CEDH, Cour (troisième section), AFFAIRE LADUNA c. SLOVAQUIE, 13 décembre 2011, 31827/02

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Chronologie de l’affaire

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CEDH · 27 juin 2012

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CEDH · 13 décembre 2011

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Communiqué de presse sur les affaires 21460/08, 47974/06, 27458/06, 37205/06, 37207/06, 33604/07, 11769/04, 13703/04, 31827/02, 55349/07, …

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Troisième Section), 13 déc. 2011, n° 31827/02
Numéro(s) : 31827/02
Publication : Recueil des arrêts et décisions 2011
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Benet Czech, spol. s r.o. c. République tchèque, n° 31555/05, §§ 30 et 35, 21 octobre 2010
Boguslaw Krawczak c. Pologne, no. 24205/06, §§ 107-108, 31 mai 2011
Clift c. Royaume-Uni, n° 7205/07, §§ 55-63, 13 juillet 2010
D.H. et autres c. République tchèque [GC], n° 57325/00, § 175, CEDH 2007-IV
Dolenec c. Croatie, no. 25282/06, § 57, 26 novembre 2009
Sidabras et Džiautas c. Lituanie, nos 55480/00 et 59330/00, § 38, CEDH 2004-VIII
Iordachi et autres c. Moldova, no. 25198/02, § 56, 10 février 2009
Metalco Bt. c. Hongrie, n° 34976/05, § 16, 1 février 2011
Moïsseïev c. Russie, no. 62936/00, 9 octobre 2008
Sanoma Uitgevers B.V. c. Pays-Bas, no. 38224/03, § 109, CEDH 2010-....
Shelley c. Royaume-Uni (déc.), n° 23800/06, 4 janvier 2008
Uzun c. Allemagne, no. 35623/05, § 43, 2 septembre 2010
Vlassov c. Russie, n° 78146/01, § 123
Références à des textes internationaux :
Rapport du Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) du Conseil de l’Europe sur la visite effectuée en Slovaquie du 9 au 18 octobre 2000, publié le 6 décembre 2001;Rapport du Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) du Conseil de l’Europe sur la visite effectuée en Slovaquie du 22 février au 3 mars 2005, publié le 2 février 2006;Règles pénitentiaires européennes de 1987;Règles pénitentiaires européennes de 2006
Organisations mentionnées :
  • Comité européen pour la prévention de la torture
  • Comité des Ministres
Niveau d’importance : Publiée au Recueil
Opinion(s) séparée(s) : Oui
Conclusions : Violation de l'art. 14+8 ; Non-violation de l'art. 13 ; Non-violation de P1-1 ; Préjudice moral - réparation
Identifiant HUDOC : 001-107940
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2011:1213JUD003182702
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Sur les parties

Texte intégral

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE LADUNA c. SLOVAQUIE

(Requête no 31827/02)

ARRÊT

STRASBOURG

13 décembre 2011

DÉFINITIF

04/06/2012

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention.


En l’affaire Laduna c. Slovaquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

 Josep Casadevall, président,
 Corneliu Bîrsan,
 Alvina Gyulumyan,
 Ján Šikuta,
 Luis López Guerra,
 Nona Tsotsoria,
 Mihai Poalelungi, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 15 novembre 2011,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 31827/02) dirigée contre la République slovaque et dont un ressortissant de cet Etat, M. Peter Laduna (« le requérant »), a saisi la Cour le 10 août 2002 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, a été représenté par Me I. Syrový, avocat au barreau de Bratislava. Le gouvernement de la République slovaque (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme M. Pirošíková.

3.  Le requérant alléguait en particulier que ses droits découlant des articles 8, 13 et 14 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 avaient été méconnus dans le cadre de sa détention provisoire et de son emprisonnement ultérieur au titre de sa condamnation.

4.  Par une décision du 20 octobre 2010, la Cour a déclaré la requête partiellement recevable.

5.  Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6.  Le requérant est né en 1973. Il purge actuellement une peine perpétuelle à la prison de Leopoldov.

7.  Accusé de plusieurs infractions graves, il fut maintenu en détention provisoire du 1er septembre 2001 au 9 février 2006, date à laquelle il commença à purger la peine de neuf ans d’emprisonnement qui lui avait été infligée pour vol. Des précisions à cet égard se trouvent dans la décision sur la recevabilité de la présente requête, adoptée le 20 octobre 2010.

8.  Durant sa détention provisoire, le requérant saisit la direction générale de l’administration pénitentiaire de plusieurs plaintes dans lesquelles il dénonçait les conditions de sa détention. Il y soulevait plusieurs points, notamment les restrictions apportées au droit en matière de visite (les visites n’étaient autorisées qu’une fois par mois pendant trente minutes et les détenus ne pouvaient parler à leurs visiteurs qu’à travers une paroi), les conditions régissant l’achat de nourriture en prison, l’absence d’eau chaude dans sa cellule et le manque de contact avec les autres détenus. Il alléguait également que les détenus condamnés qui purgeaient leur peine avaient plus de droits que lui-même qui se trouvait en détention provisoire.

9.  La direction générale de l’administration pénitentiaire répondit au requérant à plus de dix reprises, jugeant l’ensemble de ses plaintes mal fondées et estimant que les conditions subies par lui dans les prisons où il était détenu durant l’enquête et la procédure judiciaire étaient conformes au droit applicable.

10.  En outre, le requérant fut tenu, durant sa détention provisoire de même qu’après sa condamnation, de consacrer la moitié de l’argent qu’il recevait de sa famille au remboursement de sa dette à l’égard de l’Etat (laquelle résultait de décisions judiciaires et de l’obligation légale de contribuer aux frais de son entretien en prison), à défaut de quoi il n’était pas autorisé à acheter des denrées alimentaires supplémentaires dans le magasin de la prison.

Ainsi, le montant de la dette totale du requérant était d’environ 750 euros (EUR) en mars 2008, dont il remboursa environ 360 EUR de décembre 2002 à janvier 2008.

11.  Le 16 janvier 2003, le requérant se plaignit auprès du procureur général d’une violation de ses droits fondamentaux ; il dénonçait notamment les modalités que l’Etat lui avait imposées pour le remboursement de la dette résultant de l’obligation légale de contribuer à sa subsistance en prison.

12.  Le 30 janvier 2003, le procureur général rejeta cette plainte, n’ayant constaté aucune violation de la loi dans le cas du requérant.

13.  Durant toute la durée de sa détention au cours de l’enquête et du procès, le requérant ne put regarder la télévision, alors que les condamnés avaient la possibilité de la regarder collectivement dans la salle de réunion de l’aile de la prison où ils étaient détenus. L’administration pénitentiaire permettait aux détenus d’écouter par le système de radiodiffusion de la prison une station de radio privée et une station publique, dont les émissions étaient diffusées en alternance un jour sur deux. Le requérant fut maintenu seul dans sa cellule pendant la quasi-totalité de sa détention provisoire.

II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

A.  Le cadre juridique concernant la détention provisoire

1.  La loi de 1993 sur la détention, en vigueur jusqu’au 30 juin 2006 (loi no 156/1993)

14.  D’après l’article 2 § 1 de la loi de 1993 sur la détention, l’incarcération d’une personne durant une enquête et une procédure judiciaire devait respecter le droit de l’intéressé à être présumé innocent. Toute restriction devait être justifiée par le but de la détention et par la nécessité d’assurer l’ordre, la sécurité d’autrui et la protection de la propriété dans les lieux de détention des prévenus. L’article 2 § 2 ne permettait de restreindre que les droits dont les personnes détenues ne pouvaient se prévaloir du fait de leur détention provisoire. Celle-ci ne devait pas porter atteinte à la dignité humaine du prévenu.

15.  L’article 10 § 1 énonçait qu’un prévenu détenu durant une enquête et une procédure judiciaire était autorisé à recevoir des visiteurs une fois par mois pendant au moins trente minutes. Si cela se justifiait, le directeur de la prison pouvait autoriser des visites plus fréquentes ou une autre forme de contact. L’article 10 § 5 disposait que les visites au prévenu devaient se dérouler en présence d’un gardien et sans contact direct entre le prévenu et le visiteur. Le directeur de la prison pouvait prendre d’autres dispositions lorsque cela se justifiait.

16.  D’après l’article 12a § 10, un prévenu était autorisé à utiliser son argent pour l’achat de provisions ou d’autres articles en prison, sous réserve de satisfaire aux exigences légales pertinentes. Celles-ci incluaient notamment l’obligation pour le prévenu de consacrer au remboursement de sa dette à l’égard de l’administration pénitentiaire ou d’autres personnes un montant au moins équivalent à celui qu’il souhaitait retirer de son compte en prison. En cas d’inobservation de cette obligation et des autres conditions, le directeur de la prison devait autoriser le détenu, sur demande écrite, à utiliser son argent pour l’achat de médicaments ou d’autres articles nécessaires aux soins médicaux qui n’étaient pas fournis gratuitement en vertu de la loi pertinente, ainsi que de produits de base d’hygiène personnelle, et pour le paiement des taxes et frais applicables (article 12 § 11).

2.  La loi de 2006 sur la détention, en vigueur depuis le 1er juillet 2006 (loi no 221/2006)

17.  Conformément à l’article 19 § 1 de la loi de 2006 sur la détention, un prévenu est autorisé à recevoir des visiteurs toutes les trois semaines pendant au moins une heure.

Lorsqu’un prévenu est détenu au motif qu’il risque de faire pression sur des témoins ou des coprévenus, ou d’entraver l’enquête pénale sur l’affaire, il ne peut recevoir de visiteurs qu’avec l’accord de l’autorité de poursuite ou du tribunal chargé de l’affaire (article 19 § 2).

Les prévenus détenus dans des prisons de sécurité minimale sont, en règle générale, autorisés à avoir des contacts directs avec leurs visiteurs. Sinon, les visites se déroulent sans contact direct, à moins que le directeur de la prison n’en décide autrement, et en présence d’un gardien. Dans les situations exposées à l’article 19 § 2, l’autorité de poursuite ou le tribunal peuvent demander que la visite se déroule en présence d’un ou plusieurs de leurs représentants (article 19 § 3).

B.  Le cadre juridique concernant l’exécution des peines d’emprisonnement

1.  La loi de 1965 sur l’exécution des peines d’emprisonnement, en vigueur jusqu’au 31 décembre 2005 (loi no 59/1965)

18.  D’après l’article 1 § 1 de la loi de 1965, l’exécution d’une peine d’emprisonnement avait pour but d’empêcher les personnes condamnées de commettre d’autres infractions et de les préparer de façon continue à un mode de vie approprié.

19.  L’article 2 énumérait les activités culturelles et pédagogiques comme l’un des moyens d’atteindre le but poursuivi par l’emprisonnement des personnes condamnées.

20.  L’article 11 prévoyait les droits sociaux des détenus condamnés. Le paragraphe 1 de cette disposition garantissait à ceux-ci les conditions matérielles et culturelles nécessaires à un développement physique et mental approprié.

21.  Aux termes de l’article 12 § 3, un détenu condamné était autorisé à recevoir des visites de ses amis et/ou de ses proches à une heure fixée par le directeur de la prison. La fréquence des visites dépendait du régime de sécurité auquel le détenu condamné était soumis : au moins une visite tous les quinze jours pour les détenus condamnés soumis à un régime de sécurité minimale, une tous les mois pour ceux soumis à un régime de sécurité moyenne et une toutes les six semaines pour ceux soumis à un régime de sécurité maximale. Les visites aux détenus condamnés soumis à un régime de sécurité moyenne ou maximale se déroulaient sans contact physique. Le directeur de la prison pouvait exceptionnellement en décider autrement.

2.  La loi de 2005 sur l’exécution des peines d’emprisonnement, en vigueur depuis le 1er janvier 2006 (loi no 475/2005)

22.  L’article 24 § 1 énonce qu’un détenu condamné est autorisé à recevoir des visiteurs au moins une fois par mois pendant deux heures.

23.  D’après l’article 28 § 3, lorsqu’un détenu condamné n’a pas payé une partie de sa dette envers l’Etat au titre de sa contribution aux frais d’entretien due par les détenus et envers d’autres créanciers inscrits auprès des autorités pénitentiaires, il ne peut utiliser son argent que pour l’achat de produits d’hygiène de base, d’articles nécessaires à sa correspondance, de médicaments (ceux qui ne sont pas fournis gratuitement), et pour le paiement de frais médicaux ainsi que de dettes et de frais de procédure et administratifs.

24.  En vertu de l’article 34 § 1, un détenu condamné peut utiliser dans sa cellule, à ses frais et sous réserve de l’approbation du directeur de la prison, ses propres postes de radio et de télévision.

3.  Le règlement du ministère de la Justice de 1994 relatif à l’exécution des peines d’emprisonnement, en vigueur jusqu’au 31 décembre 2005 (règlement no 125/1994)

25.  L’article 3 § 1 de ce règlement énonçait que le traitement réservé aux détenus condamnés devait être de nature à limiter l’impact négatif de l’emprisonnement sur leur personnalité.

26.  L’article 8 § 1 du règlement énumérait les activités auxquelles pouvaient s’adonner les détenus condamnés, notamment les activités sportives et de loisir, l’écoute d’émissions de radio et la possibilité de regarder la télévision et des films, ainsi que des activités culturelles, éducatives ou récréatives personnelles.

27.  L’article 8 § 6 disposait que les détenus condamnés étaient autorisés à suivre des émissions de radio et de télévision. Cette activité devait être régie par le règlement de la prison.

28.  La fréquence et la durée des visites d’amis et/ou de proches au détenu condamné étaient fixées par les articles 80, 86 et 90 du règlement. Les détenus condamnés soumis à un régime de sécurité minimale avaient droit à une visite au moins une fois tous les quinze jours, ceux soumis à un régime de sécurité moyenne à une visite par mois et ceux soumis à un régime de sécurité maximale à une visite toutes les six semaines. En principe, les visites devaient se dérouler sans surveillance directe d’un gardien dans les prisons de sécurité minimale. Dans les autres cas, les visites devaient être surveillées par un gardien et il ne devait y avoir aucun contact entre le détenu condamné et le visiteur. Dans les trois types de prison, la durée minimale d’une visite devait être de deux heures.

III.  DOCUMENTS INTERNATIONAUX PERTINENTS

A.  Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques

29.  L’article 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui lie la République slovaque depuis le 28 mai 1993, est ainsi libellé dans ses parties pertinentes en l’espèce :

« 2.  a)  Les prévenus sont, sauf dans des circonstances exceptionnelles, séparés des condamnés et sont soumis à un régime distinct, approprié à leur condition de personnes non condamnées ; (...) »

30.  Le Comité des droits de l’homme des Nations unies a adopté, le 10 avril 1992, l’observation générale no 21 sur l’article 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Les parties pertinentes en l’espèce de cette observation se lisent ainsi :

« 9.  Le paragraphe 2 de l’article 10 prévoit en son alinéa a que les prévenus doivent, sauf circonstances exceptionnelles, être séparés des condamnés. Cette séparation est nécessaire pour faire ressortir qu’un prévenu n’est pas une personne condamnée et qu’il a le droit d’être présumé innocent, comme le dispose le paragraphe 2 de l’article 14. (...) »

B.  Les documents du Conseil de l’Europe

1.  Les règles pénitentiaires européennes

31.  Les règles pénitentiaires européennes sont des recommandations du Comité des Ministres aux Etats membres du Conseil de l’Europe concernant un ensemble de règles minima à mettre en œuvre dans les prisons. Le Comité des Ministres y recommande aux Etats de s’inspirer dans leurs législation et pratique internes des principes retenus dans le texte des règles pénitentiaires européennes, et de donner à ce texte la plus large diffusion possible auprès des autorités judiciaires, du personnel pénitentiaire et des détenus.

a)  Les règles pénitentiaires européennes de 1987

32.  Les règles pénitentiaires européennes de 1987 (Recommandation no R(87)3), adoptées par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe le 12 février 1987, énonçaient dans la cinquième partie les critères de base applicables aux prévenus, notamment les suivantes :

« 91.  Sans préjudice des dispositions légales relatives à la protection de la liberté individuelle et suivant la procédure applicable aux prévenus, ces derniers, qui jouissent d’une présomption d’innocence jusqu’à ce que leur culpabilité soit établie, doivent (...) être traités sans autres restrictions que celles imposées par la procédure pénale et la sécurité de l’établissement.

92.1.  Tout prévenu doit immédiatement pouvoir informer sa famille de sa détention et se voir accorder toutes les facilités raisonnables pour pouvoir communiquer avec celle-ci, et avec ses amis et les personnes avec lesquelles il a un intérêt légitime d’entrer en contact.

2.  Il doit aussi être autorisé à recevoir, dans des conditions pleinement satisfaisantes du point de vue humain, des visites de ces personnes, sous réserve des restrictions et des mesures de surveillance nécessaires dans l’intérêt de l’administration de la justice, de la sécurité et du bon ordre de l’établissement. »

b)  Les règles pénitentiaires européennes de 2006

33.  Le 11 janvier 2006, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a adopté une nouvelle version des règles pénitentiaires européennes (Recommandation no R(2006)2). Il y considère que les règles de 1987 « doive[nt] être révisée[s] et mise[s] à jour de façon approfondie pour pouvoir refléter les développements qui sont survenus dans le domaine de la politique pénale, les pratiques de condamnation ainsi que de gestion des prisons en général en Europe ».

34.  Les règles de 2006 énoncent notamment les critères suivants applicables aux prévenus :

« 95.1.  Le régime carcéral des prévenus ne doit pas être influencé par la possibilité que les intéressés soient un jour reconnus coupables d’une infraction pénale.

(...)

95.3.  Dans leurs rapports avec les prévenus, les autorités doivent être guidées par les règles applicables à l’ensemble des détenus et permettre aux prévenus de participer aux activités prévues par lesdites règles.

(...)

99.  A moins qu’une autorité judiciaire n’ait, dans un cas individuel, prononcé une interdiction spécifique pour une période donnée, les prévenus :

a)  doivent pouvoir recevoir des visites et être autorisés à communiquer avec leur famille et d’autres personnes dans les mêmes conditions que les détenus condamnés ;

b)  peuvent recevoir des visites supplémentaires et aussi accéder plus facilement aux autres formes de communication ; (...) »

2.  Les rapports du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants sur ses visites en République slovaque

35.  Le 6 décembre 2001, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) du Conseil de l’Europe a publié son rapport sur la visite effectuée en Slovaquie du 9 au 18 octobre 2000. Les passages pertinents en l’espèce de ce rapport se lisent ainsi :

« 79.  Dans le rapport relatif à la visite de 1995 (cf. paragraphes 126 à 130 du document CPT/Inf(97)2), le CPT avait souligné l’importance que revêtait pour les détenus la possibilité de maintenir de bons contacts avec le monde extérieur. Compte tenu de la situation constatée en 1995, le Comité avait recommandé que le nombre d’heures de visite auquel avaient droit les prévenus incarcérés à la prison de Bratislava soit considérablement augmenté et il avait invité les autorités slovaques à réfléchir attentivement à la possibilité de permettre à ces détenus que leurs visites se déroulent dans des conditions plus ouvertes. (...)

80.  Dans leurs réponses, les autorités slovaques avaient exprimé quelques doutes concernant l’approche préconisée par le CPT, principalement en raison de l’objectif de préservation de l’intérêt de la justice (empêcher la collusion, etc.).

Il n’est donc pas étonnant que la délégation qui a effectué la visite en l’an 2000 n’ait constaté dans ce domaine que peu ou pas de changements. En particulier, le droit de visite des prévenus restait limité à seulement trente minutes par mois (par quinzaine dans le cas des mineurs), bien que les prévenus puissent recevoir de temps à autre une visite supplémentaire à la discrétion du directeur. En outre, les visites de ces détenus continuaient de se dérouler dans des cabines, le détenu et le(s) visiteur(s) étant séparés par une vitre. (...)

81.  Le CPT admet que, dans certains cas, il soit justifié, pour des raisons de sécurité ou pour protéger le bon déroulement d’une enquête, que les visites se déroulent dans des cabines et/ou sous surveillance. Cependant, le CPT souhaite inviter à nouveau les autorités slovaques à s’orienter vers des modalités de visites plus ouvertes pour les prévenus en général. (...)

Les arguments fondés sur la nécessité de protéger l’intérêt de la justice ne sont absolument pas convaincants pour justifier le droit de visite actuellement insuffisant dont bénéficient les prévenus. Le CPT recommande donc à nouveau que le droit de visite des prévenus fasse l’objet d’une augmentation significative (par exemple, qu’il soit porté à trente minutes par semaine). (...) »

36.  Le 2 février 2006, le CPT a publié son rapport relatif à la visite effectuée en Slovaquie du 22 février au 3 mars 2005. Les passages pertinents en l’espèce sont ainsi libellés :

« 46.  Un problème fondamental concernant les prévenus dans la République slovaque est le manque total d’activités hors cellule pour les détenus.

Au moment de la visite, les prévenus étaient enfermés vingt-trois heures par jour dans leur cellule dans un état d’oisiveté forcée ; leur seule source de distraction était de lire des livres empruntés à la bibliothèque de la prison et d’écouter la radio, et, dans un nombre restreint de cas, de regarder la télévision. Aucun travail n’était proposé à ces détenus, et les possibilités de pratiquer une activité sportive étaient rares et, loin s’en faut accessibles à tous. (...) Les effets délétères d’un régime aussi restrictif étaient exacerbés par la durée prolongée du maintien en détention provisoire. (...)

Le CPT en appelle aux autorités slovaques pour qu’elles prennent des mesures, en priorité, pour définir et mettre en œuvre un programme complet d’activités hors cellules (y compris des activités de groupe) pour les prévenus. L’objectif serait de permettre à tous les prévenus de passer une partie raisonnable de la journée en dehors de leur cellule, occupés à des activités motivantes et de nature variée (activités de groupe, travail, de préférence à vocation professionnelle, éducation, sport). Le cadre juridique qui régit la détention provisoire devrait être révisé en conséquence. (...)

61.  La situation concernant les droits aux visites pour les prévenus n’a pas changé au cours des dix dernières années. Comme auparavant, les adultes n’étaient autorisés qu’à une seule visite de trente minutes par mois, (...) Les conditions dans lesquelles avaient lieu les visites étaient toujours les mêmes – en parloir fermé avec un écran séparant le détenu de ses visiteurs. C’est exactement la même situation que lors de la première visite du CPT en République slovaque en 1995.

Le CPT en appelle aux autorités slovaques pour qu’elles révisent les dispositions juridiques pertinentes afin d’accroître substantiellement les droits aux visites pour les prévenus. L’objectif devrait être d’autoriser une visite par semaine, d’une durée minimale de trente minutes. Par ailleurs, le Comité invite les autorités slovaques à mettre en place davantage de parloirs ouverts pour les visites aux prévenus. »

37.  La réponse du gouvernement slovaque à ce dernier rapport, publié le 2 février 2006, renferme les informations suivantes :

« En vertu des recommandations méthodologiques émises par le directeur général du CPCG (no GR ZVJS-116-45/20-2003) conformément à la législation en vigueur sur l’exécution de la détention provisoire, les prévenus sont autorisés à disposer de leur propre poste de télévision dans certaines conditions. Les recommandations méthodologiques émises par le directeur général du CPCG (no GR ZVJS-116-38/20-2003) prévoient des activités de loisir et autorisent l’exercice de certains sports et d’activités correspondant à un centre d’intérêt personnel, notamment par les jeunes et les femmes en détention provisoire. Les maisons d’arrêt s’efforcent en permanence de créer les conditions spatiales et matérielles permettant aux prévenus de s’adonner à des activités correspondant à un centre d’intérêt personnel ou à des activités sportives en intérieur et en extérieur.

La question de la création d’un programme d’activités approprié à l’intention des prévenus est également traitée dans le nouveau projet de loi sur la détention provisoire, qui est actuellement examiné par le Conseil national de la République slovaque dans le cadre de la recodification du code pénal et du code de procédure pénale. Le nouveau projet de loi sur la détention provisoire tend à l’introduction d’un régime de détention provisoire moins strict et propose la répartition des prévenus en catégories afin de leur permettre de participer à certaines activités correspondant à un centre d’intérêt personnel qui seraient de nature à modérer ou à réduire l’impact négatif de l’emprisonnement sur eux. La mise en œuvre de programmes d’activités adéquats à l’intention de l’ensemble des prévenus dépend de la création de conditions adaptées en matière d’espace, d’équipement et de personnel. Après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, le CPCG mettra progressivement en place les conditions matérielles pour la mise en œuvre des programmes susmentionnés et lancera leur mise en œuvre pratique.

(...)

Dans le cadre du nouveau projet de loi sur la détention provisoire, le nombre de visites auxquelles les prévenus ont droit doit passer d’une visite d’au moins trente minutes par mois à une visite d’au moins une heure toutes les trois semaines. Lorsque cela se justifie, le directeur de la prison sera en droit d’autoriser des visites plus fréquentes (...) »

EN DROIT

I.  SUR L’OBJET DU LITIGE

38.  Le 20 octobre 2010, la Cour a déclaré recevables les griefs du requérant sur le terrain : i.  des articles 8 et 14 concernant la différence de traitement alléguée entre le requérant lorsqu’il se trouvait en détention provisoire et les détenus condamnés ; ii.  de l’article 1 du Protocole no 1 relativement à l’utilisation par l’intéressé de son argent en prison ; et iii.  de l’article 13 concernant l’absence de recours effectif à cet égard. Elle a déclaré la requête irrecevable pour le surplus.

39.  Quant aux griefs soulevés sous l’angle des articles 8 et 14 de la Convention en particulier, la Cour a examiné notamment les questions relatives au droit du requérant en matière de visite, à l’impossibilité pour lui de regarder la télévision et de disposer d’un poste de radio personnel, et à l’absence d’installations appropriées permettant aux prévenus d’avoir de l’eau chaude et de préparer des boissons chaudes dans leur cellule. La Cour rappelle qu’elle a déclaré cette partie de la requête recevable pour autant que les violations alléguées des droits du requérant découlaient de la législation en vigueur à l’époque des faits.

40.  Dans ses observations sur le fond de l’affaire, le requérant soutient que la Cour doit également examiner si les faits dénoncés s’analysent en une violation de ses droits découlant des articles 3 et 6 §§ 1 et 2 de la Convention.

41.  La Cour note que la décision susmentionnée sur la recevabilité de la requête délimite l’objet du litige dont elle se trouve saisie. Elle n’est donc pas appelée à examiner dans le contexte de la présente requête si les faits dénoncés donnent lieu à une violation d’autres dispositions de la Convention, comme le soutient le requérant.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION, PRIS ISOLÉMENT OU COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 14

42.  Le requérant allègue que, durant sa détention provisoire, ses droits ont fait l’objet de restrictions plus importantes que ceux des détenus condamnés purgeant leur peine d’emprisonnement. Il y voit une violation des articles 8 et 14 de la Convention, lesquels sont ainsi libellés dans leurs parties pertinentes en l’espèce :

Article 8

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Article 14

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

A.  Thèses des parties

1.  Le requérant

43.  Le requérant allègue en particulier que durant sa détention provisoire il n’a été autorisé à recevoir qu’une fois par mois des visites dont la durée était toujours limitée au minimum légal, à savoir trente minutes. Il n’aurait pu avoir de contacts directs avec ses visiteurs, ayant été séparé de ceux‑ci par une paroi et n’ayant pu leur parler qu’au moyen d’un téléphone. La durée des visites qu’il était autorisé à recevoir aurait été plus courte que celle à laquelle les détenus condamnés avaient droit.

44.  Pendant sa détention provisoire, le requérant n’aurait pu écouter que deux stations de radio sélectionnées par l’administration pénitentiaire – l’une publique, l’autre privée – chacune étant diffusée en alternance un jour sur deux par le réseau interne central. Il n’aurait jamais pu regarder la télévision. En revanche, les détenus condamnés auraient été autorisés à regarder la télévision tous les jours dans des salles destinées à cette activité et à disposer de leur poste de radio personnel dans leur cellule, ce qui leur aurait permis de suivre les émissions de leur choix. En outre, durant sa détention provisoire, le requérant n’aurait pu s’adonner aux diverses activités sportives, assister à des événements culturels et participer à des groupes de loisir, alors que les détenus condamnés en auraient eu la possibilité.

45.  Le requérant estime que rien ne justifiait de lui imposer ce type de restrictions en tant que prévenu détenu durant une enquête et une procédure judiciaire avant qu’un verdict ne fût rendu. Il soutient en particulier que les détenus dans sa situation n’ont pas encore été reconnus coupables et ne devraient donc pas être placés dans une situation plus défavorable que les détenus condamnés. Les restrictions dont il a fait l’objet auraient été sans rapport avec la bonne conduite de la procédure pénale et lui auraient été imposées pendant toute la durée de sa détention provisoire, à savoir pendant plus de quatre ans.

2.  Le Gouvernement

46.  Le Gouvernement soutient que lorsque le requérant dit avoir été placé dans une position plus défavorable que les détenus condamnés, il met en rapport des situations qui ne sont pas comparables. D’après lui, la détention durant une procédure judiciaire et celle subie au titre d’une peine d’emprisonnement poursuivent des buts différents. La première viserait à assurer la présence du prévenu aux fins de la procédure pénale et le bon déroulement de celle-ci. La seconde représenterait la forme la plus sévère de punition du droit pénal. Toute différence entre les deux régimes, qui en tout état de cause n’aurait pas été importante, résulterait des différences dans le droit applicable. Le requérant n’aurait pas fait l’objet d’une discrimination contraire à l’article 14 de la Convention.

47.  D’après le Gouvernement, la loi en vigueur à l’époque des faits ne renfermait aucune disposition prévoyant la possibilité pour les prévenus détenus de regarder des émissions télévisées, que ce soit collectivement ou individuellement dans leur cellule. En 2003, une instruction émise par l’administration pénitentiaire générale aurait autorisé les prévenus détenus à utiliser à leurs frais leur propre poste de télévision dans leur cellule lorsque cela était techniquement faisable. Le Gouvernement admet que l’utilisation de téléviseurs personnels n’était pas possible, pour des raisons techniques, dans le bâtiment où le requérant a été maintenu en détention provisoire.

A l’époque des faits, les détenus condamnés auraient été autorisés à regarder la télévision, conformément au règlement no 125/1994, dans les salles de réunion de la prison.

48.  Enfin, le Gouvernement soutient qu’en tout état de cause toutes les restrictions relevaient d’une pratique normale et étaient imposées au requérant exclusivement dans l’intérêt du maintien de l’ordre et du bon fonctionnement des prisons. D’après lui, les personnes détenues durant une enquête et une procédure judiciaire doivent s’attendre à voir certains de leurs droits restreints. L’ensemble des restrictions imposées au requérant auraient été conformes au droit applicable et ne pourraient passer pour discriminatoires.

B.  Appréciation de la Cour

49.  Le requérant se plaignant pour l’essentiel d’une différence injustifiée de traitement entre lui-même en tant que personne en détention provisoire et les détenus condamnés purgeant leur peine d’emprisonnement, la Cour estime qu’il y a lieu d’examiner d’abord les griefs sous l’angle de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8, puis sur le terrain de l’article 8 isolément.

1.  Sur la violation alléguée de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8

50.  La Cour rappelle que l’article 14 de la Convention protège les personnes placées dans des situations analogues contre toute différence de traitement non justifiée dans la jouissance des droits et libertés que leur garantit la Convention. Cette disposition n’a pas d’existence indépendante puisqu’elle vaut uniquement pour la jouissance des droits et libertés que les autres clauses normatives de la Convention et des Protocoles consacrent. Toutefois, elle peut entrer en jeu même sans un manquement aux exigences de ces clauses et, dans cette mesure, possède une portée autonome. Pour qu’elle trouve à s’appliquer, il suffit que les faits du litige tombent sous l’empire de l’une au moins desdites clauses (Sidabras et Džiautas c. Lituanie, nos 55480/00 et 59330/00, § 38, CEDH 2004-VIII).

51.  En conséquence, la Cour recherchera si les faits de la cause tombent sous l’empire de l’article 8, s’il y a eu une différence de traitement à l’égard du requérant et, dans l’affirmative, si cette différence est compatible avec l’article 14 de la Convention.

a)  Sur le point de savoir si les faits de l’espèce relèvent de l’article 8 de la Convention

52.  La Cour a dit précédemment que la détention, tout comme d’autres mesures privatives de liberté, entraîne, par nature, des restrictions à la vie privée et familiale de l’intéressé. Des restrictions telles que la limitation du nombre de visites familiales et la surveillance de ces visites constituent une ingérence dans l’exercice par le détenu de ses droits découlant de l’article 8 mais ne sont pas en elles-mêmes contraires à cette disposition (voir, parmi d’autres, Bogusław Krawczak c. Pologne, no 24205/06, §§ 107-108, 31 mai 2011, et Moïsseïev c. Russie, no 62936/00, §§ 207-208, 9 octobre 2008).

53.  L’impossibilité pour le requérant de regarder la télévision pendant sa détention peut, en l’espèce, avoir eu un impact sur sa vie privée telle que protégée par l’article 8, qui englobe le droit pour tout individu de nouer et développer des relations avec le monde extérieur ainsi que le droit au développement personnel (Uzun c. Allemagne, no 35623/05, § 43, CEDH 2010). Pareille activité peut également être considérée comme importante pour le maintien de l’équilibre mental d’une personne qui, comme le requérant, est demeuré en détention provisoire pendant une longue période. La Cour a dit que la sauvegarde de la stabilité mentale est un préalable inéluctable à la jouissance effective du droit au respect de la vie privée (voir, mutadis mutandis, Dolenec c. Croatie, no 25282/06, § 57, 26 novembre 2009). Les considérations qui précèdent n’impliquent toutefois pas que l’impossibilité de regarder la télévision en prison est en soi contraire à l’article 8.

54.  La Cour admet donc que, parmi les faits litigieux entrant dans le cadre de la présente requête tel que délimité par la décision sur la recevabilité (voir également le paragraphe 39 ci-dessus), ceux concernant les visites familiales et l’absence alléguée d’accès à la télévision ont porté atteinte aux droits du requérant au respect de sa vie privée et familiale protégés par l’article 8. Conformément à la décision sur la recevabilité, la Cour examinera l’ingérence et le traitement discriminatoire allégué subi dans ce contexte par le requérant exclusivement dans la mesure où ils découlent des lois applicables à l’époque des faits.

b)  Sur le point de savoir si le requérant se trouvait dans une « autre situation » et si sa situation était comparable à celle d’un détenu condamné

55.  La détention provisoire d’une personne peut être considérée comme plaçant l’intéressé dans une situation juridique distincte qui, même si elle peut être imposée contre le gré de l’intéressé et si elle est généralement temporaire, est indissociable de la situation personnelle et de l’existence de l’individu. La Cour est donc convaincue, et les parties ne le contestent pas, que la détention provisoire du requérant relève de la notion d’« autre situation » au sens de l’article 14 de la Convention (voir, mutadis mutandis, Shelley c. Royaume-Uni (déc.), no 23800/06, 4 janvier 2008, et Clift c. Royaume-Uni, no 7205/07, §§ 55-63, 13 juillet 2010).

56.  Pour qu’une question se pose sous l’angle de l’article 14, il doit y avoir une différence de traitement entre des personnes se trouvant dans une situation analogue ou comparable (D.H. et autres c. République tchèque [GC], no 57325/00, § 175, CEDH 2007-IV). L’obligation de démontrer l’existence d’une « situation analogue » ne signifie pas que les groupes comparés doivent être identiques. Le fait que la situation du requérant ne soit pas totalement analogue à celle d’un détenu condamné et l’existence entre les divers groupes de différences fondées sur le but de la privation de liberté n’exclut pas l’application de l’article 14. Il faut démontrer que le requérant, eu égard à la particularité de son grief, s’est trouvé dans une situation comparable à celle d’autres personnes qui ont été traitées différemment (Clift, précité, § 66).

57.  Les griefs du requérant qui font l’objet de l’examen de la Cour se rapportent aux dispositions juridiques régissant les droits en matière de visite et à l’impossibilité pour l’intéressé de regarder la télévision en prison. Ces dispositions concernent donc des questions présentant un intérêt pour tous les détenus, puisqu’elles délimitent l’étendue des restrictions à la vie privée et familiale inhérentes à la privation de liberté, quels que soient les motifs sur lesquels ces restrictions sont fondées.

58.  La Cour estime donc, en ce qui concerne les faits en litige, que le requérant peut prétendre se trouver dans une situation comparable à celle des détenus condamnés.

c)  Sur le point de savoir si la différence de traitement était objectivement justifiée

59.  Une différence de traitement est discriminatoire si elle manque de justification objective et raisonnable, c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s’il n’y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d’autres égards analogues justifient des distinctions de traitement. L’étendue de cette marge varie selon les circonstances, les domaines et le contexte. La Cour a admis qu’une vaste marge d’appréciation s’applique en principe relativement aux questions concernant les détenus et la politique pénale (Clift, précité, § 73 avec les références citées).

60.  Quant aux faits de l’espèce, la Cour relève que le requérant a été maintenu en détention provisoire du 1er septembre 2001 au 9 février 2006. Pendant cette période, son régime de détention était régi par la loi de 1993 sur la détention. En vertu de l’article 10 §§ 1 et 5 de cette loi, un prévenu détenu durant l’enquête et la procédure judiciaire était autorisé à recevoir des visiteurs une fois par mois pendant au moins trente minutes. Les visites se déroulaient sans contact direct entre le prévenu et le visiteur. Le directeur de la prison avait le pouvoir discrétionnaire de prendre d’autres dispositions (paragraphe 15 ci-dessus). Il ressort toutefois des documents soumis à la Cour que de telles dispositions n’étaient pas fréquemment prises de manière générale et ne l’ont pas été en ce qui concerne le requérant en particulier.

61.  Durant la même période, la durée légale des visites aux détenus condamnés était de deux heures au moins. Du 1er septembre 2001 au 31 décembre 2005, la fréquence de ces visites était fonction du niveau de sécurité de l’établissement pénitentiaire où ils se trouvaient. Dans les établissements de sécurité minimale, les détenus condamnés étaient autorisés à recevoir des visites de proches au moins une fois tous les quinze jours et les contacts directs étaient autorisés entre les visiteurs et les condamnés en pareil cas. Dans les établissements de sécurité moyenne, les détenus condamnés avaient droit à des visites de proches une fois par mois et dans les établissements de sécurité maximale une fois toutes les six semaines. Dans les établissements de sécurité moyenne et maximale, les visites étaient surveillées par un gardien de prison et aucun contact direct n’était autorisé entre le détenu condamné et son visiteur. Depuis le 1er janvier 2006, la loi de 2005 sur l’exécution des peines de prison autorise les condamnés à recevoir des visiteurs au moins une fois par mois pendant deux heures (paragraphes 21-22 ci-dessus).

62.  Ainsi, à l’époque des faits, la durée des visites aux prévenus placés en détention provisoire comme le requérant était considérablement plus courte (trente minutes) que celle que la loi prévoyait pour les détenus condamnés (deux heures).

En outre, pendant une large part de la période considérée, la fréquence des visites et le type de contact auxquels avaient droit les détenus condamnés étaient fonction du niveau de sécurité de l’établissement pénitentiaire où ils se trouvaient. En particulier, la loi de 1965 sur l’exécution des peines de prison prévoyait des visites au moins une fois tous les quinze jours et autorisait les contacts directs entre le détenu condamné et ses visiteurs dans les établissements de sécurité minimale. Les restrictions aux droits des prévenus en matière de visite étaient applicables de manière générale, indépendamment des raisons de leur placement en détention provisoire et des considérations liées à la sécurité.

63.  En vertu de l’article 2 § 1 de la loi de 1993 sur la détention, toute restriction apportée aux droits des détenus devait être justifiée par le but de la détention et par la nécessité de garantir l’ordre, la sécurité d’autrui et la protection de la propriété dans les lieux de détention des prévenus. Le paragraphe 2 de l’article 2 n’autorisait à restreindre que les droits dont les détenus ne pouvaient pas se prévaloir du fait de leur détention provisoire.

64.  De l’avis de la Cour, ni les dispositions précitées ni les arguments avancés par le Gouvernement ne fournissent une justification objective et raisonnable pour restreindre plus strictement en matière de visite les droits des prévenus – qui doivent être présumés innocents (paragraphe 14 ci‑dessus) – que ceux des détenus condamnés tant en ce qui concerne les aspects susmentionnés que de manière générale. Ces dispositions ont d’ailleurs été critiquées par le CPT dans ses rapports sur ses visites en Slovaquie en 1995, 2000 et 2005 (paragraphes 35 et 36 ci-dessus).

65.  Quant à l’absence de contact direct avec les visiteurs, la Cour rappelle avoir dit dans une affaire antérieure que la séparation physique d’un prévenu de ses visiteurs tout au long des trois ans et demi qu’avait duré sa détention provisoire n’était pas justifiée au regard du second paragraphe de l’article 8 de la Convention, en l’absence de nécessité établie telle que des considérations de sécurité (Moïsseïev, précité, §§ 258-259). Elle observe en outre que, sauf exception relevant du pouvoir discrétionnaire du directeur de la prison, la loi en vigueur à l’époque des faits n’autorisait pas les personnes en détention provisoire à avoir des contacts directs avec leurs visiteurs, quelle que fût leur situation particulière.

66.  La Cour partage le point de vue exprimé par le CPT dans son rapport du 6 décembre 2001 sur sa visite en Slovaquie, selon lequel des restrictions particulières aux droits d’un détenu de recevoir des visites peuvent dans certains cas être justifiées par des motifs liés à la sécurité ou par la nécessité de protéger les intérêts légitimes d’une enquête (paragraphe 35 ci-dessus, et Vlassov c. Russie, no 78146/01, § 123, 12 juin 2008, avec les références qui y sont citées). Il est toutefois possible d’atteindre cet objectif par d’autres moyens qui ne touchent pas l’ensemble des détenus et qui tiennent compte de la nécessité des restrictions. On pourrait par exemple envisager plusieurs catégories de détention ou définir des restrictions particulières applicables au cas par cas.

67.  Les considérations qui précèdent vont également dans le sens des instruments internationaux pertinents. Ainsi, l’article 10 § 2 a) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques exige notamment que les prévenus soient, sauf dans des circonstances exceptionnelles, séparés des condamnés et soient soumis à un régime distinct, approprié à leur condition de personnes non condamnées qui jouissent du droit d’être présumées innocentes (paragraphes 29 et 30 ci-dessus).

Les règles pénitentiaires européennes de 1987 énonçaient que les prévenus, qui jouissent d’une présomption d’innocence jusqu’à ce que leur culpabilité soit établie, devaient être traités sans autres restrictions que celles imposées par la procédure pénale et la sécurité de l’établissement (paragraphe 32 ci-dessus).

Enfin, les règles pénitentiaires européennes de 2006, qui ont été adoptées peu avant la fin de la détention provisoire du requérant, disposent que, sauf raison spécifique s’y opposant, les prévenus doivent pouvoir recevoir des visites et être autorisés à communiquer avec leur famille et d’autres personnes dans les mêmes conditions que les détenus condamnés. En outre, ils doivent pouvoir recevoir des visites supplémentaires et aussi accéder plus facilement aux autres formes de communication (paragraphe 34 ci-dessus).

68.  La Cour observe que la législation nationale adoptée ultérieurement, à savoir la loi de 2006 sur la détention, élargit les droits des prévenus en matière de visite et permet de les différencier afin de faire en sorte que les restrictions imposées correspondent à une nécessité objective (paragraphe 17 ci-dessus). Toutefois, cette législation ne saurait influer sur la position à adopter en l’espèce.

69.  Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut que les restrictions imposées au requérant en matière de visite familiale ont constitué une mesure disproportionnée, contraire aux droits découlant de l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention.

70.  En ce qui concerne le défaut d’accès à la télévision, la loi qui régissait la détention provisoire à l’époque des faits ne prévoyait pas la possibilité de regarder la télévision. En revanche, à l’époque où le requérant se trouvait en détention provisoire, les détenus condamnés avaient le droit et la possibilité de regarder collectivement la télévision dans des salles destinées à cette activité en prison (paragraphes 26, 27 et 47 ci-dessus).

71.  En l’absence d’arguments pertinents du Gouvernement, la Cour ne voit aucune justification objective à une telle différence de traitement entre les prévenus et les condamnés. Elle accorde du poids au fait que la possibilité de regarder la télévision est considérée comme faisant partie intégrante des activités culturelles et pédagogiques organisées à l’intention des condamnés, alors que de telles activités ne sont pas prévues par la loi applicable aux prévenus. Le CPT a également formulé des critiques à ce sujet.

72.  Certes, l’administration pénitentiaire générale a émis en 2003 des instructions autorisant les personnes détenues à disposer de leur propre poste de télévision dans leur cellule. Cependant, cette mesure n’a aucune incidence sur la situation en l’espèce, étant donné que cette possibilité ne s’offre qu’aux personnes qui ont les moyens de payer les frais y afférents et, en tout état de cause, cela n’était pas techniquement faisable dans l’aile de la prison où le requérant était détenu.

73.  Dès lors, il y a eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8.

2.  Sur la violation alléguée de l’article 8 de la Convention pris isolément

74.  Ayant constaté une violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner s’il y a eu violation de l’article 8 pris isolément.

III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

75.  Le requérant se plaint d’être tenu de consacrer la moitié de l’argent qu’il reçoit de sa famille au remboursement de sa dette à l’égard de l’Etat. Il allègue que le refus de payer entraînerait la suspension de son droit d’acheter des denrées alimentaires et d’autres articles dans le magasin de la prison. Il invoque l’article 1 du Protocole no 1, lequel est ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

76.  Le requérant précise qu’il n’a aucun revenu puisqu’il est détenu depuis plusieurs années. La seule façon pour lui de se procurer l’argent nécessaire pour payer notamment des denrées alimentaires supplémentaires, des effets personnels, du matériel nécessaire à sa correspondance et des médicaments serait de solliciter l’aide de sa famille. Toutefois, il serait tenu de consacrer la moitié de l’argent reçu de celle-ci au remboursement de sa dette à l’égard de l’Etat. Il soutient qu’à défaut de remboursement mensuel d’une partie de cette dette, il ne pourrait pas acheter de denrées alimentaires et d’autres articles dans le magasin de la prison.

77.  Dans l’ensemble, considérant la somme d’argent qu’il recevrait de sa famille et l’obligation d’en consacrer la moitié au remboursement de sa dette à l’égard de l’Etat, il lui resterait entre sept et quinze euros par mois à dépenser dans le magasin de la prison. La quantité de nourriture fournie en prison serait insuffisante, ce qui obligerait les détenus à acheter des denrées supplémentaires. D’après le requérant, les restrictions prévues par la loi ne répondent pas à l’exigence de proportionnalité, un juste équilibre n’étant pas ménagé entre l’intérêt général de la société et ses droits fondamentaux. En conséquence, la législation ferait peser une charge déraisonnable sur lui.

78.  Le Gouvernement soutient que la législation pertinente régissant l’utilisation par les détenus de leur argent est compatible avec les exigences de l’article 1 du Protocole no 1. Cette disposition ne porterait pas atteinte au droit que possèdent les Etats d’adopter les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour s’assurer le paiement d’impôts ou d’autres contributions ou des amendes.

79.  Le but de la législation pertinente serait d’assurer que les détenus remboursent leurs dettes. Le requérant n’aurait le droit d’utiliser son argent que s’il remplit les exigences légales. Plus précisément, tous les mois, il serait tenu de consacrer au remboursement de sa dette à l’administration pénitentiaire ou à d’autres créanciers inscrits un montant au moins équivalent à celui qu’il souhaite retirer de son compte en prison. Néanmoins, d’après le Gouvernement, si une personne ne remplit pas ces exigences, le directeur de la prison peut l’autoriser à acheter des médicaments ou d’autres produits d’hygiène indispensables, ou à payer des impôts ou des frais.

80.  Pour le Gouvernement, même si une telle réglementation porte atteinte au droit des détenus de disposer librement de leur argent, elle ne constitue pas une ingérence disproportionnée car les détenus reçoivent de la nourriture, des vêtements et d’autres articles et prestations. Lorsqu’ils disposent de ressources financières supplémentaires, les détenus s’assurent des conditions supérieures à la normale.

81.  La Cour rappelle que l’article 1 du Protocole no 1 garantit en substance le droit de propriété. Toute atteinte à ce droit doit être conforme au principe de légalité et poursuivre un but légitime par des moyens raisonnablement proportionnés à celui-ci (pour un rappel des principes pertinents voir, par exemple, Metalco Bt. c. Hongrie, no 34976/05, § 16, 1er février 2011, avec d’autres références).

82.  En l’espèce, le requérant est autorisé à utiliser l’argent de son compte en prison pour acheter des denrées alimentaires supplémentaires et d’autres articles au magasin de la prison, mais uniquement s’il consacre un montant au moins équivalent au remboursement de ses dettes inscrites. Il y a donc une atteinte au droit de l’intéressé au respect de ses biens au regard de l’article 1 du Protocole no 1.

83.  Cette atteinte avait à l’origine pour base légale l’article 12a de la loi de 1993 sur la détention et, depuis la condamnation de l’intéressé, elle se fonde sur l’article 28 de la loi de 2005 sur l’exécution des peines de prison (paragraphes 16 et 23 ci-dessus). Le remboursement des dettes relève incontestablement de l’intérêt général, tel qu’envisagé par l’article 1 du Protocole no 1.

84.  Quant à l’exigence d’un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi, la Cour a reconnu que les Etats contractants jouissent d’une grande marge d’appréciation tant pour choisir les moyens de recouvrement des créances que pour juger si leurs conséquences se trouvent légitimées, dans l’intérêt général, par le souci d’atteindre l’objectif de la loi en cause. En pareil cas, la Cour se fiera au jugement des autorités nationales quant à l’intérêt général, à moins qu’il soit manifestement dépourvu de base raisonnable (Benet Czech, spol. s r.o. c. République tchèque, no 31555/05, §§ 30 et 35, 21 octobre 2010).

85.  La Cour note que l’atteinte litigieuse restreint mais ne supprime pas la possibilité pour le requérant d’utiliser l’argent de son compte en prison pour acquérir de la nourriture supplémentaire et d’autres articles dans le magasin de la prison.

Elle relève en outre que si une personne ne remplit pas l’obligation relative au remboursement d’une partie de sa dette elle doit néanmoins être autorisée à utiliser son argent pour acheter des médicaments, des produits d’hygiène indispensables ou du matériel de correspondance, ou pour payer des impôts et frais. Il ne ressort pas des documents soumis à la Cour que le requérant n’est pas autorisé à utiliser son argent à ces fins, indépendamment du remboursement d’une partie de sa dette.

86.  Eu égard aux informations en sa possession, et considérant l’ample marge d’appréciation accordée aux Etats contractants dans des affaires similaires, la Cour estime que l’atteinte litigieuse n’est pas disproportionnée au but poursuivi.

87.  Il n’y a donc pas eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.

IV.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

88.  Le requérant se plaint de n’avoir disposé d’aucun recours effectif relativement aux griefs exposés ci-dessus. Il invoque l’article 13 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

89.  La Cour note qu’elle n’a déclaré recevables et examiné les griefs du requérant tirés des dispositions normatives de la Convention que pour autant que la violation alléguée découle des prétendues lacunes du droit pertinent.

90.  Toutefois, l’article 13 ne saurait être interprété comme exigeant un recours contre l’état du droit national (Iordachi et autres c. Moldova, no 25198/02, § 56, 10 février 2009).

91.  Par conséquent, la Cour estime qu’il n’y a pas eu violation de l’article 13 de la Convention.

V.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

92.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

93.  Le requérant sollicite 50 000 euros (EUR) pour préjudice moral.

94.  Le Gouvernement estime que ce montant est excessif.

95.  Statuant en équité, la Cour juge approprié d’octroyer au requérant 9 000 EUR pour préjudice moral.

B.  Frais et dépens

96.  Le requérant demande 500 EUR pour les frais qu’il aurait exposés pour tenter d’obtenir réparation à la fois devant les autorités internes et devant la Cour. Il réclame en outre 3 900 EUR pour sa représentation dans la procédure devant la Cour, ainsi que 920 EUR pour la traduction des observations et pour d’autres dépenses engagées par son avocat.

97.  Le Gouvernement estime que toute indemnité doit correspondre aux principes établis dans la jurisprudence de la Cour.

98.  La Cour rappelle que l’allocation de frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Sanoma Uitgevers B.V. c. Pays-Bas [GC], no 38224/03, § 109, 14 septembre 2010).

99.  Eu égard aux informations à sa disposition et aux critères susmentionnés, et relevant que le requérant a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire du Conseil de l’Europe (paragraphe 2 ci-dessus), la Cour juge raisonnable de lui accorder la somme additionnelle de 600 EUR pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt sur cette somme.

C.  Intérêts moratoires

100.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention ;

2.  Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner s’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention pris isolément ;

3.  Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 13 de la Convention ;

4.  Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 ;

5.  Dit

a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i.  9 000 EUR (neuf mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,

ii.  600 EUR (six cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 13 décembre 2011, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Santiago Quesada Josep Casadevall
 Greffier Président

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée des juges Gyulumyan et Tsotsoria.

J.C.M.
S.Q.


OPINION CONCORDANTE DES JUGES
GYULUMYAN ET TSOTSORIA

(Traduction)

Nous avons voté avec la majorité en faveur d’un constat de violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention dans les circonstances particulières de l’espèce. Nous souhaitons toutefois exprimer notre opinion séparée sur certains points de l’arrêt qui, d’après nous, sont cruciaux pour l’élaboration de la jurisprudence de la Cour concernant les droits des personnes en détention provisoire. De ce point de vue, l’arrêt peut bien avoir une portée allant au-delà du système juridique de l’Etat défendeur et avoir des implications pour l’ensemble des Etats contractants.

En l’espèce, le requérant a fondé ses griefs sur les articles 8 et 14 de la Convention, alléguant que pendant sa détention provisoire ses droits avaient fait l’objet de restrictions plus importantes que ceux des détenus condamnés (paragraphes 38-39 et 42 de l’arrêt).

Nous sommes conscientes de la tendance à une protection accrue des droits des personnes en détention provisoire, qui est adéquatement décrite dans les parties pertinentes de l’arrêt. Les principaux éléments de cette protection peuvent se résumer comme suit :

–  lorsqu’elles déterminent le régime approprié pour les personnes en détention provisoire, les autorités doivent tenir compte du droit de ces personnes à être présumées innocentes ;

–  sauf restriction bien définie quant à sa durée et son contenu imposée par une autorité judiciaire dans un cas particulier, les personnes en détention provisoire doivent jouir au moins des mêmes droits que les détenus condamnés ;

–  les restrictions imposées doivent être nécessaires à l’administration de la justice et à la sécurité dans le centre de détention.

Sur la base des éléments susmentionnés se pose la question cruciale de savoir si les personnes en détention provisoire et les détenus condamnés doivent jouir des mêmes droits, ce qui entraîne l’applicabilité de l’article 14 de la Convention. Nous renvoyons ici aux faits suivants de l’affaire : le requérant est demeuré en détention provisoire pendant plus de quatre ans (paragraphes 7 et 60 de l’arrêt). Cette période anormalement longue distingue le cas d’espèce des affaires courantes concernant les droits des personnes en détention provisoire et des détenus condamnés, la détention provisoire étant normalement imposée pour une durée beaucoup plus courte (paragraphe 55 de l’arrêt). Cette circonstance particulière de l’affaire, à savoir la longue durée de la détention provisoire, n’est pas passée inaperçue et est bien mise en évidence au paragraphe 53 de l’arrêt. Dès lors, nous doutons que les droits des personnes en détention provisoire et ceux des détenus condamnés doivent être égaux en toutes circonstances.

Cela dit, nous n’avons aucune difficulté à nous rallier à la majorité lorsqu’elle estime que le cas d’espèce relève du champ d’application de l’article 14 de la Convention, le gouvernement défendeur ayant également admis l’argument que le requérant, en tant que personne en détention provisoire, se trouvait dans une « autre situation » au sens de l’article 14. En revanche, nous éprouvons des difficultés à nous rallier sans réserve au principal argument avancé par la majorité pour justifier l’applicabilité de l’article 14 de la Convention en l’espèce. Sur ce point, la majorité s’est exprimée ainsi :

57.  Les griefs du requérant qui font l’objet de l’examen de la Cour se rapportent aux dispositions juridiques régissant les droits en matière de visite et à l’impossibilité pour l’intéressé de regarder la télévision en prison. Ces dispositions concernent donc des questions présentant un intérêt pour tous les détenus, puisqu’elles délimitent l’étendue des restrictions à la vie privée et familiale inhérentes à la privation de liberté, quels que soient les motifs sur lesquels ces restrictions sont fondées.

Le paragraphe précité et tout l’esprit de l’arrêt (voir, par exemple, le paragraphe 67) nous amènent à conclure que la majorité est favorable, pour le moins implicitement, à l’égalité des situations entre les personnes en détention provisoire et les détenus condamnés. A notre sens, la portée de l’arrêt, tel quel, peut aller bien au-delà des circonstances du cas d’espèce, quelles que soient les conditions préalables à l’imposition de restrictions légitimes aux droits ; il n’est pas certain que l’effet de l’arrêt se limite au droit de recevoir des visites familiales et d’accéder à la télévision, objet des griefs à l’origine de la requête. Nous craignons que, à la lumière de la jurisprudence peu abondante relative à l’application cumulative des articles 8 et 14 de la Convention dans le domaine des règlements pénitentiaires, l’importance de la présente affaire n’ait pas été convenablement appréciée et soigneusement anticipée.

Nous nous trouvons contraintes de dire que, malgré nos désaccords regrettables avec la majorité, nous souscrivons pleinement à la motivation de l’arrêt selon laquelle les droits des personnes en détention provisoire devraient être renforcés, toutefois sans préjudice, notamment, des intérêts légitimes de la procédure pénale et de la sécurité de l’institution concernée. La marge d’appréciation laissée aux Etats contractants dans l’élaboration de la politique pénale doit également être respectée, comme l’affirme la majorité (paragraphe 59 de l’arrêt).

Tel quel, le présent arrêt ne fait pas la lumière sur certaines questions très complexes de la politique pénale qui sont tout aussi importantes et pertinentes pour les Etats contractants. En raison de l’ambiguïté des thèses développées dans l’arrêt, les intentions incontestablement bonnes de la Cour risquent d’avoir des résultats non voulus.

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CEDH, Cour (troisième section), AFFAIRE LADUNA c. SLOVAQUIE, 13 décembre 2011, 31827/02