d’une durée qui n’excède pas six mois ou expirant moins de trois mois après le dépôt de leur demande. L’anomalie de ce dispositif tient à ce que, nonobstant leur pertinence manifeste du point de vue du droit des étrangers, aucune de ces conditions n’a le moindre rapport avec la question de l’authenticité du mariage projeté, seul critère à prendre en compte pour décider si un demandeur apte au mariage au regard du droit interne doit ou non se voir accorder l’autorisation de se marier. Il est possible que les personnes relevant des catégories définies par les directives soient plus enclines que d’autres à contracter des mariages de complaisance, élément qui peut être très important lorsque l’on s’interroge sur l’authenticité d’un mariage projeté. Mais le dispositif instauré par l’article 19 ne prescrit pas la conduite d’une enquête et ne prévoit pas cette possibilité en raison du coût et de la charge que représenterait pareille mesure sur le plan administratif (d’après les preuves fournies). En conséquence, le régime critiqué impose à toutes les personnes relevant des catégories qu’il définit l’interdiction absolue d’exercer leur droit de se marier, sauf pour des motifs humanitaires appréciés discrétionnairement, indépendamment de la question de savoir si les mariages projetés sont ou non des mariages de complaisance. Il en résulte une ingérence disproportionnée dans l’exercice du droit au mariage. »

23.  La baronne Hale of Richmond s’exprima ainsi :

« Nul ne conteste au gouvernement la faculté de refuser un avantage lié à la législation sur l’immigration à un conjoint qui aurait contracté un mariage dans le seul but d’obtenir l’avantage en question, et les défendeurs soutiennent qu’il en va déjà ainsi puisque les avantages revendiqués ne valent que pour les véritables relations. Mais le régime incriminé a des effets tout à fait différents. Les règles litigieuses autorisent le gouvernement à interdire a priori un très grand nombre de mariages, qu’ils soient ou non authentiques et qu’ils permettent ou non d’obtenir un avantage lié à la législation sur l’immigration, et sans prévoir de recours autre que le contrôle juridictionnel. Ce faisant, elles touchent à la substance même du droit de se marier garanti par l’article 12 de la Convention européenne des droits de l’homme à toute personne ayant l’âge requis. »

24.  La baronne Hale of Richmond estima que le régime encourait de nombreux reproches, outre celui d’être discriminatoire. Ses critiques portaient notamment sur les points suivants :

« [Le régime] s’applique à toute personne relevant du contrôle de l’immigration, c’est-à-dire à tous les non-ressortissants de l’EEE sollicitant une autorisation d’entrer ou de séjourner au Royaume-Uni (article 19 § 4). En d’autres termes, il concerne tous les étrangers, sauf ceux qui sont détenteurs d’un « titre de séjour à durée illimitée ». Quels que soient le lieu où ils vivent et celui où ils ont l’intention de se marier, les intéressés doivent signaler leur projet de mariage à l’officier de l’état civil de tel ou tel secteur expressément déterminé et chacun des futurs conjoints doit se présenter en personne devant lui à cet effet (article 19 § 2). Ceux-ci sont soumis à ces exigences quelles que soient la durée de leur séjour dans notre pays et l’étroitesse de leur relation, quand bien même leur mariage ne leur procurerait aucun avantage lié à la législation sur l’immigration ou seulement un avantage limité.

La présentation des candidats au mariage devant l’officier de l’état civil compétent ne marque l’achèvement de la procédure que pour deux catégories de personnes, à savoir celles qui ont obtenu l’autorisation d’entrer sur le territoire britannique dans le but exprès de s’y marier (article 19 § 3 a)) et celles qui relèvent de l’un des cas prévus par le règlement (article 19 § 3 c)). L’article 6 du règlement de 2005 sur l’immigration (procédure de mariage) (S.I. 2005/15) précise ce qu’il faut entendre par « personne installée au Royaume-Uni » au sens du paragraphe 6 du règlement sur l’immigration. Cette qualification s’applique en substance aux personnes qui ont leur résidence habituelle au Royaume-Uni, dont la situation est régulière au regard du droit des étrangers, et dont l’autorisation de séjour n’est soumise à aucune restriction. De très nombreuses personnes qui vivent depuis longtemps en situation régulière sur le territoire britannique ne sont pas considérées comme y étant « installées » au sens de cette définition.

Les personnes relevant du contrôle de l’immigration qui n’appartiennent à aucune de ces deux catégories ne peuvent se marier au Royaume-Uni sans autorisation écrite du ministre de l’Intérieur (article 19 § 3 b)). Les demandes d’autorisation doivent être faites par écrit et accompagnées du règlement des frais prévus par le règlement de 2005, qui s’élèvent actuellement à 295 £. Si les deux futurs conjoints ont besoin d’une autorisation, il leur en coûtera 590 £. Le règlement ne prévoit pas la possibilité d’exonérer les demandeurs des frais en question ou d’en réduire le montant, quels que soient les mérites de leur dossier. Ces frais sont supérieurs au coût – beaucoup plus modique – du mariage lui‑même, qui s’élève au total à 103,50 £ (30 £ par avis de mariage, 40 £ pour la cérémonie et 3,50 £ pour le certificat de mariage). Ils sont incontestablement dissuasifs pour les couples qui désirent profondément et sincèrement se marier, et sont sans rapport avec la situation de ceux-ci au regard du droit des étrangers ou le lieu où ils ont l’intention de vivre une fois mariés.

Les couples en question ne trouveront dans la loi et le règlement aucune indication leur permettant d’évaluer leurs chances d’obtenir une autorisation. Dans ces conditions, il apparaît que le gouvernement est libre de mener la politique de son choix, sans même la soumettre au contrôle du Parlement. A l’heure actuelle, cette politique est exposée à l’article 15 du chapitre 1er des « instructions de la direction de l’immigration ». Elle ne repose pas sur une appréciation raisonnable de la question de savoir si le mariage projeté procurera aux futurs conjoints un avantage lié à la législation sur l’immigration ou s’il s’agit ou non d’un véritable mariage, mais sur une règle arbitraire accordant l’autorisation de se marier aux personnes titulaires d’un titre d’entrée ou de séjour au Royaume-Uni d’une durée supérieure à six mois (calculée à partir de la date du début du séjour des intéressés) et n’expirant pas moins de trois mois après l’introduction de la demande. Même les futurs conjoints qui satisfont à ces critères peuvent se voir refuser l’autorisation de se marier s’il existe une bonne raison de croire que l’un ou l’autre est inapte à se marier au regard du droit anglais. L’autorisation de se marier est refusée aux personnes qui ne répondent pas à ces critères, sauf s’il existe des « raisons humanitaires exceptionnelles » pour lesquelles il serait déraisonnable d’attendre des intéressés qu’ils se rendent à l’étranger pour s’y marier ou y demander un titre d’entrée. Parmi les exemples cités pour illustrer ce cas de figure, on trouve celui d’une personne enceinte ou que son état de santé empêche de voyager, mais aucun d’entre eux ne porte sur des situations donnant à penser que le mariage projeté est authentique, parce que cet élément n’entre pas en ligne de compte.

Cette politique exclut automatiquement tous les demandeurs d’asile, car ceux-ci ne disposent pas d’un titre d’entrée sur le territoire britannique. Elle pose en principe qu’ils ne doivent pas se voir accorder l’autorisation de se marier avant que leur demande ait été traitée. Mais ils peuvent obtenir l’autorisation en question si dix‑huit mois se sont écoulés sans que leur demande ait fait l’objet d’une première décision ou si un recours est pendant depuis dix-huit mois (et il semble que ce délai recommence à courir à compter de l’introduction d’un recours), ou s’il existe des raisons humanitaires impérieuses pour lesquelles il serait déraisonnable d’attendre d’eux qu’ils se rendent à l’étranger. Il va sans dire qu’il est extrêmement improbable qu’un véritable demandeur d’asile soit en mesure de retourner dans le pays qu’il a fui pour échapper à une crainte légitime de persécution, et que notre pays enfreindrait les obligations que lui impose la Convention sur les réfugiés s’il l’y obligeait.

Le fait que la grande majorité des demandes d’autorisation soient accueillies montre que le régime institué par la loi a une portée trop étendue. Du 1er février 2005, date d’entrée en vigueur de l’article 19, au 10 avril 2006, date à laquelle le juge Silber a rendu son premier jugement, 14 787 demandes d’autorisation de mariage ou de partenariat civil ont été traitées. Sur les 12 754 autorisations accordées, seulement 41 l’ont été pour des motifs exceptionnels ou humanitaires, les autres parce que les demandeurs réunissaient les conditions requises. 1 805 demandes ont été rejetées, 228 ont été retirées ou abandonnées. On nous a dit que cela était précisément l’effet recherché. Le gouvernement a tout simplement décidé de soumettre de très nombreux projets de mariage à l’effet dissuasif d’un contrôle et d’interdire tous ceux relevant de la catégorie la plus susceptible à ses yeux de renfermer des mariages de complaisance. Il a été considéré comme trop difficile et trop onéreux de déployer des efforts sérieux pour essayer de distinguer les mariages de complaisance des véritables mariages. »

5.  Les modifications apportées à la première version du régime des certificats d’approbation

25.  A la suite des décisions rendues par le juge Silber le 10 avril 2006, des modifications furent apportées à la première version du régime des certificats d’approbation. Les nouvelles dispositions (« la deuxième version du régime ») prévoyaient que les demandeurs ne disposant pas d’une autorisation d’entrée ou de séjour d’une durée suffisante au moment du dépôt de leur demande de délivrance d’un certificat d’approbation pouvaient se voir inviter à fournir des informations complémentaires à l’appui de celle-ci, pour permettre au ministère de l’Intérieur de vérifier si le mariage ou le partenariat civil envisagé était authentique.

26.  Le régime des certificats d’approbation fut à nouveau modifié consécutivement à l’arrêt rendu le 23 mai 2007 par la Cour d’appel. Dans sa troisième version, ce régime énonçait que les demandes émanant de personnes dépourvues d’autorisation d’entrée ou de séjour valable, jusqu’alors inéligibles à un certificat d’approbation sauf en cas de circonstances exceptionnelles d’ordre humanitaire, seraient traitées conformément aux directives applicables aux personnes disposant d’un titre d’entrée ou de séjour limité et insuffisant pour satisfaire aux critères d’attribution d’un certificat.

27.  L’obligation de s’acquitter de frais de dossier imposée aux demandeurs de certificats d’approbation fut suspendue par le gouvernement à compter du 9 avril 2009. Le 10 juillet 2010, le ministère compétent approuva un dispositif de remboursement des frais payés par les demandeurs qui, au moment du dépôt de leur demande, répondaient à des critères d’indigence.

28.  Le 27 juillet 2010, un projet d’ordonnance correctrice de la loi de 2004 sur l’asile et l’immigration (traitement des demandeurs) fut déposé au Parlement. Si le projet d’ordonnance devait être approuvé par les deux chambres du Parlement, l’ordonnance pourrait entrer en vigueur début 2011. Son entrée en vigueur aboutirait à l’abrogation du régime des certificats d’approbation.

B.  La situation personnelle des requérants

29.  Les intéressés sont nés en 1974, 1979, 2006 et 2000 respectivement et résident à Londonderry.

30.  La première requérante a la double nationalité irlandaise et britannique. Elle est mariée au deuxième requérant, un ressortissant nigérian d’origine biafraise. Le troisième requérant est le fils des premier et deuxième requérants. Le quatrième requérant est le fils que la première requérante a eu d’une précédente union. Les troisième et quatrième requérants ont la double nationalité britannique et irlandaise.

31.  Les intéressés sont des catholiques pratiquants.

32.  Les premier et deuxième requérants ont la charge des troisième et quatrième requérants, ainsi que des parents de la première requérante, qui sont invalides. La première requérante perçoit une allocation pour garde d’invalide, une aide au revenu, une allocation pour enfant à charge et une allocation de logement. Le deuxième requérant n’a pas le droit de travailler.

C.  Les circonstances factuelles de l’espèce

33.  Le deuxième requérant arriva en Irlande du Nord en 2004 et y demanda l’asile en 2006. En novembre 2009, il se vit accorder une autorisation exceptionnelle de séjour (discretionary leave to remain) valable jusqu’en novembre 2011.

34.  Il rencontra la première requérante en novembre 2004. Ils commencèrent à vivre ensemble en décembre 2005. En mai 2006, le deuxième requérant demanda la première requérante en mariage, ce qu’elle accepta.

35.  Le 9 juillet 2007, les intéressés sollicitèrent un certificat d’approbation ainsi qu’une exonération des frais de dossier, qui s’élevaient à 295 GBP. Ils joignirent à leur demande des explications précisant que la première requérante survivait grâce à l’allocation pour garde d’invalide ainsi qu’à l’aide au revenu et que le deuxième requérant était indigent car il n’avait pas été autorisé à travailler. Ils y ajoutèrent une lettre de recommandation du député de leur circonscription.

36.  Le 18 juillet 2007, leur demande leur fut retournée sous couvert d’une lettre libellée dans les termes suivants :

« Une demande non accompagnée du règlement des frais exigés n’est pas valable. Les frais afférents à la demande que vous nous avez adressée par courrier le 9 juillet 2007 n’ont pas été payés. Nous estimons que votre situation ne justifie pas une exonération des frais en question. Par conséquent, votre demande n’est pas valable. Nous vous retournons les documents que vous nous avez adressés. »

37.  En juillet 2008, des amis des requérants se cotisèrent pour réunir une partie de la somme nécessaire au paiement des frais exigés pour le dépôt d’une demande de certificat d’approbation. Par la suite, les requérants déposèrent une demande accompagnée du règlement des frais en question. A réception de cette demande, l’agent chargé du dossier des intéressés les invita à fournir des informations complémentaires sur leurs relations. Ceux‑ci lui adressèrent deux attestations faites sous serment. Les renseignements fournis par les requérants ayant été jugés satisfaisants, ceux‑ci se virent délivrer un certificat d’approbation le 8 juillet 2008 et se marièrent le 18 octobre 2008.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A.  Le régime des certificats d’approbation

38.  L’article 19 § 1 de la loi de 2004 sur l’asile et l’immigration (traitement des demandeurs, etc.) (« la loi de 2004 ») subordonne les mariages contractés par des personnes relevant du contrôle de l’immigration autres que ceux célébrés selon les rites de l’Eglise d’Angleterre conformément à la deuxième partie de la loi de 1949 à certaines conditions.

39.  Les passages pertinents de l’article 19 § 3 de la loi de 2004 sont ainsi libellés :

« 3.  Un mariage relevant du présent article ne peut faire l’objet d’une inscription au registre des mariages par le directeur de l’état civil que si celui-ci a constaté, au vu de preuves déterminées, que le candidat au mariage qui relève du contrôle de l’immigration

a)  dispose d’un titre d’entrée sur le territoire britannique délivré dans le but exprès de lui permettre de se marier au Royaume-Uni,

b)  dispose d’une autorisation écrite du ministre de l’Intérieur lui permettant de se marier au Royaume-Uni (...) »

40.  L’article 19 § 4 a) de la loi de 2004 énonce que les personnes « relevant du contrôle de l’immigration » sont celles qui ne sont pas ressortissantes de l’EEE et qui sollicitent une autorisation d’entrer ou de séjourner au Royaume-Uni.

41.  En ce qui concerne l’Irlande du Nord, l’article 23 de la loi de 2004 énonce ce qui suit :

« 1.  Le présent article s’applique aux mariages :

a)  devant être célébrés en Irlande du Nord, et

b)  contractés par une personne relevant du contrôle de l’immigration.

2.  Les déclarations des mariages auxquels le présent article s’applique

a)  ne peuvent être recueillies que par l’officier de l’état civil désigné à cet effet, et

b)  doivent, dans les cas prévus, être faites en personne et ensemble par les deux candidats au mariage au bureau de l’état civil désigné à cet effet.

3.  L’officier de l’état civil requis ne peut procéder aux actes prévus par les articles 4 et 7 de l’ordonnance de 2003 sur le mariage (Irlande du Nord) (S.I. 2003/413 (N.I.3)) (registre des mariages, liste des projets de mariage et calendrier des mariages) que s’il a constaté, au vu de preuves déterminées, que le candidat au mariage qui relève du contrôle de l’immigration

a)  dispose d’un titre d’entrée sur le territoire britannique délivré dans le but exprès de lui permettre de se marier au Royaume-Uni,

b)  dispose d’une autorisation écrite du ministre de l’Intérieur lui permettant de se marier au Royaume-Uni, ou (...) »

42.  L’autorisation du ministre de l’Intérieur est matérialisée par la délivrance d’un certificat d’approbation selon la procédure prévue par le règlement de 2005 sur l’immigration (procédure de mariage) (S.I. 2005/15) (« le règlement de 2005 »).

43.  L’article 7 du règlement de 2005 est ainsi libellé :

« 1.  Une personne souhaitant obtenir du ministre de l’Intérieur l’autorisation de se marier au Royaume-Uni en application des articles 19 § 3 b), 21 § 3 b) ou 23 § 3 b) de la loi de 2004 doit :

a)  en faire la demande par écrit ;

b)  s’acquitter des frais de dépôt de sa demande conformément à l’article 8 du présent règlement.

2.  Les informations énumérées dans l’annexe 2 doivent figurer dans la demande ou y être jointes. »

44.  L’annexe 2 prévoit que les deux candidats à un mariage doivent préciser leurs nom, date de naissance, nom à la naissance (si différent), nationalité, coordonnées, numéro de passeport ou de document de voyage, numéro de dossier au ministère de l’Intérieur (le cas échéant), leur situation au regard du droit des étrangers, la date d’obtention du titre d’entrée ou de séjour ainsi que la date d’expiration de celui-ci (le cas échéant), et fournir des renseignements sur tout mariage ou divorce antérieur.

45.  Initialement fixés à 135 GBP, les frais afférents au dépôt d’une demande d’autorisation auprès du ministère de l’Intérieur passèrent à 295 GBP le 2 avril 2007. Les textes applicables n’ouvrent aucun recours aux demandeurs qui prétendraient ne pas être en mesure de s’acquitter des frais exigés. Le non-paiement des frais en question entraîne l’invalidité de la demande et les textes ne prévoient pas la possibilité d’en exonérer les demandeurs. Le rejet d’une demande de délivrance d’un certificat d’approbation ne relève pas du droit de l’immigration et la loi ne prévoit pas de recours contre pareille décision.

46.  En février 2005, la direction de l’immigration émit des directives sur la capacité au mariage (« IDI »). Celles-ci énoncent que les personnes relevant du contrôle de l’immigration désireuses de se marier au Royaume‑Uni en application de la loi de 2004 ne peuvent formuler une déclaration de mariage qu’à la condition supplémentaire d’être titulaires d’un titre d’entrée sur le territoire britannique, d’être installées au Royaume‑Uni ou de disposer d’un certificat d’approbation délivré par le ministère de l’Intérieur. L’article 15 § 3 du chapitre 1 des IDI (« critères de délivrance d’un certificat d’approbation ») est ainsi libellé :

« Pour être éligibles à un certificat d’approbation, les personnes qui en sollicitent la délivrance doivent être titulaires d’une autorisation d’entrée ou de séjour au Royaume-Uni d’une durée totale de plus de six mois et n’expirant pas moins de trois mois après le dépôt de leur demande. »

47.  Selon les IDI, il y a lieu de refuser la délivrance d’un certificat d’approbation lorsqu’il existe une bonne raison de croire à la présence d’un empêchement juridique au mariage tel que l’âge, la consanguinité ou l’existence d’un mariage non rompu. En principe, les personnes qui ne satisfont pas aux conditions requises pour la délivrance d’un certificat d’approbation doivent se la voir refuser, à moins que des motifs humanitaires ne s’y opposent.

B.  La première modification apportée au régime des certificats d’approbation

48.  Le régime des certificats d’approbation fut modifié à la suite du jugement rendu par le juge Silber. Les instructions du Service de contrôle des frontières du Royaume-Uni (United Kingdom Border Agency – l’« UKBA ») indiquent que la nouvelle procédure lui permet d’inviter par écrit les personnes disposant d’une autorisation d’entrée ou de séjour au Royaume-Uni d’une durée insuffisante pour solliciter un certificat d’approbation à fournir des informations complémentaires à l’appui de leur demande afin qu’il puisse vérifier que le mariage ou le partenariat civil projeté est authentique. Elles précisent que toutes les lettres adressées à ces personnes doivent demander la communication d’informations portant sur :

–  le moment, le lieu et les modalités de la rencontre entre le demandeur et la personne avec laquelle il souhaite contracter un mariage ou un partenariat civil ;

–  le moment où le couple a décidé de se marier ou de conclure un partenariat civil ;

–  le lieu où le couple a l’intention de s’installer en cas d’obtention de l’autorisation de se marier ou de conclure un partenariat civil au Royaume-Uni ;

–  le cas échéant, les dispositions prises pour une cérémonie religieuse – notamment la nature de celle-ci, le nom de l’officiant, avec indication des coordonnées pertinentes –, y compris celles prévues, le cas échéant, pour une réception ou célébration (avec indication, entre autres, du lieu de la célébration, des preuves de réservation et des coordonnées pertinentes) ;

–  les relations du demandeur et de la personne avec laquelle il souhaite contracter un mariage ou un partenariat civil, si le couple ne cohabite pas (avec communication de preuves de l’existence de la relation telles que des lettres et des photographies) ;

–  la vie du demandeur et de la personne avec laquelle il souhaite contracter un mariage ou un partenariat civil s’ils cohabitent, notamment leur adresse et la durée de leur vie commune (avec communication de preuves écrites de celle-ci telles que des lettres adressées aux deux intéressés à la même adresse par des services publics, des administrations, des collectivités locales, des établissements financiers, etc.) ;

–  les enfants du demandeur et de la personne avec laquelle il souhaite contracter un mariage ou un partenariat civil, issus de leur relation ou de relations précédentes, leur lieu de résidence, la durée pendant laquelle ils ont vécu avec le demandeur et la personne avec laquelle il souhaite contracter un mariage ou un partenariat civil, le nom de leurs parents naturels et des précisions sur la personne qui en a la charge ;

–  les coordonnées téléphoniques du demandeur et de la personne avec laquelle il souhaite contracter un mariage ou un partenariat civil, au cas où un agent souhaiterait contacter l’un ou l’autre des intéressés ;

–  toute précision complémentaire que le demandeur souhaiterait apporter, et/ou tout autre élément ou pièce utile à la demande.

C.  La deuxième modification apportée au régime des certificats d’approbation

49.  Le gouvernement apporta de nouvelles modifications au régime des certificats d’approbation consécutivement à l’arrêt rendu par la Cour d’appel. L’UKBA émit de nouvelles directives énonçant que les personnes dépourvues de titre d’entrée ou de séjour valable – les immigrés en situation irrégulière, les personnes ayant obtenu une admission temporaire après un refus d’autorisation d’entrée ou dans l’attente d’une décision sur leur demande d’autorisation d’entrée, et celles dont le permis de séjour a expiré –, qui étaient jusqu’alors inéligibles à un certificat d’approbation sauf en cas de circonstances exceptionnelles d’ordre humanitaire, seraient traitées conformément aux directives applicables aux personnes disposant d’un titre d’entrée ou de séjour limité et insuffisant pour satisfaire aux critères d’attribution d’un certificat.

D.  Evolution ultérieure

50.  En mars 2009, l’association AIRE Centre et le Conseil paritaire pour le bien‑être des immigrants (Joint Council for the Welfare of Immigrants) intentèrent une procédure de contrôle juridictionnel, alléguant que le ministère de l’Intérieur ne s’était pas conformé à la partie de l’arrêt rendu par la Chambre des lords relative au montant des frais requis pour le dépôt d’une demande de certificat. La veille du prononcé de la décision, le gouvernement accepta de suspendre l’exigibilité des frais en question à compter du 9 avril 2009.

51.  Le 10 juillet 2010, le ministère approuva un dispositif de remboursement à titre gracieux de l’intégralité des frais aux couples demandeurs répondant à des critères d’indigence. Selon ce dispositif, les couples concernés devaient démontrer la réalité de leur indigence en apportant la preuve que le paiement des frais aurait entraîné pour eux des difficultés financières réelles au moment du dépôt de leur demande. Les critères d’indigence tenaient compte des allocations éventuellement perçues par les futurs conjoints, notamment une aide à l’asile, et d’un certain seuil de revenus.

52.  En novembre 2009, le Gouvernement informa la Cour de son intention d’abroger le régime des certificats d’approbation. Le 27 juillet 2010, un projet d’ordonnance correctrice de la loi de 2004 sur l’asile et l’immigration (traitement des demandeurs) fut déposé au Parlement. Son entrée en vigueur est prévue pour début 2011.

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 12 DE LA CONVENTION

53.  Les requérants allèguent que le régime des certificats d’approbation et l’application qui leur en a été faite ont violé leur droit de se marier au titre de l’article 12 de la Convention, ainsi libellé :

« A partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit. »

54.  Le Gouvernement combat cette thèse.

(...)

B.  Sur le fond

1.  Thèses des parties

a)  Thèse des requérants

60.  Les requérants allèguent que le régime des certificats d’approbation et l’application qui leur en a été faite ont porté atteinte de manière disproportionnée à leur droit de se marier et de fonder une famille.

61.  Ils soutiennent qu’ils ont décidé de se marier fin 2005, sous l’empire de la première version du régime, en vertu de laquelle les personnes disposant d’une autorisation d’entrée ou de séjour sur le territoire britannique dont la durée de validité était insuffisante se voyaient systématiquement refuser la délivrance d’un certificat. Ils avancent que, faute pour le deuxième requérant de disposer d’une autorisation de séjour, toute demande formulée par lui à cette époque aurait été rejetée.

62.  Ils allèguent que, selon la deuxième version du régime, instaurée le 10 avril 2006, la délivrance d’un certificat n’était pas automatiquement refusée aux personnes disposant d’une autorisation de séjour d’une durée insuffisante, celles-ci pouvant se voir inviter à fournir des informations complémentaires sur leurs relations. Toutefois, ils font valoir que le deuxième requérant n’aurait pas été éligible à la délivrance d’un certificat car il n’avait pas d’autorisation de séjour au Royaume-Uni. Ils concèdent que l’intéressé aurait pu prétendre à la délivrance d’un certificat à compter de l’entrée en vigueur, le 19 juin 2007, de la troisième version du régime, mais allèguent que son incapacité à s’acquitter des frais exigés demeurait un obstacle à l’obtention du certificat en question. A cet égard, ils précisent que le deuxième requérant avait déposé une demande à laquelle il avait joint des explications précises sur les raisons pour lesquelles il ne pouvait s’acquitter des frais en question, et que cette demande s’était heurtée à une fin de non‑recevoir car elle n’était pas accompagnée du règlement requis. Ils ajoutent que le deuxième requérant n’a pu obtenir le certificat qu’après que ses amis et sa famille eurent organisé une « collecte ».

63.  Les intéressés reconnaissent que les Etats doivent pouvoir prendre les mesures nécessaires à la prévention des mariages de complaisance. Toutefois, ils estiment qu’il est fallacieux d’affirmer que le régime critiqué poursuit le but légitime d’empêcher les mariages de complaisance car il s’applique à toutes les personnes relevant du contrôle de l’immigration, que le mariage ait ou non un effet – avéré ou éventuel – sur leur statut au regard du droit des étrangers.

64.  Selon les requérants, leur relation n’est pas fictive et il n’existe aucune raison de croire qu’elle l’est. Au contraire, ils vivraient ensemble depuis 2005, ils auraient eu un enfant ensemble et éduqueraient ensemble l’enfant issu d’une relation antérieure du deuxième requérant.

65.  Même s’il était admis que le régime poursuit un but légitime, il serait disproportionné car il ne tiendrait pas compte des différences entre les situations individuelles des diverses personnes qu’il touche. En particulier, le montant des frais serait trop élevé et la loi ne prévoirait aucune possibilité d’exonération pour les personnes incapables de s’en acquitter. Pour les requérants, comme pour beaucoup d’autres, la somme exigée viderait à elle seule de sa substance le droit de se marier. Outre les frais afférents à une demande de certificat d’approbation, les couples désireux de se marier devraient s’acquitter de 103 GBP pour les formalités de mariage. De surcroît, ceux qui souhaiteraient solliciter auprès de l’UKBA la modification de leur statut au regard du droit des étrangers devraient verser une somme supplémentaire, d’un montant allant de 465 à 1 020 GBP (en fonction du statut demandé et du service fourni). Cumulées, les sommes en question seraient disproportionnées et dépasseraient les ressources de la majeure partie de la population immigrée. Les frais élevés exigés pour l’obtention d’un certificat d’approbation s’analyseraient donc en une ingérence dans le droit de se marier pour une large majorité des personnes concernées par le régime litigieux, et pas seulement pour les « pauvres d’entre les pauvres ».

66.  Si, comme le soutient le Gouvernement, le régime visait vraiment à réduire le nombre de mariages de complaisance contractés pour des raisons liées à la législation sur l’immigration, il devrait être fondé sur le postulat selon lequel toutes les personnes en relevant pourraient tirer de leur mariage un avantage lié à la législation sur l’immigration. Le montant des frais exigés des demandeurs qui n’entendent tirer de leur mariage avec leur futur conjoint aucun avantage de ce genre serait en soi excessif et critiquable, qu’ils connaissent ou non des difficultés financières.

67.  La thèse du Gouvernement selon laquelle la Chambre des lords se serait bornée à constater que seuls la discrimination religieuse et le montant des frais auraient été contraires à la Convention et que la loi et la réglementation étaient « exemptes de critiques » pour le reste serait fallacieuse. Au contraire, Lord Bingham aurait clairement indiqué que le régime ne se justifiait que dans la mesure où il visait à empêcher les mariages de complaisance. De la même manière, la baronne Hale aurait formulé plusieurs critiques contre ce régime. Elle aurait d’abord relevé que celui-ci concernait tous les étrangers – sauf ceux bénéficiant d’un droit de séjour illimité – quelles que soient la durée de leur séjour au Royaume-Uni et l’étroitesse de leur relation, et quand bien même leur mariage ne leur aurait procuré aucun avantage lié à la législation sur l’immigration ou seulement un avantage limité. Elle aurait ensuite observé que la décision d’accorder ou de refuser la délivrance d’un certificat d’approbation ne reposait pas sur une appréciation raisonnable de la question de savoir si le mariage projeté aurait procuré aux futurs conjoints un avantage lié à la législation sur l’immigration ou s’il s’agissait ou non d’un véritable mariage, mais au contraire sur une règle arbitraire accordant l’autorisation à tout demandeur titulaire d’une autorisation d’entrée ou de séjour au Royaume-Uni valable plus de six mois et n’expirant pas moins de trois mois après l’introduction de la demande. Elle aurait aussi noté que la politique critiquée excluait automatiquement tous les demandeurs d’asile, ceux-ci ne disposant pas d’une autorisation d’entrée. Enfin, elle aurait constaté que la grande majorité des demandes d’autorisation étaient accueillies et en aurait déduit que le régime institué par la loi avait une portée trop étendue.

b)  Thèse du Gouvernement

68.  Le Gouvernement conteste que le premier et le deuxième requérants aient projeté de se marier avant la proposition de mariage formulée par ce dernier en mai 2006. Il fait valoir à cet égard que la lettre du 9 juillet 2007 accompagnant la demande de délivrance d’un certificat d’approbation indique que le couple avait décidé de se marier en mai 2006. Il soutient que, bien que les intéressés eussent indiqué dans leurs attestations appuyant cette demande qu’ils avaient auparavant discuté de mariage, ils y ont tous deux clairement précisé qu’ils n’avaient décidé de se fiancer qu’en mai 2006, et qu’ils avaient prévu de se marier en septembre 2007. Rien ne donnerait à penser qu’ils avaient envisagé de se marier avant et que le régime litigieux les en avait empêchés. Par conséquent, les intéressés n’auraient été concernés que par la troisième version du régime, dont aucune disposition n’aurait fait obstacle à leur mariage, hormis le paiement des frais.

69.  Le régime des certificats d’approbation n’emporterait pas en soi violation des droits des requérants. Au contraire, bien que la Chambre des lords eût estimé que la première version du régime était critiquable à trois égards – premièrement, en ce que son application s’analysait en une atteinte disproportionnée au droit de se marier reconnu par l’article 12 de la Convention, deuxièmement en ce que l’existence de frais forfaitaires d’un montant trop élevé pour des demandeurs indigents pouvait porter atteinte à la substance du droit de se marier, enfin troisièmement en ce que l’exonération de frais applicable aux mariages célébrés devant l’Eglise anglicane opérait une discrimination prohibée par l’article 14 combiné avec l’article 12 –, elle aurait conclu que la loi de 2004 et le règlement de 2005 n’encouraient par ailleurs aucun reproche et que leur application se conciliait avec la Convention.

70.  Les conclusions des juridictions internes devraient être approuvées, notamment en ce qui concerne l’atteinte que les frais exigés pourraient faire subir aux demandeurs indigents dans les droits qu’ils tiennent de l’article 12.

71.  Toutefois, des modifications visant à distinguer les mariages de complaisance des véritables mariages auraient été apportées à la première version du régime et auraient remédié à l’atteinte disproportionnée au droit au mariage avant que les requérants n’eussent demandé la délivrance d’un certificat d’approbation. Le Gouvernement aurait consacré la plus grande attention à la question du montant des frais exigés. Il en aurait suspendu l’exigibilité à compter du 9 avril 2009 et aurait mis en place le 10 juillet 2010 un dispositif permettant aux demandeurs indigents d’en obtenir le remboursement.

c)  Les tiers intervenants

i.  La Commission de l’égalité et des droits de l’homme

72.  La Commission de l’égalité et des droits de l’homme (« la Commission ») estime que le maintien du régime des certificats d’approbation au Royaume-Uni encourt un certain nombre de critiques. Même après les modifications qui lui ont été apportées, ce régime serait fondé sur le principe selon lequel toutes les personnes relevant de la catégorie qu’il définit doivent se voir refuser l’autorisation de se marier à moins que le ministre de l’Intérieur ne décide expressément de la leur accorder, et non sur le postulat que toutes les personnes soient autorisées à se marier, comme le garantit l’article 12, sauf si elles relèvent d’une règle d’exclusion légitime et proportionnée ne portant pas atteinte à la substance de ce droit.

73.  Par ailleurs, bien que le Gouvernement eût avancé, dans le cadre de la procédure interne, que le régime litigieux visait les « mariages de complaisance », il aurait reconnu qu’il n’avait pas essayé de distinguer les véritables mariages des mariages de complaisance lors de l’élaboration du régime.

74.  De surcroît, il conviendrait de se référer à l’article 1 de la Résolution du Conseil de l’Union européenne 97/C 382/01, du 4 décembre 1997, sur les mesures à adopter en matière de lutte contre les mariages de complaisance, qui serait presque exclusivement axé sur un contrôle a posteriori des mariages contractés par des étrangers et dont l’objectif viserait à déterminer si ces unions justifient la délivrance d’un titre d’entrée ou de séjour, contrairement au régime litigieux, qui serait fondé sur une approche sans nuance.

75.  De plus, le régime demeurerait discriminatoire et disproportionné en ce qu’il présumerait que tous les mariages contractés au Royaume-Uni par les nombreux étrangers qui ne sont pas de confession anglicane sont des mariages de complaisance, sauf preuve contraire. Rien dans la jurisprudence de la Convention n’autoriserait une telle approche.

76.  En outre, l’article 19 du régime ne serait pas nécessaire et serait donc disproportionné au but déclaré de prévenir les mariages de complaisance, notamment parce qu’il existerait au Royaume-Uni d’autres mécanismes permettant d’identifier les mariages de ce genre et d’empêcher les personnes concernées d’en tirer des avantages liés à la législation sur l’immigration. A cet égard, l’article 24 de la loi de 1999 sur l’immigration et l’asile imposerait aux officiers de l’état civil responsables des mariages d’alerter sans délai le ministre de l’Intérieur chaque fois qu’il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’un mariage n’est pas authentique. Rien ne s’opposerait à ce que le ministre de l’Intérieur puisse se fonder sur ce genre de mise en garde pour prendre des mesures immédiates ou exercer un contrôle particulièrement attentif des demandes d’autorisation de séjour formulées par des personnes ayant contracté un mariage qui aurait fait l’objet d’un tel signalement. En outre, le paragraphe 284 de la réglementation sur l’immigration (HC 395) (dans sa version modifiée) aurait institué une procédure d’enquête approfondie sur l’authenticité des mariages contractés par des ressortissants étrangers qui s’en prévaudraient pour tenter d’obtenir un titre de séjour sur le territoire britannique. Dans ces conditions, il aurait été superflu, pour le Gouvernement, d’instaurer le régime prévu à l’article 19.

77.  Il conviendrait également de relever que, bien que près de trois ans se soient écoulés depuis le prononcé de l’arrêt du tribunal administratif qualifiant le régime litigieux de discriminatoire, aucun projet de loi visant à en supprimer les aspects discriminatoires n’aurait été déposé devant le Parlement par le ministre de l’Intérieur.

78.  Par ailleurs, les frais exigés seraient disproportionnés et excessifs, situation qui serait particulièrement lourde de conséquences pour les personnes concernées par le régime incriminé, dont la plupart seraient arrivées récemment au Royaume-Uni et n’auraient pas eu la possibilité de s’assurer des ressources financières. En outre, le régime en question ne leur permettrait pas de contester le montant des frais ou de réclamer une exonération.

79.  De surcroît, le régime n’offrirait pas de protection procédurale suffisante, aurait une portée trop étendue et serait arbitraire.

80.  Enfin, il aurait subi des modifications purement formelles incapables de remédier aux objections fondamentales qu’il suscite.

ii.  L’organisation Immigrant Council of Ireland – Independent Law Centre

81.  L’organisation Immigrant Council of Ireland (« ICI ») soutient elle aussi que l’article 19 de la loi de 2004 apporte des restrictions disproportionnées au droit de se marier. Elle souligne que la législation britannique sur l’immigration contient d’autres dispositions sur les mariages de complaisance, dispositions qui empêchent les personnes ayant contracté un mariage dans le seul but de contourner les règles en matière d’immigration d’invoquer des normes de droit interne ou l’article 8 de la Convention pour contraindre le gouvernement à accorder ou à renouveler des autorisations de séjour. Dans ces conditions, elle avance que le problème des mariages de complaisance aurait pu être pleinement réglé par des normes régissant l’octroi d’un titre de séjour consécutif à un mariage conformes à l’article 8, proportionnées et transparentes, plutôt que par une ingérence dans le droit de se marier.

2.  Appréciation de la Cour

82.  L’article 12 garantit le droit fondamental de l’homme et de la femme à se marier et à fonder une famille. L’exercice du droit au mariage emporte des conséquences sociales, personnelles et juridiques. Il obéit aux lois nationales des Parties contractantes, mais les limitations en résultant ne doivent pas le restreindre ou le réduire d’une manière ou à un degré qui l’atteindraient dans sa substance même (Rees c. Royaume-Uni, 17 octobre 1986, § 50, série A no 106, F. c. Suisse, 18 décembre 1987, § 32, série A no 128, et B. et L. c. Royaume-Uni, no 36536/02, § 34, 13 septembre 2005).

83.  Les organes de la Convention admettent que les limitations apportées au droit de se marier par les lois nationales puissent se traduire par des règles formelles portant, par exemple, sur la publicité et la célébration du mariage. Les limitations en question peuvent également se matérialiser par des règles de fond s’appuyant sur des considérations d’intérêt public généralement reconnues, telles que celles concernant la capacité de contracter un mariage, le consentement, l’interdiction à des degrés divers des mariages entre parents et alliés et la prévention de la bigamie. En matière de droit des étrangers, et lorsque cela se justifie, il est loisible aux Etats d’empêcher les mariages de complaisance contractés dans le seul but d’obtenir un avantage lié à la législation sur l’immigration. Toutefois, la législation nationale en la matière, qui doit elle aussi satisfaire aux exigences d’accessibilité et de clarté posées par la Convention, ne peut pas autrement enlever à une personne ou à une catégorie de personnes la pleine capacité juridique du droit de contracter mariage avec la personne de son choix (Hamer c. Royaume-Uni, no 7114/75, rapport de la Commission du 13 décembre 1979, DR 24, pp. 12 et suiv., §§ 55 et suiv., Draper c. Royaume-Uni, no 8186/78, rapport de la Commission du 10 juillet 1980, DR 24, p. 91, § 49, Sanders c. France no 31401/96, décision de la Commission du 16 octobre 1996, DR 87-A, p. 160, F. c. Suisse, précité, et B. et L. c. Royaume-Uni, précité, §§ 36 et suiv.).

84.  Le caractère fondamental du droit de se marier trouve un appui dans le libellé de l’article 12. Contrairement à l’article 8 de la Convention, qui garantit le droit au respect de la vie privée et familiale, avec lequel le droit « de se marier et de fonder une famille » présente d’étroites affinités, l’article 12 ne prévoit pas de motif légitime d’ingérence de la part de l’Etat, alors que le deuxième paragraphe de l’article 8 autorise des ingérences « prévues par la loi » et « nécessaires dans une société démocratique » à la poursuite de buts tels que « la protection de la santé ou de la morale » ou « la protection des droits et libertés d’autrui ». En conséquence, lorsqu’elle est appelée à examiner une affaire sur le terrain de l’article 12, la Cour doit rechercher, sans avoir égard aux critères de la « nécessité » et du « besoin social impérieux » utilisés dans le contexte de l’article 8, si l’ingérence critiquée était arbitraire ou disproportionnée au regard de la marge d’appréciation de l’Etat (Frasik c. Pologne, no 22933/02, § 90, CEDH 2010).

85.  En l’espèce, il est incontestable que le premier et le deuxième requérants ont commencé à vivre ensemble de manière durable et ininterrompue en décembre 2005. Si les intéressés ont indiqué dans leur requête introduite devant la Cour qu’ils avaient formé le projet de se marier en décembre 2005, ils ont clairement précisé dans leurs attestations présentées à l’appui de leur demande de délivrance d’un certificat d’approbation qu’ils avaient décidé de se fiancer en mai 2006 et qu’ils espéraient se marier en septembre 2007. Dans ces conditions, la Cour estime que les deux premiers requérants ont résolu de se marier en mai 2006.

86.  En mai 2006, époque à laquelle les deux requérants ont décidé de se marier, la deuxième version du régime des certificats d’approbation était en vigueur. Le deuxième requérant ne satisfaisait pas aux conditions requises pour la délivrance d’un certificat d’approbation car il ne disposait pas d’un titre de séjour au Royaume-Uni et sa situation ne présentait pas un caractère exceptionnel. Entrée en vigueur le 19 juin 2007, la troisième version du régime offre aux personnes ayant présenté une demande de titre de séjour la possibilité d’obtenir un tel certificat en attendant qu’il soit statué sur leur demande. Le deuxième requérant satisfaisait aux conditions requises pour l’obtention d’un certificat à compter de cette date, mais il n’était pas en mesure de s’acquitter des frais afférents au dépôt de la demande, qui étaient passés à 295 GBP le 2 avril 2007. La demande de certificat d’approbation formulée par l’intéressé auprès du ministre de l’Intérieur le 9 juillet 2007 se heurta à une fin de non-recevoir pour défaut de paiement des frais en question. Les deux premiers requérants n’obtinrent un certificat d’approbation qu’après que leurs amis les eurent aidés à s’acquitter des frais, et ils se marièrent le 18 octobre 2008.

87.  Il ressort clairement de la jurisprudence de la Cour et de décisions antérieures de la Commission qu’un Etat contractant peut légitimement subordonner le droit d’un étranger de se marier à des conditions raisonnables en vue de rechercher si le mariage envisagé est un mariage de complaisance et, le cas échéant, d’empêcher une telle union. En conséquence, les Etats contractants qui soumettent les mariages conclus par des étrangers à un contrôle visant à établir s’il s’agit ou non de mariages de complaisance ne méconnaissent pas nécessairement l’article 12 de la Convention (Klip et Krüger c. Pays-Bas, no 33257/96, décision de la Commission du 3 décembre 1997, DR 91-B, p. 66, Sanders, décision précitée, et Frasik, précité, § 89). Pareil contrôle peut prendre la forme d’une obligation imposée aux ressortissants étrangers de signaler aux autorités leur projet de mariage et, si nécessaire, de fournir des informations relatives à leur situation au regard de la législation sur l’immigration et à l’authenticité de leur mariage (Klip et Krüger, décision précitée). En outre, il n’est pas forcément contraire à la Convention de subordonner le mariage d’un étranger dans un Etat contractant à l’obtention préalable d’un certificat de capacité à mariage (Sanders, décision précitée). En conséquence, la Cour approuve la conclusion de la Chambre des lords selon laquelle l’obligation imposée par l’article 19 de la loi de 2004 aux personnes non ressortissantes de l’Espace économique européen (« l’EEE ») de solliciter auprès du ministre de l’Intérieur un certificat d’approbation pour pouvoir se marier au Royaume-Uni n’était pas critiquable en soi.

88.  Cela étant, le régime des certificats d’approbation suscite de sérieuses réserves, dont la plupart concernent les trois versions de celui-ci. En premier lieu, la Cour relève que l’authenticité du mariage projeté n’a jamais été le seul critère de délivrance d’un certificat d’approbation. Contrairement aux réglementations que la Commission avait été appelée à examiner dans les affaires Sanders et Klip et Krüger, la première version du régime ici en cause n’imposait pas aux demandeurs de certificats de fournir des informations sur la solidité ou la durée de leur relation car elle ne prévoyait ni n’envisageait la possibilité d’une enquête sur l’authenticité des mariages projetés. Les IDI donnent au contraire à penser que, pour se prononcer sur la délivrance d’un certificat d’approbation, le ministre de l’Intérieur devait se borner à rechercher si le demandeur disposait d’un titre de séjour suffisant et s’il existait un empêchement légal au mariage. La deuxième version du régime a autorisé les autorités à inviter les personnes ne disposant pas d’un titre de séjour suffisant à fournir des informations sur l’authenticité de leur relation, et la troisième version les a habilitées à exiger les mêmes renseignements des demandeurs dépourvus de titre de séjour valable. Il n’en demeure pas moins qu’aucune des trois versions du régime ne paraît subordonner l’obtention de certificats d’approbation par les demandeurs titulaires d’un titre de séjour « suffisant » à la communication d’informations portant sur l’authenticité du mariage projeté.

89.  En deuxième lieu, la Cour est particulièrement préoccupée par le fait que les deux premières versions du régime interdisaient sans exception à une catégorie déterminée de personnes de se marier, que le mariage projeté fût ou non un mariage de complaisance. Sous l’empire de la première version du régime, seuls les demandeurs disposant d’un titre d’entrée ou de séjour suffisant – c’est-à-dire d’une durée totale de plus de six mois et n’expirant pas moins de trois mois après l’introduction de la demande – pouvaient prétendre à la délivrance d’un certificat d’approbation. Si la deuxième version du régime a étendu le bénéfice de cette mesure aux personnes ne disposant pas d’un titre de séjour suffisant, celles qui ne possédaient pas de titre d’entrée valable en demeuraient exclues. Il a fallu attendre la troisième version du régime pour que l’éligibilité aux certificats d’approbation soit étendue aux personnes qui, comme le deuxième requérant, ne sont pas titulaires d’un titre d’entrée valable. La Cour rappelle avoir déjà jugé, quoique dans des circonstances différentes, qu’une restriction générale, automatique et indifférenciée à un droit consacré par la Convention et revêtant une importance cruciale outrepasse une marge d’appréciation acceptable, aussi large soit-elle (Hirst c. Royaume-Uni (no 2) [GC], no 74025/01, § 82, CEDH 2005‑IX). De la même manière, la Cour considère qu’il n’est nullement justifié en l’espèce d’imposer aux personnes relevant des catégories précitées une interdiction générale de se marier. A supposer même qu’il existe des raisons de penser que ces personnes sont plus enclines que d’autres à contracter des mariages de complaisance à des fins d’immigration – ce que le Gouvernement n’a pas démontré devant la Cour –, la Cour estime que l’imposition d’une interdiction générale sans qu’aucune enquête n’ait été menée sur l’authenticité des mariages projetés restreint le droit de se marier au point de porter atteinte à la substance même de celui-ci. Si le régime prévoit une dérogation fondée sur des motifs humanitaires, celle-ci ne supprime pas l’atteinte portée à la substance de ce droit, car il s’agit là d’un dispositif exceptionnel laissé à l’entière discrétion du ministre de l’Intérieur qui, pour décider ou non de le mettre en œuvre, semble devoir se fonder exclusivement sur la situation personnelle des demandeurs, non sur l’authenticité des mariages projetés.

90.  En troisième et dernier lieu, la Cour souscrit à l’avis de Lord Bingham – exposé au paragraphe 22 ci-dessus – selon lequel des frais d’un montant excessif pour des demandeurs indigents pourraient porter atteinte à la substance du droit de se marier. Elle rappelle qu’elle a déjà jugé, dans une affaire où était en cause une allégation de violation de l’article 6 § 1, que le montant des frais, apprécié à la lumière des circonstances particulières d’une affaire donnée, y compris la solvabilité du requérant, peut constituer en soi une restriction à la jouissance d’un droit protégé par la Convention (voir, par exemple, Kreuz c. Pologne, no 28249/95, § 60, CEDH 2001‑VI). Eu égard au grand nombre de personnes relevant du contrôle de l’immigration qui ne peuvent travailler au Royaume-Uni – comme c’est le cas du deuxième requérant – ou qui disposent de faibles revenus, la Cour considère elle aussi que, en l’espèce, des frais d’un montant de 295 GBP sont suffisamment élevés pour porter atteinte au droit de se marier. En outre, elle juge que le dispositif de remboursement des frais réservé aux demandeurs indigents – tels que le deuxième requérant – instauré en juillet 2010 ne constitue pas un moyen efficace de supprimer les obstacles auxquels se heurte le droit de se marier, car l’obligation de s’en acquitter peut avoir un effet fortement dissuasif sur un projet de mariage, même s’il est possible d’en obtenir ultérieurement le remboursement.

91.  Au vu de ce qui précède, la Cour estime pouvoir conclure que le droit des requérants au mariage a été atteint dans sa substance même de mai 2006 – époque à laquelle ils ont formé le projet de se marier – au 8 juillet 2008, date à laquelle ils ont obtenu un certificat d’approbation. Entre mai 2006 et le 19 juin 2007, l’atteinte en question résultait de ce que le deuxième requérant n’était pas éligible à un certificat d’approbation sous l’empire de la deuxième version du régime. Du 19 juin 2007 au 8 juillet 2008, elle découlait du montant des frais demandés.

92.  En conséquence, il y a eu violation de l’article 12 de la Convention.

II. sur la violation allÉguÉe de l’article 14 de la Convention combinÉ avec l’article 12

93.  Les requérants dénoncent une violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 12.

94.  L’article 14 de la Convention est ainsi libellé :

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

(...)

B.  Sur le fond

1.  Thèses des parties

a)  Les requérants

96.  Les requérants soutiennent que la première version du régime était intrinsèquement discriminatoire en ce qu’elle ne s’appliquait pas aux personnes ayant choisi de se marier selon les rites de l’Eglise anglicane, et que tel est toujours le cas. Ils avancent que, si la loi permet aux personnes de toutes confessions et aux non-croyants de se marier devant l’Eglise anglicane de leur municipalité, la plupart des adeptes d’autres religions et des non-croyants y répugnent. Par ailleurs, cette différence de traitement ne repose selon eux sur aucune justification défendable. Comme le juge Silber l’aurait relevé dans son jugement d’avril 2006, il n’y aurait aucune raison de penser que les autres mariages religieux célébrés selon les rites d’autres confessions chrétiennes ou d’autres religions sont des mariages de complaisance.

97.  Force serait de constater que, plus de quatre ans après la première déclaration d’incompatibilité, l’élément foncièrement discriminatoire du régime n’a pas été supprimé. Après le jugement rendu par le juge Silber, le gouvernement aurait dû, à tout le moins, suspendre l’application du régime pour tous les mariages religieux.

98.  Discriminatoire sur le plan religieux, le régime le serait aussi sur ceux de la nationalité et de la fortune.

b)  Le Gouvernement

99.  Le Gouvernement reconnaît que les droits des requérants au titre de l’article 14 combiné avec l’article 12 ont été violés en ce que les intéressés relèvent d’un régime auquel les personnes désireuses de se marier selon les rites de l’Eglise anglicane ne sont pas soumises. Il admet que le régime des certificats d’approbation opère une discrimination fondée sur la religion. Quant à l’allégation selon laquelle l’élément qualifié de discriminatoire n’aurait pas été éliminé du régime, le Gouvernement soutient que, s’il s’est abstenu d’agir après le jugement rendu par le juge Silber, c’est parce qu’il était réticent à remédier dans l’urgence à l’incompatibilité du régime avec l’article 14 avant qu’un jugement sur l’ensemble du régime n’ait été rendu. Il avance que, à la suite de l’arrêt de la Chambre des lords, il a engagé des discussions avec l’Eglise anglicane pour essayer de la convaincre de se soumettre aux dispositions du régime, sans succès. Il précise qu’il a prévu d’abroger le régime des certificats d’approbation en 2011 mais que les principes de l’état de droit et de la séparation des pouvoirs interdisent au ministère de l’Intérieur d’ordonner aux officiers de l’état civil de ne pas se conformer au régime en question avant que celui-ci ne soit abrogé car il résulte d’une loi adoptée par le Parlement.

100.  Le Gouvernement conteste la thèse selon laquelle le régime opère une discrimination fondée sur la nationalité et la fortune. Selon lui, une éventuelle discrimination fondée sur la nationalité serait justifiée au regard de l’objectif légitime de contrôle de l’immigration. En outre, le grief tiré du caractère prétendument excessif des frais à payer devrait être examiné sur le terrain de l’article 12, non sur celui de l’article 14.

2.  Appréciation de la Cour

101.  Selon la jurisprudence établie de la Cour, seules les différences de traitement fondées sur une caractéristique identifiable (« situation ») sont susceptibles de revêtir un caractère discriminatoire aux fins de l’article 14 (Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark, 7 décembre 1976, § 56, série A no 23). En outre, pour qu’un problème se pose au regard de cette disposition, il doit y avoir une différence dans le traitement de personnes placées dans des situations analogues ou comparables (D.H. et autres c. République tchèque [GC], no 57325/00, § 175, CEDH 2007-IV, et Burden c. Royaume-Uni [GC], no 13378/05, § 60, CEDH 2008). Une telle distinction est discriminatoire si elle manque de justification objective et raisonnable, c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s’il n’y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d’autres égards analogues justifient des distinctions de traitement (Burden, précité, § 60). L’étendue de cette marge d’appréciation varie selon les circonstances, les domaines et le contexte.

102.  A l’instar des parties, la Cour estime que la première version du régime opérait une discrimination fondée sur la religion. Le deuxième requérant se trouvait alors dans une situation comparable à celle des personnes sans titre de séjour désireuses et capables de se marier devant l’Eglise anglicane. Toutefois, aucun obstacle ne s’opposait à la liberté de ces personnes de se marier, alors que le deuxième requérant ne souhaitait pas contracter un tel mariage, en raison de ses convictions religieuses, et ne le pouvait pas, parce qu’il résidait en Irlande du Nord. L’intéressé a dans un premier temps été privé de toute possibilité de se marier au Royaume-Uni. Après la modification du régime, il n’a pu se marier qu’après en avoir demandé l’autorisation au ministre de l’Intérieur et s’être acquitté de frais non négligeables. Il s’ensuit qu’il y a eu une différence manifeste de traitement entre l’intéressé et les personnes aspirant à se marier devant l’Eglise d’Angleterre et aptes à un tel mariage. La Cour souscrit à la conclusion du juge Silber selon laquelle le Gouvernement n’a pas fourni d’explications susceptibles de justifier objectivement et raisonnablement la différence de traitement en question dans le cadre de la procédure interne.

103.  En conséquence, la Cour estime qu’il y a eu violation des droits des requérants au titre de l’article 14 combiné avec l’article 12.

104.  La Cour relève que le juge Silber a également conclu que la première version du régime opérait une discrimination fondée sur la nationalité et que le deuxième requérant soutient qu’il était discriminatoire sur le plan de la fortune. Le Gouvernement conteste ces thèses devant la Cour.

105.  Ayant conclu à l’existence d’une discrimination fondée sur la religion, la Cour n’estime pas nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si le régime était discriminatoire à d’autres égards. Toutefois, la thèse des requérants selon laquelle le régime opère une discrimination fondée sur la nationalité appelle deux observations.

106.  La Cour rappelle en premier lieu que les ressortissants de l’EEE et les personnes non ressortissantes de l’EEE disposant d’un titre de séjour à durée illimitée sont expressément exclus du régime des certificats d’approbation, ce qui lui donne à penser que, s’il y a eu une différence de traitement à cet égard, celle-ci reposait sur la situation des personnes concernées au regard du droit des étrangers, non sur leur nationalité.

107.  En second lieu elle observe que, dans le cadre de l’appel qu’il a formé devant la Cour d’appel, le Gouvernement n’a pas contesté la conclusion du juge Silber selon laquelle le régime opérait une discrimination fondée sur la nationalité. Dès lors, la contestation de cette conclusion devant la Cour aurait pu soulever une question de forclusion (A. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 3455/05, §§ 153-159, CEDH 2009).

(...)

V.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

113.  Les requérants allèguent que les faits de l’espèce ont aussi donné lieu à une violation de l’article 13 de la Convention.

114.  La Cour relève qu’il ressort clairement de l’arrêt de principe rendu sur des questions similaires dans l’affaire R (on the application of Baiai and others) v. Secretary of State for the Home Department ([2006] EWHC 823 QB (Admin)) que l’ordre interne offre des recours effectifs permettant d’invoquer l’incompatibilité du régime des certificats d’approbation avec la Convention. En conséquence, elle considère, à la lumière de l’ensemble des éléments dont elle dispose et pour autant que les faits dénoncés relèvent de sa compétence, que le grief tiré de l’article 13 ne révèle aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention et ses Protocoles.

115.  Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée, conformément à l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

VI.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

116.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« [s]i la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable ».

A.  Dommage

117.  Les requérants réclament 295 livres sterling (GBP) pour préjudice matériel et 12 000 GBP au titre des frais et dépens.

118.  Le montant réclamé par les requérants au titre du préjudice matériel correspond aux frais qu’ils ont dû acquitter pour présenter une demande de délivrance d’un certificat d’approbation. Ils indiquent qu’ils n’ont pas reçu de réponse à la demande qu’ils avaient adressée au ministre de l’Intérieur en vue de bénéficier du dispositif de remboursement des frais dont ils s’étaient acquittés.

119.  Les intéressés disent avoir subi un dommage moral à trois titres. En premier lieu, ils auraient longtemps été laissés dans l’incertitude sur la question de savoir s’ils pourraient un jour officialiser leur relation l’un avec l’autre et avec leur enfant. En deuxième lieu, le fait de savoir que le régime avait été déclaré incompatible avec leurs droits au titre de la Convention alors qu’il continuait à leur être appliqué leur aurait causé une grande frustration. En troisième lieu, la différence de traitement dont ils se plaignent aurait provoqué chez eux une souffrance intense, que la discrimination religieuse qu’ils auraient subie en Irlande du Nord en raison de leur foi catholique aurait aggravée.

120.  En ce qui concerne les prétentions formulées par les requérants au titre du préjudice matériel, le Gouvernement indique que ceux-ci peuvent bénéficier du dispositif de remboursement pour se voir restituer la somme correspondant aux frais dont ils se sont acquittés.

121.  Quant au préjudice moral allégué par les intéressés, le Gouvernement estime qu’il n’existe pas de lien de causalité manifeste entre les sentiments d’incertitude et de frustration que les requérants disent avoir ressentis et la violation constatée. Il concède que le genre de demande que ceux-ci ont dû introduire peut susciter les sentiments en question, mais conteste que cette exigence fût en elle-même constitutive d’une violation de leurs droits au titre de la Convention.

122.  En outre, il serait totalement fallacieux d’affirmer que la discrimination litigieuse est particulièrement grave lorsqu’elle touche des catholiques d’Irlande du Nord. La discrimination dont ceux-ci auraient pu faire l’objet par le passé n’aurait aucun rapport avec le régime des certificats d’approbation et les violations pouvant en découler. Par ailleurs, aucune église d’Irlande du Nord n’échapperait au régime en question car l’Eglise anglicane n’y serait pas implantée.

123.  La Cour rappelle que, dans les affaires où elle a constaté une violation de l’article 12 de la Convention, elle a généralement jugé que le constat de cette violation constituait en soi une satisfaction équitable suffisante (voir, par exemple, F. c. Suisse, 18 décembre 1987, §§ 44-45, série A no 128, B. et L. c. Royaume-Uni, no 36536/02, §§ 45-47, 13 septembre 2005). A titre exceptionnel elle a accordé, dans l’affaire Frasik c. Pologne (no 22933/02, § 90, CEDH 2010), 5 000 euros (EUR) pour dommage moral au requérant.

124.  Elle relève qu’il existe en l’espèce deux circonstances aggravantes. En premier lieu, le constat de violation de l’article 12 auquel elle est parvenue s’est accompagné d’un constat de violation de l’article 14 combiné avec les articles 12 et 9. En second lieu, la Cour observe que, du 10 avril 2006 jusqu’à la date où les requérants se sont vu accorder un certificat d’approbation, le régime incriminé a été maintenu bien que les juridictions internes eussent jugé qu’il emportait violation des articles 12 et 14 de la Convention. Dans ces conditions, la Cour accorde aux requérants 8 500 EUR conjointement au titre du dommage moral.

125.  La Cour alloue aux intéressés 295 GBP au titre du dommage matériel sous réserve que ce montant ne leur ait pas déjà été remboursé.

(...)

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

(...)

2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 12 de la Convention ;

3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 12 ;

4.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 9 ;

(...)

6.  Dit

a)  que l’Etat défendeur doit verser aux requérants conjointement, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir le cas échéant en livres sterling, au taux applicable à la date du règlement :

i.  8 500 EUR (huit mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,

ii.  295 GBP (deux cent quatre-vingt-quinze livres sterling) pour dommage matériel,

iii.  16 000 EUR (seize mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants, pour frais et dépens ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

7.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 14 décembre 2010, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Lawrence EarlyLech Garlicki
GreffierPrésident

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CEDH, Cour (quatrième section), AFFAIRE O'DONOGHUE ET AUTRES c. ROYAUME-UNI [Extraits], 14 décembre 2010, 34848/07