CEDH, Cour (troisième section), AFFAIRE LOZOVYYE c. RUSSIE, 24 avril 2018, 4587/09

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CEDH · 24 avril 2018

Communiqué de presse sur les affaires 55385/14, 55116/12, 4587/09, 62357/14, 45281/08, 51511/08 et 56237/08

 

CEDH · 24 avril 2018

Communiqué de presse sur l'affaire 4587/09

 

CEDH · 24 avril 2018

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Troisième Section), 24 avr. 2018, n° 4587/09
Numéro(s) : 4587/09
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Airey c. Irlande, 9 octobre 1979, § 32, série A n° 32
Bédat c. Suisse [GC], n° 56925/08, § 73, CEDH 2016
Bouyid c. Belgique [GC], n° 23380/09, § 55, CEDH 2015
A, B et C c. Irlande [GC], n° 25579/05, § 249, CEDH 2010
Gaskin c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, § 37, série A n° 160
Guerra et autres c. Italie, 19 février 1998, §§ 57-60, Recueil des arrêts et décisions 1998 I
Hadri-Vionnet c. Suisse, n° 55525/00, § 52, 14 février 2008
Maskhadova et autres c. Russie, n° 18071/05, § 212, 6 juin 2013
Roche c. Royaume-Uni [GC], n° 32555/96, §§ 155-156, CEDH 2005 X
Sabanchiyeva et autres c. Russie, n° 38450/05, § 123, CEDH 2013 (extraits)
Niveau d’importance : Publiée au Recueil
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Partiellement irrecevable (Art. 35) Conditions de recevabilité ; (Art. 35-3-a) Manifestement mal fondé ; Violation de l'article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale (Article 8 - Obligations positives ; Article 8-1 - Respect de la vie familiale ; Respect de la vie privée) ; Dommage matériel et préjudice moral - réparation (Article 41 - Préjudice moral ; Dommage matériel ; Satisfaction équitable)
Identifiant HUDOC : 001-182735
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2018:0424JUD000458709
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Sur les parties

Texte intégral

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE LOZOVYYE c. RUSSIE

(Requête no 4587/09)

ARRÊT

STRASBOURG

24 avril 2018

DÉFINITIF

24/07/2018

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Lozovyye c. Russie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Helena Jäderblom, présidente,
Branko Lubarda,
Helen Keller,
Dmitry Dedov,
Pere Pastor Vilanova,
Georgios A. Serghides,
Jolien Schukking, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 14 novembre 2017 et le 3 avril 2018,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 4587/09) dirigée contre la Fédération de Russie et dont deux ressortissants de cet État, M. Andrey Mikhaylovich Lozovoy et Mme Tamara Vasilyevna Lozovaya (« les requérants »), ont saisi la Cour le 10 novembre 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le gouvernement russe (« le Gouvernement ») a été représenté par le représentant de la Fédération de Russie devant la Cour européenne des droits de l’homme, à savoir d’abord M. G. Matyushkin, puis M. M. Galperin, qui a succédé à celui-ci.

3.  Les requérants reprochaient aux autorités nationales de ne pas les avoir informés du décès de leur fils.

4.  Le 8 juin 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement. Les parties ont déposé des observations sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5.  Les requérants sont nés respectivement en 1952 et en 1954 et résident à Belomorsk (République de Carélie).

A.  Le décès du fils des requérants et la procédure pénale pour meurtre

6.  Le fils des requérants, M. M. Lozovoy, fut tué à Saint-Pétersbourg le 1er décembre 2005. Des poursuites pénales pour meurtre furent engagées contre un certain M. O.

7.  Le 18 janvier 2006, Mme L., investigatrice au parquet du district Primorskiy de Saint-Pétersbourg, demanda au chef de la police de ce district d’identifier les proches du défunt, d’établir leur lieu de résidence et de les convoquer au parquet afin de leur accorder la qualité de victime dans la procédure pénale.

8.  Une semaine plus tard, le fils des requérants fut inhumé sous son nom complet à Saint-Pétersbourg. L’inscription portée dans le registre du cimetière indiquait que le corps n’avait pas été réclamé.

9.  Le 30 janvier 2006, ayant conclu qu’il était impossible de retrouver les proches du défunt, l’investigatrice attribua à un représentant des autorités municipales la qualité de victime dans la procédure pénale. Le lendemain, les policiers chargés d’identifier les proches de M. M. Lozovoy informèrent l’investigatrice que les démarches opérationnelles qu’ils avaient entreprises à cette fin n’avaient produit aucun résultat.

10.  Le 2 février 2006, les requérants prirent contact avec Mme L. et lui firent part de leur intention de se rendre à Saint-Pétersbourg pour participer à la procédure pénale.

11.  Cinq jours plus tard, malgré l’intention manifestée par les requérants, Mme L. transmit le dossier de l’affaire pénale au tribunal du district Primorskiy en vue du procès.

12.  Quelque temps après, les requérants furent invités à participer à la procédure pénale en qualité de victime.

13.  Le 14 février 2006, ils furent autorisés à faire exhumer la dépouille de leur fils. Deux jours plus tard, ils le firent inhumer à Belomorsk.

14.  Le 6 juin 2006, le tribunal du district Primorskiy déclara M. O. coupable du meurtre du fils des requérants et le condamna à six ans d’emprisonnement.

15. Le même jour, en réponse à la plainte des requérants selon laquelle les autorités ne les avaient pas informés du décès de leur fils, le tribunal rendit également une décision provisoire (частное постановление) au sujet de l’investigatrice, Mme L. Les passages pertinents de cette décision, qui fut adressée au procureur du parquet du district Primorskiy, étaient ainsi libellés :

« En outre, deux faits confirment la [conclusion] que l’investigatrice, Mme L., n’a pas pris de mesures suffisantes pour retrouver les proches du défunt et que celles [qu’elle a] adoptées étaient purement formelles : d’une part, elle a décidé d’attribuer la qualité de victime à [un représentant de l’autorité municipale] avant d’obtenir les informations des policiers ; d’autre part, les pièces du dossier de l’affaire pénale contenaient suffisamment d’informations concernant le [fils des requérants] pour établir le lieu de résidence de ses proches, ([notamment] une explication fournie par M.O., le 1er décembre 2005, donnant des informations sur le lieu de résidence du [fils des requérants] ; une déclaration de M. O. datée du 8 décembre 2005, dans laquelle celui-ci mentionnait qu’une affaire pénale visant [le fils des requérants] était pendante devant le tribunal ; des déclarations d’un témoin, Mme A., qui affirmait que la mère [du défunt] avait parfois téléphoné à l’appartement de [son fils] ; un extrait du casier judiciaire [du fils des requérants] d’où il ressortait que le parquet du district Primorskiy de Saint-Pétersbourg avait appliqué à son égard une mesure de contrainte revêtant la forme d’un engagement écrit dans l’affaire pénale no 137755 et une copie du passeport [du fils des requérants], versée au dossier de l’affaire pénale susmentionnée).

Il s’ensuit que les droits des victimes, tels que prévus par les lois en vigueur, ont fait l’objet d’importantes violations au cours de l’instruction préliminaire.

S’appuyant sur l’article 29 § 4 du code de procédure pénale russe, le [tribunal] dit :

–  que les violations des règles de procédure pénale commises dans le cadre de l’instruction préliminaire de l’affaire pénale doivent être portées à l’attention du procureur du district Primorskiy de Saint-Pétersbourg ;

–  que le tribunal du district Primorskiy de Saint-Pétersbourg doit être informé des mesures prises relativement à ces violations au plus tard dans un délai d’un mois à compter de la réception de la présente décision. »

B.  L’action en dommages et intérêts engagée par les requérants

16.  En 2007, les requérants engagèrent contre le parquet général et le ministère des Finances une action en dommages et intérêts pour préjudice matériel et moral. Se prévalant de la décision provisoire rendue le 6 juin 2006 par le tribunal du district Primorskiy, ils affirmèrent avoir subi un préjudice matériel, indiquant que l’investigatrice ne les avait pas promptement informés de la mort de leur fils et qu’en conséquence ils avaient été contraints de payer l’exhumation de la dépouille et son transport de Saint-Pétersbourg à Belomorsk. En outre, ils exposèrent avoir subi un préjudice moral à plusieurs égards : ils expliquèrent qu’ils étaient restés longtemps sans savoir où leur fils se trouvait et avaient dû lancer des recherches pour le retrouver, qu’ils n’avaient pas pu lui dire « au revoir » et l’enterrer dignement, qu’ils avaient dû endurer deux semaines de procédure bureaucratique pour obtenir la permission d’exhumer sa dépouille et qu’il leur avait ensuite fallu identifier son corps défiguré.

17.  Le 5 février 2008, le tribunal du district Tverskoy de Moscou débouta les requérants, estimant que l’investigatrice n’avait commis aucune action illicite et qu’aucune juridiction nationale n’avait conclu autrement par une décision définitive.

18.  Le 20 mai 2008, le tribunal de Moscou confirma le jugement, faisant sien le raisonnement du tribunal de district.

II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

A.  Le code de procédure pénale russe (« le CPP »)

19.  Le CPP, tel qu’en vigueur à l’époque des faits, n’imposait pas aux autorités nationales l’obligation expresse, lorsqu’une personne était décédée à la suite d’un acte criminel, d’en informer les proches. Toutefois, il ressortait d’autres dispositions du CPP que dans la plupart des cas de mort violente l’identification des proches d’une personne décédée s’imposait, ceux-ci étant appelés à se substituer à elle en qualité de victime dans la procédure la concernant.

20.  D’après l’article 5 du CPP, le terme « proches » désignait les conjoints, les parents, les enfants, les parents adoptifs, les enfants adoptés, les frères et sœurs, les grands-parents et les petits-enfants.

21.  L’article 42 § 1 du CPP énonçait que le terme « victime » s’entendait de toute personne physique ayant subi un préjudice corporel, matériel ou moral étant résulté d’un acte criminel. La décision de reconnaître à une personne la qualité de victime pouvait être prise par un enquêteur, un investigateur, un procureur ou un juge.

22.  L’article 42 § 8 du CPP disposait que, dans le cas d’infractions ayant causé la mort d’une personne, les droits de la victime devaient être transférés à l’un de ses proches.

23.  En ce qui concerne les pouvoirs procéduraux conférés aux juridictions de première instance dans les affaires pénales, l’article 29 § 4 du CPP énonçait que, s’il apparaissait au cours d’un procès pénal que la commission d’une infraction ou d’une violation des droits et libertés individuelles avait été facilitée par certaines circonstances, la juridiction saisie pouvait rendre une décision provisoire aux fins d’attirer l’attention des organisations et responsables compétents sur les circonstances ou les violations de la loi qui appelaient l’adoption de mesures appropriées.

B.  La loi sur l’inhumation et les funérailles

24.  La loi sur l’inhumation et les funérailles (loi fédérale no 8-FZ du 12 janvier 1996 – Федеральный закон от 12.01.1996 № 8-ФЗ « О погребении и похоронном деле ») régissait l’organisation des funérailles en Russie au moment des faits.

25.  L’article 12 1) de la loi énonçait qu’en l’absence d’un conjoint, parent proche ou représentant légal ou en cas d’inaptitude de ceux-ci à prendre les dispositions nécessaires en vue des funérailles, l’inhumation d’une personne décédée devait être prise en charge par un service de pompes funèbres spécialisé dans un délai de trois jours à compter de la date à laquelle la cause du décès avait été établie.

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

26.  Invoquant les articles 6 et 13 de la Convention, les requérants se plaignent de n’avoir pas été dûment informés par les autorités du décès de leur fils et d’avoir ainsi été laissés très longtemps dans l’ignorance quant à l’endroit où celui-ci se trouvait et privés de la possibilité de l’enterrer dignement.

27.  Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause (Bouyid c. Belgique [GC], no 23380/09, § 55, CEDH 2015), la Cour juge approprié d’examiner les allégations des requérants sous l’angle de l’article 8 de la Convention, lequel est ainsi libellé :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A.  Thèses des parties

28.  Le Gouvernement affirme que les autorités ont agi avec diligence et déployé des efforts raisonnables pour retrouver des membres de la famille de M. M. Lozovoy. Il indique que les recherches se sont avérées vaines et que les autorités se sont donc chargées d’inhumer M. Lozovoy. Selon le Gouvernement, les requérants n’ont quant à eux pas entretenu de contacts réguliers avec leur fils et ce n’est que deux mois après sa mort qu’ils ont entrepris des démarches pour le retrouver.

29.  Les requérants maintiennent leur grief initial. Renvoyant à la décision provisoire rendue par le tribunal du district Primorskiy (paragraphe 15 ci-dessus), ils soutiennent que les autorités avaient à leur disposition des informations suffisantes pour établir que M. M. Lozovoy était leur fils et qu’elles auraient par conséquent pu les informer de son décès.

B.  L’appréciation de la Cour

1.  Sur la recevabilité

30.  Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

2.  Sur le fond

a)  Applicabilité de l’article 8 de la Convention

31.  Le Gouvernement ne conteste pas l’applicabilité de l’article 8 de la Convention en l’espèce.

32.  La Cour rappelle que le droit d’accès aux informations relatives à la vie privée et/ou familiale d’un individu soulève une question au regard de l’article 8 de la Convention (voir, notamment, Roche c. Royaume-Uni [GC], no 32555/96, §§ 155-156, CEDH 2005‑X, Guerra et autres c. Italie, 19 février 1998, §§ 57-60, Recueil des arrêts et décisions 1998‑I, et Gaskin c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, § 37, série A no 160).

33.  La Cour note en outre que divers aspects des funérailles relèvent de la « vie privée » et de la « vie familiale » au sens de l’article 8 de la Convention (voir, par exemple, Maskhadova et autres c. Russie, no 18071/05, § 212, 6 juin 2013, Sabanchiyeva et autres c. Russie, no 38450/05, § 123, CEDH 2013 (extraits), et Hadri-Vionnet c. Suisse, no 55525/00, § 52, 14 février 2008).

34.  Les requérants allèguent en l’espèce qu’ils n’ont pas été dûment avisés de la mort de leur fils et qu’ils ont ainsi été privés de la possibilité d’être associés à l’organisation de ses obsèques. À la lumière de sa jurisprudence relative au droit d’un requérant d’accéder aux informations concernant sa vie privée et familiale, combinée avec sa jurisprudence sur l’applicabilité de l’article 8 relativement à la possibilité pour une personne d’assister aux funérailles d’un membre décédé de sa famille, la Cour considère que le droit des requérants au respect de leur vie privée et familiale a été méconnu, l’État ne les ayant pas informés du décès de leur fils et n’ayant pas pris de mesures à cette fin, avant que celui-ci ne fût inhumé.

35.  La Cour conclut par conséquent que l’article 8 de la Convention est applicable en l’espèce.

b)  Sur le respect de l’article 8 de la Convention

36.  La Cour rappelle que si l’article 8 a essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas de commander à l’État de s’abstenir de pareilles ingérences : à cet engagement plutôt négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée ou familiale (Bédat c. Suisse [GC], no 56925/08, § 73, 29 mars 2016). Dans le choix des moyens destinés à leur permettre de s’acquitter de leurs obligations positives, les États jouissent d’une ample marge d’appréciation (A, B et C c. Irlande [GC], no 25579/05, § 249, CEDH 2010).

37.  Les requérants se plaignent en substance non pas d’un acte de l’État mais de son inaction (Airey c. Irlande, 9 octobre 1979, § 32, série A no 32). Ils soutiennent en particulier que le défaut de notification par les autorités du décès de leur fils a emporté violation de leurs droits découlant de l’article 8 de la Convention, notamment de leur droit d’inhumer leur fils dignement. La Cour considère qu’il y a lieu d’examiner la présente affaire sous l’angle d’une obligation positive incombant à l’État défendeur en vertu de l’article 8 de la Convention.

38.  La Cour estime donc que dans des situations comme celle de l’espèce, où un décès est connu des autorités mais non de la famille du défunt, les autorités compétentes ont l’obligation d’entreprendre au moins des démarches raisonnables pour s’assurer que les membres survivants de la famille ont été informés.

39.  Pour établir si les exigences de l’article 8 de la Convention ont été satisfaites en l’espèce, la Cour recherchera d’abord s’il existait en Russie un cadre juridique adéquat apte à traiter convenablement les situations analogues à celle examinée en l’occurrence et ensuite si les autorités ont pris des mesures raisonnables pour retrouver les requérants et les informer du décès de leur fils.

40.  En ce qui concerne le cadre et la pratique juridiques, la Cour observe que le droit russe ne faisait pas expressément obligation aux autorités nationales de notifier le décès d’un individu à ses proches lorsque la mort résultait d’un acte criminel. Il est vrai que l’article 42 § 8 du CPP (paragraphe 22 ci-dessus) imposait dans une certaine mesure aux autorités l’obligation de rechercher les proches d’une personne décédée dans une affaire pénale, en ce qu’il reconnaissait à ceux-ci la qualité de victime. En outre, d’après l’article 12 1) de la loi sur l’inhumation et les funérailles, en l’absence d’un conjoint, parent proche ou représentant légal ou en cas d’inaptitude de ceux-ci à prendre les dispositions nécessaires en vue des funérailles, l’inhumation d’une personne décédée devait être prise en charge par un service de pompes funèbres spécialisé dans un délai de trois jours à compter de la date à laquelle la cause du décès avait été établie (paragraphe 25 ci-dessus).

41.  Cependant, en concluant dans sa décision provisoire du 6 juin 2006 que l’investigatrice, Mme L., avait enfreint le droit procédural, le tribunal du district Primorskiy ne s’est appuyé sur aucune disposition particulière du CPP ni sur aucun autre texte (paragraphe 15 ci-dessus). Dans ses observations, le Gouvernement n’a pas davantage invoqué de disposition spécifique du droit ou de la pratique internes.

42.  En tout état de cause, la Cour estime que ce manque de clarté du cadre et de la pratique juridiques internes ne constitue pas en soi un élément suffisant pour conclure que l’État défendeur a manqué en l’espèce aux obligations positives qui lui incombaient en vertu de l’article 8 de la Convention.

43.  La Cour recherchera donc ensuite si les autorités russes ont pris des mesures raisonnables dans les circonstances de l’espèce.

44.  Il ressort de la décision provisoire du 6 juin 2006 (paragraphe 15 ci‑dessus) que les autorités disposaient de divers moyens pour établir que les requérants étaient les parents de M. M. Lozovoy. Le tribunal de district a énuméré un certain nombre de documents et d’éléments de preuve qui auraient aisément pu fournir aux autorités les informations requises pour retrouver les requérants (des données téléphoniques ; des connaissances de M. M. Lozovoy ; les documents d’identité de celui-ci qui étaient joints au dossier de l’affaire pénale, etc.). Le Gouvernement n’a pas expliqué pourquoi ni l’investigatrice ni la police n’avaient utilisé ces moyens.

45.  La Cour relève que la décision d’inhumer le fils des requérants et celle d’attribuer la qualité de victime dans l’affaire pénale à un représentant des autorités municipales ont été prises avant la fin officielle des recherches visant à retrouver les parents du défunt (paragraphes 8 et 9 ci-dessus).

46.  Dans ces circonstances et compte tenu des informations personnelles concernant M. M. Lozovoy que les autorités nationales avaient à leur disposition après la mort de celui-ci, la Cour conclut qu’elles n’ont pas agi avec une diligence raisonnable et qu’elles ont donc manqué à leur obligation positive en l’espèce.

47.  En conséquence, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

48.  Invoquant les articles 6 § 1 et 13 de la Convention, les requérants indiquent qu’ils ont rencontré des difficultés pour engager leur procédure civile en réparation du préjudice qu’ils alléguaient avoir subi et se plaignent de l’issue de cette procédure. La Cour juge approprié d’examiner ces griefs sous l’angle du seul article 6 § 1 de la Convention.

49.  Après avoir examiné ces griefs, la Cour estime, à la lumière de l’ensemble des éléments en sa possession et pour autant que les faits dénoncés relèvent de sa compétence, qu’ils ne satisfont pas aux conditions de recevabilité énoncées aux articles 34 et 35 de la Convention, ou qu’ils ne révèlent aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles.

50.  Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée en application de l’article 35 § 4 de la Convention.

III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

51.  Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

52.  Les requérants réclament chacun 10 000 euros (EUR) pour préjudice moral. Se référant aux frais qu’ils auraient engagés pour l’exhumation du corps de leur fils et pour la seconde inhumation de celui-ci, ils demandent en outre 37 049 roubles russes (RUB) pour dommage matériel.

53.  Le Gouvernement conteste les prétentions des requérants pour dommage moral, les jugeant excessives et infondées. En ce qui concerne la demande pour dommage matériel, il estime que la somme réclamée pourrait être accordée aux requérants sur le fondement de « considérations humanitaires ».

54.  La Cour estime que les requérants doivent avoir subi un préjudice moral à raison de la violation constatée et, statuant en équité, leur alloue conjointement 10 000 EUR à ce titre. S’agissant de la demande présentée pour préjudice matériel, la Cour l’accepte dans son intégralité et octroie 539 EUR aux requérants.

B.  Frais et dépens

55.  Les requérants sollicitent également 25 687 RUB au titre des frais et dépens qu’ils auraient engagés devant les juridictions internes dans le cadre de la procédure en responsabilité civile.

56.  Le Gouvernement s’oppose à cette demande.

57.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, eu égard aux documents en sa possession et aux critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable d’accueillir dans son intégralité la demande des requérants et de leur octroyer la somme de 374 EUR au titre des frais et dépens engagés dans le cadre de la procédure interne.

C.  Intérêts moratoires

58.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Déclare recevable le grief des requérants selon lequel les autorités ne leur ont pas dûment notifié le décès de leur fils et déclare la requête irrecevable pour le surplus ;

2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

3.  Dit

a)  que l’État défendeur doit verser conjointement aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en roubles russes au taux applicable à la date du règlement :

i.  539 EUR (cinq cent trente-neuf euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, pour dommage matériel ;

ii.  10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, pour dommage moral ;

iii.  374 EUR (trois cent soixante-quatorze euros), plus tout montant pouvant être dû par les requérants à titre d’impôt sur cette somme, pour frais et dépens ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.

Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 24 avril 2018, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

              Stephen PhillipsHelena Jäderblom
GreffierPrésidente

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