CEDH, Cour (troisième section), AFFAIRE BIRZNIEKS c. LETTONIE, 31 mai 2011, 65025/01

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Chronologie de l’affaire

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CEDH · 31 mai 2011

Communiqué de presse sur les affaires 16137/04, 49905/07, 3699/08, 65025/01, 24205/06, 10104/08, 37293/09, 41178/08, 35348/06, 45912/06, …

 

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Troisième Section), 31 mai 2011, n° 65025/01
Numéro(s) : 65025/01
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Al-Moayad c. Allemagne (déc.), no 35865/03, § 117, 20 février 2007
Bragadireanu c. Roumanie, no 22088/04, § 102, 6 décembre 2007).
Chamaïev et autres c. Géorgie et Russie, no 36378/02, § 507, CEDH 2005-III
Cistiakov c. Lettonie, no 67275/01, 8 février 2007
Davydov et autres c. Ukraine, nos 17674/02 et 39081/02, § 332, 1er juillet 2010
Enea c. Italie [GC], no 74912/01, § 57, CEDH 2009-...,
Farbtuhs c. Lettonie no 4672/02, § 29, 2 décembre 2004.
Guennadi Naoumenko c. Ukraine, no 42023/98, 10 février 2004
Igors Dmitrijevs c. Lettonie, no 61638/00, § 91, 30 novembre 2006)
Jurjevs c. Lettonie, no 70923/01, § 43, 15 juin 2006
Khan c. Royaume-Uni, no 35394/97, § 34, CEDH 2000-V).
Kornakovs c. Lettonie no 61005/00, 15 juin 2006
Lavents c. Lettonie, no 58442/00, 28 novembre 2002
Moisejevs c. Lettonie, no 64846/01, 15 juin 2006
Nazarenko c. Lettonie, no 76843/01, § 47, 1er février 2007
Salman c. Turquie [GC], no 21986/93, § 130, CEDH 2000-VII).
Shannon c. Lettonie, no 32214/03, §§ 64-68, 24 novembre 2009
Svipsta c. Lettonie no 66820/01, CEDH 2006-III (extraits)
Valašinas c. Lituanie, no 44558/98, § 129, CEDH 2001-VIII
Vogins c. Lettonie, no 3992/02, 1er février 2007.
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Violation de l'art. 5-1 ; Non-violation de l'art. 5-1 ; Violation de l'art. 5-3 ; Violation de l'art. 5-4 ; Violation de l'art. 8 ; Violation de l'art. 34 ; Partiellement irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-104931
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2011:0531JUD006502501
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Sur les parties

Texte intégral

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE BIRZNIEKS c. LETTONIE

(Requête no 65025/01)

ARRÊT

STRASBOURG

31 mai 2011

DÉFINITIF

31/08/2011

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Birznieks c. Lettonie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Corneliu Bîrsan,
Alvina Gyulumyan,
Ján Šikuta,
Ineta Ziemele,
Luis López Guerra,
Mihai Poalelungi, juges,
et de Marialena Tsirli, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 mai 2011,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 65025/01) dirigée contre la République de Lettonie et dont un ressortissant de cet État, M. Zintis Birznieks (« le requérant »), a saisi la Cour le 22 juillet 1999 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le gouvernement letton (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme I. Reine.

3.  Le 15 décembre 2004, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4.  Le requérant est un ressortissant letton né en 1968 et domicilié à Kuldīga (Lettonie).

A.  La procédure pénale contre le requérant, sa détention provisoire et sa condamnation

1.  L’arrestation du requérant et sa détention provisoire

5.  Le 27 janvier 1998, la police ouvrit une enquête portant sur la mort d’un homme, B., survenue la veille à la suite d’une bagarre. Le même jour, elle arrêta deux hommes, S. et T., et les plaça en garde à vue. Interrogé en qualité de suspect, S. plaida coupable de l’homicide de B. Il déclara que lui-même, T. et le requérant avaient tabassé B. pour leur avoir volé des aliments, mais que leur intention n’était pas de le tuer. Le requérant fut aussitôt placé sur la liste des personnes recherchées par la police criminelle.

6.  Le 2 février 1998, la police interpella le requérant – qui avait à son compte plusieurs condamnations pénales dans le passé, – pour cause d’ivresse manifeste sur la voie publique. Le degré de l’intoxication du requérant était tel que l’on ne put pas l’interroger. Cependant, la police nota qu’il avait dans sa poche un tournevis aiguisé dont il tentait de se débarrasser malgré son ivresse. Le même jour, le requérant fut identifié comme la personne recherchée pour le meurtre de B. et placé en garde à vue.

7.  Le lendemain, le 3 février 1998 requérant, qui avait repris ses esprits, fut mis en examen pour le meurtre de B. Interrogé, il plaida non coupable. En revanche, d’après la police, après avoir consommé une grande quantité d’alcool au domicile de T., ce dernier, le requérant et S. avaient sauvagement battu B., le frappant avec un bâton, une bûche et une paire de ciseaux. Après avoir constaté le décès de la victime, les trois malfaiteurs avaient tenté de cacher le cadavre derrière un hangar, où il avait été aussitôt retrouvé par des tiers.

8.  Le jour suivant, le 4 février, le requérant fut traduit devant le tribunal de première instance de l’arrondissement de Ziemeļu de la ville de Riga, qui, après avoir entendu l’inspecteur de police et l’avocate désignée pour représenter le requérant, ordonna son placement en détention provisoire sans en préciser le délai. L’ordonnance du tribunal avait la forme d’un formulaire pré-imprimé que le juge remplit et signa, en soulignant les mentions suivantes : « possibilité que [l’intéressé] se soustraira à l’instruction (...), qu’il empêchera l’établissement de la vérité dans l’affaire (...) ; vu la gravité de l’infraction commise, la personnalité du suspect (...) ; ses occupations (...) ainsi que d’autres circonstances (...) ». Aux termes de l’ordonnance, elle pouvait faire l’objet d’un recours devant la cour régionale de Riga ; toutefois, le requérant ne le fit pas.

9.  Le 19 février 1998, T. reconnut que B. avait été tué dans les circonstances décrites par la police. Par la suite, le chef de l’accusation contre T. fut modifié, et il fut inculpé pour non-dénonciation d’un crime ou d’un délit. En effet, le parquet constata qu’au moment du crime, T. était ivre à tel point qu’il ne pouvait pas accomplir les actes reprochés ; qui plus est, il était sérieusement blessé à une jambe, ce qui réduisait sa mobilité. Plus tard, le 20 mars 1998, T. fut libéré de la détention provisoire et assigné à domicile.

10.  Le 3 mars 1998, le parquet inculpa le requérant de meurtre aggravé commis en groupe.

11.  Par une ordonnance du 25 mars 1998, le tribunal de première instance de l’arrondissement de Ziemeļu prolongea la détention provisoire du requérant jusqu’au 26 mai 1998. Cette ordonnance était ainsi motivée :

« Z. Birznieks a commis un crime grave ; il a été condamné quatre fois [dans le passé] ; il a un domicile enregistré à Kuldīga, mais il n’y habite pas ; en liberté, il pourrait continuer ses agissements criminels [et] se soustraire à l’instruction et au procès. »

12.  Malgré l’indication expresse selon laquelle cette ordonnance pouvait faire l’objet d’un recours devant la cour régionale de Riga, le requérant ne tenta pas ce recours. Le 5 mai 1998, il écrivit au procureur chargé de son dossier, demandant la modification de la mesure préventive en cours et son assignation à domicile au lieu de la détention provisoire. Par une lettre du 18 mai 1998, le procureur rejeta sa demande au motif que le requérant avait eu des condamnations pénales dans le passé, qu’il n’avait pas de domicile fixe et que sa recherche avait été ordonnée par la police.

13.  Le 22 mai 1998, le tribunal de première instance prolongea la détention provisoire du requérant jusqu’au 26 juillet 1998. L’ordonnance du tribunal était presque identique à celle du 25 mars 1998, à cette exception près qu’elle évoquait le placement initial du requérant sur la liste des personnes recherchées par la police comme un fait justifiant sa détention. Le requérant ne fit pas recours contre cette ordonnance.

14.  Le 2 juin 1998, le requérant subit une expertise psychiatrique qui ne décela chez lui aucune pathologie susceptible d’atténuer sa responsabilité pénale.

15.  Le 21 juillet 1998, le parquet notifia au requérant un acte final d’accusation, l’accusant d’avoir commis des coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Le surlendemain, le 23 juillet 1998, le parquet annonça la clôture de l’instruction préliminaire et transféra le dossier, composé de trois volumes de 181, 207 et 59 pages respectivement, à S. Le 25 juillet 1998, S. adressa au procureur une lettre dans laquelle il plaidait coupable, confirmait la version des faits du parquet et exprimait ses remords. Le 27 juillet, il termina la lecture du dossier, qui fut alors transmis au requérant et à son avocate.

16.  Entre-temps, le 26 juillet 1998, le dernier mandat de détention du requérant vint à expiration. Toutefois, l’intéressé ayant entamé la lecture du dossier, sa libération fut « suspendue » en application du cinquième alinéa de l’article 77 du code de procédure pénale alors en vigueur (voir à cet égard Svipsta c. Lettonie (no 66820/01, §§ 40 et 60, CEDH 2006‑III (extraits)). Il fut donc maintenu en détention.

17.  Le 31 juillet 1998, le requérant et son avocate terminèrent, à leur tour, la lecture du dossier de l’instruction. Le même jour, l’avocate versa au dossier ses observations manuscrites, selon lesquelles l’accusation pesant sur le requérant ne se fondait que sur les déclarations contradictoires et changeantes de S. et T., alors que sa propre version des faits de l’affaire avait toujours été crédible et concordante. L’avocate demanda alors au parquet d’ordonner une nouvelle expertise médico-légale, mais cette demande fut rejetée, et le dossier fut renvoyé en jugement devant la cour régionale de Riga.

18.  Le 23 août 1998, le requérant fut convoyé à Kuldīga afin d’y être jugé dans le cadre d’une autre affaire pénale. Le 25 août 1998, alors que le requérant se trouvait à Kuldīga, S. modifia ses aveux et déclara que lui seul, et non le requérant, avait frappé B., alors que le requérant avait même tenté de le calmer.

19.  Le 3 septembre 1998, le tribunal de première instance de Kuldīga déclara le requérant coupable de vol et le condamna à six mois d’emprisonnement avec sursis. N’ayant pas été informé du fait que le requérant était également accusé d’avoir tué B., le tribunal ordonna sa libération immédiate. L’ayant appris, le même jour, le parquet plaça de nouveau le requérant sur la liste des personnes recherchées. Le 11 septembre 1998, le requérant fut de nouveau arrêté pour ivresse manifeste sur la voie publique et réincarcéré.

20.  Le 30 octobre 1998, la cour régionale de Riga tint, à huis clos, une « session préparatoire » (rīcības sēde) ; ni le requérant ni son avocat ne furent cités à comparaître. A l’audience, la cour constata qu’il existait une contradiction évidente entre l’acte final d’accusation dressé par le parquet, dont il ressortait que le requérant était considéré comme l’acteur principal du délit, et les aveux postérieurs de S. En outre, la cour releva que la question de la responsabilité pénale de T. pour faux témoignage devait être précisée. Par conséquent, la cour régionale prit une ordonnance renvoyant le dossier au parquet pour complément d’information. Toutefois, contrairement au septième alinéa de l’article 77 du code de procédure pénale alors en vigueur, aucune décision ne fut prise quant à la mesure préventive appliquée au requérant. Dès lors, le 10 novembre 1998, le procureur en chef du parquet près la cour régionale de Riga renvoya le dossier à la cour et lui demanda de combler cette lacune.

21.  Par une ordonnance du 23 décembre 1998, la cour régionale décida de prolonger la détention provisoire du requérant « d’un mois » (sans préciser le dies a quo de ce délai) et, de nouveau, renvoya l’affaire pour complément d’information. Ni le requérant ni son avocat ne furent cités à comparaître devant la cour.

22.  Le 28 décembre 1998, le greffe de la cour régionale expédia le dossier de l’instruction au parquet, qui le reçut le 4 janvier 1999. Le même jour, le procureur en chef du parquet près la cour régionale écrivit au directeur de la prison centrale de Riga, où le requérant était incarcéré, l’informant que le délai de la détention provisoire du requérant expirerait le 4 février 1999. Le Gouvernement soutient que le délai d’un mois fixé par la cour régionale dans son ordonnance du 23 décembre 1998 devait effectivement courir à partir de la date de la réception du dossier par le parquet.

23.  Après avoir reçu la nouvelle demande de complément d’information, le parquet proposa au requérant de subir le test du détecteur de mensonges, ce à quoi il donna son consentement. Les 13, 16 et 20 janvier 1999, S., T. et le requérant furent examinés par le capitaine M., qui avait reçu une formation spécialisée et possédait un certificat attestant sa capacité de manier un détecteur de mensonges et d’analyser les résultats. En l’espèce, les données émises par l’appareil lors des trois examens furent immédiatement analysées par l’ordinateur à l’aide d’un logiciel spécial. D’après les conclusions obtenues, les dépositions du requérant et de S. étaient mensongères ; en revanche, celles de T. reflétaient la vérité.

24.  Le 3 février 1999, le parquet annonça la clôture définitive de l’instruction supplémentaire et transmit le dossier de l’instruction à S. et à son avocat pour qu’ils pussent en prendre connaissance. Le 9 février 1999, le requérant et son avocate commencèrent, à leur tour, la lecture du dossier, qu’ils achevèrent le 11 février 1999. Le dossier intégral était alors composé de quatre volumes de 181, 207, 140 et 83 pages respectivement.

25.  Le 12 février 1999, le requérant réclama au parquet la désignation d’office d’un nouveau défenseur. Cette demande fut aussitôt exaucée. La nouvelle avocate lut le dossier avec le requérant jusqu’au 22 février 1999. A cette dernière date, le requérant déclara qu’il n’avait pas pu prendre connaissance du dossier entièrement, car une partie des pièces étaient manuscrites et difficilement lisibles. Bien que le procureur proposât de l’aider sur ce point, le requérant refusa, argüant de la « partialité » du procureur. Il clama son innocence et exigea sa relaxe, ce qui lui fut refusé. Le dossier de l’instruction fut renvoyé en jugement devant la cour régionale de Riga et assigné à un juge autre que celui qui en avait été chargé auparavant.

2.  Le procès contre le requérant et sa condamnation

26.  Par une ordonnance du 1er mars 1999, ce juge prit une ordonnance non contradictoire « déférant les accusés [le requérant et S.] devant le tribunal » (apsūdzēto nodošana tiesai). Quant à la mesure préventive appliquée au requérant et à S., le juge décida de les maintenir en détention, sans fournir un motif quelconque. Conformément au droit applicable à l’époque, cette dernière décision restait en vigueur pour toute la durée de la procédure en première instance (Svipsta précité, § 63).

27.  Les 2 mars, 15 mars, 31 mars, 9 avril, 15 avril et 19 avril 1999, le requérant écrivit à la cour régionale, demandant sa relaxe ; il formula également plusieurs autres demandes, notamment celle d’être transféré à l’hôpital pénitentiaire de Riga à cause de ses problèmes de santé (non précisés). En outre, dans sa lettre du 9 avril 1999, il exigea également sa libération. Par une lettre du 28 avril 1999, le juge chargé de son dossier lui répondit que la date de l’examen de son affaire n’était pas encore fixée ; qu’en tout état de cause, cette date ne pourrait être antérieure au mois d’avril 2000 puisque le rôle de la cour était déjà surchargé ; que la mesure préventive appliquée à son égard ne serait ni levée ni modifiée ; qu’il n’aurait pas le droit de correspondance avec sa famille avant le prononcé du jugement dans l’affaire ; enfin, que la cour régionale venait de demander à l’administration de la prison centrale de lui envoyer le dossier médical du requérant.

28.  Les 11 mai, 16 mai et 24 mai 1999, le requérant écrivit à la cour régionale de Riga et à la Cour suprême, critiquant les prétendues lacunes de l’instruction et le comportement du ministère public et demandant, de nouveau, de le remettre en liberté. Le 28 mai 1999, le juge chargé du dossier lui répondit que toutes les questions liées à l’instruction et à l’administration des preuves dans l’affaire seraient résolues à l’audience, et que la date de celle-ci n’avait pas encore été fixée. Par une lettre du 16 juin 1999, il ajouta qu’il n’y avait aucune raison pour modifier la mesure préventive appliquée au requérant. Le 13 août 1999, le juge chargé de l’affaire adressa au requérant une lettre à un contenu similaire.

29.  Les 26 novembre et 7 décembre 1999, le requérant adressa au président du département des affaires pénales de la cour régionale de Riga une série de doléances portant sur l’instruction du dossier. Il demanda, entre autres, le transfert de son affaire à une autre cour régionale. Le 17 décembre 1999, le juge chargé du dossier le débouta.

30.  A une date non spécifiée au début de l’année 2000, le requérant écrivit au département des affaires judiciaires du ministère de la Justice, se plaignant de l’illégalité de sa détention pendant la période allant du 30 octobre au 23 décembre 1998 ; dans sa lettre, il insista notamment sur le fait qu’aucun mandat de détention délivré par le juge n’autorisait son maintien en prison pendant ce temps. Par une lettre du 30 avril 2000, la directrice du département lui répondit que l’ordonnance du 23 décembre 1998 ne faisait que réparer l’erreur commise le 30 octobre, à savoir l’absence d’une décision quant à la détention de l’intéressé ; il s’agissait donc d’une simple « précision » rétroactive ne révélant, en soi, aucune illégalité. Le requérant se plaignit alors au parquet pluridisciplinaire spécialisé (Specializētā vairāku nozaru prokuratūra), soulevant le même grief. Par lettre du 15 juillet 2000, le parquet lui répondit que sa détention pendant la période allant du 30 octobre au 23 décembre 1998 était régulière et conforme à la loi.

31.  La cour régionale de Riga examina l’affaire du requérant à une audience qui dura du 5 au 12 mai 2000 et où le requérant était représenté par une avocate commise d’office par la cour. Le requérant souleva devant les juges la question de l’illégalité de sa détention provisoire du 30 octobre au 23 décembre 1998 ; toutefois, la cour refusa d’examiner cette question. Par un jugement du 12 mai 2000, la cour régionale de Riga reconnut le requérant coupable de coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, et le condamna à neuf ans et six mois d’emprisonnement ferme. Pour conclure à la culpabilité du requérant, la cour s’appuya sur une série de preuves, notamment les dépositions de six témoins, sur une grande quantité de preuves matérielles et sur dix rapports d’expertise dont il ressortait que le requérant avait bel et bien été l’auteur principal du crime. Les résultats du test par détecteur de mensonges, opéré par le capitaine M., furent également admis comme élément de preuve en qualité d’« expertise ». Interrogé à l’audience, le capitaine M. expliqua qu’il avait déjà effectué 55 tests similaires et qu’en l’occurrence, le degré de crédibilité et d’exactitude de l’examen dépassait 99 %. En revanche, la question de la détention provisoire du requérant ne fut pas évoquée dans le texte du jugement. S., quant à lui, fut condamné à huit ans et six mois de prison.

32.  Immédiatement après le prononcé du jugement susmentionné, le requérant réclama la possibilité de lire et de vérifier le procès-verbal de l’audience. Le 26 mai 2000, il demanda à la cour régionale de rectifier le procès-verbal. Par une ordonnance du 22 juin 2000, la cour accueillit cette demande en partie.

33.  Le 29 mai 2000, le requérant et S. interjetèrent appel devant la chambre des affaires pénales de la Cour suprême. Le requérant réitéra sa version des faits telle qu’il l’avait présentée en première instance ; il contesta également l’usage du détecteur de mensonges au stade de l’instruction et déclara que les indications de cet appareil ne pouvaient pas servir d’élément à charge. Enfin, il dénonça le refus de la cour régionale de répondre à ses arguments concernant la prétendue illégalité d’une partie de sa détention.

34.  Les appels du requérant et de S. furent examinés à l’audience de la chambre du 24 novembre 2000. L’intéressé y était représenté par une avocate commise d’office. Par un arrêt rendu le même jour, la chambre réduisit la peine prononcée par la cour régionale à huit ans d’emprisonnement, tout en rejetant le reste de l’appel. Une décision similaire fut prise à l’égard de S. Après avoir réexaminé l’ensemble des preuves, la chambre parvint aux mêmes conclusions sur le fond que la cour régionale de Riga. S’agissant en particulier du détecteur de mensonges, la chambre jugea :

« La chambre des affaires pénales n’a aucune raison de mettre en doute les conclusions du polygraphe selon lesquels les dépositions de Z. Birznieks et de [S.] sont mensongers, alors que celles de [T.] sont véridiques.

Les accusés et le témoin avaient consenti à participer à l’examen par un polygraphe.

L’expert [M.] a catégoriquement confirmé les résultats susmentionnés à l’audience en première instance, en excluant complètement toute possibilité d’erreur.

Les conclusions émises par le polygraphe doivent être appréciées en tenant compte de tous les éléments de preuve précédemment examinés. »

35.  Immédiatement après le prononcé de l’arrêt, et sans quitter le banc des accusés, le requérant tenta de se suicider en se tranchant la gorge avec un objet non spécifié ; il fut alors hospitalisé.

36.  Le lendemain, le 25 novembre 2000, le requérant se pourvut en cassation devant le sénat de la Cour suprême. En décembre 2000, il demanda au Conseil de l’ordre des avocats de Lettonie de lui désigner un avocat qui l’aiderait à compléter un pourvoi en cassation et le représenterait devant le sénat de la Cour suprême. Par une décision du 12 décembre 2000, le Conseil rejeta sa demande, au motif que les ressources financières qui lui étaient alloués étaient insuffisantes pour satisfaire la demande du requérant. Cette décision fut notifiée au requérant par une lettre du 10 janvier 2001. Nonobstant ce refus, le requérant rédigea lui-même et envoya au sénat quatorze mémoires supplétifs complétant son pourvoi initial ; S. fit de même.

37.  Par une ordonnance du 29 janvier 2001, le sénat, siégeant en une session préparatoire (rīcības sēde) à huis clos, déclara les pourvois irrecevables pour défaut de motivation juridique défendable.

38.  Par une ordonnance du 30 mars 2001, la cour régionale de Riga rectifia le dispositif de son jugement du 12 mai 2000 en ce qui concernait l’imputation de la détention provisoire du requérant sur la durée de sa peine. Elle releva qu’après sa libération survenue par erreur, le requérant avait été réincarcéré le 11 septembre 1998, et non le 10 septembre comme le disait le dispositif du jugement ; ce fait devait dès lors être pris en compte lors du calcul du délai de son emprisonnement.

39.  Le requérant fit appel, se plaignant notamment qu’en le libérant après le prononcé du jugement du tribunal de Kuldīga, le 3 septembre 1998, la police avait agi de mauvaise foi. Par une ordonnance du 5 octobre 2001, adoptée à l’issue d’une audience contradictoire à laquelle le requérant était représenté par un avocat commis d’office, la chambre des affaires pénales de la Cour suprême rejeta l’appel. Après avoir entendu l’avocat et le requérant, elle constata que le requérant se limitait en substance à contester le bien-fondé de sa condamnation sur le fond, alors que cette condamnation était déjà passée en force de chose jugée.

B.  Les mauvais traitements prétendument infligés au requérant et la qualité des soins médicaux qu’il reçut

1.  La période avant novembre 2000

40.  En mars 1999, le requérant fut placé à l’hôpital pénitentiaire, situé dans l’enceinte de la Prison centrale où il était alors détenu. Peu après, le médecin traitant de l’hôpital se plaignit de lui à l’administration de la prison, qui lui infligea sur-le-champ une sanction disciplinaire sous forme d’isolement. Après avoir subi cette mesure, le requérant adressa une plainte à la Direction pénitentiaire (Ieslodzījuma vietu pārvalde). Une enquête disciplinaire fut ouverte contre le médecin en cause, et, par une décision du 5 juillet 2000, ce dernier se vit infliger un blâme.

41.  Du 25 juillet 2000 jusqu’au 1er septembre 2000, le requérant fut de nouveau hospitalisé. Après sa sortie de l’hôpital pénitentiaire, il fut placé dans une cellule différente de celle où il était détenu jusqu’alors. Le requérant prétend que le comportement de ses nouveaux compagnons de cellule était agressif et mettait sa vie en danger. Il demanda alors à l’administration de la prison de le transférer dans une autre cellule, ce qui lui fut refusé. Le Gouvernement conteste ces allégations, aucune pièce du dossier ne venant les étayer.

42.  Selon le requérant, le 5 septembre 2000, il tenta de se suicider ; il fut alors immédiatement hospitalisé et opéré. Le lendemain, un représentant du parquet vint voir le requérant ; celui-ci lui exposa oralement ses doléances. Le 9 ou le 10 septembre 2000, le requérant sortit de l’hôpital ; il fut alors placé dans la même cellule, avec les mêmes codétenus qu’auparavant. Le Gouvernement conteste cette version ; d’après lui, aucune pièce du dossier médical du requérant n’atteste la prétendue tentative de suicide ; de plus, le requérant n’a jamais adressé une plainte écrite au parquet à ce sujet.

43.  Le soir du 4 novembre 2000, le requérant fut hospitalisé suite à une crise cardiaque. Il demanda alors au médecin traitant un certificat médical à joindre à son dossier devant la Cour, ce qui lui fut refusé. Le 8 novembre 2000, le requérant fut transféré à la prison de Brasa, à Riga.

2.  Les incidents de décembre 2000

44.  Le 24 novembre 2000, le requérant fut convoyé à l’audience de la chambre des affaires pénales de la Cour suprême qui devait examiner son appel. Immédiatement après le prononcé de l’arrêt de la chambre, et sans quitter le banc des accusés, le requérant tenta de se suicider en se tranchant la gorge. Il fut alors emmené à l’hôpital public no 1 de Riga, où on lui apposa une suture.

45.  Le 30 novembre 2000, le requérant se vit infliger une sanction disciplinaire pour insubordination sous la forme de dix jours de cellule d’isolement. Le lendemain, le 1er décembre 2000, il se mit à se comporter agressivement et à proférer des obscénités et des menaces à l’égard des gardiens. A un moment donné, le requérant tenta d’arroser d’eau l’un des gardiens, suite à quoi ce dernier lui asséna plusieurs coups de matraque. Un procès-verbal en fut aussitôt dressé, signé par tous les gardiens présents et envoyé à l’administration de la prison. Plus tard dans la même journée, le requérant brisa l’étagère métallique qui était soudée à sa couchette.

46.  Le jour suivant, le 2 décembre 2000, le requérant déchira la blessure au cou qu’il s’était infligée en salle d’audiences de la cour d’appel. Il fut menotté. Le 3 décembre 2000, le requérant se montra encore plus violent qu’auparavant ; il tenta alors de se trancher l’abdomen à l’aide d’un objet non spécifié. Un médecin fut aussitôt appelé ; afin de pouvoir le soigner, les gardiens durent le maîtriser en lui passant des menottes. Les deux tentatives d’automutilation du requérant furent consignées dans le dossier médical de la prison.

47.  Le 4 décembre 2000, le requérant fut emmené au quartier psychiatrique de l’hôpital pénitentiaire, où il demeura jusqu’au 11 janvier 2001. Le 5 décembre 2000, il fut examiné par le chirurgien de l’hôpital qui ne releva chez lui aucun autre traumatisme que les plaies auto-infligées sur le cou et le ventre.

48.  Le 6 février 2001, le requérant se plaignit au parquet pluridisciplinaire spécialisé des mauvais traitements dont il avait été prétendument victime. Par la suite, il compléta cette plainte par des lettres des 6 février, 12 février, 14 février, 8 mars, 23 mars et 8 avril 2001. Le 21 février 2001, le procureur compétent ouvrit une enquête et interrogea le requérant. Ce dernier fit valoir qu’après son placement en cellule d’isolement, l’un des gardiens lui avait asséné un coup de poing au visage et un coup de pied, ce qui avait provoqué chez lui « une commotion cérébrale légère et une lèvre fendue ». Après avoir recueilli des explications écrites du requérant pour préciser les circonstances de la cause, le procureur examina les dossiers médicaux respectifs de l’infirmerie de la prison et de l’hôpital pénitentiaire. Par une décision du 5 mars 2001, il refusa d’ouvrir une enquête pénale pour coups et blessures volontaires. Aux termes de la décision, l’usage de la force à l’encontre du requérant avait été justifié et proportionné, vu son propre comportement violent. En effet, puisque le requérant avait lui-même usé de force à l’encontre des gardiens, ceux-ci avaient été obligés de le menotter et de lui donner quelques coups de matraque. Selon le procureur, l’usage de ces moyens dans une telle situation était régulier et conforme au code de l’exécution des peines. Le procureur déclara également que les allégations du requérant quant à la commotion cérébrale et la lèvre fendue ne correspondaient pas à la vérité, aucun des deux dossiers médicaux ne confirmant ce type de traumatisme.

49.  Cette décision fut notifiée au requérant par courrier du 19 mars 2001. Le requérant l’attaqua par voie d’un recours devant le procureur en chef du même parquet. Après avoir rencontré et interrogé le requérant, le 7 mai 2001, le procureur en chef le débouta, confirmant la décision entreprise.

3.  Les incidents de février 2001

50.  Le 21 février 2001, alors qu’il se trouvait encore à la prison centrale de Riga, le requérant fut escorté à une salle d’interrogation. Il se montra soudain violent, se mit à insulter et à menacer le gardien qui l’escortait, puis tenta de s’enfuir. Un procès-verbal en fut dressé. Le même jour, le requérant fut interrogé par le procureur qui instruisait sa plainte relative aux événements de décembre 2000, mais ne lui mentionna pas ce nouvel incident.

51.  Une fois arrivé à la prison de Pārlielupe, le requérant fut immédiatement enfermé dans une cellule d’isolement en guise de punition disciplinaire pour son comportement de la veille. Deux jours plus tard, le 24 février 2001, il se montra de nouveau agressif, refusa d’obéir, insulta et menaça les gardiens et incita les autres détenus du quartier disciplinaire à faire de même. Il reçut un nombre non spécifié de coups de matraque, puis fut menotté pendant une heure et cinquante minutes. Un procès-verbal d’usage des moyens spéciaux de coercition fut aussitôt dressé par les trois gardiens impliqués et envoyé à l’administration de la prison. Le même jour, le requérant fut examiné par un psychiatre mais ne formula aucune plainte concrète concernant son état de santé.

52.  Le 5 mars 2001, le requérant fut de nouveau transféré dans le quartier psychiatrique de l’hôpital pénitentiaire, à Riga. Il subit un examen médical complet qui ne révéla chez lui aucun traumatisme nouveau. Le 7 mars 2001, le requérant écrivit au parquet une lettre concernant les événements du 1er décembre 2000, dans laquelle il évoqua très brièvement l’incident du 24 février dernier.

53.  Le requérant saisit alors l’Inspection de contrôle de qualité des soins médicaux et des expertises de capacité de travail (Medicīniskās aprūpes un darbspējas ekspertīzes kvalitātes kontroles inspekcija, la « MADEKKI »), organe chargé d’instruire les fautes professionnelles dans le domaine médical ; il dénonça notamment la qualité des soins qu’il avait reçu en prison. Suite à la plainte du requérant, la MADEKKI ouvrit une enquête officielle. Après avoir examiné le requérant et son dossier médical, le 13 mars 2001, la MADEKKI ne constata chez lui aucun traumatisme, hormis les traces de l’automutilation récente évoquée ci-dessus.

54.  Le 7 mai 2001, le procureur vint visiter le requérant à l’hôpital, mais celui-ci ne formula aucune doléance quant à l’incident du 24 février dernier. Il ressort du dossier que, malgré la correspondance abondante qu’il entretint avec les autorités, le requérant n’évoqua plus cet incident jusqu’à la fin de l’année.

55.  Cependant, le 12 décembre 2001, le requérant adressa une nouvelle plainte visant les événements du 24 février 2001 à la chancellerie de la présidente de la République. Cette plainte fut transmise au parquet pluridisciplinaire spécialisé, qui ouvrit aussitôt une enquête. Par une décision du 22 février 2002, le parquet ordonna une expertise médico-légale. Le 7 mars 2001, le Centre national des expertises médico-légales examina le requérant et son dossier médical, parvenant en substance à la même conclusion que la MADEKKI. Les experts du Centre constatèrent également que, pendant la période allant du 22 février 2001 au 22 février 2002, le requérant n’avait saisi les personnel médical de la prison d’aucune plainte visant des traumatismes ou des lésions qui correspondraient aux prétendus sévices.

56.  Par une décision du 19 mars 2002, le parquet rejeta la plainte du requérant et refusa d’ouvrir une enquête pénale. Le recours du requérant devant le procureur en chef du même parquet fut rejeté le 27 mai 2002.

4.  Les incidents d’avril et de mai 2001

57.  Le 22 février 2001, le requérant fut transféré à la prison de Pārlielupe, à Jelgava. Il soutient que le jour même de son transfert, il tenta de nouveau d’envoyer son formulaire de requête à la Cour ; toutefois, l’administration de la prison refusa d’expédier ce formulaire, invoquant à cet égard le manque de moyens financiers sur le compte personnel du requérant. Le Gouvernement doute de la véracité de cette allégation, indiquant qu’aucune preuve dans le dossier ne l’atteste.

58.  En avril 2001, le requérant fut de nouveau transféré à la prison centrale de Riga, où il fut aussitôt placé à l’infirmerie. Lors de son séjour à l’infirmerie, il contracta les oreillons, qui dégénérèrent en une orchite aiguë. Le 5 mai 2001, le requérant quitta la prison centrale et fut renvoyé à la prison de Pārlielupe.

59.  Le 28 mai 2001, le requérant se vit infliger une sanction disciplinaire de dix jours d’isolement pour avoir insulté le personnel médical de la prison. Selon lui, la cellule d’isolement où il fut placé était humide et non chauffée ; souffrant de froid, il ne put pas dormir normalement. Le Gouvernement reconnaît que la cellule n’était pas chauffée car, vu le données climatiques de Lettonie, le chauffage central est toujours arrêté avant le mois de mai. Qui plus est, la couchette de la cellule était dépourvue de literie. Quant aux articles d’hygiène (serviette, savon, dentifrice, brosse à dents, etc.), ils n’étaient délivrés au requérant que deux fois par jour, le matin et le soir, chaque fois pour une durée de cinq minutes. En particulier, le requérant n’avait pas la possibilité de se laver les mains après avoir utilisé les toilettes. Il ne ressort pas du dossier que le requérant se soit plaint de ces conditions à l’administration pénitentiaire ou au parquet.

5.  Les événements postérieurs au mois de mars 2002

60.  Au cours de l’année 2002, le requérant fut, à plusieurs reprises, transféré de prison en prison. Ainsi, le 12 avril 2002, il fut transféré de la prison de Pārlielupe à celle de Jelgava, située dans la même ville. Le requérant fait remarquer que, lors de ce transfert, on saisit son papier et ses stylos. Le 18 mai 2002, il fut envoyé à la prison de Jelgava ; là, il fut aussitôt placé dans une cellule d’isolement, où l’on lui ordonna de se déshabiller et de se tenir debout complètement dénudé pendant quelque temps. Le 27 mai 2002, le requérant fut transféré à la prison de Valmiera.

61.  Entre-temps, le 25 mars 2002, le requérant fut examiné par une commission médicale qui ne trouva chez lui aucun problème grave de santé. Il subit alors une séance de psychothérapie afin de l’inciter à adopter une « attitude plus positive » à l’égard de sa santé et des efforts du personnel médical. En outre, le 25 avril 2002, il subit un examen psychiatrique ; à la suite de cet examen, le psychiatre rédigea un rapport selon lequel les plaintes du requérant étaient généralement motivées par le désir de manipulation dans le but d’obtenir sa libération conditionnelle.

62.  En outre, du 3 avril 2002 au 3 mai 2002, la MADEKKI effectua une enquête médicale complète, qui inclut des examens médicaux et une analyse minutieuse du dossier médical du requérant. Le 3 mai 2002, la MADEKKI émit un rapport, long de douze pages, selon lequel les nombreux traitements administrés au requérant en prison n’étaient entachés d’aucune irrégularité. Sur le plan psychiatrique, le requérant fut qualifié de « personnalité psychopathique asociale ».

63.  En avril 2002, le requérant fut soumis à une série d’analyses médicales qui révélèrent chez lui la syphilis ; cependant, personne ne lui notifia les résultats de ces analyses. En juin 2002, le requérant fut de nouveau envoyé à Riga ; il subit alors des examens médicaux supplémentaires de la part du Centre national de l’expertise médico-légale. En août 2002, alors qu’il était incarcéré à la prison de Valmiera, il commença à se plaindre d’éruptions cutanées et de chute des cheveux ; suite à ces plaintes, le 7 septembre 2002, il fut hospitalisé. Selon le requérant, ce ne fut qu’à cette date que les médecins de l’hôpital pénitentiaire lui annoncèrent qu’il avait la syphilis, et ce ne fut qu’à cette date qu’un traitement médicamenteux commença à lui être administré. Ce traitement dura environ deux semaines.

64.  Le requérant se plaignit alors de la qualité des soins médicaux administrés à la Direction pénitentiaire, au parquet pluridisciplinaire spécialisé et à la MADEKKI. Suite à la plainte du requérant, la MADEKKI ouvrit une enquête officielle. Par un rapport du 10 janvier 2003, décida de ne pas prendre de mesures concrètes et ordonna la clôture de l’enquête ; ce rapport fut néanmoins communiqué à la Direction pénitentiaire « afin d’exclure des cas similaires ». Le requérant ne forma aucun recours contre les conclusions de la MADEKKI.

6.  Renseignements généraux quant aux soins médicaux reçus par le requérant

65.  Le Gouvernement fournit les informations générales suivantes que le requérant ne conteste pas :

– à douze reprises entre 1999 et 2002, le requérant subit des examens médicaux à l’hôpital pénitentiaire de Riga, suivis de traitement médical ;

– en 2001, lors de son séjour à la prison de Pārlielupe, le requérant fut examiné quinze fois par un psychiatre et vingt-six fois par un médecin généraliste ;

– en 2002, il a été vu et examiné huit fois par un psychiatre et dix-huit fois par un généraliste ;

– en outre, entre 2001 et 2002, le requérant a subi quinze fois un examen médical ambulatoire, et vingt-six fois, un examen médical dans le cadre d’une hospitalisation ;

– entre 2001 et 2003, la MADEKKI effectua cinq enquêtes visant la qualité des soins médicaux reçus par le requérant en prison.

C.  La correspondance du requérant

66.  Le 13 août 1999, le juge chargé de l’affaire adressa au requérant une lettre dont il ressort que le requérant avait tenté d’expédier une lettre à la Cour européenne des droits de l’homme et que le juge la lui renvoyait en annexe, tout en précisant :

« Vous pourrez [adresser] vos demandes [et] objections à la Cour européenne des droits de l’homme une fois votre affaire examinée par toutes les instances de juridictions lettonnes ».

67.  En septembre 2000, le requérant tenta de transmettre à la Cour un formulaire de requête rempli. Le 26 septembre 2000, la direction de la prison centrale refusa d’expédier son formulaire, au motif que le compte personnel du requérant ne contenait pas assez d’argent pour acheter des timbres. Le requérant demanda alors à son avocate commise d’office d’envoyer son formulaire à la Cour, mais celle-ci refusa. En décembre 2000, une deuxième tentative de transmettre le formulaire à Strasbourg échoua elle aussi à cause de l’attitude de l’administration de la prison.

68.  Le 2 octobre 2000, le requérant remit à l’administration de la prison deux lettres adressées au juge chargé de son dossier et au ministre de la Justice ; dans ces deux lettres, il déclarait qu’eu égard aux nombreuses injustices auxquelles il était soumis en Lettonie, il voulait renoncer à la nationalité lettonne. Le 10 octobre 2000, l’administration de la prison informa le requérant qu’elle avait saisi les lettres en question et qu’elle n’entendait pas les transmettre aux destinataires. Entre-temps, le 9 octobre 2000, le requérant remit à l’administration une lettre adressée à la Cour. Peu après, il demanda si cette lettre avait été envoyée ; cependant, l’administration refusa de lui répondre.

69.  Pendant son séjour à l’hôpital pénitentiaire, le requérant écrivit une lettre adressée à la Cour ; toutefois, le 8 décembre 2000, lors de la fouille quotidienne, cette lettre fut saisie par l’administration de la prison. Plus tard dans la même journée, cette lettre lui fut rendue déchirée. Peu après, l’administration opposa un nouveau refus à sa demande d’envoyer un autre courrier à Strasbourg.

70.  Le 22 février 2001, le requérant fut transféré à la prison de Pārlielupe, à Jelgava. Il soutient que le jour même de son transfert, il tenta de nouveau d’envoyer son formulaire de requête à la Cour ; toutefois, l’administration de la prison refusa d’expédier ce formulaire, invoquant à cet égard le manque de moyens financiers sur le compte personnel du requérant. Le Gouvernement doute de la véracité de cette allégation, indiquant qu’aucune preuve dans le dossier ne l’atteste.

71.  Le 21 mai 2001, le greffe de la Cour adressa au requérant une lettre accusant la réception de ses deux communications. La lettre du greffe parvint au requérant sous pli ouvert.

72.  En décembre 2001 ou en janvier 2002, le requérant reçut une lettre du Bureau national des Droits de l’Homme (Valsts cilvēktiesību birojs). Ce courrier lui parvint dans une enveloppe ouverte.

73.  Le 5 janvier 2002, le requérant fut placé à l’hôpital pénitentiaire de Riga. Lors de son transfert de Jelgava à Riga, les gardiens de la prison de Pārlielupe confisquèrent une partie de sa correspondance avec la Cour. Le 7 janvier 2002, le requérant remit au personnel de l’hôpital pénitentiaire trois plaintes contestant cette confiscation et adressées respectivement au parquet pluridisciplinaire spécialisé, au Bureau national des droits de l’homme et à la Cour constitutionnelle. Le 11 janvier 2002, l’administration de la prison centrale lui rendit les trois lettres sans aucune explication.

74.  Le requérant soutient que, lors de son séjour dans de différents établissements pénitentiaires de Lettonie, il reçut des lettres en provenance de la Cour dans des enveloppes ouvertes. De tels incidents se sont notamment produits le 29 juillet 2002, et le 27 mai 2003, à Valmiera, et en novembre 2003, à la prison de Grīva (à Daugavpils).

75.  Après avoir purgé sa peine, en février 2006, le requérant fut libéré.

II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

76. Les dispositions pertinentes du droit letton applicables à l’époque des faits sont résumées dans les arrêts suivants :

a)  les dispositions relatives à la détention provisoire – dans l’arrêt Svipsta, précité (§§ 52-66) ;

b)  les dispositions relatives au statut des détenus provisoires en général et des voies de recours dont ils disposaient – dans l’arrêt Kornakovs c. Lettonie (no 61005/00, §§ 63-66 et § 73-78, 15 juin 2006) ;

c)  les dispositions relatives à la correspondance des détenus – dans l’arrêt Kornakovs, précité (§§ 67-70) ;

d) les dispositions relatives aux soins médicaux en milieu carcéral – dans l’arrêt Farbtuhs c. Lettonie (no 4672/02, § 29, 2 décembre 2004).

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

77.  Le requérant dénonce les carences de son traitement médical pendant sa détention en prison. De même, il se plaint des violences commises à son égard par les gardiens et les membres du personnel des établissements dans lesquels il était détenu. Il invoque l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Sur la recevabilité

78.  Le Gouvernement analyse chaque épisode évoqué par le requérant, pour conclure au caractère manifestement mal fondé de ses doléances. Il considère que l’usage de force à l’encontre du requérant en décembre 2000 et en février 2001 était justifié par son propre comportement agressif et tout à fait modéré et adapté aux circonstances particulières de chaque incident. En particulier, chacun de ces cas d’usage de force a fait l’objet d’une plainte devant le parquet, lequel a aussitôt ouvert une enquête et, après avoir interrogé le requérant et vérifié tous les faits pertinents de la cause, a conclu à l’absence de violation de la loi. Pour ce qui est des conditions de détention du requérant dans la cellule d’isolement de la prison de Pārlielupe où il était placé pendant dix jours à compter du 28 mai 2001, le Gouvernement souligne que celui-ci ne s’est plaint de ces conditions ni à l’administration pénitentiaire ni au parquet ; dès lors, il n’a pas épuisé les voies de recours à sa disposition. Quant à la qualité du traitement médical que le requérant a reçu pendant son incarcération, le Gouvernement se réfère aux résultats des nombreuses enquêtes effectuées par la MADEKKI d’une manière minutieuse et complète, et qui n’a constaté aucune irrégularité dans la manière dont l’intéressé a été soigné.

79.  Le requérant rejette les arguments du Gouvernement. Il insiste qu’il est victime des violations de l’article 3 qu’il allègue.

80.  La Cour rappelle que, pour tomber sous le coup de l’article 3, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause et, notamment, de la durée du traitement, de ses effets physiques et/ou mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime. Pour qu’une peine ou le traitement dont elle s’accompagne soient « inhumains » ou « dégradants », la souffrance ou l’humiliation doivent en tout cas aller au-delà de celles que comporte inévitablement une forme donnée de traitement ou de peine légitime. La question de savoir si le traitement avait pour but d’humilier ou de rabaisser la victime est un autre élément à prendre en compte, mais l’absence d’un tel but ne saurait exclure de façon définitive un constat de violation de l’article 3 (Guennadi Naoumenko c. Ukraine, no 42023/98, § 108, 10 février 2004).

81.  Dans chaque cas, les allégations de torture ou de mauvais traitements constituant des violations de l’article 3 de la Convention doivent être prouvées « au-delà de tout doute raisonnable ». En ce sens, un doute raisonnable n’est pas un doute fondé sur une possibilité purement théorique ou suscité pour éviter une conclusion désagréable ; c’est un doute dont les raisons peuvent être tirées des faits présentés. La preuve des mauvais traitements peut également résulter d’un faisceau d’indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants. Par conséquent, afin de déterminer si les traitements dénoncés par l’intéressé ont vraiment eu lieu, la Cour doit s’appuyer sur l’ensemble des éléments de preuve qu’on lui fournit ou, au besoin, qu’elle se procure d’office (ibidem, § 109).

82.  S’agissant en particulier de personnes privées de liberté, l’article 3 impose à l’État l’obligation positive de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne le soumettent pas à une détresse ou une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate, notamment par l’administration des soins médicaux requis. Ainsi, le manque de soins médicaux appropriés, et, plus généralement, la détention d’une personne malade dans des conditions inadéquates, peuvent en principe constituer un traitement contraire à l’article 3 (voir Enea c. Italie [GC], no 74912/01, § 57, CEDH 2009‑..., et la jurisprudence y citée).

83.  En l’occurrence, la Cour estime, avec le Gouvernement, que  l’usage de force à l’encontre du requérant lors des incidents du 1er décembre 2000 et du 24 février 2001 n’a pas atteint le seuil minimum de gravité, vu notamment son propre comportement violent et menaçant à l’encontre des gardiens de la prison. Elle relève également que, dans chacun de ces deux cas, le parquet a procédé à une enquête qui n’apparaît guère ineffective. S’agissant des conditions de détention du requérant dans la cellule d’isolement de la prison de Pārlielupe où il était placé le 28 mai 2001, la Cour note qu’il n’a saisi les instances nationales d’aucune plainte à ce sujet. Enfin, quant à la qualité des sons médicaux, eu égard à l’intégralité des faits de l’espèce, la Cour ne peut qu’accepter la thèse du Gouvernement se référant aux enquêtes effectuées par la MADEKKI, dont il ressort que le traitement reçu par le requérant était adapté à ses besoins et à ses problèmes de santé, et qu’aucune irrégularité n’avait été commise sur ce point. En tout état de cause, il ne ressort pas du dossier que le requérant ait attaqué les décisions de la MADEKKI devant les tribunaux.

84.  Il s’ensuit que cette partie de la requête est, globalement, manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION

85.  Invoquant l’article 5 § 1 de la Convention, le requérant se plaint du caractère irrégulier de sa détention provisoire. Dans la mesure où il est pertinent en l’espèce, l’article 5 § 1 dispose :

« 1.  Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

(...)

c)  s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ; (...) »

A.  Sur la recevabilité

86.  Le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement, par le requérant, des voies de recours internes, au regard d’une partie de sa détention provisoire. Selon le Gouvernement, le requérant aurait pu former un recours contre l’ordonnance de la cour régionale de Riga du 30 octobre 1998 renvoyant le dossier de l’instruction au parquet pour complément d’information (paragraphe 20 ci-dessus), comme le prévoyait le troisième alinéa de l’article 237 du code de procédure pénale alors en vigueur. Dès lors, le Gouvernement considère que les voies de recours internes n’ont pas été épuisées en l’espèce en ce qui concerne la période allant du 30 octobre au 23 décembre 1998.

87.  Le requérant ne se prononce pas sur ce point.

88.  La Cour note d’emblée que l’exception du Gouvernement ne porte que sur une partie de la détention provisoire du requérant, et non sur sa totalité. A cet égard, elle rappelle que, dans plusieurs affaires dirigées contre la Lettonie, elle a déjà examiné et rejeté une exception identique à celle soulevée par le Gouvernement dans la présente affaire. Elle a notamment conclu que la voie procédurale en question ne remplissait pas les exigences d’accessibilité et d’effectivité, et ne constituait donc pas un recours à épuiser au sens de l’article 35 § 1 de la Convention (Vogins c. Lettonie, no 3992/02, § 32, 1er février 2007, et Čistiakov c. Lettonie, no 67275/01, §§ 46-51, 8 février 2007). En l’absence d’arguments du Gouvernement susceptibles de la faire parvenir à une conclusion différente dans la présente affaire, la Cour rejette l’exception du Gouvernement. Le grief tiré de l’article 5 § 1 de la Convention ne se heurtant à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B.  Sur le fond

89.  Le requérant critique son maintien en prison pendant la période entre le 30 octobre et le 23 décembre 1998. A cet égard, il rappelle que, le 30 octobre 1998, la cour régionale de Riga ne prit aucune décision quant à sa détention provisoire, de sorte qu’il resta incarcéré sans qu’un mandat judiciaire l’autorisât. Le requérant conteste la position des autorités lettonnes d’après laquelle sa détention postérieure au 30 octobre a été « légitimée » par l’ordonnance du 23 décembre 1998 ; selon lui, une telle « légitimation » rétroactive n’est pas autorisée par l’article 5 § 1 de la Convention.

90.  Le Gouvernement rétorque que, pendant presque toute sa durée, la détention provisoire du requérant était couverte par des mandats de détention délivrés par le juge compétent. Quant à la période après le 26 juillet 1998, le maintien du requérant en détention pendant ce temps était également légal car il se fondait directement sur l’article 77, cinquième alinéa, du code de procédure pénale alors en vigueur. Il est vrai qu’entre le 30 octobre et le 23 décembre 1998, la détention du requérant ne se fondait sur aucun mandat judiciaire exprès. Toutefois, cette lacune a été aussitôt constatée et rectifiée par l’ordonnance de la cour régionale de Riga du 23 décembre 1998, et le laps de temps pendant lequel le requérant a été ainsi maintenu en prison était trop court pour pouvoir aboutir à un constat de violation de l’article 5 § 1 c) de la Convention.

91.  La Cour constate que, du 2 février au 26 juillet 1998, le requérant était maintenu en détention sur le fondement d’une série d’ordonnances successives arrêtées par le tribunal de première instance de l’arrondissement de Ziemeļu de la ville de Riga. La Cour ne voit dans le dossier aucun élément susceptible de mettre en cause la régularité de cette incarcération à la lumière du droit interne ou la plausibilité des soupçons pesant sur le requérant. Dès lors, elle admet que la privation de liberté de l’intéressé pendant la période litigieuse était justifiée au regard du paragraphe 1 c) de l’article 5 (voir, mutatis mutandis, Svipsta précité, §§ 82-84).

92.  S’agissant de la détention du requérant entre le 26 juillet et le 3 septembre 1998, date de sa libération à Kuldīga, la Cour relève qu’elle avait pour seul fondement le cinquième alinéa de l’article 77 de l’ancien code de procédure pénale, aux termes duquel le temps nécessaire à tous les accusés pour prendre connaissance des pièces du dossier d’instruction n’entrait pas dans le calcul de la durée de la détention provisoire. Or, la Cour a déjà jugé que le maintien d’un accusé en détention en application de cette disposition était en soi contraire aux exigences de l’article 5 § 1 c) de la Convention (voir arrêts précités Svipsta, §§ 85-87, et Kornakovs, § 89 ; ainsi que Jurjevs c. Lettonie, no 70923/01, § 43, 15 juin 2006, et Nazarenko c. Lettonie, no 76843/01, § 47, 1er février 2007) ; elle ne voit aucune raison de parvenir à une conclusion différente dans la présente affaire. Il y a donc eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention au regard de la période susvisée.

93.  La Cour observe ensuite que du 3 au 11 septembre 1998, le requérant était en liberté. Le 11 septembre 1998, il fut arrêté et réincarcéré ; toutefois, le Gouvernement n’a fourni aucune pièce susceptible d’attester que cette nouvelle détention se fondait sur un mandat judiciaire quelconque.

94.  Le 30 octobre 1998, le dossier d’instruction fut transmis à la juridiction du fond, la cour régionale de Riga en l’espèce. La cour décida alors de renvoyer le dossier au parquet pour complément d’information. Cependant, elle ne prit aucune décision quant au maintien ou à la modification de la mesure préventive du requérant. S’étant aperçu de cette omission, le parquet renvoya le dossier à la cour régionale qui, par une ordonnance du 23 décembre 1998, ordonna le maintien du requérant en détention pendant un mois. Cela signifie qu’entre le 30 octobre et le 23 décembre 1998, l’intéressé demeura également incarcéré sans qu’une décision judiciaire l’autorisât. Il y a donc eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention au regard de la période allant du 11 septembre au 23 décembre 1998.

95. La Cour constate aussi que, par une ordonnance du 23 décembre 1998, la cour régionale de Riga décida de prolonger la détention provisoire du requérant « d’un mois », sans préciser le dies a quo de ce délai. Le 4 janvier 1999, le procureur en chef du parquet près la cour régionale écrivit au directeur de la prison centrale de Riga, où le requérant était incarcéré, l’informant que le délai de la détention provisoire du requérant devait effectivement courir à partir de la date de la réception du dossier par le parquet et expirerait donc le 4 février 1999 ; le Gouvernement soutient cette interprétation. Bien que la Cour ait quelques doutes sur le bien-fondé de cette thèse, elle n’estime pas opportun de la mettre en cause en l’absence d’observations plus détaillées des parties. Elle admet donc que, du 23 décembre 1998 au 4 février 1999, le requérant était détenu sur la base d’un mandate de dépôt valide, comme le veut l’article 5 § 1 de la Convention.

96.  Le 4 février 1999, ce mandat de dépôt expira. Toutefois, puisque le requérant, son coaccusé et leurs avocats lisaient le dossier, le requérant fut de nouveau maintenu en prison sur le fondement du cinquième alinéa de l’article 77 du code de procédure pénale alors en vigueur, et ce, jusqu’au 1er mars 1999. Pendant cette période, la détention du requérant fut donc opérée au mépris de l’article 5 § 1 de la Convention.

97.  Enfin, du 1er mars 1999 et jusqu’à sa condamnation, le 12 mai 2000, le requérant était incarcéré sur la base de l’ordonnance du juge compétent de la cour régionale de Riga du 1er mars 1999 « déférant les accusés devant le tribunal » (paragraphe 26 ci-dessus). Par conséquent, il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 pendant ce laps de temps.

Conclusion

98.  En résumé, la Cour conclut que, dans la présente affaire, il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention en raison de la détention provisoire du requérant pendant les périodes comprises entre le 26 juillet et le 3 septembre 1998, entre le 11 septembre et le 23 décembre 1998, ainsi qu’entre le 4 février et le 1er mars 1999. En revanche, il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 pour le reste de la détention du requérant.

III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION

99.  Sous l’angle de l’article 5 § 3 de la Convention, le requérant dénonce la durée de sa détention provisoire qu’il estime excessive. L’article 5 § 3 se lit comme suit :

« Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »

A.  Sur la recevabilité

100.  Le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement, par le requérant, des voies de recours internes s’ouvrant en droit letton. Pour ce qui est, d’une part, de la période antérieure au renvoi du requérant en jugement, il rappelle que le requérant n’a attaqué aucune des ordonnances du tribunal de première instance de l’arrondissement de Ziemeļu prolongeant sa détention provisoire par voie de recours devant une juridiction de rang supérieur, bien qu’une telle voie de recours fût clairement prévue par l’article 222-1 de l’ancien code de procédure pénale applicable à l’époque (Svipsta, précité, § 58). S’agissant, d’autre part, de la période postérieure au renvoi en jugement, le Gouvernement réitère sa thèse déjà formulée sur le terrain de l’article 5 § 1 de la Convention et fondée sur une référence au troisième alinéa de l’article 237 du même code.

101.  Le requérant ne formule aucune observation particulière sur ce point.

102.  La Cour rappelle d’emblée qu’elle vient de rejeter l’exception fondée sur le troisième alinéa de l’article 237 du code de procédure pénale dans le mesure où l’article 5 § 1 de la Convention était en jeu (paragraphe 88 ci-dessus) ; elle doit donc faire de même sur le terrain de l’article 5 § 3. Quant à la période antérieure au renvoi du requérant en jugement, la Cour reconnaît que celui-ci n’a pas fait usage du recours prévu à l’article 222-1 du code de procédure pénale. Cependant, dans les arrêts Vogins et Čistiakov, précités, elle a jugé que ce recours n’était pas effectif, notamment parce que dans toutes les affaires pendantes devant elle, les juridictions d’appel avaient recouru au même raisonnement stéréotypé, reproduisant les critères énumérés par la loi mais ne précisant pas de quelle manière ils entraient en jeu dans le cas d’espèce. De plus, le Gouvernement n’était pas parvenu à citer au moins un seul exemple où cette voie procédurale aurait abouti en pratique (arrêts précités Vogins, §§ 30-31, et Čistiakov, §§ 49-50). Les faits pertinents de la présente cause ayant eu lieu à peu près à la même époque que ceux dans les deux affaires précitées, et le Gouvernement n’ayant pas fourni un seul exemple où la procédure de recours ayant pour base légale l’article 222-1 du code de procédure pénale eût été effective, la Cour ne voit aucune raison de parvenir à une conclusion différente dans la présente affaire. L’effectivité du recours en question n’ayant pas été démontrée, la Cour considère qu’il n’y a pas lieu de retenir l’exception.

103.  Par conséquent, la Cour rejette l’exception du Gouvernement. Le grief tiré de l’article 5 § 3 de la Convention ne se heurtant à aucun autre motif d’irrecevabilité, elle le déclare recevable.

B.  Sur le fond

104.  Le Gouvernement considère que le maintien prolongé du requérant en détention provisoire n’a pas dépassé les limites du « raisonnable », au sens de l’article 5 § 3 de la Convention. Il souligne qu’au moment de son arrestation, le 2 février 1998, le requérant avait déjà quatre condamnations pénales à son compte, et que, lors de sa détention provisoire dans le cadre de la présente affaire, il en eut une cinquième (paragraphe 19 ci-dessus). De plus, il souffrait d’un alcoolisme chronique et avait une tendance à se montrer ivre sur la voie publique. Au cours de la procédure visée par la présente affaire, il a été deux fois placé sur la liste des personnes recherchées par la police. Il n’avait pas de domicile fixe. Par ailleurs, le requérant était par sa nature dangereux ; en témoigne le fait qu’au moment de son arrestation, le 2 février 1998, il avait en sa possession une arme – en l’espèce, un tournevis aiguisé (paragraphe 6 ci-dessus). En résumé, la personnalité du requérant et le risque réel de sa fuite ou de sa soustraction à la justice exigeaient son maintien en détention pendant toute la période en question. Chaque fois que le juge ordonnait le maintien du requérant en détention provisoire, il prenait sa décision sur la base d’informations suffisantes présentées par le parquet et confirmant la dangerosité du requérant.

105.  S’agissant de la diligence avec laquelle l’instruction du dossier a été effectuée en l’espèce, le Gouvernement rappelle qu’initialement, l’instruction préliminaire a été achevée en six mois (paragraphes 6-15 ci-dessus). Toutefois, après la fin de l’instruction, en juillet 1998, S., le coaccusé du requérant, a soudain plaidé coupable (paragraphe 15 ci-dessus). Or, puisque cela aggravait désormais la situation de S., des mesures supplémentaires d’instruction ont été nécessaires ; pour cette raison, le dossier fut renvoyé au parquet pour complément d’information. Le Gouvernement souligne que les autorités ne pouvaient pas être tenues responsables pour un tel changement factuel.

106.  En tout état de cause, l’instruction préliminaire, qui a duré environ un an et un mois, a pris près de la moitié de tout le laps de temps entre l’arrestation du requérant et sa condamnation en première instance. Le Gouvernement reconnaît que la période d’attente après le renvoi du dossier en jugement a duré un peu plus de temps que l’instruction ; toutefois, il ne considère pas la durée de cette période déraisonnable. Il explique qu’à l’époque des faits, le code de procédure pénale consacrait le principe de l’examen ininterrompu des affaires, ce qui voulait dire qu’un juge ne pouvait pas siéger dans une affaire avant d’avoir terminé l’examen d’une affaire précédente. Cela explique le retard en cause ; toutefois, la cour régionale de Riga a examiné la présente affaire sur le fond dès qu’elle l’a pu.

107.  Le requérant, quant à lui, insiste que la durée de sa détention provisoire a été excessive et, partant, qu’elle a violé l’article 5 § 3 de la Convention.

108.  La Cour renvoie aux principes fondamentaux se dégageant de sa jurisprudence et déterminant le caractère raisonnable d’une détention, au sens de l’article 5 § 3 (voir Lavents c. Lettonie, no 58442/00, § 70-71, 28 novembre 2002, et la jurisprudence y citée). S’agissant de la période à prendre en considération sous l’angle de l’article 5 § 3 de la Convention, la Cour rappelle qu’elle est la même que pour l’article 5 § 1 c) ; il s’agit donc de la période comprise entre l’arrestation de l’intéressé et sa condamnation en première instance (voir, mutatis mutandis, Svipsta précité, § 80). La détention provisoire du requérant a donc duré deux ans, trois mois et dix jours. La Cour estime d’emblée qu’un tel délai est suffisamment long pour poser en lui-même problème sous l’angle de l’article 5 § 3.

109.  La Cour relève que le requérant était accusé de meurtre, c’est-à-dire d’une infraction pénale grave. Elle reconnaît que la gravité de ce délit, combiné avec les raisons de soupçonner le requérant de l’avoir commis, avait initialement suffi à légitimer sa détention. Toutefois, au fil du temps, ces arguments sont inévitablement devenus moins pertinents. Compte tenu de la durée du confinement du requérant, seules des raisons très sérieuses pourraient justifier le maintien d’une telle mesure au regard de l’article 5 § 3 de la Convention (arrêts précités Lavents, § 73, et Kornakovs, § 104). Pour déterminer s’il y a eu de telles raisons dans la présente affaire, la Cour doit examiner les motifs figurant dans les décisions judiciaires ordonnant ou prolongeant la détention en question (Svipsta précité, § 110). En l’occurrence, elle note le caractère succinct et général des motifs des ordonnances prises par le tribunal de première instance de l’arrondissement de Ziemeļu ; en effet, ces ordonnances se bornaient généralement à énoncer les critères fixés par le code de procédure pénale sans expliquer plus en détail comment ils entraient en jeu dans le cas individuel du requérant (voir, mutatis mutandis, arrêts précités Lavents, §§ 73-74, et Svipsta, §§ 109 et 111). Certes, les ordonnances des 25 mars et 22 mai 1998 contenaient des références, respectivement, au fait que le requérant ne vivait pas à son domicile officiellement enregistré et au fait qu’il avait initialement été placé sur la liste des personnes recherchées (paragraphes 11 et 13 ci-dessus), et la Cour a déjà accepté que, lorsque une personne n’avait pas de domicile fixe, un tel fait pouvait augmenter de manière significative le risque de fuite (voir, mutatis mutandis, Shannon c. Lettonie, no 32214/03, §§ 64-68, 24 novembre 2009). La Cour considère que, dans les circonstances de l’espèce, le fait de ne pas avoir un domicile fixe (et, a fortiori, le fait d’avoir été placé sur la liste des personnes recherchées) pouvait constituer une base suffisante pour justifier la détention provisoire du requérant pendant un certain temps. Cependant, aux fins de l’article 5 § 3 de la Convention, ces motifs ne sont pas suffisants en tant que tels au vu de la durée totale de la détention provisoire du requérant.

110.  Tout en acceptant la thèse du Gouvernement selon laquelle les soudains aveux du coaccusé S. ont nécessité une instruction supplémentaire du dossier et, par là même, un temps supplémentaire, la Cour note que la période allant du 1er mars 1999, date du renvoi du requérant en jugement, au 12 mai 2000, date de sa condamnation en première instance, a constitué une simple période d’attente – pourtant longue de plus d’un an et deux mois – pendant laquelle aucune mesure d’instruction n’a été effectuée. La Cour estime que seules les raisons les plus impérieuses pourraient justifier le maintien du requérant en détention pendant toute cette période et, pourtant, aucune raison de ce type n’a été invoquée par les autorités lettonnes.

111.  Dans ces conditions, eu égard à l’ensemble des circonstances de l’espèce, la Cour conclut que les autorités lettonnes n’ont pas agi avec toute la diligence requise par la situation du requérant. Pour sa part, elle ne voit pas d’éléments susceptibles de justifier objectivement une détention provisoire aussi longue. Il y a donc eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention.

IV.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION

112.  Le requérant estime avoir été privé d’un contrôle judiciaire effectif de sa détention provisoire pendant la période allant du 23 décembre 1998, date à laquelle la cour régionale de Riga a prolongé sa détention provisoire pour la dernière fois avant de renvoyer le dossier pour complément d’information, au 12 mai 2000, date de sa condamnation en première instance. Il invoque l’article 5 § 4 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

A.  Sur la recevabilité

113.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B.  Sur le fond

114.  Le Gouvernement estime que les exigences de l’article 5 § 4 ont été remplies en l’espèce. Le requérant marque son désaccord.

115.  La Cour constate que, par une ordonnance du 23 décembre 1998, la cour régionale de Riga a prolongé d’un mois la détention provisoire du requérant et a renvoyé le dossier de l’instruction au parquet pour complément d’information. En février 1999, le parquet a transmis le dossier complété à la cour régionale qui, par une ordonnance du 1er mars 1999, déféra le requérant en jugement, tout en le maintenant en détention. En l’absence d’observations plus détaillées des parties, la Cour a quelques doutes sur l’existence d’un contrôle judiciaire effectif pendant le laps de temps entre le 23 décembre 1998 et le 1er mars 1999. Toutefois, elle n’estime pas nécessaire de se prononcer séparément sur cette période. En effet, en ce qui concerne la période postérieure au 1er mars 1999, la Cour ne peut que renvoyer à son arrêt Svipsta, précité, dans lequel elle a jugé que les garanties prévues à l’époque des faits en droit letton en ce qui concerne le stade postérieur au renvoi en jugement ne satisfaisaient manifestement pas aux exigences de l’article 5 § 4 (Svipsta précité, §§ 141-143). Elle n’a aucune raison de parvenir à une conclusion différente dans la présente affaire.

116.  Dès lors, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention pour la période allant du 1er mars 1999 au 12 mai 2000. Elle estime en outre que ce constat la dispense de se prononcer de surcroît sur la question de savoir si cette disposition a été enfreinte pendant la période antérieure allant du 23 décembre 1998 au 1er mars 1999.

V.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

117.  Le requérant s’estime victime d’une violation de l’article 6 § 1 de la Convention, dont les parties pertinentes sont ainsi libellées :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

Sur la recevabilité

118.  Le requérant clame son innocence et critique l’application du droit interne par les juridictions lettonnes. Il soutient également que l’utilisation du détecteur de mensonges en tant qu’élément de preuve à charge est douteuse et incompatible avec les garanties du procès équitable. Enfin, le requérant se plaint que les deux ordonnances prises dans le cadre de la procédure en rectification du jugement (l’ordonnance de la cour régionale de Riga du 30 mars 2001 et celle de la chambre des affaires pénales de la Cour suprême du 5 octobre 2001) ont été prises sans respecter les principes du contradictoire, c’est-à-dire à son insu et sans le citer à comparaître.

119.  Le Gouvernement rétorque que les résultats produits par le détecteur de mensonges n’étaient qu’un élément de preuve à charge parmi beaucoup d’autres ; par ailleurs, l’usage de cet appareil n’est pas en soi contraire aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention. Quant à la procédure en rectification de jugement, elle n’implique pas une « décision sur le bien fondé de l’accusation » dirigée contre l’intéressé, et, dès lors, n’entre pas dans le champ d’application de l’article 6 § 1. Pour le reste, le Gouvernement est convaincu que les garanties fondamentales de l’équité ont été observées dans le procès du requérant.

120.  La Cour rappelle d’emblée qu’elle a pour seule tâche, aux termes de l’article 19 de la Convention, d’assurer le respect des engagements résultant de la Convention pour les États contractants. Il ne lui appartient pas, en particulier, de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par un tribunal interne, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention. En particulier, la Cour n’est pas compétente pour substituer sa propre appréciation des preuves à celle des juridictions nationales, ou de se prononcer sur la culpabilité de l’intéressé (voir, parmi beaucoup d’autres, Khan c. Royaume-Uni, no 35394/97, § 34, CEDH 2000-V).

121.  En l’occurrence, la Cour constate que le requérant a été condamné à la suite d’une procédure contradictoire, qu’il a été représenté par des avocats devant les juridictions de première instance et d’appel, et que les juges du fond ont entendu et tenu compte des arguments de la défense. La culpabilité du requérant a été établie sur la base de toute une série de preuves, notamment les dépositions de six témoins, une grande quantité de preuves matérielles et dix rapports d’expertise. Quant au résultat du test par le détecteur de mensonges, il n’a constitué qu’un élément de preuve parmi d’autres, et le requérant lui-même n’a pas soutenu qu’il aurait été décisif pour l’issue du procès. Au demeurant, la Cour rappelle qu’elle n’a jamais dit que l’usage d’un détecteur de mensonges dans le cadre d’une instruction pénale est en lui-même contraire à l’article 6 § 1 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Bragadireanu c. Roumanie, no 22088/04, § 102, 6 décembre 2007).

122.  S’agissant enfin de la procédure en rectification du jugement de la cour régionale de Riga, et à supposer même que l’article 6 § 1 de la Convention s’applique à ce type de procédure, la Cour constate que, contrairement aux allégations du requérant, l’ordonnance de la chambre des affaires pénales du 5 octobre 2001 a été prise à l’issue d’une audience contradictoire avec la participation du requérant et de son avocat qui ont été tous les deux entendus (paragraphe 39 ci-dessus).

 123.  Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

VI.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 8 ET 34 DE LA CONVENTION

124.  Le requérant se plaint des nombreux obstacles posés par l’administration pénitentiaire à sa correspondance avec la Cour et avec les autorités nationales. Il dénonce notamment les refus répétés d’expédier ses lettres à Strasbourg, la saisie arbitraire de certaines de ces lettres, ainsi que l’ouverture et le contrôle du courrier en provenance de la Cour. La Cour estime opportun d’examiner la saisie et l’ouverture de la correspondance du requérant sur le terrain de l’article 8 de la Convention, et le refus d’expédier certaines de ses lettres à Strasbourg sur le terrain de la dernière phrase de l’article 34 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Kornakovs précité, § 157, et Igors Dmitrijevs c. Lettonie, no 61638/00, § 91, 30 novembre 2006). Ces deux dispositions se lisent ainsi :

Article 8

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Article 34

« La Cour peut être saisie d’une requête par toute personne physique (...) qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses Protocoles. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à n’entraver par aucune mesure l’exercice efficace de ce droit. »

A.  Article 8

1. Sur la recevabilité

125.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

2. Sur le fond

126.  Le Gouvernement ne nie pas qu’il y a eu ingérence dans le droit du requérant au respect de sa correspondance, au sens de l’article 8 § 1 de la Convention. Toutefois, selon le Gouvernement, l’ouverture et le contrôle des lettres adressées au requérant par la Cour ont été opérés en conformité avec le droit applicable à l’époque (en l’espèce, l’article 41 du code de l’exécution des peines), poursuivaient le but légitime de « prévention des infractions pénales » et étaient proportionnés à ce but, au sens du deuxième paragraphe du même article.

127.  La Cour accepte la thèse du Gouvernement selon laquelle l’ingérence avait une base légale, l’article 41 du code de l’exécution des peines. Elle peut également admettre que la mesure dénoncée visait un but légitime : « la défense de l’ordre et la prévention des infractions pénales ». Quant à la nécessité de l’ingérence, le Gouvernement n’a fourni aucune raison particulière justifiant de contrôler la correspondance avec la Cour, dont la confidentialité doit être respectée (Valašinas c. Lituanie, no 44558/98, § 129, CEDH 2001‑VIII). Il en va de même de la lettre adressée au requérant par le Bureau national des Droits de l’Homme (paragraphe 72 ci-dessus). Dès lors, l’ingérence litigieuse n’était pas nécessaire dans une société démocratique comme le veut l’article 8 § 2.

128.  En conséquence, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.

B.  Article 34

1. Sur l’exception préliminaire du Gouvernement

129.  Le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement des voies de recours internes, comme l’exige l’article 35 § 1 de la Convention. A cet égard, il fait valoir que le requérant n’a pas attaqué le comportement des autorités par voie d’un recours hiérarchique devant la Direction pénitentiaire. Le Gouvernement soutient que le droit d’introduire de tels recours résulte clairement de l’article 74 du règlement no 154 relatif à la procédure des actes administratifs. De même, selon le Gouvernement, le requérant aurait pu adresser une plainte au procureur compétent, conformément aux dispositions pertinentes de la loi sur le parquet. En effet, le procureur disposait de pouvoirs suffisants pour redresser toute violation éventuelle des droits du requérant, et celui-ci n’a jamais soutenu qu’il eût été empêché de communiquer avec le parquet.

130.  La Cour rappelle que l’article 34 confère aux requérants un droit de nature procédurale bien distincte des droits matériels énoncés au titre I de la Convention, et que la question de recevabilité ne se pose pas sur le terrain de cette disposition (voir, parmi d’autres, Chamaïev et autres c. Géorgie et Russie, no 36378/02, § 507, CEDH 2005‑III, Al-Moayad c. Allemagne (déc.), no 35865/03, § 117, 20 février 2007, et Davydov et autres c. Ukraine, nos 17674/02 et 39081/02, § 332, 1er juillet 2010). Par ailleurs, la Cour a déjà conclu au caractère non efficace des voies évoquées par le Gouvernement (Moisejevs c. Lettonie, no 64846/01, §§ 167-174, 15 juin 2006). Dès lors, elle ne saurait retenir l’exception du Gouvernement.

2. Sur le respect de l’article 34

131.  Le Gouvernement soutient que les autorités nationales n’ont rien fait pour empêcher la correspondance effective du requérant avec la Cour. Le requérant, en revanche, insiste qu’une entrave a eu lieu.

132.  La Cour rappelle que, pour que le mécanisme de recours individuel instauré par l’article 34 de la Convention soit efficace, il est de la plus haute importance que les requérants, déclarés ou potentiels, soient libres de communiquer avec la Cour, sans que les autorités ne les pressent en aucune manière de retirer ou modifier leurs griefs (voir, par exemple, Salman c. Turquie [GC], no 21986/93, § 130, CEDH 2000‑VII).

133.  En l’espèce, hormis un cas isolé (paragraphe 70 ci-dessus), le Gouvernement n’a pas réfuté les allégations du requérant concernant des refus répétés des autorités lettonnes de transmettre ses lettres ou son formulaire de requête à la Cour (paragraphes 66-69 ci-dessus). En particulier, le dossier contient une lettre du juge chargé de l’affaire pénale du requérant, portant la date du 13 août 1999, dont il ressort que le requérant avait tenté d’expédier une lettre à la Cour et que le juge la lui renvoyait (paragraphe 66). La Cour estime qu’un tel acte, fût-il isolé, constitue un exemple d’une entrave prohibée par la seconde phrase de l’article 34 de la Convention (arrêts précités Kornakovs, § 166, et Moisejevs, § 182).

134.  Dès lors, la Cour conclut que les autorités lettonnes ont manqué à leurs obligations au titre de l’article 34 de la Convention.

VII.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

135.  Le requérant soulève également plusieurs autres griefs. Il allègue une violation des articles 5 § 2 et 6 § 2 de la Convention, sans toutefois préciser de quelle manière ces dispositions entrent en jeu en l’espèce. Il soutient également que, dans son procès, l’intégralité des droits au titre de l’article 6 § 3 de la Convention ont été enfreints. En particulier, sous l’angle du point c) de cette disposition, il déclare que l’avocate commise d’office par le juge pour le représenter devant les juridictions du fond s’est mal acquittée de sa tâche et qu’elle a adopté une stratégie erronée de la défense.

136.  Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par les dispositions précitées. Il s’ensuit que ces griefs sont manifestement mal fondés et doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

VIII.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

137.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

138.  La Cour constate que le requérant n’a pas présenté de demande de satisfaction équitable dans le délai imparti.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés des articles 5 § 1, 5 § 3, 5 § 4 et 8 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention du fait de la détention provisoire du requérant pendant les périodes comprises entre le 26 juillet et le 3 septembre 1998, entre le 11 septembre et le 23 décembre 1998 et entre le 4 février et le 1er mars 1999 ;

3.  Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention pour le reste de la détention provisoire du requérant ;

4.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention ;

5.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention pour la période allant du 1er mars 1999 au 12 mai 2000, et qu’il ne s’impose pas de statuer sur la question de savoir si cette disposition a été enfreinte pendant la période allant du 23 décembre 1998 au 1er mars 1999 ;

6.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

7.  Dit que l’État défendeur a manqué à ses obligations au titre de l’article 34 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 31 mai 2011, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Marialena TsirliJosep Casadevall
Greffière adjointePrésident

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure pénale
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CEDH, Cour (troisième section), AFFAIRE BIRZNIEKS c. LETTONIE, 31 mai 2011, 65025/01