CEDH, Cour (cinquième section), AFFAIRE LOISEL c. FRANCE, 30 juillet 2015, 50104/11

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Chronologie de l’affaire

Commentaires7

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E. A. · Dalloz Etudiants · 21 septembre 2015

www.dbfbruxelles.eu · 4 septembre 2015

Saisie d'une requête dirigée contre la France, la Cour européenne des droits de l'homme a interprété, le 30 juillet dernier, l'article 5 §3 de la Convention européenne des droits de l'homme relatif au droit à la liberté et à la sûreté (Loisel c. France, requête n°50104/11). Le requérant est un ressortissant français accusé d'avoir commis un viol sur un enfant mineur. Il a été placé en détention provisoire en août 2009. Sa détention a fait l'objet de plusieurs renouvellements et a pris fin en décembre 2012. Au cours de celle-ci, le requérant a formulé plusieurs demandes de mise en liberté …

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Cinquième Section), 30 juill. 2015, n° 50104/11
Numéro(s) : 50104/11
Type de document : Arrêt
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Non-violation de l'article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté (Article 5-3 - Durée de la détention provisoire)
Identifiant HUDOC : 001-156502
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2015:0730JUD005010411
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Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE LOISEL c. FRANCE

(Requête no 50104/11)

ARRÊT

STRASBOURG

30 juillet 2015

DÉFINITIF

30/10/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Loisel c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Boštjan M. Zupančič,
Ganna Yudkivska,
Vincent A. De Gaetano,
André Potocki,
Aleš Pejchal, juges,
et de Milan Blaško, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 juillet 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 50104/11) dirigée contre la République française et dont un ressortissant français, M. Matthieu Loisel (« le requérant »), a saisi la Cour le 22 juillet 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, est représenté par Me B. David, avocat à Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent ; il s’agissait initialement de Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères, à laquelle M. F. Alabrune a succédé en mai 2014.

3.  Le requérant allègue que la durée de sa détention provisoire n’était pas compatible avec l’article 5 § 3 de la Convention.

4.  Le 20 janvier 2014, le grief concernant la durée de la détention provisoire a été communiqué au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5.  Le requérant est né en 1985 et est détenu à Mont de Marsan.

A.  La procédure d’instruction

6.  Le 12 août 2009, à minuit, un jeune homme âgé de 16 ans se présenta au commissariat de Dax pour indiquer qu’il venait d’être victime d’un viol de la part d’un homme de très grande taille, qui lui avait donné rendez-vous en se faisant passer pour une fille ; cet individu était reparti sur un scooter de couleur sombre dépourvu de feu arrière. Les policiers firent le rapprochement avec le requérant qui avait été contrôlé dans la nuit du 9 au 10 août 2009 sur un scooter dont le feu arrière ne fonctionnait pas correctement. Ils se rendirent à son domicile à minuit trente-cinq et constatèrent que le moteur du scooter était encore chaud ; à trois heures trente-cinq, les policiers notèrent que le scooter avait changé de place de stationnement. Le jour même, le requérant fut interpellé et placé en garde à vue.

7.  Le 14 août 2009, le requérant fut mis en examen du chef de viol sur une personne contactée grâce à un réseau de télécommunication.

8.  Le Gouvernement présente une longue liste, non contestée par le requérant, d’actes d’investigation menés.

Il en ressort notamment que, pendant l’enquête préliminaire, la victime, le requérant et un témoin furent entendus ; par ailleurs, un examen médical de la victime, un transport sur les lieux, une perquisition au domicile du requérant, ainsi qu’une exploitation du téléphone de la victime furent réalisés.

Durant l’information judiciaire, le requérant fut interrogé à sept reprises entre les 14 août 2009 et 30 mars 2011. La victime fut entendue le 24 février 2010. Une confrontation entre le requérant et la victime eut lieu le 28 octobre 2010. De nombreuses investigations furent réalisées afin de découvrir si le requérant était l’administrateur d’un blog et si c’était par ce blog qu’il avait contacté la victime avant de lui donner rendez-vous en se faisant passer pour une jeune femme : ainsi notamment, entre les 14 août 2009 et 14 juin 2010, différents blogs et lignes de téléphone portable furent exploités sur réquisition auprès d’une multitude d’opérateurs et dans le cadre d’enquêtes auprès de cybercafés. De nombreux témoins furent entendus entre le 25 août 2009 et 5 janvier 2011. Une perquisition et des analyses génétiques, ainsi que plusieurs rapports d’expertise furent réalisés.

9.  Il ressort du dossier que le requérant formula différentes demandes d’actes d’instruction. Le requérant produit une ordonnance du 16 décembre 2010 par laquelle le juge d’instruction refusa une instruction complémentaire, au motif que les personnes dont le requérant demandait l’audition n’avaient pas été témoins des faits pour lesquels il était mis en examen et que, s’agissant de sa personnalité, de nombreuses personnes de son entourage et des anciens du club de basket où il avait joué avaient été entendues, de sorte que les auditions sollicitées n’étaient pas de nature à apporter d’éléments nouveaux utiles au dossier. Il ressort du dossier que le 3 janvier 2011, l’appel que le requérant avait interjeté de cette ordonnance fut rejeté.

10.  Par une ordonnance du juge d’instruction du 17 juin 2011, confirmée par un arrêt du 27 septembre 2011, le requérant fut mis en accusation et renvoyé devant la cour d’assises des Landes du chef de viol aggravé. Par un arrêt du 10 janvier 2012, notifié le 22 mars 2012, la Cour de cassation déclara le pourvoi du requérant à l’encontre de la décision de renvoi non admis.

B.  La détention provisoire du requérant

11.  Le requérant fut placé en détention provisoire par une ordonnance du 14 août 2009. Dans ses réquisitions aux fins de placement en détention provisoire, le parquet avait indiqué, parmi d’autres éléments, que le requérant était inscrit au FIJAIS (« Fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes ») et n’avait jamais respecté l’obligation de déclarer ses changements d’adresse malgré ses nombreux déménagements depuis son inscription à ce fichier. Le juge des libertés et de la détention motiva son ordonnance par le fait que de nombreuses vérifications et investigations restaient à effectuer, notamment quant à l’emploi du temps du requérant durant la soirée du 11 août, et qu’il était à cet égard nécessaire d’écarter le requérant de tout contact avec les différents témoins. Il précisa également, entre autres, que le jeune homme victime de l’infraction – qui avait formellement reconnu le requérant – devait être protégé de toute tentative de pression pour éviter qu’il ne revienne sur ses déclarations.

12.  Selon les informations du Gouvernement, non démenties par le requérant, ce dernier introduisit 27 demandes de mise en liberté entre le 18 septembre 2009 et le 23 février 2012.

13.  Les décisions fournies à ce sujet montrent qu’une demande de mise en liberté du 3 novembre 2009 fut rejetée par une ordonnance du juge des libertés et de la détention du 4 novembre 2009, confirmée par la chambre de l’instruction de la cour d’appel du 17 novembre 2009. Les juges relatèrent les éléments de faits et d’instruction recueillis. Ils motivèrent leur décision en indiquant qu’il résultait des pièces du dossier et des débats des éléments précis et probants permettant de dire plausible l’implication du requérant dans la commission des faits ; la victime, qui avait fait une description physique et vestimentaire, avait formellement identifié le requérant sur planche photographique comme étant l’auteur des faits ; le numéro de téléphone portable du requérant correspondait à l’appareil utilisé par l’auteur des faits pour contacter la victime. Ils retinrent que, pour sa défense, le requérant prétendait qu’il n’était pas homosexuel, ce qui était démenti d’une part par une condamnation figurant à son casier judiciaire et d’autre part par le témoignage de F., adulte qui affirmait avoir eu une relation sexuelle avec lui. Ils poursuivirent que le requérant, qui n’offrait aucune garantie sérieuse de représentation et ne produisait aucune pièce justificative, avait déjà été condamné le 4 mars 2009 par la cour d’appel de Douai à une peine de six mois d’emprisonnement avec sursis simple pour agressions sexuelles commises sur un mineur avec la circonstance aggravante qu’il avait autorité sur celui-ci ; qu’il était donc en état de récidive légale au moment des faits et qu’il y avait lieu de craindre le renouvellement de l’infraction chez une personne qui semblait incapable de maîtriser des pulsions à l’égard de jeunes garçons mineurs. Les magistrats soulignèrent qu’aucune mesure de contrôle judiciaire n’était susceptible de garantir le non-renouvellement de l’infraction et que seule la détention provisoire permettait d’atteindre cet objectif. Ils retinrent également que la détention du requérant constituait l’unique moyen, d’une part, de mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public qu’avait provoqué l’infraction en raison de sa gravité, des circonstances de sa commission et de l’important préjudice qu’elle avait causé (ils notèrent que la victime avait subi un lourd traumatisme et avait dû suivre un traitement médical contraignant contre les maladies sexuellement transmissibles) et, d’autre part, de garantir le maintien du requérant à la disposition de la justice et de permettre la poursuite des investigations à l’abri de toute pression sur la victime. Le 27 janvier 2010, la Cour de cassation déclara le pourvoi du requérant contre l’arrêt du 17 novembre 2009 non admis, pour absence de « moyen de nature à permettre l’admission du pourvoi ».

14.  Une demande de mise en liberté du 9 décembre 2009 fut rejetée par une ordonnance du juge des libertés et de la détention du 11 décembre 2009, confirmée par la chambre de l’instruction du 22 décembre 2009. Outre les motifs retenus dans les décisions antérieures, les magistrats indiquèrent que le dossier démontrait que le requérant avait organisé un guet-apens pour parvenir à ses fins et commettre un viol et une fellation avec violences sur une jeune victime. Ils mentionnèrent également que le juge des libertés et de la détention avait rendu quatre décisions de rejet de demandes de mise en liberté entre les 4 et 24 novembre 2009 et que depuis cette date le requérant ne justifiait d’aucun élément nouveau permettant de revenir sur ces décisions. Le 10 mars 2010, la Cour de cassation déclara le pourvoi du requérant contre l’arrêt du 22 décembre 2009 non admis, pour absence de « moyen de nature à permettre l’admission du pourvoi ».

15.  Une demande de mise en liberté du 7 juillet 2010 fut rejetée par une ordonnance du juge des libertés et de la détention du 9 juillet 2010, confirmée par la chambre de l’instruction de la cour d’appel du 29 juillet 2010. Les magistrats relatèrent que les analyses génétiques avaient permis de retrouver des traces de sperme du requérant sur le pourtour de la bouche du plaignant, ainsi qu’un mélange d’ADN de la victime et du requérant sur la chemise de ce dernier, sur le tee-shirt et le jeans du plaignant. Le requérant admettant avoir eu une relation sexuelle avec la victime, contrairement à ses déclarations initiales, les magistrats expliquèrent que l’information judiciaire se poursuivait en vue d’évidentes vérifications au vu des déclarations plus récentes et des résultats de la commission rogatoire ; ils jugèrent une confrontation avec la victime sans doute nécessaire. Ils estimèrent la détention nécessaire afin d’empêcher une pression sur les témoins, sur les victimes ainsi que sur la famille. Ils actèrent que le requérant n’offrait aucune garantie sérieuse de représentation et ne produisait aucune pièce justificative. Quant au trouble à l’ordre public susceptible d’être ravivé par la mise en liberté du requérant, ils indiquèrent que ce dernier apparaissait coutumier de relations sexuelles obtenues par diverses ruses déployées par moyen informatique.

16.  La détention provisoire fut prolongée à deux reprises, soit les 2 août 2010 et 27 janvier 2011, pour une durée de six mois. Dans ses ordonnances, le juge de la liberté et de la détention retint, entre autres, le risque de renouvellement de l’infraction, et releva que le requérant, condamné déjà pour des faits d’agressions sexuelles sur mineur, n’apportait pas de réponses face aux éléments matériels objectifs qui le mettaient en cause. En outre, le requérant ne bénéficiait d’aucun projet d’hébergement ou d’emploi sérieux de sorte que ses garanties de représentations étaient insuffisantes eu égard à la peine encourue. Enfin, rappelant que les éléments du dossier d’information laissaient penser que le requérant avait agi avec préméditation afin de piéger le jeune homme, le juge souligna l’important préjudice causé à la victime par ces faits. Il indiqua par ailleurs que le mode opératoire avait causé un indéniable trouble à l’ordre public en ce qu’il avait pu créer un climat d’insécurité. Dans le cadre de la deuxième prolongation de la détention provisoire (ordonnance du 27 janvier 2011), le juge estima aussi la détention nécessaire afin d’empêcher une pression sur les témoins, sur les victimes ainsi que sur la famille, et précisa que la mise en liberté du requérant était susceptible de raviver le trouble à l’ordre public initialement engendré par une infraction sexuelle attribuée à une personne coutumière de ces faits.

17.  Une demande de mise en liberté du 10 juin 2011 fut rejetée par une ordonnance du juge des libertés et de la détention du 14 juin 2011, confirmée par la chambre de l’instruction de la cour d’appel le 1er juillet 2011. Les magistrats confirmèrent leurs développements antérieurs, pour ajouter que l’information judiciaire avait permis d’établir que le requérant avait contacté de nombreuses personnes sur internet en se faisant passer pour une jeune femme afin d’obtenir de ces personnes un rendez-vous. Constatant que le requérant fuyait ses responsabilités, ils conclurent qu’aucune mesure de contrôle judiciaire ou de placement sous surveillance électronique ne pouvait garantir le non-renouvellement de l’infraction chez un sujet qui n’apparaissait nullement conscient de la gravité de ses agissements. Ils jugèrent les garanties de représentation offertes par le requérant insuffisantes compte tenu de la gravité des faits et de l’importance des peines encourues.

18.  Le 25 juillet 2011, à la suite de sa mise en accusation le 17 juin 2011, le requérant saisit la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Pau d’une demande de mise en liberté, qui fut rejetée le 2 août 2011. Les magistrats rappelèrent qu’il résultait de l’ensemble de l’enquête et de l’instruction qu’il existait en l’espèce plusieurs raisons plausibles de croire à l’implication du requérant dans les faits qui lui étaient reprochés. Ils relevèrent que, s’il était vrai qu’il y avait lieu de tenir compte des dénégations du requérant concernant son implication dans les faits de viols qui lui étaient reprochés, ce qu’avaient fait les experts psychologue et psychiatre chargés de l’expertise la plus récente du requérant, le 5 janvier 2011, il n’en demeurait pas moins vrai qu’il résultait également de cette expertise que le comportement du requérant, sujet intelligent et ne présentant aucune pathologie mentale ni trouble grave de la personnalité, ne s’était pas produit dans le cadre d’une activité délirante, qu’il s’agissait d’un comportement voulu, lucide et délibéré dans le contexte de recherche d’un partenaire sexuel en vue d’obtenir des satisfactions pulsionnelles par un sujet dont la sexualité se caractérisait par une bisexualité. Ils rappelèrent aussi un risque non négligeable de renouvellement d’infractions de même nature chez un sujet dont la problématique était de choisir des partenaires majeurs, ainsi que le soulignaient les experts. Enfin, rappelant notamment la précédente condamnation du requérant pour des faits semblables, les magistrats estimèrent qu’un contrôle judiciaire ou une assignation à résidence avec surveillance électronique ne pouvaient être ordonnés, les garanties de représentation offertes n’étant pas suffisantes pour empêcher la réitération d’infractions à caractère sexuel dont l’origine pulsionnelle avait été établie.

19.  Par un arrêt du 6 septembre 2011, la chambre de l’instruction de la cour d’appel déclara irrecevable une demande de mise en liberté du 17 août 2011, au motif que le magistrat instructeur n’avait pas compétence pour examiner une demande de mise en liberté présentée par un détenu mis en accusation par ordonnance prise antérieurement au dépôt de la demande.

20.  Par un arrêt du 8 novembre 2011, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Pau rejeta une demande de mise en liberté du 19 octobre 2011. Les magistrats rappelèrent qu’après plusieurs mois d’information et après de fermes dénégations, le requérant avait finalement admis avoir eu un rapport sexuel avec M., mineur au moment des faits, soutenant toutefois que cette relation sexuelle était consentie par le jeune homme ; ils rappelèrent que le requérant était renvoyé devant la cour d’assises du chef de viol aggravé. Ils ajoutèrent qu’à peine cinq mois après sa condamnation du 4 mars 2009, il avait été impliqué dans une nouvelle affaire sexuelle particulièrement grave. Ils estimèrent que les dénégations virulentes et réitérées des faits puis leur minimisation révélaient que le requérant n’avait pas pris l’exacte mesure de la gravité des faits et que le renouvellement d’infractions similaires était à redouter chez une personne qui avait tendance à nier ses pulsions homosexuelles. Ils estimèrent que le crime reproché avait troublé profondément l’ordre public local et qu’une mesure de mise en liberté était de nature à raviver ce trouble. Ils conclurent que la détention provisoire était l’unique moyen d’éviter le renouvellement des faits et de préserver l’ordre public et que les obligations d’un contrôle judiciaire ou le placement sous surveillance électronique n’étaient pas susceptibles d’éviter la réalisation des risques susvisés.

21.  Le lendemain de cet arrêt, le requérant réitéra sa demande de mise en liberté auprès des mêmes magistrats. Ceux-ci la rejetèrent pour des motifs identiques, par un arrêt du 29 novembre 2011. Le 14 février 2012, la Cour de cassation déclara le pourvoi du requérant contre cet arrêt non admis, pour absence de « moyen de nature à permettre l’admission du pourvoi ».

C.  Le jugement

22.  À la suite de la décision de renvoi - devenue définitive par l’arrêt de la Cour de cassation du 10 janvier 2012, notifié le 22 mars 2012 (paragraphe 10 ci-dessus) - l’affaire fut fixée à une audience devant la cour d’assises des Landes. À cet effet, le ministre public avisa le requérant, le 12 octobre 2012, de la date de sa comparution devant la cour d’assises. Le requérant rencontra le président de la cour d’assises ; un procès-verbal d’interrogatoire du 22 octobre 2012 constata l’accomplissement des formalités prescrites par la procédure nationale en la matière. Le 25 octobre 2012, la liste des témoins et experts, ainsi que la liste des jurés appelés à constituer le jury de la cour d’assises furent signifiées au requérant. Le 28 novembre 2012, une liste additive de témoins cités à la demande du conseil du requérant, fut signifiée à ce dernier. La première audience consacrée à l’examen de l’affaire s’ouvrit le 3 décembre 2012.

23.  Le 7 décembre 2012, la cour d’assises des Landes, statuant en premier ressort, condamna le requérant à une peine de réclusion criminelle de vingt ans assortie d’une mesure de suivi socio-judiciaire avec injonction de soins pendant cinq ans.

24.  Le 10 avril 2014, la cour d’assises du département des Hautes-Pyrénées, statuant en appel, le condamna à quinze ans et un suivi socio-judiciaire avec injonction de soins pendant dix ans.

II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

25.  L’article 222-24 du code pénal dispose ceci :

« Le viol est puni de vingt ans de réclusion criminelle :

(...)

8o  Lorsque la victime a été mise en contact avec l’auteur des faits grâce à l’utilisation, pour la diffusion de messages à destination d’un public non déterminé, d’un réseau de communication électronique ; (...) »

26.  Quant à la détention provisoire, le droit interne pertinent est relaté dans les arrêts Sagarzazu c. France (no 29109/09, § 21, 26 janvier 2012) et Rossi c. France (no 60468/08, 18 octobre 2012).

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION

27.  Le requérant se plaint de la durée de sa détention provisoire qu’il juge excessive. Il allègue une violation de l’article 5 § 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »

28.  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

A.  Sur la recevabilité

29.  Le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement des voies de recours internes. Il expose que, si entre son placement en détention provisoire et sa comparution devant la cour d’assises des Landes, le requérant s’est pourvu en cassation à cinq reprises contre des arrêts rendus par la chambre de l’instruction confirmant son maintien en détention provisoire, il n’a pas soulevé de moyens sérieux. En effet, la Cour de cassation, après avoir constaté qu’il n’existait aucun moyen de nature à permettre l’admission du pourvoi a rendu des arrêts déclarant le requérant déchu de son pourvoi sur le fondement de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale. La Cour a pourtant eu l’occasion d’affirmer que le pourvoi en cassation constituait une voie de recours efficace à épuiser en matière de détention provisoire (Civet c. France [GC], no 29340/95, §  43  in  fine, CEDH 1999‑VI) et le requérant n’a ainsi pas fourni aux juridictions françaises la possibilité de se prononcer matériellement sur une violation de l’article 5 § 3 de la Convention et d’éviter ou de redresser la violation alléguée.

30.  Le requérant conteste cette thèse, rappelant qu’il n’a pas manqué de former un pourvoi en cassation par cinq fois contre les arrêts rendus en la matière, la procédure de tri de la Cour de cassation ayant estimé que le requérant ne disposait pas de moyens sérieux. Par ailleurs, il réplique qu’il n’est pas obligé d’épuiser un recours interne aléatoire, dès lors qu’il est voué à l’échec. La question du caractère raisonnable ou non de la durée de la détention provisoire étant, selon la jurisprudence interne, « une appréciation de fait qui échappe au contrôle de la Cour de cassation », le requérant estime que l’exception d’irrecevabilité du Gouvernement est à rejeter.

31.  La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes. Tout requérant doit avoir donné aux juridictions internes l’occasion que cette disposition a pour finalité de ménager en principe aux États contractants, à savoir éviter ou redresser les violations alléguées contre eux. Cette règle se fonde sur l’hypothèse, objet de l’article 13 de la Convention – avec laquelle elle présente d’étroites affinités –, que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée. Les dispositions de l’article 35 § 1 ne prescrivent toutefois l’épuisement que des seuls recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues (voir, parmi de nombreux autres, McFarlane c. Irlande [GC], no 31333/06, § 107, 10 septembre 2010). Il incombe au Gouvernement excipant du non‑épuisement de convaincre la Cour que le recours était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire qu’il était accessible, était susceptible d’offrir au requérant le redressement de ses griefs et présentait des perspectives raisonnables de succès (Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 76, CEDH 1999‑V). Enfin, la Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle il n’y a pas d’épuisement lorsqu’un recours a été déclaré irrecevable à la suite du non-respect d’une formalité (voir, parmi d’autres, Agbovi c. Allemagne (déc.), no 71759/01, 25 septembre 2006).

32.  Pour ce qui est des détentions provisoires accomplies en France, la Cour a déjà jugé que le pourvoi en cassation constitue une voie de recours à épuiser, dans la mesure où « la Cour de cassation est à même d’apprécier, sur la base d’un examen de la procédure, le respect de la part des autorités judiciaires du délai raisonnable conformément aux exigences de l’article 5 § 3 de la Convention » (Civet, précité, §§ 41-44).

Par la suite, la Cour a eu l’occasion d’expliciter le déroulement de la procédure préalable d’admission des pourvois en cassation, dans l’affaire Viard c. France (no 71658/10, §§ 17-21, 9 janvier 2014). Dans cet arrêt, elle a rappelé que la Cour de cassation n’a recours qu’à une seule formule-type pour l’ensemble des causes de non-admission (§ 33), lesquelles peuvent concerner soit la recevabilité du pourvoi, soit le fond du droit (absence de moyen sérieux) ; les décisions de non-admission sont rendues à l’issue d’un débat contradictoire, après un examen du conseiller-rapporteur et un avis d’un avocat général, par une formation collégiale de la chambre criminelle (§ 19). Elle y a présenté le rôle du conseiller-rapporteur : celui-ci établit un rapport de non-admission indiquant les raisons objectives pour lesquelles le pourvoi semble irrecevable ou non fondé sur des moyens sérieux et, lorsque le rejet est envisagé pour un autre motif que celui retenu par le rapporteur dans son rapport en vue d’une non-admission, la chambre statue par un « arrêt » spécialement motivé et non pas une « décision » de non-admission (§§ 21, 33 et 34).

33.  En l’espèce, la Cour relève que le Gouvernement ne produit pas les rapports des conseillers-rapporteurs de nature à l’éclairer sur le véritable motif de la non-admission des pourvois litigieux. Elle constate cependant qu’il n’allègue pas que ces non-admissions aient été motivées par l’irrecevabilité des pourvois, mais fait valoir qu’elles se fondaient sur l’absence de moyen sérieux. Dès lors, la Cour note que le Gouvernement considère que ces décisions touchaient au fond de l’affaire. Ce constat suffit à la Cour pour conclure que l’exception d’irrecevabilité du Gouvernement ne saurait être retenue.

34.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B.  Sur le fond

1.  Période à prendre en considération

35.  Les parties s’accordent à fixer le départ du calcul du délai de la détention provisoire au 12 août 2009, mais sont en désaccord quant au dies ad quem. Ainsi, le délai de détention provisoire prend fin, selon le Gouvernement, le 7 décembre 2012 et, selon le requérant, le 10 avril 2014.

36.  La Cour rappelle que, pour déterminer la durée d’une détention provisoire sur le terrain de l’article 5 § 3, la période à prendre en considération commence le jour où l’accusé est incarcéré et prend fin le jour où le chef d’accusation est fixé, fût-ce en première instance (voir, parmi d’autres, Kalachnikov c. Russie, no 47095/99, § 110, CEDH 2002‑VI). En l’espèce, la période à considérer a ainsi débuté le 12 août 2009, date d’arrestation du requérant, pour s’achever le 7 décembre 2012, date du jugement de condamnation. L’incarcération litigieuse s’étend donc sur trois ans, trois mois et vingt-six jours.

2.  Le caractère raisonnable de la durée de la détention

a)  Thèses des parties

37.  Le requérant expose que la violation de l’article 5 § 3 résulte de « l’usure du temps des arguments avancés pour justifier le maintien en détention provisoire, stéréotypés qui plus est », d’une part, et du défaut de diligence des autorités judiciaires, d’autre part. Concernant le risque de fuite, il estime que l’argument tiré de l’absence de garanties de représentation était certes valable à un moment donné mais ne pouvait perdurer dans le temps, d’autant plus que l’instruction était close dès le 27 septembre 2011. Quant au risque de réitération de l’infraction, il rappelle qu’il doit s’analyser avec des éléments objectifs (commencement d’exécution, comportement en détention, expertise psychiatrique, jeunesse du sujet etc.) et estime que le passé judiciaire d’un prévenu ne saurait être mis en avant dans une affaire étrangère à celle ayant donné lieu à condamnation ; or, en l’espèce, il serait permis de douter de la réalité des faits objets de sa condamnation par la cour d’appel du 4 mars 2009 pour agression sexuelle, prononcée sans sa présence et après une relaxe en première instance. Le risque de concertation frauduleuse ne justifiait plus la détention provisoire dès lors que l’ordonnance de mise en accusation était définitive (donc le 27 novembre 2011) ; face au risque de concertation frauduleuse qui aurait existé, selon le Gouvernement, avec trois personnes à qui il lui a été refusé de téléphoner, le requérant réplique que les conversations téléphoniques font l’objet d’écoutes par l’administration pénitentiaire et que d’éventuels propos suspects sont communiqués au magistrat instructeur. Pour ce qui est du trouble à l’ordre public, le requérant rappelle que la peine encourue et le retentissement médiatique ne constituent pas un motif légitime et ajoute qu’aucun élément objectif n’a été avancé en l’espèce par les juridictions successives. Enfin, le requérant juge « spécieux » l’argument du Gouvernement selon lequel la persistance de raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis le crime justifiait son maintien en détention. Concernant la conduite de la procédure, le requérant souligne n’avoir été jugé en première instance que le 7 décembre 2012, soit près de dix-huit mois après la clôture de l’instruction et que cette condamnation n’est devenue définitive que le 15 avril 2014 (date d’expiration du délai du pourvoi), sans qu’aucune justification quant à un tel délai ne soit apportée par le Gouvernement.

38.  Le Gouvernement renvoie à l’ensemble des éléments retenus par les juridictions internes qui ont constitué tout au long de la procédure des « raisons plausibles » de le soupçonner d’avoir commis l’infraction de nature à justifier sa détention. Le Gouvernement rappelle ensuite les « autres motifs » retenus, qu’il juge pertinents et suffisants. Concernant le risque d’entrave à la bonne marche de la justice, les premières décisions relatives à la détention provisoire font référence au besoin de réunir des preuves et de protéger la victime dont les déclarations étaient contestées par le requérant ; le risque de pression sur les témoins n’était pas théorique, puisque le requérant s’est vu refuser le 4 mai 2011 une demande de téléphoner à trois personnes ayant fourni des éléments allant à l’encontre de ses déclarations. Ensuite, les antécédents du requérant ont convaincu les magistrats qu’il importait d’empêcher que le requérant ne commette de nouvelles infractions ; en effet, il avait été condamné le 4 mars 2009 pour une agression sexuelle commise sur un mineur par une personne abusant de l’autorité que lui conféraient ses fonctions d’entraîneur sportif, et l’information judiciaire avait, par ailleurs, permis de démontrer qu’il avait approché d’autres jeunes hommes selon le même mode opératoire. Le risque de fuite a été fondé sur la gravité des faits reprochés et sur l’absence de garanties de représentation suffisantes du requérant. Enfin, le Gouvernement expose que le trouble exceptionnel persistant à l’ordre public provoqué par l’infraction tenait à la gravité, aux circonstances de sa commission et à l’importance du préjudice qu’elle a causé à la victime. À cet égard, il rappelle que le requérant a conçu un véritable guet-apens en se faisant passer sur internet pour une jeune femme afin de commettre un viol avec violences sur un mineur ; les magistrats ont estimé que la libération du requérant aurait pu raviver le trouble indéniable causé à l’ordre public par ce mode opératoire, en ce qu’il a pu créer un climat d’insécurité. Pour finir, le Gouvernement soutient qu’aucune critique ne peut être émise quant à la manière dont l’affaire a été conduite par les autorités judiciaires. Il rappelle le nombre d’auditions, confrontations, vérifications techniques et expertises diligentées dans cette affaire complexe de par sa nature (viol) et le mode opératoire (internet). En outre, le requérant – qui avait souvent déménagé – a nié les faits jusqu’à la fin de l’information judiciaire et a contribué à l’allongement de la procédure en demandant notamment que des personnes soient entendues alors que, pour la plupart, elles avaient déjà été auditionnées sur commission rogatoire. S’agissant du délai d’audiencement devant la cour d’assises, le Gouvernement rappelle que le requérant a interjeté appel de l’ordonnance de mise en accusation du 17 juin 2011, puis a formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel ; le délai d’un peu moins de dix-huit mois entre l’ordonnance de mise en accusation et la comparution devant la cour d’assises s’explique en partie par les recours que le requérant a exercé en la matière, la cour d’assises ayant nécessairement dû attendre que la mise en accusation soit devenue définitive pour fixer la date d’audience.

b)  Appréciation de la Cour

39.  La Cour renvoie aux principes ressortant de sa jurisprudence tels que rappelés notamment dans l’affaire Kudła c. Pologne ([GC], no 30210/96, §§ 110 et 111, CEDH 2000‑XI) ou, plus récemment, dans l’affaire Rossi c. France (précitée, §§ 77 et 78).

40.  Pour se prononcer sur le placement puis le maintien en détention du requérant, les autorités nationales ont relevé un ensemble d’éléments permettant de dire « plausible » l’implication du requérant dans les faits. Ainsi, dès les premiers stades, la victime a fait une description physique et vestimentaire du requérant et l’a formellement identifié sur planche photographique ; par ailleurs, le numéro de téléphone portable du requérant correspondait à l’appareil utilisé par l’auteur des faits pour contacter la victime. D’autres éléments de preuve ont été décelés au fur et à mesure de la progression des investigations ; ainsi, les analyses génétiques ont permis de retrouver un mélange d’ADN de la victime et du requérant sur leurs vêtements respectifs.

41.  Les « autres motifs » du maintien en détention ont principalement été les suivants : la nécessité d’accomplir des investigations sans interférence du requérant, éviter les risques de fuite et de récidive, et tenir compte du trouble porté à l’ordre public.

42.  Quant au premier motif, invoqué principalement au cours de la première année de la phase d’instruction et accessoirement dans le cadre d’une décision de prolongation de la détention provisoire, les magistrats ont estimé que la détention constituait l’unique moyen de permettre la poursuite des investigations à l’abri de toute pression sur les témoins, la victime, et la famille. La Cour rappelle que le Gouvernement présente une longue liste, non contestée par le requérant, de nombreux actes d’investigation menés durant l’enquête préliminaire et l’instruction (paragraphe 8 ci-dessus). La Cour note que les magistrats ont relevé que le requérant a d’abord nié être homosexuel et qu’au fil du temps et des résultats des investigations, le requérant a admis avoir eu une relation sexuelle avec la victime, soutenant toutefois que cette relation sexuelle était consentie ; les autorités ont relevé la nécessité de poursuivre l’information judiciaire pour vérifier ces nouvelles déclarations du requérant. D’emblée, la Cour se doit de rappeler qu’un « accusé » a le droit de se taire et de contester les faits qui lui sont reprochés, et que l’on ne peut fonder le maintien en détention uniquement sur le fait que l’intéressé nie sa culpabilité ou refuse de répondre aux questions qui lui sont posées, dans la mesure où il est présumé innocent tout au long de la procédure d’instruction (Dumont-Maliverg c. France, nos 57547/00 et 68591/01, § 68, 31 mai 2005). En l’espèce, il ressort des décisions produites que c’est au regard de l’évolution du dossier - tant au niveau des éléments progressivement recueillis que des déclarations faites par le requérant - que les magistrats ont jugé nécessaire de procéder à davantage d’investigations. Or, dans ce contexte, il apparaît légitime que les autorités aient jugé nécessaire de protéger la victime et les témoins de tout risque de pression.

43.  Pour ce qui est du danger de fuite, la Cour rappelle que celui-ci ne peut s’apprécier sur la seule base de la gravité de la peine encourue. Il doit l’être en fonction d’un certain nombre d’autres éléments pertinents permettant, soit de confirmer l’existence d’un tel danger, soit de le faire apparaître tellement ténu qu’il ne peut justifier la détention provisoire (Panchenko c. Russie, no 45100/98, § 105, 8 février 2005). En l’espèce, les magistrats ont tenu compte de la gravité des faits reprochés et ont noté que le requérant fuyait ses responsabilités, pour conclure qu’aucune mesure de contrôle judiciaire ou de placement sous surveillance électronique ne pouvait garantir le non-renouvellement de l’infraction chez un sujet qui n’apparaissait pas conscient de la gravité de ses agissements. Les magistrats ont par ailleurs constaté dans un premier temps que le requérant n’offrait aucune garantie sérieuse de représentation ni aucune pièce justificative et ont par la suite jugé les garanties de représentation offertes par le requérant insuffisantes pour empêcher la réitération d’infractions à caractère sexuel.

44.  Concernant le risque de récidive, la Cour rappelle que la gravité d’une inculpation peut conduire les autorités judiciaires à placer et laisser le suspect en détention provisoire pour empêcher des tentatives de nouvelles infractions. Encore faut-il que les circonstances de la cause, et notamment les antécédents et la personnalité de l’intéressé, rendent plausible le danger et adéquate la mesure (Clooth c. Belgique, 12 décembre 1991, § 40, série A no 225). Des condamnations antérieures peuvent fonder une crainte raisonnable que l’accusé commette une nouvelle infraction (Selçuk c. Turquie, no 21768/02, § 34, 10 janvier 2006). En l’espèce, les magistrats ont relevé que l’information judiciaire avait permis d’établir que le requérant avait contacté de nombreuses personnes sur internet en se faisant passer pour une jeune femme afin d’obtenir de ces personnes un rendez-vous. Ils ont précisé que le requérant n’apportait pas de réponses face aux éléments matériels objectifs qui le mettaient en cause. Tenant compte de la condamnation antérieure du requérant pour agressions sexuelles commises sur un mineur, ils ont estimé qu’il y avait lieu de craindre le renouvellement d’infractions de même nature chez une personne dont la problématique était de choisir des partenaires majeurs et qui semblait incapable de maîtriser ses pulsions à l’égard de jeunes garçons.

45.  Quant au trouble à l’ordre public, la Cour rappelle qu’il est admis que, par leur gravité particulière et par la réaction du public à leur accomplissement, certaines infractions peuvent susciter un trouble social de nature à justifier une détention provisoire, au moins pendant un temps. Dans des circonstances exceptionnelles, cet élément peut donc entrer en ligne de compte au regard de la Convention, en tout cas dans la mesure où le droit interne reconnaît la notion de trouble à l’ordre public provoqué par une infraction. Cependant, on ne saurait estimer ce motif pertinent et suffisant que s’il repose sur des faits de nature à montrer que l’élargissement du détenu troublerait réellement l’ordre public. En outre, la détention ne demeure légitime que si l’ordre public reste effectivement menacé ; sa continuation ne saurait servir à anticiper sur une peine privative de liberté (Letellier c. France, 26 juin 1991, § 51, série A no 207, Vosgien c. France, no 12430/11, § 55, 3 octobre 2013). En l’espèce, la Cour observe que les juridictions ont retenu le critère de l’ordre public en soulignant la gravité et la nature de l’infraction reprochée au requérant, celui-ci apparaissant coutumier de relations sexuelles obtenues par diverses ruses déployées par moyen informatique. Ils ont indiqué que le mode opératoire avait causé un trouble indéniable à l’ordre public en ce qu’il avait pu créer un climat d’insécurité. Enfin, ils ont tenu compte de l’important préjudice causé à la victime par les faits, rappelant que celle-ci avait subi un lourd traumatisme et avait dû suivre un traitement médical contraignant contre les maladies sexuellement transmissibles.

46.  Enfin, pour autant que le requérant reproche aux autorités d’avoir utilisé des « arguments stéréotypés », la Cour note que certains motifs sont en effet repris au travers des décisions fournies. Toutefois, elle estime qu’il y a lieu de placer la présente affaire dans son contexte. Ainsi, il faut tenir compte du fait que le requérant avait multiplié ses demandes de mise en liberté, en les renouvelant parfois sans même attendre la réponse des autorités judiciaires. Certes, il ne saurait être reproché au requérant d’user de son droit d’introduire des demandes de mise en liberté, mais en en déposant vingt-sept, il devait s’attendre à ce que les motifs n’aient pas fondamentalement changé d’une décision à une autre. Par ailleurs, la Cour rappelle que les autorités ont, tout au long de la détention provisoire, pris soin de tenir compte des évolutions constatées dans le dossier et ont relaté le cheminement des investigations et les déclarations faites par le requérant.

47.  La Cour en conclut que, dans les circonstances de la présente affaire, les raisons exposées par les juridictions françaises pour refuser d’élargir le requérant constituaient des motifs « pertinents » et « suffisants ».

48.  Il reste à vérifier si les autorités judiciaires ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure.

49.  La Cour rappelle que la célérité particulière à laquelle un accusé détenu a droit dans l’examen de son cas ne doit pas nuire aux efforts des magistrats pour accomplir leur tâche avec le soin voulu (Rossi, précité, § 84). En l’espèce, la Cour ne discerne aucune période pendant laquelle les autorités n’ont pas procédé aux recherches ou à des actes d’instruction, comme l’atteste l’inventaire des nombreuses mesures d’investigation communiqué par le Gouvernement. En effet, dans le cadre de l’enquête préliminaire et de l’information judiciaire, outre l’exploitation de différents blogs et lignes de téléphone portable sur réquisition auprès d’une multitude d’opérateurs et dans le cadre d’enquêtes auprès de cybercafés, de nombreux témoins furent entendus, des perquisitions et analyses génétiques réalisées ainsi que plusieurs rapports d’expertise rédigés ; par ailleurs, le requérant et la victime furent entendus et confrontés (paragraphe 8 ci-dessus). La longueur de la détention incriminée se révèle imputable, pour l’essentiel, à la complexité de l’affaire – eu égard à la nature de l’infraction et surtout au mode opératoire utilisé qu’il s’agissait pour les autorités de déterminer – et, en partie, au comportement du requérant. Celui-ci n’avait certes pas l’obligation de coopérer avec les autorités, mais il doit supporter les conséquences que son attitude a pu entraîner dans la marche de l’instruction (Rossi, précité, § 84). Enfin, la Cour constate que la cour d’assises n’a été valablement saisie par la mise en accusation, qu’une fois cette dernière devenue définitive ; or, le requérant ayant interjeté appel de l’ordonnance du 17 juin 2011, puis formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel (paragraphe 10 ci-dessus), la fixation d’une date d’audience pour le procès en assises n’a pu être envisagée qu’au terme de ces recours. Par la suite, en amont de cette audience, différentes formalités de procédure ont dû être effectuées, le conseil du requérant ayant, par ailleurs, exercé son droit de faire citer des témoins supplémentaires (paragraphe 22 ci-dessus).

50.  Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que la détention provisoire du requérant n’a pas contrevenu aux exigences de l’article 5 § 3 de la Convention.

51.  Partant, elle conclut à l’absence de violation de cette disposition.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 5 § 3 de la Convention ;

2.  Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 30 juillet 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Milan BlaškoMark Villiger
Greffier adjointPrésident

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Textes cités dans la décision

  1. Code pénal
  2. Code de procédure pénale
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CEDH, Cour (cinquième section), AFFAIRE LOISEL c. FRANCE, 30 juillet 2015, 50104/11