CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE GUERNI c. BELGIQUE, 23 octobre 2018, 19291/07

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Chronologie de l’affaire

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CEDH · 23 octobre 2018

Communiqué de presse sur l'affaire 19291/07

 

CEDH · 23 octobre 2018

Communiqué de presse sur les affaires 19291/07, 25593/14, 7841/14, 65101/16, 73789/16, 73902/16, 75378/13, 37121/15, 39804/06, 23608/16, …

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 23 oct. 2018, n° 19291/07
Numéro(s) : 19291/07
Type de document : Arrêt
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Oui
Conclusions : Non-violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure pénale ; Article 6-1 - Procès équitable) ; Non-violation de l'article 6+6-3-d - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure pénale ; Article 6-1 - Procès équitable) (Article 6 - Droit à un procès équitable ; Article 6-3-d - Interrogation des témoins)
Identifiant HUDOC : 001-187238
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2018:1023JUD001929107
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Sur les parties

Texte intégral

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE GUERNI c. BELGIQUE

(Requête no 19291/07)

ARRÊT

STRASBOURG

23 octobre 2018

DÉFINITIF

23/01/2019

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Guerni c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Robert Spano, président,
Paul Lemmens,
Ledi Bianku,
Işıl Karakaş,
Valeriu Griţco,
Jon Fridrik Kjølbro,
Stéphanie Mourou-Vikström, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 septembre 2018,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 19291/07) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont un ressortissant de cet État, M. Abdalwahab Guerni (« le requérant »), a saisi la Cour le 2 mai 2007 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant a été représenté par Me H. Rieder, avocat à Gand, et Me P. Dehapiot, avocat à Paris. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme I. Niedlispacher, du service public fédéral de la Justice.

3.  Le requérant allègue principalement une violation de son droit à un procès équitable en raison des méthodes particulières de recherche utilisées par les autorités nationales et du refus des juridictions de jugement d’interroger l’informateur et l’agent infiltré qui ont participé à la mise en œuvre de ces méthodes.

4.  Le 5 mai 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5.  Le requérant est né en 1967. Au moment de l’introduction de la requête il avait son domicile à Meise.

6.  Le 12 septembre 1997, les autorités de police furent autorisées par le procureur du Roi de Bruges à surveiller et à mettre sous écoute téléphonique M. et D.B. Ceux-ci étaient soupçonnés de trafic de stupéfiants et d’être à la recherche d’un transporteur. Le 30 septembre 1997, par apostille du juge d’instruction, co-signée pour accord par le procureur du Roi, autorisation fut donnée de recourir à un agent infiltré pseudo-acheteur.

7.  Il résulte de la description des faits par les juridictions nationales que le requérant a organisé, à la demande d’un certain Karim, le transport d’un grand volume de drogues du Maroc vers la Belgique. Le transport devait être fait avec un camion qui irait chercher des marchandises « légales », auxquelles les drogues seraient ajoutées. Le requérant avait besoin d’un transporteur et pour le trouver il fit appel à M., qui à son tour fit appel à D.B. Ce dernier trouva Ron, un informateur de la police, qui le mit en contact avec Dominique, l’agent infiltré. Ces derniers déclarèrent avoir une entreprise de transport et pouvoir mettre à la disposition du requérant un camion et un conducteur. Le transport eut lieu, en février 1998, sous le contrôle discret des autorités marocaines et belges. Le camion, conduit par un autre agent sous couverture, chercha les marchandises et les drogues au Maroc et les transporta vers la Belgique. Le 5 mars 1998, au moment où Dominique fut payé pour son assistance et où les drogues furent livrées au requérant, les trois personnes impliquées (le requérant, M., et D.B.) furent arrêtées.

8.  L’instruction fut menée par le juge d’instruction. Son dossier contenait les rapports que Dominique avait envoyés aux enquêteurs et qui décrivaient les contacts qu’il avait eus avec les prévenus. L’informateur Ron tenait un policier au courant, qui en faisait part par écrit aux enquêteurs ; les rapports de ce policier furent également joints au dossier. Le dossier contenait encore les rapports faits par d’autres enquêteurs sur base des observations des prévenus et des écoutes téléphoniques, ainsi que les déclarations faites notamment par les prévenus.

9.  Renvoyés devant le tribunal de première instance de Bruges, les prévenus se plaignirent que l’opération avait enfreint leurs droits de la défense et leur droit à un procès équitable.

10.  Par un jugement du 18 novembre 2003, le tribunal jugea que l’article 6 § 1 de la Convention avait été respecté. Il tint compte de ce qu’aucun des prévenus n’avait déclaré, lors de l’interrogatoire effectué directement après leur arrestation, que Ron ou Dominique les avaient incités à commettre les faits ou les y avaient encouragés. Au contraire, chacun des prévenus avait avoué les faits et expliqué quel avait été son rôle dans l’organisation du transport des stupéfiants. Des observations et écoutes téléphoniques menées pendant l’infiltration avaient permis de juger de la fiabilité des rapports détaillés des contacts avec les prévenus rédigés par Dominique. Leur contenu, correspondant, figurait dans le dossier répressif et avait été soumis à un débat contradictoire. La fiabilité et l’intervention de l’informateur avaient été vérifiées par le responsable des informateurs en collaboration avec un magistrat du ministère public. L’infiltration avait, quant à elle, été autorisée par le parquet et confiée à un fonctionnaire de police spécialement formé, n’avait commencé qu’après apostille du juge d’instruction et avait été mise en œuvre sous le contrôle du parquet et du juge d’instruction.

11.  Pour écarter la thèse de la provocation, le tribunal procéda à un examen minutieux des déclarations concordantes des prévenus pour conclure qu’il existait avant la première rencontre de Ron et Dominique une intention délictueuse dans le chef des trois prévenus qu’ils auraient exécutée même sans l’intervention des services de police et que l’organisation criminelle était née sans l’intervention des services de police. De plus, aucune pression indue n’avait été alléguée ni constatée.

12.  Le tribunal rejeta en outre la demande des prévenus d’organiser une confrontation avec l’agent infiltré et l’informateur afin d’obtenir des informations sur la période qui avait précédé l’infiltration et de poser des questions sur les rapports rédigés par Dominique. Le tribunal considéra que les déclarations de Dominique et de Ron n’étaient pas essentielles pour l’affaire, au vu d’autres éléments du dossier, et en particulier les aveux des prévenus. En outre, il était nécessaire de protéger Dominique et Ron, et le type de questions litigieuses aurait pu compromettre l’anonymat de ceux-ci. De plus, Dominique avait été entendu par le juge d’instruction, lequel avait donné aux prévenus la possibilité de lui poser des questions par son intermédiaire, possibilité dont ils n’avaient toutefois pas fait usage. À cela s’ajoute que les rapports des observations et des écoutes téléphoniques, qui se trouvaient parmi les pièces du dossier répressif, permettaient d’évaluer la fiabilité des rapports rédigés par Dominique.

13.  Le tribunal rejeta ensuite la thèse du requérant selon laquelle l’infiltration, en l’absence de base légale, avait violé son droit à la vie privée. Certes, à l’époque l’infiltration n’avait pas de base légale au sens formel mais elle était encadrée par une circulaire ministérielle du 24 avril 1990 adressée aux autorités judiciaires compétentes (voir paragraphe 35, ci‑dessous). La transparence totale souhaitée par le requérant ne pouvait être assurée sous peine d’aider les criminels potentiels à mieux préparer leurs actes et à mettre en danger les agents infiltrés et les informateurs.

14.  Enfin, le tribunal condamna chacun des prévenus à quatre ans d’emprisonnement et à une amende.

15.  Les trois prévenus, suivis par le ministère public, interjetèrent appel contre ce jugement. L’affaire fut examinée par la cour d’appel de Gand lors de trois audiences et prise en délibéré le 25 janvier 2006.

16.  Le 5 mai 2006, le requérant déposa une demande de réouverture des débats par laquelle il invita la cour d’appel, en application de l’article 189ter du code d’instruction criminelle (« CIC »), inséré par la loi du 27 décembre 2005, à demander à la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de contrôler l’application des méthodes particulières de recherche au regard de l’article 235ter CIC et de transmettre à cet effet le dossier au ministère public (voir paragraphes 36-38, ci-dessous).

17.  Par un arrêt du 31 mai 2006, la cour d’appel rejeta tout d’abord la demande de réouverture des débats au motif que cette demande n’avait pas été formulée avant tout autre moyen de droit et ne faisait pas état d’éléments neufs et concrets.

18.  Examinant ensuite le fond du litige, et en particulier le grief tiré de la provocation que souleva à nouveau le requérant, la cour d’appel passa en revue les déclarations « circonstanciées » faites par le requérant le 7 mars 1998, confirmant ses déclarations des 5 et 6 mars 1998, et desquelles le requérant ne s’était jamais écarté, et parvint à la conclusion qu’il ne ressortait en aucun cas de cette déclaration que le transporteur, qui était en réalité un agent infiltré, aurait créé, stimulé ou renforcé la volonté du requérant d’importer des stupéfiants. La cour d’appel nota aussi que cette déclaration du requérant avait été confirmée notamment par les déclarations des co-prévenus M. et D.B. La cour d’appel s’exprima comme suit :

« La cour estime qu’il existe un ensemble de déclarations concordantes, notamment de la part des différents prévenus, qui permet de dire avec certitude que la volonté des différents prévenus d’importer une quantité importante de cannabis depuis le Maroc était déjà arrêtée avant qu’il soit question d’une infiltration policière et que la volonté de réaliser cette importation de stupéfiants n’a été ni stimulée ni renforcée par l’intervention des services de police. Les éléments factuels invoqués par les prévenus ne sont, de l’avis de la cour, nullement de nature à infirmer ces constatations. Il faut souligner à cet égard que, si la recherche d’une personne disposée à effectuer le transport de stupéfiants était évidemment indispensable à l’exécution de l’importation prévue, le simple fait d’effectuer le transport, comparé à ce que la livraison d’une part, qu’elle soit directe ou par personne interposée, et la réception et la vente d’une tonne de stupéfiants, d’autre part, impliquent en termes d’organisation, de moyens et de ramifications internationales, doit être considéré comme un acte certes risqué mais, pour le reste, relativement simple d’exécution matérielle, dont l’association de personnes en question aurait pu parfaitement se charger elle‑même, ce qu’elle n’a pas fait pour des raisons de sécurité afin de pouvoir mieux masquer les donneurs d’ordre effectifs, comme l’association en question, puisqu’il apparaît qu’elle était disposée à payer pour le transport en question des millions d’anciens francs belges, [de sorte qu’elle] aurait pu sans problème trouver d’autres tierces personnes qui auraient accepté cette tâche. La cour estime qu’il est dès lors hors de question que les agents infiltrés aient créé une possibilité matérielle pour la perpétration du délit, ou qu’ils aient fait preuve d’une prévenance excessive. »

19.  La cour d’appel estima aussi que des allégations ultérieures du co‑prévenu D.B., effectuées une fois que l’existence de l’agent infiltré était connue, étaient non seulement contredites par ses déclarations initiales, mais aussi réfutées par l’ensemble des autres déclarations dont il ressortait « à suffisance que la volonté d’importer une quantité importante de stupéfiants depuis le Maroc provenait du [requérant] qui [...] a[vait] pris à cette fin une multitude d’initiatives et était lui‑même poussé par un certain Karim ».

20.  En ce qui concerne la demande de confrontation avec l’agent infiltré et l’informateur et d’audition de ceux-ci, que ce fût de manière anonyme ou non, la cour d’appel estima ces compléments d’instruction « totalement superflus dans les circonstances données pour la manifestation de la vérité ». Pour la même raison, la cour d’appel ne fit pas droit à la demande d’audition du juge d’instruction ou du magistrat du parquet en charge de l’affaire. La cour d’appel s’exprima encore comme suit :

« Le refus de la cour de donner suite à ces demandes n’est nullement de nature à porter atteinte aux droits de la défense ou au droit à un procès équitable, dès lors que l’absence de provocation policière peut être déduite d’un ensemble d’éléments dont la fiabilité ne peut guère être mise en doute par les prévenus, à savoir les déclarations concordantes précitées des différents prévenus eux‑mêmes et d’autres témoins directement impliqués dans les faits, qui n’ont aucun lien avec les services de police. Les déclarations en question sont en ce qui concerne les faits mis à charge et leur déroulement à ce point claires que les déclarations et les rapports faits anonymement par les agents infiltrés sont devenus d’une importance totalement secondaire sous l’angle de la preuve.

En outre, l’on ne peut guère considérer que les déclarations concordantes des prévenus eux-mêmes et d’autres témoins directement impliqués dans les faits et sans lien avec les autorités policières qui, de l’avis de la Cour, suffisent en soi pour apporter la preuve des faits mis à charge des différents prévenus, découleraient des témoignages anonymes, de même, du reste qu’elles ne découlent pas des mesures d’écoutes téléphoniques. »

21.  En ce qui concerne le caractère anonyme des déclarations de l’informateur et de l’agent infiltré, la cour d’appel ajouta qu’elle l’estima justifié au regard de la nécessité de garantir l’intégrité physique des intéressés et de préserver pour l’avenir la possibilité de les réutiliser dans d’autres opérations.

22.  En réponse à un argument de la défense fondée sur l’absence d’une base légale pour l’ingérence dans leur droit au respect de la vie privée, la cour d’appel considéra encore ce qui suit :

« Il ressort à suffisance de l’ensemble des déclarations citées ci‑avant que le [requérant] qui, sur demande d’un certain Karim, était à la recherche d’une personne qui puisse se charger du transport d’une quantité importante de stupéfiants du Maroc en Belgique, s’est adressé à cette fin au prévenu M., qui s’est lui‑même adressé au prévenu D.B., qui s’est alors adressé de son côté à feu V.H. Le prévenu D.B. qui, par cette intervention, avait pour but d’apporter son aide à la réalisation d’une importante transaction internationale en stupéfiants, devait se rendre compte – il faut souligner à cet égard qu’il est de notoriété publique que les services de police travaillent depuis toujours avec des informateurs et des agents infiltrés et qu’il est dès lors sans importance sur ce plan que la circulaire ministérielle du 24 avril 1990 était confidentielle – qu’à partir de ce moment, la possibilité existait qu’il soit confronté à un fonctionnaire infiltré des services de police chargé de la lutte contre le trafic international de drogues, de sorte que l’on ne peut déduire de la circonstance que l’agent infiltré D., donnant suite à la demande des prévenus, s’est déclaré disposé à s’occuper du transport et a ainsi infiltré l’association, une atteinte à l’article 8 de la [Convention]. C’est dans ce même sens que la [Cour] a rendu sa décision à l’unanimité dans l’arrêt du 15 juin 1992 dans l’affaire Lüdi c. Suisse. Les moyens de la défense concernant l’absence de base légale à une ingérence alléguée au sens de l’article 8 § 2 de la Convention européenne des droits de l’homme sont dès lors caducs. »

23.  La cour d’appel estima que la circulaire ministérielle du 24 avril 1990 formait le cadre dans lequel les méthodes de recherche particulières avaient eu lieu et avait fourni les garanties et la protection nécessaires. Cette circulaire était connue par les inculpés, qui l’avaient même produite devant la cour. Le fait que certaines des directives contenues dans la circulaire ministérielle n’auraient pas été respectées était sans conséquence, étant donné que les directives formulées dans la circulaire n’étaient pas prescrites à peine de nullité et que les irrégularités alléguées n’avaient en tout cas pas porté atteinte à la fiabilité des preuves ou, plus généralement, au droit des prévenus à un procès équitable.

24.  Se penchant sur l’absence de contrôle des méthodes particulières de recherche appliquées en l’espèce, en particulier l’infiltration et l’observation, la cour d’appel considéra que l’article 189ter CIC, qui prévoyait un contrôle par la chambre des mises en accusation, ne pouvait être appliqué que dans des affaires soumises à la juridiction de jugement après l’entrée en vigueur de la loi du 27 décembre 2005 et pour autant qu’il y ait eu déjà un contrôle par la chambre des mises en accusation sur base de l’article 235ter inséré par cette loi. En tout cas, le contrôle par la chambre des mises en accusation n’était matériellement possible que dans les affaires où les méthodes particulières de recherche avaient eu lieu selon les règles prescrites par la loi du 6 janvier 2003, et non pas dans les affaires où elles avaient encore eu lieu selon la circulaire ministérielle du 24 avril 1990 et où il n’y avait donc pas de dossier confidentiel à vérifier. La cour d’appel admit que dans certains cas l’absence de possibilité de contrôle par un juge indépendant et impartial des données qui, selon les règles de procédure en vigueur à l’époque où elle se prononçait, devraient se trouver dans un dossier confidentiel, pouvait porter atteinte au droit à un procès équitable. Elle estima toutefois que tel n’était pas le cas lorsque, comme en l’espèce, l’absence d’irrégularité dans le recours aux méthodes particulières de recherche pouvait être déduite d’éléments du dossier répressif, dont la fiabilité ne pouvait être mise en doute.

25.  En conclusion, la cour d’appel, tout en constatant la nullité de certaines des ordonnances autorisant des écoutes téléphoniques émises par le juge d’instruction et en écartant des débats les éléments recueillis sur base de ces ordonnances, confirma les conclusions du tribunal de première instance quant à la culpabilité des prévenus. Eu égard au dépassement du délai raisonnable, elle réduisit les peines d’emprisonnement prononcées contre M. et D.B. de quatre à trois ans. Quant au requérant, elle estima qu’une peine d’emprisonnement de six ans serait justifiée, mais qu’il y avait lieu, au vu du dépassement du délai raisonnable, de confirmer la peine prononcée par les premiers juges ; elle le condamna donc à une peine d’emprisonnement de quatre ans.

26.  Le requérant se pourvut en cassation. Par un arrêt du 31 octobre 2006, la Cour de cassation rejeta le pourvoi.

27.  Sur le terrain de l’article 6 de la Convention, elle considéra ce qui suit :

« 1.  Il appartient au juge d’apprécier l’admissibilité d’une preuve obtenue illicitement, que la loi n’exclut pas expressément, à la lumière des articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en tenant compte de tous les éléments de la cause, y compris le mode d’obtention de la preuve et les circonstances de l’illicéité.

À cette occasion, le juge peut notamment avoir égard à une ou plusieurs des circonstances suivantes : soit que l’autorité chargée de l’information, de l’instruction et de la poursuite des infractions a ou non commis intentionnellement l’acte illicite, soit que la gravité de l’infraction dépasse de manière importante l’illicéité commise, soit que la preuve obtenue illicitement ne concerne qu’un élément matériel de l’existence de l’infraction.

La circonstance que l’autorité chargée de la recherche, de l’instruction ou de la poursuite des infractions ait intentionnellement commis un acte illicite pour obtenir des preuves ne doit pas nécessairement inciter le juge à exclure ces preuves.

Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, manque en droit.

2.  Contrairement à ce que le moyen, en cette branche, fait valoir, l’arrêt attaqué examine par les considérations reproduites au moyen, l’« incidence » c’est-à-dire l’impact de l’intervention des agents secrets sur la régularité et l’admissibilité des preuves.

Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, manque en fait. »

28.  Sur le terrain de l’article 8 de la Convention, elle considéra ce qui suit :

« L’ingérence de l’autorité publique dans l’exercice du droit au respect de la vie privée, de la vie familiale, du domicile et de la correspondance au sens de l’article 8 § 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales implique que cette autorité intervient ou s’immisce, sans y être requise, dans l’exercice du droit garanti par l’article 8 § 1 de la Convention précitée.

Ce n’est pas le cas, lorsque, à la demande des prévenus ou de l’un d’entre eux, le représentant de l’autorité publique se déclare disposé à prendre en charge le transport de stupéfiants qui font l’objet d’un important trafic international de stupéfiants organisé par l’un des prévenus. »

29.  En ce qui concerne le rejet par la cour d’appel de la demande d’ordonner au juge d’instruction d’entendre l’informant Ron et l’agent infiltré Dominique, la Cour de cassation considéra que le juge du fond appréciait souverainement la nécessité, l’utilité et l’opportunité d’un complément d’instruction. Elle constata que la cour d’appel avait décidé à cet égard que le complément d’instruction demandé par le requérant n’était pas utile à la manifestation de la vérité.

30.  En ce qui concerne le rejet par la cour d’appel de la demande de charger la chambre des mises en accusation, en application de l’article 189ter du CIC, de contrôler l’application des méthodes particulières de recherche, d’observation et d’infiltration, à effectuer en application de l’article 235ter du CIC, la Cour de cassation confirma que l’examen de la mise en œuvre des méthodes particulières de recherche, d’observation et d’infiltration, prévu aux articles 189ter et 235ter du CIC, visait uniquement les méthodes particulières de recherche, d’observation et d’infiltration qui, en application des lois du 6 janvier 2003 et du 27 décembre 2005, avaient donné lieu à la constitution d’un dossier confidentiel. Cet examen ne visait donc pas les méthodes particulières de recherche, d’observation et d’infiltration mises en œuvre avant l’entrée en vigueur des lois précitées, en application de la circulaire ministérielle du 24 avril 1990.

31.  Entretemps, le 7 juillet 2006, le requérant avait été extradé vers l’Italie pour y purger une peine infligée par une juridiction italienne.

32.  Le 7 mars 2011, le requérant informa la Cour qu’il se trouvait à Rome, où il avait été placé sous écrou extraditionnel à la prison de Rebibbia. Il sollicitait l’application d’une mesure provisoire au sens de l’article 39 du règlement de la Cour, afin que les autorités italiennes ne donnent pas suite à la demande d’extradition des autorités belges, cette demande étant fondée sur la condamnation prononcée à l’issue de la procédure pénale qui fait l’objet de la présente requête. La demande du requérant fut traitée dans le cadre d’une autre requête (Guerni c. Italie, no 14931/11). Elle fut déclarée irrecevable le 8 mars 2011. Le requérant ne demanda plus la poursuite de l’examen de sa requête dans cette affaire.

33.  Le 8 février 2013, le requérant fut extradé vers la Belgique pour y purger le restant de la peine prononcée par la cour d’appel de Gand.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A.  Situation avant l’entrée en vigueur de la loi du 6 janvier 2003

34.  Les premiers recours aux méthodes « particulières » de recherche remontent en Belgique aux années 70. Quelques affaires touchant en particulier aux pratiques du bureau national des drogues de la gendarmerie ou de l’administration de l’information criminelle auprès du ministère de la Justice ont permis de mettre en évidence les problèmes liés à l’utilisation de ces méthodes. En l’absence de normes encadrant ces pratiques, la jurisprudence y a suppléé, en se prononçant essentiellement sur des situations de provocation policière (voir en particulier l’arrêt de la Cour de cassation du 5 février 1985 (Pasicrisie, 1985, I, p. 690), où la Cour de cassation a dit qu’était légalement justifié l’arrêt qui décide qu’il n’y a pas eu provocation à commettre une infraction lorsqu’il constate que le dessein de commettre l’infraction est né sans aucune intervention de la police et que celle-ci s’est bornée à créer l’occasion de commettre librement un fait punissable dans des conditions telles que la police était à même d’en constater l’exécution).

35.  Le 24 avril 1990, le ministre de la Justice adopta une circulaire adressée aux procureurs généraux et relative aux « techniques particulières de recherche pour combattre la criminalité grave ou organisée », qui visait spécifiquement le recours aux indicateurs, le paiement des primes, le pseudo‑achat, l’achat-test (achat de mise en confiance), l’envoi accompagné ou la saisie différée, l’infiltration et enfin l’observation. Cette circulaire, gardée secrète et mise à jour le 5 mars 1992, définit les principes généraux déterminant dans quelle mesure ces techniques pouvaient être admises et de quelle manière elles devaient être utilisées.

B.  Les lois du 6 janvier 2003 et du 27 décembre 2005

36.  La loi du 6 janvier 2003 concernant les méthodes particulières de recherche et quelques autres méthodes d’enquête a créé un cadre légal pour l’observation, l’infiltration et le recours aux indicateurs. À la suite de l’annulation de plusieurs de ses dispositions par la Cour constitutionnelle (arrêt no 202/2004 du 21 décembre 2004), la loi « réparatrice » du 27 décembre 2005 « portant des modifications diverses au CIC et au code judiciaire en vue d’améliorer les modes d’investigation dans la lutte contre le terrorisme et la criminalité grave et organisée » est venue modifier les dispositions annulées et insérer des dispositions dans le CIC – les articles 189ter et 235ter – afin d’organiser un contrôle judiciaire des méthodes particulières de recherche, d’observation et d’infiltration.

37.  Dans le cadre du nouveau dispositif législatif, qui est décrit dans l’arrêt Van Wesenbeeck c. Belgique (nos 67496/10 et 52936/12, §§ 39-55, 23 mai 2017), l’article 235ter § 1 du CIC confie le contrôle de la régularité des méthodes d’observation et d’infiltration mises en œuvre à une juridiction d’instruction, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel.

38.  Dès que la chambre des mises en accusation a contrôlé la mise en œuvre des méthodes particulières d’infiltration et d’observation, sa décision lie la juridiction de jugement (Cass., 3 mars 2009, P.09.0079.N, et Cass., 28 mai 2014, P.14.0424.F). Toutefois, sur la base d’éléments concrets qui ne sont apparus que postérieurement au contrôle de la chambre des mises en accusation, le tribunal du fond peut, soit d’office, soit sur réquisition du ministère public, soit à la demande du prévenu, de la partie civile ou de leurs avocats, charger la chambre des mises en accusation de contrôler l’application des méthodes particulières de recherche, d’observation et d’infiltration, en application de l’article 235ter (article 189ter du CIC).

C.  L’application des articles 189ter et 235ter du CIC aux investigations déjà terminées au moment de leur entrée en vigueur

39.  Dans un premier temps, la Cour de cassation jugea que les articles 189ter et 235ter du CIC ne s’appliquaient qu’aux méthodes particulières de recherche, d’observation et d’infiltration qui, en application des lois du 6 janvier 2003 et du 27 décembre 2005, avaient donné lieu à la constitution d’un dossier confidentiel. Pour le reste, les méthodes particulières de recherche appliquées avant ces lois ne relevaient pas, selon la Cour de cassation, du pouvoir de contrôle de la chambre des mises en accusation (Cass., 31 octobre 2006, P.06.1016.N ; il s’agit de l’arrêt rendu dans la présente affaire).

40.  Dans un arrêt no 22/2008 du 21 février 2008, la Cour constitutionnelle considéra que, compte tenu des exigences fondamentales de l’article 6 de la Convention, cette situation créait une différence de traitement à l’égard des personnes qui avaient fait l’objet d’une méthode particulière de recherche avant l’entrée en vigueur de la loi du 6 janvier 2003. Ces personnes seraient discriminées dans l’exercice des droits de la défense et du droit à un procès équitable (voir également l’arrêt no 98/2008 du 3 juillet 2008). Un juge devait donc, pour tous les litiges n’ayant pas encore fait l’objet d’une décision définitive, pouvoir contrôler la mise en œuvre des méthodes particulières de recherche, que celle-ci ait eu lieu avant ou après l’entrée en vigueur de la loi du 6 janvier 2003.

41.  À la suite de cet arrêt, la Cour de cassation modifia son point de vue (Cass., 28 octobre 2008, P.08.0706.N).

EN DROIT

I.  SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 6 §§ 1 ET 3 d) DE LA CONVENTION

42.  Le requérant se plaint de ne pas avoir bénéficié d’un procès équitable au motif qu’il a été fait usage d’une méthode particulière de recherche dépourvue de base légale et en dehors du contrôle juridictionnel confié plus tard à la chambre des mises en accusation. Il se plaint également du refus des juridictions de jugement d’interroger les personnes impliquées dans l’exécution desdites méthodes. Il invoque l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention qui, dans ses parties pertinentes, est ainsi formulé :

« 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.

(...)

« 3.  Tout accusé a droit notamment à :

(...)

d)  interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge.

(...) »

A.  Sur la recevabilité

43.  Constatant que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.

B.  Sur le fond

1.  Thèses des parties

44.  Le requérant expose que les méthodes particulières de recherche utilisées dans le cadre des poursuites menées à son encontre n’étaient pas organisées par la loi, mais se basaient sur une circulaire ministérielle qui ne contenait que des recommandations, n’avait dès lors pas de valeur obligatoire ou normative en droit belge, et n’était pas publique. À l’époque des faits, le requérant n’était nullement à même de savoir qu’il était susceptible de faire l’objet de méthodes particulières de recherche.

45.  Ces méthodes ont de plus été mises en œuvre sans qu’il ait pu bénéficier du contrôle de leur légalité par la chambre des mises en accusation de la cour d’appel désormais organisé par la loi. Or, ainsi que cela ressort de la jurisprudence postérieure de la Cour constitutionnelle, un tel contrôle aurait été nécessaire au regard de l’article 6 § 1.

46.  Le requérant se plaint en outre qu’il n’a pas eu la possibilité d’interroger les personnes en charge de l’exécution des méthodes particulières de recherche, de sorte qu’il n’a pas pu contrôler la fiabilité de ces personnes ni prouver qu’il avait été victime d’une provocation policière. S’il y avait des raisons de sécurité pour ne pas divulguer certaines informations, d’autres garanties aptes à protéger les intérêts du requérant, telles que l’interrogation de l’informateur et de l’agent infiltré, auraient dû être prévues.

47.  Le Gouvernement explique que la jurisprudence belge a toujours accepté l’utilisation de méthodes particulières de recherche sous la règlementation de la circulaire. Il estime également que le caractère secret de la circulaire doit être relativisé : le requérant a en effet admis dans sa requête que son avocat avait pu en prendre connaissance ; de plus, le contenu complet de la circulaire avait été repris dans un document parlementaire public antérieur à la procédure.

48.  En ce qui concerne l’impossibilité d’interroger l’informateur et l’agent infiltré, le Gouvernement fait valoir que la cour d’appel a valablement pu motiver son refus dès lors que les éléments rapportés par eux furent considérés comme étant d’importance secondaire sur le plan de la preuve, de sorte qu’il n’était plus nécessaire de les interroger.

2.  Appréciation de la Cour

a)  Rappel des principes généraux

49.  Selon la jurisprudence de la Cour, lorsqu’elle examine un grief tiré de l’article 6 § 1, elle doit essentiellement déterminer si la procédure pénale a globalement revêtu un caractère équitable (voir, parmi de nombreux précédents, Schatschaschwili c. Allemagne [GC], no 9154/10, §§ 101 et 161‑165, CEDH 2015, Blokhin c. Russie [GC], no 47152/06, §§ 94 et 211‑216, 23 mars 2016, Ibrahim et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 50541/08 et 3 autres, §§ 250, 274, 280‑294 et 301‑311, 13 septembre 2016, et Correia de Matos c. Portugal [GC], no 56402/13, §§ 118, 120 et 160‑168, 4 avril 2018).

50.  Pour apprécier l’équité globale d’une procédure, la Cour prend en compte les exigences du paragraphe 3 de l’article 6 qui représentent des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1er de cette disposition. Elle examinera donc le grief que le requérant tire de l’article 6 § 3 d) sous l’angle de ces deux textes combinés (voir, mutatis mutandis, Schatschaschwili, précité, § 100, Blokhin, précité, § 194, et Ibrahim et autres, précité, § 251).

51.  Les principes généraux qui régissent l’examen de l’impact sur l’équité globale dans le contexte du recours à des techniques spéciales d’investigation ont été rappelés dans l’arrêt Van Wesenbeeck (précité, §§ 62‑68). Quant à ceux régissant l’équité du procès quand un accusé se plaint de ne pas avoir pu interroger certains témoins, ils ont été rappelés dans Kartvelishvili c. Géorgie (no 17716/08, §§ 59-61, 7 juin 2018 ; voir également Vidal c. Belgique, 22 avril 1992, § 33, série A no 235‑B, et Perna c. Italie [GC], no 48898/99, § 29, CEDH 2003‑V).

b)  Application en l’espèce

i.  L’utilisation de la méthode particulière de recherche de l’infiltration

52.  La Cour rappelle que lorsque la procédure est examinée dans son ensemble de manière à mesurer les conséquences de lacunes procédurales survenues au stade de l’enquête sur l’équité globale du procès pénal, l’un des facteurs à prendre en compte est le dispositif légal encadrant la procédure antérieure à la phase de jugement et l’admissibilité des preuves au cours de cette phase, ainsi que le respect ou non de ce dispositif (Ibrahim et autres, précité, § 274, b)). Toutefois, si toute mesure ordonnée par une autorité policière ou judiciaire au cours de l’instruction doit, pour être compatible avec le principe de la primauté du droit, de manière générale être fondée sur une base légale suffisante, la Convention n’exige pas que les mesures de recherche policière ou judiciaire soient réglées en détail par une loi ou une autre disposition normative. En d’autres mots, le simple fait que les méthodes particulières de recherche n’étaient à l’époque pas réglées par une loi, ne signifie pas nécessairement qu’il y a eu violation de l’article 6. En effet, les États contractants jouissent d’une grande liberté dans le choix des moyens propres à permettre à leur système judiciaire de respecter les impératifs de l’article 6. La tâche de la Cour consiste à rechercher si la voie suivie a conduit, dans un litige déterminé, à des résultats compatibles avec la Convention (Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, § 84, CEDH 2010).

53.  En l’espèce, à l’époque des faits reprochés au requérant, les techniques particulières étaient régies par une circulaire ministérielle ; le recours à de telles mesures était autorisé par le ministère public et leur mise en œuvre placé sous le contrôle du parquet et du juge d’instruction (voir paragraphe 34, ci-dessus). Ainsi, conformément aux directives figurant dans la circulaire ministérielle, si l’infiltration du requérant a été autorisée par le ministère public, sa mise en œuvre a été placée sous le contrôle d’un juge, en l’occurrence le juge d’instruction, garantie à laquelle la Cour accorde une certaine importance (Paci c. Belgique, no 45597/09, § 93, 17 avril 2018, et références citées).

54.  La Cour note que, lors du procès du requérant devant la cour d’appel, la loi du 6 janvier 2003, telle que modifiée par la loi du 27 décembre 2005, était en vigueur (voir paragraphes 37-38, ci-dessus). En vertu des articles 189ter et 235ter insérés dans le CIC par cette dernière loi, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel fut chargée du contrôle juridictionnel de l’application des méthodes particulières de recherche, d’observation et d’infiltration.

55.  Devant la cour d’appel, le requérant demanda à bénéficier d’un tel contrôle afin de vérifier la crédibilité de l’agent infiltré et de l’informateur. Sa demande fut toutefois rejetée. La cour d’appel estima que l’investigation litigieuse ayant eu lieu avant l’entrée en vigueur de la loi du 6 janvier 2003, elle échappait au contrôle juridictionnel introduit par la loi du 27 décembre 2005 (voir paragraphe 24, ci-dessus). Son raisonnement fut confirmé par la Cour de cassation (voir paragraphe 30, ci-dessus).

56.  Cela étant, la Cour note que, malgré le refus opposé par la cour d’appel de charger la chambre des mises en accusation du contrôle de la mise en œuvre des méthodes particulières de recherche, et en particulier de la méthode de l’infiltration, le requérant a pu contester devant elle la régularité du recours à cette méthode. À cet égard, il a invoqué la provocation comme moyen de défense.

57.  À l’issue d’un examen minutieux et circonstancié de l’impact de l’intervention de l’informateur et de l’agent infiltré sur la régularité et l’admissibilité des preuves, tant le tribunal de première instance que la cour d’appel ont répondu aux allégations du requérant. Ces juridictions ont conclu que l’absence de provocation pouvait être déduite d’éléments du dossier dont la fiabilité ne pouvait être mise en doute. Outre les déclarations du requérant, qui pour la cour d’appel ont même formé la source principale pour sa description des faits, les deux juridictions se sont basées sur les déclarations concordantes faites par d’autres prévenus et par des témoins extérieurs aux services de police pour conclure qu’il était établi avec certitude que l’intention d’importer des stupéfiants préexistait à l’entrée en jeu de l’informateur et de l’agent infiltré. Elles ont également établi que ces derniers n’avaient pas exercé de pressions indues allant au-delà de la création de la possibilité matérielle d’organiser le transport des stupéfiants, lequel aurait d’ailleurs pu être effectué sans l’intervention des services de police (voir paragraphe 18, ci-dessus).

58.  La Cour relève par ailleurs que, devant elle, le requérant ne soulève pas, en tant que tel, de grief relatif à la provocation dont il dit avoir été victime. Elle n’a donc pas besoin en l’espèce d’entrer dans l’analyse des critères qu’elle a énoncés au fil de sa jurisprudence, pour distinguer entre une provocation portant atteinte à l’article 6 § 1 et une mise en œuvre légitime de techniques particulières d’investigation (ces principes, énoncés dans Ramanauskas c. Lituanie [GC], no 74420/01, § §§ 49-61, CEDH 2008, et Bannikova c. Russie, no 18757/06, §§ 33-65, 4 novembre 2010, ont été précisés dans Matanović c. Croatie, no 2742/12, §§ 121-135, 4 avril 2017, Ramanauskas c. Lituanie (no 2), no 55146/14, §§ 52-62, 20 février 2018, et Virgil Dan Vasile c. Roumanie, no 35517/11, §§ 37-50, 15 mai 2018).

59.  En outre, il ressort du jugement du tribunal de première instance que les rapports contenant les déclarations de l’informateur et ceux de l’agent infiltré ont été comparés par les enquêteurs avec le résultat, correspondant, des observations et des écoutes téléphoniques menées au cours de l’infiltration (voir paragraphe 10, ci-dessus). La circonstance que certains éléments de preuve recueillis sur la base des écoutes aient ensuite été écartés par la cour d’appel en raison de vices procéduraux ne change rien à ce constat.

60.  Enfin, et cela est fondamental, il ressort de l’arrêt de la cour d’appel que l’établissement de la vérité et la condamnation du requérant reposaient sur d’autres éléments de preuve, à savoir les déclarations de ce dernier, des déclarations concordantes des autres prévenus ainsi que des témoignages apportés par des personnes extérieures aux services de police. Aussi, la cour d’appel l’a souligné, les déclarations de l’informateur et les rapports établis par l’agent infiltré étaient ainsi devenus d’une importance totalement secondaire sur le plan de la preuve (voir paragraphe 20, ci-dessus).

61.  Eu égard à ce qui précède, la Cour considère que le contrôle effectué par les juridictions de fond de la régularité de l’infiltration a constitué une garantie importante et que rien ne lui permet de considérer qu’il ait été porté atteinte aux droits de la défense du requérant d’une manière incompatible avec le droit à un procès équitable.

62.  Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention du fait du recours à la méthode de l’infiltration en l’absence d’un cadre légal.

ii.  Sur l’impossibilité pour le requérant d’interroger ou de faire interroger l’informateur et l’agent infiltré

63.  Le requérant se plaint en outre du fait que les juridictions n’ont pas accédé à sa demande d’interroger l’informateur ni l’agent infiltré alors qu’il s’agissait de la seule manière de contrôler leur fiabilité et de déterminer s’il y avait eu ou non provocation.

64.  Comme elle l’a dit ci-dessus, la tâche de la Cour consiste à rechercher si la procédure litigieuse, considérée dans son ensemble, a revêtu un caractère équitable (voir paragraphe 49, ci-dessus). Il ne suffit donc pas, au requérant qui allègue la violation de l’article 6 § 3 d) de la Convention, de démontrer qu’il n’a pas pu interroger un certain témoin à décharge. Encore faut-il qu’il ait étayé sa demande d’audition du témoin en en précisant l’importance et en expliquant pourquoi cette audition était nécessaire à la recherche de la vérité et pourquoi le refus de l’interroger causerait un préjudice aux droits de la défense (voir Perna [GC], précité, § 29, Guilloury c. France, no 62236/00, § 55, 22 juin 2006, et Kartvelishvili, précité, § 61).

65.  En l’espèce, le requérant expliqua, notamment devant la cour d’appel, qu’il estimait qu’une audition de l’informateur était nécessaire pour apprécier la fiabilité de cette personne. Plus généralement, il plaida que l’audition de ce dernier ainsi que de l’agent infiltré était nécessaire pour apprécier s’il y avait eu ou non une provocation de la part de la police. La Cour admet que la demande du requérant était ainsi suffisamment motivée (voir Popov c. Russie, no 26853/04, § 188, 13 juillet 2006, Dorokhov c. Russie, no 66802/01, § 72, 14 février 2008, et Poliakov c. Russie, no 77018/01, § 34, 29 janvier 2009) pour appeler de la part de la juridiction de jugement des raisons suffisantes et pertinentes pour refuser la demande (Topić c. Croatie, no 51355/10, § 42, 10 octobre 2013, Poropat c. Slovénie, no 21668/12, § 42, 9 mai 2017, et Kartvelishvili, précité, § 61).

66.  La Cour rappelle que le requérant a eu la possibilité d’invoquer devant les juridictions de jugement tous les moyens tirés de l’article 6 § 1 à l’encontre des méthodes de recherche utilisées, y compris ceux relatifs à la provocation. Dans ce cadre, il a notamment demandé que l’informateur et l’agent infiltré se fassent interroger. Le tribunal de première instance et la cour d’appel ont examiné cette demande de manière circonstanciée. Cela constitue, de l’avis de la Cour, une garantie procédurale importante de l’équité du procès (voir, dans le même sens, Van Wesenbeeck, précité, § 107).

67.  Lesdites juridictions rejetèrent les demandes formulées par le requérant au motif que les témoignages de l’informateur et de l’agent infiltré n’étaient pas nécessaires à la recherche de la vérité dès lors qu’un ensemble d’éléments, dont la fiabilité ne pouvait pas être mise en doute, avait permis de conclure à l’absence de provocation policière (voir paragraphes 12 et 20, ci-dessus). La cour d’appel considéra également, en ce qui concernait l’établissement des faits, qu’au vu de la clarté de ces éléments, les déclarations de l’informateur et les rapports de l’agent infiltré étaient devenus d’une importance totalement secondaire sous l’angle de la preuve (voir paragraphe 20, ci-dessus). La Cour note que, pour arriver à ses conclusions quant aux faits, en particulier au rôle joué par chacun des protagonistes, la cour d’appel s’est effectivement fondée sur les déclarations du requérant et celles, estimées concordantes, des autres prévenus et des témoins directement impliqués dans les faits et sans lien avec les autorités policières, et non pas sur les déclarations de l’informateur et les rapports de l’agent infiltré (voir paragraphe 60, ci-dessus ; comparer Lüdi c. Suisse, 15 juin 1992, § 47, série A no 238).

68.  Les juridictions de jugement ont aussi fait valoir qu’il fallait éviter de compromettre l’anonymat des intéressés pour préserver leur sécurité (voir paragraphes 12 et 21, ci-dessus).

69.  La Cour estime que les refus des juridictions de jugement d’interroger l’informateur et l’agent infiltré reposaient ainsi sur des motifs sérieux se basant sur des éléments objectifs et concrets (voir, mutatis mutandis, Dorokhov, précité, § 74, et Van Wesenbeeck précité, §§ 99-101). En particulier, la Cour n’aperçoit rien d’arbitraire ou de manifestement déraisonnable dans la conclusion selon laquelle l’audition de l’informateur ou de l’agent infiltré était parfaitement inutile pour la manifestation de la vérité.

70.  Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut qu’en l’espèce même si les juridictions de jugement ont refusé d’interroger l’informateur et l’agent infiltré, la défense a bénéficié de garanties procédurales suffisantes pour que l’équité globale de la procédure dirigée contre le requérant soit assurée.

71.  Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

72.  Le requérant allègue également une violation de son droit à la vie privée au motif que l’infiltration ne reposait pas sur une base légale. Il invoque l’article 8 de la Convention qui se lit comme suit :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

73.  Eu égard au grief du requérant tel qu’il a été formulé devant elle, la Cour limite son examen à l’opération d’infiltration en tant que telle. À ce sujet, elle estime, avec la Cour de cassation (voir paragraphe 28, ci-dessus), qu’il ne saurait être question d’ingérence au sens de l’article 8 lorsque, grâce à diverses initiatives prises par le requérant et sur demande d’un des prévenus, le fonctionnaire de police infiltré s’est déclaré disposé à prendre en charge le transport de stupéfiants qui faisaient l’objet d’un important trafic international de stupéfiants organisé par le requérant et les autres prévenus (voir Lüdi, précité, § 40).

74.  Partant, la Cour estime que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1.  Déclare, à l’unanimité, la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention, et irrecevable pour le surplus;

2.  Dit, par six voix contre une, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention du fait de l’utilisation de la méthode de recherche de l’infiltration ;

3.  Dit, par six voix contre une, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention du fait de l’impossibilité pour le requérant d’interroger ou de faire interroger l’informateur et l’agent infiltré.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 23 octobre 2018, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Hasan BakırcıRobert Spano
Greffier adjointPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée de la juge Karakaş.

R.S.
H.B.


OPINION DISSIDENTE DE LA JUGE KARAKAŞ

1.  Je ne partage pas l’opinion de la majorité, qui a conclu dans la présente affaire à la non-violation de l’article 6 § 1 et de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention.

A.  Sur la violation du principe de légalité et sur le droit à un procès équitable

2.  La question à laquelle la Cour avait à répondre est celle de savoir si l’opération policière s’est déroulée dans un cadre légal et si elle était accompagnée de garanties suffisantes.

3.  Tout d’abord, il faut citer le principe qui découle de notre jurisprudence : « Lorsque la procédure est examinée dans son ensemble de manière à mesurer les conséquences de lacunes procédurales survenues au stade de l’enquête sur l’équité globale du procès pénal, [l’un des facteurs à prendre en compte est] le dispositif légal encadrant la procédure antérieure à la phase de jugement et l’admissibilité des preuves au cours de cette phase, ainsi que le respect ou non de ce dispositif » (Ibrahim et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 50541/08 et 3 autres, § 274, 13 septembre 2016).

4.  En l’espèce, l’opération policière était exclusivement basée sur la circulaire du ministère de la Justice du 24 avril 1990 relative aux « techniques particulières de recherche pour combattre la criminalité grave ou organisée », mise à jour le 5 mars 1992. Cette circulaire, adressée aux procureurs, ne peut être considérée comme une base légale donnant des garanties suffisantes et instaurant une procédure claire et prévisible. Elle a été gardée secrète et n’a jamais été publiée.

5.  L’absence d’une véritable loi ou d’un cadre légal a été comblée par les lois du 6 janvier 2003 et du 27 décembre 2005. Au moment où il a été fait recours à la méthode particulière de recherche, il n’existait pas de base légale et les juridictions belges ont décidé que le contrôle judiciaire ne s’appliquait qu’aux méthodes particulières de recherches utilisées avant la loi du 6 janvier 2003. Dans l’arrêt qu’elle a rendu le 31 octobre 2006 dans le cadre de la présente affaire, la Cour de cassation a considéré que les méthodes particulières de recherche appliquées avant ces lois ne relevaient pas du pouvoir de contrôle de la chambre des mises en accusation (paragraphe 39 de l’arrêt).

6.  L’acceptation de ces méthodes particulières de recherche par les juridictions belges sans aucune base légale constitue une violation du droit à un procès équitable.

7.  La Cour constitutionnelle a ultérieurement condamné cette pratique dans son arrêt du 21 février 2008 en se référant aux exigences fondamentales de l’article 6 § 1 de la Convention. D’après la Cour constitutionnelle, cette situation créait une différence de traitement à l’égard des personnes qui avaient fait l’objet d’une méthode particulière de recherche avant l’entrée en vigueur de la loi du 6 janvier 2003. Ces personnes se seraient trouvées discriminées dans l’exercice des droits de la défense et du droit à un procès équitable (paragraphe 40 de l’arrêt).

8.  Il est donc impossible, de mon point de vue, d’accepter l’opinion de la majorité lorsqu’elle qualifie de « simple fait » le fait que les méthodes particulières de recherche n’étaient à l’époque pas régies par une loi et lorsqu’elle estime que cela ne signifie pas nécessairement qu’il y a eu violation de l’article 6. En outre, il est impossible de déceler dans ce contexte où sont les garanties au sens de l’article 6 § 1. Les juridictions nationales sont parvenues à une conclusion différente de celle de la majorité, même si cela a eu lieu tardivement (la Cour de cassation a elle aussi modifié son point de vue – paragraphe 41 de l’arrêt).

9.  Le requérant a été condamné sous le régime de la circulaire ministérielle et il a été privé d’un contrôle de légalité par une instance judiciaire, contrôle qui aurait été nécessaire dans le cadre de l’article 6 § 1 de la Convention, comme cela ressort de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle.

B.  Sur le caractère contradictoire du procès et sur l’égalité des armes

10.  Tout en faisant référence à notre opinion dissidente dans l’arrêt Van Wesenbeeck c. Belgique (nos 67496/10 et 52936/12, 23 mai 2017 – voir l’opinion partiellement dissidente des juges Karakaş, Laffranque et Turković), je veux rappeler que toutes difficultés causées à la défense par une limitation de ses droits doivent être suffisamment compensées par la procédure suivie devant les autorités judiciaires (Edwards et Lewi c. Royaume-Uni, nos 39647/98 et 40461/98, 27 octobre 2004).

11.  Dans la présente affaire, à aucun moment de la procédure le requérant n’a pu interroger ni l’informateur ni l’agent infiltré impliqués dans l’opération policière. Il n’a pas pu consulter non plus les rapports de l’informateur et les instructions concernant l’opération policière.

12.  L’argument selon lequel il fallait éviter de briser l’anonymat des intéressés pour préserver leur sécurité n’est pas convaincant non plus en présence d’autres méthodes utilisables sans divulgation de l’identité des intéressés (voir notre opinion dans Van Wesenbeeck, précité).

13.  Il est difficile de comprendre comment la majorité est parvenue à la conclusion que l’audition de l’informateur ou de l’agent infiltré était totalement superflue pour la manifestation de la vérité et que la défense a bénéficié de garanties procédurales suffisantes.

14.  Le rejet de la demande du requérant visant à l’audition de l’informateur et de l’agent infiltré n’était pas justifié et l’équité globale de la procédure ne se trouve pas établie. Je considère donc qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 combiné avec l’article 6 § 3 d).

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CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE GUERNI c. BELGIQUE, 23 octobre 2018, 19291/07