CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE MAILLARD c. BELGIQUE, 17 février 2015, 23530/08

  • Question·
  • Jury·
  • Cour d'assises·
  • Menaces·
  • Violence·
  • Arme·
  • Vol·
  • Accessoire·
  • Accusation·
  • Circonstances aggravantes

Chronologie de l’affaire

Commentaires3

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

www.dbfbruxelles.eu · 20 février 2015

Saisie de 3 requêtes dirigées contre la Belgique, la Cour européenne des droits de l'homme a interprété, le 17 février dernier, l'article 6 §1 de la Convention européenne des droits de l'homme relatif au droit à un procès équitable (Devriendt c. Belgique, requête n°32001/07, Kurt c. Belgique, requête n°17663/10, Maillard c. Belgique, requête n°23530/08). Les requérants, ressortissants belges, sont en détention après avoir été condamnés à des peines d'emprisonnement. Invoquant l'article 6 §1 de la Convention, ils alléguaient avoir fait l'objet d'une condamnation arbitraire en raison de …

 

CEDH · 17 février 2015

Communiqué de presse sur les affaires 32001/07, 17663/10, 23530/08, 6987/07, 36094/08, 41604/11 et 70555/10

 

CEDH · 11 février 2015

Communiqué de presse sur les affaires 32001/07, 17663/10, 23530/08, 6987/07, 36094/08, 41604/11, 70555/10, 27970/12, 47902/08, 3373/11, …

 
Testez Doctrine gratuitement
pendant 7 jours
Vous avez déjà un compte ?Connexion

Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 17 févr. 2015, n° 23530/08
Numéro(s) : 23530/08
Type de document : Arrêt
Organisation mentionnée :
  • ECHR
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure pénale ; Article 6-1 - Procès équitable)
Identifiant HUDOC : 001-152418
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2015:0217JUD002353008
Télécharger le PDF original fourni par la juridiction

Sur les parties

Texte intégral

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE MAILLARD c. BELGIQUE

(Requête no 23530/08)

ARRÊT

STRASBOURG

17 février 2015

DÉFINITIF

17/05/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Maillard c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Işıl Karakaş, présidente,
András Sajó,
Nebojša Vučinić,
Helen Keller,
Paul Lemmens,
Robert Spano,
Jon Fridrik Kjølbro, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 27 janvier 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 23530/08) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont un ressortissant de cet État, M. Philippe Maillard (« le requérant »), a saisi la Cour le 7 mai 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant a été représenté par Me S. Vandekerkove, avocate à Tournai. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. M. Tysebaert, conseiller général, service public fédéral de la Justice.

3.  Le requérant allègue en particulier que son droit à un procès équitable a été violé du fait de l’absence de motivation du verdict du jury et de l’arrêt de la cour d’assises l’ayant condamné à la réclusion à perpétuité.

4.  Le 7 septembre 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5.  Le requérant est né en 1978. Il est actuellement détenu à la prison de Bruges.

6.  Le requérant et sa compagne E.M. firent l’objet de poursuites pénales. Le requérant était soupçonné d’avoir commis plusieurs vols avec violence sur différentes personnes, dont une était décédée à la suite des blessures infligées.

7.  Par un arrêt de la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Mons du 19 juin 2007, le requérant fut mis en accusation d’avoir à Péruwelz, le 6 juillet 2005 :

« a) à l’aide de violences ou de menaces, frauduleusement soustrait divers objets dont un lecteur dvd et un nombre indéterminé de dvd, une radio portable, une machine à calculer de marque Casio, un nombre indéterminé de paquets de cigarettes, des couteaux, une carte bancaire et du numéraire, quelques bières et victuailles, d’une valeur indéterminée, qui ne lui appartenaient pas, au préjudice de [H.T.], avec la circonstance que des armes ou des objets qui y ressemblent ont été employés ou montrés, ou que le coupable a fait croire qu’il était armé, et qu’un meurtre a été commis, sur la personne de [H.T.] pour faciliter le vol ou en assurer l’impunité ;

b) à l’aide de violences ou de menaces frauduleusement soustrait le sac à main de marque Kipling et son contenu dont notamment un Gsm de marque Samsung d’une valeur indéterminée, qui ne lui appartenaient pas, au préjudice de [L.O.], avec la circonstance que l’infraction a été commise la nuit et que des armes ou des objets qui y ressemblent ont été employés ou montrés, ou que le coupable a fait croire qu’il était armé ;

c) tenté de, à l’aide de violences ou de menaces, frauduleusement soustraire un véhicule de modèle et de valeur indéterminés, qui ne lui appartenait pas, au préjudice de [L.O.] avec la circonstance que l’infraction a été commise la nuit et que des armes ou des objets qui y ressemblent ont été employés ou montrés, ou que le coupable a fait croire qu’il était armé, la résolution de commettre le crime ayant été manifestée par des actes extérieurs qui forment un commencement d’exécution de ce crime, et qui n’ont été suspendus ou n’ont manqué leur effet que par des circonstances indépendantes de sa volonté ;

d) de connexité, volontairement fait des blessures ou porté des coups à [D.M.]».

8.  Il lui était également reproché d’avoir à Mouscron, le 16 avril 2005 :

« a) volontairement fait des blessures ou porté des coups qui ont causé une maladie ou une incapacité de travail personnel à [F.D.] ;

b) menacé par gestes ou emblèmes [F.D.] et [F.M.], d’un attentat contre les personnes ou les propriétés punissables d’une peine criminelle ».

9.  L’acte d’accusation du 6 août 2007 faisait notamment état des éléments suivants s’agissant de la mort de H.T. : le jour des faits, le requérant fut retrouvé sous l’influence de méthadone, de médicaments et d’alcool. Après avoir nié toute implication dans les faits qui lui étaient reprochés, le requérant avoua par la suite avoir porté des coups à H.T. Néanmoins, il nia avoir eu l’intention de tuer H.T. et lui avoir porté des coups avec une hachette. Des traces de cette arme, retrouvée à côté de la victime, furent toutefois constatées sur son corps, et le manche de la hachette présentait les empreintes génétiques du requérant.

10.  Le procès du requérant se tint devant la cour d’assises de la province du Hainaut du 8 au 11 octobre 2007.

11.  À l’audience du 10 octobre 2007, se référant à l’arrêt Goktepe c. Belgique (no 50372/99, 2 juin 2005), le requérant demanda au président de la cour d’assises de poser des questions subsidiaires au jury selon la formulation suivante :

« Première question principale complémentaire de culpabilité :

M. Maillard est-il coupable d’avoir, à Peruwelz, arrondissement judiciaire de Tournai, le 6 juillet 2005, commis un homicide volontaire sur la personne de [H.T.] ?

Deuxième question subsidiaire de culpabilité :

M. Maillard [serait-il] coupable d’avoir volontairement porté des coups ou fait des blessures sur la personne de [H.T.] ?

Les coups portés ou blessures faites volontairement à [H.T.], mais sans intention de donner la mort, l’ont-ils pourtant causée ?

Deuxième question principale de culpabilité :

M. Maillard [serait-il] coupable d’avoir, à Peruwelz, arrondissement judiciaire de Tournai, le 6 juillet 2005, frauduleusement soustrait divers objets (...) au préjudice de [H.T.] ? »

12.  Par un arrêt sur incident du 10 octobre 2007, la cour d’assises rejeta la demande du requérant, considérant que les questions sollicitées concernaient des faits autres que ceux pour lesquels le renvoi du requérant avait été ordonné.

13.  À l’issue des débats, le 11 octobre 2007, le jury fut appelé à répondre à vingt questions concernant le requérant et soumises par le président de la cour d’assises. Concernant les infractions commises au détriment de H.T., la déclaration du jury était libellée comme suit :

« Première question principale de culpabilité

Phillippe MAILLARD, accusé ici présent, est-il coupable d’avoir, à Péruwelz, arrondissement judiciaire de Tournai, le 6 juillet 2005, frauduleusement soustrait divers objets dont un lecteur dvd et un nombre indéterminé de dvd, une radio portable, une machine à calculer de marque Casio, un nombre indéterminé de paquets de cigarettes, des couteaux, une carte bancaire et du numéraire, quelques bières et victuailles d’une valeur indéterminée, qui ne lui appartenaient pas, au préjudice de [H.T.] ?

À la première question : OUI

Deuxième question, accessoire à la première, relative à une circonstance aggravante

Le vol, repris à la 1ère question, a-t-il été commis à l’aide de violences ou de menaces ?

À la deuxième question : OUI

Troisième question, accessoire à la première, relative à une circonstance aggravante

Le coupable du vol à l’aide de violences ou menaces, objet des 1ère et 2e questions, a-t-il employé ou montré des armes ou des objets qui y ressemblent ou a-t-il fait croire qu’il était armé ?

À la troisième question : OUI

Quatrième question, accessoire à la première, relative à une circonstance aggravante

Les violences ou les menaces objets de la deuxième question, ont-elles consisté en un homicide commis volontairement et avec intention de donner la mort sur la personne d’[H.T.], soit pour faciliter le vol, objet de la première question, soit pour en assurer l’impunité ?

À la quatrième question : OUI

Quatrième question BIS, accessoire à la première, relative à une circonstance aggravante, posée subsidiairement par Monsieur le Président, à la demande de la défense de l’accusé MAILLARD, comme pouvant résulter des débats (il ne doit être répondu à cette question que s’il a été répondu OUI à la première question et OUI à la seconde question et NON à la quatrième question)

Les violences ou les menaces, objet de la deuxième question, exercées sans intention de causer la mort d’H.T., l’ont-elles pourtant causée ?

À la quatrième question BIS : Pas de réponse. »

14. Concernant les infractions commises au détriment de L.O., la déclaration du jury était libellée comme suit :

« Cinquième question principale de culpabilité

Philippe MAILLARD, accusé ici présent, est-il coupable d’avoir, à Péruwelz, arrondissement judiciaire de Tournai, le 6 juillet 2005, frauduleusement soustrait le sac à main de marque Kipling et son contenu, dont notamment un GSM de marque [S.] d’une valeur indéterminée, qui ne lui appartenaient pas, au préjudice de [L.O.] ?

À la cinquième question : OUI

Sixième question, accessoire à la cinquième, relative à une circonstance aggravante

Le vol, repris à la 5e question, a-t-il été commis à l’aide de violences ou de menaces ?

À la sixième question : OUI

Septième question, accessoire à la cinquième, relative à une circonstance aggravante

Le vol à l’aide de violences ou menaces, objet des 5e et 6e questions, a-t-il été commis durant la nuit ?

À la septième question : OUI

Huitième question, accessoire à la cinquième, relative à une circonstance aggravante

Le coupable du vol à l’aide de violences ou menaces, objet des 5e et 6e questions,
a-t-il employé ou montré des armes ou des objets qui y ressemblent ou a-t-il fait croire qu’il était armé ?

À la huitième question : OUI

Neuvième question, accessoire à la cinquième, relative à une circonstance aggravante, posée d’office par Monsieur le Président, comme pouvant résulter des débats

Les violences ou les menaces, objets de la sixième question, ont-elles causé à [L.O.] soit une maladie paraissant incurable, soit une incapacité permanente physique ou psychique, soit la perte complète de l’usage d’un organe, soit une mutilation grave ?

À la neuvième question : OUI

Dixième question principale de culpabilité

Philippe MAILLARD, accusé ici présent, est-il coupable d’avoir, à Péruwelz, arrondissement judiciaire de Tournai, le 6 juillet 2005, tenté – la résolution de commettre le crime ayant été manifestée par des actes extérieurs qui forment un commencement d’exécution de ce crime et qui n’ont été suspendus ou n’ont manqué leur effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de l’auteur – de soustraire frauduleusement, un véhicule de modèle et de valeur indéterminés, qui ne lui appartenait pas, au préjudice de [L.O.]?

À la dixième question : OUI

Onzième question, accessoire à la dixième, relative à une circonstance aggravante

La tentative de vol, reprise à la 10e question, a-t-elle été commise à l’aide de violences ou de menaces ?

À la onzième question : OUI

Douzième question, accessoire à la dixième, relative à une circonstance aggravante

La tentative de vol à l’aide de violences ou menaces, objet des 10e et 11e questions, a-t-elle été commise durant la nuit ?

À la douzième question : OUI

Treizième question, accessoire à la dixième, relative à une circonstance aggravante

Le coupable de la tentative de vol à l’aide de violences ou menaces, objet des 10e et 11e questions, a-t-il employé ou montré des armes ou des objets qui y ressemblent ou a-t-il fait croire qu’il était armé ?

À la treizième question : OUI

Quatorzième question, accessoire à la dixième, relative à une circonstance aggravante, posée d’office par Monsieur le Président, comme pouvant résulter des débats

Les violences ou les menaces, objets de la onzième question, ont-elles causé à [L.O.], soit une maladie paraissant incurable, soit une incapacité permanente physique ou psychique, soit la perte complète de l’usage d’un organe, soit une mutilation grave ?

À la quatorzième question : OUI. »

15.  Concernant, enfin, les infractions commises au détriment d’autres victimes, la déclaration du jury était libellée comme suit :

« Quinzième question principale de culpabilité

Philippe MAILLARD, accusé ici présent, est-il coupable d’avoir, à Péruwelz, arrondissement judiciaire de Tournai, le 06 juillet 2005, volontairement, fait des blessures ou porté des coups à [D.M.] ?

À la quinzième question : OUI

Seizième question principale de culpabilité

Philippe MAILLARD, accusé ici présent, est-il coupable d’avoir, à Mouscron, arrondissement judiciaire de Tournai, le 16 avril 2005, volontairement fait des blessures ou porté des coups à [F.D.] ?

À la seizième question : OUI

Dix-septième question, accessoire à la seizième, relative à une circonstance aggravante

Les coups ou blessures volontaires, objets de la 16e question, ont-ils causé une incapacité de travail personnel à [F.D.] ?

À la dix-septième question : NON

Dix-huitième question principale de culpabilité

Philippe MAILLARD, accusé ici présent, est-il coupable d’avoir, à Mouscron, arrondissement judiciaire de Tournai, le 16 avril 2005, menacé, par gestes ou emblèmes, [F.D.] d’un attentat contre les personnes ou les propriétés punissables d’une peine criminelle ?

À la dix-huitième question : NON

Dix-neuvième question principale de culpabilité

Philippe MAILLARD, accusé ici présent, est-il coupable d’avoir, à Mouscron, arrondissement judiciaire de Tournai, le 16 avril 2005, menacé, par gestes ou emblèmes, [F.M.] d’un attentat contre les personnes ou les propriétés punissables d’une peine criminelle ?

À la dix-neuvième question : OUI à sept voix contre cinq. »

16.  Le 11 octobre 2007, la cour d’assises, composée des trois magistrats professionnels et du jury, prit note du verdict du jury et condamna le requérant à la réclusion à perpétuité.

17.  Le 21 décembre 2007, le requérant introduisit un pourvoi en cassation. Il se plaignait en premier lieu que le président de la cour d’assises n’avait pas soumis au jury les questions qu’il avait formulées au sujet du décès de H.T. En effet, le président avait soumis au jury une question principale, celle sur le vol, et puis les quatre autres, comme étant des questions accessoires, y compris celle portant sur le meurtre. Se référant à l’affaire Goktepe (précité), le requérant alléguait que le type de questions soumises au jury ne permettait pas de compenser adéquatement les réponses laconiques de celui-ci. En deuxième lieu, il critiquait le choix du président de la cour d’assises de poser deux questions d’office au sujet de L.O. Ces deux questions évoquaient une circonstance aggravante qui ne figurait pas dans la décision de renvoi en jugement et qui, d’après le requérant, ne ressortait pas non plus des débats. Enfin le requérant mettait en cause l’impartialité du président de la cour d’assises.

18.  Par un arrêt du 27 février 2008, la Cour de cassation débouta le requérant de son pourvoi. Elle jugea notamment que la cour d’assises décidait souverainement quelles questions résultaient des débats, à condition que ne soient pas soumis au jury des faits autres que ceux du chef desquels la chambre des mises en accusation avait ordonné le renvoi. Le libellé des questions tel que résultant de l’arrêt de renvoi n’avait ôté à l’intéressé la faculté de contredire ni son implication personnelle dans les faits ni l’existence d’un lien entre l’infraction principale et la circonstance aggravante de l’article 475 du code pénal (meurtre commis pour faciliter le vol). Partant, le refus de la cour d’assises de poser les questions indiquées par le requérant n’entraînait aucune violation de l’article 6 de la Convention. S’agissant ensuite des deux questions posées d’office par le président, il ressortait du procès-verbal de l’audience que l’intéressé n’avait élevé, devant la cour d’assises, aucune objection contre la formulation des questions. Ne pouvant être invoqué pour la première fois devant la Cour de cassation, le moyen était irrecevable. Enfin, le moyen dénonçant la partialité du président était également irrecevable, car il exigeait un examen de fait pour lequel la cour de cassation était sans pouvoir.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

19.  Le droit et la pratique internes pertinents sont décrits dans l’arrêt Taxquet c. Belgique ([GC], no 926/05, §§ 22-42, CEDH 2010).

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION (ABSENCE DE MOTIVATION)

20.  Le requérant allègue en substance que du fait de l’absence de motivation du verdict du jury sur la culpabilité, son procès n’a pas été équitable. Il invoque les articles 6 et 7 de la Convention. La Cour, maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause (Tarakhel c. Suisse [GC], no 29217/12, § 55, 4 novembre 2014), estime approprié d’examiner ce grief sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, dont la partie pertinente est ainsi libellée :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

21.  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

A.  Sur la recevabilité

22.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B.  Sur le bien-fondé

1.  Thèses des parties

23. Se référant à l’arrêt Goktepe (précité), le requérant se plaint du refus de la cour d’assises de poser des questions subsidiaires au jury afin de pallier aux réponses laconiques et à l’absence de motivation du verdict du jury. En substance, il estime que les questions posées n’étaient pas suffisamment individualisées.

24.  Le Gouvernement estime qu’il ressort de l’acte d’accusation que tous les devoirs utiles ont été effectués. L’acte d’accusation détaille les rapports d’expertises psychologiques et psychiatriques du requérant ainsi que les déclarations du requérant contredites par les constatations du terrain. Par ailleurs, le Gouvernement relève que le requérant n’a soulevé aucune objection devant la cour d’assises concernant la formulation des questions. Les questions qui furent posées étaient précises et sans équivoque, formant une trame apte à servir de fondement au verdict, d’écarter tout risque d’arbitraire et de permettre au requérant de comprendre les raisons de sa condamnation.

2.  Appréciation de la Cour

a)  Principes applicables

25.  La Cour relève d’emblée que la présente affaire s’inscrit dans la lignée de l’arrêt Taxquet (précité) et renvoie à cet arrêt (§§ 83-92) s’agissant des principes applicables. Dans l’arrêt Agnelet c. France (no 61198/08, §§ 56-62, 10 janvier 2013), la Cour a rappelé ces principes comme suit :

« 56. La Cour rappelle que la Convention ne requiert pas que les jurés donnent les raisons de leur décision et que l’article 6 ne s’oppose pas à ce qu’un accusé soit jugé par un jury populaire même dans le cas où son verdict n’est pas motivé. L’absence de motivation d’un arrêt qui résulte de ce que la culpabilité d’un requérant avait été déterminée par un jury populaire n’est pas, en soi, contraire à la Convention (Saric c. Danemark (déc.), no 31913/96, 2 février 1999, et Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, § 89, CEDH 2010).

57.  Il n’en demeure pas moins que pour que les exigences d’un procès équitable soient respectées, le public et, au premier chef, l’accusé doivent être à même de comprendre le verdict qui a été rendu. C’est là une garantie essentielle contre l’arbitraire. Or, comme la Cour l’a déjà souvent souligné, la prééminence du droit et la lutte contre l’arbitraire sont des principes qui sous-tendent la Convention (Taxquet, précité, § 90). Dans le domaine de la justice, ces principes servent à asseoir la confiance de l’opinion publique dans une justice objective et transparente, l’un des fondements de toute société démocratique (Suominen c. Finlande, no 37801/97, § 37, 1er juillet 2003, Tatichvili c. Russie, no 1509/02, § 58, CEDH 2007-III, et Taxquet, précité).

58.  La Cour rappelle également que devant les cours d’assises avec participation d’un jury populaire, il faut s’accommoder des particularités de la procédure où, le plus souvent, les jurés ne sont pas tenus de – ou ne peuvent pas – motiver leur conviction (Taxquet, précité, § 92). Dans ce cas, l’article 6 exige de rechercher si l’accusé a pu bénéficier des garanties suffisantes de nature à écarter tout risque d’arbitraire et à lui permettre de comprendre les raisons de sa condamnation. Ces garanties procédurales peuvent consister par exemple en des instructions ou éclaircissements donnés par le président de la cour d’assises aux jurés quant aux problèmes juridiques posés ou aux éléments de preuve produits, et en des questions précises, non équivoques soumises au jury par ce magistrat, de nature à former une trame apte à servir de fondement au verdict ou à compenser adéquatement l’absence de motivation des réponses du jury (ibidem, et Papon c. France (déc.), no 54210/00, ECHR 2001-XII). Enfin, doit être prise en compte, lorsqu’elle existe, la possibilité pour l’accusé d’exercer des voies de recours.

59.  Eu égard au fait que le respect des exigences du procès équitable s’apprécie sur la base de la procédure dans son ensemble et dans le contexte spécifique du système juridique concerné, la tâche de la Cour, face à un verdict non motivé, consiste donc à examiner si, à la lumière de toutes les circonstances de la cause, la procédure suivie a offert suffisamment de garanties contre l’arbitraire et a permis à l’accusé de comprendre sa condamnation (Taxquet, précité, § 93). Ce faisant, elle doit garder à l’esprit que c’est face aux peines les plus lourdes que le droit à un procès équitable doit être assuré au plus haut degré possible par les sociétés démocratiques (Salduz c. Turquie, [GC] no 36391/02, § 54, CEDH 2008, et ibidem).

60.  Dans l’arrêt Taxquet (précité), la Cour a examiné l’apport combiné de l’acte d’accusation et des questions posées au jury. S’agissant de l’acte d’accusation, qui est lu au début du procès, elle a relevé que s’il indique la nature du délit et les circonstances qui déterminent la peine, ainsi que l’énumération chronologique des investigations et les déclarations des personnes entendues, il ne démontre pas « les éléments à charge qui, pour l’accusation, pouvaient être retenus contre l’intéressé ». Surtout, elle en a relevé la « portée limitée » en pratique, dès lors qu’il intervient « avant les débats qui doivent servir de base à l’intime conviction du jury » (§ 95).

61.  Quant aux questions, au nombre de trente-deux pour huit accusés, dont quatre seulement pour le requérant, elles étaient rédigées de façon identique et laconique, sans référence « à aucune circonstance concrète et particulière qui aurait pu permettre au requérant de comprendre le verdict de condamnation », à la différence de l’affaire Papon, où la cour d’assises s’était référée aux réponses du jury à chacune des 768 questions posées par le président de cette cour (§ 96).

62.  Il ressort de l’arrêt Taxquet (précité) que l’examen conjugué de l’acte d’accusation et des questions posées au jury doit permettre de savoir quels éléments de preuve et circonstances de fait, parmi tous ceux ayant été discutés durant le procès, avaient en définitive conduit les jurés à répondre par l’affirmative aux quatre questions le concernant, et ce afin de pouvoir notamment : différencier les coaccusés entre eux ; comprendre le choix d’une qualification plutôt qu’une autre ; connaître les motifs pour lesquels des coaccusés sont moins responsables aux yeux du jury et donc moins sévèrement punis ; justifier le recours aux circonstances aggravantes (§ 97). Autrement dit, il faut des questions à la fois précises et individualisées (§ 98). »

b)  Application au cas d’espèce

26.  Dans la présente affaire, le requérant fut condamné à la réclusion à perpétuité. L’enjeu pour le requérant était donc considérable, en particulier compte tenu du fait qu’il avait toujours contesté avoir eu l’intention de blesser ou de tuer la victime et qu’il avait nié lui avoir porté des coups de hachette.  Si les circonstances de l’espèce n’étaient pas particulièrement complexes, la Cour constate néanmoins que quelques incertitudes entouraient les circonstances du crime reproché au requérant.

27.  S’agissant de l’acte d’accusation, la Cour rappelle qu’il avait une portée limitée, puisqu’il intervenait avant les débats qui constituent le cœur du procès (Taxquet, précité, § 95 ; Legillon c. France, no 53406/10, § 61, 10 janvier 2013). Ceci est d’autant plus vrai que l’article 6 de la Convention consacre la nécessité de comprendre les raisons qui ont conduit, non pas les organes compétents à renvoyer l’affaire devant la cour d’assises, mais les membres du jury, après les débats menés devant eux, à décider durant le délibéré de la culpabilité de l’accusé. En l’espèce, la Cour relève que l’acte d’accusation désignait les infractions dont le requérant était accusé et exposait le déroulé des faits tel qu’il pouvait être reconstitué par les divers témoignages recueillis ainsi que les dépositions du requérant. Néanmoins, s’agissant des constatations de fait reprises par cet acte et leur utilité pour comprendre le verdict prononcé contre le requérant, la Cour ne saurait se livrer à des spéculations sur le point de savoir si elles ont ou non influencé le délibéré et l’arrêt finalement adopté par la cour d’assises (Legillon, précité, § 61 ; Voica c. France, no 60995/09, § 49, 10 janvier 2013).

28.  Quant aux vingt questions soumises au jury concernant le requérant, la Cour relève qu’elles avaient trait à chacune des infractions reprochées au requérant (questions nos 1, 5, 10, 15, 16, 18 et 19) ainsi qu’à chacune des circonstances aggravantes (questions nos 2, 3, 4, 6, 7, 8, 9, 11, 12, 13, 14 et 17). La question no 4bis concernait une question subsidiaire posée au jury à la demande du requérant. Toutefois, la Cour estime que les questions posées ne permettaient pas au requérant de savoir quels éléments de preuve et circonstances de fait, parmi tous ceux ayant été discutés pendant le procès, avaient en définitive conduit les jurés à condamner le requérant (dans le même sens, Taxquet, précité, § 97 ; Castellino c. Belgique, no 504/08, § 38, 25 juillet 2013). En particulier, le requérant n’était pas en mesure de comprendre pour quelles raisons le jury avait conclu qu’il avait eu l’intention de tuer H.T. alors qu’il contestait fermement sa volonté de tuer.

29.  Enfin, il y a lieu de constater l’absence de toute possibilité d’appel contre les arrêts de la cour d’assises dans le système belge, le pourvoi en cassation ne portant que sur des points de droit et n’éclairant dès lors pas, en général, adéquatement l’accusé sur les raisons de sa condamnation (Taxquet, précité, § 99). Il n’en est pas allé différemment en l’espèce.

30.  En conclusion, la Cour estime qu’en l’espèce le requérant n’a pas disposé de garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict de condamnation qui a été prononcé à son encontre.

31.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

32.  Invoquant une violation de l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant estime que le président de la cour d’assises fit preuve de partialité à son égard et à l’égard de son avocate durant toute la durée des débats.

33.  Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où la Cour est compétente pour connaître des allégations formulées, elle ne relève aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles.

34.  Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 (a) et 4 de la Convention.

35.  Sous l’angle des articles 6 et 7 de la Convention, le requérant fait valoir que deux questions subsidiaires supplémentaires relatives à des circonstances aggravantes (questions nos 9 et 14) ont été posées d’office par le président de la cour d’assises comme résultant des débats, alors que le président de la cour d’assises n’a pas motivé en quoi ces questions résultaient des débats.

36.  La Cour constate, tel que l’avait fait la Cour de cassation, que le requérant n’a élevé, devant la cour d’assises, aucune objection contre la formulation des questions telle que proposée par le président de la cour d’assises. Il formula ce grief pour la première fois devant la Cour de cassation (paragraphe 18, ci-dessus). Or la Cour rappelle qu’en invoquant son grief pour la première fois devant la Cour de cassation, le requérant n’a pas respecté les formes prescrites par le droit interne (dans le même sens, De Smedt c. Belgique (déc.), no 76578/11, § 18, 12 novembre 2013). Par conséquent, la Cour estime que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes au sens de l’article 35 § 1 de la Convention et que ce grief doit être rejeté conformément à l’article 35 § 4 de la Convention.

III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

37.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

38.  Le requérant réclame 15 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

39.  Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour.

40.  La Cour estime que le requérant a dû éprouver un préjudice moral certain, auquel le constat de violation figurant dans le présent arrêt (paragraphe 31, ci-dessus) ne suffit pas à remédier. Elle rappelle que, lorsqu’un particulier a été condamné à l’issue d’une procédure entachée de manquements aux exigences de l’article 6 de la Convention, un nouveau procès ou une réouverture de la procédure, à la demande de l’intéressé, représente en principe un moyen approprié de redresser la violation constatée (voir, parmi d’autres, Gençel c. Turquie, no 53431/99, § 27, 23 octobre 2003 ; Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2) [GC], no 32772/02, § 89, CEDH 2009, et références citées). À cet égard, la Cour relève que le code d’instruction criminelle permet à un requérant de solliciter la réouverture de son procès à la suite d’un arrêt de la Cour constatant une violation de la Convention (Taxquet, précité, §§ 38-42). Elle considère donc que l’intéressé dispose effectivement de la possibilité de demander à ce que sa cause soit réexaminée (Taxquet, précité, § 107). Eu égard à cette possibilité et statuant en équité, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant un montant de 2 000 EUR au titre du préjudice moral (voir, dans le même sens, Fraumens c. France, no 30010/10, § 56, 10 janvier 2013; Castellino, précité, § 52).

B.  Frais et dépens

41.  Le requérant demande également 2 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour.

42.  Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour.

43.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 79, CEDH 1999‑II). En l’espèce, la Cour relève que le requérant n’a fourni aucun élément de nature à démontrer qu’il avait réellement encouru ces frais (notes de frais et honoraires ou autres justificatifs). Partant, la Cour rejette la demande de remboursement des frais et dépens.

C.  Intérêts moratoires

44.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention et relatif à l’absence de motivation, et irrecevable pour le surplus ;

2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3.  Dit

a)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de  2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 17 février 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

              Stanley NaismithIşıl Karakaş
GreffierPrésidente

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires

Textes cités dans la décision

  1. CODE PENAL
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE MAILLARD c. BELGIQUE, 17 février 2015, 23530/08