CEDH, Cour (première section), AFFAIRE IOANNIS PAPAGEORGIOU c. GRÈCE, 24 octobre 2013, 45847/09

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Chronologie de l’affaire

Commentaires2

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CEDH · 24 octobre 2013

Communiqué de presse sur les affaires 52943/10, 71825/11, 45847/09, 62880/11, 62892/11, 62899/11, 7821/07, 10937/10, 14046/10, 32782/10, …

 

CEDH · 22 octobre 2013

Communiqué de presse sur les affaires 11577/06, 5353/11, 11867/09, 50478/06, 52056/08, 20577/05, 35348/09, 44721/08, 44095/06, 24592/08, …

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Première Section), 24 oct. 2013, n° 45847/09
Numéro(s) : 45847/09
Type de document : Arrêt
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Non-violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure pénale ; Article 6-1 - Accès à un tribunal)
Identifiant HUDOC : 001-127222
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2013:1024JUD004584709
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Sur les parties

Texte intégral

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE IOANNIS PAPAGEORGIOU c. GRÈCE

(Requête no 45847/09)

ARRÊT

STRASBOURG

24 octobre 2013

DÉFINITIF

24/01/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Ioannis Papageorgiou c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse,
Ksenija Turković,
Dmitry Dedov, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 1er octobre 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 45847/09) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet Etat, M. Ioannis Papageorgiou (« le requérant »), a saisi la Cour le 19 août 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant a été représenté par Mes V. Dimakopoulos et S. Aggelis, avocats à Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les délégués de son agent, Mme K. Paraskevopoulou, conseillère auprès du Conseil juridique de l’Etat, et M. I. Bakopoulos, auditeur auprès du Conseil juridique de l’Etat.

3.  Le requérant allègue en particulier une violation de l’article 6 §§1 et 3 a), c) et d) de la Convention.

4.  Le 31 août 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5.  Le requérant est né en 1962 et réside à Athènes.

6.  Accusé de faux, usage de faux et captation de fausse attestation, le requérant déposa devant le lieutenant de la gendarmerie maritime qui menait l’instruction, le 26 avril 1994, des observations relatives à sa défense. Il y déclarait comme adresse de son domicile le 9, rue Efpalinou à Athènes. Il avait déclaré la même adresse lors de l’enquête préliminaire, le 16 mars 1994.

7.  Le 27 décembre 1995, le requérant fut cité à comparaître à l’audience devant le tribunal correctionnel du Pirée, qui était fixée au 20 février 1996. N’ayant pas trouvé le requérant ou un proche à l’adresse déclarée (9, rue Efpalinou) et ayant appris que celui-ci avait déménagé, l’huissier de justice chargé de la signification suivit la procédure prévue pour les personnes de domicile inconnu et déposa la citation à la mairie d’Athènes.

8.  Le 20 février 1996, le tribunal correctionnel du Pirée condamna le requérant par contumace à une peine d’emprisonnement de onze mois, commuée en sanction pécuniaire, pour faux, usage de faux et captation de fausse attestation, infractions commises à répétition.

9.  Le bordereau de notification du jugement du tribunal correctionnel porte la date du 25 novembre 1997. Toutefois, comme l’huissier de justice chargé de la signification ne trouva au domicile déclaré du requérant ni celui-ci ni aucune des personnes mentionnées à l’article 156 § 1 du code de procédure pénale, il remit le jugement au fonctionnaire de la mairie d’Athènes désigné en vertu de l’article 156 § 2 du même code, lequel afficha le jugement dans un lieu public prévu à cet effet.

10.  Le requérant affirme avoir eu connaissance du jugement de manière fortuite, le 30 décembre 2006, lorsqu’il fit une demande d’établissement d’un passeport.

11.  Le 4 janvier 2007, il interjeta appel contre le jugement. Il se prévalait de la nullité de sa signification au motif qu’elle avait été faite selon la procédure pour les personnes à domicile inconnu et non à l’adresse qui était connue des autorités judiciaires. Il indiquait comme adresse de son domicile le 86, rue Filonos au Pirée.

12.  Le 6 février 2007, la cour d’appel du Pirée rejeta l’appel comme tardif. Elle considéra que depuis le 27 décembre 1995, le requérant était une personne à domicile inconnu. Ceci était confirmé par l’huissier de justice qui l’avait recherché au 9, rue Efpalinou à Athènes et qui avait constaté que ni le requérant ni aucune autre personne au nombre de celles mentionnées à l’article 156 du code de procédure pénale ne résidait à cette adresse et que le requérant n’avait donné aucune information quant à son nouveau domicile.

13.  Le 16 mai 2007, le requérant se pourvut en cassation. Ses moyens de cassation se fondaient sur le manque de motivation de l’arrêt de la cour d’appel concernant la nullité de la signification du jugement, la non-prise en considération de certains moyens de preuve et la violation de l’article 2 du Protocole no 7. Dans son pourvoi et ses observations complémentaires du 18 février 2008, il exposait que la signification avait été faite en violation des dispositions pertinentes du code de procédure pénale et soulignait que la signification du jugement aurait dû être faite par voie d’affichage sur la porte de son domicile et que, de toute manière, son domicile professionnel, au 133, rue Filonos au Pirée, était déjà connu des autorités. Il soulignait, en outre, que l’arrêt de la cour d’appel n’énonçait pas qu’il avait omis de signaler un changement d’adresse en méconnaissance de l’article 273 § 1 c) du code de procédure pénale ou que sa nouvelle adresse n’était pas connue du parquet.

14.  Par un arrêt du 20 février 2009, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Elle estima que la cour d’appel avait suffisamment motivé sa décision. Elle considéra, entre autres, que la cour d’appel n’avait pas à motiver davantage sa décision, compte tenu du fait que le requérant n’avait pas précisé dans son acte d’appel s’il avait informé le parquet (et de quelle manière) de son adresse, mais avait seulement soutenu de manière vague qu’il avait un domicile connu.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

15.  Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale se lisent ainsi :

Article 155 – Signification

« 1. La signification s’effectue avec la remise du document par huissier de justice (...) en mains propres à l’intéressé (...). Si le destinataire n’est pas trouvé à son domicile ou à sa résidence ou à son commerce ou à l’atelier ou au bureau où il exerce sa profession (...), le document est délivré à l’une des personnes qui habitent avec lui, même à titre temporaire (...) ou à quelqu’un qui travaille au [même] commerce, atelier ou bureau. (...)

2. (...) Si aucune des personnes mentionnées au paragraphe précédent ne se trouve au domicile, celui qui est chargé de la signification doit coller le document sur la porte du domicile devant témoin (...) »

Article 156 – Signification aux personnes de domicile inconnu

« 1. Lorsque l’intéressé est introuvable à son domicile [supposé] et que son domicile [actuel] est inconnu, le document est délivré à son conjoint ou, à défaut de conjoint, à [l’un de] ses parents, frères et sœurs, ou autres proches (...).

2. Si aucune des personnes mentionnées au paragraphe précédent ne se trouve au domicile de l’intéressé, la notification s’effectue auprès du maire ou d’un employé de la mairie ou (...), qui s’engagent à afficher ledit document dans un lieu public (...). »

Article 273 – Examen de l’accusé

« 1.  Lorsque l’accusé se présente devant le juge d’instruction ou le procureur, le juge de paix ou les agents d’instruction prévus par les articles 33 et 34, ceux-ci doivent vérifier son identité tout en l’invitant à déclarer son adresse actuelle ou sa résidence. Ces éléments sont enregistrés dans le procès-verbal (...). c) (...) La déclaration de tout changement d’adresse, et (...) du nouveau lieu de résidence, doit se faire par écrit auprès du procureur ayant engagé les poursuites pénales ou du procureur près le tribunal devant lequel l’affaire est pendante (...). d) L’organe [chargé] de l’instruction ou de la procédure préliminaire rappelle à l’accusé son obligation selon l’alinéa précédent ainsi que les conséquences en cas d’omission. Mention en est faite au procès-verbal (...) »

16.  Est considérée comme ayant un « domicile inconnu » toute personne qui, au moment de la signification, est introuvable à son domicile supposé, et dont le domicile actuel est inconnu de l’autorité judiciaire qui ordonne la signification d’un document (Cour de cassation 436/1995, Poinika Khronika 1995, 756, Cour de cassation 167/1998, Poinika Khronika 1998, 792, Cour de cassation 169/1998, Poiniki Dikonomia 1998, 652). La Cour de cassation a jugé que la signification d’une citation à comparaître ou d’une décision judiciaire est nulle si l’accusé n’a pas été recherché à son domicile et si la citation ou la décision se sont vu directement appliquer les modalités de signification propres aux personnes de domicile inconnu (Cour de cassation 941/1987, Poinika Khronika 1997, 785).

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

17.  Invoquant l’article 6 § 1 et 6 § 3 a) c) et d) de la Convention, le requérant se plaint d’une violation de son droit à un procès équitable et de son droit d’accès à un tribunal en raison du fait que les significations de la citation à comparaître devant le tribunal correctionnel et du jugement le condamnant ont été effectuées selon la procédure de signification aux personnes de domicile inconnu, alors que son domicile était connu et déclaré aux autorités de poursuite. Les articles susmentionnés sont ainsi libellés :

« 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.(...)

(...)

3.  Tout accusé a droit notamment à :

a)  être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;

(...)

c)  se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;

d)  interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;

(...)

18.  En premier lieu, le requérant allègue une violation de l’article 6 §§ 1 et 3 a), c) et d), en raison du fait que la citation à comparaître et la signification du jugement du tribunal correctionnel ont eu lieu selon la procédure de signification à des personnes de domicile inconnu, alors qu’il avait indiqué son adresse aux autorités au stade de l’instruction de son affaire. Il s’ensuit que l’affichage du jugement dans un lieu public n’était pas un mode de communication valable et que le délai pour interjeter appel n’avait pas couru. Le requérant soutient, en outre, que la Cour de cassation n’a pas répondu au moyen de cassation selon lequel tant la signification de la citation à comparaître que celle du jugement étaient nulles.

19.  En deuxième lieu, le requérant allègue une violation de son droit d’accès à un tribunal, garanti par l’article 6 § 1. A cet égard, il soutient que la Cour de cassation n’a pas examiné les moyens de cassation relatifs : à la nullité de la signification de la citation à comparaître et de celle du jugement, pour avoir été faites selon les modalités applicables aux personnes de domicile inconnu, alors qu’il avait une adresse connue des autorités ; à la violation du droit d’accès à un tribunal ainsi que de l’article 2 du Protocole no 7 ; au fait que les autorités connaissaient son adresse professionnelle et que les significations auraient dû avoir lieu à celle-ci.

20.  En troisième lieu, le requérant allègue une violation de l’article 6 § 1 en ce que les juridictions nationales n’ont pas suffisamment motivé leurs décisions. En premier lieu, la cour d’appel ne s’est pas prononcée sur la nullité alléguée de la signification de la citation à comparaître, n’a pas indiqué sur quels éléments de preuve elle s’est fondée pour prendre sa décision et n’a pas tenu compte de certains éléments considérés comme importants par le requérant. En deuxième lieu, la Cour de cassation n’a pas répondu aux moyens relatifs à la nullité de la signification de la citation à comparaître et de tous les actes ultérieurs.

21.  La Cour note que ces divers griefs, d’une part, se confondent et, d’autre part, se fondent sur les mêmes faits : l’utilisation de la procédure de signification aux personnes de domicile inconnu, qui a conduit à sa condamnation in absentia, et à l’impossibilité de se défendre contre les accusations dirigées contre lui, notamment en raison du fait que la cour d’appel et la Cour de cassation ont rejeté ses recours.

22.  Dans la mesure où les exigences du paragraphe 3 de l’article 6 de la Convention s’analysent en des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1, la Cour examinera l’ensemble des griefs du requérant en même temps sous l’angle de ces deux textes combinés (voir, notamment, Van Geyseghem c. Belgique [GC], no 26103/95, § 27, CEDH 1999-I ; Krombach c. France, no 29731/96, § 82, CEDH 2001-II).

A.  Sur la recevabilité

1.  Non-épuisement des voies de recours internes

23.  En premier lieu, le Gouvernement soutient que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes, faute de s’être fondé devant la Cour de cassation sur l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention ou d’avoir invoqué en substance la violation de son droit à un procès équitable et de ses droits de la défense.

24.  Le requérant rétorque qu’il a soulevé en substance dans ses pourvois l’atteinte à son droit à un procès équitable. Il souligne que selon la jurisprudence de la Cour de cassation, la violation de l’article 6 ne constitue pas un moyen de pourvoi autonome, mais est examinée in concreto à l’occasion de l’examen d’un des motifs de pourvoi prévus par le code de procédure pénale.

25.  La Cour rappelle que la règle de l’épuisement des voies de recours internes doit s’appliquer avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif, mais qu’elle n’exige pas seulement la saisine des juridictions nationales compétentes et l’exercice de recours destinés à combattre une décision litigieuse déjà rendue qui viole prétendument un droit garanti par la Convention : elle oblige aussi, en principe, à soulever devant ces mêmes juridictions, au moins en substance et dans les formes et délais prescrits par le droit interne, les griefs que l’on entend formuler par la suite au niveau international (voir, parmi beaucoup d’autres, Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 37, CEDH 1999-I ; Azinas c. Chypre [GC], no 56679/00, § 38, CEDH 2004‑III).

26.  Or, la Cour note que dans son pourvoi en cassation, le requérant se plaignait du manque de motivation de l’arrêt de la cour d’appel concernant la nullité de la signification du jugement, la non prise en considération de certains moyens de preuve et la violation de l’article 2 du Protocole no 7. Dans ses observations complémentaires, il soutenait que la signification avait été faite en violation des dispositions pertinentes du code de procédure pénale et soulignait que son domicile (qu’il s’agisse de son domicile privé – 9, rue Efpalinou – ou de son domicile professionnel) était connu des autorités et que la signification du jugement aurait dû être faite par voie d’affichage sur la porte de son domicile. Il soulignait, en outre, que l’arrêt de la cour d’appel ne concluait pas à une omission de sa part de signaler conformément à l’article 273 § 1 c) du code de procédure pénale une nouvelle adresse qui eût été inconnue du parquet.

27.  La Cour considère que le requérant, sans s’appuyer en termes exprès sur l’article 6 de la Convention, puisait dans le droit interne de son pays des arguments qui équivalaient à dénoncer, en substance, une atteinte aux droits invoqués devant elle. Il a ainsi donné à la Cour de cassation l’occasion d’éviter ou redresser les violations alléguées, conformément à la finalité de l’article 35 § 1.

Partant, il échet de rejeter l’exception.

2.  Absence de préjudice important

28.  En second lieu, le Gouvernement soutient que la requête devrait être déclarée irrecevable en application du nouveau critère prévu par l’article 35 § 3 b) de la Convention. Le Gouvernement allègue à ce propos que le requérant n’a subi aucun préjudice important compte tenu des faits suivants : le requérant a été condamné à une sanction pécuniaire d’un montant peu élevé ; sa requête ne soulève pas des questions d’intérêt général et ne révèle pas l’existence d’un problème systémique affectant d’autres personnes que le requérant ; l’affaire a été soumise à trois degrés de juridiction, et la cour d’appel et la Cour de cassation ont déjà examiné, selon le requérant lui-même, les griefs que celui-ci invoque maintenant devant la Cour.

29.  Le requérant ne présente pas d’observations sur ce point.

30.  La Cour observe qu’aux termes de l’article 35 § 3 b) de la Convention, tel qu’amendé par le Protocole no 14, entré en vigueur le 1er juin 2010 : « La Cour déclare irrecevable toute requête individuelle introduite en application de l’article 34 lorsqu’elle estime (...) que le requérant n’a subi aucun préjudice important, sauf si le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles exige un examen de la requête au fond et à condition de ne rejeter pour ce motif aucune affaire qui n’a pas été dûment examinée par un tribunal interne. »

31.  Issue du principe de minimis non curat praetor, la nouvelle condition de recevabilité renvoie à l’idée que la violation d’un droit, quelle que soit sa réalité d’un point de vue strictement juridique, doit atteindre un seuil minimum de gravité pour justifier un examen par une juridiction internationale (Korolev c. Russie (déc.), nº 25551/05, 1er juillet 2010). L’appréciation de ce seuil est, par nature, relative et dépend des circonstances de l’espèce. Cette appréciation doit tenir compte tant de la perception subjective du requérant que de l’enjeu objectif du litige (Gagliano Giorgi c. Italie, no 23563/07, § 55, 6 mars 2012).

32.  Au vu des critères se dégageant de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’afin de vérifier si la violation d’un droit atteint le seuil minimum de gravité, il y a lieu de prendre en compte notamment les éléments suivants : la nature du droit prétendument violé, la gravité de l’incidence de la violation alléguée dans l’exercice d’un droit et/ou les conséquences éventuelles de la violation sur la situation personnelle du requérant (Giusti c. Italie, no 13175/03, § 34, 18 octobre 2011 et Gagliano Giorgi c. Italie, précité, § 56).

33.  En l’espèce, la Cour note que le requérant a été poursuivi pour diverses infractions au code pénal et condamné par le tribunal correctionnel à une peine de onze mois d’emprisonnement, commuée en une sanction pécuniaire de 1 452 euros, somme à laquelle s’est ajoutée celle de 548 euros pour frais de justice. La Cour souligne, en outre, que le requérant a été condamné par contumace et n’a jamais eu la possibilité de se défendre au fond, compte tenu que la cour d’appel a rejeté son appel comme tardif. Enfin, la Cour rappelle qu’elle a rendu récemment certains arrêts concernant la Grèce qui avaient trait à des problèmes d’irrégularités dans la signification d’actes et de décisions de justice divers: Elyasin c. Grèce, no 46929/06, 28 mai 2009, Popovitsi c. Grèce, no 53451/07, 14 janvier 2010 et Drakos c. Grèce, no 48289/07, 13 janvier 2011.

34.  La Cour en déduit que dans la présente affaire, la première condition de l’article 35 § 3 b) de la Convention, à savoir l’absence de préjudice important pour le requérant, n’a pas été remplie. Partant, l’exception du Gouvernement doit être rejetée.

3.  Conclusion

35.  La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B.  Sur le fond

36.  Le Gouvernement souligne que le requérant savait qu’une procédure pénale était pendante contre lui depuis 1994. Comme il avait changé d’adresse, il aurait dû le déclarer sans tarder au parquet, ce qu’il n’a pourtant fait que douze ans après l’établissement de l’acte d’accusation et dix ans après le jugement de première instance. Il est donc évident qu’alors qu’il était au courant de la procédure à son encontre et avait déjà présenté sa défense, il s’est désintéressé de l’évolution de cette procédure. Le requérant n’a donc pas respecté l’obligation de déclarer tout changement d’adresse posée par l’article 273 § 1 c), ce qui a eu pour résultat que tous les documents de l’instruction ainsi que le jugement ont été valablement signifiés à l’adresse qu’il avait initialement déclarée.

37.  Le requérant rétorque que le fait qu’il avait présenté sa défense, les 16 mars et 27 avril 1994, devant les autorités menant l’enquête préliminaire et l’instruction ne signifie pas qu’il savait que leur aboutissement serait son renvoi en jugement. Il expose qu’il n’était pas représenté par un avocat et que même s’il a été informé de ses droits de défense, rien ne lui avait été dit concernant la signification des documents et les déclarations à faire en cas de changement d’adresse. Le requérant insiste sur le fait que le parquet aurait dû signifier la citation à comparaître et le jugement à l’adresse indiquée, soit au 9, rue Efpalinou, et non à la mairie d’Athènes, ville de plusieurs centaines de milliers d’habitants.

38.  Le requérant soutient que les juridictions grecques n’ont pas examiné l’existence d’un autre domicile connu selon lui des autorités à savoir son adresse professionnelle, à laquelle des documents lui avaient d’ailleurs été signifiés dans d’autres affaires le concernant pendant la même période. Le requérant reproche, en outre, à la Cour de cassation d’avoir interprété de manière trop formaliste la législation pertinente et de l’avoir ainsi privé de son droit à voir le fond de son affaire examiné à nouveau en sa présence.

39.  La Cour rappelle que le « droit à un tribunal », dont le droit d’accès constitue un aspect particulier, n’est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, notamment quant aux conditions de recevabilité d’un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’Etat, lequel jouit à cet égard d’une certaine marge d’appréciation. Toutefois, ces limitations ne sauraient restreindre l’accès ouvert à un justiciable de manière ou à un point tels que son droit à un tribunal s’en trouve atteint dans sa substance même ; enfin, elles ne se concilient avec l’article 6 § 1 que si elles tendent à un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (voir, parmi beaucoup d’autres, Edificaciones March Gallego S.A. c. Espagne, 19 février 1998, § 34, Recueil des arrêts et décisions 1998–I ; Liakopoulou c. Grèce, no 20627/04, § 17, 24 mai 2006 ; Elyasin c. Grèce, précité, § 26).

40.  Par ailleurs, la Cour a déjà eu l’occasion de préciser que la comparution d’un prévenu revêt une importance capitale en raison tant du droit de celui-ci à être entendu que de la nécessité de contrôler l’exactitude de ses affirmations et de les confronter avec les dires de la victime, dont il y a lieu de protéger les intérêts, ainsi que ceux des témoins. Une procédure se déroulant en l’absence du prévenu n’est pas en soi incompatible avec l’article 6 de la Convention s’il peut obtenir ultérieurement qu’une juridiction statue à nouveau, après l’avoir entendu, sur le bien-fondé des accusations en fait comme en droit (Colozza c. Italie, 12 février 1985, § 29, série A nº 89 ; Medenica c. Suisse, 14 juin 2001, nº 20491/92, § 54, CEDH 2001-VI).

41.  En l’occurrence, la Cour note tout d’abord que le régime grec de la signification aux personnes « de domicile inconnu » vise à assurer la sécurité juridique et n’est pas en soi incompatible avec les exigences d’un procès équitable (Elyasin et Drakos précités, §§ 30 et 36 respectivement). Il convient de plus de déterminer si son application dans le cas d’espèce n’a pas privé le requérant de son droit d’accès à un tribunal.

42.  La Cour observe que l’article 273 § 1 du code de procédure pénale prévoit explicitement que tout changement d’adresse de l’accusé doit être déclaré par écrit auprès du procureur ayant engagé les poursuites pénales ou devant le procureur auprès du tribunal devant lequel l’affaire est pendante. Or, en l’espèce, le requérant ne s’est pas conformé à cette obligation, alors même qu’il avait déjà été entendu et avait déposé des observations pour sa défense les 16 mars et 27 avril 1994, dans le cadre de l’instruction de la procédure pénale en cause. En d’autres termes, il était au courant qu’une procédure pénale était engagée contre lui (Drakos, précité, § 37).

43.  La Cour note ainsi que l’affaire se distingue clairement de l’affaire Popovitsi c. Grèce (53451/07, 14 janvier 2010) où elle a constaté que le refus du tribunal compétent de prononcer l’annulation de la décision condamnatoire qui avait été notifiée à la requérante comme étant « de domicile inconnu », avait violé le droit d’accès à un tribunal. En effet, dans cette affaire la requérante n’a, à aucun stade de la procédure au fond, eu connaissance des poursuites pénales engagées à son encontre (Popovitsi, précité, § 20). Par conséquent, à la différence de la présente affaire, la requérante dans l’affaire Popovitsi n’était pas tenue, selon l’article 273 § 1 du code de procédure pénale, d’informer le procureur du changement éventuel de son lieu de résidence (Drakos, précité, § 38).

44.  La Cour ne peut souscrire à l’argument du requérant selon lequel il ne bénéficiait pas à l’époque de l’assistance d’un avocat pour le conseiller, d’autant plus que lui-même admet qu’il était partie à d’autres procédures se déroulant devant d’autres juridictions pendant la même période. Rien ne le dispensait donc de son obligation d’informer le procureur compétent de sa nouvelle adresse, comme le prévoyait explicitement le code de procédure pénale (Drakos, précité, § 39). Faute d’une telle démarche, l’huissier de justice a raisonnablement conclu que le requérant avait déménagé à une adresse inconnue, au moment où il lui a notifié la citation à comparaître et, ensuite, le jugement condamnatoire. Il convient sur ce point de rappeler que lorsque l’huissier de justice s’est rendu à l’adresse 9, rue Efpalinou pour notifier au requérant la citation à comparaître, il a constaté que ni le requérant ni aucun membre de sa famille n’habitait à cette adresse. Or, interdire au parquet, lorsqu’il cite à comparaître des accusés qui ont changé entretemps d’adresse sans le signaler, de faire usage de la procédure de communication applicable aux personnes de domicile inconnu, reviendrait à l’obliger à rechercher en vain des contumax pendant de longues périodes, ce qui risquerait d’entraîner la prescription de l’infraction. Et c’est du reste ce qui se serait passé en l’espèce, car si la cour d’appel avait accueilli la demande de réexamen du requérant, elle n’aurait pu examiner l’affaire quant au fond, puisque les infractions litigieuses auraient alors été prescrites.

45.  Au vu de ce qui précède, la Cour considère que la cour d’appel d’Athènes n’a pas fait preuve d’une rigidité excessive en déclarant l’appel du requérant tardif. L’obligation prévue par l’article 273 § 1 du code de procédure pénale ne lui imposait pas une charge disproportionnée et il aurait pu facilement la satisfaire. En d’autres termes, il pouvait faire preuve d’un minimum de diligence au cours de la procédure en cause et se conformer à la condition prévue par l’article 273 § 1 du code de procédure pénale.

46.  Par conséquent, l’application dans le cas d’espèce du régime de la signification des actes décisions de justice aux personnes « de domicile inconnu » et le rejet de l’appel du requérant pour tardiveté n’ont pas méconnu son droit d’accès à un tribunal.

47.  Il n’y a donc pas eu violation des dispositions de l’article 6 invoquées par le requérant.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête recevable ;

2.  Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 octobre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren NielsenIsabelle Berro-Lefèvre
GreffierPrésidente

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure pénale
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CEDH, Cour (première section), AFFAIRE IOANNIS PAPAGEORGIOU c. GRÈCE, 24 octobre 2013, 45847/09