CEDH, Cour (grande chambre), AFFAIRE JALOUD c. PAYS-BAS, 20 novembre 2014, 47708/08

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Chronologie de l’affaire

Commentaires9

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www.dbfbruxelles.eu · 21 novembre 2014

Saisie d'une requête dirigée contre les Pays-Bas, la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l'homme a, notamment, interprété, le 20 novembre dernier, l'article 2 de la Convention européenne des droits de l'homme relatif au droit à la vie (Jaloud c. Pays-Bas, requête n°47708/08). A la suite de l'invasion de l'Irak par la coalition internationale en mars 2003, le fils du requérant, ressortissant irakien, a été tué par balles alors qu'il se trouvait sur la banquette arrière d'une voiture qui avait franchi de force un barrage militaire tenu par des irakiens et des membres des …

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Grande Chambre), 20 nov. 2014, n° 47708/08
Numéro(s) : 47708/08
Publication : Recueil des arrêts et décisions 2014
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Al-Skeini et autres c. Royaume-Uni [GC], n° 55721/07, CEDH 2011
Assanidzé c. Géorgie [GC], n° 71503/01, §§ 202-203, CEDH 2004 II
Banković et autres c. Belgique et autres (déc.) [GC], n° 52207/99, CEDH 2001 XII
Catan et autres c. République de Moldova et Russie [GC], nos 43370/04, 8252/05 et 18454/06, CEDH 2012 (extraits)
Catan et autres c. Moldova et Russie arrêt [GC], nos 43370/04, 8252/05 et 18454/06, CEDH 2012
Chypre c. Turquie [GC], n° 25781/94, CEDH 2001 IV
Hutten-Czapska c. Pologne [GC], n° 35014/97, §§ 238-239, CEDH 2006 VIII
Rowe et Davis c. Royaume-Uni [GC], n° 28901/95, § 60, CEDH 2000 II
Dowsett c. Royaume-Uni, n° 39482/98, § 41, CEDH 2003 VII
Edwards c. Royaume-Uni, 16 décembre 1992, § 36, série A n° 247 B
Finucane c. Royaume-Uni, n° 29178/95, § 69, CEDH 2003 VIII
Giuliani et Gaggio c. Italie [GC], n° 23458/02, § 301, CEDH 2011
Hugh Jordan c. Royaume-Uni, n° 24746/94, § 107, CEDH 2001 III (extraits)
I.J.L. et autres c. Royaume-Uni, nos 29522/95, 30056/96 et 30574/96, § 112, CEDH 2000 IX
Ilaşcu et autres c. Moldova et Russie [GC], n° 48787/99, CEDH 2004 VII
Issaïeva c. Russie, n° 57950/00, § 173, 24 février 2005
Al Jedda c. Royaume-Uni [GC], n° 27021/08, § 77, CEDH 2011
Kaya c. Turquie, 19 février 1998, § 87, Recueil 1998-I
K. c. Italie, n° 38805/97, § 21, CEDH 2004 VIII
Kelly et autres c. Royaume-Uni, n° 30054/96, § 93, 4 mai 2001
Loizidou c. Turquie (exception préliminaires), 23 mars 1995, série A n° 310
Makaratzis c. Grèce [GC], n° 50385/99, § 74, CEDH 2004 XI
McCann et autres c. Royaume-Uni, 27 septembre 1995, § 149, série A n° 324
McKerr c. Royaume-Uni, n° 28883/95, § 113, CEDH 2001 III
Pellegrini c. Italie, n° 30882/96, § 40, CEDH 2001-VIII
Ramsahai et autres c. Pays-Bas [GC], n° 52391/99, CEDH 2007 II
Tahsin Acar c. Turquie [GC], n° 26307/95, § 223, CEDH 2004 III
Références à des textes internationaux :
Protocole d’entente de la DMN (S-E) (division multinationale, sud-est);Protocole d’entente de la DMN (C-S) (division multinationale, centre-sud);Article 42 du Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre (La Haye, 18 octobre 1907);Conventions de Genève de 1949;Résolution n° 1483 du Conseil de sécurité des Nations unies;Résolution n° 1511 du Conseil de sécurité des Nations unies;Décret n° 28 de l’Autorité provisoire de la coalition du 9 mars 2003 (« Création du corps irakien de défense civile »);Article 6 des Articles de la Commission du droit international sur la responsabilité de l’État;Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007, p. 43, § 406
Organisations mentionnées :
  • Cour internationale de Justice
  • Organisation du traité de l'Atlantique Nord
  • Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie
  • Comité des Ministres
Niveau d’importance : Publiée au Recueil
Opinion(s) séparée(s) : Oui
Conclusions : Violation de l'article 2 - Droit à la vie (Article 2 - Obligations positives ; Article 2-1 - Enquête efficace) (Volet procédural) ; Préjudice moral - réparation
Identifiant HUDOC : 001-148382
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2014:1120JUD004770808
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Sur les parties

Texte intégral

GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE JALOUD c. PAYS-BAS

(Requête no 47708/08)

ARRÊT

STRASBOURG

20 novembre 2014

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


ABRÉVIATIONS ET ACRONYMES

PROCÉDURE

EN FAIT

A.  Les circonstances de l’espèce

1.  Le décès de M. Azhar Sabah Jaloud

2.  L’enquête

3.  La procédure interne

B.  Les armes utilisées lors des faits litigieux

1.  Le Diemaco C7A1

2.  La Kalachnikov AK-47

C.  La présence militaire des Pays-Bas en Irak

1.  Le contexte général

2.  La lettre adressée à la Chambre basse du Parlement

3.  La présence de la maréchaussée royale en Irak

D.  Les instructions au personnel néerlandais de la SFIR

1.  L’aide-mémoire à l’intention des commandants de la SFIR

2.  La carte du militaire de la SFIR

E.  La maréchaussée royale

F.  La chambre militaire de la cour d’appel d’Arnhem

G.  Le droit et la procédure internes pertinents

1.  La Constitution du Royaume des Pays-Bas

2.  Le code pénal (Wetboek van Strafrecht)

3.  Le code pénal militaire (Wetboek van Militair Strafrecht)

4.  La loi sur la procédure pénale militaire (Wet Militaire Strafrechtspraak)

5.  Le code de procédure pénale (Wetboek van Strafvordering)

H.  La jurisprudence interne pertinente

1.  L’affaire Eric O.

2.  Les affaires Mustafić et Nuhanović

I.  Autres documents internes

1.  Rapport d’évaluation sur l’application de la procédure pénale militaire aux opérations menées à l’étranger

2.  Le rapport de la commission Van den Berg

3.  Le rapport d’évaluation final

J.  Le droit international pertinent

1.  Le Règlement de La Haye

2.  La quatrième Convention de Genève

3.  Résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies

4.  Jurisprudence de la Cour internationale de justice

5.  Les Articles de la Commission du droit international sur la responsabilité de l’État

K.  Documents pertinents sur l’occupation de l’Irak

1.  Le décret no 28 de l’Autorité provisoire de la coalition (Coalition Provisional Authority – CPA)

2.  Le protocole d’entente de la DMN (S-E) (division multinationale, sud-est)

3.  Le protocole d’entente de la DMN (C-S) (division multinationale, centre-sud)

GRIEFS

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DE LA CONVENTION

A.  Sur la recevabilité

1.  L’exception préliminaire du Gouvernement

2.  Conclusion sur la recevabilité

B.  Sur la juridiction

1.  Thèses des parties

2.  Appréciation de la Cour

C.  Sur le manquement allégué à l’obligation d’enquêter découlant de l’article 2

1.  Thèses des parties

2.  Appréciation de la Cour

II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

A.  Dommage

B.  Frais et dépens

C.  Intérêts moratoires

OPINION CONCORDANTE DU JUGE SPIELMANN, À LAQUELLE SE RALLIE LE JUGE RAIMONDI

OPINION CONCORDANTE COMMUNE AUX JUGES CASADEVALL, BERRO-LEFÈVRE, ŠIKUTA, HIRVELÄ, LÓPEZ GUERRA, SAJÓ ET SILVIS

OPINION CONCORDANTE DE LA JUGE MOTOC


ABRÉVIATIONS ET ACRONYMES

AOR

Zone de responsabilité opérationnelle (Area of operational responsibility)

CD-ROM

Disque optique numérique à lecture seule

CEDH

Cour européenne des droits de l’homme, Recueil des arrêts et décisions (de 1999 à nos jours)

CENTCOM

Commandement central américain (American Central Command)

CFLCC

Commandant de la composante terrestre des Forces de la coalition (Coalition Forces Land Component Commander)

CIDC

Corps irakien de défense civile

C.I.J.

Cour internationale de justice

CPA

Autorité provisoire de la coalition (Coalition Provisional Authority)

CSNU

Conseil de sécurité des Nations unies

DMN (C-S)

Division multinationale centre-sud

DMN (S-E)

Division multinationale sud-est

DR

Commission européenne des droits de l’homme, Décisions et rapports

EUR

Euro (monnaie)

FORPRONU

Force de protection des Nations unies (Bosnie-Herzégovine 1992-1995)

GC

Grande Chambre

GST

Équipes de soutien au gouvernement (Government support teams)

LJN

Landelijk Jurisprudentienummer (Numéro de jurisprudence nationale, Pays-Bas)

LOC

Lignes de communication

OTAN

Organisation du traité de l’Atlantique Nord

PAROI

Projet d’articles sur la responsabilité des organisations internationales (Commission du droit international)

PCV

Poste de contrôle des véhicules

PE

Protocole d’entente

PJCC

Centre provisoire conjoint de coordination (Provisional Joint Coordination Center – services d’urgence et d’administration locale en Irak)

POD

Point de débarquement

RCSNU

Résolution du Conseil de sécurité des Nations unies

Recueil

Cour européenne des droits de l’homme, Recueil des arrêts et décisions (1996-1998)

ROE

Règles d’engagement (Rules of engagement)

SFIR

Force de stabilisation en Irak (Stabilization Force in Iraq)


En l’affaire Jaloud c. Pays-Bas,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Dean Spielmann, président,

Josep Casadevall,

Guido Raimondi,

Ineta Ziemele,

Mark Villiger,

Isabelle Berro-Lefèvre,

Elisabeth Steiner,

Alvina Gyulumyan,

Ján Šikuta,

Päivi Hirvelä,

Luis López Guerra,

András Sajó,

Zdravka Kalaydjieva,

Aleš Pejchal,

Johannes Silvis,

Valeriu Griţco,

Iulia Antoanella Motoc, judges,

et de Michael O’Boyle, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 19 février et 10 septembre 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 47708/08) dirigée contre le Royaume des Pays-Bas et dont un ressortissant irakien, M. Sabah Jaloud (« le requérant »), a saisi la Cour le 6 octobre 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant a été représenté par Me L. Zegveld et Me A.W. Eikelboom, avocats à Amsterdam. Le gouvernement néerlandais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. R.A.A. Böcker, du ministère des Affaires étrangères.

3.  Le requérant alléguait en particulier que l’enquête sur le décès de son fils, M. Azhar Sabah Jaloud, avait été inadéquate. Il y voyait une violation de l’article 2 de la Convention.

4.  Le 6 décembre 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement.

5.  Le 9 juillet 2013, une chambre de la troisième section composée de Josep Casadevall, président, Alvina Gyulumyan, Corneliu Bîrsan, Ján Šikuta, Luis López Guerra, Kristina Pardalos, Johannes Silvis, juges, ainsi que de Santiago Quesada, greffier de section, s’est dessaisie en faveur de la Grande Chambre, aucune des parties ne s’y étant opposée (articles 30 de la Convention et 72 du règlement de la Cour).

6.  La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux dispositions des articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement. Par la suite, Elisabeth Steiner, juge suppléante, a remplacé Kristina Pardalos, empêchée.

7.  Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites. Des observations ont également été reçues du gouvernement britannique, que le président avait autorisé à intervenir dans la procédure (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 2 du règlement). Le gouvernement intervenant a été représenté par son agente, Mme R. Tomlinson, du ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth.

8.  Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 19 février 2014 (article 59 § 3 du règlement).

Ont comparu :

–  pour le gouvernement défendeur
MM.R. Böcker, ministère des Affaires étrangères,agent,
M. Kuijer, ministère de la Sécurité et de la Justice,
B. van Hoek, ministère public,
Commandant H. Warnar, ministère de la Défense,
État-major des armées,conseillers ;

–  pour le requérant
MesL. Zegveld,
A.-W. Eikelboom,conseils ;

–  pour le gouvernement britannique, gouvernement intervenant
MmeR. Tomlinson, ministère des Affaires étrangères
et du Commonwealth, agente,
MM.J. Eadie QC,conseil,
J. Benson, ministère des Affaires étrangères
et du Commonwealth, conseiller,
MmeM. Addis, ministère des Affaires étrangères
et du Commonwealth, observatrice.

La Cour a entendu M. Böcker, Me Eikelboom, Me Zegveld et Me Eadie en leurs déclarations ainsi qu’en leurs réponses aux questions posées par les juges.

EN FAIT

9.  Le requérant, M. Sabah Jaloud, est un ressortissant irakien né en 1943 et résidant à An-Nasiryah (Irak). Il est le père de feu Azhar Sabah Jaloud, décédé le 21 avril 2004 à l’âge de vingt-neuf ans.

A.  Les circonstances de l’espèce

1.  Le décès de M. Azhar Sabah Jaloud

10.  Le 21 avril 2004 vers 2 h 12 du matin, une voiture inconnue s’approcha d’un poste de contrôle des véhicules (PCV) appelé « B-13 » sur la principale route d’approvisionnement, « Jackson », au nord de la ville d’Ar-Rumaythah, dans la province d’Al-Muthanna, dans le sud-est de l’Irak. Le véhicule ralentit et tourna. Des coups de feu furent tirés depuis l’intérieur de la voiture sur les personnes, toutes membres du Corps irakien de défense civile (CIDC), qui gardaient le PCV. Les gardes ripostèrent. Personne ne fut touché ; la voiture repartit et disparut dans la nuit.

11.  Appelée par le sergent Hussam Saad, du CIDC, qui commandait le poste de contrôle, une patrouille de six militaires néerlandais emmenée par le lieutenant A. arriva sur place vers 2 h 30.

12.  Une quinzaine de minutes plus tard, une voiture de marque Mercedes s’approcha du PCV à vive allure. Elle percuta l’un des barils qui avaient été placés au milieu de la route pour constituer le poste de contrôle, mais continua à avancer. Des coups de feu furent tirés sur la voiture : le lieutenant A. tira vingt-huit cartouches avec un fusil d’assaut Diemaco ; il est possible également que des coups de feu aient été tirés avec une Kalachnikov AK-47 par un ou plusieurs membres du CIDC (paragraphes 21 et 49-52 ci-dessous). Le conducteur arrêta alors la voiture.

13.  Le fils du requérant, M. Azhar Sabah Jaloud, occupait le siège du passager à l’avant de la voiture. Il avait été touché à plusieurs endroits, notamment à la poitrine. Les militaires néerlandais le sortirent de la voiture et tentèrent de lui administrer les premiers secours, mais il succomba. Sa mort fut constatée une heure après la fusillade.

14.  Le corps fut radiographié. Les clichés montrent des objets, identifiés comme étant métalliques, logés dans la poitrine et dans d’autres parties du corps.

15.  Une autopsie fut réalisée par un médecin irakien, qui rédigea un bref rapport en arabe. Des objets métalliques, identifiables comme étant des fragments de balles, furent trouvés dans le corps.

16.  Il ne fut pas déterminé par qui avait été tirée la balle ou les balles, ni quelle arme avait été utilisée.

2.  L’enquête

a)  Le début de l’enquête

17.  D’après un procès-verbal établi par le sergent de première classe (wachtmeester 1e klasse) Schellingerhout, de la maréchaussée royale (Koninklijke marechaussee), détachement d’As-Samawah, un appel téléphonique signalant la fusillade avait été reçu à 3 h 25 à la salle des opérations du bataillon. Selon cet appel, une voiture avait percuté le PCV. Des coups de feu avaient été tirés par les forces armées néerlandaises et irakiennes. Le passager de la voiture avait été blessé et on l’avait transporté à l’hôpital. La maréchaussée royale était appelée à enquêter.

18.  Un groupe de garde (piketgroep) de la maréchaussée royale constitué de sept personnes accompagnées d’un interprète partit à 3 h 50 et arriva sur place vers 4 h 50. Les sergents de première classe Broekman et Van Laar, de la maréchaussée royale, commencèrent à recueillir des éléments de preuve à 5 heures. À la même heure, des membres de la maréchaussée royale à La Haye, de même que le procureur près le tribunal d’arrondissement (rechtbank) d’Arnhem, furent informés de l’incident.

b)  Saisie de la dépouille, de la voiture et des armes personnelles du lieutenant A. et du sergent Hussam Saad, du CIDC

19.  La dépouille fut saisie par l’adjudant (adjudant-onderofficier) Kortman, de la maréchaussée royale, à 7 h 30 et transportée à l’hôpital mobile de Camp Smitty. À 11 h 45, après obtention d’une autorisation écrite d’un tribunal local, le corps fut transféré à l’hôpital général d’As-Samawah. L’autopsie fut effectuée par un médecin irakien, en l’absence de tout témoin membre de la police.

20.  La Mercedes fut saisie vers 5 h 10 par l’adjudant Kortman, puis remorquée jusqu’à Camp Smitty.

21.  Vers 7 h 50, le sergent de première classe Schellingerhout procéda à la saisie de la Kalachnikov AK-47 du sergent Hussam Saad ; vers 11 h 55, il saisit également le fusil Diemaco C7A1 du lieutenant A. Par la suite, les deux armes furent étiquetées et mises à la disposition du procureur d’Arnhem.

c)  Dépositions recueillies par des membres de la maréchaussée royale

22.  Les dépositions suivantes furent soumises aux autorités chargées de l’enquête et aux organes judiciaires dans le cadre de la procédure interne.

i.  M. Dawoud Joad Kathim

23.  Le 21 avril 2004 vers 5 h 5, l’adjudant Mercx, de la maréchaussée royale, prit la déposition du conducteur de la Mercedes, M. Dawoud Joad Kathim, avec l’assistance d’un interprète. M. Dawoud Joad Kathim déclara que la veille au soir il avait bu deux canettes de bière, pas plus, et qu’il n’avait pas été ivre. Il n’avait remarqué le poste de contrôle que lorsqu’il avait été trop tard pour éviter de percuter deux barils. Il faisait sombre à ce moment-là et il n’y avait pas d’éclairage. À sa grande surprise, sa voiture avait essuyé des coups de feu alors qu’il franchissait le poste de contrôle. Son ami, M. Azhar Sabah Jaloud, avait été touché. Il avait entendu celui-ci dire qu’il était en train de mourir. Il souhaitait porter plainte parce que le poste de contrôle n’avait pas été clairement signalé.

ii.  Le sergent Hussam Saad, du CIDC

24.  Le 21 avril 2004 vers 5 h 15, le sergent de première classe Weerdenburg, de la maréchaussée royale, recueillit la déposition du sergent Hussam Saad, du CIDC. Ce dernier déclara qu’il avait signalé des tirs en provenance d’une voiture aux alentours de 2 h 10 ; le lieutenant A. était arrivé vers 2 h 30. En compagnie de celui-ci, d’un autre militaire néerlandais et de l’interprète, il était parti à la recherche de douilles. Il avait tout à coup entendu un grand bruit et avait vu approcher une voiture en provenance d’Ar-Rumaythah. Sommée de s’arrêter, celle-ci n’en avait pas moins continué à avancer. Il avait ensuite entendu des tirs provenant du côté gauche de la route. Pour sa part, il n’avait pas ouvert le feu.

iii.  Autres membres du CIDC

25.  Le sergent de première classe Weerdenburg interrogea ensuite les autres militaires irakiens, mais ils ne donnèrent pas d’informations pertinentes.

iv.  M. Walied Abd Al Hussain Madjied

26.  Le 21 avril 2004 vers 7 heures, le sergent Klinkenberg, de la maréchaussée royale, prit la déposition de M. Walied Abd Al Hussain Madjied, interprète employé par le CIDC. L’intéressé déclara qu’il avait accompagné entre deux postes de contrôle la patrouille emmenée par le lieutenant A. À son arrivée au PCV B1.3, il avait été informé de la première fusillade par le sergent Hussam Saad, du CIDC, et il s’était joint au lieutenant A. et à d’autres personnes pour rechercher des douilles. Il avait tout à coup entendu un bruit de barils qui se renversent, s’était retourné et avait vu approcher une voiture. Il avait crié « Stop, stop, stop ! », mais la voiture avait poursuivi sa route. De l’autre côté de la route, un militaire néerlandais avait tiré sur la voiture. Une fois celle-ci à l’arrêt, il avait servi d’interprète à ses occupants. Le passager avait le bras gauche couvert de sang et le conducteur sentait l’alcool.

v.  Le sergent Teunissen

27.  Le 21 avril 2004 vers 9 h 30, le sergent de première classe Van Laar et le sergent Klinkenberg, de la maréchaussée royale, prirent la déposition du sergent (sergeant) d’infanterie Teunissen. Celui-ci déclara qu’il était arrivé au PCV B1.3 à 2 heures et y avait reçu des informations du sergent du CIDC. Avec son lieutenant, le sergent du CIDC et l’interprète, il avait remonté la route, à la recherche de douilles. À 100 mètres environ de la guérite du PCV, il s’était retourné, un bruit l’ayant fait sursauter. Il avait vu une voiture rentrer dans le PCV à vive allure ; lorsqu’elle avait franchi le PCV, il avait entendu des tirs provenant du PCV. Lui-même et ses trois compagnons avaient plongé à terre pour se mettre à couvert. Lorsque la voiture était arrivée à leur hauteur, des coups de feu avaient été tirés depuis l’autre côté de la route, là où se trouvait le lieutenant. Il avait crié « Arrêtez de tirer ! », mais n’avait pas été entendu. Lorsque les tirs avaient cessé, la voiture s’était arrêtée. Le passager saignait au niveau de la partie inférieure du corps et à l’épaule gauche. Le sergent Teunissen et le soldat Finkelnberg l’avaient extrait de la voiture, l’avaient allongé à terre et avaient pansé ses blessures. Avec le lieutenant A., il avait tenté de le réanimer, jusqu’à ce que le médecin lui dise que c’était inutile.

vi.  Le lieutenant A., première déposition

28.  Le 21 avril 2004 vers 11 h 15, les sergents de première classe Broekman et Van Laar, de la maréchaussée royale, entendirent le lieutenant A., après l’avoir averti que ses déclarations pourraient être retenues contre lui. Le lieutenant A. déclara qu’il était chargé de la supervision de deux postes de contrôle des véhicules, dont l’un était le PCV B1.3, sur la route « Jackson », au nord d’Ar-Rumaythah. Après que la première fusillade eut été signalée, il était arrivé au PCV B1.3 vers 2 h 30 ; il avait envisagé d’effectuer à pied un tour de reconnaissance de la zone, en compagnie du sergent Teunissen et du sergent du CIDC. Vers 2 h 45, un bruit l’avait fait sursauter. Regardant en arrière, il avait vu la lumière vive de deux phares de voiture s’approcher. Des coups de feu avaient alors été tirés de cette direction et, en les entendant, il avait plongé sur le bas-côté pour se mettre à couvert. Il avait eu la conviction que les tirs provenaient de l’intérieur de la voiture. Lorsque la voiture était arrivée à sa hauteur, il avait armé son fusil ; il avait ouvert le feu sur l’arrière de la voiture dès que celle-ci était passée. Il avait tiré vingt-huit cartouches en tirs ciblés. Il avait répondu au danger résultant du fait qu’il avait été visé en premier. Il avait utilisé tout le contenu d’un chargeur, soit vingt-huit cartouches, ce qui avait pris environ sept secondes. Le passager ayant été blessé, il avait tenté avec le sergent Teunissen de le réanimer, jusqu’à l’arrivée des secours. À ce moment-là, le blessé n’avait plus de pouls. Peu après, le commandant de la compagnie était arrivé ; le lieutenant A. lui avait fait rapport.

vii.  Le soldat Finkelnberg

29.  Le 23 avril 2004 vers 13 h 50, l’adjudant Kortman et le sergent de première classe Broekman, de la maréchaussée royale, prirent la déposition du soldat Finkelnberg. Celui-ci déclara que, le 21 avril 2004 à 2 heures, accompagné notamment du lieutenant A. et du sergent Teunissen, il était arrivé au PCV B1.4, où le sergent du CIDC avait signalé au lieutenant A. qu’une fusillade avait eu lieu au PCV B1.3. La patrouille s’était alors rendue à ce poste de contrôle, où elle était arrivée à 2 h 30. Le lieutenant A., le sergent Teunissen, le sergent du CIDC et l’interprète avaient remonté la route en direction de Hamza, à la recherche de douilles. Une voiture de couleur sombre s’était approchée à vive allure et était passée à côté de lui, puis avait franchi le poste de contrôle en percutant des barils placés sur la route. À travers son intensificateur d’images, il avait vu le lieutenant A., sur le côté gauche de la route, se mettre à couvert ; il avait ensuite vu des flashs sortant des canons de plusieurs armes du côté gauche de la route et avait entendu des tirs provenant de cette direction. Les tirs étaient à coups uniques. À un moment, il avait vu la voiture s’arrêter. Pendant les coups de feu, il avait entendu le sergent Teunissen crier « Arrêtez de tirer ! ». Il était allé jusqu’au véhicule et avait coupé les vêtements du passager. Pendant que le sergent Teunissen apportait les premiers secours, il avait fouillé la voiture, à la recherche d’armes. Il avait trouvé une glacière contenant une bouteille de boisson alcoolisée pratiquement vide. Il s’était alors joint au sergent Teunissen et au lieutenant A. dans leurs tentatives de réanimation du passager, jusqu’à ce que le décès fût constaté. Dans sa déposition, le soldat Finkelnberg critiqua le lieutenant A. pour avoir tiré alors que ses propres hommes se trouvaient de l’autre côté de la route et pour avoir tiré autant de cartouches ; il critiqua également le CIDC pour avoir fait feu dans la direction générale de ses propres effectifs.

viii.  Le sergent de cavalerie Quist

30.  Le 23 avril 2004 vers 13 h 50, le sergent major (opperwachtmeester) Wolfs et le sergent de première classe Van Laar, de la maréchaussée royale, recueillirent la déposition du sergent de cavalerie (wachtmeester) Quist. Celui-ci déclara que le 21 avril 2004 vers 2 heures, il s’était trouvé au PCV B1.4 avec le lieutenant A. et les autres membres de son unité de patrouille, qui était dirigée par le sergent Teunissen. Une fusillade avait eu lieu au PCV B1.3, où ils s’étaient rendus. À leur arrivée, il n’avait aperçu aucun membre du CIDC au poste de contrôle, mais il avait vu un groupe de personnes du côté gauche de la route, à l’opposé de la guérite. Il avait garé son véhicule, après quoi le lieutenant A., le sergent Teunissen, l’interprète Walied et le sergent du CIDC étaient partis à pied vers le nord, à la recherche de douilles. À un moment, il avait vu une voiture approcher à vive allure, en provenance d’Ar-Rumaythah ; lorsque la voiture avait atteint le poste de contrôle, elle avait percuté des barils ou des rochers qui avaient été placés là. Il avait entendu des tirs automatiques venant de l’endroit où se trouvaient les membres du CIDC, tirs qui avaient ensuite cessé. Il y avait encore eu des coups de feu à environ 100 mètres de lui, mais il était incapable de dire qui avait tiré à l’avant. Il lui semblait que les coups de feu avaient été tirés par plusieurs armes. Il avait vu le véhicule s’arrêter 50 mètres plus loin. Il avait fait un compte rendu de la situation. Il avait vu le lieutenant A. et le sergent Teunissen tenter de réanimer la victime.

ix.  Le lieutenant A., seconde déposition

31.  Le 23 avril 2004 vers 15 h 35, le sergent de première classe Broekman et l’adjudant Kortman, de la maréchaussée royale, prirent la seconde déposition du lieutenant A. L’intéressé déclara que la toute dernière fois où il avait vu le sergent du CIDC, celui-ci se trouvait au poste de contrôle et « bricolait » (klungelen) son fusil AK-47. Le lieutenant A. avait dit au sergent de ne pas diriger son arme vers lui. Au sujet de la fusillade, il ajouta que pour autant qu’il s’en souvenait il s’était probablement allongé sur une partie plate de la route ; il n’avait pas tiré en étant debout. Il avait fait du bouche-à-bouche au passager blessé de la voiture et se rappelait que celui-ci sentait l’alcool. Le commandant adjoint de la compagnie du CIDC lui avait donné une liste indiquant les noms des membres du CIDC qui avaient fait feu avec leurs armes ainsi que le nombre correspondant de cartouches, et il avait demandé de nouvelles munitions.

d)  Autres rapports d’enquête

i.  L’examen de la Mercedes

32.  Le 22 avril 2004, l’adjudant Voorthuijzen et le sergent Heijden, de la maréchaussée royale, examinèrent la voiture saisie la veille par l’adjudant Kortman. Il s’agissait d’une Mercedes Benz noire, modèle 320 E AMG. Le véhicule portait des plaques d’immatriculation noires avec des inscriptions en alphabet arabe recouvrant visiblement des plaques blanches sur lesquelles figuraient, en noir, des lettres en alphabet latin et des chiffres. La voiture présentait des dégâts pouvant résulter d’une collision à vive allure avec des objets étrangers. La lunette arrière était cassée. Des trous furent constatés à l’arrière de la voiture, sur les côtés droit et gauche de la carrosserie, ainsi que dans les sièges. Des morceaux de métal furent trouvés à différents endroits ; l’un d’eux, identifié comme étant un fragment de balle, avait manifestement traversé le siège du passager. La conclusion à laquelle aboutissait l’examen était que la voiture avait été prise pour cible tant du côté gauche que du côté droit : à gauche, avec une arme tirant des munitions d’un calibre inférieur à 6 mm ; à droite, avec une arme tirant des munitions d’un calibre supérieur à 6 mm. Les angles précis des tirs sur la voiture ne pouvaient cependant pas être déterminés.

ii.  Radiographies et photographies

33.  Le 9 mai 2004, l’adjudant Voorthuijzen et le sergent Klinkenberg, de la maréchaussée royale, reçurent un CD-ROM contenant les radiographies réalisées sur le corps de Azhar Sabah Jaloud. Elles montraient la présence de fragments métalliques dans le côté gauche de la cage thoracique, la hanche gauche et l’avant-bras gauche. Les radiographies avaient été effectuées par l’adjudant Dalinga, manipulateur en radiologie à Camp Smitty (As-Samawah, province d’Al-Muthanna).

34.  Le dossier renferme des photocopies des radiographies susmentionnées, ainsi que des photographies. Elles sont accompagnées de descriptifs contenus dans un rapport officiel de l’adjudant Kortman. Parmi les photographies figurent des clichés, certains pris de jour, d’autres apparemment de nuit, d’une route et d’un poste de contrôle. Plusieurs montrent des cartouches et des douilles au sol, notamment certaines décrites comme étant de calibre 7 x 39 mm (comme celles tirées par la Kalachnikov AK-47)[1], et une quantité de douilles de calibre 5,56 x 45 mm selon les indications données (comme celles tirées par le fusil Diemaco C7A1), empilées les unes à côté des autres. Sur d’autres photographies figure le corps d’un homme blessé à un bras, dans la partie supérieure gauche du dos et à la fesse droite. D’autres images montrent une Mercedes de couleur sombre ; des détails sont donnés sur la présence dans la carrosserie et le garnissage de trous pouvant avoir été causés par des balles.

iii.  Rapport du lieutenant-colonel Awadu Kareem Hadi, du CIDC

35.  Le 22 avril 2004, le lieutenant-colonel Awadu Kareem Hadi, commandant du bataillon 603 du CIDC, envoya depuis le quartier général de son bataillon un rapport au siège de la police irakienne. Ce rapport se lit comme suit (le requérant a soumis une traduction manuscrite approximative de l’arabe vers l’anglais) :

« Précisions sur l’accident survenu le (20/04/2004) et informations émanant du premier bataillon (Ar-Rumaythah) :

À l’heure (21 h 5 [sic] après minuit) de la date (20/04/2004) [sic], une voiture de type (Mercedes) arrive à grande vitesse de la direction de (Al Hamza) et roule vers (Al Nassiriya). Lorsqu’elle atteint le lieu du poste de contrôle, elle ne s’arrête pas et percute les obstacles présents au poste de contrôle. Elle ignore les cris des militaires qui lui enjoignent de s’arrêter, poursuit sa route et ne s’arrête pas. Après cela, les militaires néerlandais voient qu’il n’y a rien à faire, font feu sur la voiture et blessent un individu ([Azhar Sabah Jaloud]). Celui-ci décède. Il était assis à côté du conducteur.

Salutations.

[signature] Lieutenant-colonel Awadu Kareem Hadi

Copie au PJCC »

iv.  Les fragments métalliques

36.  Un rapport officiel de l’adjudant Voorthuizen, de la maréchaussée royale, daté du 21 juin 2004 indique qu’un document en arabe arriva le 2 juin 2004 ; traduit oralement par un interprète, il fut identifié comme étant un rapport de la police de Bagdad. Selon ce document, trois fragments métalliques avaient été examinés à Bagdad à la demande de la police d’Al‑Muthanna, en vue de l’identification des munitions dont ils provenaient et de l’arme qui les avait tirées ; ces fragments étant trop peu nombreux, leur origine n’avait toutefois pas pu être déterminée. Une copie du document rédigé en arabe se trouve jointe au rapport de l’adjudant Voorthuijzen. Il n’est pas précisé à qui les fragments métalliques ont été confiés ni à quel endroit ils ont été conservés.

e)  Document irakien

37.  Le 21 avril 2004, M. Dawoud Joad Kathim, le conducteur de la Mercedes, déposa auprès de la police irakienne une plainte contre les militaires qui avaient tiré sur sa voiture. Il ressort de ses déclarations, telles que consignées par écrit, que M. Dawoud Joad Kathim pensait à tort que les troupes étrangères impliquées étaient polonaises et non néerlandaises. M. Dawoud Joad Kathim indiqua par ailleurs que l’interprète lui avait dit de déclarer que tous les coups de feu avaient été tirés par le CIDC, alors qu’en réalité il n’avait vu aucun membre du CIDC tirer.

f)  Rapport complémentaire contenant des dépositions de membres du CIDC

38.  Après que la chambre se fut dessaisie en faveur de la Grande Chambre, le Gouvernement a fourni à la Cour un procès-verbal officiel des dépositions de membres du CIDC. Le requérant en a transmis une traduction en anglais effectuée par un traducteur assermenté. Le texte ci‑dessous est la traduction française, établie par le greffe de la Cour, de cette traduction :

« Nom : A Saad Mossah

Numéro d’arme : GL 5574

Munitions : 4 x 30 cartouches

« Au cours du second incident, j’étais allongé à un endroit où j’étais en sécurité de tous côtés. J’ai vu une voiture provenant d’Ar-Rumaythah approcher à vive allure du PCV. Je l’ai vue percuter deux barils près du PCV et poursuivre sa route. Mon supérieur [le sergent Hussam Saad du CIDC] s’est avancé avec l’interprète et deux soldats néerlandais puis j’ai entendu un grand nombre de coups de feu. Je n’ai moi‑même tiré aucun coup de feu. Je ne peux rien vous dire de plus. »

Nom : Haider Shareef

Numéro d’arme : UE 0481 1984

Munitions : 4 chargeurs et 120 cartouches au total

« Je ne peux rien vous dire au sujet du premier incident parce qu’à ce moment-là je dormais dans la guérite.

Pour ce qui est du second incident, j’étais debout près du PCV lorsque j’ai vu une Mercedes se diriger vers celui-ci. J’ai vu cette voiture percuter deux barils de pétrole puis poursuivre sa route en direction de Hamsa. J’ai entendu les soldats néerlandais crier « stop, stop ! » puis j’ai entendu des coups de feu. Je n’ai rien vu d’autre parce que j’étais debout derrière une cabane de l’autre côté de la guérite. »

INTERPRÈTE

Nom : Walied Abd Al Hussain Madjied

Né le 25-10-1969 à Koweit / Hawalli

« Nous avons démarré à minuit pour effectuer une patrouille. Nous sommes restés ici jusqu’à 1 h 30 puis nous sommes repartis en voiture au poste de contrôle suivant. À notre arrivée, le commandant du poste de contrôle a dit que des coups de feu avaient été tirés au poste de contrôle précédent. J’ai entendu le lieutenant V. [probablement le lieutenant A.] dire que je devais monter dans la voiture et nous sommes retournés au poste de contrôle. Quand nous sommes arrivés, nous avons demandé des précisions. Le commandant du poste de contrôle et le sergent Hossam, du CIDC, nous ont dit qu’après notre départ un camion s’était arrêté et que son chauffeur avait déclaré qu’un véhicule, de marque Opel, roulait derrière eux. Puis une Opel était arrivée à proximité, avait fait demi-tour 100 mètres avant le poste de contrôle et avait éteint ses feux. Puis plusieurs coups de feu avaient été tirés sur le poste de contrôle à partir de ce véhicule. Le sergent Hussam Saad avait riposté, vidant deux de ses chargeurs, contenant chacun 30 cartouches, sur ce véhicule. Les hommes du sergent Hossman avaient également tiré. Après avoir entendu ce rapport, je suis allé avec le lieutenant V. à la recherche des douilles. Nous sommes passés devant le poste de contrôle, et c’est alors que j’ai entendu le bruit des barils qui se renversaient. Je me suis retourné et j’ai vu qu’un véhicule avait percuté les barils et se dirigeait vers nous. Je pense que ce véhicule ne roulait pas vite. Je l’ai distinctement vu faire des embardées. J’ai crié en arabe « stop, stop, stop ! » mais le véhicule a continué à rouler. L’homme avait l’air saoul et il a remonté les vitres. Après que le véhicule nous eut dépassés, j’ai entendu des coups de feu. Un sergent néerlandais m’a alors dit de me mettre à couvert. Il a crié d’arrêter de tirer. J’ai crié la même chose en direction des gens du CIDC. Un soldat néerlandais posté de l’autre côté de la route a continué à tirer, sans s’arrêter, même quand le sergent néerlandais a crié de cesser les tirs. Lorsque le véhicule s’est immobilisé, sur les instructions du sergent néerlandais, j’ai essayé de parler aux occupants du véhicule. J’ai dit au chauffeur de sortir et de s’allonger au sol, ce qu’il a fait. Lorsque j’ai commencé à parler au passager assis à l’avant, j’ai entendu le chauffeur dire que celui-ci était blessé. Nous nous sommes alors approchés du véhicule et avons ouvert la portière avant du côté du passager. J’ai vu du sang sur le bras gauche du passager. Je suis alors allé du côté du chauffeur, qui a déclaré qu’ils avaient bu et qu’ils n’avaient pas vu qu’il y avait un poste de contrôle. L’haleine du chauffeur sentait fortement l’alcool. Des coups de feu ont encore été tirés alors que le véhicule était déjà à l’arrêt, mais je ne sais pas d’où ils provenaient. Lorsque nous sommes allés ramasser les douilles laissées lors du premier incident, tout le monde s’éloignait du poste de contrôle ; il n’y avait personne sur la route et il faisait sombre. Aucune lumière n’éclairait le poste de contrôle, ce qui veut dire qu’on ne voyait pas clairement qu’il y avait un poste de contrôle à cet endroit. Je trouve bizarre que des coups de feu aient été tirés sur le véhicule, car il n’y avait pas d’échanges de tirs à ce moment-là. Je pense qu’il aurait fallu faire un tir de sommation et que le véhicule se serait arrêté. Je peux aussi vous dire que, pendant qu’on recherchait les douilles tombées lors du premier incident, je marchais du même côté que le sergent néerlandais et le sergent du CIDC. Quant au lieutenant néerlandais, il marchait de l’autre côté. Je ne sais pas combien de personnes marchaient alors derrière moi. Je peux aussi ajouter que je ne sais pas si des tirs ont été dirigés sur le poste de contrôle à partir du véhicule lors du second incident. »

Le 21 avril 2004, vers 5 h 15, fut interrogé :

Nom : Hussam Saad, la personne en question est SGT [sergent] et CDT [commandant, commandant] du CIDC.

Numéro d’arme : 84MD5596 ; il s’agit d’un AK-47 qui n’était pas chargé au moment de l’entretien.

L’intéressé était également en possession de 2 chargeurs complets (2 x 30 cartouches).

Un chargeur était vide.

« En prenant mon poste, j’avais 120 cartouches en ma possession. Vers 2 h 10, j’ai tiré 60 cartouches. À ce moment, une voiture en provenance d’Al Hamza est arrivée et s’est arrêtée devant le PCV. Les phares du véhicule étaient éteints. La voiture a fait demi-tour pour se diriger vers Al Hamza. J’ai entendu des tirs et vu des flashs d’arme à feu sortir de la voiture. J’ai riposté avec mon AK-47. Au début de cet incident, je me tenais devant la guérite et après j’ai couru vers le véhicule avec trois autres collègues :

– Alla’a Adnan,

– Mohammad Khazem,

– Hameed Jaber.

Ces trois collègues ont eux aussi tiré.

Vers 2 h 15 la voiture est subitement repartie.

Après cela, nous avons immédiatement appelé la base. Le lieutenant A. est arrivé chez nous 20 à 25 minutes plus tard. Le commandant, l’interprète, le lieutenant A. et une autre personne sont partis chercher les douilles. Pendant ce temps, une voiture s’est approchée du PCV ; elle roulait sur la principale route d’approvisionnement, la route Jackson, en provenance de Ruymaythah, et se dirigeait vers Al Hamza.

Le commandant se trouvait sur le côté droit de la route (en regardant vers Al Hamza), où il recherchait les douilles. Le lieutenant A. était sur le côté gauche de la route (toujours en regardant vers Al Hamza), occupé à la même tâche.

J’ai soudain entendu un bruit semblable à celui d’une voiture percutant les barils du PCV. J’ai vu la voiture continuer en direction d’Al Hamza.

Nous avons tenté de stopper la voiture en criant. Puis nous avons entendu des tirs. J’ai entendu des tirs provenant de la gauche de la route (en regardant vers Al Hamza). Pour autant que je sache, les occupants de la Mercedes n’ont pas tiré. Un soldat de l’armée néerlandaise se tenait sur le côté droit de la route.

Je n’ai moi-même pas tiré une seule balle en direction de la Mercedes. »

Le 21 avril 2004 vers 5 h 30 fut interrogé :

Nom : Hameed Jaber

Numéro d’arme : 84MD0596

Munitions :

1 chargeur contenant 15 cartouches,

2 chargeurs contenant 30 cartouches chacun,

1 chargeur contenant 25 cartouches.

« Au moment du second incident, j’étais allongé derrière la guérite. J’ai vu et entendu une voiture approcher ; elle venait d’Ar-Rumaythah. Elle a franchi le PCV à grande vitesse et a percuté deux barils. Puis j’ai entendu des coups de feu. Je ne sais rien de plus. Au cours du premier incident, j’ai tiré 15 cartouches. »

Le 21 avril 2004 vers 6 h 15 fut interrogé :

Nom : Haider Mohsen

Numéro d’arme : GB 4140

Munitions : 4 chargeurs contenant 30 cartouches chacun.

« Pendant le premier incident, je dormais. Je n’ai pas pu sortir à cause des tirs dirigés sur la guérite. Lorsque je suis sorti, j’ai vu une voiture s’éloigner en direction d’Al Hamza.

Au cours du second incident, j’ai vu une Mercedes approcher. J’étais debout au PCV. Nous étions à ce moment-là en sécurité à 360o. J’ai entendu la Mercedes percuter les barils de pétrole puis je l’ai vue continuer sa route à grande vitesse en direction d’Al Hamza.

J’ai entendu un Néerlandais crier « stop ! ». Mais la voiture ne s’est pas arrêtée.

J’ai entendu des tirs. J’ai entendu la voiture s’arrêter. J’ai entendu des voix qui provenaient de l’autoradio ; le son était très fort. Je n’ai rien vu d’autre. »

Le 21 avril 2004 vers 6 heures fut interrogé :

Nom : Ali Hussein

Numéro d’arme : S41297

Munitions :

3 chargeurs contenant 30 cartouches chacun,

1 chargeur contenant 26 cartouches.

« Au cours du second incident, j’étais étendu en sécurité de tous côtés. J’ai vu une voiture traverser le PCV à vive allure en direction d’Al Hamza. J’ai entendu un soldat néerlandais crier « stop, stop ! ». Je n’ai pas voulu tirer car nos hommes marchaient devant le PCV.

Puis j’ai entendu des coups de feu. J’ai tiré 4 fois au cours du premier incident. J’étais alors debout à l’extérieur de la guérite. »

Le 21 avril 2004 vers 5 h 45 furent interrogés :

Nom : Ahmed Ghaleb

Numéro d’arme : S54469

Munitions : 4 x 30 cartouches

« Au cours du premier incident, je dormais dans la guérite. Je n’ai pas tiré un seul coup de feu. Au cours du second incident, j’étais étendu, en sécurité de tous côtés, tout près de la guérite. J’ai entendu une voiture percuter deux barils. La voiture a continué à vive allure (elle était clairement en train d’accélérer). Puis j’ai entendu des tirs devant le PCV. Je ne sais rien de plus. »

Nom : Alâa A Dnan

Numéro d’arme : 84 MD 0890

Munitions : 3 chargeurs contenant 30 cartouches et 1 chargeur contenant 22 cartouches

« J’ai tiré au cours du premier incident. C’étaient des tirs. (sic)

Au cours du second incident, j’étais positionné dans un endroit [en sécurité] de tous côtés, étendu du côté gauche de la route. Je regardais dans la direction d’Hamza. J’ai vu une voiture arriver d’Ar-Rumaythah. Elle a franchi le PCV en renversant deux barils. Je n’ai pas vu ce qui s’est passé à ce moment-là, mais j’ai bien entendu des coups de feu. »

Nom : Ilia MOHAMMED KHAZEM, caporal-chef

Numéro d’arme : 84 MD 6151

Munitions : 4 chargeurs contenant en tout 120 cartouches

« Je n’ai pas tiré un seul coup de feu la nuit dernière parce que je n’ai pas reçu d’ordre de tirer. Je me tenais près du PCV, tourné dans la direction d’Hamza. À un certain moment, j’ai entendu une voiture percuter un baril de pétrole. La voiture a continué sa route vers Hamza. J’ai entendu les Néerlandais crier « stop ! » au chauffeur du véhicule qui avait franchi le PCV. Puis j’ai entendu des tirs. Lorsque j’ai vu que la Mercedes s’était arrêtée, j’ai aussi couru dans sa direction. Je ne pouvais pas voir qui était debout sur les côtés gauche et droit de la route parce qu’il faisait sombre.

Murtada Khazaat

Yasser Abd Alaal

Ahmed Shaker

Ali Hussein

Les personnes susmentionnées sont arrivées à 4 h 10. »

Nom : SAHIB JASSIM

Numéro d’arme : 84 MV 7435

Munitions : 4 chargeurs contenant en tout 120 cartouches

« Au cours du premier incident, je me tenais près du PCV. J’ai vu un camion s’approcher du PCV en provenance d’Hamza. Le chauffeur a déclaré qu’il était suivi d’une voiture et il a pointé du doigt le véhicule en question. Il a ajouté qu’il s’agissait d’une Opel. À un certain moment, de nombreux coups ont été tirés depuis la voiture. En réaction, mes collègues ont tous tiré sur la voiture. Nous nous sommes mis en formation à 360o, après quoi la voiture a continué sa route.

Au cours du second incident, j’étais allongé au sol [en sécurité] de tous côtés près du PCV. J’ai vu une voiture arriver en provenance d’Ar-Rumaythah. Elle roulait à vive allure et elle a percuté un baril de pétrole. Elle a ensuite traversé tout droit le PCV et j’ai entendu des coups de feu. Je ne peux rien vous dire d’autre qui puisse éclaircir la situation. » »

3.  La procédure interne

39.  Le 8 janvier 2007, Me Zegveld, l’avocate du requérant, écrivit au nom des proches de M. Azhar Sabah Jaloud au parquet près le tribunal d’arrondissement d’Arnhem par le biais du greffe de la chambre militaire. Elle sollicita des informations sur les résultats de l’enquête relative au décès de M. Azhar Sabah Jaloud et sur les décisions qui avaient pu être adoptées quant aux poursuites contre d’éventuels suspects, ce en vue d’engager une procédure sur le fondement de l’article 12 du code de procédure pénale (Wetboek van Strafvordering) (voir ci-dessous).

40.  Le 11 janvier 2007, le procureur répondit que l’enquête avait été close en juin 2004, que M. Azhar Sabah Jaloud avait probablement (vermoedelijk) été touché par une balle irakienne, que le militaire néerlandais qui avait aussi tiré sur le véhicule pouvait invoquer la légitime défense et que pour cette raison aucun suspect n’avait été désigné parmi les membres de l’effectif militaire néerlandais.

41.  Le 1er février 2007, Me Zegveld écrivit au procureur pour lui demander, notamment, de verser au dossier les règles d’engagement (Rules of engagement – les ROE) et les éventuels rapports relatifs aux investigations menées par les autorités irakiennes.

42.  Le 14 février 2007, le procureur rejeta ces demandes. Renvoyant à l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Ramsahai et autres c. Pays-Bas (no 52391/99, 10 novembre 2005), il considéra que la procédure menée au titre de l’article 12 du code de procédure pénale ne portait pas sur le bien-fondé d’une « accusation en matière pénale », que l’article 6 de la Convention ne s’appliquait donc pas et qu’en conséquence les modalités d’accès au dossier dans de telles affaires étaient différentes de celles applicables dans une procédure pénale ordinaire.

43.  Le 2 octobre 2007, le requérant, représenté par ses avocats, Mes Zegveld et Pestman, déposa auprès de la cour d’appel d’Arnhem, sur le fondement de l’article 12 du code de procédure pénale, une demande visant à l’ouverture de poursuites contre le lieutenant A. Il soutenait qu’aucun élément ne corroborait l’affirmation que M. Azhar Sabah Jaloud avait été tué par une balle irakienne, que le nombre de coups de feu tirés par le lieutenant A. attestait d’une violence disproportionnée, que le lieutenant A. n’avait pas procédé à un tir de sommation et n’avait pas tenu compte de l’appel du sergent Teunissen à cesser le feu, qu’en vertu de l’article 50 du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève et en l’absence de toute indication contraire, M. Azhar Sabah Jaloud aurait dû être considéré comme une personne civile et n’aurait dès lors pas dû faire l’objet de tirs de fusil ciblés et que de toute façon le recours à la force meurtrière par le lieutenant A. n’avait pas été nécessaire. Le requérant s’appuyait aussi sur la déposition livrée à la police irakienne par le conducteur de la voiture et selon laquelle on aurait dit à celui-ci de ne pas parler de l’implication de militaires néerlandais.

44.  Le 28 janvier 2008, le procureur en chef (hoofdofficier van justitie) près le tribunal d’arrondissement d’Arnhem écrivit à l’avocat général en chef (hoofdadvocaat-generaal) près la cour d’appel d’Arnhem pour recommander le rejet de la demande du requérant. Il joignit à sa lettre une déclaration circonstanciée du procureur qui avait adopté (en juillet 2004) la décision de ne pas poursuivre le lieutenant A. Selon le procureur en question, il fallait admettre que le lieutenant A. avait tiré sur la voiture mais on ne pouvait pas établir qu’il avait causé le décès de M. Azhar Sabah Jaloud ; de plus, à supposer que tel fût le cas, le lieutenant A. pouvait raisonnablement avoir pensé qu’on l’attaquait et qu’il devait se défendre. La lettre du procureur contenait également le passage suivant :

« Les responsabilités spécifiques des États-Unis et du Royaume-Uni, puissances occupantes, ont été reconnues sur le fondement de la résolution no 1483 du Conseil de sécurité des Nations unies. Contrairement aux forces britanniques cependant, les Pays-Bas ne devaient pas être considérés comme une puissance occupante en Irak : pour les Pays‑Bas, la SFIR constituait une opération de maintien de la paix (vredesoperatie). Le gouvernement était d’avis que la mission des forces armées néerlandaises devait se borner à un soutien aux Britanniques dans le secteur du sud de l’Irak qui leur avait été confié (Chambre basse du Parlement, 2002-23, no 23432, no 16). L’usage d’une force opérationnelle par la SFIR trouve sa légitimité non pas dans le jus in bello, mais dans le mandat du Conseil de sécurité, les règles d’engagement (ROE) fondées sur ledit mandat, et la carte d’instruction néerlandaise sur le recours à la force, qui découle de ces instruments. Les ROE permettent l’usage de la force contre toute personne tombant sous le coup de la règle pertinente. Dans certains cas, des civils peuvent donc être concernés. Il en va de même – comme le reflète l’instruction sur le recours à la force – du droit fondamental à la légitime défense. Les instructions et l’objectif du commandant, combinés avec la menace perçue, sont décisifs pour déterminer si un militaire va user du pouvoir de recourir à la force et, le cas échéant, de quelle manière. »

45.  Pour le procureur en chef, il n’était pas possible non plus de conclure à la violation de l’article 2 de la Convention sous son volet procédural. Selon lui, en effet, les troupes néerlandaises présentes en Irak n’exerçaient pas d’autorité effective dans ce pays et elles n’étaient donc pas liées par la Convention.

46.  Le 1er février 2008, l’avocat général près la cour d’appel d’Arnhem présenta une opinion écrite exprimant l’avis provisoire que la décision de ne pas engager de poursuites ne prêtait pas à critique. Pour lui, un militaire néerlandais restait soumis à la juridiction pénale néerlandaise où qu’il se trouvât dans le monde. Toutefois, la résolution 1483 du CSNU indiquait que les États coopérants n’avaient pas le statut de puissances occupantes, et le conflit armé était terminé à la date du décès de M. Azhar Sabah Jaloud. De plus, même si l’on admettait qu’un conflit sévissait en Irak à l’époque, compte tenu des circonstances de l’incident – qui pour l’avocat général étaient sans rapport avec le conflit lui-même – il n’était pas possible de poursuivre le lieutenant A. en application de la législation relative aux crimes de guerre. L’avocat général concluait en disant que le droit pénal ordinaire permettait au lieutenant A. d’invoquer la légitime défense mais que, nonobstant l’absence de condamnation, l’État néerlandais était peut‑être dans une situation où il serait approprié de verser une indemnité à titre gracieux.

47.  Le 18 mars 2008, la cour d’appel tint une audience. Me Zegveld, la représentante du requérant, demanda certaines mesures d’instruction, notamment l’ajout au dossier de copies – et de traductions, le cas échéant – des règles d’engagement et des instructions pertinentes basées sur elles, du rapport d’autopsie irakien et de la déposition livrée par M. Dawoud Joad Kathim à la police irakienne. Elle réclama également l’audition de M. Madjied, l’interprète irakien, au sujet des allégations de M. Dawoud Joad Kathim selon lesquelles l’interprète lui avait dit de ne pas parler de l’implication de militaires néerlandais. Par ailleurs, Me Zegveld remit en question la conclusion selon laquelle des coups de feu avaient été tirés par des membres de l’effectif irakien et elle soutint que les actes du lieutenant A. avaient outrepassé la légitime défense.

48.  La cour d’appel rendit sa décision le 7 avril 2008. Elle écarta la demande tendant à la mise en œuvre de nouvelles mesures d’instruction, considérant que celles-ci ne serviraient à rien compte tenu du laps de temps écoulé depuis les faits litigieux, et elle refusa d’ordonner l’ouverture de poursuites contre le lieutenant A. Dans ses motifs, elle déclara notamment ce qui suit :

« La légitimation de l’usage fonctionnel de la force dans la zone en question se trouve dans les règles d’engagement (ROE) et les instructions de la SFIR sur le recours à la force (version révisée du 24 juillet 2003), lesquelles s’inspirent du premier document. Le conseil [du requérant] a prié la cour d’appel, à huis clos, de permettre la consultation des ROE. Celles-ci n’ont toutefois pas été versées au dossier, et ni la cour d’appel ni l’avocat général n’en disposent. Les instructions de la SFIR sur le recours à la force serviront de critère d’analyse en l’espèce. Elles indiquent que le recours à la force est autorisé notamment dans le cadre de la légitime défense et lorsqu’il s’agit de défendre ses compagnons d’armes ou d’autres personnes désignées par le commandant de la DMN (S-E). Concernant les tirs ciblés, les instructions précisent qu’ils sont permis lorsqu’[un membre de la SFIR lui-même], ses compagnons d’armes ou des personnes sous sa protection sont menacés d’une violence susceptible de causer des blessures graves ou la mort, et qu’il n’y a pas d’autre moyen de l’empêcher. Parmi les exemples donnés figurent la situation où une personne tire ou pointe son arme dans la direction de la personne concernée, de ses compagnons d’armes ou de personnes sous sa protection, et celle où une personne dirige sciemment un véhicule sur la personne concernée, ses compagnons d’armes ou des personnes sous sa protection.

Il ressort du dossier que [le lieutenant A.], qui recherchait des traces d’un incident survenu peu avant et au cours duquel des coups de feu avaient été tirés depuis une voiture, s’est trouvé confronté sur place à une voiture qui n’avait pas respecté le PCV et qui fonçait dans sa direction. À ce moment-là, des coups de feu ont été tirés. [Le lieutenant A.] a cru qu’ils venaient de la voiture. Cette supposition est parfaitement compréhensible, car rien ne pouvait donner à penser au [lieutenant A.] que des coups de feu seraient tirés dans sa direction par sa propre unité ou une unité amie (les militaires néerlandais ou les membres du CIDC présents). Peu importe que, d’après le conseil [du requérant], d’autres personnes présentes sur place aient apprécié la situation différemment. Après tout, [le lieutenant A.] se trouvait à un autre endroit et il n’a pas observé la situation de la même manière que le groupe qui était de l’autre côté de la route et qui a de surcroît utilisé un intensificateur d’image. De même, la circonstance que [le lieutenant A.] a tiré au moment où la voiture passait ne fait aucune différence, puisque peu avant le poste de contrôle avait été pris pour cible par un véhicule qui s’était ensuite éloigné et que [le lieutenant A.] devait, comme il l’a indiqué, tenir compte du fait qu’il y avait de l’autre côté de la route des troupes amies, qu’il ne voulait pas avoir dans sa ligne de mire. Le conseil [du requérant] a par ailleurs laissé entendre que [le lieutenant A.] aurait pu effectuer un tir de sommation. Selon les instructions sur le recours à la force, un tir de sommation ne doit être déclenché que si les circonstances de l’opération le permettent, et il n’a pas lieu d’être lorsque, par exemple, la personne concernée ou d’autres personnes à proximité immédiate font l’objet d’une attaque armée.

À la lumière de ce qui précède, la cour d’appel considère que [le lieutenant A.] pouvait raisonnablement croire que lui-même et ses compagnons d’armes étaient pris pour cible et que, partant de cette supposition, il a agi dans les limites des instructions applicables sur le recours à la force.

Dès lors, la cour d’appel conclut que la décision du procureur de ne pas engager de poursuites était justifiée. »

B.  Les armes utilisées lors des faits litigieux

1.  Le Diemaco C7A1

49.  Le fusil d’infanterie Diemaco C7A1 est l’arme couramment fournie à l’armée néerlandaise. De fabrication canadienne, il s’agit d’une version améliorée de l’Armalite AR‑15/Colt M16, fusil plus connu de conception américaine. Il peut tirer en mode automatique et en mode semi‑automatique. Les chargeurs fournis d’ordinaire aux forces armées néerlandaises peuvent contenir jusqu’à trente cartouches. En mode automatique, cette arme tire 700 à 940 coups par minute.

50.  Comme l’AR-15/M16, le Diemaco utilise des cartouches de calibre 5,56 x 45 mm (ou 5,56 OTAN). La balle vrille et se fragmente souvent lorsqu’elle pénètre à grande vitesse dans un corps, causant de lourds dommages aux tissus.

2.  La Kalachnikov AK-47

51.  À l’origine, la Kalachnikov AK-47 était de conception et de fabrication soviétiques, mais des copies en ont été produites dans de nombreux pays. Autrefois principale arme de l’infanterie du Pacte de Varsovie, ce fusil – de même que ses copies – est aujourd’hui fourni aux armées de multiples pays, y compris aux forces locales en Irak.

52.  Comme l’arme elle-même, les munitions utilisées par l’AK-47 (des cartouches de calibre 7,62 x 39 mm) sont produites en grandes quantités par de nombreux fabricants. La balle standard possède une puissance de pénétration considérable ; cependant, lorsqu’elle touche un corps sans véritablement le traverser, elle peut également vriller et se fragmenter, produisant peu ou prou les mêmes effets que la balle 5,56 mm OTAN.

C.  La présence militaire des Pays-Bas en Irak

1.  Le contexte général

53.  De juillet 2003 à mars 2005, des troupes néerlandaises participèrent, en bataillons, à la Force de stabilisation en Irak (SFIR). Stationnées dans la province d’Al-Muthanna, elles faisaient partie de la division multinationale sud-est (DMN-SE), placée sous le commandement d’un officier des forces armées britanniques.

54.  La participation des forces néerlandaises à la DMN-SE était régie par un protocole d’entente entre le Royaume-Uni et le Royaume des Pays‑Bas, auquel étaient annexées les règles d’engagement. Ces deux documents étaient et demeurent classés « confidentiels ».

55.  Les membres du personnel militaire néerlandais se voyaient remettre un aide-mémoire établi par le Chef de l’état-major de la défense (Chef Defensiestaf) néerlandais. Il s’agissait d’un document de référence contenant un résumé des règles d’engagement. Le personnel recevait également des instructions sur le recours à la force (Geweldsinstructie), rédigées elles aussi par le Chef de l’état-major de la défense.

56.  Pour des informations générales sur l’occupation de l’Irak du 1er mai 2003 au 28 juin 2004, voir Al-Skeini et autres c. Royaume-Uni ([GC], no 55721/07, §§ 9-19, CEDH 2011).

2.  La lettre adressée à la Chambre basse du Parlement

57.  Le 6 juin 2003, le ministre des Affaires étrangères (Minister van Buitenlandse Zaken) et le ministre de la Défense (Minister van Defensie) adressèrent conjointement une lettre à la Chambre basse du Parlement (Tweede Kamer der Staten-Generaal) sur la situation au Moyen-Orient (Chambre basse du Parlement, année parlementaire 2002-2003, no 23 432, no 116). Cette lettre exposait en particulier les raisons pour lesquelles le gouvernement avait décidé de participer à la SFIR en envoyant des forces néerlandaises et fournissait des informations générales. Elle contenait les passages suivants :

« Comme l’ont demandé les Britanniques, les unités néerlandaises seront déployées dans le sud de l’Irak, dans la province d’Al-Muthanna (...) Cette province est placée sous la responsabilité d’une division britannique. La chaîne de commandement opérationnel passe donc par le quartier général de la division britannique puis par le quartier général américain à Bagdad et remonte jusqu’au Commandement central américain [American Central Command] (CENTCOM), qui coordonne la direction militaire.

(...)

Mandat/base légale

L’envoi de troupes néerlandaises en Irak a pour fondement la résolution 1483 du Conseil de sécurité des Nations unies. Le gouvernement estime que les dispositions de cette résolution fournissent une telle base. La résolution repose expressément sur le Chapitre VII de la Charte des Nations unies, et son premier paragraphe appelle les États membres et les organisations « à aider le peuple iraquien dans les efforts qu’il déploie pour réformer ses institutions et reconstruire le pays et [à] contribuer à assurer la stabilité et la sécurité en Iraq conformément à la (...) résolution ». Plus généralement, l’avant-dernier paragraphe du dispositif de la résolution 1483 demande aux États membres et aux organisations internationales et régionales « de concourir à l’application de la (...) résolution ». Le compte rendu de la séance du Conseil de sécurité au cours de laquelle cette résolution a été adoptée montre l’existence d’un large consensus sur le postulat que la résolution fournit aux États membres une base pour l’envoi de troupes en Irak, dans le cadre établi par elle.

Dans son préambule, la résolution indique clairement qu’il y a lieu de distinguer entre les États-Unis et le Royaume-Uni, qui sont actifs en Irak en qualité (hoedanigheid) de puissances occupantes, et les États qui n’ont pas cette qualité. Ce constat du Conseil de sécurité, formulé dans une résolution adoptée en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations unies, doit être pris comme un avis faisant autorité quant au statut des États participants et s’imposant aux États membres des Nations unies.

Le paragraphe 5 de la résolution demande explicitement à tous les États concernés (y compris ceux qui ne sont pas présents en tant que puissances occupantes) de « s’acquitter pleinement de leurs obligations au regard du droit international, en particulier les Conventions de Genève de 1949 et le Règlement de La Haye de 1907 »). Les Pays-Bas entendent répondre à cet appel.

(...)

Influence

La force de stabilisation consistera en une coalition de pays participants dirigée par les États-Unis et le Royaume-Uni. Il est important que les autres pays qui fournissent des contingents soient suffisamment impliqués dans la définition de la stratégie politico-militaire générale de la force de sécurité et dans l’échange d’informations. À cet effet, le Royaume-Uni établira un « comité des contributeurs » pour le secteur britannique, ce qui permettra une concertation étroite entre les représentants des gouvernements, semblable à la procédure que les Britanniques ont mise au point pour la FIAS [Force internationale d’assistance à la sécurité, déployée en Afghanistan] et que les Pays-Bas et l’Allemagne suivent aussi à présent pour la FIAS. Les pays fournisseurs de contingents prendront également part à la direction militaire par le biais de leurs représentants nationaux dans les quartiers généraux opérationnels.

(...)

Instructions pour le recours à la force (règles d’engagement)

Les « règles d’engagement » (ROE) sont des instructions à l’intention des unités militaires qui exposent les circonstances, les conditions, le degré et les modalités du recours à la force autorisé. Leur contenu n’est pas publié. Les ROE sont rédigées sur la base de considérations militaro-opérationnelles et juridiques. Il s’agit notamment de considérations touchant au droit humanitaire et au droit de la guerre, ainsi que de considérations politiques/diplomatiques. Elles sont établies en référence à un document de l’OTAN exposant des lignes directrices pour les ROE.

Comme il est d’usage dans d’autres opérations de maintien de la paix, il est prévu que les Pays-Bas reprendront à leur compte les ROE de l’« État chef de file », en l’occurrence le Royaume-Uni. Les Pays-Bas peuvent modifier les instructions pour le recours à la force en se fondant sur des lignes directrices et considérations nationales. Les ROE n’ont pas encore été finalisées, mais le gouvernement tient à ce qu’elles soient robustes, ce qui suppose notamment des pouvoirs étendus pour la « protection de la force » et la création d’un environnement sûr et stable. Sur cette base, le gouvernement part du principe que les ROE offriront une possibilité suffisante d’accomplissement des tâches même en cas d’hostilités ou d’émeutes.

La structure de commandement

L’ensemble de l’opération en Irak est placée sous le commandement du CENTCOM américain, au sein duquel un commandement de la composante terrestre des Forces de la coalition [Coalition Forces Land Component Commander] (CFLCC) assure la direction depuis Bagdad. À cette fin, l’Irak est divisé en quatre secteurs. Les secteurs du nord de l’Irak et de la zone autour de Bagdad seront dirigés par les États-Unis. La Pologne est responsable d’un autre secteur et le Royaume-Uni est responsable du sud de l’Irak. Le bataillon néerlandais sera sous le contrôle opérationnel de la division britannique en tant qu’unité indépendante (zelfstandige eenheid). Dans le cadre du soutien de l’OTAN à la Pologne, il a été décidé qu’une partie des effectifs néerlandais seraient basés au quartier général polonais. De plus, le secteur polonais est contigu au secteur américain et la présence d’effectifs néerlandais favorise une meilleure coordination générale.

Du reste (Overigens), les Pays-Bas conserveront à tout moment le « plein commandement » [« full command » dans l’original anglais] sur les effectifs militaires néerlandais. Le Chef de l’état-major de la défense veillera au respect du mandat et de l’objectif militaire des troupes néerlandaises. Si nécessaire, il donnera de nouvelles directives au nom du ministre de la Défense. »

3.  La présence de la maréchaussée royale en Irak

58.  Une unité de la maréchaussée royale était présente en Irak, rattachée aux forces néerlandaises. Le requérant affirme qu’elle partageait les quartiers des troupes régulières.

D.  Les instructions au personnel néerlandais de la SFIR

59.  Le gouvernement défendeur a produit les versions datées du 24 juillet 2003 de l’aide-mémoire à l’intention des commandants de la SFIR et de la carte du militaire de la SFIR ; celles-ci correspondent aux documents qui ont été remis au personnel néerlandais. Les parties pertinentes en l’espèce se lisent ainsi (traductions du greffe de la Cour ; les expressions en langue anglaise utilisées dans l’original néerlandais sont reproduites en italique) :

1.  L’aide-mémoire à l’intention des commandants de la SFIR

« La présente note d’instruction reprend de manière simplifiée, à l’intention des officiers et des sous-officiers, les règles d’engagement (ROE) pour la DMN (S-E) et les restrictions qui y ont été apportées par les Pays-Bas. En cas de doute, veuillez vous reporter au texte anglais des ROE et aux déclarations pertinentes des Pays-Bas. En cas de conflit entre la présente note et les ROE ou les déclarations néerlandaises, les ROE et les déclarations néerlandaises prévaudront.

MISSION

1.  Votre mission consiste à contribuer à la création d’un environnement sûr et stable en Irak, de manière à permettre la reconstruction du pays et la transition vers un régime indépendant et représentatif. Le recours à la force strictement nécessaire est permis selon les modalités exposées ci-dessous.

RÈGLES GÉNÉRALES

2.  Le recours à la force n’est permis que si les autres moyens ne suffisent pas. Veuillez noter ce qui suit :

a)  n’utilisez en aucune circonstance une force supérieure à celle strictement nécessaire à l’accomplissement de votre tâche ;

b)  les dommages collatéraux (aux personnes ou aux biens) doivent être évités autant que possible.

LÉGITIME DÉFENSE

3.  Le recours à la force strictement nécessaire, y compris lorsqu’elle risque de causer la mort ou de graves blessures (deadly force) et implique l’utilisation d’armes autorisées, est permis :

a)  pour assurer votre propre défense ;

b)  pour empêcher le vol ou la destruction de biens appartenant à la SFIR et essentiels à l’exécution de la mission.

RECOURS À LA FORCE POUR D’AUTRES RAISONS

4.  Indépendamment du droit de légitime défense, le recours à la force strictement nécessaire, y compris lorsqu’elle risque de causer la mort ou de graves blessures (deadly force) et implique l’utilisation d’armes autorisées, est permis :

a)  pour défendre vos compagnons d’armes ou toutes autres personnes désignées par le commandant de la DMN (S-E) (designated persons) ;

b)  pour empêcher le vol ou la destruction de biens désignés par le commandant de la DMN (S-E) (designated property) ;

c)  pour empêcher l’accès non autorisé à des installations militaires appartenant à la SFIR ou à d’autres lieux désignés par le commandant de la DMN (S-E) (y compris les biens désignés (designated property), par exemple les zones militaires à accès limité (Military Restricted Areas) ;

d)  pour appréhender, fouiller ou désarmer des unités ennemies qui menaceraient la sécurité d’unités de la SFIR ou d’autres personnes désignées par le commandant de la DMN (S-E) dans l’exécution de la mission ;

e)  contre tout acte hostile ou toute intention hostile ;

f)  si votre commandant de terrain l’ordonne.

(...)

PROCÉDURE DE SOMMATION

6.  Si les circonstances de l’opération le permettent, il faut avertir que vous allez ouvrir le feu. Il est permis, par exemple, d’ouvrir le feu sans sommation dans les situations suivantes :

a)  si vous ou d’autres personnes à proximité immédiate êtes l’objet d’une attaque armée ; ou

b)  si adresser une sommation vous exposerait vous-même, ou exposerait d’autres personnes, à un risque accru d’être tué ou grièvement blessé.

7.  Vous donnerez une sommation en criant :

« FORCE DE STABILISATION ! ARRÊTEZ OU JE TIRE ! »

puis, dans la langue locale,

« OEGAF DFEE-SJ! AU-OE ILLA ARMIE BILL NAAR ! »[2]

(« C’est l’armée ! Arrêtez ou je tire ! »)

8.  Si la sommation est sans effet, vous pouvez déclencher un tir de sommation si le commandant de terrain l’ordonne ou en exécution d’instructions permanentes.

ACTE HOSTILE ET INTENTION HOSTILE

9.  Un acte hostile (hostile act) est un acte d’agression assimilable à une attaque ou à une menace d’attaque avec recours à une force susceptible de causer la mort ou de graves blessures dirigée contre vos compagnons d’armes, des personnes désignées ou des biens désignés. Voici des exemples, non limitatifs, d’actes hostiles :

a)  une personne qui tire sur vous, sur vos compagnons d’armes, sur des personnes désignées ou sur des biens désignés ;

b)  une personne qui place des explosifs ou des engins incendiaires ou les lance vers vous, vos compagnons d’armes, des personnes désignées ou des biens désignés ;

c)  une personne qui dirige sciemment un véhicule sur vous, vos compagnons d’armes, des personnes désignées ou des biens désignés.

(...)

OBLIGATION DE NE RECOURIR QU’À UNE FORCE STRICTEMENT NÉCESSAIRE

11.  Dès lors qu’il est permis de recourir à la force, vous êtes tenus de la limiter à ce qui est strictement nécessaire. Prenez toutes les précautions possibles pour éviter l’escalade et pour limiter autant que faire se peut les dommages collatéraux. Il est interdit d’attaquer les civils eux-mêmes, sauf en état de légitime défense. Il est interdit de s’attaquer à des biens de nature strictement civile ou religieuse, sauf s’ils sont utilisés à des fins militaires.

12.  S’il vous faut ouvrir le feu, vous devez :

a)  effectuer uniquement des tirs ciblés ;

b)  éviter de tirer plus de coups de feu qu’il n’est nécessaire ;

c)  prendre toutes précautions nécessaires pour éviter les dommages collatéraux (aux personnes et aux biens) ; et

d)  cesser le feu dès que la situation le permet. Vous devez alors sécuriser le secteur et prendre soin des blessés.

AUTRES INSTRUCTIONS DE COMMANDEMENT

(...)

18.  Prévenir, et signaler à la hiérarchie, toute suspicion de violation du droit international humanitaire. »

(...)

2.  La carte du militaire de la SFIR

« MISSION

1.  Votre mission consiste à contribuer à la création d’un environnement sûr et stable en Irak, de manière à permettre la reconstruction du pays et la transition vers un régime indépendant et représentatif.

RECOURS À LA FORCE

2.  Le recours à la force est permis dans les cas suivants :

a)  en état de légitime défense ;

b)  pour défendre vos compagnons d’armes ou toutes autres personnes désignées par le commandant de la DMN (S-E) ;

c)  pour empêcher le vol ou la destruction de biens appartenant à la SFIR et essentiels à l’exécution de la mission, ou d’autres biens désignés par le commandement de la DMN (S-E) ;

d) pour empêcher l’accès non autorisé à des installations militaires appartenant à la SFIR ou à d’autres lieux désignés par le commandant de la DMN (S-E) (y compris les biens désignés), par exemple les zones militaires à accès limité (Military Restricted Areas) ;

e)  pour appréhender, fouiller ou désarmer des unités ennemies qui menaceraient la sécurité d’unités de la SFIR ou d’autres personnes désignées par le commandant de la DMN (S-E) dans l’exécution de la mission ;

f)  si votre commandant de terrain l’ordonne.

RÈGLES GÉNÉRALES

3.  Le recours à la force n’est permis que si les autres moyens ne suffisent pas. Veuillez noter ce qui suit :

a)  essayez d’éviter l’escalade ;

b)  n’utilisez en aucun cas une force supérieure à celle strictement nécessaire à l’accomplissement de votre tâche ;

c)  les dommages collatéraux (aux personnes ou aux biens) doivent être évités autant que possible.

4.  Toute personne qui vous attaquerait, vous ou d’autres personnes, ou qui entrerait sans autorisation, par la force ou non, dans une installation militaire de la SFIR ou dans d’autres lieux désignés par le commandant de la DMN (S-E) peut être arrêtée et fouillée aux fins de son désarmement jusqu’à ce qu’il soit établi qu’elle ne dispose plus d’armes lui permettant de tuer ou de blesser, vous-même ou autrui. Vous pouvez saisir et, si nécessaire, neutraliser – pour un usage immédiat – tout objet dangereux mettant en péril des personnes, des biens ou l’exécution de la mission.

5.  Dès que l’exécution de la mission le permet, toute personne arrêtée doit être remise aux autorités compétentes de l’Irak ou des forces d’occupation (Royaume‑Uni).

6.  Traitez toute personne avec humanité.

7.  Recueillez les blessés et prenez soin d’eux quel que soit leur camp.

8.  Ne collectez pas de « trophées de guerre ».

9.  Empêchez les violations du droit international humanitaire et signalez à votre commandant toute violation ou tout soupçon de violation.

10.  Signalez à votre commandant tout usage de la force.

SOMMATION ET TIRS DE SOMMATION

11.  Si la situation le permet, vous devez adresser une sommation avant d’effectuer des tirs ciblés. Il faut prévenir [les personnes intéressées] que si elles ne s’arrêtent pas ou si elles ne mettent pas fin à l’acte dangereux vous allez faire feu.

Vous donnerez une sommation en criant :

« FORCE DE STABILISATION ! ARRÊTEZ OU JE TIRE ! »

puis, dans la langue locale,

« OEGAF DFEE-SJ! AU-OE ILLA ARMIE BILL NAAR ! »

(« C’est l’armée ! Arrêtez ou je tire ! »)

12.  Si la sommation est sans effet, vous pouvez déclencher un tir de sommation si le commandant de terrain l’ordonne ou en exécution d’ordres qui vous ont été donnés.

TIRS CIBLÉS

13.  Vous pouvez ouvrir le feu en procédant à des tirs ciblés si vous-même, vos compagnons d’armes ou des personnes sous votre protection êtes menacés de violences susceptibles de causer des blessures graves ou la mort et s’il n’y a pas d’autre moyen de les empêcher.

Voici des exemples :

–  vous pouvez tirer sur une personne qui tire ou pointe son arme dans votre direction ou dans celle de vos compagnons d’armes ou de personnes sous votre protection ;

–  vous pouvez tirer sur une personne qui place des explosifs ou des engins incendiaires ou les lance ou s’apprête à les lancer sur vous, vos compagnons d’armes ou des personnes sous votre protection ;

–  vous pouvez tirer sur une personne qui dirige sciemment un véhicule sur vous, vos compagnons d’armes ou des personnes sous votre protection.

FORCE MINIMALE

14.  S’il vous faut ouvrir le feu, vous devez :

–  effectuer uniquement des tirs ciblés ;

–  éviter de tirer plus de coups de feu qu’il n’est nécessaire ; et

–  cesser le feu dès que la situation le permet.

15.  Il est interdit d’utiliser sciemment la force contre des civils, sauf en cas de nécessité aux fins de la légitime défense.

16.  Il est interdit de s’attaquer à des biens de nature strictement civile ou religieuse, sauf :

a)  s’ils sont utilisés à des fins militaires ; et

b)  si votre commandant vous l’ordonne.

17.  Il est interdit de simuler une attaque ou d’autres actions agressives.

18.  Il est interdit de recourir au gaz lacrymogène. »

E.  La maréchaussée royale

60.  La maréchaussée royale est un corps de l’armée qui se situe au même niveau que la marine royale (Koninklijke Marine), l’armée de terre royale (Koninklijke Landmacht) et l’armée de l’air royale (Koninklijke Luchtmacht). Ses membres possèdent un statut et un grade militaires. Elle dispose de sa propre chaîne de commandement ; son commandant détient le grade de lieutenant général (luitenant-generaal) et dépend directement du ministre de la Défense.

61.  Les fonctions de la maréchaussée royale, pour autant qu’elles sont pertinentes en l’espèce, consistent notamment à « accomplir des tâches de police pour les Pays-Bas et d’autres forces armées, ainsi que pour les quartiers généraux militaires internationaux, et les personnes appartenant à ces forces armées et à ces quartiers généraux » (article 6 § 1 b) de la loi de 1993 sur la police – Politiewet 1993).

62.  Les membres de la maréchaussée royale suivent un entraînement à la fois militaire et policier. Les sous-officiers possédant le grade de sergent (wachtmeester) ou un grade supérieur peuvent être nommés agents investis de pouvoirs d’investigation (opsporingsambtenaren) ; les officiers de certaines catégories peuvent être nommés procureurs auxiliaires (hulpofficieren van justitie).

63.  En tant que policiers militaires ou enquêteurs de police militaire, les membres de la maréchaussée royale sont subordonnés au procureur près le tribunal d’arrondissement d’Arnhem.

F.  La chambre militaire de la cour d’appel d’Arnhem

64.  À l’époque des faits, l’article 9 du code de procédure pénale militaire (Wet militaire strafrechtspraak) disposait que les sections de la chambre militaire de la cour d’appel d’Arnhem étaient composées de deux juges de la cour d’appel – dont l’un présidait – et d’un membre militaire. Ce dernier était un militaire d’active possédant le grade de capitaine de vaisseau (kapitein ter zee, marine royale), de colonel (kolonel, armée de terre royale), de colonel d’aviation (kolonel, armée de l’air royale) ou un grade supérieur, et ayant par ailleurs les qualifications requises pour être magistrat ; il était promu au grade honoraire de contre-amiral (commandeur, marine royale), de général de brigade (brigadegeneraal, armée de terre royale) ou de général de brigade aérienne (commodore, armée de l’air royale) s’il ne possédait pas déjà effectivement ce grade. Il ne pouvait pas appartenir à la maréchaussée royale. Il était nommé pour un mandat de quatre ans, renouvelable une fois pour la même durée ; la retraite obligatoire était fixée à soixante ans (article 6 § 4 du code de procédure pénale militaire).

65.  L’article 68 § 2 de la loi sur l’organisation judiciaire (Wet op de rechterlijke organisatie) énonce que les membres militaires de la chambre militaire de la cour d’appel d’Arnhem connaissent des affaires en tant que juges sur un pied d’égalité avec leurs collègues civils et sont soumis au même devoir de confidentialité (articles 7 et 13 de la loi) et aux mêmes règles d’indépendance fonctionnelle et d’impartialité (article 12) ; ils sont par ailleurs soumis au même contrôle de la manière dont ils se conduisent dans l’exercice de leurs fonctions que les juges civils (article 13 a) à g)). Ce contrôle, qui porte sur des aspects bien précis de leur comportement, est effectué par la Cour de cassation (Hoge Raad) et requis – à la demande d’une partie intéressée ou d’office – par le procureur général (procureur-generaal) près la Cour de cassation.

G.  Le droit et la procédure internes pertinents

66.  Les dispositions suivantes du droit interne sont pertinentes en l’espèce.

1.  La Constitution du Royaume des Pays-Bas

Article 97

« 1.  Le Royaume des Pays-Bas dispose de forces armées pour la défense et la protection de ses intérêts, ainsi que pour le maintien et la promotion de l’ordre juridique international.

2.  Les forces armées sont placées sous l’autorité suprême du gouvernement. »

2.  Le code pénal (Wetboek van Strafrecht)

Article 41

« 1.  Une personne qui commet un acte nécessaire à la défense de son intégrité physique [lijf] ou de celle d’autrui, de son intégrité sexuelle [eerbaarheid] ou de celle d’autrui, de ses biens ou de ceux d’autrui contre une agression illégale immédiate n’encourt aucune peine pour cet acte.

2.  Une personne qui outrepasse les limites de la défense nécessaire n’encourt aucune peine si son acte résulte d’une émotion violente qui est la conséquence immédiate d’une agression. »

Article 42

« Une personne qui commet un acte prescrit par la loi n’encourt aucune peine. »

Article 43

« 1.  Une personne qui commet un acte aux fins de l’exécution d’un ordre officiel donné par l’autorité investie de la compétence requise n’encourt aucune peine pour cet acte.

2.  Le fait qu’un ordre officiel ait été donné en l’absence de la compétence nécessaire ne confère pas l’impunité, sauf si la personne subordonnée qui l’a exécuté a cru de bonne foi que cet ordre avait été donné par une autorité agissant dans le cadre de ses compétences et si le respect de cet ordre s’inscrivait dans le cadre de son statut de subordonné. »

3.  Le code pénal militaire (Wetboek van Militair Strafrecht)

Article 4

« Le droit pénal néerlandais s’applique aux membres du personnel militaire qui commettent un acte répréhensible, quel qu’il soit, hors des Pays-Bas. »

Article 38

« 1.  N’encourt aucune peine une personne qui, dans les limites de ses compétences, commet un acte autorisé par le droit de la guerre, ou qui ne peut être sanctionnée sans qu’il y ait violation d’un traité en vigueur entre les Pays-Bas et la puissance avec laquelle les Pays-Bas sont en guerre, ou d’un éventuel règlement adopté en vertu d’un tel traité.

2.  N’encourt aucune peine un militaire qui utilise la force dans l’exécution légitime de sa tâche et de manière compatible avec les règles édictées pour l’accomplissement de cette tâche. »

Article 71

« Au sens du présent code, le terme « guerre » englobe un conflit armé qui ne peut être tenu pour une guerre à proprement parler et dans lequel le Royaume est engagé, que ce soit aux fins de la légitime défense individuelle ou collective ou du rétablissement de la paix et de la sécurité internationales. »

Article 135

« L’expression « instruction de service » [dienstvoorschrift] s’entend d’une décision écrite de portée générale rendue sous la forme ou en vertu d’une mesure d’administration générale pour le Royaume ou pour l’un des pays du Royaume[3] [bij of krachtens algemene maatregel van rijksbestuur of van bestuur dan wel een bij of krachtens landsverordening onderscheidenlijk landsbesluit gegeven schriftelijk besluit van algemene strekking] et qui concerne un intérêt de la fonction militaire quel qu’il soit [enig militair dienstbelang] et comporte un ordre ou une interdiction visant le personnel militaire. »

4.  La loi sur la procédure pénale militaire (Wet Militaire Strafrechtspraak)

Article 1

« (...)

3.  Le code de procédure pénale s’applique sauf disposition contraire de la présente loi. »

Article 8

« (...)

2.  Au sein de la cour d’appel d’Arnhem, une section composée de plusieurs juges appelée « chambre militaire » a compétence exclusive pour examiner les recours formés contre les décisions susceptibles d’appel rendues par les chambres militaires du tribunal d’arrondissement visé à l’article 3 [le tribunal d’arrondissement d’Arnhem]. Cette chambre examine également les plaintes déposées en vertu de l’article 12 du code de procédure pénale. »

5.  Le code de procédure pénale (Wetboek van Strafvordering)

Article 12

« 1.  Si l’auteur d’un acte répréhensible n’est pas poursuivi ou si les poursuites ouvertes contre lui sont abandonnées, toute personne ayant un intérêt direct (rechtstreeks belanghebbende) peut déposer une plainte écrite auprès de la cour d’appel dans le ressort duquel la décision de ne pas engager de poursuites ou de clore les poursuites a été prise.

(...) »

Article 148

« 1.  Le procureur est chargé d’enquêter sur les infractions qui sont du ressort du tribunal d’arrondissement auprès duquel il officie et d’enquêter dans le ressort de ce tribunal d’arrondissement sur les infractions qui sont du ressort d’autres tribunaux d’arrondissement ou de tribunaux de canton.

2.  À cet effet, il donne des ordres aux autres personnes chargées de [ces] enquêtes (...) »

H.  La jurisprudence interne pertinente

1.  L’affaire Eric O.

67.  Le 27 décembre 2007, le sergent-major (sergeant-majoor) Eric O., membre du corps des marines (Korps Mariniers) qui commandait une unité chargée de récupérer le chargement d’un conteneur qui se trouvait en bordure de la route « Jackson », procéda à un tir de sommation vers le sol pour éloigner un groupe de pillards. La balle ricocha sur la surface du sol, blessant mortellement l’un des pillards.

68.  Le sergent-major O. fut poursuivi pour désobéissance à des instructions officielles pour avoir usé d’une force excédant celle autorisée par l’aide-mémoire et les instructions sur le recours à la force, ou, à titre subsidiaire, pour homicide par imprudence.

69.  À la suite d’un recours du parquet contre l’acquittement prononcé en première instance, la chambre militaire de la cour d’appel d’Arnhem confirma l’acquittement du sergent-major O. Dans son arrêt du 4 mai 2005 (Landelijk Jurisprudentie Nummer [Numéro de jurisprudence nationale], « LJN » AT4988), la juridiction d’appel conclut que les règles d’engagement constituaient des instructions officielles malgré leur caractère secret et que le sergent-major O. avait agi dans les limites desdites règles et n’avait pas fait preuve d’imprudence.

2.  Les affaires Mustafić et Nuhanović

70.  En 1992, la Bosnie-Herzégovine proclama son indépendance à l’égard de la République socialiste fédérative de Yougoslavie. Il s’ensuivit une guerre qui dura jusqu’en décembre 1995. En vertu de la résolution 743 (1992) du 21 février 1992, le Conseil de sécurité des Nations unies établit une Force de protection des Nations unies (FORPRONU). Parmi les États pourvoyeurs de contingents figuraient les Pays-Bas, qui fournirent un bataillon d’infanterie aéroportée. Connu sous le nom de « Dutchbat », celui‑ci fut déployé comme force de maintien de la paix sous commandement des Nations unies dans et autour de la ville de Srebrenica, à l’est de la Bosnie, qui était alors tenue par le gouvernement à majorité bosniaque de la République de Bosnie-Herzégovine.

71.  Le 10 juillet 1995, l’armée des Serbes de Bosnie attaqua la « zone de sécurité » de Srebrenica avec des forces nettement supérieures. Elle envahit la zone et en prit le contrôle malgré la présence du bataillon Dutchbat, qui à la fin ne contrôlait plus qu’un camp dans le village de Potočari. Au cours des jours suivants, les hommes bosniaques qui étaient tombés aux mains de l’armée des Serbes de Bosnie furent séparés des femmes et des enfants, puis tués. Il est aujourd’hui généralement admis comme un fait établi que plus de 7 000 hommes et garçons bosniaques, peut-être même 8 000, ont péri aux mains de l’armée des Serbes de Bosnie et des forces paramilitaires serbes lors de ce qui est désormais connu sous le nom de « massacre de Srebrenica ».

72.  Des proches survivants de trois hommes tués lors de ce massacre en juillet 1995 engagèrent des actions civiles contre l’État néerlandais devant les juridictions des Pays-Bas.

73.  Les plaignants dans la première affaire (Mustafić c. l’État néerlandais) étaient des proches survivants d’un électricien qui avait été un employé de facto du bataillon Dutchbat mais n’avait pas bénéficié du statut conféré aux personnes employées directement par les Nations unies. Les plaignants alléguaient que l’État néerlandais avait manqué à ses obligations contractuelles au motif que le commandant adjoint du bataillon Dutchbat avait refusé de laisser l’intéressé rester avec sa famille au camp de Potočari, si bien qu’il avait dû quitter le camp ce jour-là, alors que, selon eux, le commandement du bataillon Dutchbat aurait dû le protéger en le gardant à l’intérieur et en le faisant évacuer avec le bataillon lui-même. À titre subsidiaire, ils plaidaient qu’il y avait eu faute. Le plaignant dans la seconde affaire (Nuhanović c. l’État néerlandais) avait lui‑même été un employé de facto du bataillon Dutchbat, pour lequel il avait travaillé en qualité d’interprète, également sans jouir du statut d’employé des Nations unies ; son père et son frère avaient été tués lors du massacre. Il alléguait qu’il y avait eu faute, considérant que le commandant adjoint du bataillon Dutchbat avait fermé l’accès au camp aux deux hommes.

74.  Le 6 septembre 2013, la Cour de cassation statua sur les deux affaires (LJN BZ9225, Nuhanović, et LJN BZ9228, Mustafić). En leurs passages pertinents en l’espèce, les deux arrêts, dont les parties essentielles sont identiques, se lisent comme suit (extrait de l’arrêt Nuhanović) :

[Traduction du greffe]

« 3.10.1.  Dans la première partie du pourvoi en cassation, il est allégué qu’aux points 5.7 et 5.8 des conclusions en droit de son arrêt interlocutoire la cour d’appel n’a pas reconnu qu’un contingent militaire de l’ONU établi sur le fondement du chapitre VII de la Charte des Nations unies et placé sous le commandement et le contrôle des Nations unies – en l’occurrence la FORPRONU, dont le bataillon Dutchbat faisait partie – était un organe des Nations unies. Cela signifie que l’attribution du comportement de ce contingent militaire devrait relever de l’article 6 du PAROI [projet d’articles de la Commission du droit international sur la responsabilité des organisations internationales (63e session de la Commission du droit international, UN Doc A/66/10, à paraître dans l’Annuaire de la Commission du droit international, 2011, vol. II, deuxième partie)] et non de l’article 7 du PAROI. Selon cette partie du pourvoi, l’application de l’article 6 du PAROI implique que le comportement du bataillon Dutchbat devrait, en principe, toujours être attribué aux Nations unies.

3.10.2.  D’après le commentaire relatif à l’article 7 du PAROI (...), cette règle d’attribution s’applique, notamment, à la situation où un État met des contingents militaires à la disposition de l’Organisation des Nations unies pour une opération de maintien de la paix et où le commandement et le contrôle sont transférés aux Nations unies tandis que l’État de détachement conserve ses pouvoirs disciplinaires et sa compétence pénale (le « commandement organique »). Il ressort implicitement des conclusions de la cour d’appel que cette situation correspond à celle de la présente espèce. Après tout, au point 5.10 des conclusions en droit de l’arrêt interlocutoire, la cour d’appel a déclaré – et cet aspect n’est pas remis en cause dans le pourvoi en cassation – qu’il n’était pas contesté que les Pays-Bas, État pourvoyeur de contingents, avaient gardé le contrôle sur les questions de personnel des effectifs militaires concernés, lesquels étaient restés au service des Pays-Bas, et qu’ils avaient conservé le pouvoir de sanctionner les membres de ces effectifs militaires en vertu du droit disciplinaire et du droit pénal. L’argument invoqué dans la première partie du pourvoi en cassation, selon lequel la cour d’appel n’a pas appliqué la règle d’attribution de l’article 6 du PAROI, choisissant, à tort, d’appliquer la règle d’attribution de l’article 7 du PAROI, n’est donc pas valable.

3.11.1.  La deuxième partie du pourvoi consiste en une série d’arguments dirigés contre les conclusions en droit figurant aux points 5.8 à 5.20 de l’arrêt interlocutoire, dans lesquelles la cour d’appel a défini le critère du contrôle effectif en appliquant à l’espèce la règle d’attribution de l’article 7 du PAROI.

3.11.2.  Pour autant que ces moyens du pourvoi postulent que le droit international exclut qu’un comportement puisse être attribué à la fois à une organisation internationale et à un État, et que la cour d’appel est donc à tort partie de l’idée qu’il était possible que tant les Nations unies que l’État eussent eu un contrôle effectif sur le comportement litigieux du bataillon Dutchbat, ces moyens reposent sur une interprétation erronée du droit. Comme indiqué ci-dessus au point 3.9.4., le droit international, en particulier l’article 7 du PAROI combiné avec l’article 48 § 1 du PAROI, n’exclut pas la double attribution d’un comportement donné.

Il s’ensuit qu’il était loisible à la cour d’appel de ne pas statuer sur le point de savoir si les Nations unies exerçaient un contrôle effectif sur le comportement du bataillon Dutchbat au début de la soirée du 13 juillet 1995. À supposer que tel ait été le cas, cela ne signifie pas nécessairement que les Nations unies avaient une responsabilité exclusive.

3.11.3.  Pour autant qu’il est soutenu dans ces moyens du pourvoi en cassation que la cour d’appel a appliqué un critère erroné en recherchant si l’État exerçait un contrôle effectif sur le bataillon Dutchbat au moment du comportement litigieux, ces moyens reposent eux aussi sur une interprétation erronée du droit. Pour déterminer si l’État exerçait un contrôle effectif, il n’est pas nécessaire qu’il ait contrevenu à la structure de commandement des Nations unies en donnant des instructions au bataillon Dutchbat ou qu’il ait exercé de manière indépendante un commandement opérationnel. Il ressort du commentaire relatif à l’article 7 du PAROI (...) que l’attribution d’un comportement à l’État de détachement ou à l’organisation internationale repose sur le contrôle de fait exercé sur le comportement spécifique, cadre dans lequel il faut tenir compte de l’ensemble des circonstances factuelles et du contexte propre à l’affaire. Dans les conclusions en droit contestées, la cour d’appel a recherché, à la lumière de l’ensemble des circonstances et du contexte propre à l’affaire, si l’État avait exercé un contrôle de fait sur le comportement litigieux du bataillon Dutchbat. La cour d’appel n’a donc pas interprété ou appliqué le droit de manière erronée. »

La Cour de cassation confirma en conséquence l’arrêt par lequel la cour d’appel avait déclaré l’État néerlandais responsable du décès des trois hommes.

I.  Autres documents internes

1.  Rapport d’évaluation sur l’application de la procédure pénale militaire aux opérations menées à l’étranger

75.  Ce rapport, daté du 31 août 2006, a été établi par une commission composée d’un haut fonctionnaire, d’un ancien avocat général en chef auprès de la cour d’appel d’Arnhem et d’un juge. Il avait été commandé par le ministre de la Défense, à la demande de la Chambre basse du Parlement, suite à l’onde de choc provoquée par l’affaire Eric O. (paragraphes 67-69 ci-dessus).

76.  Ce rapport aborde notamment la question de la juridiction, au sens de l’article 1 de la Convention. Il comporte à cet égard le passage suivant (p. 30) :

« L’effet extraterritorial formel de la Convention semble se limiter à certains cas particuliers. Cela ne change rien au fait que les normes découlant de la Convention revêtent une portée générale pour les opérations militaires néerlandaises à l’étranger. Singulièrement, la Convention est à l’origine de normes fondamentales importantes qui peuvent s’appliquer aux enquêtes pénales sur le recours à la force ayant causé un décès ou des blessures (...) »

Le rapport analyse ensuite la jurisprudence interne relative aux volets matériel et procédural de l’article 2 de la Convention.

77.  Il mentionne des changements déjà apportés à la politique en matière de poursuites et à la manière dont les règles d’engagement et autres instructions sont relayées aux commandants de terrain depuis l’affaire Eric O. Il propose de nouveaux ajustements.

78.  Il réitère les critiques sur l’impréparation du personnel de la maréchaussée royale au travail de police dans les zones d’opération à l’étranger mais indique qu’en 2006 « on a déjà beaucoup investi pour améliorer la qualité des activités de police militaire » et que davantage va être fait dans les mois suivants.

79.  Par ailleurs, le rapport indique qu’une connaissance insuffisante du terrain par le ministère public, composé de juristes civils, a parfois conduit à des décisions trop hâtives de poursuivre des membres de l’effectif militaire, l’affaire Eric O. étant citée à titre l’illustration. Cela étant, là aussi le rapport fait état d’améliorations.

80.  La fusillade dont la présente requête tire son origine est mentionnée parmi les cas concrets étudiés par la commission mais l’incident n’est pas examiné dans le détail.

2.  Le rapport de la commission Van den Berg

81.  En réaction à des allégations selon lesquelles des citoyens irakiens avaient subi des mauvais traitements, voire des actes de torture, aux mains de militaires néerlandais, le ministre de la Défense ordonna qu’une enquête fût menée par une commission officielle. Celle-ci fut composée d’un ancien député (le président, J.T. van den Berg, qui a donné son nom à la commission), d’un député en exercice, d’un lieutenant général retraité et d’un contre-amiral retraité.

82.  Le rapport contenant les conclusions de la commission fut publié en juin 2007. Il indique qu’une version antérieure de ce même document a été lue et commentée par deux experts juridiques, l’un d’eux étant Me Zegveld, qui est aujourd’hui la représentante du requérant.

83.  Le rapport évoque des frictions au sein de l’unité de la maréchaussée royale en question – qui, notamment, n’aurait pas été adéquatement formée aux enquêtes pénales de type policier – et des tensions entre ladite unité et les bataillons de marines qui avaient été les premiers contingents néerlandais envoyés en Irak (avant le bataillon de l’armée de terre royale, qui y était basé à l’époque du décès de M. Azhar Sabah Jaloud).

84.  Le rapport indique également que les Pays-Bas n’étaient pas une « puissance occupante » et avaient pour cette raison formulé certaines réserves. Entre autres, les forces néerlandaises n’avaient pas le pouvoir de mettre une personne en détention ou de poursuivre les auteurs d’infractions. Toute personne arrêtée par les forces néerlandaises devait être livrée soit à l’armée britannique soit aux autorités irakiennes, en fonction de la nature des soupçons. Les « conversations » avec des personnes ainsi arrêtées étaient autorisées dans le contexte de la protection des forces.

85.  Le rapport se penche aussi sur la question de savoir si l’on peut dire d’une personne se trouvant hors du Royaume des Pays-Bas, dans une zone où les forces néerlandaises opèrent dans un conflit armé, qu’elle relève de la juridiction des Pays-Bas ; il y répond par l’affirmative.

86.  Le 18 juin 2007, le ministre de la Défense présenta ce rapport à la Chambre basse du Parlement, accompagné d’une lettre commentant certains des constats y figurant mais approuvant ses conclusions.

3.  Le rapport d’évaluation final

87.  Un rapport d’évaluation final fut publié après le retrait complet du dernier contingent néerlandais. Il indique que le gouvernement néerlandais avait assorti les tâches des troupes néerlandaises de certaines « réserves », selon lesquelles les Pays-Bas n’assumeraient pas de fonctions administratives et ne mèneraient pas d’« activités exécutives destinées à assurer le maintien de l’ordre ». Ces réserves étaient dictées par le souhait des Pays-Bas de ne pas être considérés comme une puissance occupante de facto.

88.  Sur le choix des méthodes, le rapport déclare qu’au départ il s’agissait de ne pas insister sur la présence militaire et que l’idée était d’éviter autant que possible le recours aux patrouilles et aux postes de contrôle. En pratique, toutefois, il était apparu que le meilleur moyen d’assurer la sécurité passait par des patrouilles fréquentes, de jour comme de nuit, et la mise en place de postes de contrôle des véhicules sur les itinéraires susceptibles d’être empruntés par des criminels ou des terroristes.

89.  Dans un autre passage, le rapport fait état d’un certain nombre d’incidents où des militaires néerlandais ont essuyé des coups de feu, notamment à des postes de contrôle des véhicules. Il précise que dans les cas où des Irakiens ont été blessés ou tués, aucun acte contraire aux règles d’engagement n’a été établi. Il signale qu’un Irakien blessé par des tirs néerlandais fut soigné pendant plusieurs semaines aux Pays-Bas.

J.  Le droit international pertinent

1.  Le Règlement de La Haye

90.  La définition de ce que l’on entend par puissance occupante et la teneur des obligations de pareille puissance telles que pertinentes en l’espèce figurent pour l’essentiel dans les articles 42 à 56 du Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre (La Haye, 18 octobre 1907 ; « le Règlement de La Haye »).

91.  Les articles 42 et 43 du Règlement de La Haye disposent :

Article 42

« Un territoire est considéré comme occupé lorsqu’il se trouve placé de fait sous l’autorité de l’armée ennemie. L’occupation ne s’étend qu’aux territoires où cette autorité est établie et en mesure de s’exercer. »

Article 43

« L’autorité du pouvoir légal ayant passé de fait entre les mains de l’occupant, celui-ci prendra toutes les mesures qui dépendent de lui en vue de rétablir et d’assurer, autant qu’il est possible, l’ordre et la vie publics en respectant, sauf empêchement absolu, les lois en vigueur dans le pays. »

2.  La quatrième Convention de Genève

92.  Les articles 27 à 34 et 47 à 78 de la Convention (IV) relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre (Genève, 12 août 1949 ; « la quatrième Convention de Genève ») énoncent avec précision les obligations d’une puissance occupante. Les articles 6 et 29 de la quatrième Convention de Genève sont ainsi libellés :

Article 6

« La présente Convention s’appliquera dès le début de tout conflit ou occupation mentionnés à l’article 2.

Sur le territoire des Parties au conflit, l’application de la Convention cessera à la fin générale des opérations militaires.

En territoire occupé, l’application de la présente Convention cessera un an après la fin générale des opérations militaires ; néanmoins, la Puissance occupante sera liée pour la durée de l’occupation – pour autant que cette Puissance exerce les fonctions de gouvernement dans le territoire en question – par les dispositions des articles suivants de la présente Convention : 1 à 12, 27, 29 à 34, 47, 49, 51, 52, 53, 59, 61 à 77 et 143. »

Article 29

« La Partie au conflit au pouvoir de laquelle se trouvent des personnes protégées est responsable du traitement qui leur est appliqué par ses agents, sans préjudice des responsabilités individuelles qui peuvent être encourues. »

3.  Résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies

93.  Le Conseil de sécurité des Nations unies (« le Conseil de sécurité ») adopta la résolution 1483 (2003) lors de sa 4761e séance, le 22 mai 2003. Les parties pertinentes en l’espèce se lisent ainsi :

« Le Conseil de sécurité,

Rappelant toutes ses résolutions antérieures sur la question,

Réaffirmant la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Iraq,

(...)

Prenant note de la lettre que les Représentants permanents des États-Unis d’Amérique et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ont adressée à son Président le 8 mai 2003 (S/2003/538) et reconnaissant les pouvoirs, responsabilités et obligations spécifiques de ces États en tant que puissances occupantes agissant sous un commandement unifié (l’« Autorité »), en vertu du droit international applicable,

Notant que d’autres États qui ne sont pas des puissances occupantes travaillent actuellement ou pourraient travailler sous l’égide de l’Autorité,

Se félicitant également de la volonté des États Membres de contribuer à la stabilité et à la sécurité en Iraq en fournissant personnel, équipement et autres ressources, sous l’égide de l’Autorité,

(...)

Agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies,

1.  Appelle les États Membres et les organisations concernées à aider le peuple iraquien dans les efforts qu’il déploie pour réformer ses institutions et reconstruire le pays et de contribuer à assurer la stabilité et la sécurité en Iraq conformément à la présente résolution ;

2.  Exhorte tous les États Membres qui sont en mesure de le faire à répondre immédiatement aux appels humanitaires lancés par l’Organisation des Nations Unies et d’autres organismes internationaux en faveur de l’Iraq et à contribuer à répondre aux besoins humanitaires et autres de la population iraquienne en apportant des vivres et des fournitures médicales ainsi que les ressources nécessaires à la reconstruction de l’Iraq et à la remise en état de son infrastructure économique ;

(...)

4.  Demande à l’Autorité, conformément à la Charte des Nations Unies et aux dispositions pertinentes du droit international, de promouvoir le bien-être de la population iraquienne en assurant une administration efficace du territoire, notamment en s’employant à rétablir la sécurité et la stabilité et à créer les conditions permettant au peuple iraquien de déterminer librement son avenir politique ;

5.  Demande à toutes les parties concernées de s’acquitter pleinement de leurs obligations au regard du droit international, en particulier les Conventions de Genève de 1949 et le Règlement de La Haye de 1907 ;

(...)

8.  Demande au Secrétaire général de désigner un représentant spécial pour l’Iraq qui aura, de façon indépendante, la responsabilité de faire régulièrement rapport au Conseil sur les activités qu’il mènera au titre de la présente résolution, de coordonner l’action des Nations Unies au lendemain du conflit en Iraq, d’assurer la coordination des efforts déployés par les organismes des Nations Unies et les organisations internationales fournissant une aide humanitaire et facilitant les activités de reconstruction en Iraq et, en coordination avec l’Autorité, de venir en aide à la population iraquienne en :

a)  Coordonnant l’aide humanitaire et l’aide à la reconstruction apportée par les organismes des Nations Unies et les activités menées par ces derniers et les organisations non gouvernementales ;

b)  Facilitant le rapatriement librement consenti des réfugiés et des déplacés dans l’ordre et la sécurité ;

c)  Œuvrant sans relâche avec l’Autorité, le peuple iraquien et les autres parties concernées à la création et au rétablissement d’institutions nationales et locales permettant la mise en place d’un gouvernement représentatif, notamment en travaillant ensemble pour faciliter un processus débouchant sur la mise en place d’un gouvernement iraquien représentatif, reconnu par la communauté internationale ;

d)  Facilitant la reconstruction des infrastructures clefs, en coopération avec d’autres organisations internationales ;

e)  Favorisant le relèvement économique et l’instauration de conditions propices au développement durable, notamment en assurant la coordination avec les organisations nationales et régionales, selon qu’il conviendra, et avec la société civile, les donateurs et les institutions financières internationales ;

f)  Encourageant les efforts déployés par la communauté internationale pour que les fonctions essentielles d’administration civile soient assurées ;

g)  Assurant la promotion de la protection des droits de l’homme ;

h)  Appuyant les efforts déployés à l’échelle internationale pour rendre à nouveau opérationnelle la police civile iraquienne ;

i)  Soutenant les efforts menés par la communauté internationale pour promouvoir des réformes juridiques et judiciaires ;

9.  Appuie la formation par le peuple iraquien, avec l’aide de l’Autorité et en collaboration avec le Représentant spécial, d’une administration provisoire iraquienne qui servira d’administration transitoire dirigée par des Iraquiens jusqu’à ce qu’un gouvernement représentatif, reconnu par la communauté internationale, soit mis en place par le peuple iraquien et assume les responsabilités de l’Autorité ;

(...)

26.  Demande aux États Membres et aux organisations internationales et régionales de concourir à l’application de la présente résolution ;

27.  Décide de rester saisi de la question. »

94.  Lors de sa 4844e séance, le 16 octobre 2003, le Conseil de sécurité adopta la résolution 1511 (2003), dont les parties pertinentes en l’espèce énoncent :

« Le Conseil de sécurité,

Réaffirmant ses résolutions antérieures sur l’Iraq, notamment les résolutions 1483 (2003) du 22 mai 2003 et 1500 (2003) du 14 août 2003, ainsi que celles concernant les menaces contre la paix et la sécurité que constituent les actes terroristes, dont la résolution 1373 (2001) du 28 septembre 2001 et d’autres résolutions pertinentes,

Soulignant que la souveraineté de l’Iraq réside dans l’État iraquien, réaffirmant le droit du peuple iraquien de déterminer librement son avenir politique et d’avoir le contrôle de ses propres ressources naturelles, se déclarant de nouveau résolu à ce que le jour où les Iraquiens se gouverneront eux-mêmes vienne rapidement, et reconnaissant l’importance de l’appui international, en particulier de celui des pays de la région, des voisins de l’Iraq et des organisations régionales, pour faire avancer rapidement ce processus,

Considérant que l’appui international en faveur du rétablissement de la stabilité et de la sécurité est essentiel pour le bien-être du peuple iraquien et pour que tous les intéressés soient en mesure d’accomplir leur tâche dans l’intérêt du peuple iraquien, et se félicitant de la contribution que des États Membres ont apportée à cet égard en application de la résolution 1483 (2003),

(...)

Agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies,

(...)

13.  Considère que la sécurité et la stabilité conditionnent l’aboutissement du processus politique envisagé au paragraphe 7 ci-dessus et l’aptitude de l’Organisation des Nations Unies à concourir véritablement à ce processus et à l’application de la résolution 1483 (2003), et autorise une force multinationale, sous commandement unifié, à prendre toutes les mesures nécessaires pour contribuer au maintien de la sécurité et de la stabilité en Iraq, notamment afin d’assurer les conditions nécessaires à la mise en œuvre du calendrier et du programme, ainsi que pour contribuer à la sécurité de la Mission d’assistance des Nations Unies pour l’Iraq, du Conseil de gouvernement de l’Iraq et des autres institutions de l’administration provisoire iraquienne, et des principaux éléments de l’infrastructure humanitaire et économique ;

14.  Prie instamment les États Membres de fournir une assistance au titre de ce mandat des Nations Unies, y compris des forces militaires, à la force multinationale visée au paragraphe 13 ci-dessus.

(...)

16.  Souligne qu’il importe de constituer une force iraquienne de police et de sécurité efficace en vue de maintenir l’ordre et la sûreté et de combattre le terrorisme, ainsi qu’il est dit au paragraphe 4 de la résolution 1483 (2003), et demande aux États Membres et aux organisations internationales et régionales de concourir à l’instruction et à l’équipement des forces iraquiennes de police et de sécurité ;

(...)

25.  Prie les États-Unis d’Amérique, au nom de la force multinationale visée au paragraphe 13 ci-dessus, de lui rendre compte, selon qu’il conviendra et tous les six mois au moins, des efforts et des progrès accomplis par cette force ;

26.  Décide de demeurer saisi de la question.

4.  Jurisprudence de la Cour internationale de justice

a)  Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé

95.  Dans son avis consultatif Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé (C.I.J. Recueil 2004, p. 136), la Cour internationale de justice s’est prononcée comme suit :

« 109.  La Cour observera que, si la compétence des États est avant tout territoriale, elle peut parfois s’exercer hors du territoire national. Compte tenu de l’objet et du but du pacte international relatif aux droits civils et politiques, il apparaîtrait naturel que, même dans cette dernière hypothèse, les États parties au pacte soient tenus d’en respecter les dispositions.

La pratique constante du Comité des droits de l’homme est en ce sens. Il a estimé en effet que le pacte est applicable dans le cas où un État exerce sa compétence en territoire étranger. Il s’est prononcé sur la licéité de l’action de l’Uruguay dans le cas d’arrestation opérée par des agents uruguayens au Brésil ou en Argentine (affaire 52/79, López Burgos c. Uruguay ; affaire 56/79, Lilian Celiberti de Cusariego c. Uruguay). Le Comité a procédé de même dans le cas de la confiscation d’un passeport par un consulat de l’Uruguay en Allemagne (affaire 106/81, Montero c. Uruguay).

Les travaux préparatoires du pacte confirment l’interprétation donnée par le Comité de l’article 2 de cet instrument. Il en résulte en effet que, en adoptant la rédaction qu’ils ont retenue, les auteurs du pacte n’ont pas entendu faire échapper les États aux obligations qui sont les leurs lorsqu’ils exercent leur compétence hors du territoire national. Ils ont seulement voulu éviter que des personnes résidant à l’étranger puissent se prévaloir envers leur État d’origine de droits ne relevant pas de la compétence de ce dernier, mais de celle de 1’État de résidence (voir la discussion de l’avant-projet à la Commission des droits de l’homme, E/CN.4/SR.194, par. 46 ; et Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, dixième session, annexes, A/2929, part. 2, chap. V, par. 4 (1955)).

110.  La Cour note à cet égard la position adoptée par Israël, en ce qui concerne l’applicabilité du pacte, dans ses communications au Comité des droits de l’homme, ainsi que les vues du Comité.

En 1998, Israël déclarait avoir eu, au moment de la rédaction de son rapport au Comité, à examiner la question de savoir « si les personnes résidant dans les territoires occupés relevaient effectivement de la compétence d’Israël » aux fins de l’application du pacte (CCPRC/SR. 1675, par. 21 [traduction du Greffe]). Cet État estima que « le pacte et les instruments de même nature ne s’appliqu[aient] pas directement à la situation [qui prévalait alors] dans les territoires occupés » (ibid, par. 27).

Dans les observations finales qu’il formula après avoir examiné le rapport, le Comité se déclara préoccupé par l’attitude d’Israël, relevant « la durée de la présence [de celui-ci] dans [les] territoires [occupés], [son] attitude ambiguë ... quant à leur statut futur, ainsi que la juridiction de fait qu’y exer[çaien]t les forces de sécurité israéliennes » (CCPR/C/79/Add.93, par. 10). En 2003, face à la position inchangée d’Israël, qui considérait que « le pacte ne s’appliqu[ait] pas au-delà de son propre territoire, notamment en Cisjordanie et à Gaza ... », le Comité arriva à la conclusion suivante :

« dans les circonstances actuelles, les dispositions du pacte s’appliquent au profit de la population des territoires occupés, en ce qui concerne tous les actes accomplis par les autorités ou les agents de 1’État partie dans ces territoires, qui compromettent la jouissance des droits consacrés dans le pacte et relèvent de la responsabilité de 1’État d’Israël conformément aux principes du droit international public » (CCPR/CO/78/1SR, par. 11).

111.  En définitive, la Cour estime que le pacte international relatif aux droits civils et politiques est applicable aux actes d’un État agissant dans l’exercice de sa compétence en dehors de son propre territoire. »

b)  Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda)

96.  Dans son arrêt Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda) (C.I.J. Recueil 2005, p. 168), la Cour internationale de justice s’est exprimée ainsi :

« 172.  La Cour observera que, selon le droit international coutumier tel que reflété à l’article 42 du règlement de La Haye de 1907, un territoire est considéré comme occupé lorsqu’il se trouve placé de fait sous l’autorité de l’armée ennemie, et que l’occupation ne s’étend qu’au territoire où cette autorité est établie et en mesure de s’exercer (voir Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004, p. 167, par. 78, et p. 172, par. 89).

173.  En vue de parvenir à une conclusion sur la question de savoir si un État dont les forces militaires sont présentes sur le territoire d’un autre État du fait d’une intervention est une « puissance occupante » au sens où l’entend le jus in bello, la Cour examinera tout d’abord s’il existe des éléments de preuve suffisants démontrant que ladite autorité se trouvait effectivement établie et exercée dans les zones en question par l’État auteur de l’intervention. La Cour doit en l’espèce s’assurer que les forces armées ougandaises présentes en RDC [République démocratique du Congo] n’étaient pas seulement stationnées en tel ou tel endroit, mais qu’elles avaient également substitué leur propre autorité à celle du Gouvernement congolais. Si tel était le cas, peu importerait la justification donnée par l’Ouganda de son occupation, de même que la réponse à la question de savoir si l’Ouganda aurait ou non établi une administration militaire structurée du territoire occupé.

(...)

179.  La Cour ayant conclu que l’Ouganda était une puissance occupante en Ituri à l’époque pertinente, la responsabilité de celui-ci est donc engagée à raison à la fois de tout acte de ses forces armées contraire à ses obligations internationales et du défaut de la vigilance requise pour prévenir les violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire par d’autres acteurs présents sur le territoire occupé, en ce compris les groupes rebelles agissant pour leur propre compte.

180.  La Cour relève que l’Ouganda est responsable de l’ensemble des actes et omissions de ses forces armées sur le territoire de la RDC, qui violent les obligations lui incombant en vertu des règles, pertinentes et applicables à la situation de l’espèce, du droit international relatif aux droits de l’homme et du droit international humanitaire.

(...)

213.  La Cour en arrive à présent à la question de savoir si les actes et omissions des UPDF [Forces de défense du peuple ougandais], de leurs officiers et de leurs soldats sont attribuables à l’Ouganda. Le comportement des UPDF est dans son ensemble clairement attribuable à l’Ouganda, puisqu’il s’agit du comportement d’un organe de l’État. Conformément à une règle de droit international bien établie, qui revêt un caractère coutumier, « le comportement de tout organe d’un État doit être regardé comme un fait de cet État » (Différend relatif à l’immunité de juridiction d’un rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 87, par. 62). Le comportement individuel des soldats et officiers des UPDF doit être considéré comme un comportement d’un organe d’État. De l’avis de la Cour, en vertu du statut et de la fonction militaire des soldats ougandais en RDC, le comportement de ces derniers est attribuable à l’Ouganda. L’argument selon lequel les personnes concernées n’auraient pas agi dans les circonstances de l’espèce en qualité de personnes exerçant des prérogatives de puissance publique est par conséquent dénué de fondement.

214.  Est en outre dépourvue de pertinence, pour l’attribution du comportement des UPDF à l’Ouganda, la question de savoir si les membres des UPDF ont ou non agi d’une manière contraire aux instructions données ou ont outrepassé leur mandat. D’après une règle bien établie, de caractère coutumier, énoncée à l’article 3 de la quatrième convention de La Haye concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre de 1907 ainsi qu’à l’article 91 du protocole additionnel I aux conventions de Genève de 1949, une partie à un conflit armé est responsable de tous les actes des personnes qui font partie de ses forces armées. »

c)  Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro)

97.  Dans l’arrêt Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro (C.I.J. Recueil 2007, p. 43), la Cour internationale de justice a déclaré ce qui suit :

« 399.  La disposition [l’article 8 des Articles de la Commission du droit international sur la responsabilité de l’État] doit se comprendre à la lumière de la jurisprudence de la Cour sur ce point, et en particulier de l’arrêt de 1986 en l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique), cité ci-dessus (paragraphe 391). Dans cet arrêt, après avoir, ainsi qu’il a été dit plus haut, écarté la thèse selon laquelle les contras étaient assimilables à des organes des États-Unis parce qu’ils auraient été placés sous la « totale dépendance » de ceux-ci, la Cour a ajouté que la responsabilité du défendeur pourrait cependant être engagée s’il était prouvé qu’il avait lui-même « ordonné ou imposé la perpétration des actes contraires aux droits de l’homme et au droit humanitaire allégués par l’État demandeur » (C.I.J. Recueil 1986, p. 64, par. 115), ce qui l’a conduite à l’importante conclusion suivante :

« Pour que la responsabilité juridique de ces derniers [les États-Unis] soit engagée, il devrait en principe être établi qu’ils avaient le contrôle effectif des opérations militaires ou paramilitaires [menées par les contras] au cours desquelles les violations en question se seraient produites. » (Ibid., p. 65.)

400.  Le critère ainsi défini se distingue de celui – exposé plus haut – qui permet d’assimiler à un organe d’un État une personne ou une entité à laquelle le droit interne ne confère pas ce statut. D’une part, il n’est plus nécessaire ici de démontrer que les personnes ayant accompli les actes prétendument contraires au droit international étaient en général placées sous la « totale dépendance » de l’État défendeur ; il convient de prouver que ces personnes ont agi selon les instructions ou sous le « contrôle effectif » de ce dernier. Mais, d’autre part, il est nécessaire de démontrer que ce « contrôle effectif » s’exerçait, ou que ces instructions ont été données, à l’occasion de chacune des opérations au cours desquelles les violations alléguées se seraient produites, et non pas en général, à l’égard de l’ensemble des actions menées par les personnes ou groupes de personnes ayant commis lesdites violations.

(...)

406. Il faut ensuite remarquer que le critère du « contrôle global » présente le défaut majeur d’étendre le champ de la responsabilité des États bien au-delà du principe fondamental qui gouverne le droit de la responsabilité internationale, à savoir qu’un État n’est responsable que de son propre comportement, c’est-à-dire de celui des personnes qui, à quelque titre que ce soit, agissent en son nom. Tel est le cas des actes accomplis par ses organes officiels, et aussi par des personnes ou entités qui, bien que le droit interne de l’État ne les reconnaisse pas formellement comme tels, doivent être assimilés à des organes de l’État parce qu’ils se trouvent placés sous sa dépendance totale. En dehors de ces cas, les actes commis par des personnes ou groupes de personnes – qui ne sont ni des organes de l’État ni assimilables à de tels organes – ne peuvent engager la responsabilité de l’État que si ces actes, à supposer qu’ils soient internationalement illicites, lui sont attribuables en vertu de la norme de droit international coutumier reflétée dans l’article 8 précité [l’article 8 des Articles de la Commission du droit international sur la responsabilité de l’État]. Tel est le cas lorsqu’un organe de l’État a fourni les instructions, ou donné les directives, sur la base desquelles les auteurs de l’acte illicite ont agi ou lorsqu’il a exercé un contrôle effectif sur l’action au cours de laquelle l’illicéité a été commise. À cet égard, le critère du « contrôle global » est inadapté, car il distend trop, jusqu’à le rompre presque, le lien qui doit exister entre le comportement des organes de l’État et la responsabilité internationale de ce dernier. »

5.  Les Articles de la Commission du droit international sur la responsabilité de l’État

98.  Les Articles sur la responsabilité de l’État et les commentaires y relatifs ont été adoptés par la Commission du droit international lors de sa 53e session, en 2001, et ont été soumis à l’Assemblée générale des Nations unies dans le cadre du rapport de la Commission du droit international rendant compte des travaux de cette session (A/56/10). Le rapport a été publié dans l’Annuaire de la Commission du droit international (2001, vol. II, deuxième partie). En leurs passages pertinents en l’espèce, les articles et les commentaires y relatifs adoptés avec les articles eux-mêmes se lisent ainsi (les références figurant dans les notes de bas de page ont été omises) :

Article 2
Éléments du fait internationalement illicite de l’État

« Il y a fait internationalement illicite de l’État lorsqu’un comportement consistant en une action ou une omission :

a)  Est attribuable à l’État en vertu du droit international ; et

b)  Constitue une violation d’une obligation internationale de l’État. »

Le commentaire relatif à cet article indique notamment ce qui suit :

« 5)  Pour qu’un comportement déterminé puisse être qualifié de fait internationalement illicite, il doit avant tout être un comportement attribuable à l’État. L’État est une entité organisée réelle, une personne juridique ayant pleine qualité pour agir d’après le droit international. Mais le reconnaître ne veut pas dire nier la vérité élémentaire que l’État comme tel n’est pas capable d’agir. Un « fait de l’État » met nécessairement en jeu une action ou une omission d’un être humain ou d’un groupe : « Les États ne peuvent agir qu’au moyen et par l’entremise de la personne de leurs agents et représentants ». Il s’agit de déterminer quelles sont les personnes qui devraient être considérées comme agissant au nom de l’État, c’est-à-dire ce que constitue un « fait de l’État » aux fins de la responsabilité des États.

6)  Lorsque l’on parle de l’attribution d’un comportement à l’État, on entend par État un sujet de droit international. Dans de nombreux systèmes juridiques, les organes de l’État consistent en différentes personnes juridiques (ministères ou autres entités) qui sont considérées comme ayant des droits et obligations distincts au titre desquels elles sont seules susceptibles de faire l’objet d’une action en justice et responsables. Aux fins du droit international de la responsabilité des États, cette conception est différente. L’État est considéré comme une unité, conformément au fait qu’il est reconnu comme une personne juridique unique en droit international. En ceci, comme à d’autres égards, l’attribution d’un comportement à l’État est nécessairement une opération normative. Ce qui est déterminant ici est qu’il y ait suffisamment de liens entre un événement donné et un comportement (qu’il s’agisse d’une action ou d’une omission) attribuable à l’État en vertu de l’une ou l’autre des règles énoncées au chapitre II.

7)  La deuxième condition pour qu’il y ait fait internationalement illicite de l’État est que le comportement attribuable à l’État constitue une violation par cet État d’une obligation internationale existant à sa charge (...)

12)  À l’alinéa a, le terme « attribution » est employé pour désigner l’opération du rattachement à l’État d’une action ou omission donnée. Dans la pratique et la jurisprudence internationales, le terme « imputation » est également utilisé. Mais le terme « attribution » permet d’éviter de laisser entendre que le processus juridique consistant à rattacher le comportement de l’État est une fiction, ou que le comportement en question est « en réalité » celui de quelqu’un d’autre.

13)  À l’alinéa b, on parle de violation d’une obligation internationale et non de violation d’une règle ou d’une norme de droit international. Ce qui importe en l’occurrence n’est pas simplement l’existence d’une règle, mais son application dans le cas d’espèce à l’État responsable. Le terme « obligation » est couramment employé dans la jurisprudence et dans la pratique internationales ainsi que dans la doctrine pour couvrir toutes les possibilités. Le mot « obligation » renvoie uniquement à une obligation de droit international, ce que l’article 3 précise. »

Article 6
Comportement d’un organe mis à la disposition de l’État par un autre État

« Le comportement d’un organe mis à la disposition de l’État par un autre État, pour autant que cet organe agisse dans l’exercice de prérogatives de puissance publique de l’État à la disposition duquel il se trouve, est considéré comme un fait du premier État d’après le droit international. »

Le commentaire relatif à cet article indique notamment ce qui suit :

« 2)  L’expression « mis à la disposition » exprime la condition essentielle qui doit être remplie pour que le comportement de l’organe visé soit, en droit international, considéré comme un fait de l’État d’accueil et non de l’État d’envoi. La notion d’organe « mis à la disposition » de l’État d’accueil est précise et implique que l’organe agit avec le consentement, sous l’autorité et aux fins de l’État d’accueil. L’organe en question ne doit pas seulement être chargé d’exercer des fonctions propres à l’État à la disposition duquel il est mis. Dans l’exercice des fonctions qui lui ont été confiées par l’État bénéficiaire, l’organe doit aussi agir en liaison avec l’appareil de cet État et sous la direction et le contrôle exclusifs de celui-ci, et non pas sur instructions de l’État d’envoi. L’article 6 ne traite donc pas de situations ordinaires de coopération ou de collaboration interétatique, en vertu d’un traité ou autrement.

3)  Parmi les exemples des situations qui pourraient entrer dans le cadre de cette notion limitée d’organe d’un État « mis à la disposition » d’un autre État pourrait figurer le cas d’une section de services sanitaires ou autres placée sous les ordres d’un autre pays pour aider à maîtriser une épidémie ou faire face aux conséquences d’une catastrophe naturelle, ou de juges chargés dans des cas particuliers d’agir en tant qu’organes judiciaires d’un autre État. En revanche, le cas de la simple fourniture d’une aide ou d’une assistance par les organes d’un État à un autre État sur le territoire de ce dernier n’est pas couvert par l’article 6. Ainsi, des forces armées peuvent être envoyées sur le territoire d’un autre État pour l’aider dans l’exercice du droit de légitime défense collective ou à d’autres fins. Lorsque les forces en question demeurent sous l’autorité de l’État d’envoi, elles exercent des prérogatives de puissance publique de cet État et non de l’État d’accueil. Il se peut aussi que l’organe d’un État agisse sur instructions conjointes de cet État et d’un autre, ou qu’une entité soit un organe mixte de plusieurs États. Dans de tels cas, le comportement en cause est imputable aux deux États en vertu d’autres dispositions du présent chapitre.

4)  L’élément crucial aux fins de l’article 6 est donc l’établissement d’un lien fonctionnel entre l’organe en question et la structure ou l’autorité de l’État d’accueil. La notion d’organe « mis à la disposition » d’un autre État exclut le cas des organes d’un État, envoyés dans un autre État aux fins du premier État ou même à des fins communes, qui conservent leur propre autonomie et leur propre statut, par exemple les missions culturelles, les missions diplomatiques ou consulaires ou les organisations d’aide ou de secours étrangères. Sont aussi exclues du champ d’application de l’article 6 les situations où les fonctions de l’État « bénéficiaire » sont exercées sans son consentement, comme c’est le cas lorsqu’un État, placé dans une situation de dépendance, d’occupation territoriale ou autre, est forcé de tolérer que l’action de ses propres organes soit mise à l’écart et remplacée dans une plus ou moins large mesure par celle d’organes de l’autre État.

5)  Deux autres conditions doivent être réunies pour que l’article 6 s’applique. Premièrement, l’organe en question doit posséder le statut d’organe de l’État d’envoi et, deuxièmement, il doit agir dans l’exercice de prérogatives de puissance publique de l’État d’accueil. La première de ces conditions exclut du champ d’application de l’article 6 le comportement d’entités privées ou de particuliers qui n’ont jamais eu le statut d’organe de l’État d’envoi. Par exemple, des experts ou des conseillers mis à la disposition d’un État dans le cadre de programmes d’assistance technique n’ont généralement pas le statut d’organes de l’État d’envoi. La deuxième condition est que l’organe mis à la disposition d’un État par un autre État doit « agir dans l’exercice de prérogatives de puissance publique » de l’État d’accueil. Il n’y aura fait attribuable à l’État d’accueil que si l’organe prêté agit dans l’exercice de prérogatives de puissance publique de cet État. Au regard du nombre des cas d’actions de coopération menées par les États dans des domaines tels que la défense mutuelle, l’aide et le développement, l’article 6 ne couvre qu’une notion précise et limitée de « responsabilité transférée ». Cette situation n’est toutefois pas inconnue dans la pratique des États. »

Article 8
Comportement sous la direction ou le contrôle de l’État

« Le comportement d’une personne ou d’un groupe de personnes est considéré comme un fait de l’État d’après le droit international si cette personne ou ce groupe de personnes, en adoptant ce comportement, agit en fait sur les instructions ou les directives ou sous le contrôle de cet État. »

Le commentaire relatif à cet article indique notamment ce qui suit :

« 2)  L’attribution à l’État d’un comportement qu’il a en fait autorisé est largement admise par la jurisprudence internationale. Peu importe en pareil cas que la ou les personnes en question soient des personnes privées, ou que leur comportement relève ou non d’une « activité publique ». La plupart du temps il s’agit de situations où les organes de l’État complètent leur propre action en recrutant des personnes ou groupes de personnes privées à titre « d’auxiliaires », ou les incitent à agir à ce titre tout en restant en dehors des structures officielles de l’État. Il peut s’agir, par exemple, d’individus ou de groupes de personnes privées qui, bien que n’étant pas spécifiquement recrutés par l’État et ne faisant pas partie de la police ou des forces armées de celui-ci, sont employés comme auxiliaires ou sont envoyés comme « volontaires » dans des pays voisins, ou qui effectuent des missions particulières à l’étranger sur instructions de l’État.

(...)

5)  La Chambre d’appel du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie a également examiné ces questions. Dans l’affaire Tadić, la Chambre a souligné que :

Pour imputer à l’État des actes accomplis par des particuliers, le droit international exige qu’il exerce son contrôle sur eux. Le degré de contrôle requis peut cependant varier selon les circonstances factuelles propres à chaque affaire. La Chambre d’appel estime que le droit international ne saurait exiger dans tous les cas un contrôle très étroit.

La Chambre d’appel a estimé que le degré de contrôle des autorités yougoslaves sur ces forces armées requis en droit international pour que le conflit armé puisse être considéré comme international était « un contrôle global allant au-delà de leur simple financement et équipement et impliquant également une participation à la planification et à la supervision de leurs opérations militaires ». Au cours de leur argumentation, la majorité des membres ont jugé nécessaire de rejeter l’approche adoptée par la CIJ dans l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci mais les questions de droit et la situation de fait n’étaient pas les mêmes que celles dont la Cour avait été saisie dans cette affaire. Le mandat du Tribunal porte sur des questions de responsabilité pénale individuelle, pas sur la responsabilité des États, et la question qui se posait dans l’affaire considérée avait trait non pas à la responsabilité mais aux règles applicables du droit international humanitaire. En tout état de cause, c’est au cas par cas qu’il faut déterminer si tel ou tel comportement précis se produisait ou non sous le contrôle d’un État et si la mesure dans laquelle ce comportement était contrôlé justifie que le comportement soit attribué audit État. »

K.  Documents pertinents sur l’occupation de l’Irak

1.  Le décret no 28 de l’Autorité provisoire de la coalition (Coalition Provisional Authority – CPA)

99.  Le décret no 28 de l’Autorité provisoire de la coalition, intitulé « Création du corps irakien de défense civile », a été adopté le 9 mars 2003 par l’administrateur de l’Autorité provisoire de la coalition, l’ambassadeur L. Paul Bremer. Les extraits pertinents en l’espèce énoncent :

[Traduction du greffe]

« En vertu des pouvoirs que me confèrent ma qualité d’administrateur de l’Autorité provisoire de la coalition (CPA), eu égard aux lois et usages de la guerre et dans le respect des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité des Nations unies, notamment la résolution 1483 (2003),

Notant que la résolution 1483 appelle les États membres à aider le peuple irakien dans les efforts qu’il déploie pour réformer ses institutions et reconstruire le pays et à contribuer à assurer la stabilité et la sécurité en Irak,

Conscient de la nécessité de faire face rapidement aux menaces que les actes illicites et les catastrophes font peser sur la sécurité et la stabilité publiques,

Reconnaissant que les attaques et actes de sabotage persistants menés par les baasistes qui subsistent et les intentions terroristes de saper la sécurité en Irak appellent la création d’une force de police irakienne provisoire, laquelle devra coopérer avec les Forces de la coalition pour faire face aux menaces et préserver la sécurité en Irak,

Je décrète ce qui suit :

Article 1

Création du corps irakien de défense civile

1)  Il est créé à titre provisoire un corps irakien de défense civile ; la décision de maintenir ou de dissoudre ce Corps reviendra à un gouvernement représentatif, reconnu par la communauté internationale et établi par le peuple irakien.

2)  Le corps irakien de défense civile est un organe de services de sécurité et d’urgence pour l’Irak. Composé d’Irakiens, il intervient en renfort des opérations menées par les forces militaires de la Coalition en Irak pour lutter contre les groupes organisés et les individus qui emploient la violence contre la population irakienne et ses infrastructures nationales.

3)  Pour soutenir les opérations de la Coalition destinées à apporter sécurité et stabilité au peuple irakien, le corps irakien de défense civile est autorisé à accomplir des tâches de police, notamment : effectuer des patrouilles dans les zones urbaines et rurales ; mener des opérations de recherche et de saisie d’armes illégales et autres objets de contrebande ; assurer la sécurité de sites fixes, postes de contrôle, secteurs, itinéraires et convois ; assurer la maîtrise des foules et des émeutes ; offrir ses services d’intervention lors d’une catastrophe ; assurer des services de recherche et de secours ; soutenir les missions humanitaires et les opérations de rétablissement après une catastrophe, notamment par des services de transport ; effectuer des patrouilles conjointes avec les Forces de la coalition ; participer à d’autres activités visant à l’établissement de relations positives entre la population irakienne et les autorités de la Coalition, notamment en servant de relais communautaires.

4)  Le corps irakien de défense civile se distingue de la force de police irakienne et de la Nouvelle armée Irakienne. Il intervient en renfort des forces de police mais est conçu pour mener des opérations allant au-delà des attributions de la police.

a)  Pendant leur service et sous la supervision des Forces de la coalition, les membres du corps irakien de défense civile ne sont soumis ni à la direction ni au contrôle de la police irakienne. Sauf disposition contraire dans le présent instrument, le corps irakien de défense civile n’a pas, ou n’exerce pas, de fonctions de maintien de l’ordre.

b)  Le corps irakien de défense civile n’est pas une composante de la Nouvelle armée irakienne créée en vertu du décret no 22 de la CPA sur la création de la Nouvelle armée Irakienne (CPA/ORD/9 août 2003/22) et n’est pas soumis aux ordres de la chaîne de commandement de la Nouvelle armée irakienne.

(...)

Article 4
Fonctionnement du corps irakien de défense civile

1)  Le corps irakien de défense civile opère sous l’autorité de l’administrateur de la CPA et est placé sous la supervision des Forces de la coalition. L’administrateur de la CPA peut déléguer au commandant militaire supérieur des Forces de la coalition en Irak la responsabilité et l’autorité concernant le recrutement, la formation, l’organisation et le contrôle du corps irakien de défense civile. Cette responsabilité et cette autorité peuvent être redéléguées en vertu de l’article 7 ci-dessous.

2)  Le commandement opérationnel ou tactique des unités du corps irakien de défense civile actif aux côtés des Forces de la coalition est confié à un officier des Forces de la coalition désigné par le commandant militaire supérieur des Forces de la coalition en Irak en vertu de l’article 7 ci-dessous (...)

Article 7
Délégation d’autorité

L’administrateur de l’Autorité provisoire de la coalition peut déléguer au commandant militaire supérieur des Forces de la coalition en Irak des responsabilités, à définir par lui, prévues par le présent instrument. Le commandant militaire supérieur des Forces de la coalition en Irak peut à son tour déléguer des responsabilités prévues par le présent instrument à des personnes placées sous son commandement. »

2.  Le protocole d’entente de la DMN (S-E) (division multinationale, sud-est)

100.  Le gouvernement défendeur a soumis l’extrait suivant du protocole d’entente qui régissait les procédures convenues entre les Pays-Bas et le Royaume-Uni :

[Traduction du greffe]

« 14.1  Les membres de la DMN (S-E) peuvent détenir et porter des armes et des munitions en Irak suivant les règles de service et les procédures nationales qui leur sont applicables aux fins de la mission de la DMN (S-E) et lorsqu’ils y sont autorisés par le commandant de la DMN (S-E).

14.2  Les ROE applicables à la DMN (S-E) figurent à l’annexe F. C’est la protection de la Force, et non la mission de la DMN (S-E), qui constitue le facteur essentiel pour le niveau de permissivité prévu par le profil ROE. Les Participants peuvent, dans le cadre d’instructions nationales ou d’explications à l’intention des commandants de contingents nationaux, indiquer leur intention d’appliquer à leurs propres forces un niveau différent de permissivité, sous réserve que :

a)  toute différence soit communiquée au conseiller juridique du commandant de la DMN (S-E) avant l’application des ROE en question en Irak.

b)  aucune différence ne suppose un degré de permissivité supérieur à celui autorisé par les ROE de la DMN (S-E).

14.3  Étant classée secrète, l’annexe E [il s’agit probablement de l’annexe F] est publiée séparément, en diffusion restreinte. La signature du présent protocole d’entente vaut néanmoins adhésion aux ROE contenues à l’annexe F. »

101.  Selon le Gouvernement, le protocole d’entente prévoyait également que les Pays-Bas exerceraient une juridiction disciplinaire et pénale exclusive sur leur personnel.

102.  Lors de son intervention pendant l’audience de la Cour, l’agent du gouvernement défendeur a déclaré que le protocole d’entente était un document classifié et que le ministre de la Défense avait refusé de le déclassifier aux fins de sa présentation à la Cour.

3.  Le protocole d’entente de la DMN (C-S) (division multinationale, centre-sud)

103.  Les forces lettones ont participé à la SFIR dans le cadre de la division multinationale basée dans le centre-sud de l’Irak et placée sous commandement polonais. Le protocole d’entente applicable a été publié par le gouvernement de la République de Lettonie dans Latvijas Vēstnesis (no 5 (3163), 11 janvier 2005), publication officielle consacrée aux actes juridiques et annonces officielles. Ses parties pertinentes se lisent comme suit :

[Traduction du greffe]

« SECTION QUATRE — MANDAT

4.1.  En vertu de la RCSNU 1483, la DMN (C-S) de la SFIR a pour mandat d’aider l’Autorité à préserver la stabilité et la sécurité en Irak en fournissant personnel, équipement et autres ressources pour œuvrer sous son commandement unifié conformément à l’accord présenté dans la section cinq ci-dessous. Les principales tâches de la DMN (C-S) sont exposées dans l’énoncé de mission qui se trouve annexé au présent protocole d’entente (PE) (...)

4.2.  Les membres de la DMN (C-S) accomplissent leurs tâches de manière rigoureuse, juste et équitable et s’abstiennent de tout acte incompatible avec la nature indépendante de celles-ci. Ce qui précède est sans préjudice du droit pour la SFIR d’agir au titre de la légitime défense ou de la légitime défense élargie, ainsi que de la protection de la force et de la mise en œuvre de la mission.

SECTION CINQ — COMMANDEMENT ET CONTRÔLE DE LA DMN (C-S)

5.1.  Le commandement de la DMN (C-S) est assuré par la République de Pologne. Celle-ci coordonne la mise en place de la structure de la DMN (C-S) et veille à ce que les Participants soient tenus informés de l’état d’avancement de la mise en œuvre de cette structure.

5.2.  Les membres des contingents nationaux demeurent sous le plein commandement du Participant concerné, par le biais du commandant du contingent national / haut représentant national. Le contrôle opérationnel de tous les contingents nationaux participant à la DMN (C-S) est confié à un commandant supérieur.

5.3.  Les Participants sont responsables de la planification et de l’exécution des mouvements de leurs forces et du ravitaillement à partir des dépôts et vers les points de débarquement (POD), suivant les lignes de communication (LOC) stratégiques. Cette responsabilité peut être déléguée à d’autres organes agissant pour le compte des Participants. Les opérations de réception, regroupement, acheminement vers l’avant (RSOM), y compris les opérations de dédouanement portuaire, sont menées conformément aux instructions permanentes en vigueur, sauf décision contraire. Le contrôle tactique de tous les aspects des LOC stratégiques et tactiques est confié aux différentes organisations chargées du contrôle des mouvements au niveau des opérations (CJTF‑7).

5.4.  Le commandant de la DMN (C-S) est habilité à coordonner les moyens logistiques de l’élément de soutien national, afin de répondre aux besoins opérationnels ou d’assurer la déconfliction dans l’utilisation d’infrastructures ou de ressources limitées. Dans ce contexte, les dispositions de la section onze peuvent s’appliquer. Les moyens logistiques constituant tout ou partie de la contribution d’un Participant à la DMN (C-S) sont sous le contrôle visé au paragraphe 5.2 ci-dessus.

5.5.  Un transfert d’autorité (TOA) sur des forces opéré en faveur du commandant de la DMN (C-S) conformément au statut de commandement de la DMN ci-dessus s’effectue à la capacité opérationnelle totale (FOC) déclarée par les commandants de contingents nationaux (NCC). Une fois le TOA effectué, les Participants confirment le statut de commandement de leurs forces par une notification au commandant de la DMN (C‑S).

5.6.  Le commandant de contingent national / haut représentant national est responsable du maintien de l’ordre et de la discipline au sein du contingent national placé sous son commandement.

5.7.  Le commandant de la DMN (C-S) peut demander le retrait de tout personnel affecté à la DMN (C-S). Les commandants de contingent national / hauts représentants nationaux examinent toute demande de cette nature et s’efforcent d’y donner suite si leurs propres règles nationales les y autorisent.

5.8.  Le commandant de la DMN (C-S) est responsable de la coordination avec la CPA dans la zone de responsabilité opérationnelle (AOR) de la DMN (C-S). Après consultation des Participants concernés, les commandants de brigade désignent des représentants, lesquels doivent faire fonction de contacts militaires avec la CPA au sein de l’AOR de leur brigade, et tiennent le commandant de la DMN (C-S) informé. Ces représentants siègent également au sein d’une commission mixte de coordination.

5.9.  L’anglais est la langue officielle de travail et de commandement dans la DMN (C-S) jusqu’au niveau du bataillon, excepté pour le Groupement tactique 1. »

(...)

SECTION QUATORZE — RÈGLES D’ENGAGEMENT (ROE) / PORT D’ARMES ET DE MUNITIONS

14.1.  Les membres de la DMN (C-S) peuvent détenir et porter des armes et des munitions en Irak aux fins de la mission de la DMN (C-S) lorsqu’ils y sont autorisés par le commandant de la DMN (C-S).

14.2.  Les ROE applicables à la DMN (C-S) font partie de l’ordre opérationnel de la DMN (C-S). C’est la protection de la Force, et non la mission de la DMN (S-E), qui constitue le critère essentiel pour le niveau de permissivité prévu par le profil ROE. Les Participants peuvent indiquer, dans le cadre d’instructions nationales ou d’explications à l’intention des commandants de contingents nationaux, leur intention d’appliquer à leurs propres forces un niveau différent de permissivité, sous réserve que :

a)  toute différence initiale soit communiquée au commandant de la DMN (C-S) avant un TOA. Les autres différences peuvent être communiquées si nécessaire.

b)  Aucune différence n’emporte un degré de permissivité supérieur à celui autorisé par les ROE de la DMN (C-S).

SECTION SEIZE — RÉCLAMATIONS

16.1.  Sauf disposition contraire du présent PE, chaque Participant renonce à toute réclamation qu’il pourrait soulever contre un autre Participant à raison d’un acte d’omission de tout autre Participant ou de membres du contingent national de ce dernier dans l’accomplissement de tâches officielles liées au présent PE ayant causé des blessures (même fatales) à des membres de son contingent national ou des dommages ou des pertes de biens lui appartenant ou appartenant à des membres de son contingent national.

16.2.  Si d’un commun accord les Participants concernés décident relativement à une réclamation qu’un dommage, une perte, une blessure ou un décès ont été causés par un acte imprudent, une omission par imprudence, une faute délibérée ou une négligence grave d’un seul Participant, de son personnel militaire ou de ses fonctionnaires ou agents, les frais liés à toute responsabilité éventuelle sont supportés par ce seul Participant.

16.3.  Si plus d’un Participant est responsable de la blessure, du décès, de la perte ou du dommage, ou s’il est impossible d’en attribuer la responsabilité à un Participant spécifique, le traitement et le règlement de la réclamation font l’objet d’un accord entre les Participants concernés. Le coût du traitement et du règlement de la réclamation est réparti équitablement entre les Participants concernés.

16.4.  Les réclamations de tierces parties portant notamment sur la perte ou la dégradation de biens, un préjudice corporel, une maladie, un décès ou toute autre situation causée par ou imputée à l’effectif de la DMN (C-S) ou à tout individu employé par celle-ci, résidant d’ordinaire en Irak ou non, et non liées à des opérations de combat militaire, sont adressées au Participant dont le personnel, les biens, les activités ou autres ressources du contingent national sont supposés être responsables du dommage en question, pour être traitées selon les lois nationales de l’État participant.

16.5.  Les réclamations de tierces parties sont d’abord recueillies par le QG de la DMN (CS), puis sont transmis au Participant tenu pour responsable. Lorsque plus d’un Participant est responsable de la blessure, du décès, de la perte ou du dommage, ou s’il est impossible d’attribuer la responsabilité de ceux-ci à un Participant précis, les coûts du traitement et du règlement des réclamations sont répartis équitablement entre les Participants concernés.

ANNEXE A
AU PE DE LA DMN (C-S)

ÉNONCÉ DE MISSION DE LA DMN (C-S) DE LA FORCE DE STABILISATION

Introduction

1.  Dans le cadre de la mission, les Participants contribuent à l’accomplissement de tâches essentielles. Celles-ci impliquent par ailleurs une collaboration croissante avec l’Autorité provisoire de la coalition (CPA) et la population locale irakienne pour le rétablissement et l’instauration d’institutions locales.

Zone de responsabilité opérationnelle (AOR) de la DMN (C-S)

2.  L’AOR de la DMN (C-S) de la Force de stabilisation en Irak (SFIR) englobe cinq provinces : Babil, Karbala, Wasit, Al-Qadisiyya et An-Najaf. Une carte provisoire montrant l’AOR de la DMN (C-S) figure à l’appendice 1 de la présente annexe.

Principales tâches

3.  La DMN (C-S) de la SFIR accomplit dans l’AOR, à l’appui de la Mission, un ensemble de tâches définies en fonction de l’évolution de la situation. Les principales tâches sont les suivantes :

a)  Sécurité extérieure/Sécurité des frontières. Tâche conduite par la DMN (C-S) de la SFIR. Protection des points clés, y compris surveillance de la frontière terrestre et aide à la création et à la formation d’une force irakienne de sécurité des frontières.

b)  Sécurité intérieure. Tâche conduite par la DMN (C-S) de la SFIR. Préservation d’un climat de sécurité, notamment par des activités de renseignement destinées à éliminer la menace émanant de groupes armés et subversifs.

c)  Protection de la Force. Tâche conduite par la DMN (C-S) de la SFIR. Cette tâche englobe tous les aspects des opérations en cours visant à assurer la sécurité de la SFIR et, sur une période limitée, du personnel de la CPA dans l’ensemble de l’AOR.

d)  Sécurité de sites fixes. Tâche conduite par la DMN (C-S) de la SFIR. Cette tâche inclut la responsabilité du maintien de la sécurité sur les sites cruciaux et sensibles de l’AOR.

e)  Gouvernance et soutien des infrastructures. Tâche conduite par la CPA. La DMN (C-S) de la SFIR doit pendant une période limitée soutenir les efforts de la CPA (C-S) visant à l’établissement d’une gouvernance locale fondée sur l’état de droit et assurant la justice et l’égalité des droits à tous les citoyens irakiens de l’AOR, indépendamment de l’appartenance ethnique, de la religion ou du sexe. La DMN (C-S) de la SFIR contribue à la réalisation de cet objectif en œuvrant aux niveaux local et régional pour mettre en place des mécanismes de gouvernance et d’administration civile, jusqu’à ce que la CPA soit en mesure de travailler avec la population locale irakienne pour établir la pleine gouvernance. La DMN (C-S) de la SFIR continue à poursuivre cet objectif au sein de l’AOR avec des Équipes de soutien au gouvernement (GST), jusqu’à ce que les Équipes de gouvernance locale (LGT) de la CPA soient opérationnelles dans l’AOR. Le commandant de la DMN (C-S) de la SFIR continue à faire le lien avec les GST une fois que la CPA a pris le contrôle, et il travaille en collaboration étroite avec la CPA (C-S) aux fins de la synchronisation des opérations militaires avec les activités de la Coalition. Un soutien complémentaire peut être apporté sur une période limitée dans le cadre de la mise en place et de l’entretien d’infrastructures irakiennes.

f)  Développement du maintien de l’ordre. Tâche conduite par la CPA. La DMN (C-S) de la SFIR fournit un soutien sur une période limitée. La DMN (C-S) de la SFIR continue à contribuer au développement de la Force civile de police, notamment par la conduite de patrouilles communes, la création d’une équipe d’évaluation de la police, la mise en place d’une procédure de dépôt de plaintes, et un soutien aux tribunaux et magistrats locaux irakiens pour le maintien de l’ordre public. Une fois accomplie la transition vers la CPA et la population locale irakienne, la DMN (C-S) de la SFIR conserve un rôle de liaison aux fins de la coordination des activités de maintien de l’ordre, de formation et de surveillance aux côtés de l’armée.

g)  Criminels de guerre. Tâche conduite par la CPA. Appui de la DMN (C-S) de la SFIR éventuellement nécessaire pour faciliter la détention de personnes soupçonnées de crimes de guerre dans l’AOR.

h)  Rétablissement des services de base. Tâche conduite par la CPA. La DMN (C‑S) de la SFIR apporte un soutien sur une période limitée, jusqu’à ce que du personnel civil irakien engagé sous contrat puisse prendre le relais. La DMN (C-S) de la SFIR est chargée, avec l’aide de la CPA, de faciliter la mise en place de services de base dans l’AOR.

i)  Constitution de l’armée irakienne. Tâche conduite par la CPA. La DMN (C-S) de la SFIR apporte un soutien militaire théorique, mais la dotation en personnel, la formation et l’équipement d’une structure militaire irakienne relèvent de la CPA.

4.  Au regard de la quatrième Convention de Genève (sur les civils), la seule autorité intervenant en qualité de « puissance détentrice » dans l’AOR est le commandant de la DMN (C-S) de la SFIR, qui agit au nom de l’Autorité.

5.  Le commandant de la DMN (C-S) de la SFIR assure si nécessaire la liaison avec les dirigeants de la vie politique, sociale et religieuse de l’AOR, afin que les sensibilités religieuses, ethniques et culturelles de l’Irak soient dument respectées par les membres de la DMN (C-S) de la SFIR.

Identification

6.  Les membres du personnel militaire et paramilitaire de la DMN (C-S) de la SFIR portent l’uniforme et les armes que leurs instructions les autorisent à porter. Pendant le service, les membres de la Force de police civile irakienne doivent être clairement identifiables par un uniforme ou d’autres signes distinctifs, et peuvent porter des armes en fonction des autorisations contenues dans les règlements et décrets de la CPA et une fois [l’administration] irakienne établie.

Évaluation des menaces

7.  Les Forces de la coalition estiment que la menace intérieure pesant sur la stabilité en Irak provient des factions armées qui manœuvrent pour acquérir un pouvoir et une influence politiques, des derniers partisans baassistes et de leurs organisations dissidentes, des criminels et des terroristes. À l’extérieur, la menace est limitée et les États voisins sont coopératifs. La situation est dynamique et susceptible d’évoluer. La position de la DMN (C-S) de la SFIR étant susceptible de nécessiter un réajustement suivant l’évolution de la situation, les Participants doivent faire preuve de souplesse.

8.  Les Participants doivent bien comprendre la nécessité de communiquer au commandant de la DMN (C-S) de la SFIR toute information touchant à la sécurité de la mission, de son personnel, de son équipement et de ses sites.

Composition de la DMN (C-S)

9.  Il est entendu qu’une fois la DMN (C-S) établie, sa composition pourra changer.

Autorité finale en matière d’interprétation

10.  Le commandant de la DMN (C-S) représente l’autorité finale s’agissant de l’interprétation du présent énoncé de mission dans le cadre des opérations.

Résumé

11.  Le présent énoncé de mission expose les obligations et les responsabilités des Participants et décrit les principales tâches de la mission de la DMN (C-S) de la SFIR dans l’AOR. »

104.  Les signataires de ce document sont la République de Lettonie, le ministère de la Défense de la République de Bulgarie, le ministère de la Défense du Royaume du Danemark, le ministre des Forces armées de la République dominicaine, le ministère de la Défense nationale des Philippines, le ministre de la Défense de la République du Honduras, le ministère de la Défense de la République de Hongrie, le ministère de la Défense de la République du Kazakhstan, le ministère de la Défense nationale de la République de Lituanie, le ministère de la Défense de Mongolie, le ministre de la Défense du Royaume des Pays-Bas, le ministère de la Défense de la République du Nicaragua, le ministère de la Défense du Royaume de Norvège, le ministère de la Défense nationale de Roumanie, le ministère de la Défense de la République du Salvador, le ministère de la Défense de la République slovaque, le ministère de la Défense du Royaume d’Espagne, le ministère de la Défense du Royaume de Thaïlande, le ministère de la Défense d’Ukraine et le ministre de la Défense nationale de la République de Pologne.

GRIEFS

105.  Le requérant allègue des violations de l’article 2 sous son volet procédural.

106.  À ses yeux, l’enquête n’a pas été suffisamment indépendante, et ce pour les raisons suivantes :

a)  L’unité de la maréchaussée royale présente en Irak aurait été sous la seule autorité du commandant du bataillon néerlandais ; il n’y aurait eu aucune présence du ministère public. Les membres de l’unité ayant, selon le requérant, partagé les quartiers des troupes régulières, il n’y aurait pas eu assez de distance entre eux et les individus sur lesquels ils pouvaient être appelés à enquêter.

b)  Le procureur d’Arnhem aurait décidé de ne pas entamer de poursuites contre le lieutenant A. sur la seule base des rapports de la maréchaussée royale, dans lesquels il aurait placé une confiance excessive.

c)  La chambre militaire de la cour d’appel d’Arnhem, qui aurait compté parmi ses membres un officier d’active n’appartenant pas à la magistrature, se serait elle aussi entièrement fiée aux résultats de l’enquête – très limitée aux yeux du requérant – de la maréchaussée royale.

107.  Le requérant considère par ailleurs que l’enquête n’a pas été suffisamment effective, ce pour les raisons suivantes :

a)  On n’aurait pas recueilli les dépositions des membres du CIDC ayant assisté à la fusillade, un enquêteur de la maréchaussée royale ayant, selon le requérant, décidé qu’ils n’avaient pas d’informations pertinentes à livrer.

b)  L’interrogatoire de M. Dawoud Joad Kathim, le conducteur de la Mercedes, aurait été extrêmement superficiel. Or, pour le requérant, dans la mesure où l’intéressé avait été le seul témoin civil et donc le seul témoin sans lien hiérarchique ou autre lien fonctionnel avec le lieutenant A., sa déposition était importante. De plus, sa déclaration, telle qu’enregistrée par les enquêteurs de la maréchaussée royale, n’aurait pas cadré avec celle livrée par lui à un fonctionnaire irakien plus tard dans la même journée.

c)  Le lieutenant A. n’aurait subi son premier interrogatoire que sept heures après les faits litigieux et il n’aurait pas été séparé des autres témoins pendant ce laps de temps ; il aurait donc eu tout loisir de parler de la fusillade avec les autres témoins avant d’être interrogé et d’adapter ses propos en conséquence.

d)  Le lendemain des faits, le lieutenant A. aurait déclaré qu’il avait pu obtenir du commandant adjoint du CIDC la liste des membres du CIDC qui avaient fait usage de leurs armes ainsi que le nombre de cartouches tirées. Le requérant considère que le fait que le lieutenant A., principal suspect, ait pu obtenir ces informations d’un témoin clé a également porté atteinte à l’effectivité de l’enquête.

e)  De surcroît, en dépit de son importance potentielle pour l’affaire, la liste obtenue par le lieutenant A. n’aurait pas été versée au dossier.

f)  La maréchaussée royale aurait disposé du corps de M. Azhar Sabah Jaloud pendant plusieurs heures sans toutefois procéder à une autopsie. La dépouille aurait ensuite été transférée dans un hôpital civil irakien, où une autopsie aurait été pratiquée en l’absence de représentants de la maréchaussée royale. Le rapport d’autopsie aurait été versé au dossier en l’état, sans être traduit.

g)  D’autres preuves scientifiques et techniques auraient été traitées avec une négligence similaire. En particulier, le rapport concernant les fragments de balles retirés du corps n’auraient pas été traduit in extenso.

108.  Enfin, le requérant allègue que les proches de M. Azhar Sabah Jaloud n’ont pas été suffisamment associés à l’enquête et informés de ses progrès. Ainsi, nul n’aurait jamais cherché à prendre contact avec la famille de M. Azhar Sabah Jaloud, et personne n’aurait pris la peine d’informer les proches de la décision de ne pas poursuivre le lieutenant A.

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DE LA CONVENTION

A.  Sur la recevabilité

1.  L’exception préliminaire du Gouvernement

109.  Le Gouvernement conteste la recevabilité de la requête, soutenant que M. Azhar Sabah Jaloud ne relevait pas de la « juridiction » de la Partie contractante défenderesse au sens de l’article 1 de la Convention.

110.  Comme elle l’a fait dans l’affaire Al-Skeini et autres c. Royaume-Uni ([GC], no 55721/07, § 102, CEDH 2011), la Cour joindra cette exception préliminaire au fond.

2.  Conclusion sur la recevabilité

111.  À la lumière des observations des parties, la Cour considère que la requête soulève sous l’angle de la Convention d’importantes questions de fait et de droit qui appellent un examen au fond. Elle conclut donc que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Constatant qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, elle la déclare donc recevable, sans préjudice de sa décision sur l’exception préliminaire du Gouvernement, sur laquelle elle se prononcera ci-dessous.

B.  Sur la juridiction

1.  Thèses des parties

a)  Le gouvernement défendeur

112.  Le gouvernement néerlandais estime que les faits litigieux ne relèvent pas de la « juridiction » des Pays-Bas au sens de l’article 1 de la Convention. Il demande à la Cour de faire la distinction entre la présente espèce et l’affaire Al-Skeini et autres (précitée).

113.  Il soutient tout d’abord que les Pays-Bas n’étaient pas une « puissance occupante » au sens du droit humanitaire international. Il indique que seuls les États-Unis et le Royaume-Uni, explicitement désignés comme « puissances occupantes » par la résolution 1483 du Conseil de sécurité des Nations unies, avaient ce statut. Il considère que cette caractéristique les distingue des autres États ayant opéré sous l’égide de l’Autorité provisoire de la coalition.

114.  De plus, les Pays-Bas n’auraient exercé en Irak aucune des prérogatives de la puissance publique qui seraient normalement celles d’un État souverain. Ces prérogatives auraient entièrement appartenu aux États‑Unis et au Royaume-Uni, lesquels auraient mis en place l’Autorité provisoire de la coalition.

115.  Le contingent néerlandais aurait à tout moment été placé sous le contrôle opérationnel du commandant de la DMN (S-E), qui était un officier britannique.

116.  Le Gouvernement ajoute que si pendant la phase initiale des opérations de la SFIR les forces néerlandaises furent amenées à assumer des fonctions de maintien de l’ordre, cette responsabilité fut transférée aux autorités irakiennes au cours de l’année 2003. Dès lors, au moment des faits litigieux, les pouvoirs de police n’auraient pas été exercés par les autorités ou les forces néerlandaises.

117.  Le Gouvernement indique que dans son arrêt Al-Skeini et autres la Cour a conclu que le Royaume-Uni exerçait sa « juridiction » au sens de l’article 1 de la Convention parce que les décès en question avaient été causés par les actes de soldats britanniques au cours ou dans le contexte d’opérations de sécurité, notamment des patrouilles militaires, effectuées par ces forces. Dans la présente affaire, à l’inverse, M. Azhar Sabah Jaloud aurait trouvé la mort à un poste de contrôle des véhicules mis en place et tenu par le CIDC. Au moment des faits, des militaires néerlandais auraient certes été présents à des fins d’observation et de conseil, mais cela n’impliquerait pas l’existence d’un rapport hiérarchique propre à faire entrer en jeu la responsabilité des Pays-Bas : ce seraient les forces de sécurité irakiennes qui auraient détenu le pouvoir sur ce poste de contrôle.

118.  Le Gouvernement argue qu’à aucun moment les forces néerlandaises n’ont exercé un pouvoir ou un contrôle physiques sur M. Azhar Sabah Jaloud, celui-ci ne s’étant, d’après lui, jamais trouvé sous leur surveillance. Plus généralement, les effectifs des forces néerlandaises présentes dans le sud-est de l’Irak auraient été restreints et n’auraient pas exercé le niveau de contrôle nécessaire pour faire relever la zone de la « juridiction » néerlandaise au sens de l’article 1.

119.  Le fait pour un militaire d’avoir tiré sur une personne, quand bien même on pourrait établir que le tir a été fatal, ne suffirait pas en soi à faire conclure à l’existence d’une juridiction dans ce sens. Dans l’affaire Banković et autres c. Belgique et autres ((déc.) [GC], no 52207/99, CEDH 2001‑XII), la Cour aurait dit que le simple fait pour une personne d’avoir été victime d’un missile lancé à partir d’un bombardier d’un État donné ne suffisait pas à la faire relever de la juridiction de cet État.

120.  Enfin, le Gouvernement estime qu’à admettre même qu’à l’époque les Pays-Bas exerçaient un contrôle effectif sur le poste de contrôle des véhicules, la zone concernée était si limitée qu’il n’y aurait plus de différence significative entre un « contrôle effectif global sur une zone » et l’« autorité et le contrôle exercé par un agent de l’État ».

b)  Le gouvernement intervenant

121.  Le gouvernement britannique invoque la nature « principalement territoriale » de la juridiction au sens de l’article 1 ; son extension au-delà du territoire d’un État contractant serait exceptionnelle. La décision Banković et autres précitée, en particulier son paragraphe 65, impliquerait qu’il ne faut pas laisser la notion de « juridiction » « évoluer » ou « se développer progressivement » de la même manière que le droit touchant aux droits et libertés matériels garantis par la Convention. La doctrine de l’« instrument vivant » ne serait pas applicable.

122.  Le gouvernement intervenant soutient que lorsque, par suite d’une action militaire légale ou non, un État exerce un « contrôle effectif sur une zone » située en dehors de son territoire, l’article 1 lui fait obligation de reconnaître dans cette zone tout l’éventail des droits matériels énoncés dans la Convention et dans les Protocoles additionnels qu’il a ratifiés. En conséquence, les circonstances dans lesquelles cette exception à la nature territoriale de la juridiction aurait vocation à s’appliquer seraient forcément très limitées.

123.  Au paragraphe 80 de l’arrêt Al-Skeini et autres, la Cour aurait souscrit à la conclusion de la Cour d’appel britannique selon laquelle il eût été irréaliste de s’attendre à ce que les forces britanniques, dans la ville de Bassorah et ailleurs en Irak, reconnussent à la population locale l’ensemble des droits matériels découlant de la Convention.

124.  Dans Al-Skeini et autres comme dans d’autres affaires, la Cour aurait estimé que la juridiction au sens de l’article 1 existait sur la base d’un pouvoir et d’un contrôle physiques exclusifs et d’une autorité juridique (réelle ou présumée) sur un individu (de façon hypothétique dans Issa et autres c. Turquie, no 31821/96, 16 novembre 2004, mais réelle dans Öcalan c. Turquie [GC], no 46221/99, CEDH 2005‑IV, Al-Saadoon et Mufdhi c. Royaume-Uni, no 61498/08, CEDH 2010, et Medvedyev et autres c. France [GC], no 3394/03, CEDH 2010). Au contraire, dans la décision Banković et autres, précitée, l’action matérielle de bombarder n’aurait pas été considérée comme un exemple d’exercice d’un pouvoir et d’un contrôle physiques propres à faire conclure à l’existence d’une juridiction extraterritoriale. En conséquence, il devrait en être de même pour l’action matérielle consistant à tirer sur un véhicule en mouvement occupé par des personnes non détenues.

125.  Une différence majeure entre l’espèce et l’affaire Al-Skeini et autres résiderait dans le fait que dans cette dernière affaire le Royaume-Uni était reconnu comme une « puissance occupante » au sens de l’article 42 du règlement de La Haye et était dès lors tenu en vertu de l’article 43 du même règlement d’exercer les pouvoirs qui relèvent normalement de l’État.

126.  Enfin, le gouvernement britannique estime que si la Cour devait conclure que les Pays-Bas exerçaient leur juridiction en l’espèce il y aurait un « risque réel » de voir les États contractants se montrer à l’avenir réticents à « répondre aux appels lancés par le Conseil de sécurité des Nations unies en vue de l’envoi de troupes pour une intervention sous mandat des Nations unies, [ce qui serait] au détriment de la mission de maintien de la paix et de la sécurité internationales du Conseil ».

c)  Le requérant

127.  Le requérant considère que les faits dénoncés par lui relevaient de la juridiction des Pays-Bas.

128.  Ce serait le cas, premièrement, à raison du contrôle que les Pays‑Bas auraient exercé sur leurs militaires, par l’intermédiaire desquels ce pays aurait assumé certaines prérogatives cruciales de puissance publique. La CPA n’aurait pas été dirigée par les seuls États-Unis et Royaume-Uni ; ces deux pays se seraient acquittés des tâches administratives et de coordination, mais d’autres États – dont les Pays-Bas – auraient apporté leur contribution en mettant en œuvre l’autorité de la CPA et en assurant la sécurité. Cela aurait englobé l’exercice de « certaines des prérogatives de puissance publique normalement exercées par [un État souverain] ».

129.  Les troupes néerlandaises auraient exercé de telles prérogatives lorsque, en vertu « du consentement, de l’invitation ou de l’acquiescement » de la CPA, elles supervisaient le CIDC au poste de contrôle.

130.  Ainsi qu’il ressortirait de la position officielle du gouvernement néerlandais, les Pays-Bas auraient eu à tout moment le plein commandement sur les militaires néerlandais.

131.  Deuxièmement, les Pays-Bas auraient eu juridiction de par le contrôle militaire effectif qu’ils auraient exercé sur la zone en question. Invoquant l’arrêt Issa et autres c. Turquie (no 31821/96, 16 novembre 2004), le requérant plaide qu’il peut y avoir juridiction même si le contrôle militaire est limité dans le temps et dans son déploiement géographique.

132.  Troisièmement, la juridiction des Pays-Bas tiendrait à leur statut de « puissance occupante » au sens de l’article 42 du règlement de La Haye. Tout en reconnaissant que seuls les États-Unis et le Royaume-Uni étaient véritablement désignés comme « puissances occupantes » par la résolution 1483 du Conseil de sécurité des Nations unies, le requérant estime que la possession de ce statut au sens du règlement de La Haye est une question de fait et non de choix.

133.  Le requérant indique que le protocole d’entente de la DMN (C-S) (paragraphe 103 ci-dessus), qu’il considère pour les besoins de la cause comme étant identique au protocole d’entente applicable à la présente affaire, renvoie au règlement de La Haye, ce dont il déduit que ce règlement trouve à s’appliquer.

134.  Quatrièmement, aucun autre État n’aurait eu de contrôle sur les événements en cause. Le Royaume-Uni n’aurait eu aucune responsabilité militaire directe dans la province d’Al-Muthanna et les Pays-Bas n’auraient en tout état de cause jamais cherché à lui transférer leur juridiction. Par ailleurs, il n’aurait pas existé à l’époque pertinente d’administration civile irakienne ni d’armée ou de police irakiennes, et c’est la CPA qui aurait exercé les prérogatives de puissance publique avec les autres membres de la coalition militaire, dont les Pays-Bas.

135.  Quant aux faits de la cause, les militaires néerlandais auraient exercé leur contrôle sur le PCV et leur autorité sur le personnel irakien qui y était affecté. De plus, la maréchaussée royale des Pays-Bas aurait mené l’enquête : elle aurait saisi le fusil du sergent Hussam Saad, du CIDC, la voiture de M. Dawoud Joad Kathim et le corps de M. Azhar Sabah Jaloud. Cela signifierait que les Pays-Bas assumaient « certaines des prérogatives de puissance publique normalement exercées par [un État souverain] ».

136.  Enfin, le ministre néerlandais de la Défense, dans sa lettre du 18 juin 2007 transmettant le rapport de la Commission Van den Berg au Parlement, aurait souscrit à la conclusion de ce rapport selon laquelle la Convention s’appliquait aux troupes néerlandaises dans leurs rapports avec les ressortissants irakiens en Irak.

2.  Appréciation de la Cour

a)  Le protocole d’entente de la DMN (C-S) (division multinationale centre-sud)

137.  Lors de l’audience devant la Cour, l’agent du gouvernement défendeur, répondant à une question posée par la Cour, a déclaré que les autorités néerlandaises chargées de la défense avaient refusé de déclassifier à l’intention de la Cour le protocole d’entente applicable au Royaume-Uni et aux Pays-Bas dans la province d’Al-Muthanna. Il a toutefois ajouté que le protocole d’entente de la DMN (C-S) « [donnait] une bonne idée du type de document dont il s’agi[ssait] ».

138.  La Cour note que parmi les signataires du protocole d’entente de la DMN (C-S) figurent les autorités chargées de la défense de nombreux États pourvoyeurs de troupes à la SFIR, notamment le ministre néerlandais de la Défense (paragraphe 104 ci-dessus). Elle observe par ailleurs que la partie du protocole d’entente de la DMN (S-E) que le gouvernement défendeur a accepté de divulguer (paragraphe 100 ci-dessus) est très similaire, bien que non identique, à la partie correspondante du protocole d’entente de la DMN (C-S) (paragraphe 103 ci-dessus), et que l’agent du gouvernement défendeur n’a pas fait référence, ni même allusion, à l’existence d’une quelconque différence notable entre les deux protocoles d’entente. Dès lors, la Cour partira du principe que les deux documents sont identiques sur les aspects pertinents. Elle fera néanmoins preuve de prudence dans l’utilisation du protocole d’entente de la DMN (C-S).

b)  Les principes applicables

139.  La Cour observe que si la juridiction des États est principalement territoriale elle peut parfois s’exercer hors du territoire national (voir, à titre de comparaison, Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004, p. 136, § 109 – paragraphe 95 ci-dessus). La Cour rappelle que dans son arrêt Al‑Skeini et autres (précité, §§ 130-139), elle a résumé comme suit les principes relatifs à l’exercice de la juridiction, au sens de l’article 1 de la Convention, en dehors du territoire des États contractants :

« 130.  (...) Aux termes de [l’article 1 de la Convention], l’engagement des États contractants se borne à « reconnaître » (en anglais « to secure ») aux personnes relevant de leur « juridiction » les droits et libertés énumérés (Soering c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, § 86, série A no 161, et décision Banković précitée, § 66). La « juridiction », au sens de l’article 1, est une condition sine qua non. Elle doit avoir été exercée pour qu’un État contractant puisse être tenu pour responsable des actes ou omissions à lui imputables qui sont à l’origine d’une allégation de violation des droits et libertés énoncés dans la Convention (Ilaşcu et autres, précité, § 311).

α)  Le principe de territorialité

131.  La juridiction d’un État, au sens de l’article 1, est principalement territoriale (Soering, précité, § 86, Banković, décision précitée, §§ 61 et 67, et Ilaşcu, précité, § 312). Elle est présumée s’exercer normalement sur l’ensemble de son territoire (Ilaşcu, précité, § 312, et Assanidzé c. Géorgie [GC], no 71503/01, § 139, CEDH 2004‑II). À l’inverse, les actes des États contractants accomplis ou produisant des effets en dehors de leur territoire ne peuvent que dans des circonstances exceptionnelles s’analyser en l’exercice par eux de leur juridiction, au sens de l’article 1 (Banković, précité, § 67).

132.  À ce jour, la Cour a reconnu dans sa jurisprudence un certain nombre de circonstances exceptionnelles susceptibles d’emporter exercice par l’État contractant de sa juridiction à l’extérieur de ses propres frontières. Dans chaque cas, c’est au regard des faits particuliers de la cause qu’il faut apprécier l’existence de pareilles circonstances exigeant et justifiant que la Cour conclue à un exercice extraterritorial de sa juridiction par l’État.

β)  L’autorité et le contrôle d’un agent de l’État

133.  La Cour a reconnu dans sa jurisprudence que, par exception au principe de territorialité, la juridiction d’un État contractant au sens de l’article 1 peut s’étendre aux actes de ses organes qui déploient leurs effets en dehors de son territoire (Drozd et Janousek, précité, § 91, Loizidou (exceptions préliminaires), précité, § 62, et Loizidou c. Turquie (fond), 18 décembre 1996, § 52, Recueil des arrêts et décisions 1996‑VI, et Banković, décision précitée, § 69). (...).

(...)

135.  (...) [L]a Cour a conclu à l’exercice extraterritorial de sa juridiction par l’État contractant qui, en vertu du consentement, de l’invitation ou de l’acquiescement du gouvernement local, assume l’ensemble ou certaines des prérogatives de puissance publique normalement exercées par celui-ci (Banković, décision précitée, § 71). Par conséquent, dès lors que, conformément à une règle de droit international coutumière, conventionnelle ou autre, ses organes assument des fonctions exécutives ou judiciaires sur un territoire autre que le sien, un État contractant peut être tenu pour responsable des violations de la Convention commises dans l’exercice de ces fonctions, pourvu que les faits en question soient imputables à lui et non à l’État territorial (Drozd et Janousek, précité, Gentilhomme, Schaff-Benhadji et Zeroukiet c. France, nos 48205/99, 48207/99 et 48209/99, 14 mai 2002, ainsi que X et Y c. Suisse, nos 7289/75 et 7349/76, décision de la Commission sur la recevabilité du 14 juillet 1977, DR 9, p. 57).

136.  En outre, la jurisprudence de la Cour montre que, dans certaines circonstances, le recours à la force par des agents d’un État opérant hors de son territoire peut faire passer sous la juridiction de cet État, au sens de l’article 1, toute personne se retrouvant ainsi sous le contrôle de ceux-ci. Cette règle a été appliquée dans le cas de personnes remises entre les mains d’agents de l’État à l’extérieur de ses frontières. Ainsi, dans l’arrêt Öcalan c. Turquie (précité, § 91), la Cour a jugé que « dès sa remise par les agents kenyans aux agents turcs, [le requérant] s’[était] effectivement retrouvé sous l’autorité de la Turquie et relevait donc de la « juridiction » de cet État aux fins de l’article 1 de la Convention, même si, en l’occurrence, la Turquie a[vait] exercé son autorité en dehors de son territoire ». Dans l’arrêt Issa et autres précité, elle a indiqué que, s’il avait été établi que des soldats turcs avaient arrêté les proches des requérants dans le nord de l’Irak avant de les emmener dans une caverne avoisinante et de les exécuter, les victimes auraient dû être considérées comme relevant de la juridiction de la Turquie, ce par l’effet de l’autorité et du contrôle exercés sur les victimes par les soldats. Dans la décision Al-Saadoon et Mufdhi c. Royaume-Uni ((déc.), no 61498/08, §§ 86-89, 30 juin 2009), elle a estimé que, dès lors que le contrôle exercé par le Royaume-Uni sur ses prisons militaires en Irak et sur les personnes y séjournant était absolu et exclusif, il y avait lieu de considérer, à propos de deux ressortissants irakiens incarcérés dans l’une d’elles, qu’ils relevaient de la juridiction du Royaume-Uni. Enfin, dans l’arrêt Medvedyev et autres c. France ([GC], no 3394/03, § 67, CEDH 2010), elle a conclu, relativement à des requérants qui s’étaient trouvés à bord d’un navire intercepté en haute mer par des agents français, qu’eu égard au contrôle absolu et exclusif exercé de manière continue et ininterrompue par ces agents sur le navire et son équipage dès son interception, ils relevaient de la juridiction de la France au sens de l’article 1 de la Convention. La Cour considère que, dans les affaires ci-dessus, la juridiction n’avait pas pour seul fondement le contrôle opéré par l’État contractant sur les bâtiments, l’aéronef ou le navire où les intéressés étaient détenus. L’élément déterminant dans ce type de cas est l’exercice d’un pouvoir et d’un contrôle physiques sur les personnes en question.

(...)

γ)  Le contrôle effectif sur un territoire

138.  Le principe voulant que la juridiction de l’État contractant au sens de l’article 1 soit limitée à son propre territoire connaît une autre exception lorsque, par suite d’une action militaire – légale ou non –, l’État exerce un contrôle effectif sur une zone située en dehors de son territoire. L’obligation d’assurer dans une telle zone le respect des droits et libertés garantis par la Convention découle du fait de ce contrôle, qu’il s’exerce directement, par l’intermédiaire des forces armées de l’État ou par le biais d’une administration locale subordonnée (Loizidou (exceptions préliminaires), précité, § 62, Chypre c. Turquie [GC], no 25781/94, § 76, CEDH 2001‑IV, Banković, décision précitée, § 70, Ilaşcu, précité, §§ 314-316, et Loizidou (fond), précité, § 52). Dès lors qu’une telle mainmise sur un territoire est établie, il n’est pas nécessaire de déterminer si l’État contractant qui la détient exerce un contrôle précis sur les politiques et actions de l’administration locale qui lui est subordonnée. Du fait qu’il assure la survie de cette administration grâce à son soutien militaire et autre, cet État engage sa responsabilité à raison des politiques et actions entreprises par elle. L’article 1 lui fait obligation de reconnaître sur le territoire en question la totalité des droits matériels énoncés dans la Convention et dans les Protocoles additionnels qu’il a ratifiés, et les violations de ces droits lui sont imputables (Chypre c. Turquie, précité, §§ 76-77).

139.  La question de savoir si un État contractant exerce ou non un contrôle effectif sur un territoire hors de ses frontières est une question de fait. Pour se prononcer, la Cour se réfère principalement au nombre de soldats déployés par l’État sur le territoire en cause (Loizidou (fond), précité, §§ 16 et 56, et Ilaşcu, précité, § 387). D’autres éléments peuvent aussi entrer en ligne de compte, par exemple la mesure dans laquelle le soutien militaire, économique et politique apporté par l’État à l’administration locale subordonnée assure à celui-ci une influence et un contrôle dans la région (Ilaşcu, précité, §§ 388-394). »

c)  Application des principes susmentionnés aux faits de l’espèce

140.  L’État défendeur s’appuie largement sur l’argument selon lequel on ne pourrait imputer les événements litigieux aux Pays-Bas dès lors que l’autorité aurait été exercée par d’autres : soit conjointement par les États‑Unis et le Royaume-Uni, que la résolution 1483 du Conseil de sécurité des Nations unies aurait désignés comme « puissances occupantes », soit par le Royaume-Uni seul en tant que « nation chef de file » dans le sud-est de l’Irak qui aurait commandé le contingent néerlandais de la SFIR.

141.  Aux fins d’établir l’existence d’une juridiction au regard de la Convention, la Cour tient compte du contexte factuel particulier et des règles pertinentes du droit international.

142.  Concernant tout d’abord le contexte juridique international, la Cour souligne que le statut de « puissance occupante » au sens de l’article 42 du règlement de La Haye, ou l’absence de ce statut, n’est pas en soi déterminant. Si elle a jugé cette notion pertinente dans les affaires Al-Skeini et autres (précité, § 143) et Al-Jedda c. Royaume-Uni ([GC], no 27021/08, § 77, CEDH 2011), elle n’a pas eu besoin d’y recourir pour parvenir au constat que la responsabilité de la Turquie se trouvait engagée du fait des événements survenus dans le nord de Chypre (voir, notamment, Loizidou c. Turquie (exceptions préliminaires), 23 mars 1995, série A no 310, et Chypre c. Turquie [GC], no 25781/94, CEDH 2001‑IV), ou celle de la Russie à raison de la situation sur le territoire moldave situé à l’est du Dniestr (voir, notamment, Ilaşcu et autres c. Moldova et Russie [GC], no 48787/99, CEDH 2004‑VII, et Catan et autres c. République de Moldova et Russie [GC], nos 43370/04, 8252/05 et 18454/06, CEDH 2012).

143.  En outre, le fait pour un État contractant d’exécuter une décision ou un ordre émanant de l’autorité d’un État étranger ne suffit pas en soi à l’exonérer des obligations souscrites par lui au titre de la Convention (voir, mutatis mutandis, Pellegrini c. Italie, no 30882/96, § 40, CEDH 2001‑VIII, et K. c. Italie, no 38805/97, § 21, CEDH 2004‑VIII). Dès lors, l’État défendeur n’est pas délesté de sa « juridiction », au sens de l’article 1 de la Convention, du simple fait qu’il a accepté le contrôle opérationnel du commandant de la DMN (S-E), qui était un officier britannique. La Cour observe que les Pays-Bas ont conservé le « plein commandement » sur leur personnel militaire, ainsi que les ministres des Affaires étrangères et de la Défense l’ont indiqué dans leur lettre au Parlement (paragraphe 57 ci‑dessus).

144.  La résolution 1483 du Conseil de sécurité des Nations unies témoigne de la présence en Irak de forces issues de multiples États membres des Nations unies travaillant sous l’égide d’une « Autorité » (l’Autorité provisoire de la coalition) formée par les États-Unis et le Royaume-Uni. Tout en réaffirmant la « souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Iraq », cette résolution demandait à « toutes les parties concernées », qu’elles eussent ou non le statut de puissance occupante, de « s’acquitter pleinement de leurs obligations au regard du droit international, en particulier les Conventions de Genève de 1949 et le Règlement de La Haye de 1907 » (paragraphe 93 ci-dessus).

145.  Adoptée dans le sillage de la résolution 1483, la résolution 1511 du Conseil de sécurité des Nations unies « soulignait » également la souveraineté de l’État irakien. Elle priait instamment les États membres des Nations unies de contribuer à la force multinationale aux fins de rétablir la stabilité et la sécurité et demandait aux États Membres et aux organisations internationales et régionales de concourir à l’instruction et à l’équipement des forces irakiennes de police et de sécurité.

146.  La force multinationale prit forme concrètement au travers d’un ensemble de protocoles d’entente définissant les interactions entre les différents contingents armés présents en Irak. En témoigne la lettre que les ministres des Affaires étrangères et de la Défense adressèrent à la Chambre basse du Parlement le 6 juin 2003 (paragraphe 57 ci-dessus) et qui indiquait que le gouvernement néerlandais conservait le « plein commandement » sur le contingent néerlandais en Irak. La Cour suppose, eu égard au libellé du paragraphe 5.2 du protocole d’entente de la DMN (C-S) (paragraphe 103 ci‑dessus), que cette information reposait sur le protocole d’entente de la DMN (S-E).

147.  Il ressort du protocole d’entente de la DMN (C-S), mais aussi de l’extrait du protocole d’entente de la DMN (S-E) mis à la disposition de la Cour par le Gouvernement (paragraphe 100 ci-dessus), que les forces appartenant à des nations autres que les « nations chefs de file » recevaient leurs instructions courantes de commandants étrangers, mais que la définition des grandes orientations – notamment, dans les limites approuvées sous la forme des règles d’engagement annexées aux protocoles d’entente, l’élaboration de règles distinctes concernant le recours à la force – demeurait le domaine réservé de chaque État pourvoyeur.

148.  C’est sur cette base qu’un aide-mémoire destiné aux commandants de la SFIR et une carte du militaire furent distribués par le gouvernement des Pays-Bas aux effectifs néerlandais (paragraphe 59 ci-dessus).

149.  Si les troupes néerlandaises étaient basées dans une zone du sud-est de l’Irak où les forces de la SFIR se trouvaient sous le commandement d’un officier britannique, les Pays-Bas avaient néanmoins la responsabilité d’y assurer la sécurité, à l’exclusion d’autres États participants, et ils y conservaient le plein commandement sur leur contingent.

150.  N’est pas non plus déterminant le fait que le poste de contrôle était formellement tenu par des Irakiens membres du CIDC. La Cour observe que, selon le décret no 28 de l’Autorité provisoire de la coalition (« Création du corps irakien de défense civile » – paragraphe 99 ci-dessus), le CIDC n’exerçait pas de fonctions de maintien de l’ordre national dans l’accomplissement desquelles il aurait été subordonné aux autorités irakiennes ; en fait, le CIDC était placé sous la supervision et l’autorité d’officiers des Forces de la coalition (articles 1 § 4 a), 4 § 1 et 7).

151.  Dès lors, la Cour ne saurait conclure que les forces néerlandaises étaient mises « à la disposition » d’une puissance étrangère, qu’il s’agisse de l’Irak, du Royaume-Uni, ou d’une quelconque autre puissance, ni qu’elles se trouvaient « sous la direction et le contrôle exclusifs » d’un quelconque autre État (voir à titre de comparaison, mutatis mutandis, article 6 des Articles de la Commission du droit international sur la responsabilité de l’État, paragraphe 98 ci-dessus ; voir aussi Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro, arrêt, C.I.J. Recueil 2007, p. 43, § 406, paragraphe 97 ci-dessus)).

152.  La Cour en vient ensuite aux circonstances du décès de M. Azhar Sabah Jaloud. Elle observe que celui-ci a trouvé la mort lorsque le véhicule dans lequel il voyageait a été pris pour cible alors qu’il franchissait un poste de contrôle tenu par du personnel placé sous le commandement et la supervision directe d’un officier de l’armée royale néerlandaise. Le poste de contrôle avait été mis en place dans le cadre de l’exécution de la mission de la SFIR prévue par la résolution 1483 du Conseil de sécurité des Nations unies (paragraphe 93 ci-dessus), en vue du rétablissement de conditions de stabilité et de sécurité propices à la création d’une administration efficace dans le pays. La Cour considère que l’État défendeur exerçait sa « juridiction » dans les limites de sa mission au sein de la SFIR et aux fins d’asseoir une autorité et un contrôle sur les personnes qui passaient par ce poste. Dès lors, la Cour conclut que le décès de M. Azhar Sabah Jaloud est survenu dans le cadre de la « juridiction » des Pays-Bas, selon l’interprétation qu’il convient de donner à ce terme aux fins de l’article 1 de la Convention.

153.  La Cour a donc établi la juridiction des Pays-Bas. Elle n’est pas appelée à rechercher si le Royaume-Uni, autre État partie à la Convention, a pu exercer une juridiction concurrente.

d)  L’imputabilité

154.  La Cour rappelle que les critères permettant d’établir l’existence d’une « juridiction » au sens de l’article 1 de la Convention n’ont jamais été assimilés aux critères permettant d’établir la responsabilité d’un État concernant un fait internationalement illicite au regard du droit international général (Catan et autres, précité, § 115). En outre, dans Al‑Skeini et autres, la Cour a souligné que « dès l’instant où l’État, par le biais de ses agents, exerce son contrôle et son autorité sur un individu, et par voie de conséquence sa juridiction, il pèse sur lui en vertu de l’article 1 une obligation de reconnaître à celui-ci les droits et libertés définis au titre I de la Convention qui concernent son cas. En ce sens, dès lors, les droits découlant de la Convention peuvent être « fractionnés et adaptés » (voir, à titre de comparaison, la décision Banković et autres, précitée, § 75) ».

155.  Les faits à l’origine des griefs du requérant résultent d’actes et d’omissions allégués du personnel militaire, des autorités d’enquête et des organes judiciaires des Pays-Bas. Ils sont donc de nature à engager la responsabilité des Pays-Bas au regard de la Convention.

e)  L’exception préliminaire du Gouvernement

156.  La Cour rejette l’exception préliminaire du Gouvernement, qui avait été jointe au fond (paragraphe 110 ci-dessus). Elle doit à présent se pencher sur le bien-fondé des griefs du requérant.

C.  Sur le manquement allégué à l’obligation d’enquêter découlant de l’article 2

157.  Le requérant reproche à l’État défendeur de ne pas avoir enquêté de manière adéquate sur le décès de son fils aux fins de traduire en justice la personne responsable. Il invoque l’article 2 de la Convention, ainsi libellé :

« 1.  Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.

2.  La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire :

a)  pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ;

b)  pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l’évasion d’une personne régulièrement détenue ;

c)  pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection. »

Le gouvernement défendeur conteste qu’une violation de l’article 2 ait été commise.

158.  Le gouvernement intervenant ne s’est pas penché sur le fond des griefs du requérant.

1.  Thèses des parties

a)  Le requérant

159.  Le requérant met en cause l’indépendance de l’enquête qui a été menée sur le décès de M. Azhar Sabah Jaloud et de la procédure qui y a fait suite.

160.  Premièrement, il doute de l’indépendance de l’unité de la maréchaussée royale qui était en poste en Irak. Il indique que cette unité partageait les quartiers des troupes néerlandaises de la SFIR et qu’elle était donc en contact étroit avec celles-ci. Il ajoute que, comme le procureur auquel elle devait faire rapport était basé aux Pays-Bas, l’unité de la maréchaussée royale était placée au quotidien sous le contrôle du commandant du bataillon néerlandais.

161.  Il estime que ce manque d’indépendance de ladite unité a aussi vicié la décision du ministère public de ne pas poursuivre le lieutenant A., laquelle aurait été principalement fondée sur l’enquête de la maréchaussée royale. Il expose que dans son arrêt Ergi c. Turquie (28 juillet 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998‑IV), la Cour a conclu à la violation de l’article 2 sous son volet procédural au motif que le procureur qui avait rendu la décision d’incompétence s’était largement appuyé sur une conclusion figurant dans un rapport d’incident rédigé par la gendarmerie.

162.  Le requérant ajoute que la chambre militaire de la cour d’appel d’Arnhem s’est elle aussi entièrement fiée aux résultats de l’enquête – très limitée à ses yeux – menée par la maréchaussée royale alors que, à son sens, elle aurait dû ordonner l’ouverture d’une enquête par un juge indépendant.

163.  Enfin, il considère que la présence d’un officier d’active au sein de la chambre militaire de la cour d’appel d’Arnhem oblige à conclure que la décision prise par celle-ci ne pouvait être indépendante. Il invoque les arrêts Akkoç c. Turquie (nos 22947/93 et 22948/93, CEDH 2000‑X) et Incal c. Turquie (9 juin 1998, Recueil 1998‑IV).

164.  Le requérant soutient par ailleurs que l’enquête a été insuffisante.

165.  Tout d’abord, les déclarations des membres du CIDC présents au PCV au moment des tirs n’auraient pas été versées au dossier de l’enquête interne. Le rapport de la maréchaussée royale communiqué au procureur et à la chambre militaire de la cour d’appel d’Arnhem se serait borné à indiquer que ces personnes n’avaient pas été en mesure de dire quoi que ce soit de pertinent. Or des déclarations détaillées auraient été recueillies auprès des membres du CIDC individuellement, mais elles n’auraient été communiquées ni au requérant ni à la chambre militaire de la cour d’appel d’Arnhem et n’auraient été produites qu’au cours de la procédure devant la Cour.

166.  L’interrogatoire de M. Dawoud Joad Kathim, « témoin clé » aux yeux du requérant car il s’agirait du seul témoin civil et du seul rescapé de la fusillade à ne pas avoir été sous les ordres du lieutenant A., aurait été extrêmement superficiel. De plus, sa déclaration telle qu’enregistrée par les enquêteurs de la maréchaussée royale aurait été divergente de celle livrée par lui à un fonctionnaire irakien plus tard dans la même journée.

167.  Le lieutenant A. n’aurait subi son premier interrogatoire que sept heures après les faits litigieux et n’aurait pendant ce laps de temps pas été séparé des autres témoins. Il aurait donc eu tout loisir de parler de la fusillade avec les autres témoins avant d’être interrogé et d’adapter ses propos en conséquence.

168.  Le lendemain des faits, le lieutenant A. aurait déclaré qu’il avait pu obtenir du commandant adjoint du CIDC la liste des membres du CIDC qui avaient fait usage de leurs armes ainsi que le nombre de cartouches tirées. Le requérant considère que le fait que le lieutenant A., principal suspect, ait pu obtenir ces informations d’un témoin clé a également porté atteinte à l’effectivité de l’enquête. De surcroît, malgré son importance potentielle pour l’affaire, la liste obtenue par le lieutenant A. n’aurait pas été versée au dossier.

169.  La maréchaussée royale aurait disposé du corps de M. Azhar Sabah Jaloud pendant plusieurs heures sans toutefois procéder à une autopsie. La dépouille aurait ensuite été transférée dans un hôpital civil irakien, où une autopsie aurait été pratiquée en l’absence de représentants de la maréchaussée royale. Le rapport d’autopsie aurait été versé au dossier en l’état, sans être traduit.

170.  D’autres preuves scientifiques et techniques auraient été traitées avec une négligence similaire. En particulier, le rapport concernant les fragments de balles retirés du corps n’aurait pas été traduit in extenso.

171.  Enfin, le requérant allègue que les proches parents de M. Azhar Sabah Jaloud n’ont pas été suffisamment associés à l’enquête et informés de ses progrès. Ainsi, nul n’aurait jamais cherché à prendre contact avec la famille de M. Azhar Sabah Jaloud, et personne n’aurait pris la peine d’informer les proches de la décision de ne pas poursuivre le lieutenant A.

b)  Le gouvernement défendeur

172.  Le gouvernement défendeur soutient qu’il n’y a pas eu violation de l’article 2.

173.  Il considère qu’il ne se pose aucune question d’indépendance.

174.  La maréchaussée royale posséderait sa propre chaîne de commandement et ne dépendrait que du ministère public pour la conduite des enquêtes. Quant à la décision de ne pas poursuivre le lieutenant A., il aurait été inévitable qu’elle reposât sur le rapport d’enquête de la maréchaussée royale. De toute manière, rien ne donnerait à penser que la chambre militaire de la cour d’appel d’Arnhem ait manqué d’indépendance.

175.  De même, l’enquête aurait été suffisamment effective.

176.  Les membres de la maréchaussée royale auraient examiné les lieux de la fusillade et recueilli les éléments de preuve disponibles immédiatement après leur arrivée.

177.  Le lieutenant A., qui aurait lui-même signalé l’incident, aurait d’emblée assumé l’entière responsabilité de la fusillade ; rien ne ferait apparaître la moindre tentative de sa part de manipuler les éléments de preuve.

178.  Les membres du CIDC auraient bel et bien été interrogés, mais ils n’auraient pas été en mesure de signaler quoi que ce fût d’important. En tout état de cause ils n’auraient pas été des suspects.

179.  Pour le Gouvernement, les dépositions de M. Dawoud Joad Kathim – celle recueillie par la maréchaussée royale et celle recueillie par la police irakienne – ne sont pas contradictoires, même si la déclaration de l’intéressé, faite à la police irakienne, selon laquelle l’interprète lui avait demandé de dire que seuls les membres du CIDC avaient tiré n’est guère plausible à son avis.

180.  La nécessité de confier le corps aux Irakiens aurait été due à l’absence dans le camp néerlandais de l’équipement nécessaire à la réalisation d’une autopsie. La décision d’exclure le personnel néerlandais lors de l’autopsie aurait été prise par les autorités irakiennes.

181.  L’enquête aurait en tout cas été suffisante pour permettre d’établir que, de tous les militaires néerlandais présents, seul le lieutenant A. avait tiré sur la voiture, de sorte que la procédure pénale se serait concentrée sur lui.

182.  Enfin, le Gouvernement considère que le requérant a été suffisamment associé à la procédure : il aurait reçu des informations par l’intermédiaire de son avocat aussitôt que ce dernier en aurait demandé, et ces informations auraient été suffisantes pour lui permettre de participer de manière effective à la procédure par laquelle il a contesté la décision de ne pas poursuivre le lieutenant A.

2.  Appréciation de la Cour

a)  Sur le point de savoir si des coups de feu ont été tirés seulement par le lieutenant A. ou également par des membres du CIDC

183.  La Cour doit tout d’abord examiner l’argument du requérant selon lequel les éléments de preuve disponibles – en particulier les dépositions recueillies auprès de membres du CIDC mais non versées au dossier de la procédure interne – montrent que seul le lieutenant A. a tiré.

184.  Il est vrai qu’aucun membre du CIDC n’a admis avoir tiré sur la voiture dans laquelle se trouvait M. Azhar Sabah Jaloud. La Cour observe toutefois que, selon les enquêteurs de la maréchaussée royale, le véhicule en question avait été touché par des balles de différents calibres, certains inférieurs à 6 mm, d’autres supérieurs (paragraphe 32 ci-dessus). Cet élément apparaît compatible avec l’utilisation d’au moins deux types d’armes à feu, qui pourraient très bien être le fusil Diemaco C7A1 fourni à l’armée néerlandaise (qui utilise les cartouches 5,56 mm OTAN – paragraphe 50 ci-dessus) et la Kalachnikov AK-47 utilisée par le CIDC (qui utilise les cartouches 7,62 mm – paragraphe 52 ci‑dessus). Dans ces conditions, les dires du requérant selon lesquels seul le lieutenant A. a fait feu sont invérifiables.

185.  Quoi qu’il en soit, la Cour est uniquement appelée à rechercher s’il a été satisfait aux obligations procédurales découlant de l’article 2 de la Convention. Dès lors, il n’est pas nécessaire qu’elle se prononce sur le point en question.

b)  Les principes pertinents

186.  Comme la Cour l’a dit dans l’arrêt Al-Skeini et autres, précité :

« 163.  Pour que l’interdiction générale des homicides arbitraires s’adressant aux agents publics s’avère efficace en pratique, il faut qu’existe une procédure permettant de contrôler la légalité du recours à la force meurtrière par les autorités de l’État. Combinée avec le devoir général incombant à l’État en vertu de l’article 1 de la Convention de « reconna[ître] à toute personne relevant de [sa] juridiction les droits et libertés définis [dans] la (...) Convention », l’obligation de protéger le droit à la vie qu’impose cette disposition requiert par implication qu’une forme d’enquête officielle effective soit menée lorsque le recours à la force, notamment par des agents de l’État, a entraîné mort d’homme (McCann, précité, § 161). Il s’agit essentiellement, au travers d’une telle enquête, d’assurer l’application effective des lois internes qui protègent le droit à la vie et, dans les affaires où des agents ou organes de l’État sont impliqués, de garantir que ceux-ci aient à rendre des comptes au sujet des décès survenus sous leur responsabilité (Natchova et autres c. Bulgarie [GC], nos 43577/98 et 43579/98, § 110, CEDH 2005‑VII). Toutefois, l’enquête doit également être suffisamment vaste pour permettre aux autorités qui en sont chargées de prendre en considération non seulement les actes des agents de l’État qui ont directement eu recours à la force meurtrière mais aussi l’ensemble des circonstances les ayant entourés, notamment la préparation des opérations en cours et le contrôle exercé sur elles, au cas où ces éléments seraient nécessaires pour déterminer si l’État a satisfait ou non à l’obligation que l’article 2 fait peser sur lui de protéger la vie (voir, par implication, McCann, précité, §§ 150 et 162, Hugh Jordan c. Royaume-Uni, no 24746/94, § 128, CEDH 2001‑III, McKerr, précité, §§ 143 et 151, Shanaghan c. Royaume-Uni, no 37715/97, §§ 100-125, 4 mai 2001, Finucane c. Royaume-Uni, no 29178/95, §§ 77-78, CEDH 2003‑VIII, Natchova, précité, §§ 114-115, ainsi que, mutatis mutandis, Tzekov c. Bulgarie, no 45500/99, § 71, 23 février 2006).

164.  La Cour a déjà jugé que l’obligation procédurale découlant de l’article 2 continue de s’appliquer même si les conditions de sécurité sont difficiles, y compris dans un contexte de conflit armé (voir, parmi d’autres exemples, Güleç c. Turquie, 27 juillet 1998, § 81, Recueil 1998‑IV, Ergi c. Turquie, 28 juillet 1998, §§ 79 et 82, Recueil 1998‑IV, Ahmet Özkan et autres c. Turquie, no 21689/93, §§ 85-90, 309-320 et 326-330, 6 avril 2004, Issaïeva c. Russie, no 57950/00, §§ 180 et 210, 24 février 2005, et Kanlibaş c. Turquie, no 32444/96, §§ 39-51, 8 décembre 2005). À l’évidence, il se peut que, si le décès au sujet duquel l’article 2 impose une enquête survient dans un contexte de violences généralisées, de conflit armé ou d’insurrection, les investigateurs rencontrent des obstacles et que, comme l’a par ailleurs fait observer le rapporteur spécial de l’ONU [...], des contraintes précises imposent le recours à des mesures d’enquête moins efficaces ou retardent les recherches (voir, par exemple, Bazorkina c. Russie, no 69481/01, § 121, 27 juillet 2006). Il n’en reste pas moins que l’obligation qu’impose l’article 2 de protéger la vie implique l’adoption, même dans des conditions de sécurité difficiles, de toutes les mesures raisonnables, de manière à garantir qu’une enquête effective et indépendante soit conduite sur les violations alléguées du droit à la vie (voir, parmi de nombreux autres exemples, Kaya c. Turquie, 19 février 1998, §§ 86-92, Recueil 1998‑I, Ergi, précité, §§ 82-85, Tanrıkulu c. Turquie [GC], no 23763/94, §§ 101-110, CEDH 1999‑IV, Khachiev et Akaïeva c. Russie, nos 57942/00 et 57945/00, §§ 156-166, 24 février 2005, Issaïeva, précité, §§ 215-224, et Moussaïev et autres c. Russie, nos 57941/00, 58699/00 et 60403/00, §§ 158-165, 26 juillet 2007).

165.  Quant à savoir quelle forme d’enquête est de nature à permettre d’atteindre les objectifs poursuivis par l’article 2, cela peut varier selon les circonstances. Toutefois, quelles que soient les modalités retenues, les autorités doivent agir d’office, dès que l’affaire est portée à leur attention. Elles ne sauraient laisser aux proches du défunt l’initiative de déposer une plainte formelle ou la responsabilité d’engager une procédure d’enquête (Ahmet Özkan et autres, précité, § 310, et Issaïeva, précité, § 210). La procédure civile, qui s’ouvre à l’initiative des proches et non des autorités et ne permet ni d’identifier ni de sanctionner l’auteur présumé d’une infraction, ne saurait être prise en compte dans l’appréciation du respect par l’État de ses obligations procédurales découlant de l’article 2 (voir, par exemple, Hugh Jordan, précité, § 141). En outre, ces obligations ne sauraient être satisfaites par le seul octroi de dommages-intérêts (McKerr, précité, § 121, et Bazorkina, précité, § 117).

166.  Ainsi qu’il a été dit ci-dessus, l’enquête doit être effective en ce sens qu’elle doit permettre de déterminer si le recours à la force était justifié ou non dans les circonstances et d’identifier et de sanctionner les responsables. Il s’agit d’une obligation non pas de résultat mais de moyens. Les autorités doivent avoir pris les mesures raisonnables dont elles disposaient pour assurer l’obtention des preuves relatives à l’incident en question, y compris, entre autres, les dépositions des témoins oculaires, des expertises criminalistiques et, le cas échéant, une autopsie propre à fournir un compte rendu complet et précis des blessures ainsi qu’une analyse objective des constatations cliniques, notamment de la cause du décès. Toute carence de l’enquête affaiblissant sa capacité à établir les circonstances de l’affaire ou/et les responsabilités risque de faire conclure qu’elle ne répond pas à la norme d’effectivité requise (Ahmet Özkan et autres, précité, § 312, et Issaïeva, précité, § 212, ainsi que les affaires qui y sont citées).

167.  D’une manière générale, on peut considérer que pour qu’une enquête sur un homicide illégal censé avoir été commis par des agents de l’État puisse passer pour effective, il faut que les personnes qui en sont chargées soient indépendantes des personnes impliquées. Cela suppose non seulement l’absence de lien hiérarchique ou institutionnel, mais aussi une indépendance concrète (voir, par exemple, Shanaghan, précité, § 104). Une exigence de célérité et de diligence raisonnable est implicite dans ce contexte. Force est d’admettre qu’il peut y avoir des obstacles ou des difficultés empêchant l’enquête de progresser dans une situation particulière. Toutefois, une réponse rapide des autorités lorsqu’il s’agit d’enquêter sur le recours à la force meurtrière peut généralement être considérée comme essentielle pour préserver la confiance du public dans le respect du principe de légalité et pour éviter toute apparence de complicité ou de tolérance relativement à des actes illégaux. Pour les mêmes raisons, le public doit avoir un droit de regard suffisant sur l’enquête ou sur ses conclusions, de sorte qu’il puisse y avoir mise en cause de la responsabilité tant en pratique qu’en théorie. Le degré requis de contrôle du public peut varier d’une situation à l’autre. Dans tous les cas, toutefois, les proches de la victime doivent être associés à la procédure dans toute la mesure nécessaire à la protection de leurs intérêts légitimes (Ahmet Özkan et autres, précité, §§ 311-314, et Issaïeva, précité, §§ 211‑214, ainsi que les affaires qui y sont citées). »

c)  Sur l’indépendance de l’enquête

i.  L’unité de la maréchaussée royale présente en Irak

187.  Le requérant met en doute l’indépendance de l’unité de la maréchaussée royale qui a débuté l’enquête, faisant valoir que ses membres étaient installés à proximité immédiate des effectifs de l’armée royale auxquels il impute le décès de son fils. Quant au Gouvernement, il soutient que la maréchaussée royale était suffisamment indépendante.

188.  La Cour note que l’indépendance et, par voie de conséquence, l’effectivité d’une enquête sur un homicide supposé illégal peuvent être remises en question si les enquêteurs et les personnes visées par l’enquête entretiennent des relations étroites (voir, à titre de comparaison, Ramsahai et autres c. Pays-Bas [GC], no 52391/99, § 337, CEDH 2007‑II).

189.  Le Gouvernement ne conteste pas qu’à l’époque des faits l’unité de la maréchaussée royale partageait ses quartiers avec les effectifs de l’armée royale. Cela étant, aucun élément n’a été avancé ni n’est apparu qui serait susceptible d’amener la Cour à conclure que cette circonstance a en soi porté atteinte à l’indépendance de l’unité de la maréchaussée royale au point d’altérer la qualité de son enquête.

190.  La Cour ne juge pas davantage établi qu’en raison de la distance géographique entre l’unité de la maréchaussée royale stationnée en Irak et le procureur chargé de l’enquête – qui était basé à Arnhem – l’unité de la maréchaussée royale se soit trouvée subordonnée au commandement du bataillon de l’armée royale pour les questions courantes. Le requérant n’a présenté aucun élément de preuve susceptible d’étayer sa thèse à cet égard.

ii.  La foi ajoutée aux rapports de la maréchaussée royale

191.  Le requérant estime que le ministère public s’est fondé dans une mesure excessive sur les rapports de la maréchaussée royale. Le Gouvernement conteste ce point.

192.  Les procureurs s’appuient inévitablement sur la police pour obtenir informations et assistance. Cela ne suffit pas en soi pour justifier la conclusion qu’ils manquent d’indépendance à l’égard de la police (voir, mutatis mutandis, Ramsahai et autres [GC], précité, § 344).

193.  De plus, l’unité de la maréchaussée royale était présente en Irak précisément pour y effectuer un travail de police comme celui dont il est ici question. Que le procureur se soit fié aux rapports établis par elle ne soulève donc, en soi, aucune question.

194.  Pour la Cour, l’essentiel de ce grief revient à dire que l’enquête n’a pas été effective et que les rapports auxquels elle a donné lieu n’étaient pas fiables. Elle se penchera séparément ci-après sur les préoccupations du requérant concernant la qualité de l’enquête menée par la maréchaussée royale.

iii.  Le membre militaire de la chambre militaire de la cour d’appel d’Arnhem

195.  Le requérant voit dans la présence d’un officier d’active au sein de la chambre militaire de la cour d’appel d’Arnhem un manque d’indépendance de celle-ci. Le Gouvernement soutient quant à lui que l’indépendance de la chambre militaire de la cour d’appel d’Arnhem est certaine.

196.  En l’espèce, la Cour a examiné la composition de la chambre militaire dans son ensemble. Celle-ci siège en une formation de trois membres, à savoir deux membres civils de la cour d’appel d’Arnhem et un membre militaire. Ce dernier est un officier supérieur ayant les qualifications exigées pour être magistrat ; il est promu à titre honoraire au grade requis dans la marine, l’armée de terre ou l’armée de l’air s’il ne possède pas déjà effectivement ce grade (paragraphe 64 ci-dessus). Dans le cadre de sa fonction judiciaire, il n’est pas soumis à l’autorité et à la discipline militaires ; les mêmes règles d’indépendance fonctionnelle et d’impartialité s’appliquent à lui et aux juges civils (paragraphe 65 ci‑dessus). Dans ces conditions, la Cour est disposée à admettre que la chambre militaire offre des garanties suffisantes aux fins de l’article 2 de la Convention.

d)  Sur l’effectivité de l’enquête

i.  Les dépositions des membres du CIDC

197.  Dans sa requête, le requérant alléguait que la maréchaussée royale n’avait pas recueilli les dépositions des membres du CIDC qui gardaient le poste de contrôle au moment de la fusillade. Le rapport soumis à la chambre militaire de la cour d’appel d’Arnhem indiquait seulement que ces personnes n’avaient « pas [livré] d’informations pertinentes » (paragraphe 25 ci-dessus).

198.  À la suite du dessaisissement de la chambre en faveur de la Grande Chambre, le Gouvernement a soumis un procès-verbal officiel de l’interrogatoire des membres du CIDC par des officiers de la maréchaussée royale (paragraphe 38 ci-dessus). Il apparaît que ce document contient des informations qui auraient éventuellement pu être utiles à la chambre militaire de la cour d’appel d’Arnhem, notamment des précisions sur le nombre de coups de feu tirés par chaque militaire et la quantité de munitions restantes, ainsi qu’une restitution bien plus détaillée de la déposition livrée par l’interprète, M. Walied Abd Al Hussain Madjied.

199.  Comme la Cour l’a dit à maintes reprises, l’emploi des termes « absolument nécessaire » figurant à l’article 2 § 2 indique qu’il faut appliquer un critère de nécessité plus strict et impérieux que celui normalement employé pour déterminer si l’intervention de l’État est « nécessaire dans une société démocratique » au titre du paragraphe 2 des articles 8 à 11 de la Convention. La force utilisée doit en particulier être strictement proportionnée aux buts mentionnés au paragraphe 2 a), b) et c) de l’article 2 (voir, parmi beaucoup d’autres, McCann et autres c. Royaume-Uni, 27 septembre 1995, § 149, série A no 324, Kelly et autres c. Royaume-Uni, no 30054/96, § 93, 4 mai 2001, et Issaïeva c. Russie, no 57950/00, § 173, 24 février 2005). Il s’ensuit qu’aucune enquête interne ne peut satisfaire aux exigences de l’article 2 de la Convention si elle ne permet pas de vérifier que la force meurtrière employée par des agents de l’État n’est pas allée au-delà de ce qu’exigeaient les circonstances (Kaya c. Turquie, 19 février 1998, § 87, Recueil 1998-I).

200.  Si l’enquête doit être effective en ce sens qu’elle doit permettre d’identifier et, le cas échéant, de sanctionner les responsables (voir notamment Hugh Jordan c. Royaume-Uni, no 24746/94, § 107, CEDH 2001‑III, McKerr c. Royaume-Uni, no 28883/95, § 113, CEDH 2001‑III, Finucane c. Royaume-Uni, no 29178/95, § 69, CEDH 2003‑VIII, Makaratzis c. Grèce [GC], no 50385/99, § 74, CEDH 2004‑XI, Tahsin Acar c. Turquie [GC], no 26307/95, § 223, CEDH 2004‑III, et Giuliani et Gaggio c. Italie [GC], no 23458/02, § 301, CEDH 2011), la Cour souligne également qu’une enquête suffisante pour étayer un constat judiciaire sur le point de savoir si la force employée était justifiée ou non dans les circonstances est cruciale pour l’exercice, par un agent de l’État poursuivi dans le cadre d’une procédure pénale ultérieure, des droits de la défense (voir notamment, mutatis mutandis, Edwards c. Royaume-Uni, 16 décembre 1992, § 36, série A no 247‑B, Rowe et Davis c. Royaume-Uni [GC], no 28901/95, § 60, CEDH 2000‑II, I.J.L. et autres c. Royaume-Uni, nos 29522/95, 30056/96 et 30574/96, § 112, CEDH 2000‑IX, et Dowsett c. Royaume-Uni, no 39482/98, § 41, CEDH 2003‑VII).

201.  La chambre militaire de la cour d’appel d’Arnhem était appelée à rechercher si le lieutenant A. avait agi selon les instructions qu’il avait reçues de l’autorité compétente (article 38 du code pénal militaire – paragraphe 66 ci-dessus). Celles qui concernaient le recours à la force, telles que formulées dans la carte du militaire (paragraphe 59 ci-dessus) sous le titre « Force minimale », indiquaient au paragraphe 14 :

« S’il vous faut ouvrir le feu, vous devez :

– effectuer uniquement des tirs ciblés ;

– éviter de tirer plus de coups de feu qu’il n’est nécessaire ; et

– cesser le feu dès que la situation le permet. »

202.  La chambre militaire de la cour d’appel s’est bornée à juger établi que le lieutenant A. avait réagi par erreur à des tirs amis venus de l’autre côté de la route et à considérer qu’il pouvait de ce fait invoquer la légitime défense (paragraphe 48 ci-dessus). Elle ne s’est pas penchée sur les aspects concernant le point de savoir s’il avait agi dans les limites des instructions qu’il avait reçues quant à la proportionnalité du recours à la force. Singulièrement, elle n’a pas émis de conclusions sur les questions de savoir s’il n’avait pas été tiré plus de coups de feu que nécessaire et si la fusillade avait cessé dès que la situation l’avait permis.

203.  La Cour estime que pour pouvoir se livrer à une appréciation répondant aux exigences indiquées ci-dessus, la chambre militaire de la cour d’appel d’Arnhem aurait dû avoir accès au procès-verbal des auditions des membres du CIDC effectuées par les officiers de la maréchaussée royale (paragraphe 38 ci-dessus). Ainsi, l’absence de cette pièce dans le dossier de la cour d’appel a sérieusement nui à l’efficacité de l’examen mené par celle‑ci.

ii.  L’interrogatoire  de M. Dawoud Joad Kathim

204.  Le requérant soutient que la brièveté de la déposition du conducteur de la voiture, M. Dawoud Joad Kathim, telle que recueillie par un enquêteur de la maréchaussée royale (paragraphe 23 ci-dessus), est également un élément à prendre en compte pour juger de la qualité de l’enquête. Il ajoute qu’il y avait au demeurant des divergences entre cette déposition et celle fournie par le chauffeur plus tard dans la journée à un agent irakien (paragraphe 37 ci-dessus). Le Gouvernement estime en revanche que les différences pouvant exister entre les deux dépositions ne suffisent pas à faire douter de l’effectivité de l’enquête.

205.  La Cour considère que l’on ne peut tirer aucune conclusion de la brièveté même de la première déposition de M. Dawoud Joad Kathim. Les incohérences entre celle-ci et la seconde déposition peuvent justifier des doutes quant à la fiabilité de l’une ou de l’autre de ces dépositions telles qu’elles ont été enregistrées, mais ce seul élément ne saurait amener la Cour à conclure que l’enquête a été inadéquate.

iii.  Le retard mis à interroger le lieutenant A.

206.  Le requérant attire l’attention de la Cour sur le retard mis à interroger le lieutenant A. après la fusillade, laps de temps pendant lequel celui-ci n’aurait pas été séparé des autres témoins. Le Gouvernement affirme que le lieutenant A. n’a rien fait pour pervertir le cours de l’enquête.

207.  La Cour note que le lieutenant A. n’a été interrogé que plus de six heures après l’arrivée du personnel de la maréchaussée royale sur le lieu de la fusillade (paragraphe 28 ci-dessus). Même si, comme le souligne à juste titre le Gouvernement, aucun élément ne donne à penser que le lieutenant A. (ou un autre militaire néerlandais) se soit livré à la moindre manipulation, il aurait eu tout loisir pendant ce laps de temps de s’entendre avec d’autres personnes pour déformer la vérité s’il en avait eu l’intention. Aucune précaution ne semble avoir été prise pour éviter que cela ne se produise.

208.  Comme dans l’affaire Ramsahai et autres [GC] (précitée), la Cour estime que le simple fait que les mesures appropriées n’aient pas été prises pour réduire le risque de pareille collusion s’analyse en une lacune propre à nuire à l’adéquation de l’enquête (idem, § 330).

iv.  La liste des membres du CIDC ayant tiré avec leurs armes

209.  D’après le requérant, le lieutenant A. se vit remettre par le commandant adjoint du CIDC une liste indiquant les noms des membres du CIDC qui avaient fait feu avec leurs armes ainsi que le nombre correspondant de cartouches tirées (paragraphe 31 ci-dessus).

210.  Pour la Cour, le fait que le lieutenant A. ait pu obtenir cette liste ne soulève pas de questions en soi. Jusqu’à l’arrivée du commandant de la compagnie, le lieutenant A. était l’officier de la Coalition le plus gradé sur place et il était en outre responsable non seulement de la patrouille néerlandaise mais aussi des membres du CIDC présents. Dès lors, il lui incombait de prendre des mesures aux fins de faciliter l’enquête.

211.  En revanche, une fois disponible, cette liste aurait dû être versée au dossier. Les informations qu’elle contenait auraient pu s’avérer utiles, notamment pour une confrontation avec les dépositions fournies par les membres du CIDC eux-mêmes. La Cour estime que l’enquête a péché à cet égard.

v.  L’autopsie

212.  Le requérant se plaint des conditions dans lesquelles l’autopsie a été réalisée ainsi que du rapport auquel elle a donné lieu. Pour le Gouvernement, l’autopsie a été aussi effective qu’elle pouvait l’être dans les circonstances de l’espèce.

213.  La Cour note que l’autopsie semble avoir été pratiquée en l’absence de tout responsable néerlandais qualifié. Par ailleurs, on ne sait rien des qualifications du médecin irakien qui l’a réalisée.

214.  De plus, le rapport du médecin présente de sérieuses lacunes. Extrêmement bref, il manque de précisions et ne comporte même pas de photographies.

215.  Plus généralement, aucune autre option ne semble avoir été envisagée pour l’autopsie. Il n’est pas impossible, par exemple, que l’une des puissances occupantes, voire les deux, ou encore une autre puissance de la Coalition disposassent d’installations adéquates et de personnel qualifié.

216.  La Cour estime en conséquence que l’enquête a été défaillante sur ce point également.

vi.  Les fragments de balles

217.  Le requérant se plaint de l’absence de rapport détaillé sur l’examen des fragments de balles éventuellement effectué. Le Gouvernement estime quant à lui que l’enquête n’en a pas moins été adéquate.

218.  La Cour relève que des fragments métalliques identifiés comme étant des fragments de balles ont été extraits du corps de M. Azhar Sabah Jaloud. Or les enquêteurs néerlandais semblent avoir perdu depuis lors toute trace de ces pièces (paragraphe 36 ci-dessus).

219.  Que les fragments de balles eussent ou non été susceptibles de fournir des informations utiles, la Cour juge inacceptable qu’ils n’aient pas été conservés et examinés dans de bonnes conditions, aux Pays-Bas le cas échéant.

220.  Elle conclut que sur ce point également l’enquête a été inadéquate.

e)  Sur l’allégation selon laquelle le requérant n’a pas été associé à l’enquête

221.  Le requérant affirme que rien n’a été entrepris pour prendre contact avec les proches du défunt.

222.  Le Gouvernement rétorque que les enquêteurs de la maréchaussée royale néerlandaise ont parlé au requérant et à d’autres proches à l’occasion de l’autopsie mais qu’ils sont partis à un moment où il leur semblait que la famille s’apprêtait à les prendre en otages.

223.  Le requérant conteste la version du Gouvernement, invérifiable du reste selon lui, aucun compte rendu écrit pertinent n’ayant été produit.

224.  Indépendamment de la véracité de l’une et de l’autre version, la Cour estime établi qu’à sa demande le requérant s’est vu accorder l’accès au dossier de l’enquête, qu’il a en fait pu soumettre à la Cour. Cet accès au dossier a par ailleurs été suffisant pour permettre à l’intéressé d’engager sur le fondement de l’article 12 du code de procédure pénale une procédure dans le cadre de laquelle il a pu contester de façon très effective la décision de ne pas engager de poursuites contre le lieutenant A.

225.  En conséquence, la Cour n’aperçoit aucun élément indiquant que la procédure aurait été défaillante sur ce point (Ramsahai et autres [GC], précité, §§ 349-350).

f)  Conclusion

226.  La Cour est disposée à prendre en compte de manière raisonnable les conditions relativement difficiles dans lesquelles les militaires et les enquêteurs néerlandais ont dû travailler. Il faut reconnaître en particulier qu’ils étaient mobilisés dans un pays étranger qui restait à reconstruire au lendemain des hostilités, dont ils ne connaissaient ni la langue ni la culture et dont la population comportait manifestement des éléments armés hostiles (en atteste la première fusillade du 21 avril 2004 – paragraphe 10 ci-dessus).

227.  Cela étant, force est à la Cour de conclure que l’enquête sur les circonstances du décès de M. Azhar Sabah Jaloud n’a pas satisfait aux exigences découlant de l’article 2 de la Convention, et ce pour les raisons suivantes : premièrement, certains documents contenant des informations importantes ne furent pas communiqués aux autorités judiciaires et au requérant (le procès-verbal officiel des dépositions recueillies auprès des membres du CIDC et la liste, obtenue par le lieutenant A., indiquant quels membres du CIDC avaient fait feu avec leurs armes et le nombre de cartouches tirées par chacun d’eux) ; deuxièmement, aucune précaution ne fut prise pour prévenir, avant l’audition du lieutenant A., toute collusion entre celui-ci et d’autres témoins des faits ; troisièmement, rien ne fut entrepris pour que l’autopsie pût être pratiquée dans des conditions dignes d’une enquête sur l’éventuelle responsabilité pénale d’un agent de l’État, le rapport d’autopsie ayant de surcroît été insuffisant ; quatrièmement, d’importants éléments matériels – les fragments de balles extraits de la dépouille – furent égarés dans des circonstances non élucidées. Même au regard des conditions particulièrement difficiles qui prévalaient en Irak à l’époque des faits, la Cour ne saurait conclure que ces défaillances étaient inévitables.

228.  Les lacunes susmentionnées amènent la Cour à constater qu’il n’a pas été satisfait aux obligations procédurales découlant de l’article 2 de la Convention.

II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

229.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

230.  Le requérant a soumis des prétentions pour préjudice moral et pour frais et dépens.

231.  Le gouvernement intervenant n’a pas livré de commentaires sur les demandes formulées par le requérant au titre de la satisfaction équitable.

A.  Dommage

232.  Le requérant prie la Cour d’enjoindre au Gouvernement « de remédier aux violations de l’article 2 qui se sont produites, en menant dans la mesure du possible une nouvelle enquête – approfondie – sur le décès de [son] fils, de poursuivre les personnes impliquées et de tenir le requérant pleinement informé de l’enquête ainsi que des poursuites, le cas échéant ». Par ailleurs, il réclame 25 000 euros (EUR) pour préjudice moral.

233.  Le gouvernement défendeur estime qu’une injonction telle que celle demandée par le requérant serait inappropriée. Il laisse à la Cour le soin de fixer le montant de l’éventuelle indemnité à allouer à l’intéressé, tout en indiquant que les sommes octroyées dans Al-Skeini et autres étaient inférieures à celle sollicitée en l’espèce.

234.  En ce qui concerne la demande du requérant tendant à ce que soit ordonnée une enquête effective suivie de poursuites, la Cour rappelle le principe général selon lequel l’État défendeur demeure libre de choisir les moyens de s’acquitter de son obligation juridique au regard de l’article 46 de la Convention, sous réserve que ces moyens soient compatibles avec les conclusions contenues dans l’arrêt de la Cour ; elle rappelle aussi que seules des circonstances exceptionnelles peuvent l’amener à indiquer quelles sont les mesures à prendre (voir, par exemple, Assanidzé c. Géorgie [GC], no 71503/01, §§ 202-203, CEDH 2004‑II, et Hutten-Czapska c. Pologne [GC], no 35014/97, §§ 238-239, CEDH 2006‑VIII). En conséquence, elle considère que c’est au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe qu’il incombe, en vertu de l’article 46 de la Convention, de décider quelles mesures, le cas échéant, s’imposent concrètement dans le cadre de l’exécution de l’arrêt rendu par elle (voir, parmi beaucoup d’autres, Al-Skeini et autres, précité, § 181).

235.  S’agissant des prétentions pécuniaires, la Cour observe que dans Al-Skeini et autres – qui concernait également une violation de l’article 2 sous son volet procédural – elle a octroyé aux requérants les sommes qu’ils avaient demandées (ibidem, § 182). En l’espèce, elle juge équitable d’allouer au requérant le montant réclamé par lui, soit 25 000 EUR.

B.  Frais et dépens

236.  Le requérant demande une somme totale de 13 200 EUR correspondant à 120 heures de travail effectuées par ses avocats. Il déclare toutefois qu’il a sollicité l’assistance judiciaire interne et qu’il ne maintiendra pas ses prétentions si celle-ci lui est accordée.

237.  L’intéressé a soumis un relevé complémentaire indiquant les frais de voyage et de séjour engagés par ses deux conseils à l’occasion de leur participation à l’audience, ainsi que les frais postaux engendrés par l’affaire. Le total de ces dépenses, étayées par des justificatifs, s’élève à 1 372,06 EUR.

238.  Le gouvernement défendeur soutient qu’aucune question ne se pose dans la mesure où les sommes réclamées sont couvertes par l’assistance judiciaire interne, et il se refuse à tout commentaire sur le montant additionnel.

239.  Le requérant n’a pas informé la Cour que l’assistance judiciaire interne avait été refusée en ce qui concerne la somme visée au paragraphe 236 ci-dessus. La Cour ne peut dès lors établir qu’elle concerne des frais « réellement exposés ». Aucun montant ne peut donc être alloué à ce titre.

240.  La Cour accepte dans son intégralité la demande additionnelle exposée au paragraphe 237.

C.  Intérêts moratoires

241.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Joint au fond l’exception préliminaire du Gouvernement ;

2.  Déclare la requête recevable ;

3.  Dit que M. Azhar Sabah Jaloud relevait de la juridiction de l’État défendeur et rejette l’exception préliminaire du Gouvernement ;

4.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention sous son volet procédural ;

5.  Dit

a)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, 25 000 EUR (vingt-cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, pour dommage moral ;

b)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, 1 372,06 EUR (mille trois cent soixante-douze euros et six centimes), plus tout montant pouvant être dû par l’intéressé à titre d’impôt sur cette somme, pour frais et dépens ;

c)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 20 novembre 2014.

Michael O’BoyleDean Spielmann
GreffierPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :

–  opinion concordante du juge Spielmann, à laquelle se rallie le juge Raimondi ;

–  opinion concordante commune aux juges Casadevall, Berro-Lefèvre, Šikuta, Hirvelä, López Guerra, Sajó et Silvis ;

–  opinion concordante de la juge Motoc.

D.S.
M.O’B.


OPINION CONCORDANTE DU JUGE SPIELMANN, À LAQUELLE SE RALLIE LE JUGE RAIMONDI

1.  C’est sans difficulté que j’ai voté pour la conclusion que le décès de M. Azhar Sabah Jaloud est survenu dans le cadre de la « juridiction » des Pays-Bas, selon l’interprétation qu’il convient de donner à ce terme aux fins de l’article 1 de la Convention.

2.  Cette conclusion est posée au paragraphe 152 de l’arrêt et ne nécessitait aucun développement supplémentaire relatif à la notion d’attribution.

3.  En effet, la notion d’« attribution » est à distinguer de la notion de « juridiction », telle que celle-ci est interprétée dans la jurisprudence de la Cour (voir, récemment, Hassan c. Royaume-Uni [GC], no 29750/09, § 74, 16 septembre 2014, qui reprend pour l’essentiel les développements de l’arrêt Al-Skeini (Al-Skeini et autres c. Royaume-Uni [GC], no 55721/07, §§ 130-141, CEDH 2011). La notion de « juridiction » se réfère pour l’essentiel au principe de territorialité, à l’autorité et au contrôle d’un agent de l’État, au contrôle effectif sur un territoire et à l’espace juridique de la Convention.

4.  En revanche, la notion d’« attribution » concerne pour l’essentiel la délicate question de l’« imputabilité » d’actes internationalement illicites. Le dictionnaire Salmon indique sous le terme « attribution » ce qui suit :

« Pour ce qui concerne la responsabilité internationale, rattachement à un sujet de droit international des actions ou omissions des individus ou organes se trouvant sous son autorité effective et agissant pour son compte ».

(Dictionnaire droit international public, sous la direction de Jean Salmon, préface de Gilbert Guillaume, Bruxelles, Bruylant, 2001).

5.  Le « codicille » des paragraphes 154 et 155, combiné aux références inutiles à la jurisprudence de la Cour internationale de justice (paragraphes 95-97) et aux Articles de la Commission du droit international sur la responsabilité de l’État dans la partie de l’arrêt consacrée au droit international, est ambigu, surabondant et incompréhensible.

–  Ambigu, parce que le raisonnement majoritaire prend soin de rappeler que les critères permettant d’établir l’existence d’une « juridiction » au sens de l’article 1 de la Convention n’ont jamais été assimilés aux critères permettant d’établir la responsabilité d’un État concernant un fait internationalement illicite[4].

–  Surabondant, parce qu’à partir du moment où la Cour parvient à la conclusion que les critères établissant la juridiction des Pays-Bas sont remplis (paragraphe 152), il n’est plus nécessaire, pour rejeter l’exception préliminaire du Gouvernement, de se pencher encore une fois sur les faits à l’origine des griefs du requérant qui résultaient d’actes et d’omissions du personnel militaire, des autorités d’enquête et des organes judiciaires des Pays-Bas.

–  Incompréhensible, parce que le raisonnement majoritaire ne fait que développer au paragraphe 155 le raisonnement relatif à l’établissement de la « juridiction ».

6.  C’est au paragraphe 152 que la Cour a tranché cette question en considérant que l’État défendeur exerçait sa « juridiction » dans les limites de sa mission au sein de la SFIR et aux fins d’asseoir une autorité et un contrôle sur les personnes qui passaient par le poste de contrôle.

7.  Il n’y avait donc aucune nécessité à examiner le faux problème de l’« attribution », totalement étranger à la question de la « juridiction ». Plus fondamentalement, la Cour doit en toute hypothèse prendre garde à ne pas agréger la notion de juridiction au sens de l’article 1 et la notion de responsabilité de l’État découlant du droit international général. Tenter de clarifier la première en se référant à la seconde est douteux sur le plan conceptuel et risque d’accroître la confusion dans un domaine du droit qui est déjà complexe.


OPINION CONCORDANTE COMMUNE AUX JUGES CASADEVALL, BERRO-LEFÈVRE, ŠIKUTA, HIRVELÄ, LÓPEZ GUERRA, SAJÓ ET SILVIS

(Traduction)

1.  Le présent arrêt établit qu’un État contractant peut au regard de la Convention exercer sa propre juridiction concernant des opérations militaires menées à l’étranger dans le cadre d’une force de stabilisation, en coopération avec un autre État jouissant du statut véritable de puissance occupante. À l’instar des États-Unis d’Amérique, le Royaume-Uni était en 2004 une puissance occupante en Irak, au sens de la résolution 1483 du Conseil de sécurité des Nations unies, tandis que les forces néerlandaises ne faisaient qu’assister le Royaume-Uni dans cette occupation. Toutefois, les autorités néerlandaises conservaient le plein commandement sur leur armée dans la province irakienne d’Al-Muthanna et exerçaient le plein pouvoir et la pleine responsabilité s’agissant d’établir la sécurité dans cette région. Ainsi, les citoyens irakiens qui passaient par un poste de contrôle des véhicules entre Ar-Rumaythah et Hamsa, tenu par des membres du CIDC (armée irakienne) opérant sous commandement néerlandais exclusif, relevaient de la juridiction des Pays-Bas, selon la définition qui ressort de l’interprétation que la Cour fait de l’article 1 de la Convention. Nous souscrivons à cette partie de l’arrêt, qui suit et, logiquement, prolonge la jurisprudence antérieure de la Cour sur la juridiction, tout particulièrement l’affaire Al-Skeini et autres c. Royaume-Uni ([GC], no 55721/07, CEDH 2011). Il s’ensuit qu’il y avait pour les Pays-Bas une obligation procédurale d’enquêter sur la tragique fusillade ayant abouti au décès du fils du requérant, et de le faire de manière effective et diligente (Natchova et autres c. Bulgarie [GC], nos 43577/98 et 43579/98, §§ 110 et 112-113, CEDH 2005-VII, et Ramsahai et autres c. Pays-Bas [GC], no 52391/99, §§ 321, 322, CEDH 2007-II). Nous convenons que cette obligation procédurale incombant aux Pays-Bas découlait de la Convention. Cependant, nous ne pouvons souscrire à une partie du raisonnement qui sous-tend le constat d’une violation procédurale commise par les Pays-Bas.

2.  Il est important de bien saisir tout le contexte dans lequel s’est produit l’événement tragique. Dans la nuit du 21 avril 2004, le fils du requérant fut tué par balle en Irak, à un poste de contrôle des véhicules placé sous commandement néerlandais. Avant ce drame, à 2 h 10 la même nuit, le PCV avait essuyé des tirs en provenance d’une voiture et les militaires irakiens présents au poste avaient riposté, apparemment sans qu’il y ait eu de blessés d’aucun côté. Des militaires néerlandais avaient été appelés au PCV pour enquêter sur cette fusillade. Leur enquête avait débuté à 2 h 30. Quinze minutes plus tard, la voiture dans laquelle M. Jaloud était assis à côté du conducteur s’approcha du PCV à vive allure. Le chauffeur, qui avait bu quelques bières, a par la suite indiqué qu’il n’avait même pas vu le poste de contrôle. Sa voiture percuta des barils placés le long de la route, provoquant un grand fracas. La voiture poursuivit sa route à vive allure ; il y eut des cris pour la faire stopper, suivis immédiatement par des coups de feu, après quoi le véhicule s’arrêta. Il s’avéra que M. Jaloud était mortellement blessé. Contrairement à ce que certains des militaires présents – y compris le lieutenant A. – avaient pensé, il s’avéra qu’aucun coup de feu n’avait été tiré depuis la voiture.

3.  La maréchaussée royale néerlandaise, qui était présente dans la région, fut chargée de lancer une enquête sur le décès de M. Jaloud, ce qu’elle fit dès 4 h 50. La maréchaussée royale est habilitée à mener de telles investigations, indépendamment du commandement militaire, à l’égard des effectifs néerlandais. Plus tard, s’appuyant sur un rapport relatif à l’enquête de la maréchaussée en Irak, divers autres documents et une audience, la cour d’appel d’Arnhem rejeta une demande du requérant tendant au déclenchement de poursuites contre le lieutenant néerlandais A., lequel avait reconnu avoir tiré sur la voiture alors qu’elle passait. La cour d’appel néerlandaise estima que le lieutenant avait agi dans les limites des instructions militaires sur la légitime défense (putative).

4.  À l’évidence, comme la Cour l’a déclaré à plusieurs occasions, il se peut que, si le décès au sujet duquel l’article 2 de la Convention impose une enquête survient dans un contexte de conflit armé ou dans une région qui est instable pour d’autres raisons, les investigateurs rencontrent des obstacles et que des contraintes précises imposent le recours à des mesures d’enquête moins efficaces. La question cruciale est donc de savoir si l’enquête relative à la fusillade a été menée de manière suffisamment effective et diligente, en ce sens qu’elle aurait permis d’identifier et de sanctionner les responsables. Il ne s’agit pas d’une obligation de résultat, mais de moyens. Eu égard aux critères que nous venons de mentionner, les obligations procédurales découlant de l’article 2 visent aussi la procédure pendant laquelle il est décidé si une personne soupçonnée doit voir engager sa responsabilité dans l’incident objet de l’enquête, bien qu’il ne s’agisse pas en soi d’une décision sur une accusation en matière pénale et que l’article 6 de la Convention ne s’applique pas (Ramsahai et autres c. Pays-Bas [GC], no 52391/99, §§ 359‑360, CEDH 2007-II).

5.  Ce qui n’est pas contesté, c’est que la maréchaussée royale est intervenue rapidement une fois l’affaire portée à son attention. Il apparaît de plus que l’enquête a été effective, dès lors qu’elle a permis a) de déterminer la cause du décès et b) d’identifier l’officier néerlandais susceptible d’avoir provoqué le décès en tirant. La question cruciale qu’avait à résoudre la cour d’appel néerlandaise était de savoir si l’officier devait être poursuivi, ce qui dépendait du point de savoir s’il avait agi ou non dans le respect des instructions sur le recours à la force. Au regard de l’obligation procédurale découlant de l’article 2 de la Convention, il est crucial qu’une autorité judiciaire, pour pouvoir déterminer si un militaire doit répondre de nouvelles accusations ou s’il a agi de manière justifiée dans les limites des instructions sur le recours à la force, dispose des bonnes informations. La cour d’appel d’Arnhem aurait dû avoir à sa disposition l’intégralité des témoignages recueillis après les faits ; or il apparaît que seul un résumé plutôt sélectif de ces dépositions figurait dans le dossier judiciaire. Certes, on ne saurait spéculer sur le point de savoir si la cour d’appel serait parvenue à une conclusion différente dans l’hypothèse où elle aurait été en mesure de lire tous les témoignages ; il demeure qu’il s’agit là d’une grave défaillance dans la qualité de l’enquête. Jusqu’ici, nous approuvons la position adoptée par la majorité de la Grande Chambre. Cependant, nous ne pouvons que déplorer le fait que la Grande Chambre ait également jugé bon d’examiner l’enquête menée en Irak avec une méticulosité telle que l’on pourrait avoir des doutes sur le rôle et la compétence de notre Cour. Nous nous limiterons à deux exemples tirés de l’arrêt.

6.  La Cour critique l’autopsie. Bien sûr, comparé à un examen médicolégal pratiqué dans les « règles de l’art », comme il le serait dans le cadre d’une procédure nationale, l’autopsie réalisée en Irak était inadéquate et on peut facilement l’admettre ; cependant, en concluant sur cette base que cette partie de l’enquête menée en Irak a emporté violation des obligations procédurales découlant pour les Pays-Bas de l’article 2, la majorité de la Cour franchit un bien grand pas. Le point de savoir si la maréchaussée royale aurait pu se réclamer d’un contrôle légal total sur la dépouille et les circonstances de l’autopsie est fort douteux. La Cour n’a indiqué aucune base légale pour cela. La maréchaussée royale aurait-elle dû recourir à la force pour imposer sa présence lors de l’autopsie ? En fait, elle a gardé le corps de M. Azhar Sabah Jaloud pendant quelques heures et il a fallu agir vite. Les installations nécessaires à la réalisation d’une autopsie n’étant pas disponibles au camp néerlandais, le cadavre a dû être confié aux Irakiens. Il a ensuite été transporté vers un hôpital civil irakien, où une autopsie a été pratiquée en l’absence de membres de la maréchaussée royale. Selon le Gouvernement, ce sont les autorités irakiennes qui ont pris la décision d’exclure le personnel néerlandais lors de l’autopsie. Aucune raison légale ne les en empêchait. De plus, d’après le Gouvernement, la situation commençait à être très tendue : chercher la confrontation aurait pu entraîner une escalade ; le personnel néerlandais qui était présent à l’hôpital a indiqué avoir eu peur d’être pris en otage, et a quitté les lieux pour cette raison. N’est-ce pas là un exemple de contraintes précises qui peuvent imposer le recours à des mesures d’enquête moins efficaces ?

7.  Un autre sujet de préoccupation est le reproche que la Cour fait aux Pays-Bas du fait que la maréchaussée royale n’a pas séparé les témoins avant d’interroger le « principal suspect » de la fusillade, six heures après leur arrivée au PCV. Cela soulève des questions. Fixer des normes si précises pour les enquêtes, dans une situation aussi instable que celle qui régnait en Irak, relève-t-il vraiment de la compétence de notre Cour ? Ce serait là un exercice hautement périlleux. Il est évident que les problèmes de sécurité aux PCV ont continué d’exister alors que l’enquête était en cours. Les témoins des faits étaient aussi responsables de cette sécurité. Séparer tous les témoins sur place aurait pu constituer une ingérence dans cette mission. De même, il paraît plutôt dangereux de séparer, de façon brutale et dans un environnement aussi instable, des personnes en situation de commander et leur effectif militaire. De toute évidence, au-delà de l’enquête il y avait d’autres dimensions à prendre en compte, et il n’est guère aisé de les imaginer toutes.

8.  Pour conclure, nous considérons que la Cour a fort justement souligné que dans un contexte tel que celui des faits ici examinés il pouvait y avoir des obstacles à la mise en œuvre de ce qui peut sembler être l’enquête la plus effective. Cependant, ce point de départ ne se concilie guère avec tous les aspects de l’analyse méticuleuse plus tard entreprise par la Cour. En outre, le lieutenant, qui avait lui-même signalé l’incident, a d’emblée assumé l’entière responsabilité de la fusillade, et rien ne fait apparaître la moindre tentative de sa part de manipuler les éléments de preuve.


OPINION CONCORDANTE DE LA JUGE MOTOC

1.  Le chemin de la prise de conscience d’un être humain s’apparente au chemin de Sisyphe. L’œuvre d’Albert Camus illustre remarquablement l’histoire de la philosophie à cet égard. Mais peut-on attendre d’une cour une telle prise de conscience sur des sujets aussi difficiles que celui abordé dans cet arrêt ? Une cour ne serait-elle pas condamnée à rester « étrangère à elle-même » ? Dans le langage de la philosophie du droit, celui de l’intégrité de la loi tel qu’interprété par Ronald Dworkin, il semble qu’une cour ne puisse jamais admettre de manière explicite les différentes approches interprétatives du stare decisis.

2.  Il est bien connu que l’article 1 de la Convention reste l’un des plus difficiles du point de vue de l’application et qu’il existe plusieurs contradictions dans l’interprétation qu’en livre la Cour (voir, par exemple, Banković et autres c. Belgique et autres (déc.) [GC], no 52207/99, § 75, CEDH 2001‑XII, et Al-Skeini et autres c. Royaume-Uni [GC], no 55721/07, §§ 136-137, CEDH 2011). Si celle-ci a fait des efforts remarquables de clarification dans l’arrêt Jaloud, il nous semble que ces progrès ne vont que dans la direction du droit international général et du droit international humanitaire.

3.  Commençons par le droit international général. D’abord, au stade pré‑interprétatif la Cour a très clairement pris position sur les Articles de la Commission du droit international sur la responsabilité de l’État (paragraphe 98 de l’arrêt) et la jurisprudence de la Cour internationale de justice (paragraphes 95-97). Mais surtout, dans cette affaire, la Cour affirme pour la première fois se prononcer sur l’imputabilité qui résulte de l’application des articles pertinents de la Commission du droit international sur la responsabilité de l’État. Elle précise ainsi sous l’angle de la responsabilité en droit international que « les omissions allégués du personnel militaire, des autorités d’enquête et des organes judiciaires des Pays-Bas » sont de nature « à engager la responsabilité des Pays-Bas au regard de la Convention ». L’imputabilité était nécessaire pour compléter dans toutes ses conséquences la logique juridique découlant du droit international général, notamment de la responsabilité des États (voir notamment M. Milanovic, Extraterritorial Application of Human Rights Treaties: Law, Principles, and Policy, Oxford University Press, 2011).

4.  On peut faire des remarques similaires au sujet du droit humanitaire. Toujours au stade pré-interprétatif, l’arrêt cite les articles pertinents du Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre (« le Règlement de La Haye », 1907) et de la quatrième Convention de Genève.

5.  Un problème demeure toutefois irrésolu : celui de la place des droits de l’homme. Si l’arrêt Jaloud cite l’arrêt Catan et autres c. République de Moldova et Russie ([GC], nos 43370/04, 8252/05 et 18454/06, CEDH 2012), notamment le paragraphe 115, pour rappeler que les critères permettant d’établir l’existence d’une « juridiction » au sens de l’article 1 de la Convention ne sont pas assimilés aux critères permettant d’établir la responsabilité d’un État concernant un fait internationalement illicite au regard du droit international général, il ne va pas plus loin. Une fois que la Cour a statué pour la première fois sur « l’imputabilité » et a ainsi avancé dans la direction du droit international général, il lui reste à donner des précisions sur les différences entre la responsabilité de l’État selon le droit international général et selon la Convention, notamment dans ce cas-ci l’article 1.

6.  Il reste à résoudre de façon générale plusieurs questions concernant le rapport entre les normes relatives aux droits de l’homme quand les droits de l’homme sont appliqués sur le territoire d’un État et en dehors du territoire, en vertu de l’extraterritorialité qui résulte de l’article 1 (voir, par exemple, S. Besson, The Extraterritoriality of the European Convention on Human Rights: Why Human Rights Depend on Jurisdiction and What Jurisdiction Amounts to, Leiden Journal of International Law, déc. 2012, pp. 857-884). Si dans cette affaire la tâche de la Cour a été facilitée par les carences de la cour d’appel d’Arnhem, la question générale reste ouverte. Peut-on parler de normes différentes en matière de droits de l’homme qui devraient être appliquées par le même État et, si c’est le cas, selon quels critères ?

7.  Une dernière remarque : l’argument du Royaume-Uni relatif au « risque réel » de voir les États se montrer réticents à répondre aux appels du Conseil de sécurité des Nations unies en vue d’une intervention sous mandat de celui-ci (paragraphe 126 de l’arrêt), nous paraît peu consistant du point de vue juridique. Les soldats qui se trouvent dans les opérations de maintien de paix ou dans des forces multinationales ne peuvent pas bénéficier de l’impunité par le simple fait de la participation de leur État à de telles opérations.

8.  En conclusion, si l’arrêt Jaloud avance sur le terrain de l’applicabilité du droit international général, les questions liées au rapport entre le droit international général et les droits de l’homme prévus par l’article 1 restent encore à clarifier, ainsi que les différents conflits de normes qui peuvent surgir lors de l’application de l’article 1.


[1].  En fait 7,62 x 39 mm.

[2].  Translittération en néerlandais.

[3].  Le Royaume des Pays-Bas est constitué de « pays » autonomes. à l’époque des faits, il s’agissait du Royaume en Europe (les Pays-Bas proprement dits) et de l’île d’Aruba et des Antilles néerlandaises (territoires situés dans les Caraïbes).

[4].   En se référant, à juste titre, à l’arrêt Catan et autres c. République de Moldova et Russie, dont il échet de citer in extenso le paragraphe 115 :

« 115. Le gouvernement russe soutient que la Cour ne peut conclure à l’exercice par la Russie d’un contrôle effectif que si elle estime que le « gouvernement » de la « RMT » peut passer pour un organe de l’État russe, suivant l’approche adoptée par la Cour internationale de justice dans l’affaire relative à l’Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro) (...). La Cour rappelle que dans celle-ci la Cour internationale de justice devait déterminer à quel moment un État pouvait se voir attribuer le comportement d’une personne ou d’un groupe de personnes, de sorte qu’il pût être tenu pour responsable au regard du droit international du comportement en cause. Or en l’espèce la Cour est appelée à connaître d’une question différente, celle de savoir si des faits incriminés par un requérant relevaient de la juridiction d’un État défendeur au sens de l’article 1 de la Convention. Comme le montre le bref exposé de la jurisprudence de la Cour livré ci-dessus, les critères permettant d’établir l’existence de la « juridiction » au sens de l’article 1 de la Convention n’ont jamais été assimilés aux critères permettant d’établir la responsabilité d’un État concernant un fait internationalement illicite au regard du droit international. »

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CEDH, Cour (grande chambre), AFFAIRE JALOUD c. PAYS-BAS, 20 novembre 2014, 47708/08