CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE VAN WESENBEECK c. BELGIQUE, 23 mai 2017, 67496/10;52936/12

  • Confidentiel·
  • Recherche·
  • Accusation·
  • Témoin·
  • Défense·
  • Procès·
  • Provocation·
  • Juridiction·
  • Roi·
  • Contrôle

Chronologie de l’affaire

Commentaires4

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Lexis Veille · 2 juin 2017

www.dbfbruxelles.eu · 2 juin 2017

Saisie d'une requête dirigée contre la Belgique, la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l'homme a interprété, le 23 mai dernier, les articles 6 §1 et 6 §3 sous d), de la Convention européenne des droits de l'homme relatifs, respectivement, au droit à un procès équitable et au droit d'interroger les témoins (Van Wesenbeeck c. Belgique, requêtes n°67496/10 et 52936/12). Le requérant, ressortissant néerlandais, a fait l'objet d'une enquête comprenant le recours aux méthodes particulières d'observation et d'infiltration, étant donné qu'il était soupçonné de trafic de drogue, de …

 

www.revuedlf.com

Cet article se penche sur la conformité au droit de la Convention européenne des droits de l'homme de la législation anti-terroriste française. Au terme d'un examen approfondi, il apparaît que si les garanties procédurales de la Convention sont globalement respectées – du fait notamment de l'abaissement récent du standard conventionnel – plusieurs difficultés pourraient apparaître sur le terrain des droits substantiels, plus particulièrement concernant la conciliation entre les mesures de surveillance et le droit au respect de la vie privée. Laure Milano, Professeur à l'Université de …

 
Testez Doctrine gratuitement
pendant 7 jours
Vous avez déjà un compte ?Connexion

Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 23 mai 2017, n° 67496/10;52936/12
Numéro(s) : 67496/10, 52936/12
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Aleksandr Zaichenko c. Russie, no 39660/02, 18 février 2010
Al-Khawaja et Tahery c. Royaume-Uni [GC], nos 26766/05 et 22228/06, § 118, CEDH 2011
Allan c. Royaume Uni, no 48539/99, § 42, CEDH 2002 IX
Baltiņš c. Lettonie, no 25282/07, § 63, 8 janvier 2013
Bannikova c. Russie, no 18757/06, §§ 37-65, 4 novembre 2010
Bátěk et autres c. République tchèque, no 54146/09, § 46, 12 janvier 2017
Bricmont c. Belgique, 7 juillet 1989, § 89, série A no 158
Bykov c. Russie [GC], no 4378/02, § 93, 10 mars 2009
Donohoe c. Irlande, no 19165/08, § 80, 12 décembre 2013
Edwards et Lewis c. Royaume-Uni [GC], nos 39647/98 et 40461/98, §§ 46 et 48, CEDH 2004 X
Edwards et Lewis c. Royaume-Uni, nos 39647/98 et 40461/98, 22 juillet 2003
Fitt c. Royaume Uni [GC], no 29777/96, §§ 44-49, CEDH 2000 II
Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, §§ 162 et 175, CEDH 2010
Ibrahim et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 50541/08 et 3 autres, §§ 250-254, CEDH 2016
Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, §§ 95-97, CEDH 2006 IX
Jasper c. Royaume-Uni [GC], no 27052/95, §§ 51-56, 16 février 2000
Leas c. Estonie, no 59577/08, § 88, 6 mars 2012
Lüdi c. Suisse, 15 juin 1992, § 49, série A no 238
Lyubchenko c. Ukraine (déc.), no 34640/05, § 33, 31 mai 2016
Öcalan c. Turquie [GC], no 46221/99, § 146, CEDH 2005 IV
Przydział c. Pologne, no 15487/08, § 46, 24 mai 2016
Ramanauskas c. Lituanie [GC], no 74420/01, §§ 49-51, CEDH 2008
Rowe et Davis c. Royaume-Uni [GC], no 28901/95, CEDH 2000 II
Schatschaschwili c. Allemagne [GC], no 9154/10, §§ 101-105, CEDH 2015
S.N. c. Suède, no 34209/96, § 44, CEDH 2002 V
Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, § 84, CEDH 2010
Trifontsov c. Russie (déc .), no 12025/02, § 32, 9 octobre 2012
Van Mechelen et autres c. Pays-Bas, 23 avril 1997, §§ 56-57, Recueil des arrêts et décisions 1997-III
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Oui
Conclusions : Non-violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure pénale ; Article 6-1 - Procès équitable ; Égalité des armes) ; Non-violation de l'article 6+6-3-d - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure pénale ; Article 6-1 - Procès équitable) (Article 6 - Droit à un procès équitable ; Article 6-3-d - Interrogation des témoins)
Identifiant HUDOC : 001-173620
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2017:0523JUD006749610
Télécharger le PDF original fourni par la juridiction

Sur les parties

Texte intégral

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE VAN WESENBEECK c. BELGIQUE

(Requêtes nos 67496/10 et 52936/12)

ARRÊT

STRASBOURG

23 mai 2017

DÉFINITIF

18/09/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire van Wesenbeeck c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Işıl Karakaş, présidente,
Julia Laffranque,
Paul Lemmens,
Valeriu Griţco,
Ksenija Turković,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Georges Ravarani, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 avril 2017,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  À l’origine de l’affaire se trouvent deux requêtes (nos 67496/10 et 52936/12) dirigées contre le Royaume de Belgique et dont un ressortissant néerlandais, M. Adrianus Van Wesenbeeck (« le requérant »), a saisi la Cour le 19 novembre 2010 et le 17 juillet 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant a été représenté par Mes G.G.J. Knoops et L. Delbrouck, avocats à Amsterdam et Hasselt. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. M. Tysebaert, conseiller général, service public fédéral de la Justice.

3.  Le requérant se plaint de ne pas avoir bénéficié d’un procès équitable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention en ce que ses droits de la défense n’ont pas été respectés et de ne pas avoir pu interroger les agents infiltrés conformément à l’article 6 § 3 d).

4.  Le 18 mars 2015, ces griefs ont été communiqués au Gouvernement belge et les requêtes ont été déclarées irrecevables pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du Règlement de la Cour.

5.  Par une lettre du 23 mars 2015, le gouvernement néerlandais fut informé qu’il avait la possibilité, s’il le désirait, de présenter des observations écrites en vertu des articles 36 § 1 de la Convention et 44 du Règlement de la Cour. Le gouvernement néerlandais ne s’est pas prévalu de son droit d’intervention.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6.  Le requérant est né en 1961 et réside à Beveren.

A.  Phases d’information et d’instruction

7.  Le 10 mai 2006, le procureur du Roi de Hasselt donna, en application de l’article 28bis § 2 du code d’instruction criminelle (« CIC »), son accord préalable et écrit pour le recours à une enquête proactive à l’égard du requérant et de plusieurs autres suspects, soupçonnés, entre autres, de trafic de drogue, de participation à une organisation criminelle internationale et de blanchiment d’argent. Cette recherche proactive comprenait le recours à la méthode particulière de recherche d’infiltration. Le 1er août 2006, le procureur du Roi autorisa également le recours à la méthode particulière de recherche d’observation.

8.  Conformément aux articles 47septies § 1 et 47nonies § 1 du CIC, un dossier séparé et confidentiel fut établi (voir paragraphes 47-49, ci-dessous).

9.  L’enquête proactive se poursuivit jusqu’au 17 septembre 2008. À cette date, un procès-verbal fut dressé par l’officier de police judiciaire en charge, décrivant en forme synthétique tous les éléments recueillis dans le cadre de l’enquête proactive. Ce procès-verbal fut suivi par deux procès‑verbaux du 18 septembre 2008, l’un relatif à l’infiltration et l’autre relatif à l’observation, qui décrivirent les éléments spécifiquement recueillis à l’aide de ces mesures de recherche particulière. Ces trois procès-verbaux furent joints au dossier répressif qui, plus tard, était destiné à devenir accessible aux prévenus.

10.  Par deux décisions du 18 septembre 2008, le procureur du Roi confirma l’existence d’autorisations respectivement d’observation et d’infiltration.

11.  Le 18 septembre 2008, le procureur du Roi saisit le juge d’instruction au tribunal de première instance de Hasselt d’une instruction judiciaire. Une enquête « classique », réactive, s’en suivit sous la conduite du juge d’instruction. En plus de la poursuite des opérations d’observation et d’infiltration, usage fut fait d’écoutes téléphoniques et de l’entraide judiciaire internationale.

12.  Un procès-verbal du 25 septembre 2008 de l’officier de police judiciaire en charge mentionna les indications de l’existence d’une organisation criminelle ayant servi de base au recours à l’observation et l’infiltration au stade de la recherche proactive, ainsi que les confirmations qui avaient pu être obtenues grâce à la mise en œuvre de ces mesures particulières de recherche.

13.  Le 20 octobre 2008, le parquet fédéral reprit le dossier du parquet de Hasselt. L’instruction continua d’être menée sous la direction et l’autorité du juge d’instruction de Hasselt.

14.  Les opérations d’observation et d’infiltration s’arrêtèrent le 14 juin 2009. À cette date, plusieurs suspects, dont le requérant, furent arrêtés et mis en détention préventive.

15.  Par réquisitions écrites du procureur fédéral du 29 décembre 2009, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel d’Anvers fut chargée du contrôle, prévu par l’article 235ter du CIC, de la conformité du dossier confidentiel avec les éléments figurant dans le dossier répressif et de vérifier l’absence d’irrégularité (voir paragraphes 50-54, ci-dessous). En cours d’instance, elle fut requise par les parties de contrôler également la régularité de la procédure suivie en application de l’article 235bis du CIC (voir paragraphe 55, ci-dessous).

16.  Lors d’une audience tenue le 2 mars 2010, la chambre des mises en accusation auditionna le procureur fédéral de façon séparée et en dehors de la présence des parties. À cette occasion, le dossier confidentiel fut mis à la disposition de la chambre. Ensuite, plusieurs inculpés, dont le requérant, furent entendus, avec l’assistance de leurs avocats, dans leurs moyens de défense.

17.  Par un arrêt interlocutoire du 20 mai 2010, la chambre des mises en accusation souligna qu’en ce qui concerne le contrôle des mesures particulières de recherche, elle devait vérifier les données du dossier confidentiel, non seulement relatives à la recherche réactive, mais aussi relatives à la recherche proactive. Elle estima en outre que certaines pièces concernant les mesures de recherche particulière devaient encore être déposées au dossier répressif. Elle ordonna la réouverture des débats afin de permettre au parquet fédéral de compléter les dossiers.

18.  À la suite de cet arrêt, les décisions du 18 septembre 2008 précitées et le procès-verbal établi le 25 septembre 2008 (voir paragraphes 10 et 12, précités) furent versés au dossier répressif conformément aux articles 47septies et 47novies du CIC.

19.  Par un arrêt du 24 juin 2010, la chambre des mises en accusation considéra que le dossier répressif était complet et qu’aucune nullité, irrégularité ou violation de dispositions légales ou conventionnelles ne pouvait être retenue (voir article 235bis du CIC) ni davantage que des irrégularités aient été commises dans la mise en œuvre des méthodes particulières de recherche (voir article 235ter du CIC).

20.  Spécialement en ce qui concerne l’utilisation de ces méthodes pendant la recherche proactive, elle s’exprima notamment en ces termes :

« La recherche proactive, y compris les méthodes particulières de recherche d’observation et d’infiltration, satisfait aux conditions des articles 28bis, 47sexies et 47octies du Code d’instruction criminelle. Les indices sérieux des faits mis à charge et la suspicion raisonnable définie à l’article 28bis du Code d’instruction criminelle étaient réunis et ressortent [des procès-verbaux des 25, 17 et 18 septembre 2008].

Ces procès-verbaux des 17 et 18 septembre 2008 permettent également de considérer que la limite dite supérieure de la recherche proactive a été respectée. Il a alors été conclu, d’une part, que la vue d’ensemble était suffisamment établie et, d’autre part, que des indices suffisamment concrets avaient été réunis pour lancer une recherche réactive. Ces indices concrets ont été traduits dans les conclusions écrites en réponse et de synthèse du ministère public. Dans ce contexte, le fait de trouver un code de chargement laissé par V.W. le 15 août 2008 a été déterminant.

Ces mêmes procès-verbaux démontrent que les méthodes particulières de recherche mises en œuvre au cours de la recherche proactive répondent aux conditions de proportionnalité et de subsidiarité. »

21.  Quant à la circonstance que le requérant n’avait pas accès au dossier confidentiel, la juridiction d’instruction rappela qu’en droit belge, conformément à la jurisprudence de la Cour, le droit d’accès au dossier n’était pas absolu et que l’objectif d’assurer la protection de l’intégrité physique des personnes participant à des méthodes particulières de recherche, était légitime et important afin que leur anonymat soit assuré tant à l’égard de la défense que des tiers et que l’efficacité des techniques utilisées soit garantie pour l’avenir. La chambre des mises en accusation conclut que, conformément à la volonté du législateur dans les affaires de grande criminalité, grâce au contrôle qu’elle avait exercé sur le dossier confidentiel et au fait que, sur la base du dossier répressif ouvert, les inculpés avaient pu soulever tous les moyens de droit relatifs à l’usage des méthodes particulières de recherche, les droits de la défense et le droit à un procès équitable avaient été respectés.

22.  Le pourvoi en cassation formé par le requérant contre l’arrêt du 24 juin 2010 fut rejeté par un arrêt de la Cour de cassation du 21 septembre 2010. Invoquant l’article 6 de la Convention, le requérant se plaignait que le dossier pénal ne contenait pas le rapport sur base duquel le procureur du Roi avait ouvert une enquête proactive, le 10 mai 2006, ni les documents relatifs à cette enquête proactive. Ces moyens furent rejetés au motif qu’ils nécessitaient une appréciation en fait à laquelle la Cour de cassation ne pouvait procéder.

23.  Par une ordonnance de la chambre du conseil du tribunal de première instance de Hasselt du 29 septembre 2010, dix-sept prévenus, dont le requérant, furent renvoyés devant la juridiction de jugement.

B.  Procédure devant les juridictions du fond

24.  Le 16 mars 2011, le requérant fut condamné à dix années d’emprisonnement et une amende de 137 500 euros par le tribunal de première instance de Hasselt pour trafic de drogue, participation à une organisation criminelle internationale et blanchiment d’argent. Il ressort du jugement de près de 160 pages que l’établissement des faits résulte en partie d’éléments recueillis grâce aux méthodes particulières de recherche.

25.  Aux allégations du requérant mettant en cause la légalité et la régularité des méthodes particulières de recherche utilisées pendant l’enquête proactive, le tribunal opposa que la chambre des mises en accusation de la cour d’appel d’Anvers avait opéré un contrôle très complet non seulement de l’enquête proactive et de la régularité des méthodes d’observation et d’infiltration mises en œuvre, mais également de l’enquête réactive. Il rappela que la chambre des mises en accusation avait jugé que la mise en œuvre de ces mesures remplissait les conditions légales, et considéra que les juridictions de jugement ne pouvaient apprécier ni la légalité ou la régularité de ces méthodes ni les décisions de la juridiction d’instruction prises dans le cadre de ce contrôle. Cela étant, le tribunal examina en détail la pertinence et la valeur probante des éléments de preuve obtenus grâce à l’observation et l’infiltration.

26.  Le requérant dénonçait le fait qu’il n’avait pas eu accès aux éléments issus de l’enquête proactive ni aux pièces du dossier confidentiel concernant les méthodes de recherche. Le tribunal répondit qu’il n’avait pas davantage eu accès à ces éléments, rappela que ces données ne pouvaient servir à la charge des prévenus et que les éventuels inconvénients qui en auraient résulté pour la défense avaient été compensés par le contrôle opéré par la chambre des mises en accusation et par la circonstance que la défense avait pu soulever tous les moyens de droit pour contester l’usage des méthodes de recherche.

27.  En ce qui concerne la demande faite par le requérant d’une confrontation avec les agents infiltrés, le tribunal se prononça comme suit :

« En tenant compte de la procédure suivie, de la procédure relative aux méthodes particulières de recherche menée devant la chambre des mises en accusation, de l’instruction à l’audience, des pièces en présence, du fait que deux agents sous couverture ont dressé un rapport et que leurs résultats ont pu être comparés, du fait que les prévenus ont pu citer des témoins et qu’ainsi, à la requête notamment du [requérant] et du deuxième prévenu, des témoins ont été entendus concernant les déclarations du [requérant] à propos des agents sous couverture, et du fait que le tribunal et les prévenus ont pu confronter les rapports relatifs aux découvertes des agents sous couverture à des éléments objectifs, notamment les biens découverts lors des perquisitions (p.ex. la carte), la conversation entre l’agent sous couverture Billy et le [requérant], des messages sms (p.ex. entre le [requérant] et Billy) et des conversations téléphoniques (p.ex. la conversation avec le troisième prévenu), le tribunal estime qu’il n’est pas nécessaire pour la recherche de la vérité ni pour l’exercice du droit de la défense ou la garantie du procès équitable que les agents sous couverture soient entendus.

(...)

En outre, il faut tenir compte de l’aspect de la sécurité des agents d’infiltration et de l’importance de l’anonymat, également, le cas échéant, dans la perspective de leur déploiement dans d’autres affaires. En l’espèce, cela est encore plus important du fait que l’infiltration a eu lieu pendant plusieurs années et que des liens d’amitié se sont tissés entre les infiltrés et plusieurs prévenus ainsi que leurs partenaires. Au cours de l’enquête préliminaire, il semble que des photos des agents infiltrés aient été publiées sur l’internet pour alerter les autres sur le fait qu’ils étaient infiltrés. Compte tenu de la relation d’amitié qui s’est construite et du contenu de certaines conversations téléphoniques (y compris celles entre le [requérant] et le troisième prévenu), (...), le risque de représailles est très réel.

(...)

Enfin, il est à noter qu’il n’apparaît pas clairement quelles questions spécifiques l’on voudrait demander aux agents infiltrés. En ce qui concerne le [requérant] et le deuxième prévenu, il est seulement question de poser des questions à l’agent infiltré Billy sur la récupération du code de charge qui aurait été jeté par le [requérant]. Cependant, la thèse de l’agent infiltré sur ce point ressortant déjà du rapport qui a été inclus dans le dossier répressif ouvert, il n’est pas utile d’entendre l’agent infiltré sur cette question. La chambre des mises en accusation, qui est une juridiction indépendante, a considéré que les rapports correspondaient au dossier confidentiel. Les prévenus ont la possibilité de présenter à l’audience leurs arguments sur la récupération du code de charge, et de contredire la version de l’agent infiltré. »

28.  Au moyen de défense selon lequel le requérant n’avait pas été en mesure de contrôler s’il y avait eu incitation à commettre des infractions de la part d’un agent infiltré, le tribunal répondit en ces termes :

« En l’espèce, l’agent infiltré a seulement agi concernant le fait visé au point C de l’acte d’accusation. [Ce fait] date de janvier à juin 2009, alors que l’enquête judiciaire avait déjà commencé le 18 septembre 2008. Sur la base, entre autres, des rapports réguliers sur l’infiltration qui ont été consignés au cours de l’enquête judiciaire et des messages texte et appels téléphoniques interceptés, les accords et transactions relatives à ces faits ainsi que les opérations préalables [ont été] contrôlées. Ces données montrent qu’il n’y a pas eu d’incitation. Ceci est d’ailleurs confirmé par le fait que d’autres faits de possession, de vente, d’importation et d’exportation de stupéfiants ou de substances psychotropes, dans lesquels les agents infiltrés n’ont pris aucune part, ont été retenus. »

29.  Le 23 juin 2011, la cour d’appel d’Anvers, in absentia, confirma le jugement de première instance.

30.  Saisie sur opposition, ladite juridiction rendit un arrêt contradictoire le 13 octobre 2011, confirmant dans les mêmes termes que sa première décision, le jugement de première instance. Comme il l’avait fait devant le tribunal de première instance, le requérant avait demandé à la cour d’appel de confronter les agents infiltrés afin de vérifier la fiabilité de leurs déclarations. La cour d’appel rejeta la demande en se référant aux motifs du jugement entrepris. Elle ajouta qu’elle n’attachait qu’une valeur probante relative aux déclarations des agents infiltrés et que la découverte de la vérité et l’établissement de la culpabilité résultaient également d’autres éléments de preuve. Elle souligna en outre que, le requérant ayant refusé de comparaître en première instance et en appel, la demande de confrontation était plutôt théorique.

31.  Sur pied notamment de l’article 6 de la Convention, le requérant saisit la Cour de cassation d’un pourvoi contre cet arrêt. Comme il l’avait fait devant la cour d’appel, il invoqua une violation du droit à un procès équitable, des droits de la défense et du principe du contradictoire, se plaignant plus précisément du fait que les juges du fond avaient fait usage d’éléments recueillis pour le condamner alors que ceux-ci ressortaient du dossier confidentiel, lequel n’avait pas été porté à la connaissance de la défense ni au cours de l’instruction judiciaire ni au cours de l’instruction sur le fond. Enfin, il reprochait à la cour d’appel d’avoir rejeté sa demande de confrontation avec les agents infiltrés.

32.  Par un arrêt du 20 mars 2012, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Elle rejeta le moyen relatif à l’accès au dossier confidentiel en ces termes :

« Le fait que, également au cours de l’instruction sur le fond, l’inculpé ne puisse pas consulter le dossier confidentiel, ne constitue pas en soi une violation de l’article 6 de la [Convention]. Cela constitue certes pour l’inculpé une restriction de ses droits de défense mais elle est justifiée par la nécessité de protéger les moyens techniques utilisés et les techniques d’enquête policière et de garantir la sécurité et l’anonymat des personnes qui l’exercent.

Cette restriction du droit au contradictoire demeure exceptionnelle tout au long du procès et est compensée par le fait que la régularité des méthodes de recherche mises en œuvre est contrôlée par une juridiction indépendante et impartiale, en l’occurrence la chambre des mises en accusation, qui constate souverainement que les éléments du dossier répressif, parmi lesquels le procès-verbal de mise en œuvre et [ceux] de l’instruction proactive, correspondent aux éléments du dossier confidentiel.

Sur la base du dossier répressif, le prévenu peut également invoquer devant le juge du fond tous moyens de droit contre les méthodes de recherche mises en œuvre.

Tenant compte du fait que les pièces du dossier confidentiel ne peuvent être utilisées à titre de preuve, il n’est pas porté atteinte au droit de défense de l’inculpé.

Dans cette mesure, le moyen manque en droit. »

33.  En ce qui concerne la confrontation avec les agents infiltrés, la Cour de cassation fit en premier lieu valoir ce qui suit :

« L’article 6 § 3 d) de la [Convention] garantit le droit du prévenu de citer des témoins à charge ou à décharge ; cette disposition n’empêche pas le juge d’apprécier souverainement la nécessité et la pertinence d’une audition de témoin demandée et de rejeter cette demande, pour autant qu’il ne viole pas le droit des parties de fournir une telle preuve.

Dans cette mesure, le moyen manque en droit. »

34.  Pour le reste, la Cour de cassation considéra que les juges d’appel avaient légalement justifié leur décision et qu’en adoptant les motifs du jugement dont appel, en particulier ceux concernant la provocation alléguée, les juges d’appel avaient répondu à la défense spécifique du requérant y relative.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A.  Les recherches proactive et réactive

35.  L’enquête conduite par le ministère public, tant proactive (quand des faits punissables n’ont pas encore eu lieu ou ne sont pas encore connus) ou réactive (quand des faits punissables ont eu lieu) s’appelle « information ». L’enquête conduite par le juge d’instruction, toujours réactive, s’appelle « instruction ».

36.  La recherche proactive peut être autorisée par le ministère public, dans le cadre de l’ « information ». Elle est régie par l’article 28bis § 2 du CIC. Elle est menée sous la direction et le contrôle du procureur du Roi (ou du procureur fédéral). Elle consiste, dans le but de permettre la poursuite d’auteurs d’infractions, en la recherche, la collecte, l’enregistrement et le traitement de données et d’informations sur la base d’une suspicion raisonnable que des faits punissables vont être commis ou ont été commis mais qui ne sont pas encore connus et qui sont ou seraient commis dans le cadre d’une organisation criminelle telle qu’elle est définie par la loi, ou constitueraient un crime ou un délit spécialement visé par la loi.

37.  Pour entamer une enquête proactive, l’autorisation écrite et préalable du procureur du Roi est requise par la disposition précitée du CIC.

38.  Les méthodes particulières de recherche (voir paragraphes 40-41, ci‑dessous) qui seraient appliquées dans le cadre d’enquêtes proactives sont soumises aux conditions générales, mentionnées ci-dessus (paragraphe 36), auxquelles toute enquête proactive est subordonnée (Cour constitutionnelle, arrêt no 202/2004 du 21 décembre 2004, point B.4.4).

B.  Les méthodes particulières de recherche

39.  Aux termes de l’article 47ter § 1er du CIC, les méthodes particulières de recherche sont l’observation, l’infiltration et le recours aux indicateurs. Il ne sera question ci-après que des deux premières techniques.

1.  Notions

40.  L’article 47sexies § 1 du CIC définit l’observation comme étant l’observation systématique, par un fonctionnaire de police, d’une ou plusieurs personnes, de leur présence ou de leur comportement, ou de choses, de lieux ou d’évènements déterminés. Il s’agit d’une observation de plus de cinq jours consécutifs ou de plus de cinq jours non consécutifs répartis sur un mois, d’une observation dans le cadre de laquelle des moyens techniques sont utilisés, d’une observation revêtant un caractère international ou d’une observation exécutée par des unités spécialisées de la police fédérale.

41.  Selon l’article 47octies § 1 du CIC, l’infiltration est le fait pour un fonctionnaire de police, appelé infiltrant, d’entretenir sous une identité fictive, des relations durables avec une ou plusieurs personnes concernant lesquelles il existe des indices sérieux qu’elles commettent ou commettraient des infractions dans le cadre d’une organisation criminelle ou de certains crimes et délits.

2.  Conditions générales

42.  Toute observation ou infiltration dans le cadre d’une information requiert l’autorisation du procureur du Roi qui ne peut prendre la mesure que si les nécessités de l’enquête l’exigent et si les autres moyens d’investigation ne peuvent suffire à la manifestation de la vérité (principe de subsidiarité) (articles 47sexies § 2 et 47octies § 2 du CIC).

L’observation et l’infiltration peuvent également être autorisées par le juge d’instruction dans le cadre d’une instruction. Ces autorisations sont alors exécutées par le procureur du Roi, conformément aux règles applicables dans le cadre d’une instruction (article 56bis du CIC).

43.  S’il est fait appel à des moyens techniques, l’observation ne peut être autorisée que lorsqu’il existe des indices sérieux que les infractions sont de nature à entraîner un emprisonnement correctionnel principal d’un an au moins (article 47sexies § 2 du CIC).

44.  Les autorisations sont octroyées à durée limitée (un mois pour l’observation et trois mois pour l’infiltration) et peuvent, à tout moment, être modifiées, complétées ou prolongées (articles 47sexies §§ 3, 5o, et 6, et 47octies §§ 3, 5o, et 6 du CIC). Ces décisions donnent lieu à l’établissement de trois écrits :

–  l’autorisation elle-même qui est versée au dossier confidentiel (voir paragraphe 47, ci‑dessous) (articles 47sexies § 3, 47septies § 2, 47octies § 3 et 47novies § 2 du CIC) ;

–  un procès-verbal dressé par l’officier de police judiciaire en charge qui fait référence à l’autorisation et qui fait mention d’une partie du contenu de celle-ci (état des indices sérieux de l’infraction, motifs de la mesure, personnes, choses ou lieux visés et durée) ; ce procès-verbal est versé au dossier « ouvert » de la procédure (articles 47septies § 2 et 47novies § 2 du CIC) ;

–  la décision écrite par laquelle le magistrat compétent confirme l’existence de l’autorisation ; cette décision est versée au dossier « ouvert » de la procédure (articles 47septies § 2 et 47novies § 2 du CIC).

45.  La mise en œuvre des mesures est confiée à un officier de police judiciaire qui rédige deux sortes d’écrit :

–  des rapports intégraux qu’il transmet au procureur du Roi sur chaque phase de l’exécution des mesures ; ces rapports sont versés au dossier confidentiel (voir paragraphes 47-49, ci-dessous) (articles 47septies § 1 et 47novies § 1 du CIC) ;

–  des procès-verbaux des différentes phases des mesures d’où sont écartés les éléments susceptibles de compromettre les moyens techniques et les techniques d’enquête policière utilisés ou la garantie de sécurité et de l’anonymat des personnes impliquées dans la mesure ; ces procès-verbaux sont versés au dossier répressif, « ouvert », de la procédure (articles 47septies § 2 et 47novies § 2 du CIC).

46.  La provocation est interdite. Il y a provocation lorsque, dans le chef de l’auteur, l’intention délictueuse est directement née ou est renforcée, ou est confirmée alors que l’auteur voulait y mettre fin, par l’intervention d’un fonctionnaire de police ou d’un tiers agissant à la demande expresse de ce fonctionnaire. Il s’agit d’une cause d’irrecevabilité de l’action publique (article 30 du Titre préliminaire du CIC).

3.  Dossier confidentiel

47.  La mise en œuvre d’une mesure d’observation ou d’infiltration implique l’ouverture et la tenue d’un dossier séparé et confidentiel. Celui-ci contient l’autorisation de recourir à ces techniques, autorisation qui mentionne les indices qui justifient le recours à la méthode, les motifs pour lesquels elle est indispensable, le nom ou la description des personnes visées, la manière dont la méthode sera exécutée, la période au cours de laquelle elle peut l’être et le nom et la qualité de l’officier de police judiciaire qui dirige l’opération (articles 47sexies § 3 et 47octies § 3 du CIC). Il contient aussi l’autorisation accordée par le procureur du Roi aux fonctionnaires de police de commettre certaines infractions lors de l’exécution de la méthode de recherche (articles 47sexies § 4 et 47octies § 4 du CIC), les décisions de modification, d’extension ou de prolongation de l’autorisation (articles 47septies § 2 et 47novies § 2 du CIC), et les rapports faits par l’officier de police judiciaire au procureur du Roi sur chaque phase de l’exécution de la méthode (articles 47septies § 1 et 47novies § 1 du CIC).

48.  Le dossier confidentiel est couvert par le secret professionnel. En règle, seul le procureur du Roi a accès au dossier confidentiel. Toutefois, lorsqu’une instruction est ouverte, le juge d’instruction a le droit de consulter à tout moment le dossier confidentiel mais il ne peut en faire mention dans le cadre de l’instruction. Il en est de même de la chambre des mises en accusation dans le cadre du contrôle de la régularité des méthodes particulières de recherche (voir paragraphes 50-54, ci-dessous) (articles 47septies § 1 et 47novies § 1 du CIC).

49.  Il a été souligné dans les travaux préparatoires des dispositions pertinentes du CIC que les données du dossier confidentiel qui n’appartiennent pas au dossier répressif ne peuvent servir de preuve au détriment du prévenu (rapport au nom de la Commission de la Justice, Documents parlementaires, Chambre, 2005-2006, DOC 51-2055/005, pp. 66-67).

C.  Le contrôle de la chambre des mises en accusation

50.  L’article 235ter § 1 du CIC confie à une juridiction d’instruction, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel, sur réquisition du ministère public, le soin de contrôler, à la clôture de l’information ou à la fin de l’instruction par le juge d’instruction, la régularité des méthodes d’observation et d’infiltration mises en œuvre, sur la base du rapport confidentiel (Cour de cassation, 18 décembre 2007, P.07.1332.N). À l’occasion de ce contrôle, la chambre des mises en accusation peut également vérifier si se trouvent dans le dossier confidentiel des pièces qui doivent faire partie du dossier répressif et qui n’y figurent pas (voir Cour de cassation, 25 septembre 2007, P.07.0677.N).

51.  Dans ce cadre, les magistrats de la chambre des mises en accusation ont accès au dossier confidentiel à charge pour le président de celle-ci de prendre les mesures nécessaires pour en assurer la protection (article 235ter § 3 du CIC).

52.  La juridiction d’instruction doit entendre, de manière séparée, le procureur général, les parties civiles et l’inculpé ; elle peut aussi entendre, de façon séparée, le juge d’instruction et l’officier de police judiciaire impliqués dans le cadre des méthodes particulières de recherche d’observation et d’infiltration (article 235ter § 2 du CIC).

53.  L’arrêt de la chambre des mises en accusation ne peut pas faire mention du contenu du dossier confidentiel ni du moindre élément susceptible de compromettre les moyens techniques et les techniques d’enquête policière utilisés ou la garantie de la sécurité et de l’anonymat des fonctionnaires de police chargés de l’exécution des mesures (article 235ter § 4 du CIC).

54.  Dès que la chambre des mises en accusation a contrôlé la mise en œuvre des méthodes particulières d’infiltration et d’observation, sa décision lie la juridiction de jugement (Cour de cassation, 3 mars 2009, P.09.0079.N, et Cour de cassation, 28 mai 2014, P.14.0424.F).

55.  L’article 235bis du CIC dispose que, notamment lors du « règlement de la procédure » après une instruction judiciaire, la chambre des mises en accusation contrôle, soit sur la réquisition du ministère public ou à la requête d’une des parties, soit d’office, la régularité de la procédure qui lui est soumise. Ce contrôle est exercé contradictoirement, sur la base du dossier répressif. Sur ces points il se distingue du contrôle de la mise en œuvre des méthodes particulières de recherche d’observation et d’infiltration, en application de l’article 235ter du CIC, qui n’est pas contradictoire et qui s’exerce sur la base du dossier confidentiel. Il se peut que la chambre des mises en accusation décide, à l’occasion du contrôle en application de l’article 235ter du CIC, de procéder également à l’examen de la régularité de l’ensemble des mesures d’instruction d’observation et d’infiltration, en application de l’article 235bis du CIC, Dans un tel cas, qui s’est présenté en l’espèce, elle doit respecter le caractère contradictoire de la procédure pour cette dernière partie de son contrôle.

EN DROIT

I.  JONCTION DES REQUETES

56.  La Cour constate que les deux requêtes concernent différentes phases de la même procédure pénale. Partant, compte tenu de la similitude des requêtes quant aux faits et aux questions de fond qu’elles posent, la Cour décide, en application de l’article 42 § 1 de son règlement et dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, de joindre ces requêtes.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 §§ 1 ET 3 d) DE LA CONVENTION

57.  Le requérant se plaint d’un défaut d’équité de la procédure au motif qu’à aucun moment de la procédure, il n’a eu accès au dossier confidentiel et n’a pu interroger ou faire interroger les agents infiltrés. Il invoque l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention qui, dans ses parties pertinentes, est ainsi formulé :

« 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.

(...)

« 3.  Tout accusé a droit notamment à :

(...)

d)  interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge. »

58.  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

A.  Sur le non-accès au dossier confidentiel

1.  Sur la recevabilité

59.  La Cour constate que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. La Cour la déclare dès lors recevable.

2.  Sur le fond

a)  Thèses des parties

60.  Le requérant met en cause l’existence d’un dossier séparé et confidentiel tenu par l’accusation et se plaint que n’ayant pas eu accès à ce dossier, il a été empêché de vérifier si le recours aux méthodes particulières de recherche d’observation et d’infiltration l’a été dans le respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité et si les agents infiltrés n’ont pas eu recours à la provocation. Il estime que ni le contrôle effectué par la chambre des mises en accusation, juridiction d’instruction, de la régularité de la mise en œuvre des méthodes particulières de recherche, ni le versement au dossier répressif de certaines pièces, n’étaient des mesures venant adéquatement compenser ces limitations. En outre, il se plaint que postérieurement à ce contrôle, il n’y a plus de possibilité de faire valoir des irrégularités devant les juges du fond, lesquels sont liés par la décision de la chambre des mises en accusation.

61.  Le Gouvernement est d’avis que le droit belge assure un équilibre entre les exigences d’équité et de sécurité conforme aux exigences de la Convention. Il estime que la limitation des droits de la défense est strictement proportionnée à l’importance des objectifs à atteindre, à savoir combattre les différentes formes de criminalité grave et garantir la protection de l’identité de l’agent infiltré. Cette limitation est suffisamment compensée, selon lui, par les garanties entourant la procédure suivie devant la chambre des mises en accusation.

b)  Appréciation de la Cour

i.  Principes généraux pertinents

62.  La Cour rappelle que le droit à un procès équitable consacré par l’article 6 § 1 de la Convention ne souffre aucune dérogation ; toutefois, la définition de cette notion ne saurait être soumise à une règle unique et invariable mais elle est au contraire fonction des circonstances propres à chaque affaire. Lorsqu’elle examine un grief tiré de l’article 6 § 1, la Cour doit essentiellement déterminer si la procédure pénale a globalement revêtu un caractère équitable (voir, parmi d’autres, Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, § 84, CEDH 2010, Schatschaschwili c. Allemagne [GC], no 9154/10, § 101, CEDH 2015, et Ibrahim et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 50541/08 et 3 autres, § 250, CEDH 2016).

63.  Les exigences générales d’équité posées à l’article 6 s’appliquent à toutes les procédures pénales, quel que soit le type d’infraction concerné. Il est hors de question que les droits tenant à l’équité du procès soient atténués pour la seule raison que les personnes concernées sont soupçonnées de faire parti d’une organisation criminelle. Il reste que, pour déterminer si la procédure dans son ensemble a été équitable, le poids de l’intérêt public à la poursuite de l’infraction particulière en question et à la sanction de son auteur peut être pris en considération (voir, mutatis mutandis, Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, § 97, CEDH 2006‑IX, et Ibrahim et autres, précité, § 252).

64.  La Cour est consciente des difficultés inhérentes au travail d’enquête et d’investigation de la police, chargée de rechercher et recueillir les éléments de preuve des infractions commises. Pour y parvenir, les enquêteurs doivent recourir de plus en plus souvent, notamment dans le cadre de la lutte contre le crime organisé, aux agents infiltrés, aux informateurs et aux pratiques « sous couverture ». La Cour a jugé que le recours à de telles méthodes – et en particulier les techniques d’infiltration − ne saurait en lui-même emporter violation du droit à un procès équitable (Ramanauskas c. Lituanie [GC], no 74420/01, §§ 49-51, CEDH 2008). Toutefois, les préoccupations d’intérêt général ne sauraient justifier des mesures vidant de leur substance même les droits de la défense d’un requérant (Jalloh, précité, § 97, Bykov c. Russie [GC], no 4378/02, § 93, 10 mars 2009, Aleksandr Zaichenko c. Russie, no 39660/02, § 39, 18 février 2010, et Ibrahim et autres, précité, § 252).

65.  De plus, il y a lieu de rappeler que la tâche de la Cour, conformément à l’article 19 de la Convention, consiste à s’assurer du respect des engagements pris par les États parties à la Convention. Il ne lui appartient donc pas de se prononcer, par principe, sur la recevabilité des éléments de preuve retenus par les juridictions internes pour établir la culpabilité du requérant (voir, mutatis mutandis et parmi d’autres, Allan c. Royaume‑Uni, no 48539/99, § 42, CEDH 2002‑IX, Jalloh, précité, § 95, Bykov, précité, § 89, et Ibrahim et autres, précité, § 254). Si la Convention garantit en son article 6 le droit à un procès équitable, elle ne réglemente en effet pas la recevabilité des preuves en tant que telles, matière qui relève au premier chef du droit interne et des juridictions nationales (Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, §§ 162 et 175, CEDH 2010, Al-Khawaja et Tahery c. Royaume-Uni [GC], nos 26766/05 et 22228/06, § 118, CEDH 2011).

66.  La Cour, quant à elle, doit, pour mener à bien sa tâche, déterminer si la procédure pénale a globalement revêtu un caractère équitable (voir paragraphe 62, ci-dessus). Pour ce faire, elle envisage la procédure dans son ensemble, y compris la manière dont les éléments de preuve ont été recueillis, et vérifie le respect non seulement des droits de la défense mais aussi de l’intérêt du public et des victimes à ce que les auteurs de l’infraction soient dûment poursuivis ainsi que, si nécessaire, des droits des témoins (Al-Khawaja et Tahery, précité, § 118, et Schatschaschwili, précité, § 101).

67.  Dans ce contexte, la Cour rappelle que tout procès pénal, y compris ses aspects procéduraux, doit revêtir un caractère contradictoire et garantir l’égalité des armes entre l’accusation et la défense : c’est là un des aspects fondamentaux du droit à un procès équitable. En matière pénale, le droit à un procès contradictoire implique, pour l’accusation comme pour la défense, la faculté de prendre connaissance des observations ou éléments de preuve produits par l’autre partie, ainsi que de les discuter (Jasper c. Royaume-Uni [GC], no 27052/95, § 51, 16 février 2000, Rowe et Davis c. Royaume-Uni [GC], no 28901/95, § 60, CEDH 2000‑II, Fitt c. Royaume‑Uni [GC], no 29777/96, § 44, CEDH 2000‑II, Edwards et Lewis c. Royaume-Uni [GC], nos 39647/98 et 40461/98, §§ 46 et 48, CEDH 2004‑X, et Öcalan c. Turquie [GC], no 46221/99, § 146, CEDH 2005‑IV). De surcroît, l’article 6 exige que les autorités de poursuite communiquent à la défense toutes les preuves pertinentes en leur possession, à charge comme à décharge (Jasper, Rowe et Davis, Fitt, et Edwards et Lewis, précités).

68.  Cela dit, le droit à une divulgation des preuves pertinentes n’est pas absolu. Dans une procédure pénale donnée, il peut y avoir des intérêts concurrents – tels que la sécurité nationale ou la nécessité de protéger des témoins risquant des représailles ou de garder secrètes des méthodes policières de recherche des infractions – qui doivent être mis en balance avec les droits de l’accusé. Dans certains cas, il peut être nécessaire de dissimuler certaines preuves à la défense de façon à préserver les droits fondamentaux d’un autre individu ou à sauvegarder un intérêt public important. Toutefois, seules sont légitimes au regard de l’article 6 § 1 les mesures restreignant les droits de la défense qui sont absolument nécessaires. De plus, si l’on veut garantir un procès équitable à l’accusé, toutes difficultés causées à la défense par une limitation de ses droits doivent être suffisamment compensées par la procédure suivie devant les autorités judiciaires (Jasper, précité, § 52, Rowe et Davis, précité, § 61, Fitt, précité, § 45, et Edwards et Lewis, précité, §§ 46 et 48 ; voir également Al‑Khawaja et Tahery, précité, § 145).

ii.  Application de ces principes à la présente espèce

69.  La Cour observe que la requête pose la question de savoir si, telles qu’elles sont organisées en droit belge, la tenue d’un dossier, séparé et confidentiel, consignant les autorisations et rapports de mise en œuvre de méthodes particulières de recherche (observation et infiltration en l’espèce) et l’impossibilité pour la défense de le consulter tout au long de la procédure – pendant l’information par le ministère public, l’instruction judiciaire et le procès au fond – est compatible avec les exigences de l’article 6 § 1 de la Convention et les droits de la défense en particulier.

70.  Tout d’abord, la Cour relève, à l’examen des dispositions pertinentes du code d’instruction criminelle (voir paragraphes 50-55, ci-dessus) et ainsi que cela a été rappelé par les juridictions internes en l’espèce (voir paragraphe 27, ci-dessus), que la raison d’être du dossier confidentiel est la nécessité de protéger l’anonymat et donc la sécurité des agents infiltrés et de garder secrètes les méthodes utilisées. La Cour rappelle que ce motif est conforme à sa jurisprudence (voir paragraphe 68, ci-dessus).

71.  La Cour note ensuite que le législateur belge a limité les éléments qui figurent dans le dossier confidentiel, et qui ne peuvent être consultés par les parties, à ceux qui sont de nature à compromettre l’identité et la sécurité des personnes concernées et l’utilisation même des méthodes particulières de recherche (voir paragraphes 44 et 45, ci-dessus).

72.  La Cour en déduit que toutes les autres informations doivent figurer dans le dossier répressif. Celui-ci contient en effet des renseignements concernant la mise en œuvre et la nature des méthodes de recherche utilisées, les motifs justifiant cette utilisation et les étapes de leur mise en œuvre, éléments sur la base desquels la défense a la possibilité d’invoquer, dans le cadre d’une procédure contradictoire, tous les moyens légaux à l’encontre des méthodes de recherche utilisées, y compris, le cas échéant, des moyens relatifs à la provocation. Il s’agit là, selon la Cour, de garanties fondamentales (voir, a contrario, Edwards et Lewis c. Royaume-Uni, nos 39647/98 et 40461/98, § 58, 22 juillet 2003, et Leas c. Estonie, no 59577/08, § 88, 6 mars 2012).

73.  Le requérant se plaint que le dossier confidentiel est tenu par le ministère public. Il revient en effet à l’officier de police judiciaire chargé de diriger l’exécution de l’observation ou de l’infiltration de trier parmi les éléments des rapports confidentiels de la police ceux qui peuvent apparaître dans les procès-verbaux qui sont ensuite versés au dossier répressif (voir paragraphe 44, ci-dessus).

74.  La Cour rappelle, à cet égard, avoir jugé contraire à l’article 6 § 1 de la Convention un système dans lequel l’accusation, sans l’accord du juge du fond de première instance et à son insu, pouvait décider que certaines preuves pertinentes pour la défense étaient couvertes par une immunité d’intérêt public (Rowe et Davis, précité, §§ 36-37 et 63-67). Elle estime qu’à la différence de cette affaire, dans laquelle elle avait considéré que le contrôle judiciaire opéré par la juridiction d’appel n’avait pas été suffisant pour remédier à la situation (ibidem), en droit belge, le contrôle judiciaire est effectué par la chambre des mises en accusation de la cour d’appel, lorsqu’elle est chargée de contrôler la régularité de la mise en œuvre des méthodes particulières de recherche. Il reste à voir si ce contrôle présente des garanties suffisantes.

75.  La Cour examine, pour commencer, la portée du contrôle exercé sur le dossier confidentiel par la chambre des mises en accusation.

76.  En l’espèce, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel d’Anvers, a, après avoir consulté le dossier confidentiel, ordonné par son arrêt du 20 mai 2010 que ce dossier soit complété avec les documents confidentiels relatifs à la recherche proactive, et que certains éléments relatifs à cette recherche soient ajoutés au dossier répressif ouvert. Cette démarche s’est soldée notamment par l’ajout au dossier répressif des décisions du procureur du Roi du 18 septembre 2008 confirmant l’existence d’autorisations d’observation et d’infiltration et du procès-verbal du 25 septembre 2008 relatif à ces autorisations (voir paragraphe 18, ci‑dessus). Au final, la chambre des mises en accusation a décidé par son arrêt du 24 juin 2010 que, dans le cadre du contrôle sur la base des articles 235bis et 235ter du CIC, le dossier répressif était complet et qu’aucune nullité, irrégularité ou violation de dispositions légales ou conventionnelles ne pouvait être retenue ni davantage que des irrégularités aient été commises dans la mise en œuvre de la recherche proactive ou des méthodes particulières de recherche (voir paragraphe 19, ci-dessus).

77.  Le requérant soutient que le contrôle ainsi opéré n’a pas permis l’appréciation par un juge de la nécessité ou de l’opportunité d’une divulgation à la défense des informations figurant dans le dossier confidentiel.

78.  La Cour constate cependant que la chambre des mises en accusation a estimé en l’espèce, dans son arrêt du 24 juin 2010, que le dossier répressif était complet. Elle a donc pu examiner si des éléments figurant dans le dossier confidentiel, plus particulièrement des éléments qui n’étaient pas de nature à compromettre les moyens techniques et les techniques d’enquête policière utilisées ou la garantie de la sécurité et de l’anonymat des fonctionnaires de police chargés de l’exécution de l’observation ou de l’infiltration, ne devaient pas faire partie du dossier répressif, alors qu’ils ne s’y trouvaient pas. La juridiction d’instruction avait donc à sa disposition tous les éléments pour considérer, de manière indépendante et impartiale, que le dossier répressif, parmi lesquels devaient figurer le procès-verbal de mise en œuvre et les éléments non-confidentiels de l’instruction proactive, correspondait aux éléments du dossier confidentiel (voir, a contrario, Baltiņš c. Lettonie, no 25282/07, § 63, 8 janvier 2013).

79.  Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que le contrôle par la chambre des mises en accusation, juridiction indépendante et impartiale, sur l’état complet du dossier répressif, et donc indirectement sur la nécessité de tenir les données du dossier confidentiel à l’écart de la défense, constitue une garantie importante (voir, mutatis mutandis, Jasper, précité, § 56, et Fitt, précité, § 49).

80.  En ce qui concerne ensuite et en particulier l’impossibilité alléguée par le requérant de vérifier s’il y a eu provocation de la part des agents infiltrés, la Cour rappelle que l’article 6 § 1 interdit la provocation policière et que l’intérêt public ne saurait justifier l’utilisation d’éléments recueillis à la suite d’une provocation policière. Les principes relatifs à cette question ont été résumés dans l’arrêt Ramanauskas précité (§§ 49-61). Les critères que la Cour a énoncés, au fil de sa jurisprudence, pour distinguer entre une provocation portant atteinte à l’article 6 § 1 et une mise en œuvre légitime de techniques particulières d’investigation sont, quant à eux, résumés dans l’arrêt Bannikova c. Russie (no 18757/06, §§ 37-65, 4 novembre 2010).

81.  La Cour estime qu’elle n’a pas besoin d’entrer en l’espèce dans l’analyse détaillée de ces critères. Force est en effet de constater que, devant les juridictions internes, le requérant a soulevé la provocation mais n’a aucunement étayé ses allégations au moyens d’indices factuels qui auraient permis aux juridictions de supposer qu’il avait été victime d’une provocation. Dans ces circonstances, la Cour n’est pas convaincue que la situation sous examen relève de la catégorie des affaires de provocation (voir, mutatis mutandis, Trifontsov c. Russie (déc .), no 12025/02, § 32, 9 octobre 2012, et Lyubchenko c. Ukraine (déc.), no 34640/05, § 33, 31 mai 2016). Du reste, le caractère sommaire du moyen de défense du requérant n’a pas empêché les juridictions d’exercer un contrôle et de procéder à un examen des faits de la cause sous l’angle de la provocation pour rejeter lesdites allégations sur base des éléments du dossier répressif (voir paragraphes 28, 29 et 34, ci-dessus).

82.  Enfin, et cela est au moins aussi important aux yeux de la Cour, la Cour de cassation a rappelé dans son arrêt du 20 mars 2012 dans l’affaire du requérant que les pièces du dossier confidentiel ne peuvent être utilisées à titre de preuve au détriment du prévenu (voir paragraphe 32, ci-dessus). De fait, en l’espèce, la chambre des mises en accusation a pu constater, sur base des procès-verbaux versés au dossier répressif, que le 17 septembre 2008 des indices suffisamment concrets des faits mis à charge du requérant étaient réunis pour lancer une recherche proactive ; ce sont alors ces indices qui avaient été traduits dans les conclusions écrites du ministère public, qui faisaient partie du dossier répressif (voir paragraphe 19, ci-dessus).

83.  Eu égard à ce qui précède, la Cour n’estime pas utile d’examiner plus avant le grief du requérant en ce qu’il se plaint qu’au cours de l’instruction sur le fond, ni lui-même ni les juridictions de jugement n’ont pu consulter le dossier confidentiel. Elle estime en effet, avec la Cour de cassation (voir paragraphe 32, ci-dessus), que la restriction ab initio des droits de défense était justifiée et a été suffisamment compensée par la procédure de contrôle effectuée en amont par une juridiction indépendante et impartiale, à savoir la chambre des mises en accusation.

84.  Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

B.  Sur l’impossibilité pour le requérant d’interroger ou de faire interroger les agents infiltrés

1.  Sur la recevabilité

85.  La Cour constate que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. La Cour la déclare dès lors recevable.

2.  Sur le fond

a)  Thèses des parties

86.  Le requérant se plaint que les agents infiltrés n’ont jamais été entendus par les juridictions d’instruction ou de jugement et qu’aucune autre confrontation avec eux n’a eu lieu, le mettant dans l’impossibilité de vérifier la fiabilité des agents et s’il y avait eu, en réalité, provocation de leur part. Il présente ce grief comme une « circonstance aggravante » du premier grief en ce sens que ce refus est venu aggraver les difficultés que rencontrait déjà la défense du fait du non-accès au dossier confidentiel.

87.  Le Gouvernement fait valoir qu’une confrontation directe est exclue pour protéger l’identité et la sécurité des officiers de police judiciaire en charge de l’enquête. Cette impossibilité est compensée par le contrôle de régularité opéré par la chambre des mises en accusation. Celle-ci a pu, sur la base du dossier confidentiel, contrôler l’identité et la fiabilité des agents infiltrés et donc vérifier s’il était question ou non de provocation et, dans ce cas, statuer sur la régularité des preuves. Pendant toute la durée de la procédure devant la juridiction d’instruction, les inculpés ont eu la possibilité de consulter le dossier ouvert dans lequel doivent se trouver tous les éléments de preuve. À cela s’ajoute qu’en l’espèce, à tous les stades de la procédure, les juridictions internes ont recherché si les droits de la défense et l’équité de la procédure étaient respectés conformément aux exigences de l’article 6 de la Convention.

b)  Appréciation de la Cour

i.  Principes généraux pertinents

88.  La Cour rappelle que les exigences du paragraphe 3 d) de l’article 6 représentent des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1er de cette disposition (Al-Khawaja et Tahery, précité, § 118). Elle examinera donc le grief du requérant sous l’angle de ces deux textes combinés (Schatschaschwili, précité, § 100). De plus, lorsqu’elle examine un grief tiré de l’article 6 § 1, la Cour doit essentiellement déterminer si la procédure pénale a revêtu, dans son ensemble, un caractère équitable (voir paragraphe 62, ci-dessus). Pour ce faire, elle envisage la procédure dans son ensemble et vérifie le respect non seulement des droits de la défense, mais aussi de l’intérêt du public et des victimes à ce que les auteurs de l’infraction soient dûment poursuivis et, si nécessaire, des droits des témoins (ibidem). La Cour rappelle également dans ce contexte que la recevabilité des preuves relève des règles du droit interne et des juridictions nationales et que sa seule tâche consiste à déterminer si la procédure a été équitable (voir paragraphes 65-66, ci-dessus).

89.  Elle rappelle en outre que l’article 6 § 3 d) consacre le principe selon lequel, avant qu’un accusé puisse être déclaré coupable, tous les éléments à charge doivent en principe avoir été produits devant lui en audience publique, en vue d’un débat contradictoire. Ce principe ne va pas sans exceptions, mais on ne peut les accepter que sous réserve des droits de la défense ; en règle générale, ceux‑ci commandent de donner à l’accusé une possibilité adéquate et suffisante de contester les témoignages à charge et d’en interroger les auteurs, soit au moment de leur déposition, soit à un stade ultérieur (Al-Khawaja et Tahery, précité, § 118, et les références citées, et Schatschaschwili, précité, §§ 103-105).

90.  Toutefois, l’article 6 § 3 d) ne reconnaît pas à l’accusé un droit absolu d’obtenir la comparution de témoins devant un tribunal. Il incombe en principe au juge national de décider de la nécessité ou de l’opportunité de citer un témoin (voir, parmi d’autres, Bricmont c. Belgique, 7 juillet 1989, § 89, série A no 158, S.N. c. Suède, no 34209/96, § 44, CEDH 2002‑V, et Przydział c. Pologne, no 15487/08, § 46, 24 mai 2016).

91.  En outre, dans son arrêt Al-Khawaja et Tahery, la Cour a conclu que l’admission à titre de preuve de la déposition faite avant le procès par un témoin absent de celui-ci et constituant l’élément à charge unique ou déterminant n’emportait pas automatiquement violation de l’article 6 § 1. La Cour a précisé que, eu égard aux risques inhérents aux dépositions de témoins absents, l’admission d’une preuve de ce type est un facteur très important à prendre en compte dans l’appréciation de l’équité globale de la procédure (ibidem, §§ 146-147).

92.  Selon les principes dégagés dans l’arrêt Al-Khawaja et Tahery, et rappelés dans l’arrêt Schatschaschwili (précité, § 107), l’examen de la compatibilité avec l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention d’une procédure dans laquelle les déclarations d’un témoin qui n’a pas comparu et n’a pas été interrogé pendant le procès sont utilisées à titre de preuves comporte trois étapes (Al‑Khawaja et Tahery, précité, § 152). La Cour doit rechercher :

i.  s’il existait un motif sérieux justifiant la non-comparution du témoin et, en conséquence, l’admission à titre de preuve de sa déposition (ibidem, §§ 119-125) ;

ii.  si la déposition du témoin absent a constitué le fondement unique ou déterminant de la condamnation (ibidem, §§ 119 et 126-147) ; et

iii.  s’il existait des éléments compensateurs, notamment des garanties procédurales solides, suffisants pour contrebalancer les difficultés causées à la défense en conséquence de l’admission d’une telle preuve et pour assurer l’équité de la procédure dans son ensemble (ibidem, § 147).

93.  Cependant, l’absence de motif sérieux justifiant la non‑comparution d’un témoin ne peut en soi rendre un procès inéquitable, mais constitue un élément de poids pour apprécier l’équité globale d’un procès, et est susceptible de faire pencher la balance en faveur d’un constat de violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) (Schatschaschwili, précité, § 113).

94.  La Cour doit aussi vérifier l’existence d’éléments compensateurs suffisants dans les affaires où, après avoir apprécié l’évaluation faite par les tribunaux internes de l’importance de pareilles dépositions, elle juge difficile de discerner si ces éléments constituaient la preuve unique ou déterminante mais est néanmoins convaincue qu’ils revêtaient un poids certain et que leur admission pouvait avoir causé des difficultés à la défense. La portée des facteurs compensateurs nécessaires pour que le procès soit considéré comme équitable dépendra de l’importance que revêtent les déclarations du témoin absent. Plus cette importance est grande, plus les éléments compensateurs devront être solides afin que la procédure dans son ensemble soit considérée comme équitable (ibidem, § 116).

95.  De l’avis de la Cour, les mêmes principes sont applicables en l’espèce, où les agents infiltrés peuvent être considérés comme des témoins à charge.

ii.  Application de ces principes à la présente espèce

α.  Les raisons pour ne pas permettre au requérant d’interroger ou de faire interroger les agents infiltrés

96.  La Cour constate que, malgré les demandes répétées du requérant d’être confronté aux fonctionnaires de police qui avaient agi comme agents sous couverture ou qu’il soit procédé à leur audition, ni au stade préliminaire de l’instruction, ni au cours du procès devant les juridictions du fond, ceux-ci n’ont été entendus par les juridictions internes. Par son jugement du 16 mars 2011, le tribunal de première instance de Hasselt rejeta la demande de confrontation formulée par le requérant, considérant en premier lieu qu’eu égard à un nombre de circonstances, il n’était pas nécessaire pour la recherche de la vérité ni pour l’exercice du droit de la défense ou la garantie du procès équitable que les agents soient entendus (voir paragraphe 27, ci-dessus).

97.  La Cour comprend que les juridictions internes ont estimé que l’interrogation des agents infiltrés n’était ni nécessaire ni utile à l’établissement de la vérité. Ainsi qu’elle l’a rappelé ci-dessus (paragraphe 90), il incombe en principe au juge national d’apprécier la nécessité ou l’opportunité de citer un témoin.

98.  Cela étant dit, la Cour estime qu’en l’espèce, compte tenu du fait que la défense a demandé à plusieurs reprises d’entendre les agents infiltrés et que les dépositions de ces derniers ont joué un rôle dans la condamnation du requérant (voir paragraphes 104-105, ci-dessous), il est difficile de considérer que leur interrogatoire était dépourvu de toute utilité pour ce dernier. Il y a donc lieu d’examiner plus avant le point de savoir si le refus d’entendre les agents infiltrés était compatible avec l’article 6 §§ 1 et 3 d).

99.  En ce qui concerne les motifs retenus par les juridictions internes pour justifier leur refus d’interroger les agents infiltrés la Cour relève que le tribunal de première instance, outre le fait qu’il n’estima pas nécessaire un tel interrogatoire (voir paragraphe 96, ci-dessus), considéra que la sécurité des agents sous couverture et l’importance de l’anonymat dans la perspective de leur déploiement dans d’autres affaires s’opposaient à une confrontation, et ce d’autant plus qu’en l’espèce l’infiltration avait eu lieu pendant plusieurs années et que des liens d’amitié s’étaient tissés entre les agents infiltrés et plusieurs prévenus ainsi que leurs partenaires. Enfin, le tribunal releva qu’il n’apparaissait pas quelles questions spécifiques la défense voulait poser aux agents infiltrés, et qu’en ce qui concerne la seule question mentionnée, elle avait déjà reçu une réponse par d’autres éléments du dossier (voir paragraphe 27, ci-dessus). Ces motifs furent confirmés par la cour d’appel d’Anvers dans son arrêt du 13 octobre 2011, qui ajouta que la découverte de la vérité et l’établissement de la culpabilité résultaient également d’autres éléments de preuve et que la demande de confrontation était plutôt théorique (voir paragraphe 30, ci-dessus).

100.  La Cour a déjà considéré que permettre à des agents infiltrés de la police de fournir des informations de manière anonyme est un outil essentiel dans la poursuite, en particulier, du crime organisé (voir, s’agissant d’indicateurs de la police, Donohoe c. Irlande, no 19165/08, § 80, 12 décembre 2013). Elle a toutefois également souligné que la mise en balance des intérêts de la défense et des arguments militant en faveur du maintien de l’anonymat des témoins pose des problèmes particuliers si les témoins en question appartiennent aux forces de police de l’État. Si les intérêts de ces derniers – comme évidemment ceux de leurs familles – méritent eux aussi la protection de la Convention, il faut reconnaître que leur situation diffère quelque peu de celle d’un témoin désintéressé ou d’une victime. Ils ont un devoir général d’obéissance envers les autorités exécutives de l’État, ainsi d’ordinaire des liens avec le ministère public ; pour ces seules raisons déjà, il ne faut les utiliser comme témoins anonymes que dans des circonstances exceptionnelles (voir Van Mechelen et autres c. Pays-Bas, 23 avril 1997, § 56, Recueil des arrêts et décisions 1997-III, et Bátěk et autres c. République tchèque, no 54146/09, § 46, 12 janvier 2017).

101.  La Cour a néanmoins reconnu que, pourvu que les droits de la défense soient respectés, il peut être légitime pour des autorités de police de souhaiter préserver l’anonymat d’un agent employé à des activités secrètes, afin non seulement d’assurer sa protection et celle de sa famille, mais aussi de ne pas compromettre la possibilité de l’utiliser dans des opérations futures (voir Lüdi c. Suisse, 15 juin 1992, § 49, série A no 238, Van Mechelen et autres, précité, § 57, et Bátěk et autres, précité, § 46).

102.  Eu égard à ce qui précède, il peut être admis qu’il y avait en l’espèce des motifs sérieux, se basant sur des éléments objectifs et concrets, sur lesquels reposaient les refus opposés par les juridictions belges d’interroger les agents infiltrés.

β.  L’importance des témoignages des agents infiltrés dans la condamnation du requérant

103.  En ce qui concerne la seconde étape du raisonnement énoncé dans l’arrêt Al-Khawaja et Tahery (précité, §§ 119 et 126-147) et rappelé dans l’arrêt Schatschaschwili (précité, § 107), à savoir la question de déterminer le degré d’importance des dépositions des témoins absents et, en particulier, de savoir si ces dépositions ont constitué le fondement unique ou déterminant de la condamnation du requérant, la Cour doit avoir égard avant tout à l’appréciation à laquelle se sont livrées les juridictions nationales (Schatschaschwili, précité, § 141).

104.  La Cour constate que les juridictions nationales se sont appuyées sur les dépositions des agents infiltrés mais que la cour d’appel a explicitement déclaré n’y attacher qu’une valeur probante « relative » (voir paragraphe 30, ci-dessus). Pour établir la vérité et fonder le constat de culpabilité du requérant, les juridictions se sont également basées sur d’autres éléments de preuve. La Cour observe que ces autres éléments – audition d’autres témoins, biens saisis lors de perquisitions et conversations téléphoniques – présentaient l’intérêt de corroborer les informations recueillies au cours des opérations d’infiltration et d’observation.

105.  Il en résulte que si les dépositions des agents infiltrés n’ont pas constitué le fondement unique ou déterminant de la condamnation du requérant, la Cour juge difficile de discerner si ces éléments constituaient la preuve unique ou déterminante mais est néanmoins convaincue qu’ils revêtaient un poids certain et que leur admission peut avoir causé des difficultés à la défense (Schatschaschwili, précité, § 116, et Bátěk et autres, précité, § 49).

γ.  Les garanties procédurales pour contrebalancer les difficultés causées à la défense

106.  La Cour se penchera enfin sur une troisième étape, à savoir l’existence ou non d’éléments compensateurs suffisants pour contrebalancer les difficultés causées à la défense en conséquence de l’admission des preuves émanant des agents infiltrés (Schatschaschwili, précité, § 145).

107.  La Cour rappelle premièrement que bien qu’elle n’ait pas confronté ouvertement les agents infiltrés, la chambre des mises en accusation a pu contrôler leur identité et leur fiabilité par la vérification, sur base du dossier confidentiel et du dossier répressif ouvert, de la régularité de leurs actions. Ainsi que la Cour l’a indiqué à propos de la tenue du dossier confidentiel (voir paragraphes 72 et 79, ci-dessus), elle estime que le contrôle opéré en amont par la chambre des mises en accusation, juridiction indépendante et impartiale, à l’occasion duquel le requérant a eu la possibilité d’invoquer tous les moyens légaux à l’encontre des méthodes de recherche utilisées, y compris ceux relatifs à la provocation, a constitué une garantie procédurale importante de l’équité du procès (voir, a contrario, Gökbulut c. Turquie, no 7459/04, § 62, 29 mars 2016).

108.  De plus, la Cour relève que, devant les juridictions de jugement, le requérant a exposé ses griefs tirés de l’article 6 § 1. Dans ce cadre, il a notamment demandé qu’un des agents infiltrés se fasse interroger sur un point précis. Le tribunal de première instance a examiné cette demande de manière circonstanciée et a considéré que la réponse à la question figurait déjà dans le dossier répressif et pouvait être contredite, sur cette base, par le requérant (voir paragraphe 27, ci-dessus). La Cour observe que pas davantage devant les juridictions internes que devant elle, le requérant n’a étayé plus avant en quoi l’interrogation des agents infiltrés n’avait pu être compensée par le contrôle opéré par la chambre des mises en accusation et en quoi le refus d’interroger les agents infiltrés portait concrètement atteinte à l’équité de la procédure suivie à son endroit.

109.  En ce qui concerne ensuite l’attitude des juridictions de jugement envers les dépositions des agents infiltrés, la Cour constate, certes, que rien dans le dossier n’établit que ces juridictions se soient penchées avec prudence sur les déclarations des agents sous couverture au motif qu’elles n’étaient pas vérifiées, ni qu’elles y auraient attaché moins d’importance en raison de l’impossibilité pour le requérant de soumettre les intéressés à un contre-interrogatoire ou du fait qu’elles ne les avaient ni vus ni entendus (comparer Schatschaschwili, précité, § 126, et Bátěk et autres, précité, § 52).

110.  Cela étant, la Cour observe également, ainsi que l’a expliqué le tribunal de première instance, que les rapports dressés par les deux agents et leurs résultats ont pu être comparés, que les prévenus ont pu citer des témoins, et qu’à la requête notamment du requérant, des témoins ont été entendus concernant les moyens soulevés par lui à propos des agents sous couverture. De plus, tant le tribunal de première instance que la cour d’appel ont procédé à un examen rigoureux de tous les éléments de preuve, à savoir les preuves émanant des agents infiltrés et les autres preuves. Le tribunal a encore considéré que le tribunal même et les prévenus ont pu confronter les rapports relatifs aux découvertes desdits agents aux éléments objectifs, notamment les biens découverts lors des perquisitions, la conversation entre un agent infiltré et le requérant, et des contacts téléphoniques entre le requérant et cet agent (voir paragraphes 27 et 30, ci-dessus).

111.  Eu égard à ce qui précède, la Cour estime qu’en l’espèce le requérant a pu contester les éléments recueillis par l’intervention des agents infiltrés. Il existait ainsi des garanties procédurales suffisantes pour contrebalancer les difficultés causées à la défense en conséquence de l’admission de ces éléments comme preuve, alors que les agents infiltrés n’ont pas pu être interrogés par celles-ci, et pour assurer l’équité de la procédure dans son ensemble.

112.  Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1.  Décide, à l’unanimité, de joindre les requêtes ;

2.  Déclare, à l’unanimité, les requêtes recevables ;

3.  Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention du fait de l’absence d’accès au dossier confidentiel ;

4.  Dit, par quatre voix contre trois, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention du fait de l’impossibilité pour le requérant d’interroger ou de faire interroger les agents infiltrés.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 23 mai 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Hasan BakırcıIşıl Karakaş
Greffier adjointPrésidente

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée des juges Karakaş, Laffranque et Turković.

A.I.K.
H.B.


OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DES JUGES KARAKAŞ, LAFFRANQUE ET TURKOVIĆ

Nous ne sommes pas d’accord avec la majorité, qui n’a pas constaté de violation de l’article 6 §§ 1 et de 3 d) de la Convention du fait de l’impossibilité pour le requérant d’interroger ou de faire interroger les agents infiltrés.

Tout d’abord, il faut noter que l’importance des témoignages des agents infiltrés dans la condamnation du requérant a été reconnue par la majorité, qui a admis que ceux-ci revêtaient un poids certain et que leur acceptation pouvait avoir causé des difficultés à la défense (paragraphe 105 de l’arrêt).

Nous acceptons qu’il puisse être légitime, pour des autorités de police, de souhaiter préserver l’anonymat d’un agent employé à des activités secrètes, afin d’assurer la protection de ce dernier et celle de sa famille.

Mais, dans ce cas, il fallait vérifier, selon le « critère Schatschaschwili », s’il existait des éléments compensateurs suffisants pour contrebalancer les difficultés causées à la défense (Schatschaschwili c. Allemagne [GC], no 9154/10, § 145, CEDH 2015).

Les éléments suivants ont été identifiés dans l’affaire Schatschaschwili comme pertinents à cet égard : la façon dont le tribunal du fond a abordé les preuves non vérifiées, l’administration d’autres éléments à charge et la valeur probante de ceux-ci, ainsi que les mesures procédurales prises en vue de compenser l’impossibilité de contre-interroger directement les témoins au procès (Schatschaschwili, précité, § 145).

Si l’article 6 § 3 d) de la Convention porte sur le contre-interrogatoire des témoins à charge pendant le procès, la façon dont est conduite l’audition de ces témoins au stade de l’instruction revêt une importance considérable pour l’équité du procès lui-même, qu’elle est susceptible de compromettre dans les cas où des témoins essentiels ne peuvent pas être entendus par le tribunal du fond et que leurs dépositions recueillies au stade de l’instruction sont donc présentées directement au procès (Schatschaschwili, précité, § 156).

En l’espèce, le requérant et son avocat n’ont, à aucun moment de la procédure, eu l’occasion d’interroger les témoins à charge et de mettre en doute la crédibilité de leurs dépositions. Malgré les demandes répétées du requérant d’être confronté aux fonctionnaires de police qui avaient agi comme agents sous couverture ou de les voir être interrogés, ceux-ci n’ont été entendus par les juridictions internes ni au stade préliminaire de l’instruction ni au cours du procès devant les juridictions du fond.

D’après la majorité, bien que la chambre des mises en accusation n’ait pas ouvertement confronté les agents infiltrés, le contrôle de leur identité et de leur fiabilité par la vérification, sur la base du dossier confidentiel et du dossier répressif ouverts, de la régularité de leurs actions a constitué une garantie procédurale.

Pourtant, la majorité a oublié une garantie importante, à savoir la possibilité de poser des questions au témoin indirectement suivant l’arrêt Schatschaschwili  (§ 129) : « De plus, dans les cas où un témoin est absent et ne peut être interrogé au procès, la possibilité offerte à la défense de poser ses propres questions au témoin indirectement, au cours du procès, constitue une garantie importante ». On peut considérer la possibilité de poser des questions par écrit (Yevgeniy Ivanov c. Russie, no 27100/03, § 49, 25 avril 2013). Cette possibilité n’a pas été prévue dans la procédure, et elle n’a pas été prise en considération par la majorité.

Il est certain que d’autres moyens peuvent également être envisagés pour contrebalancer les difficultés causées à la défense, par exemple l’audition des témoins anonymes dans une salle séparée par les juridictions (voir l’affaire Bátěk et autres c. République tchèque, no 54146/09, 12 janvier 2017). Dans l’affaire Bátěk et autres, tous les prévenus ainsi que leurs représentants légaux ont pu se confronter au témoin, lui poser des questions directement et faire des commentaires sur son témoignage. Cependant, comme ce témoin était dans une pièce séparée, ils n’ont pas pu se faire leur propre opinion sur son comportement (§ 57).

Dans cette affaire, comme « (...) la défense a pu remettre en cause la fiabilité de la preuve de l’agent de police infiltré et contredire sa version des faits » (§ 58), les garanties procédurales ont pu contrebalancer certaines difficultés.

Même si la majorité cite l’affaire Bátěk et autres, il est clair que celle-ci est fondamentalement différente de notre cas. En l’espèce, la défense n’a, à aucun moment de la procédure, eu l’occasion d’interroger les témoins à charge et de mettre en doute la crédibilité de leurs dépositions.

Dans des cas similaires, la Cour devrait examiner si les autorités nationales ont appliqué des mesures compensatrices suffisantes. À notre avis, en l’espèce, il n’existe pas de garanties procédurales pour contrebalancer les difficultés causées à la défense du fait de l’impossibilité d’interroger les agents infiltrés.

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE VAN WESENBEECK c. BELGIQUE, 23 mai 2017, 67496/10;52936/12