CEDH, Cour (grande chambre), AFFAIRE BEUZE c. BELGIQUE, 9 novembre 2018, 71409/10

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Chronologie de l’affaire

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Roseline Letteron · Liberté, Libertés chéries · 9 mars 2022

Avec son arrêt Tonkov c. Belgique du 8 mars 2022, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) revient une nouvelle fois sur le droit d'accès à un avocat durant la procédure pénale. Ce droit est en effet l'un des éléments essentiels du droit à un procès équitable, garanti par l'article 6 § 1 et § 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Le requérant, de nationalité bulgare, a été condamné par la Cour d'assises de Flandre orientale en mai 2013 à la réclusion criminelle à perpétuité pour assassinat. Les faits remontent à 2009, et la lenteur de la procédure …

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Grande Chambre), 9 nov. 2018, n° 71409/10
Numéro(s) : 71409/10
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Adamkiewicz c. Pologne, no 54729/00, §§ 84-87, 2 mars 2010
Al Khawaja et Tahery c. Royaume Uni [GC], nos 26766/05 et 22228/06, §§ 118, et 152-165, CEDH 2011
A.T. c. Luxembourg, no 30460/13, 9 avril 2015
Blokhin c. Russie [GC], no 47152/06, 23 mars 2016
Boz c. Turquie, no 2039/04, § 35, 9 février 2010
Brusco c. France, no 1466/07, § 54, 14 octobre 2010
Bykov c. Russie [GC], no 4378/02, §§ 94-105, 10 mars 2009
Çarkçı c. Turquie (no 2), no 28451/08, §§ 43-46, 14 octobre 2014
Castellino c. Belgique, no 504/08, §§ 45-47, 25 juillet 2013
Correia de Matos c. Portugal [GC], no 56402/13, 4 avril 2018
Dayanan c. Turquie, no 7377/03, § 33, 13 octobre 2009
Dvorski c. Croatie [GC], no 25703/11, CEDH 2015
Erkapić c. Croatie, no 51198/08, § 80, 25 avril 2013
Galip Doğru c. Turquie, no 36001/06, § 84, 28 avril 2015
Hovanesian c. Bulgarie, no 31814/03, § 34, 21 décembre 2010
Ibrahim et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 50541/08 et 3 autres, 13 septembre 2016
John Murray c. Royaume-Uni, 8 février 1996, § 66, Recueil des arrêts et décisions 1996-I
Karadağ c. Turquie, no 12976/05, § 47, 29 juin 2010
Lanz c. Autriche, no 24430/94, § 50, 31 janvier 2002
Laska et Lika c. Albanie, nos 12315/04 et 17605/04, § 67, 20 avril 2010
Lhermitte c. Belgique [GC], no 34238/09, 29 novembre 2016
Mađer c. Croatie, no 56185/07, §§ 151 et 153, 21 juin 2011
M c. Pays-Bas, no 2156/10, §§ 82-85, 25 juillet 2017 (extraits)
Moïsseïev c. Russie, no 62936/00, §§ 217-218, 9 octobre 2008
Moreira Ferreira c. Portugal (no 2) [GC], no 19867/12, §§ 94 et 99, 11 juillet 2017 (extraits)
Navone et autres c. Monaco, nos 62880/11 et 2 autres, §§ 73 74, 24 octobre 2013
Öcalan c. Turquie [GC], no 46221/99, §§ 131-135, CEDH 2005 IV
Rybacki c. Pologne, no 52479/99, § 56, 13 janvier 2009
Sakhnovski c. Russie [GC], no 21272/03, §§ 95-97, 2 novembre 2010
Salduz c. Turquie [GC], no 36391/02, CEDH-2008
Sapan c. Turquie, no 17252/09, § 21, 20 septembre 2011
Savaş c. Turquie, no 9762/03, § 67, 8 décembre 2009
Schatschaschwili c. Allemagne [GC], no 9154/10, CEDH 2015
Schmid-Laffer c. Suisse, no 41269/08, § 37, 16 juin 2015
Šebalj c. Croatie, no 4429/09, §§ 256-257, 28 juin 2011
Simeonovi c. Bulgarie [GC], no 21980/04, § 128, 12 mai 2017 (extraits)
Simons c. Belgique, (déc.), no 71407/10, § 30, 28 août 2012
Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, CEDH 2010
Taxquet c. Belgique, no 926/05, §§ 25-31, 13 janvier 2009
Organisations mentionnées :
  • Cour de justice de l'Union européenne
  • ECHR
Niveau d’importance : Publiée au Recueil
Opinion(s) séparée(s) : Oui
Conclusions : Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure pénale ; Article 6-1 - Procès équitable ; Article 6-3 - Droits de la défense ; Article 6-3-c - Se défendre avec l'assistance d'un défenseur) ; Préjudice moral - constat de violation suffisant (Article 41 - Préjudice moral ; Satisfaction équitable)
Identifiant HUDOC : 001-187513
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2018:1109JUD007140910
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Sur les parties

Texte intégral

GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE BEUZE c. BELGIQUE

(Requête no 71409/10)

ARRÊT

STRASBOURG

9 novembre 2018

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Beuze c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Angelika Nußberger,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Ganna Yudkivska,
Helena Jäderblom,
Robert Spano,
Nebojša Vučinić,
Paul Lemmens,
Krzysztof Wojtyczek,
Valeriu Griţco,
Ksenija Turković,
Egidijus Kūris,
Síofra O’Leary,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Georges Ravarani,
Lәtif Hüseynov,
Jovan Ilievski, juges,
et de Johan Callewaert, greffier adjoint de la Grande Chambre,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 15 décembre 2017 et le 27 juin 2018,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 71409/10) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont un ressortissant de cet État, M. Philippe Beuze (« le requérant »), a saisi la Cour le 25 novembre 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, a été représenté par Me D. Paci, avocate à Bruxelles. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme I. Niedlispacher, service public fédéral de la Justice.

3.  Invoquant l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention, le requérant allègue, d’une part, avoir été privé de son droit d’accès à un avocat pendant sa garde à vue et ce, sans information suffisante quant à son droit de garder le silence et de ne pas témoigner contre lui-même, et d’autre part, ne pas avoir bénéficié de la présence d’un avocat lors des auditions, des interrogatoires et d’autres actes d’instruction qui ont suivi pendant la phase d’instruction.

4.  La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Le 25 août 2014, une chambre de ladite section communiqua les griefs susmentionnés au Gouvernement. La requête a été déclarée irrecevable pour le surplus, en vertu l’article 54 § 3 du règlement. Le 13 juin 2017, la chambre, composée des juges dont le nom suit : Işıl Karakaş, Nebojša Vučinić, Paul Lemmens, Valeriu Griţco, Jon Fridrik Kjølbro, Stéphanie Mourou-Vikström et Georges Ravarani, juges, ainsi que de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section, s’est dessaisie au profit de la Grande Chambre, aucune des parties ne s’y étant opposée (articles 30 de la Convention et 72 du règlement).

5.  La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement.

6.  Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire. Chacune des parties a répondu à l’audience aux observations de l’autre (article 44 § 5 du règlement). Des observations écrites ont également été reçues de Fair Trials International que le président de la Cour a autorisé à intervenir (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 3 du règlement).

7.  Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 20 décembre 2017.

Ont comparu :

–  pour le Gouvernement
MmeI. niedlispacher,agente ;

–  pour le requérant
Me D. paci,conseil.
 

La Cour a entendu Me Paci et Mme Niedlispacher en leurs déclarations ainsi qu’en leurs réponses à ses questions.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

8.  Le requérant est né en 1974. Il est actuellement détenu à la prison de Marche-en-Famenne (Belgique) où il purge une peine de réclusion à perpétuité.

A.  Arrestation du requérant en France

9.  Le requérant fut arrêté le 17 décembre 2007 par la gendarmerie française dans un village du département français du Nord et mis en garde à vue en exécution d’un mandat d’arrêt européen délivré à son endroit le 14 novembre 2007 par un juge d’instruction du tribunal de première instance de Charleroi (Belgique) sur réquisitoire du procureur du Roi près le tribunal de première instance de Charleroi du 6 novembre 2007.

10.  Aux termes de ce mandat, le requérant était inculpé du chef d’homicide volontaire avec intention de donner la mort et préméditation sur la personne de son ex-compagne, M.B., acte commis le 5 novembre 2007. Le mandat précisait qu’un témoin du voisinage de M.B. avait formellement reconnu le requérant. Le mandat faisait également état d’un risque de récidive étant donné les antécédents de violence du requérant.

11.  Le procès-verbal d’audition dressé par les gendarmes français à l’occasion de l’arrestation du requérant le 17 décembre 2007 indiquait que le requérant avait renoncé au droit que lui donnait l’article 63-4 du code de procédure pénale français de s’entretenir avec un avocat de son choix ou, à défaut, commis d’office.

12.  Par un arrêt du 21 décembre 2007, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Douai (France), après avoir donné acte à l’intéressé de ce qu’il ne renonçait pas à la règle de spécialité[1], ordonna sa remise aux autorités judiciaires belges pour l’exécution du mandat d’arrêt précité. Le requérant était assisté devant la chambre de l’instruction par une avocate, A., du barreau de Douai.

B.  Remise aux autorités belges et phase d’instruction

13.  Remis aux autorités belges à 10h40 le 31 décembre 2007, le requérant fut auditionné par la police judiciaire de 11h50 à 15h55.

14.  Ainsi que cela ressort du procès-verbal d’audition, conformément à l’article 47bis du code d’instruction criminelle (« CIC », voir paragraphes 62‑65, ci-dessous), le requérant fut informé qu’il pouvait demander que toutes les questions qui lui seraient posées et ses réponses soient actées dans les termes utilisés, qu’il pouvait demander qu’il soit procédé à tel acte d’information ou telle audition, et que ses déclarations pouvaient être utilisées comme preuve en justice.

15.  Au cours de cette première audition, le requérant expliqua qu’il avait rencontré M.B. début 2007 par l’intermédiaire de C.L. sa compagne à l’époque. Il reconnut qu’il était présent le 5 novembre 2007 sur les lieux des faits mais nia être l’auteur du meurtre. Il déclara que la victime, M.B., avait été frappée par son fils âgé de treize ans à l’aide d’un marteau. Il expliqua qu’il était intervenu, qu’il avait arraché le marteau des mains de l’enfant mais que celui-ci avait continué de frapper sa mère. Le requérant déclara être parti en emportant une hache – que les policiers avaient ensuite retrouvée près des lieux – car il craignait qu’on l’accuse en raison de ses antécédents. Il expliqua avoir fui les lieux et être resté caché dans sa voiture lors de l’intervention des services de secours. Il affirma ignorer que la victime était morte.

16.  À l’occasion de l’audition, le requérant fut également interrogé sur une déclaration faite à la police par M.B. le 25 octobre 2007 et selon laquelle le requérant avait tenté de la tuer avec sa voiture. Le requérant expliqua qu’il avait accidentellement dérapé avec son véhicule et probablement touché M.B. mais contesta l’intention que lui avait portée la victime.

17.  Les enquêteurs informèrent le requérant de l’interception de plusieurs textos postérieurs au décès de M.B. en provenance d’un téléphone portable lui appartenant et envoyés à des proches de M.B. Ces textos comportaient notamment un message de condoléances lié au décès de M.B. Le requérant nia en être l’auteur.

18.  Les déclarations détaillées du requérant furent consignées par la police dans un procès-verbal de huit pages. Le procès-verbal indiquait in fine qu’à l’issue de l’audition le requérant avait relu ses déclarations et n’avait pas souhaité les corriger ni les compléter.

19.  Tous les procès-verbaux qui suivirent comportaient les mêmes mentions et furent signés par le requérant. À l’exception de ce premier procès-verbal d’audition, qui fut lui remis ultérieurement à l’issue de l’interrogatoire par le juge d’instruction le même jour, le requérant se vit remettre copie immédiate de tous les procès-verbaux.

20.  À la suite de l’audition par la police judiciaire, le requérant fut entendu par le juge d’instruction du tribunal de première instance de Charleroi à 16h45 le même jour. Il confirma ses déclarations au juge d’instruction.

21.  À la question posée par le juge d’instruction en début d’interrogatoire sur le point de savoir s’il avait fait le choix d’un conseil, le requérant répondit par la négative. Le procès-verbal de l’interrogatoire mentionne in fine :

« Nous (le juge d’instruction) lui signalons enfin que nous avertissons le délégué du bâtonnier (de l’ordre des avocats), étant donné, qu’au stade actuel de la procédure, il n’a pas fait le choix d’un conseil ».

22.  Au terme de l’interrogatoire qui s’acheva à 17h42, le juge d’instruction fit état de la nécessité de requérir immédiatement un médecin psychiatre. Il inculpa le requérant d’avoir commis volontairement avec intention de donner la mort et préméditation un homicide sur la personne de M.B. Un mandat d’arrêt fut délivré le jour même et le requérant fut placé en détention préventive.

23.  Il n’est pas contesté que le requérant n’eut pas le droit de communiquer avec un avocat entre le moment de sa remise aux autorités belges et la fin de sa garde à vue le 31 décembre 2007. Le droit de consulter un avocat ne lui fut reconnu, conformément aux dispositions légales applicables, qu’une fois la décision de le placer en détention préventive prise par le juge d’instruction (voir paragraphes 21, ci-dessus, et 55-56, ci‑dessous). En outre, s’il a été assisté ensuite par un avocat tout au long de la phase d’instruction, ce dernier n’était pas présent lors des auditions, des interrogatoires et d’autres actes d’instruction qui ont eu lieu durant cette phase (voir paragraphe 59, ci‑dessous).

24.  Le 11 janvier 2008, le requérant fit l’objet d’une nouvelle audition par la police judiciaire. Il confirma ses précédentes déclarations relatives au décès de M.B. et fournit de plus amples détails sur le déroulement des faits. Il déclara avoir effectivement vu passer dans la rue un témoin de la scène de coups portés par le fils de la victime, que ce témoin était accompagné d’une femme et reconnut qu’il le menaça avec une arme factice, retrouvée ensuite dans la voiture du requérant lors de son arrestation. Confronté par les interrogateurs à l’incohérence de ses propos, le requérant reconnut avoir été porteur au moment des faits d’une véritable arme à feu mais continua de nier être l’auteur du meurtre.

25.  Aucune mention ne figure dans le procès-verbal d’audition du 11 janvier 2008, ni ailleurs dans le dossier, selon laquelle le requérant se serait effectivement vu désigner un avocat à la suite de l’information de l’ordre des avocats du 31 décembre 2007 ou aurait été en contact avec un avocat avant ladite audition.

26.  Parallèlement à l’instruction relative au meurtre de M.B., le requérant fut auditionné par la police à quatre reprises les 6 et 7 mars 2008 pour « association de malfaiteurs » à propos de vols de voitures.

27.  Lors d’un interrogatoire par le juge d’instruction en date du 17 mars 2008, le juge lui demanda s’il avait fait le choix d’un conseil. Le requérant répondit positivement et mentionna un avocat inscrit au barreau de Bruxelles avec lequel il déclara être en contact. Le requérant fut informé que le rapport d’expertise psychiatrique avait été reçu et concluait à un trouble de la personnalité antisociale. Interrogé au sujet des faits liés au meurtre de M.B., le requérant avoua avoir volé une pièce du dossier pénal, fait qui était méconnu des autorités. Ensuite, après avoir répété que l’auteur du meurtre de M.B. était le fils de la victime, le requérant changea sa version des faits. Il mentionna la présence sur les lieux, au moment où M.B. reçut les coups mortels, de C.L. Il expliqua avoir assisté à une dispute entre les deux femmes et avoir dû arracher un marteau des mains de C.L.

28.  Le 25 mars 2008, une audition du requérant fut organisée par la police judiciaire aux fins d’une enquête de moralité et de personnalité. Une seconde audition fut organisée le même jour au sujet de coups et blessures volontaires portés le 17 septembre 2007 à C.L. Le requérant reconnut avoir proposé à C.L., alors enceinte, de monter à bord de sa voiture. Il déclara avoir porté des coups au visage de C.L. pour la « protéger » d’une éventuelle rencontre avec M.B. prévue pour lui dérober un téléphone portable et une carte bancaire. Il expliqua que cette dernière, aidée d’un complice, avait ensuite jeté C.L. dans le canal.

29.  Une évaluation neuropsychologique du requérant fut réalisée le 28 avril 2008 et adressée au juge d’instruction. L’expert-psychologue concluait que le requérant présentait des aptitudes verbales limitées mais que ses raisonnements étaient dans la norme. Il mit également en évidence son manque important d’empathie et de sociabilité.

30.  Le 6 juin 2008, une reconstitution des évènements survenus le 5 novembre 2007 fut organisée sur les lieux des faits. Participèrent à la reconstitution les deux témoins visuels (voir paragraphes 10 et 24, ci‑dessus). L’avocat du requérant était absent, la loi ne prévoyant sa présence à aucun acte d’instruction (voir paragraphe 59, ci-dessous). À l’occasion de la reconstitution, le requérant fut auditionné et mentionna qu’une autre personne, A.N., se trouvait également sur les lieux le jour des faits. Il changea à nouveau sa version des faits et déclara avoir faussement accusé le fils de la victime. Il déclara que les coups mortels avaient en réalité été portés par C.L. et qu’il avait effectivement tiré avec une arme à feu pour intimider C.L.

31.  Au cours d’une audition organisée le même jour par la police judiciaire, le requérant contesta la version des faits donnée par les deux témoins visuels lors de la reconstitution et confirma sa nouvelle version des faits. Il ne ressort pas du dossier que le requérant aurait cherché à communiquer avec son avocat avant ou après la reconstitution ou l’audition du même jour.

32.  Un mandat d’arrêt fut délivré le 8 août 2008 étendant la saisine du juge d’instruction, sur la base de réquisitions supplémentaires du procureur du Roi en date du 23 mai 2008 et du 7 juillet 2008, à trois infractions supplémentaires : tentative d’homicide le 25 octobre 2007 à l’encontre de M.B., et faits de vols avec violence ou menace et fraude commis le 17 septembre 2007 au préjudice de C.L.

33.  Le requérant fut entendu à ce sujet par le juge d’instruction le 18 août 2008. Les informations visées par l’article 47bis du CIC (voir paragraphe 65, ci‑dessous) lui furent répétées ; il fut également informé de la possibilité de marquer son désaccord à l’extension des poursuites et d’en référer à son avocat au préalable. Il ressort du procès-verbal de l’interrogatoire que le requérant marqua son accord à l’extension des poursuites, renonçant par là au principe de spécialité de l’extradition qui avait été accordée par les autorités françaises (voir paragraphe 12, ci‑dessus). Il fit, en outre, part de son souhait que son avocat confirme sa position.

34.  Le 5 décembre 2008, le requérant fut entendu par le procureur du Roi à propos de son consentement à l’extension des poursuites. Il indiqua qu’il souhaitait en parler avec son avocat.

35.  Constatant que le requérant n’avait finalement pas donné son consentement, l’extension de la remise aux fins de poursuites pour les trois infractions supplémentaires précitées fut accordée par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Douai par un arrêt du 13 janvier 2009.

36.  À l’issue de l’instruction, le requérant fut renvoyé par arrêt du 31 août 2009 de la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Mons devant la cour d’assises de la province du Hainaut. La juridiction d’instruction considéra qu’il existait des indices sérieux de culpabilité à la charge du requérant résultant, avant tout, des déclarations des témoins, des constatations des enquêteurs, d’éléments matériels recueillis et de considérations médico‑légales et psychiatriques.

C.  Procédure devant la cour d’assises

37.  À l’ouverture de la session d’assises, le 1er février 2010, le requérant, assisté de son conseil belge, déposa des conclusions par lesquelles il sollicitait que les procès-verbaux des auditions et des interrogatoires menés sans l’assistance d’un avocat et les actes qui en découlaient soient déclarés nuls et que les poursuites soient déclarées irrecevables. Il soutenait que le défaut d’avoir été assisté d’un avocat durant sa garde à vue, le 31 décembre 2007, et lors des auditions et interrogatoires qui suivirent emportait violation d’une formalité substantielle touchant directement l’exercice de ses droits de la défense et viciant de façon irréversible le mandat d’arrêt. Le requérant se plaignait que l’absence de son conseil lui avait nécessairement porté grief.

38.  Se référant à la jurisprudence de la Cour, en particulier aux arrêts Salduz c. Turquie ([GC] (no 36391/02, CEDH-2008) et Dayanan c. Turquie (no 7377/03, 13 octobre 2009), le requérant faisait valoir que celle‑ci édictait un principe absolu n’appelant aucune appréciation in concreto, étant donné que la restriction résultant du droit belge était de portée générale et obligatoire et que le droit belge ne respectait pas les exigences de la Convention à ce sujet.

39.  La cour d’assises, par un arrêt avant dire droit du même jour, rejeta la demande du requérant de déclarer les poursuites irrecevables. Elle souligna d’abord que la jurisprudence de la Cour n’entendait pas garantir, de manière absolue, la présence d’un avocat à tous les stades de la procédure pénale dès la première audition et qu’elle avait rappelé la nécessité de tenir compte de la procédure en son ensemble pour apprécier le respect du droit à un procès équitable. Elle précisa qu’en principe une atteinte irrémédiable aux droits de la défense n’était constatée qu’en présence de déclarations incriminantes. La cour d’assises souligna ensuite que les cours et tribunaux n’avaient pas le pouvoir de se substituer au législateur pour combler les lacunes dont se plaignait le requérant.

40.  S’agissant des conséquences de la jurisprudence de la Cour sur la procédure en l’espèce, la cour d’assises considéra, en ce qui concerne le volet français de la procédure, que le requérant avait dans un premier temps renoncé à son droit à l’assistance d’un avocat. Ensuite, devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Douai, il avait été assisté d’un avocat. La cour d’assises écarta la prétendue pression exercée par les gendarmes français au motif que lors de l’une de ses auditions (il s’agit de l’audition menée à l’occasion de la reconstitution des faits du 6 juin 2008, mentionnée au paragraphe 30, ci-dessus), le requérant avait donné une raison différente pour expliquer le revirement de l’accusation qu’il avait portée, lors de son arrestation, contre le fils de la victime sous la soi-disant pression des gendarmes.

41.  En ce qui concerne le volet belge de la procédure, la cour d’assises constata que le requérant n’avait pas procédé à son incrimination dans les faits lui reprochés, n’avait vanté aucune forme de pression des enquêteurs, n’avait pas été entendu en état de vulnérabilité particulière, s’était exprimé librement sur les faits et n’avait en aucun cas été contraint de s’incriminer, pouvant même faire usage de son droit au silence. Le requérant avait pu se concerter avec son avocat après chaque audition et interrogatoire pour discuter de sa défense et avait, au cours de l’instruction, toutes possibilités de discuter de sa défense avec celui-ci. Il avait également pu, pendant les deux années de détention préventive, préparer sa défense en concertation avec son avocat à chaque fois qu’il avait comparu devant les juridictions d’instruction mais s’était abstenu de soulever, à ces occasions, l’omission qu’il dénonçait devant la cour d’assises.

42.  Ensuite, la cour d’assises releva que le requérant avait été renvoyé devant elle au vu d’indices de culpabilité résultant avant tout d’éléments étrangers à ses déclarations (voir paragraphe 36, ci-dessus) et avait fait usage de son droit de demander l’accomplissement d’actes d’instruction complémentaires. Après avoir en outre rappelé que l’intime conviction du jury se forgeait à l’occasion des débats oraux devant elle, la cour d’assises conclut que les droits de la défense avaient été respectés et qu’il n’y avait pas lieu de prononcer la nullité des procès-verbaux d’audition et d’interrogatoire ou des poursuites. Elle déclara dès lors les poursuites recevables et ordonna de poursuivre les débats.

43.  Lecture de l’acte d’accusation, rédigé par le procureur général le 23 novembre 2009, fut donnée à l’audience de la cour d’assises. Il exposait, sur vingt-et-une pages, les faits et leur déroulement, les actes et les éléments de l’enquête, les expertises médico-légales, ainsi que le parcours de vie et la vie familiale du requérant. L’acte d’accusation mentionnait les éléments reconnus par le requérant (sa présence sur les lieux du meurtre de M.B., la menace d’un témoin, ainsi que la circonstance qu’il avait été seul avec C.L. et qu’il l’avait frappée). Il reprenait également les différentes versions des faits données par lui lors des auditions et interrogatoires pour expliquer qu’elles ne correspondaient pas aux constatations matérielles faites par les enquêteurs et ne résistaient pas à l’analyse des divers témoignages.

44.  À l’issue des débats, le 9 février 2010, le jury déclara le requérant coupable notamment d’homicide volontaire avec préméditation et intention de donner la mort sur la personne de M.B. le 5 novembre 2007 et de tentative d’homicide volontaire avec préméditation et intention de donner la mort sur la personne de C.L. le 17 septembre 2007.

45.  Les motifs du jury furent consignés dans un arrêt de motivation de la cour d’assises du même jour. Dans ses parties pertinentes, cet arrêt se lit comme suit :

« (...) les principales raisons de sa décision fournies par le jury sont les suivantes :

- Aux première et deuxième questions [concernant l’homicide sur la personne de M.B., le 5 novembre 2007]

Le jury a retenu, comme déterminants, les témoignages constants et concordants des jeunes gens qui ne virent que l’accusé et sa victime sur les lieux, hors la présence de toute autre personne, les menaces préalablement émises par l’accusé contre sa victime et les différents actes posés par Philippe Beuze (notamment hache cachée dans la haie) en préparation du crime commis.

- Aux troisième et quatrième questions [concernant la tentative d’homicide sur la personne de M.B., le 25 octobre 2007]

[Conclusion d’absence de culpabilité.]

- Aux cinquième et sixième questions [concernant la tentative d’homicide sur la personne de C.L., le 17 septembre 2007]

Le jury a estimé que les éléments suivants démontraient tant la matérialité des faits que l’intention d’homicide qui l’anima :

. l’accusé s’est isolé volontairement avec une femme enceinte, qu’il savait fragilisée de la sorte ;

. il frappa violemment C.L., ainsi que le démontrent les constatations médicales et la laissa pour morte ;

. il quitta ensuite les lieux sans appeler les secours alors qu’il en avait les moyens ;

. il envoya par la suite des SMS établissant clairement son intention de tuer C.L.

D’autre part, le jury a considéré que les actes matériels posés par l’accusé avant de s’écarter vers le canal au terme d’une longue marche (simulation d’une crevaison de pneu, accident de voiture volontaire, ...) constituaient autant d’éléments révélant la préméditation. »

46.  Par un arrêt de condamnation du 10 février 2010, la cour d’assises condamna le requérant à la peine de réclusion à perpétuité.

D.  Procédure devant la Cour de cassation

47.  Le requérant se pourvut en cassation contre les arrêts de la cour d’assises des 1er, 9 et 10 février 2010. Dans son moyen tiré d’une violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention tels qu’interprétés par la jurisprudence de la Cour, il a insisté sur le droit de se faire assister par un avocat et sur le fait que durant les auditions la présence d’un avocat était rendue obligatoire par la Convention.

48.  Par un arrêt du 26 mai 2010, la Cour de cassation rejeta ce moyen en ces termes :

« 3.  Les articles 1, 2, 16, §§ 2 et 4, et 20, § 1er, de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive ne prévoient pas la présence d’un avocat aux côtés de la personne gardée à vue pendant le délai de vingt-quatre heures institué par l’article 12, alinéa 3, de la Constitution.

Le secret imposé par les articles 28quinquies, § 1er, alinéa 1er, et 57, § 1er, alinéa 1er, du Code d’instruction criminelle, fait obstacle, en règle, à la présence de l’avocat aux actes de l’information et de l’instruction préparatoire.

4.  Il ne peut être affirmé que ces dispositions violent en elles-mêmes le droit à un procès équitable. La raison en est double. D’une part, la restriction critiquée doit être appréciée au regard de l’ensemble des garanties légales fournies à l’inculpé pour assurer utilement le respect de ses droits de défense dès l’engagement de l’action publique. D’autre part, l’interprétation donnée par le demandeur à l’article 6 de la Convention doit être vérifiée au regard du principe constitutionnel de légalité de la procédure pénale.

5.  Les formalités imposées pour l’audition du suspect par l’article 47bis du Code d’instruction criminelle, la brièveté du délai de garde à vue, la remise immédiate à l’inculpé, au moment de la signification du mandat d’arrêt, de toutes les pièces visées aux articles 16, § 7, et 18, § 2, de la loi du 20 juillet 1990, le droit de l’inculpé de communiquer sur-le-champ avec son avocat conformément à l’article 20, §§ 1 et 5, de ladite loi, l’accès au dossier tel qu’il est organisé par l’article 21, § 3, de la loi, la présence de l’avocat à l’interrogatoire récapitulatif visé à l’article 22, alinéas 1, 2 et 3, ainsi que les droits institués notamment par les articles 61ter, 61quater, 61quinquies, 136 et 235bis du Code d’instruction criminelle, ne permettent pas de conclure de manière automatique à une impossibilité définitive de juger équitablement la personne entendue sans avocat par la police et le juge d’instruction.

6.  En règle, l’article 12, alinéa 2, de la Constitution ne permet pas au juge de modifier les formes assignées aux poursuites pénales par la loi d’un État démocratique. Il n’en va autrement que si la règle de droit interne déclarée non conforme peut être écartée sans altération par le juge de l’ordonnancement dans lequel elle s’inscrit.

En raison de son imprécision, la portée que le demandeur attribue au procès équitable ne s’accommode pas du principe de légalité susdit, en vertu duquel l’instruction, la poursuite et le jugement n’ont lieu que d’après des textes légaux préexistants et accessibles. Le moyen ne définit pas jusqu’où le juge doit écarter la loi nationale pour rendre le procès équitable à l’aune de l’article 6 de la Convention dans la lecture évolutive qui en est proposée.

Ainsi, ni le demandeur ni la jurisprudence qu’il invoque n’indiquent clairement si le procès eût été équitable à la seule condition que l’avocat ait été présent lors de la garde à vue ou s’il aurait fallu que cette assistance se prolongeât à tous les actes de l’instruction.

Le droit à un procès équitable suppose aussi qu’aucune des parties ne soit placée dans une situation plus favorable ou moins avantageuse que celle réservée à son adversaire. Il ne peut dès lors être tenu pour assuré que le procès déféré à la censure de la Cour aurait revêtu un caractère plus équitable, au sens où le demandeur l’entend, du seul fait qu’un avocat aurait assisté à toutes ses auditions sans que l’avantage équivalent soit garanti aux autres parties.

7.  Il y a lieu de rejeter dès lors la thèse suivant laquelle le droit revendiqué pour l’accusé aurait un caractère absolu, et d’examiner concrètement, à la lumière de l’ensemble de la procédure, si le grief soulevé par le demandeur a pu vicier celle-ci.

Tel ne paraît pas être le cas en l’espèce. En effet, il ressort notamment des constatations de l’arrêt attaqué [du 1er février 2010] :

-que le demandeur n’a consenti aucune déclaration auto-accusatrice pendant sa garde à vue ;

-qu’avant sa première audition par la gendarmerie française, il a renoncé expressément à l’assistance d’un avocat telle que prévue par l’article 63-4 du Code de procédure pénale français ;

-que l’intéressé a été assisté d’un avocat dès sa comparution devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Douai et pendant les deux années de sa détention préventive ;

-que le demandeur n’a jamais été contraint de s’incriminer lui-même mais s’est toujours exprimé librement.

La cour d’assises a, dès lors, légalement refusé de dire les poursuites irrecevables. »

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A.  La situation législative antérieure à la loi Salduz de 2011

49.  À l’époque des faits de l’espèce, la place de l’avocat lors de l’arrestation et durant la phase d’instruction ainsi que les garanties entourant les auditions, les interrogatoires et d’autres actes d’instruction se présentaient comme suit.

1.  L’arrestation et le placement en détention préventive

50.  L’article 12, alinéa 3, de la Constitution prévoyait que nul ne peut être privé de liberté plus de vingt-quatre heures à compter de son arrestation, sans qu’il y ait eu l’intervention d’un juge. Depuis, ce délai a été étendu à quarante-huit heures par une révision de l’article 12 de la Constitution du 24 octobre 2017.

51.  L’individu contre lequel il existe des soupçons sérieux laissant présumer qu’il a commis une infraction peut être privé de sa liberté et placé en détention préventive. Cette dernière est régie par la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive.

52.  Au moment de l’arrestation, il doit être dressé un procès-verbal mentionnant l’heure et les circonstances de l’arrestation, la décision et les mesures prises par le procureur du Roi, la manière dont elles ont été communiquées, ainsi que l’heure précise de la notification à l’intéressé de la décision d’arrestation (articles 1er et 2 de la loi relative à la détention préventive).

53.  Au cours de ce délai de vingt-quatre heures, l’intéressé subissait en principe une audition par les fonctionnaires de police et un premier interrogatoire par le juge d’instruction à l’issue duquel un mandat d’arrêt pouvait être décerné. La disposition imposant au juge d’instruction de mener ce premier interrogatoire est l’article 16 § 2 de la loi relative à la détention préventive qui était ainsi formulé avant sa modification par la loi Salduz (voir paragraphes 72-77, ci-dessous) :

« § 2.  Sauf si l’inculpé est fugitif ou latitant, le juge d’instruction doit, avant de décerner un mandat d’arrêt, interroger l’inculpé sur les faits qui sont à la base de l’inculpation et qui peuvent donner lieu à la délivrance d’un mandat d’arrêt et entendre ses observations. A défaut de cet interrogatoire, l’inculpé est mis en liberté.

Il doit également informer l’inculpé de la possibilité qu’un mandat d’arrêt soit décerné à son encontre, et l’entendre en ses observations à ce sujet. A défaut de respect de ces conditions, l’inculpé est mis en liberté.

(...) »

54.  Il était déduit du silence des dispositions précitées de la loi relative à la détention préventive ainsi que du secret de l’information et de l’instruction (résultant de l’article 28quinquies, § 1er, alinéa 1er du CIC) que la présence d’un avocat était exclue aux côtés de la personne arrêtée pendant le délai de vingt-quatre heures. La personne arrêtée n’avait pas non plus le droit de consulter un avocat ; le droit de communiquer librement avec un avocat ne lui étant reconnu qu’à l’issue du premier interrogatoire par le juge d’instruction qui devait avoir lieu pendant ce délai de vingt-quatre heures (voir paragraphe 55, ci-dessous).

2.  La phase de l’instruction judiciaire

55.  L’article 20 de la loi relative à la détention préventive sur lequel reposait le droit de consulter un avocat et de communiquer librement avec lui était ainsi formulé dans ses parties pertinentes avant sa modification par la loi Salduz :

« § 1.  Immédiatement après la première audition [sic], l’inculpé peut communiquer librement avec son avocat.

(...)

§ 5.  La décision du juge d’instruction portant restriction des visites, de la correspondance et des communications téléphoniques ne modifie pas les droits de l’inculpé en ce qui concerne ses possibilités de contact avec son avocat.

(...) »

56.  Figurant dans le chapitre III de la loi relatif au « mandat d’arrêt » délivré par le juge d’instruction, cette disposition se référait, non pas à la première audition par la police, mais au premier interrogatoire par le juge d’instruction.

57.  Au cours de ce premier interrogatoire, le juge d’instruction était tenu d’informer l’inculpé qu’il avait le droit de choisir un avocat. Si l’inculpé ne faisait pas le choix d’un avocat, le juge d’instruction en informait le bâtonnier de l’ordre des avocats ou son délégué (article 16 § 4 de la loi relative à la détention préventive).

58.  La libre communication consistait pour l’avocat principalement à rendre visite au client à la prison, à lire le dossier d’instruction mis à la disposition de l’inculpé et du conseil pendant deux jours avant les audiences (article 21 § 3 de la loi relative à la détention préventive) et à assister mensuellement le client devant la chambre du conseil du tribunal de première instance pour y discuter des indices sérieux de culpabilité et/ou de la nécessité de maintenir l’inculpé en détention (article 22 alinéa 4 de la loi). En effet, au plus tard cinq jours après la délivrance du mandat d’arrêt et, ensuite, de mois en mois, et dans le cas de faits graves de trois mois en trois mois (article 22 alinéa 1er et 2 de la loi), la chambre du conseil compétente statue sur la nécessité de maintenir l’inculpé en détention. Lors de ce débat, l’inculpé est assisté de son avocat et a le droit de solliciter du juge d’instruction l’exécution de devoirs complémentaires (article 61quinquies, § 1, du CIC).

59.  Le droit de communiquer avec son avocat n’impliquait pas que celui-ci puisse assister aux auditions et interrogatoires ultérieurs durant la phase de l’instruction ni à l’exécution d’aucun autre acte d’instruction telle une reconstitution ou une confrontation. La Cour de cassation considérait en effet que le secret imposé par les articles 28quinquies, § 1er, alinéa 1er, et 57, § 1er, alinéa 1er, du CIC, faisait obstacle, en règle, à la présence de l’avocat aux actes de l’information et de l’instruction préparatoire (voir, parmi d’autres, Cass. 26 mai 2010, dans l’affaire du requérant, paragraphe 48, ci-dessus).

60.  La principale exception était la possibilité pour l’avocat d’assister à l’interrogatoire récapitulatif devant le juge d’instruction prévue par l’article 22, alinéa, 2 de la loi relative à la détention préventive qui était ainsi formulé avant sa modification par la loi Salduz :

« Sur requête de l’inculpé ou de son conseil, le juge d’instruction convoque l’inculpé dans les dix jours qui précèdent chaque comparution en chambre du conseil ou en chambre des mises en accusation statuant sur renvoi conformément à l’article 31, § 4 pour un interrogatoire récapitulatif ; le greffier notifie immédiatement et par écrit ou par télécopieur la convocation au conseil de l’inculpé et au procureur du Roi, lesquels peuvent assister à cet interrogatoire. »

3.  Les formalités à respecter lors des auditions et interrogatoires

61.  L’article 16 § 7 de la loi relative à la détention préventive avant sa modification par la loi Salduz prévoyait que le procès-verbal du premier interrogatoire de l’inculpé par le juge d’instruction, ainsi que tous les procès‑verbaux d’audition de l’inculpé intervenus entre le moment de la privation de liberté et le moment où il était déféré au juge d’instruction, devaient mentionner les heures du début de l’audition ou de l’interrogatoire, du début et de la fin des éventuelles interruptions et de la fin de l’audition ou de l’interrogatoire. Au moment de la signification du mandat d’arrêt, une copie du procès-verbal de son interrogatoire par le juge d’instruction et une copie des autres pièces visées par l’article 16 § 7 précité étaient remises à l’inculpé conformément à l’article 18 § 2 de la loi relative à la détention préventive.

62.  L’article 47bis du CIC fixe, par ailleurs, certaines règles à respecter pour le déroulement de toute audition et la rédaction du procès-verbal au cours de la phase d’information, par le procureur du Roi ou les services de police. En vertu de l’article 70bis du CIC, les mêmes règles s’appliquent aux interrogatoires menés au cours de la phase d’instruction, notamment par le juge d’instruction.

63.  Avant sa modification par la loi Salduz, l’article 47bis du CIC se lisait comme suit :

« Lors de l’audition de personnes, entendues en quelque qualité que ce soit, l’on respectera au moins les règles suivantes :

1.  Au début de toute audition, il est communiqué à la personne interrogée :

a)  qu’elle peut demander que toutes les questions qui lui sont posées et les réponses qu’elle donne soient actées dans les termes utilisés ;

b)  qu’elle peut demander qu’il soit procédé à tel acte d’information ou telle audition ;

c)  que ses déclarations peuvent être utilisées comme preuve en justice.

(...) »

64.  L’information expresse de la personne interrogée que ses déclarations pouvaient être utilisées comme preuve en justice était considérée comme une consécration indirecte du droit au silence par la législation belge. Le droit au silence n’était en effet pas prévu de façon explicite par le droit belge de l’époque bien que faisant partie des droits de la défense et participant, selon la Cour de cassation, d’un principe général de droit (Cass., 13 mai 1986, Pasicrisie, 1986-I, no 558).

65.  L’article 47bis du CIC prévoit également qu’à la fin de l’audition, le texte de l’audition est donné en lecture à la personne interrogée, à moins que celle-ci ne demande que lecture lui en soit faite. Il lui est demandé si ses déclarations ne doivent pas être corrigées ou complétées. La personne entendue est libre de signer sa déclaration ou de refuser de le faire ; elle peut demander de l’écrire elle-même et exiger que ce document soit joint au procès-verbal.

B.  L’évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation après l’arrêt Salduz

66.  Postérieurement à l’arrêt Salduz, la Cour de cassation a, à plusieurs reprises, été conduite à examiner – dans le cadre du contentieux de la détention préventive comme dans celui du contentieux concernant le bien‑fondé de l’action publique – le moyen tiré d’une violation de l’article 6 §§ 1 ou 3 c) de la Convention résultant du fait que le suspect n’avait pas bénéficié de l’assistance d’un avocat durant sa garde à vue et pendant son audition par la police ou par le juge d’instruction.

67.  La Cour de cassation considérait que, si le droit belge ne prévoyait pas l’assistance d’un avocat aux côtés du suspect dès que celui-ci était privé de liberté, cela ne donnait pas automatiquement lieu à une violation du droit à un procès équitable. Selon elle, cette restriction devait être appréciée au regard de l’ensemble de la procédure et des garanties légales fournies par ailleurs à l’inculpé pour assurer le respect de ses droits de la défense dès l’engagement de l’action publique. À cet égard, elle se référait en particulier aux garanties suivantes prévues par le droit belge :

−        les formalités imposées pour l’audition du suspect par l’article 47bis du CIC,

−        la brièveté du délai constitutionnel de garde à vue (article 12, alinéa 3, de la Constitution),

−        la remise immédiate à l’inculpé, au moment de la signification du mandat d’arrêt, des procès-verbaux de son audition,

−        le droit de l’inculpé de communiquer sur-le-champ avec son avocat, après sa première audition par le juge d’instruction,

−        l’accès au dossier avant la comparution devant la juridiction d’instruction,

−        la présence de l’avocat à l’interrogatoire récapitulatif.

68.  La Cour de cassation vérifiait alors in concreto si le suspect avait fait des déclarations auto-incriminantes sans l’assistance d’un avocat pendant les premiers auditions et interrogatoires, si celles-ci avaient été utilisées par les juges du fond pour déclarer l’accusé coupable, et plus généralement, si l’absence initiale du bénéfice de l’assistance d’un avocat avait porté atteinte au déroulement équitable du procès au regard de l’ensemble de la procédure.

69.  Ainsi, par un arrêt du 5 mai 2010, la Cour de cassation se déclara prête, à l’occasion du premier pourvoi contre un arrêt de condamnation au fond d’un prévenu, à examiner « si les auditions [de l’inculpé], effectuées hors la présence de l’avocat par la police judiciaire fédérale [...] et par le juge d’instruction [...], ont eu une incidence quelconque sur le déroulement du procès » (Cass. 5 mai 2010, P.10.0257.F ; voir également : Cass. 26 mai 2010, dans l’affaire du requérant, paragraphe 48, ci-dessus, et Cass. 22 juin 2010, P.10.0872.N).

70.  Par un arrêt du 15 décembre 2010 (P.10.0914.F), la Cour de cassation cassa, pour la première fois, pour violation de l’article 6 de la Convention, une décision du juge du fond retenant des déclarations auto‑accusatrices faites à la police au cours d’une garde à vue sans que l’intéressé ait eu l’occasion de bénéficier de l’assistance d’un avocat. En réponse au moyen soulevé par le demandeur, qui faisait grief à l’arrêt attaqué de le condamner en se référant notamment aux déclarations qu’il avait faites durant ses interrogatoires par les enquêteurs et le juge d’instruction au cours du délai de vingt-quatre heures ayant suivi sa privation de liberté, la Cour de cassation souligna notamment ce qui suit :

« Le droit à un procès équitable, consacré par l’article 6 § 1 de la Convention (...), implique que la personne arrêtée ou mise à la disposition de la justice bénéficie de l’assistance effective d’un avocat au cours de l’audition de police effectuée dans les vingt-quatre heures de sa privation de liberté, sauf à démontrer, à la lumière des circonstances particulières de l’espèce, qu’il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit.

En tant qu’il n’autorise cet accès à l’avocat qu’après la première audition par le juge d’instruction, l’article 20 § 1er de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive doit être tenu pour contraire à l’article 6 de la Convention.

L’équité d’un procès pénal s’apprécie par rapport à l’ensemble de la procédure, en recherchant si les droits de la défense ont été respectés, en examinant si la personne poursuivie a eu la possibilité de contester l’authenticité des preuves et de s’opposer à leur utilisation, en vérifiant si les circonstances dans lesquelles les éléments à charge ont été obtenus jettent le doute sur leur crédibilité ou leur exactitude, et en évaluant l’influence de l’élément de preuve obtenu irrégulièrement sur l’issue de l’action publique.

Il ressort des pièces de la procédure que le demandeur a contesté, devant les juges du fond, les préventions de viols et d’attentats à la pudeur mises à sa charge et dont le premier défendeur a soutenu avoir été l’objet alors que, mineur d’âge, il ne pouvait consentir légalement aux actes sexuels ainsi qualifiés.

Pour asseoir leur conviction quant à la culpabilité du demandeur, les juges d’appel ont relevé notamment que, jusqu’à sa mise en liberté par le juge d’instruction, le suspect avait progressivement avoué les faits décrits par le plaignant avant de tout remettre en cause et de solliciter son acquittement devant la juridiction de jugement.

L’arrêt explique ce revirement en considérant (...) que le demandeur n’a probablement pas perçu la portée pénale des actes dont il avait admis l’existence, ignorant que la qualification de viol s’applique aussi à la pénétration par voie orale.

Il y va donc de la déclaration d’un suspect qui, en garde à vue sans avocat, s’incrimine lui-même à défaut de posséder les connaissances juridiques qui lui auraient permis de mesurer autrement ses propos.

Les aveux du demandeur et le motif de leur rétractation justifient, selon l’arrêt, qu’il ne soit pas ajouté foi à ses affirmations d’après lesquelles les accusations portées contre lui ne relèvent que de l’affabulation.

Des déclarations auto-accusatrices faites à la police dans les vingt-quatre heures de la privation de liberté par un suspect qui, en l’absence de conseil, a pu, selon les juges d’appel, ne pas appréhender les conséquences juridiques de ses dires, ont dès lors été prises en compte par eux pour conclure à la crédibilité de la plainte et, de là, au bien‑fondé de la poursuite.

Ainsi motivée, la décision viole l’article 6 de la Convention. »

71.  Enfin, il y a lieu de relever que par un arrêt du 31 octobre 2017 (P.17.0255.N), la Cour de cassation a considéré que pour mesurer l’impact de l’absence d’un avocat lors d’auditions pendant l’instruction de l’affaire (auditions ayant eu lieu en 2010, donc après l’arrêt Salduz, mais avant la loi Salduz de 2011), le juge du fond devait prendre en compte une liste non exhaustive de facteurs que la Cour énumère et qui sont ceux mentionnés dans l’arrêt Ibrahim et autres c. Royaume-Uni ([GC], nos 50541/08 et 3 autres, § 274, 13 septembre 2016).

C.  La loi Salduz et la loi Salduz bis

72.  Le droit interne a été réformé dans un premier temps par la loi du 13 août 2011 modifiant le CIC et la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive, entrée en vigueur le 1er janvier 2012 (dite « loi Salduz »). Il a ensuite été modifié par la loi du 21 novembre 2016 relative à certains droits des personnes soumises à un interrogatoire, entrée en vigueur le 27 novembre 2016 (dite « loi Salduz bis »). Cette dernière loi transpose en droit interne la directive 2013/48/UE du Parlement européen et du Conseil relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives au mandat d’arrêt européen, au droit d’informer un tiers dès la privation de liberté et au droit des personnes privées de liberté de communiquer avec des tiers et avec les autorités consulaires (JO 2013, L 294, p. 1, voir paragraphe 82, ci‑dessous).

73.  Selon l’article 47bis § 2 du CIC, tel que remplacé par la loi Salduz, toute personne interrogée en tant que suspect, pour autant que les faits qui peuvent lui être imputés concernent une infraction dont la sanction peut donner lieu à la délivrance d’un mandat d’arrêt, a le droit, avant la première audition, de se concerter confidentiellement avec un avocat. La loi Salduz bis a ajouté la possibilité pour le suspect de se faire assister par un avocat pendant l’audition.

74.  L’article 47bis § 2 du CIC, tel que remplacé par la loi Salduz, prévoit qu’avant qu’il ne soit procédé à l’audition d’un suspect, il lui est communiqué que ses déclarations peuvent être utilisées comme preuve en justice, et qu’il ne peut être contraint de s’accuser lui-même. La loi Salduz bis a ajouté que le suspect a le choix, après avoir décliné son identité, de faire une déclaration, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire.

75.  Pour les personnes privées de leur liberté, l’article 2bis de la loi relative à la détention préventive, inséré par la loi Salduz, prévoit l’organisation par les autorités policières ou judiciaires de l’exercice du droit de la personne arrêtée de se concerter préalablement avec un avocat de son choix ou désigné par le barreau dans le cadre d’une permanence des avocats.

76.  Selon cette même disposition, les personnes privées de leur liberté ont en outre le droit d’être assistées d’un avocat lors de leurs auditions par la police ou par les autorités judiciaires pendant les vingt-quatre heures suivant leur arrestation.

77.  Le rôle de l’avocat pendant l’audition consiste à contrôler que les droits de son client pendant l’audition soient respectés. La loi Salduz bis étend ce rôle notamment à la possibilité pour l’avocat d’intervenir pour demander des actes d’instruction ou des clarifications ainsi que pour formuler des observations.

D.  La possibilité de réouverture du procès pénal

78.  En Belgique, l’article 442bis du CIC permet aux condamnés de solliciter auprès de la Cour de cassation la réouverture de la procédure à la suite d’un arrêt de la Cour constatant une violation de la Convention. Cette disposition est formulée ainsi :

« S’il a été établi par un arrêt définitif de la Cour européenne des droits de l’homme que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou des protocoles additionnels, (...), ont été violés, il peut être demandé la réouverture, en ce qui concerne la seule action publique, de la procédure qui a conduit à la condamnation du requérant dans l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme ou à la condamnation d’une autre personne pour le même fait et fondée sur les mêmes moyens de preuve. »

III.  ÉLÉMENTS PERTINENTS DE DROIT DE L’UNION EUROPÉENNE ET DE DROIT INTERNATIONAL

A.  Droit de l’Union européenne

1.  Le droit d’être informé

79.  Le 22 mai 2012 fut adoptée la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil relative au droit à l’information dans les procédures pénales (JO L 142, p. 1). Ainsi qu’il ressort des quatorzième et dix‑huitième considérants de la directive, celle-ci s’appuie sur les droits énoncés dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la « Charte »), et notamment ses articles 6, 47 et 48, en développant les articles 5 et 6 de la Convention tels qu’ils sont interprétés par la Cour. En outre, la directive établit explicitement le droit d’être informé de ses droits procéduraux, qui découle de la jurisprudence de la Cour (dix‑huitième considérant).

80.  En son article premier, la directive 2012/13/UE précise que le droit à l’information présente deux volets : l’information sur les droits procéduraux et l’information sur les chefs d’accusation. Aux termes de son article 2, paragraphe 1, elle s’applique dès le moment où la personne concernée est informée par les autorités compétentes d’un État membre qu’elle est soupçonnée d’avoir commis une infraction pénale ou qu’elle est poursuivie à ce titre. Cette personne doit recevoir rapidement des informations concernant, au minimum, les cinq droits procéduraux énumérés à l’article 3, paragraphe 1 de la directive, à savoir : le droit à l’assistance d’un avocat, le droit de bénéficier de conseils juridiques gratuits, le droit d’être informé des chefs d’accusation, le droit à l’interprétation et à la traduction, et le droit de garder le silence. L’article 8, paragraphe 2 dispose que les suspects doivent avoir le droit de contester, conformément au droit national, le défaut de communication des informations en question. La directive, dont les dispositions pertinentes n’ont pas encore fait l’objet d’une interprétation par la Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE »), n’indique pas quel sort réserver, dans toute procédure pénale ultérieure, aux éléments recueillis avant que le suspect ait été informé de ses droits procéduraux.

81.  La directive 2012/13, qui s’applique à tous les États membres de l’UE à l’exception du Danemark, devait être transposée au plus tard le 2 juin 2014.

2.  Le droit d’accès à un avocat

82.  La directive 2013/48/UE précitée définit des règles minimales concernant le droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et des procédures visant à exécuter un mandat d’arrêt européen. Elle favorise ainsi l’application de la Charte, et notamment de ses articles 4, 6, 7, 47 et 48, en s’appuyant sur les articles 3, 5, 6 et 8 de la Convention tels qu’ils sont interprétés par la Cour (douzième considérant). En se référant à la jurisprudence de la Cour, la directive 2013/48/UE explique dans son préambule que lorsqu’une personne autre qu’un suspect ou une personne poursuivie, notamment un témoin, se retrouve soupçonnée ou poursuivie, le droit de cette personne de ne pas contribuer à sa propre incrimination devrait être protégé et qu’elle a le droit de garder le silence. En pareil cas, l’interrogatoire par les autorités répressives devrait être suspendu immédiatement et n’être poursuivi que si la personne concernée a été informée qu’elle est un suspect ou une personne poursuivie et si elle est en mesure d’exercer pleinement les droits prévus dans la directive (vingt‑et‑unième considérant). En outre, les États membres devraient veiller à ce que les suspects ou les personnes poursuivies aient droit à la présence de leur avocat et à sa participation effective lors de leur interrogatoire par la police ou une autre autorité répressive ou judiciaire, y compris lors des audiences devant une juridiction (vingt-cinquième considérant).

83.  L’article 2, paragraphe 1 de cette directive prévoit que les droits énoncés dans celle-ci s’appliquent :

« aux suspects ou aux personnes poursuivies (...), dès le moment où ils sont informés par les autorités compétentes (...), par notification officielle ou par tout autre moyen, qu’ils sont soupçonnés ou poursuivis pour avoir commis une infraction pénale, qu’ils soient privés de liberté ou non. »

84.  L’article 3 de la directive 2013/48/UE, intitulé, « Le droit d’accès à un avocat dans le cadre de procédures pénales », est libellé comme suit :

« 1.  Les États membres veillent à ce que les suspects et les personnes poursuivies disposent du droit d’accès à un avocat dans un délai et selon des modalités permettant aux personnes concernées d’exercer leurs droits de la défense de manière concrète et effective.

2.  Les suspects ou les personnes poursuivies ont accès à un avocat sans retard indu. En tout état de cause, les suspects ou les personnes poursuivies ont accès à un avocat à partir de la survenance du premier en date des événements suivants :

a)  avant qu’ils ne soient interrogés par la police ou par une autre autorité répressive ou judiciaire ;

b)  lorsque des autorités chargées des enquêtes ou d’autres autorités compétentes procèdent à une mesure d’enquête ou à une autre mesure de collecte de preuves conformément au paragraphe 3, point c) ;

c)  sans retard indu après la privation de liberté ;

d)  lorsqu’ils ont été cités à comparaître devant une juridiction compétente en matière pénale, en temps utile avant leur comparution devant ladite juridiction.

3.  Le droit d’accès à un avocat comprend les éléments suivants :

a)  les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies aient le droit de rencontrer en privé l’avocat qui les représente et de communiquer avec lui, y compris avant qu’ils ne soient interrogés par la police ou par une autre autorité répressive ou judiciaire ;

b)  les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies aient droit à la présence de leur avocat et à la participation effective de celui-ci à leur interrogatoire. Cette participation a lieu conformément aux procédures prévues par le droit national, à condition que celles-ci ne portent pas atteinte à l’exercice effectif et à l’essence même des droits concernés. Dans le cas où l’avocat participe à un interrogatoire, le fait que cette participation ait eu lieu est consigné conformément à la procédure de constatation prévue par le droit de l’État membre concerné ;

c)  les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies aient droit au minimum à la présence de leur avocat lors des mesures d’enquête ou des mesures de collecte de preuves suivantes, lorsque ces mesures sont prévues par le droit national et si le suspect ou la personne poursuivie est tenu d’y assister ou autorisé à y assister :

i)  séances d’identification des suspects ;

ii)  confrontations ;

iii)  reconstitutions de la scène d’un crime.

4.  Les États membres s’efforcent de rendre disponibles des informations générales afin d’aider les suspects ou les personnes poursuivies à trouver un avocat.

Nonobstant les dispositions du droit national relatives à la présence obligatoire d’un avocat, les États membres prennent les dispositions nécessaires afin que les suspects ou les personnes poursuivies qui sont privés de liberté soient en mesure d’exercer effectivement leur droit d’accès à un avocat, à moins qu’ils n’aient renoncé à ce droit conformément à l’article 9.

(...)

6.  Dans des circonstances exceptionnelles et au cours de la phase préalable au procès pénal uniquement, les États membres peuvent déroger temporairement à l’application des droits prévus au paragraphe 3 dans la mesure où cela est justifié, compte tenu des circonstances particulières du cas d’espèce, sur la base d’un des motifs impérieux suivants :

a)  lorsqu’il existe une nécessité urgente de prévenir une atteinte grave à la vie, à la liberté ou à l’intégrité physique d’une personne ;

b)  lorsqu’il est impératif que les autorités qui procèdent à l’enquête agissent immédiatement pour éviter de compromettre sérieusement une procédure pénale. »

85.  L’article 12, paragraphe 2, consacré aux voies de recours, dispose que, sans préjudice des règles et régimes nationaux concernant l’admissibilité des preuves, les États membres veillent à ce que, dans le cadre des procédures pénales, les droits de la défense et l’équité de la procédure soient respectés lors de l’appréciation des déclarations faites par des suspects ou des personnes poursuivies ou des éléments de preuve obtenus en violation de leur droit à un avocat, ou lorsqu’une dérogation à ce droit a été autorisée conformément à l’article 3, paragraphe 6 précité.

86.  La directive 2013/48/UE, qui s’applique à tous les États membres de l’UE sauf le Danemark, le Royaume-Uni et l’Irlande, devait être transposée au plus tard le 27 novembre 2016.

B.  Droit international et droit comparé

87.  L’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 (« le Pacte ») garantit le droit à un procès équitable. L’article 14, § 3 (d) prévoit notamment que toute personne accusée d’une infraction pénale a droit, en pleine égalité, à être présente au procès et à se défendre elle-même ou à avoir l’assistance d’un défenseur de son choix ; si elle n’a pas de défenseur, à être informée de son droit d’en avoir un, et, chaque fois que l’intérêt de la justice l’exige, à se voir attribuer d’office un défenseur, sans frais, si elle n’a pas les moyens de le rémunérer.

88.  Dans un certain nombre d’affaires, le Comité des droits de l’homme a conclu à une violation de l’article 14 § 3 d) du Pacte en raison de l’absence d’information de l’accusé quant à son droit à l’assistance d’un avocat (voir, par exemple, Saidova c. Tadjikistan, 2004, 964/2001, et Khoroshenko c. Fédération de Russie, 2011, 1304/2004).

89.  Pour le surplus, la Cour se réfère aux autres éléments de droit international et de droit comparé qui sont énoncés dans l’arrêt Ibrahim et autres (précité, §§ 218-233).

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 §§ 1 ET 3 c) DE LA CONVENTION

90.  Le requérant allègue que le fait d’avoir été privé de son droit d’accès à un avocat pendant sa garde à vue et ce, sans information suffisante quant à son droit de garder le silence et de ne pas témoigner contre lui-même, ainsi que le défaut de présence d’un avocat lors des auditions, des interrogatoires et des autres actes de l’instruction qui ont suivi pendant la phase d’instruction ont emporté violation de son droit à un procès équitable garanti par l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention. Ces dernières dispositions sont ainsi libellées :

« 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)

(...)

3.  Tout accusé a droit notamment à :

(...)

c)  se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ; »

A.  Sur la recevabilité

91.  Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B.  Sur le fond

1.  Thèses des parties

a)  Thèse du requérant

92.  Le requérant se plaint que lorsqu’il a été entendu lors de sa garde à vue le 31 décembre 2007 par les services de la police belge puis par le juge d’instruction, aucun avocat n’était présent. La circonstance qu’il ait été assisté par un avocat pendant la procédure en France ne saurait porter à conséquence, selon lui, étant donné qu’elle portait sur l’exécution du mandat d’arrêt européen et non sur les faits qui lui étaient reprochés en Belgique. Se référant à la jurisprudence de la Cour, notamment les arrêts Salduz c. Turquie ([GC] (no 36391/02, CEDH-2008) et Dayanan c. Turquie (no 7377/03, 13 octobre 2009), il fait valoir que l’absence de l’avocat à ce stade de la procédure résultait de l’application de la loi belge qui, à l’époque de la procédure menée contre lui, ne respectait pas les exigences de cette jurisprudence en ce qu’elle ne permettait pas, en raison du secret de l’instruction, l’assistance par un avocat d’une personne privée de liberté jusqu’à la décision du juge d’instruction relative à la détention préventive.

93.  L’article 47bis du CIC ne prévoyant pas la communication au suspect de son droit de garder le silence, il a résulté du défaut d’un avocat au cours de l’audition et durant l’interrogatoire du 31 décembre 2007 que le requérant n’a pas été suffisamment informé sur son droit de garder le silence et de celui de ne pas témoigner contre lui-même. Compte tenu de ses faibles capacités intellectuelles, il n’a pu, seul, déduire ce droit au silence de l’avertissement qui lui aurait été fait que ses déclarations pouvaient être utilisées comme pièces en justice. De plus, si le requérant a effectivement signé l’audition reprenant l’avertissement selon lequel ses déclarations pouvaient être utilisées comme preuve en justice, en l’absence d’un avocat, il n’y a aucune garantie que cet avertissement lui a bien été lu avant l’audition.

94.  Certes la jurisprudence de la Cour de cassation belge a évolué dans un sens favorable et a tenu compte des enseignements de l’arrêt Salduz. Le requérant souligne toutefois que la Cour de cassation n’est jamais parvenue à la conclusion que la législation en soi emportait violation du droit à un procès équitable. De plus, ce n’est qu’à partir de l’arrêt du 15 décembre 2010 (voir paragraphe 70, ci-dessus), donc postérieurement à la procédure menée contre le requérant, que la Cour de cassation a sanctionné les juridictions du fond qui se basaient sur des déclarations auto‑incriminantes faites lors des premiers interrogatoires sans la présence d’un avocat.

95.  Selon le requérant, aucune circonstance impérieuse n’existait, ni même n’a été invoquée, pour le priver du droit de se faire assister d’un avocat. La restriction au droit à l’accès à l’avocat était la norme à l’époque en Belgique et a perduré pendant toute l’instruction. Aucune appréciation individuelle n’a été faite en l’espèce et aucun besoin urgent de prévenir une atteinte grave à la vie, à la liberté ou à l’intégrité physique d’une personne n’était en jeu.

96.  Ainsi que la Cour l’a encore souligné dans l’arrêt Ibrahim et autres c. Royaume-Uni ([GC], nos 50541/08 et 3 autres, § 265, 13 septembre 2016), l’absence de raisons impérieuses entraîne une présomption de violation de l’article 6. En l’absence de notification du droit au silence et à ne pas témoigner contre soi-même, il est encore plus difficile pour le Gouvernement de lever cette présomption (ibidem, § 273).

97.  De l’avis du requérant, le constat d’une restriction d’origine législative ayant une portée générale et obligatoire devrait suffire, sur la base de la jurisprudence précitée, à conclure à un manquement aux exigences de l’article 6, et ce même si la personne suspectée a nié les faits ou fait usage de son droit au silence. Il souligne que cette approche a été suivie par la Cour dans plusieurs affaires (Bouglame c. Belgique, (déc.), no 16147/08, 2 mars 2010, Simons c. Belgique, (déc.), no 71407/10, 28 août 2012, Navone et autres c. Monaco, nos 62880/11 et 2 autres, 24 octobre 2013, et Borg c. Malte, no 37537/13, 12 janvier 2016).

98.  Si l’arrêt Ibrahim et autres prévoit la possibilité pour le gouvernement défendeur d’expliquer de façon convaincante en quoi la restriction à l’accès à l’assistance d’un avocat n’a pas porté une atteinte irrémédiable à l’équité globale du procès, cette possibilité ne peut être, dans l’hypothèse d’une restriction découlant de la législation, qu’exceptionnelle au vu des circonstances particulières du cas d’espèce.

99.  Le requérant fait valoir, à titre accessoire, que la restriction à l’accès à un avocat a vicié l’équité de la procédure menée contre lui dans son ensemble. Cette conclusion résulte de l’examen de plusieurs des critères énumérés par l’arrêt Ibrahim et autres. Tout d’abord, le requérant soutient qu’il était en état de vulnérabilité. Celle-ci résultait du fait de sa détention et était aggravée par des aptitudes verbales extrêmement faibles. Il y a ensuite lieu de tenir compte que des dénégations et des déclarations fluctuantes, comme en l’espèce, peuvent peser à charge notamment lorsqu’elles sont prises en compte pour relever que le suspect a changé de version. De plus, le juge d’instruction ayant ordonné en fin d’interrogatoire le 31 décembre 2007 qu’un médecin psychiatre soit requis, le requérant s’interroge sur le point de savoir s’il était effectivement en état de subir des interrogatoires. Il fait en outre valoir que s’il est vrai que les motifs de l’arrêt de condamnation ne reprennent pas en tant que telles ses déclarations, les différents auditions et interrogatoires qu’il a subis sont abondamment citées par l’acte d’accusation, pièce maîtresse de la procédure qui est lue aux jurés dès l’ouverture de la session d’assises, et leur est distribuée. Plusieurs affirmations du jury résultent de ses déclarations, notamment celles selon lesquelles il a dit savoir que C.L. était enceinte et qu’il l’avait frappée. Enfin, il y a lieu, selon le requérant, de relever dans le procès-verbal de l’audience du 1er février 2010 que le Président de la cour d’assises n’a énoncé aucune mise en garde au jury quant au poids à attribuer aux différentes déclarations du requérant dans le cadre de leur délibéré.

b)  Thèse du Gouvernement

100.  Le Gouvernement reconnaît qu’en vertu de l’état du droit belge à l’époque des faits, le requérant n’a pas pu consulter un avocat pendant sa garde à vue et n’a pas bénéficié de sa présence physique au cours des auditions et interrogatoires qui ont suivi, ni durant la reconstitution des faits. Il ne saurait toutefois en être déduit automatiquement que la procédure du requérant n’a pas été équitable. Il convient en effet d’évaluer l’équité de la procédure dans son ensemble conformément à la méthode et à la jurisprudence de la Cour qui, telle que rappelée dans l’arrêt Ibrahim et autres, énonce que le droit à l’assistance d’un avocat n’est pas une fin en soi.

101.  En l’espèce cela implique tout d’abord de vérifier la procédure dès les premiers stades de celle-ci, le point de départ des garanties énumérées à l’article 6 étant, selon le Gouvernement, l’arrestation du requérant par les autorités françaises. Or, il faut constater que le requérant a bénéficié immédiatement, lors de son arrestation par la gendarmerie française, de la possibilité que lui offrait le droit français de se faire assister par un avocat lors de sa garde à vue. Le fait que le droit belge ne reconnaissait pas cette possibilité au moment des faits importe donc peu. De plus, la circonstance que le requérant ait renoncé explicitement à l’assistance d’un avocat lors de son arrestation par les autorités françaises permet d’écarter une éventuelle atteinte au droit d’accès à un avocat (Simeonovi c. Bulgarie [GC], no 21980/04, § 128, 12 mai 2017 (extraits)). Le requérant s’est ensuite fait assister par un avocat dès qu’il en a fait la demande auprès des autorités françaises.

102.  La seule interruption dans l’assistance juridique continue dont a bénéficié le requérant depuis son arrestation en France concerne la période entre l’audition et l’interrogatoire du 31 décembre 2007 à la suite de sa remise aux autorités belges, quand il avait cessé d’être conseillé par l’avocat français, et le moment où il s’est référé à un avocat belge. Le Gouvernement reconnaît qu’une incertitude existe quant au point de savoir si le requérant était conseillé par ce nouvel avocat au moment de l’audition du 11 janvier 2008. Toutefois, il est certain qu’à l’issue de la garde à vue le 31 décembre 2007, le juge d’instruction s’est mis en contact avec le bâtonnier pour la désignation d’un avocat. Ensuite et tout au long de sa détention préventive, le requérant s’est vu, conformément au droit belge de l’époque, reconnaître un usage illimité du droit de se concerter confidentiellement avec un avocat pour préparer ses interrogatoires et mettre au point sa défense.

103.  Pour démontrer que la procédure suivie a été équitable en dépit de l’éventuelle insuffisance des garanties lors des premières phases du procès, le Gouvernement souligne premièrement que le requérant avait manifestement connaissance de ses droits quand il est arrivé devant les autorités belges. Il leur a présenté une version des faits construite et une stratégie de défense consistant à plaider son innocence et à contester tous les chefs d’accusation retenus alors. Cela résulte du fait qu’il avait bénéficié de l’assistance d’un avocat en France préalablement à sa remise et qu’il avait déjà eu affaire à la justice belge. Il ne faut pas non plus perdre de vue que l’audition et l’interrogatoire menés durant la garde à vue le 31 décembre 2007 servaient essentiellement à déterminer si la détention du requérant répondait à une absolue nécessité pour la sécurité publique justifiant la délivrance d’un mandat d’arrêt. Partant, compte tenu de la gravité des faits reprochés, il y a lieu de considérer que la présence d’un avocat n’aurait rien changé aux conséquences de ces rencontres.

104.  De plus, comme en attestent les procès-verbaux de chaque audition et interrogatoire, le requérant a été informé de ses droits conformément à l’article 47bis du CIC, et dès ses premières déclarations, a fait un large usage de son droit au silence notamment du droit de se taire, de mentir, de sélectionner ou de cacher des faits. Il a également été informé de la possibilité de produire des preuves et a fait usage de son droit de demander des devoirs d’instruction supplémentaires. Il ne peut d’ailleurs être observé aucune corrélation, positive ou négative, entre la version des faits adoptée par le requérant à tel ou tel moment et son assistance par un avocat.

105.  Le Gouvernement fait valoir deuxièmement qu’à la seule exception d’avoir soustrait une pièce du dossier pénal lors de l’interrogatoire du 17 mars 2008, le requérant n’a jamais tenu de propos auto-incriminant. Cet élément est déterminant pour juger de l’équité globale de la procédure. De plus, il résulte de l’arrêt de renvoi de la chambre des mises en accusation du 31 août 2009 et de l’arrêt de condamnation de la cour d’assises du 10 février 2010 que les indices de culpabilité retenus contre le requérant résultaient avant tout des déclarations des témoins, des constatations des enquêteurs, d’éléments matériels recueillis et de considérations médico-légales et psychiatriques et que ses déclarations n’ont pas été utilisées contre lui par les juridictions de jugement.

106.  Troisièmement, il résultait de la jurisprudence constante de la Cour de cassation, antérieure et postérieure à l’arrêt prononcé à l’égard du requérant, une règle d’exclusion consistant pour la juridiction suprême à casser systématiquement les jugements de condamnation fondés sur des déclarations auto-incriminantes faites en l’absence d’un avocat. La Cour de cassation n’a en effet pas attendu que le législateur eût modifié le cadre légal belge pour intégrer la jurisprudence Salduz et, considérant que la restriction à l’accès à un avocat devait être évaluée au regard de l’ensemble de la procédure, contrôlait que les déclarations auto-incriminantes faites en l’absence d’un avocat ne puissent être utilisées par le juge du fond pour condamner l’intéressé. Si la Cour de cassation n’a pas cassé les arrêts de la cour d’assises en l’espèce, ce n’est qu’après avoir examiné toute la situation et constaté que le droit du requérant à un procès équitable n’avait pas été mis en péril par l’application de la loi belge. La condamnation du requérant s’est en effet principalement fondée sur d’autres éléments que ses déclarations.

107.  Enfin, outre que le requérant ne peut se prévaloir d’aucune vulnérabilité particulière ni d’aucune pression exercée sur lui par les policiers, il a bénéficié de nombreuses autres garanties énoncées par la Cour de cassation dans son arrêt du 26 mai 2010 dont l’impact concret tout au long de son procès est évident selon le Gouvernement. Le droit de recevoir copie des pièces du dossier lui a permis d’organiser et de construire au mieux sa défense, en concertation illimitée avec son avocat ; les copies systématiques des auditions permettaient au requérant de s’en tenir à sa version des faits, pourtant en contradiction avec celle des témoins ; l’instruction a été placée sous le contrôle de la chambre des mises en accusation qui pouvait être saisie par le requérant pour en contester la légalité à tout moment. À cela s’ajoute que toutes les décisions et tous les mandats prononcés contre le requérant étaient parfaitement motivés et qu’il a également bénéficié des garanties de procédure entourant le procès en assises.

2.  Le tiers intervenant

108.  Fair Trials International (« FTI ») est d’avis que la présente affaire est l’occasion pour la Cour de clarifier son approche sur plusieurs points.

109.  Premièrement, quand il s’agit d’évaluer la conformité d’une interdiction législative « systémique » avec l’article 6 §§ 1 et 3 c), la Cour devrait clarifier le point de savoir si elle garde la ligne qui a été la sienne dans A.T. c. Luxembourg (no 30460/13, 9 avril 2015) et examine, au terme d’une appréciation de l’équité globale de la procédure, si les déclarations incriminantes, au sens large, obtenues sans l’assistance d’un avocat ont été utilisées pour la condamnation. Si tel devait être le cas, FTI est d’avis que, dans le respect du principe de subsidiarité, la Cour ne devrait procéder elle‑même à cet examen que si les juridictions internes ont, en dépit du droit national, identifié le problème et évalué sa conformité avec la Convention dans le cas d’espèce.

110.  Deuxièmement, en ce qui concerne l’utilisation des déclarations incriminantes, la Cour devrait profiter de la présente affaire pour réaffirmer que les droits de la défense subissent un préjudice irrémédiable dès lors que les preuves recueillies en l’absence d’un avocat – que la restriction soit d’origine législative ou non – ont eu une quelconque incidence sur la condamnation.

111.  Selon FTI, l’arrêt Ibrahim et autres rompt avec la ligne d’approche post‑Salduz en affirmant que, même dans les affaires caractérisées par une absence de raison impérieuse, il n’y a pas d’opposition de principe à ce que de telles déclarations soient prises en compte dans une condamnation, à condition que l’équité de la procédure n’ait pas globalement été affectée.

112.  FTI ne soutient pas cette approche plus souple. Selon FTI, elle va à contre-sens de l’évolution des systèmes juridiques intervenue en Europe après l’arrêt Salduz. La conséquence immédiate de l’arrêt Ibrahim et autres est de légitimer les situations tolérant l’utilisation de preuves obtenues sans l’assistance d’un avocat. De plus, l’application du test Ibrahim – qui prend la forme d’une appréciation matérielle discrétionnaire sur la base de dix facteurs non exhaustifs – ouvre la porte à une variété d’interprétations et de résultats comme en atteste l’absence de consensus dans l’arrêt de Grande Chambre dans l’affaire Simeonovi quant à l’équité de la procédure.

113.  Pour éviter cette perte de repères, la Cour pourrait réaffirmer que dans le cas où un examen de l’équité globale de la procédure fait apparaître qu’un lien, même ténu, existe entre l’absence d’un avocat et le résultat du procès, il y a lieu de considérer que la lacune initiale a été « cristallisée » et de constater une violation quelle que soit l’ampleur du préjudice porté à l’équité de la procédure dans son ensemble.

3.  Appréciation de la Cour

a)  Remarques préliminaires

114.  La Cour observe, à titre préalable, que la Grande Chambre s’est déjà prononcée à plusieurs reprises sur le droit d’accès à un avocat au sens de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention (voir récemment Dvorski c. Croatie [GC], no 25703/11, CEDH 2015, Ibrahim et autres et Simeonovi, précités).

115.  En l’espèce, ainsi que cela ressort des paragraphes 3 et 90, le requérant se plaint d’abord du défaut d’accès à un avocat lors de sa garde à vue et, ensuite, du fait que, même lorsqu’il a pu se concerter avec son avocat, ce dernier ne pouvait pas être présent lors des auditions et des interrogatoires ni lors de la reconstitution des faits.

116.  Les griefs du requérant visent des restrictions d’origine législative au droit d’accès à un avocat, la première restriction alléguée étant de la même nature que celle qui était en cause dans l’arrêt Salduz. Il est à rappeler que, s’agissant de ce dernier arrêt, la Grande Chambre a apporté des clarifications importantes relatives au droit d’accès à un avocat dans son arrêt Ibrahim et autres, même si la restriction en cause dans ladite affaire n’était pas de portée générale et obligatoire. La présente affaire permet donc à la Cour de préciser si ces clarifications sont d’application générale ou si, comme le prétend le requérant, le constat d’une restriction d’origine législative suffit à conclure à un manquement aux exigences de l’article 6 §§ 1 et 3 c).

117.  Cette affaire soulève également des questions relatives au contenu et à la portée du droit d’accès à un avocat. La Cour observe que, à la suite de l’arrêt Salduz, sa jurisprudence a évolué progressivement, les contours du droit d’accès à un avocat ayant été précisés en fonction des griefs et des circonstances des affaires dont elle a été saisie. Ainsi, la présente affaire donne l’occasion de rappeler les raisons pour lesquelles le droit d’accès à un avocat constitue un des aspects fondamentaux du droit à un procès équitable, d’apporter des précisions quant au type d’assistance juridique requis avant la première audition de police ou le premier interrogatoire par un juge. Elle permet aussi de clarifier le point de savoir si la présence physique de l’avocat est requise au cours des auditions, interrogatoires et autres actes d’instruction menés durant la garde à vue et la procédure antérieure à la phase de jugement (à savoir, en l’espèce, la phase d’instruction judiciaire).

118.  Ces questions seront examinées à la lumière des principes généraux rappelés ci-dessous.

b)  Principes généraux

i.  Applicabilité de l’article 6 sous son volet pénal

119.  La Cour rappelle que les garanties offertes par l’article 6 § 1 et 3 c) de la Convention, qui sont au cœur de la présente affaire, s’appliquent à tout « accusé » au sens autonome que revêt ce terme sur le terrain de la Convention. Il y a « accusation en matière pénale » dès lors qu’une personne se voit officiellement notifier, par les autorités compétentes, le reproche d’avoir commis une infraction pénale, ou que les actes effectués par celles-ci en raison des soupçons qui pèsent contre l’intéressé ont des répercussions importantes sur sa situation (Ibrahim et autres, précité, § 249, et Simeonovi, précité, §§ 110-111, et jurisprudence y citée).

ii.  Méthodologie générale suivie à l’égard de l’article 6 sous son volet pénal

120.  L’équité d’un procès pénal doit être assurée en toutes circonstances. Toutefois, la définition de la notion de procès équitable ne saurait être soumise à une règle unique et invariable mais elle est, au contraire, fonction des circonstances propres à chaque affaire (Ibrahim et autres, précité, § 250). Lorsqu’elle examine un grief tiré de l’article 6 § 1, la Cour doit essentiellement déterminer si la procédure pénale a globalement revêtu un caractère équitable (voir, parmi de nombreux précédents, Bykov c. Russie [GC], no 4378/02, §§ 94-105, 10 mars 2009, Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, §§ 84, et 93‑100, CEDH 2010, Al‑Khawaja et Tahery c. Royaume Uni [GC], nos 26766/05 et 22228/06, §§ 118, et 152-165, CEDH 2011, Dvorski, précité, §§ 81‑82, et 103‑113, Schatschaschwili c. Allemagne [GC], no 9154/10, §§ 101, et 161‑165, CEDH 2015, Blokhin c. Russie [GC], no 47152/06, §§ 194, et 211‑216, 23 mars 2016, Lhermitte c. Belgique [GC], no 34238/09, §§ 69, et 83‑85, 29 novembre 2016, Ibrahim et autres, précité, §§ 274, 280‑294, et 301 311, Correia de Matos c. Portugal [GC], no 56402/13, §§ 118, 120, et 160-168, 4 avril 2018).

121.  Ainsi que la Cour l’a relevé à maintes reprises, le respect des exigences du procès équitable s’apprécie au cas par cas à l’aune de la conduite de la procédure dans son ensemble et non en se fondant sur l’examen isolé de tel ou tel point ou incident, bien que l’on ne puisse exclure qu’un élément déterminé soit à ce point décisif qu’il permette de juger de l’équité du procès à un stade précoce. Pour apprécier l’équité globale d’un procès, la Cour prend en compte, s’il y a lieu, les droits minimaux énumérés à l’article 6 § 3, qui montre par des exemples ce qu’exige l’équité dans les situations procédurales qui se produisent couramment dans les affaires pénales. On peut donc voir dans ces droits des aspects particuliers de la notion de procès équitable en matière pénale contenue à l’article 6 § 1 (voir, par exemple, Salduz, précité, § 50, Al‑Khawaja et Tahery, précité, § 118, Dvorski, précité, § 76, Schatschaschwili, précité, § 100, Blokhin, précité, § 194, et Ibrahim et autres, précité, § 251).

122.  Ces droits minimaux garantis par l’article 6 § 3 ne sont toutefois pas des fins en soi : leur but intrinsèque est toujours de contribuer à préserver l’équité de la procédure pénale dans son ensemble (Ibrahim et autres, précité, §§ 251 et 262, et Correia de Matos, précité, § 120).

iii.  Droit d’accès à un avocat

123.  Le droit reconnu par l’article 6 § 3 c) à tout « accusé » d’être effectivement défendu par un avocat figure parmi les éléments fondamentaux du procès équitable (Salduz, précité, § 51, et Ibrahim et autres, précité, § 255).

α)  Point de départ du droit d’accès à un avocat

124.  Le point de départ du droit d’accès à un avocat en cas de privation de liberté ne fait pas de doute. Ce droit est applicable dès qu’il existe une « accusation en matière pénale » au sens donné à cette notion par la jurisprudence de la Cour (voir paragraphe 119, ci-dessus) et, en particulier, dès l’arrestation d’un suspect, indépendamment du fait que l’intéressé ait ou non été interrogé ou qu’il ait fait l’objet d’une autre mesure d’enquête pendant la période pertinente (Simeonovi, précité, §§ 111, 114 et 121).

β)  Objectifs poursuivis par le droit d’accès à un avocat

125.  L’accès à un avocat durant la phase préalable au procès contribue à la prévention des erreurs judiciaires et, surtout, à la réalisation des buts poursuivis par l’article 6, notamment l’égalité des armes entre l’accusé et les autorités d’enquête ou de poursuite (Salduz, précité, §§ 53‑54, Blokhin, précité, § 198, Ibrahim et autres, précité, § 255, et Simeonovi, précité, § 112).

126.  La Cour a reconnu à maintes reprises depuis l’arrêt Salduz que l’accès à bref délai à un avocat constitue un contrepoids important à la vulnérabilité des suspects en garde à vue. Un tel accès est également de nature préventive, offrant à ces derniers une protection essentielle contre la coercition et les mauvais traitements dont ils peuvent être l’objet de la part de la police (Salduz, précité, § 54, Ibrahim et autres, précité, § 255, et Simeonovi, précité, § 112).

127.  Elle a par ailleurs relevé que la vulnérabilité des suspects peut se trouver amplifiée par le fait que la législation en matière de procédure pénale tend à devenir de plus en plus complexe, notamment en ce qui concerne les règles régissant la collecte et l’utilisation des preuves (Salduz, précité, § 54, et Ibrahim et autres, précité, § 253).

128.  Enfin, l’une des tâches principales de l’avocat au stade de la garde à vue et de l’enquête consiste à veiller au respect du droit de tout accusé de ne pas s’incriminer lui-même (Salduz, précité, § 54, Dvorski, précité, § 77, et Blokhin, précité, § 198) et de garder le silence.

129.  À cet égard, la Cour a considéré comme inhérent au droit de ne pas témoigner contre soi-même, au droit de garder le silence et au droit d’accès à un avocat, le droit pour tout « accusé » au sens de l’article 6 d’être informé de ces droits, sans quoi la protection offerte par ces droits ne serait pas concrète et effective (Ibrahim et autres, précité, § 272, et Simeonovi, précité, § 119 ; la complémentarité de ces droits était déjà soulignée dans John Murray c. Royaume-Uni, 8 février 1996, § 66, Recueil des arrêts et décisions 1996-I, Brusco c. France, no 1466/07, § 54, 14 octobre 2010, et Navone et autres, précité, §§ 73‑74). Par conséquent, l’article 6 § 3 c) de la Convention doit être interprété comme garantissant le droit pour un accusé d’être informé immédiatement du contenu du droit à un avocat, indépendamment de l’âge ou de la situation particulière de l’intéressé, et indépendamment du point de savoir s’il est représenté par un avocat d’office ou un avocat de son choix (Simeonovi, précité, § 119).

130.  Compte tenu de la nature du droit de ne pas témoigner contre soi‑même et du droit de garder le silence, la Cour considère que, en principe, il ne peut y avoir de justification au défaut de signification de ces droits à un suspect. Toutefois, dans l’hypothèse où l’information a fait défaut, la Cour doit rechercher si, malgré cette lacune, la procédure dans son ensemble a été équitable. L’accès immédiat à un avocat à même de fournir des renseignements sur les droits procéduraux est vraisemblablement de nature à prévenir tout manque d’équité qui découlerait de l’absence de notification officielle de ces droits. Si l’accès à un avocat est retardé, la nécessité pour les enquêteurs de signifier au suspect son droit à un avocat et son droit de garder le silence et de ne pas témoigner contre soi-même prend une importance particulière (Ibrahim et autres, précité, § 273, et jurisprudence y citée).

γ)  Contenu du droit d’accès à un avocat

131.  L’article 6 § 3 c) ne précise pas les conditions d’exercice ni le contenu du droit d’accès à un avocat. S’il laisse aux États le choix des moyens propres à permettre à leur système judiciaire de le garantir, il convient de définir les contours et le contenu dudit droit en fonction du but poursuivi par la Convention qui est de protéger des droits concrets et effectifs (Öcalan c. Turquie [GC], no 46221/99, § 135, CEDH 2005‑IV, Salduz, précité, § 51, Dvorski, précité, § 80, et Ibrahim et autres, précité, § 272).

132.  La désignation d’un conseil n’assure pas à elle seule l’effectivité de l’assistance qu’il peut procurer à l’accusé (Öcalan, précité, § 135, Sakhnovski c. Russie [GC], no 21272/03, § 95, 2 novembre 2010, et M c. Pays-Bas, no 2156/10, § 82, 25 juillet 2017 (extraits)), laquelle suppose en effet le respect des exigences minimales suivantes.

133.  Premièrement, ainsi qu’il a déjà été dit ci-dessus (paragraphe 124), le suspect doit pouvoir entrer en contact avec son avocat dès sa privation de liberté. Cela implique que le suspect puisse consulter son avocat préalablement à un interrogatoire (Brusco, précité, § 54, et A.T. c. Luxembourg, précité, §§ 86‑87), voire en l’absence d’un interrogatoire (Simeonovi, précité, §§ 111 et 121). L’avocat doit pouvoir s’entretenir avec son client en privé et en recevoir des instructions confidentielles (Lanz c. Autriche, no 24430/94, § 50, 31 janvier 2002, Öcalan, précité, § 135, Rybacki c. Pologne, no 52479/99, § 56, 13 janvier 2009, Sakhnovski, précité, § 97, et M c. Pays‑Bas, précité, § 85).

134.  Deuxièmement, la Cour a jugé à plusieurs reprises que les suspects devaient bénéficier de la présence physique de leur avocat durant les auditions initiales menées par la police et durant les interrogatoires ultérieurs menés au cours de la procédure antérieure à la phase de jugement (Adamkiewicz c. Pologne, no 54729/00, § 87, 2 mars 2010, Brusco, précité, § 54, Mađer c. Croatie, no 56185/07, §§ 151 et 153, 21 juin 2011, Šebalj c. Croatie, no 4429/09, §§ 256-257, 28 juin 2011, et Erkapić c. Croatie, no 51198/08, § 80, 25 avril 2013). Cette présence doit permettre à l’avocat de fournir une assistance effective et concrète, et non seulement abstraite de par sa présence (A.T. c. Luxembourg, précité, § 87), et notamment de veiller à ce qu’il ne soit pas porté atteinte aux droits de la défense du suspect interrogé (John Murray, précité, § 66, et Öcalan, précité, § 131).

135.  La Cour a estimé, par exemple, qu’en fonction des circonstances spécifiques à chaque espèce et du système juridique concerné, les restrictions suivantes pouvaient compromettre l’équité de la procédure :

– le défaut ou les difficultés d’accès par l’avocat au dossier pénal aux stades de l’ouverture de la procédure pénale, de l’enquête et de l’instruction (Moïsseïev c. Russie, no 62936/00, §§ 217-218, 9 octobre 2008, Sapan c. Turquie, no 17252/09, § 21, 20 septembre 2011, et, a contrario, A.T. c. Luxembourg, précité, §§ 79-84) ;

– l’absence d’un avocat lors des mesures d’enquête telles qu’une parade d’identification (Laska et Lika c. Albanie, nos 12315/04 et 17605/04, § 67, 20 avril 2010) ou une reconstitution des faits (Savaş c. Turquie, no 9762/03, § 67, 8 décembre 2009, Karadağ c. Turquie, no 12976/05, § 47, 29 juin 2010, et Galip Doğru c. Turquie, no 36001/06, § 84, 28 avril 2015).

136.  Au-delà des éléments précités qui jouent un rôle crucial pour déterminer si l’accès à un avocat durant la phase préalable au procès a été concret et effectif, la Cour a indiqué qu’il fallait tenir compte, au cas par cas, dans le cadre de l’appréciation de l’équité globale de la procédure, de toute la gamme d’interventions propres au conseil : la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention (Hovanesian c. Bulgarie, no 31814/03, § 34, 21 décembre 2010, Simons, décision précitée, § 30, A.T. c. Luxembourg, précité, § 64, Adamkiewicz, précité, § 84, et Dvorski, précité, §§ 78 et 108).

iv.  Articulation entre la justification de la restriction au droit d’accès à un avocat et l’équité globale de la procédure

137.  Le principe selon lequel, en règle générale, tout suspect a le droit d’accès à un avocat dès son premier interrogatoire par la police a été formulé dans l’arrêt Salduz (précité, § 55) en ces termes :

« (...) pour que le droit à un procès équitable consacré par l’article 6 § 1 demeure suffisamment « concret et effectif » (...), il faut, en règle générale, que l’accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire d’un suspect par la police, sauf à démontrer, à la lumière des circonstances particulières de l’espèce, qu’il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit. Même lorsque des raisons impérieuses peuvent exceptionnellement justifier le refus de l’accès à un avocat, pareille restriction – quelle que soit sa justification – ne doit pas indûment préjudicier aux droits découlant pour l’accusé de l’article 6 (...). Il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d’un interrogatoire de police subi sans assistance possible d’un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation. »

138.  L’arrêt Salduz a également précisé que l’application sur une « base systématique », à savoir sur une base législative, d’une restriction au droit de se faire assister par un avocat durant la phase préalable au procès pénal ne pouvait constituer une raison impérieuse (ibidem, § 56). Malgré l’absence de raisons impérieuses, dans cette affaire, la Cour a néanmoins analysé les conséquences de l’admission des déclarations faites par l’accusé en l’absence d’un avocat sur l’équité globale de la procédure. Elle a considéré que cette lacune n’avait pas pu être compensée par les autres garanties procédurales prévues par le droit interne (ibidem, §§ 52 et 57‑58).

139.  Les étapes de l’analyse énoncées dans l’arrêt Salduz – examen de l’existence ou non de raisons impérieuses pour justifier la restriction au droit d’accès à un avocat, suivi par un examen de l’équité globale de la procédure – ont été suivies par les chambres de la Cour dans des affaires mettant en cause soit des restrictions d’origine législative ayant une portée générale et obligatoire, soit des restrictions résultant de décisions prises au cas par cas par les autorités compétentes.

140.  Dans quelques affaires, qui concernaient la Turquie, la Cour ne s’est toutefois pas interrogée sur l’existence de raisons impérieuses et n’a pas davantage procédé à un examen de l’équité de la procédure, mais a constaté que les restrictions systématiques du droit d’accès à un avocat entraînaient ab initio la violation de la Convention (voir, notamment, Dayanan, précité, § 33, et Boz c. Turquie, no 2039/04, § 35, 9 février 2010). Néanmoins, dans la majorité des affaires, la Cour a opté pour une approche moins absolue, procédant à un examen tantôt bref (voir, parmi d’autres, Çarkçı c. Turquie (no 2), no 28451/08, §§ 43-46, 14 octobre 2014), tantôt détaillé de l’équité globale de la procédure (voir, parmi d’autres, A.T. c. Luxembourg, précité, §§ 72‑75).

141.  Confrontée à une certaine divergence dans la démarche à suivre, la Cour a consolidé, dans l’arrêt Ibrahim et autres, le principe établi par l’arrêt Salduz, confirmant que cette démarche se déclinait en deux étapes et apportant certains éclaircissements sur chacune de ces deux étapes et sur la manière dont elles s’articulent (Ibrahim et autres, précité, §§ 257, et 258‑262).

α)  Notion de raisons impérieuses

142.  Le critère des « raisons impérieuses » est un critère strict, compte tenu du caractère fondamental et de l’importance d’un accès précoce des suspects à un avocat, en particulier lors de leur premier interrogatoire. Les restrictions au droit d’accès à un avocat ne sont permises que dans des cas exceptionnels, elles doivent être de nature temporaire et reposer sur une appréciation individuelle des circonstances particulières du cas d’espèce (Salduz, précité, §§ 54 in fine et 55, et Ibrahim et autres, précité, § 258). Les raisons impérieuses ne sauraient résulter de la seule existence d’une loi interdisant la présence d’un avocat. En effet, l’existence d’une restriction au droit d’accès à un avocat de portée générale et obligatoire, ayant son origine dans la loi, ne saurait dispenser les autorités nationales de procéder à une appréciation individuelle et circonstanciée d’éventuelles raisons impérieuses.

143.  La Cour a également précisé que dès lors qu’un gouvernement défendeur avait démontré de façon convaincante l’existence d’un besoin urgent de prévenir une atteinte grave à la vie, à la liberté ou à l’intégrité physique dans un cas donné, ce besoin pouvait s’analyser en une raison impérieuse de restreindre l’accès à un avocat aux fins de l’article 6 de la Convention (Ibrahim et autres, précité, § 259, et Simeonovi, précité, § 117).

β)  Équité de la procédure dans son ensemble et relation entre les deux étapes de l’analyse

144.  Dans l’arrêt Ibrahim et autres, la Cour a également confirmé que l’absence de raisons impérieuses ne suffit pas en elle-même à entraîner une violation de l’article 6. Qu’il y ait ou non des raisons impérieuses, il convient de statuer dans chaque cas sur le respect de l’équité globale de la procédure (précité, § 262). Ce dernier point revêt une importance particulière dans la présente affaire, dès lors que le requérant s’appuie sur une certaine lecture de la jurisprudence de la Cour relative au droit d’accès à un avocat (voir paragraphe 97, ci-dessus) selon laquelle l’origine législative et systématique d’une restriction audit droit suffit, en l’absence de raisons impérieuses, à conclure à un manquement aux exigences de l’article 6. Toutefois, ainsi qu’il ressort de l’arrêt Ibrahim et autres, suivi par l’arrêt Simeonovi, la Cour a rejeté l’argument des requérants selon lequel l’arrêt Salduz pose une règle absolue de cette nature. La Cour s’est donc écartée du principe énoncé notamment dans l’affaire Dayanan ainsi que dans d’autres arrêts rendus contre la Turquie (voir paragraphe 140, ci‑dessus).

145.  En l’absence de raisons impérieuses, la Cour doit évaluer l’équité du procès en opérant un contrôle très strict : une telle absence pèse lourdement dans la balance lorsqu’il s’agit d’apprécier globalement l’équité du procès et elle peut faire pencher la balance en faveur d’un constat de violation. C’est alors au gouvernement défendeur qu’il incombe d’expliquer de façon convaincante pourquoi, à titre exceptionnel et au vu des circonstances particulières du cas d’espèce, la restriction à l’accès à un avocat n’a pas porté une atteinte irrémédiable à l’équité globale du procès (Ibrahim et autres, précité, § 265).

146.  La Cour souligne en outre que dans l’hypothèse où l’accès à un avocat est retardé et où l’information relative au droit d’accès à un avocat et au droit de ne pas témoigner contre soi-même ainsi que de garder le silence a fait défaut, il sera encore plus difficile au gouvernement de démontrer que le procès a été équitable (Ibrahim et autres, précité, § 273 in fine).

147.  Il importe enfin de rappeler que la démarche consistant à mettre l’équité de la procédure dans son ensemble au cœur de l’appréciation à effectuer n’est pas limitée au droit d’accès à un avocat prévu à l’article 6 § 3 c) mais se situe dans le cadre d’une jurisprudence plus large relative aux droits de la défense consacrés par l’article 6 § 1 de la Convention (voir la jurisprudence relative à l’article 6 § 1 citée au paragraphe 120, ci‑dessus).

148.  Une telle démarche correspond en outre au rôle de la Cour qui ne consiste pas à se prononcer in abstracto ni à uniformiser les différents systèmes juridiques, mais à établir des garanties assurant que les procédures suivies dans chaque cas respectent les exigences du procès équitable, eu égard aux circonstances propres à chaque accusé.

149.  Ainsi que la Cour l’a déjà relevé, moyennant le respect de l’équité globale du procès, les modalités d’application de l’article 6 §§ 1 et 3 c) durant la garde à vue et la procédure antérieure à la phase de jugement dépendent des particularités de celles-ci et des circonstances de la cause.

γ)  Facteurs pertinents pour l’appréciation de l’équité globale de la procédure

150.  Lorsque la procédure est examinée dans son ensemble de manière à mesurer les conséquences de lacunes procédurales survenues durant la phase préalable au procès sur l’équité globale du procès pénal, les facteurs non limitatifs énumérés ci-dessous, qui découlent de la jurisprudence de la Cour, doivent être pris en compte s’il y a lieu (voir Ibrahim et autres, précité, § 274, et Simeonovi, précité, § 120) :

a)  la vulnérabilité particulière du requérant, par exemple en raison de son âge ou de ses capacités mentales ;

b)  le dispositif légal encadrant la procédure antérieure à la phase de jugement et l’admissibilité des preuves au cours de cette phase, ainsi que le respect ou non de ce dispositif, étant entendu que, quand s’applique une règle dite d’exclusion, il est très peu vraisemblable que la procédure dans son ensemble soit jugée inéquitable ;

c)  la possibilité ou non pour le requérant de contester l’authenticité des preuves recueillies et de s’opposer à leur production ;

d)  la qualité des preuves et l’existence ou non de doutes quant à leur fiabilité ou à leur exactitude compte tenu des circonstances dans lesquelles elles ont été obtenues ainsi que du degré et de la nature de toute contrainte qui aurait été exercée ;

e)  lorsque les preuves ont été recueillies illégalement, l’illégalité en question et, si celle-ci procède de la violation d’un autre article de la Convention, la nature de la violation constatée ;

f)  s’il s’agit d’une déposition, la nature de celle-ci et le point de savoir s’il y a eu prompte rétractation ou rectification ;

g)  l’utilisation faite des preuves, et en particulier le point de savoir si elles sont une partie intégrante ou importante des pièces à charge sur lesquelles s’est fondée la condamnation, ainsi que la force des autres éléments du dossier ;

h)  le point de savoir si la culpabilité a été appréciée par des magistrats professionnels, par des juges non professionnels ou par des jurés et la teneur des instructions et éclaircissements qui auraient été donnés à ces derniers ;

i)  l’importance de l’intérêt public à enquêter sur l’infraction particulière en cause et à en sanctionner l’auteur ;

j)  l’existence dans le droit et la pratique internes d’autres garanties procédurales.

c)  Application des principes généraux aux faits de l’espèce

151.  À titre liminaire, la Cour souligne que les auditions, interrogatoires et autres actes d’instruction intervenus sans que le requérant ait d’abord eu accès à un avocat et ensuite sans la présence physique de son avocat ont eu lieu avant le prononcé de l’arrêt Salduz. Cela étant, elle constate que, devant la cour d’assises, le requérant s’y est référé pour demander l’annulation des procès-verbaux des auditions et des interrogatoires menés sans cette assistance juridique. De même, la cour d’assises, dans son arrêt avant dire droit du 1er février 2010, a pris l’enseignement de l’arrêt Salduz en compte dans l’appréciation de la situation en l’espèce, et la Cour de cassation a également cherché à répondre au moyen fondé sur cette jurisprudence (voir paragraphes 37-39 et 48, ci‑dessus).

152.  De plus, le procès du requérant s’est déroulé bien avant l’arrêt rendu par la Grande Chambre dans l’affaire Ibrahim et autres. S’il y a lieu de tenir compte de cet arrêt dès lors qu’il confirme et consolide la jurisprudence Salduz, la Cour est cependant consciente des difficultés que le passage du temps et l’évolution de sa jurisprudence peuvent entraîner pour les juridictions nationales, même si s’agissant de l’article 6 §§ 1 et 3 c), cette évolution a été, depuis l’arrêt Salduz, linéaire.

153.  La Cour reconnaît également les efforts entrepris par la Cour de cassation belge pour tenir compte de l’évolution de sa jurisprudence malgré les restrictions au droit d’accès à un avocat prévues à l’époque par le droit interne. En effet, ainsi que cela ressort d’un examen des arrêts pertinents rendus entre 2010 et 2011 (voir paragraphes 66-70, ci-dessus), la Cour de cassation a entendu interpréter le droit national de manière à le rendre, dans la mesure du possible, conforme au principe énoncé par l’arrêt Salduz et appliqué ultérieurement par la Cour. À cette fin, elle a cherché, pour l’essentiel, à évaluer les effets de la restriction au droit d’accès à un avocat dans le cadre d’un examen de l’équité globale de la procédure dans l’affaire concernée.

i.  Existence et ampleur des restrictions

154.  La Cour observe que les restrictions au droit d’accès à un avocat dont il est question en l’espèce ont été d’une ampleur particulière.

155.  Le requérant n’a pas pu communiquer avec un avocat entre le moment de sa remise aux autorités belges à 10h40 le 31 décembre 2007 et l’audition par la police à 11h50, ni entre cette audition et l’interrogatoire par le juge d’instruction à 16h45 le même jour. Le droit de consulter un avocat ne lui a été reconnu, conformément à l’article 20 de la loi sur la détention préventive, qu’une fois la décision de le placer en détention préventive prise par le juge d’instruction en fin d’interrogatoire à 17h42 et l’avertissement par celui-ci de l’ordre des avocats en vue de la désignation d’un avocat (voir paragraphes 13 et 54, ci-dessus).

156.  Même s’il a pu communiquer librement avec son avocat désigné par la suite, le requérant n’a pas non plus bénéficié de la présence d’un avocat au cours des auditions, interrogatoires et autres actes d’instruction qui suivirent durant la phase d’instruction. Outre que cette restriction était déduite du silence de la loi et du secret de l’instruction imposé par le CIC et donc de l’interprétation des dispositions législatives applicables à l’époque (voir paragraphes 54 et 59, ci-dessus), elle a été appliquée tout au long de la phase d’instruction. Au total, entre sa remise aux autorités belges le 31 décembre 2007 et l’arrêt de renvoi de la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Mons du 31 août 2009, le requérant a été entendu sans la présence de son avocat, au sujet des faits pour lesquels il a été condamné, à cinq reprises par la police judiciaire – exclusion faite des auditions des 6 et 7 mars 2008 relatives aux vols de voitures – , à trois reprises par le juge d’instruction, et à deux reprises par le procureur du Roi. L’avocat du requérant n’a pas non plus participé à la reconstitution des faits qui a été organisée le 6 juin 2008.

157.  La Cour constate en outre qu’une incertitude existe sur le point de savoir à partir de quel moment le requérant a effectivement été en contact avec un avocat pour la préparation de sa défense, après que le juge d’instruction avait, le 31 décembre 2007, en fin de garde à vue, fait les démarches requises pour qu’un avocat soit désigné (voir paragraphe 21, ci‑dessus). Aucune mention n’est faite à ce sujet dans le procès-verbal de la première audition qui a suivi le 11 janvier 2008, ni ailleurs dans le dossier (voir paragraphe 25, ci‑dessus). La seule information certaine dont dispose la Cour figure dans le procès-verbal de l’interrogatoire par le juge d’instruction du 17 mars 2008 selon lequel le requérant avait, à ce moment‑là, fait le choix d’un avocat et l’avait rencontré (voir paragraphe 27, ci‑dessus). En réponse à des questions posées lors de l’audience, le Gouvernement n’a pas été en mesure de fournir des informations plus précises à ce sujet.

158.  Eu égard à ce qui précède et aux principes généraux énoncés ci‑dessus (paragraphes 119, 125-130, et 131-136), la Cour constate que le requérant, qui pouvait prétendre à la protection de l’article 6 de la Convention dès sa remise aux autorités belges, n’a pas bénéficié du droit d’accès à un avocat en vertu de cette disposition lors de la garde à vue et que ce droit a été ensuite restreint tout au long de la phase d’instruction.

159.  De l’avis de la Cour, la circonstance, sur laquelle s’appuie le Gouvernement, que le requérant a été assisté par un avocat dans le volet français de la procédure, ne change rien à ce constat. En effet, cette procédure et l’assistance juridique fournie en France ne concernaient que les questions entourant l’exécution du mandat d’arrêt européen par les autorités françaises.

ii.  Existence de raisons impérieuses

160.  Il n’est pas contesté qu’à l’époque des faits, les restrictions litigieuses résultaient du silence de la loi belge et de l’interprétation qui en a été faite par les juridictions internes (voir paragraphes 49-60, ci-dessus).

161.  La Cour rappelle que les restrictions à l’accès à un avocat pour des raisons impérieuses ne sont permises durant la phase préalable au procès que dans des cas exceptionnels, et qu’elles doivent être de nature temporaire et reposer sur une appréciation individuelle des circonstances particulières du cas d’espèce (voir paragraphe 142, ci-dessus). Une appréciation individuelle de cette nature était clairement absente en l’espèce, la restriction ayant été de portée générale et obligatoire.

162.  Certes, la législation belge a été modifiée par la loi Salduz, entrée en vigueur le 1er janvier 2012, et ensuite par la loi Salduz bis, entrée en vigueur le 27 novembre 2016. La législation ainsi modifiée confère, à certaines conditions, aux personnes entendues et aux personnes privées de liberté, des droits tels que celui de consulter un avocat préalablement à la garde à vue et le droit d’être assisté par lui pendant les auditions et les interrogatoires (voir paragraphes 72-77, ci-dessus). Force est toutefois de constater que le requérant n’a pas pu bénéficier de ces dispositions durant la phase préalable au procès.

163.  Le Gouvernement n’a par ailleurs pas établi l’existence de circonstances exceptionnelles qui auraient pu justifier les restrictions dont a fait l’objet le droit du requérant. Il n’appartient pas à la Cour d’en chercher de son propre chef (Simeonovi, précité, § 130).

164.  Aucune raison impérieuse ne justifiait en l’espèce les restrictions susmentionnées.

iii.  Respect de l’équité globale du procès

165.  Dans de telles circonstances, la Cour doit évaluer l’équité de la procédure en opérant un contrôle très strict et ce, à plus forte raison, dans le cas de restrictions d’origine législative ayant une portée générale et obligatoire. La charge de la preuve pèse ainsi sur le Gouvernement qui, comme il en convient, doit démontrer de manière convaincante que le requérant a néanmoins bénéficié globalement d’un procès pénal équitable. Ainsi qu’il a été indiqué ci-dessus (voir paragraphe 145, ci-dessus, et la jurisprudence y citée), l’incapacité du Gouvernement à établir des raisons impérieuses pèse lourdement dans la balance et peut faire pencher la Cour dans le sens d’une violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c).

166.  Dans cet exercice, la Cour examinera, dans la mesure où ils sont pertinents en l’espèce, les différents facteurs découlant de sa jurisprudence tels qu’ils ressortent des arrêts Ibrahim et autres et Simeonovi et sont rappelés au paragraphe 150, ci-dessus.

α)  La vulnérabilité du requérant

167.  Le Gouvernement fait valoir l’absence de vulnérabilité particulière du requérant. Ce dernier soutient en revanche qu’il était vulnérable du fait de sa détention et que cette vulnérabilité était aggravée par un quotient intellectuel et des aptitudes verbales extrêmement faibles, ainsi qu’en atteste l’évaluation neuropsychologique réalisée en avril 2008 (voir paragraphe 29, ci-dessus).

168.  La Cour constate, quant à elle, que cette dernière évaluation concluait que si le requérant avait des capacités intellectuelles limitées, ses raisonnements étaient néanmoins dans la norme. Par ailleurs, le requérant ne démontre pas que le contenu des procès‑verbaux d’auditions et d’interrogatoires attesterait qu’il aurait rencontré des difficultés pour s’exprimer. De plus, aucune autre circonstance particulière ne peut être relevée qui indiquerait que le requérant aurait été dans un état de vulnérabilité particulière plus important que celui dans lequel se trouvent généralement les personnes interrogées par des enquêteurs. Les auditions et interrogatoires menés durant la garde à vue et au cours de l’instruction n’étaient pas inhabituels ni excessifs dans leur durée.

β)  Les circonstances dans lesquelles les preuves ont été obtenues

169.  La Cour note que le requérant n’a allégué ni devant les juridictions nationales ni devant elle que les enquêteurs belges auraient exercé une quelconque coercition sur lui. La prétendue pression qu’auraient exercée les gendarmes français pour qu’il accuse ensuite un mineur lors de sa première audition par la police belge a été écartée par la cour d’assises. Ensuite, cette allégation a été contredite par le requérant lui‑même qui l’a attribuée à d’autres circonstances dans une version ultérieure des faits (voir paragraphes 30 et 40, ci-dessus).

γ)  Le dispositif légal encadrant la procédure antérieure à la phase de jugement et l’admissibilité des preuves ainsi que la possibilité de contester les preuves recueillies et leur production

170.  Le Gouvernement s’appuie sur les garanties générales dont le requérant aurait bénéficié en vertu du dispositif légal qui encadrait la phase préalable au procès à l’époque des faits, et en particulier sur le fait que, hormis durant les auditions et interrogatoires, le requérant a eu le droit de communiquer librement et de façon illimitée avec son avocat dès l’issue de la garde à vue. Ensuite, à l’exception du procès-verbal d’audition par la police le 31 décembre 2007 dont copie lui a été remise à l’issue de l’interrogatoire par le juge d’instruction, le requérant a reçu copie de tous les procès-verbaux d’audition et d’interrogatoire, ce qui lui a permis d’en discuter avec son avocat et d’élaborer sa stratégie de défense.

171.  Il est vrai que ces garanties ont permis au requérant de bénéficier, pendant la phase d’instruction, des interventions propres au conseil et de préparer sa stratégie de défense. Étant donné, toutefois, que le droit belge tel qu’appliqué à la procédure dont le requérant a fait l’objet n’était pas en conformité avec les exigences de l’article 6 § 3 (voir entre autres les paragraphes 160 et 161, ci-dessus), ce ne sont pas des dispositions légales prévoyant in abstracto certaines garanties qui auraient pu assurer, à elles seules, l’équité globale de la procédure. La Cour doit en effet examiner si l’application de ces dispositions légales au cas d’espèce a eu concrètement un effet compensatoire rendant la procédure équitable dans son ensemble. Dans le cadre de cet examen, qui est le cœur de la seconde étape de l’analyse prévue par les arrêts Salduz et Ibrahim et autres, la Cour estime que l’attitude du requérant durant les auditions et les interrogatoires était susceptible d’avoir des conséquences telles pour les perspectives de sa défense ultérieure qu’il ne pouvait être assuré que l’assistance fournie ultérieurement par un avocat ou la nature contradictoire de la suite de la procédure suffiraient pour porter remède au défaut survenu durant la garde à vue (voir, mutatis mutandis, Salduz, précité, § 58). En outre, ainsi qu’il est indiqué au paragraphe 157 ci-dessus, il ne ressort pas du dossier à partir de quelle date le requérant a bénéficié de l’assistance juridique. S’il est clair que le conseil du requérant a changé à plusieurs reprises, le dossier ne fait toutefois pas apparaître la fréquence des consultations, ni que l’avocat aurait été prévenu des dates des auditions et des interrogatoires. Le requérant ne pouvait donc pas préparer à l’avance, avec son avocat, ses auditions et interrogatoires et il devait se contenter de rapporter à ce dernier comment l’audition ou l’interrogatoire s’était déroulé, éventuellement à l’aide du procès-verbal, et d’en tirer des conclusions pour l’avenir.

172.  Toujours selon le Gouvernement, l’instruction était placée sous le contrôle de la chambre des mises en accusation qui pouvait être saisie à tout moment par le requérant pour en contester la légalité et plaider, avec l’assistance de son avocat, les irrégularités procédurales (voir paragraphe 107, ci-dessus). Cette garantie n’a cependant pas joué un rôle important en l’espèce. D’une part, le requérant n’a pas soulevé à ce stade les lacunes qu’il a ensuite dénoncées devant la cour d’assises, la Cour de cassation et la Cour et, d’autre part, les juridictions d’instruction ne se sont pas penchées, le cas échéant d’office, sur les irrégularités procédurales en cause dans la présente affaire.

173.  Ainsi que cela a été rappelé dans l’arrêt Ibrahim et autres (précité, § 254), les griefs tirés, sur le terrain de l’article 6, de la phase de l’enquête se matérialisent souvent pendant la phase de jugement elle-même lorsque l’accusation demande l’admission d’éléments recueillis pendant ladite phase – phase pendant laquelle les restrictions aux droits consacrés à l’article 6 sont intervenues – et que la défense s’y oppose. De fait, en l’espèce, la recevabilité des déclarations faites par le requérant au titre de preuves a été débattue devant la cour d’assises à l’ouverture de la session d’assises le 1er février 2010. Le requérant, assisté de son conseil, a déposé des conclusions par lesquelles il sollicitait que les procès-verbaux des auditions et des interrogatoires menés sans l’assistance d’un avocat soient déclarés nuls et les poursuites déclarées irrecevables. S’appuyant sur l’arrêt Salduz, il concluait que la privation systématique du droit d’accès à un avocat dès la première audition suffisait pour constater une violation de l’article 6. Dans un arrêt rendu le même jour, la cour d’assises a rejeté la thèse du requérant et a admis l’ensemble des procès-verbaux, considérant que le requérant pourrait encore jouir d’un procès équitable devant elle malgré l’absence d’un avocat au cours des auditions et interrogatoires préalables (voir paragraphe 41, ci‑dessus).

174.  Il y a toutefois lieu de constater que la cour d’assises n’a examiné plus précisément ni les procès-verbaux ni les circonstances dans lesquelles les auditions et interrogatoires litigieux se sont déroulés et les déclarations ont été recueillies (voir a contrario, Ibrahim et autres, précité, §§ 69‑84, et 282). Aussi, rien ne démontre que cette juridiction ait procédé à une analyse, pourtant nécessaire, de l’incidence de l’absence d’un avocat à des moments cruciaux de la procédure. Pareille lacune revêt d’autant plus d’importance qu’en raison de l’oralité des débats devant la cour d’assises et de l’absence de compte-rendu détaillé des audiences, il n’est pas possible d’évaluer l’impact des débats devant le jury.

175.  En ce qui concerne l’évaluation faite ensuite par la Cour de cassation, le Gouvernement explique que la jurisprudence constante à l’époque, qui consistait à casser systématiquement les jugements de condamnation fondés sur des déclarations auto-incriminantes faites en l’absence d’un avocat, pouvait être assimilée à une règle d’exclusion. La Cour de cassation examinait l’incidence des auditions et interrogatoires effectués hors de la présence d’un avocat sur le déroulement équitable de la procédure et était ainsi amenée à sanctionner les juges du fond qui retenaient des déclarations auto‑accusatrices faites sans l’assistance d’un avocat (voir paragraphes 66‑70, ci-dessus).

176.  La Cour constate que la Cour de cassation a cassé un arrêt pour cette raison pour la première fois le 15 décembre 2010, donc postérieurement à l’arrêt rendu en l’espèce. Dans cet arrêt, la Cour de cassation a fait valoir, par exemple, la nécessité d’évaluer l’influence des éléments de preuve obtenus irrégulièrement sur l’issue de l’action publique. En l’espèce, il ne ressort pas de l’arrêt de la Cour de cassation que celle-ci ait placé son évaluation de l’équité globale de la procédure dans une telle perspective. En effet, lors de son examen du déroulement de la procédure, la Cour de cassation s’est concentrée sur l’absence de déclaration auto-incriminante pendant la garde à vue, se limitant, s’agissant du reste de la phase d’instruction pendant laquelle le droit du requérant a également été restreint, à dire qu’il n’a jamais été contraint de s’incriminer lui-même et qu’il s’est toujours exprimé librement (voir paragraphe 48, ci-dessus).

δ)  La nature des dépositions

177.  Selon la cour d’assises et la Cour de cassation, les déclarations faites par le requérant au cours des auditions et interrogatoires litigieux n’étaient pas auto‑incriminantes et ne comportaient pas d’aveux. Le Gouvernement se prévaut également de cette thèse.

178.  La Cour rappelle toutefois que le droit de ne pas s’incriminer soi‑même ne se limite pas aux aveux au sens strict ou aux remarques mettant l’accusé directement en cause mais qu’il suffit, pour qu’il y ait auto‑incrimination, que ses déclarations soient susceptibles d’affecter substantiellement la position de celui-ci (Schmid-Laffer c. Suisse, no 41269/08, § 37, 16 juin 2015 ; voir également A.T. c. Luxembourg, précité, § 72).

179.  Or, en l’espèce, s’il est vrai que le requérant n’a jamais avoué les crimes dont il était accusé et ne s’est donc pas incriminé lui-même au sens strict, il n’en reste pas moins qu’il a fait aux enquêteurs des déclarations circonstanciées qui ont orienté la conduite des auditions et interrogatoires. Il a ainsi reconnu, le 31 décembre 2007, durant la garde à vue, avoir été présent sur les lieux du crime lors de l’homicide de M.B. et avoir menacé un témoin, ce qui a été confirmé par les témoins visuels (voir paragraphe 24, ci‑dessus). Lorsqu’il a été entendu le 25 mars 2008, il a en outre déclaré que C.L. était enceinte, qu’il était seul avec elle le 17 septembre 2007 et qu’il l’avait frappée. Ces derniers éléments, ne résultant d’aucun autre témoignage que celui de la victime (voir paragraphe 28, ci-dessus), ont nécessairement affecté la position du requérant. En effet, à partir de ce moment-là, les suspicions des enquêteurs à propos des coups portés à C.L. ne pouvaient que s’avérer fondées à leurs yeux. À cela s’ajoute le fait que le requérant a, tout au long de l’instruction, changé plusieurs fois de version des faits, compromettant ainsi sa crédibilité générale, de sorte que le premier interrogatoire revêtait une importance primordiale. Rappelant que, en l’absence de raisons impérieuses justifiant les restrictions constatées, elle est appelée à opérer un contrôle très strict, la Cour considère que ces éléments doivent peser lourdement dans son appréciation de l’équité de la procédure dans son ensemble.

180.  Or, le requérant se plaint que les enquêteurs sont entrés en possession des éléments qu’il a fournis le 31 décembre 2007 durant sa garde à vue, alors qu’il n’avait pas rencontré d’avocat au préalable et n’avait pas bénéficié d’une notification préalable suffisamment explicite de son droit de garder le silence et de ne pas s’incriminer lui-même. La Cour note à ce sujet que le requérant a reçu, au début de la première audition par la police, l’information expresse selon laquelle ses déclarations pouvaient être utilisées comme preuve en justice (voir paragraphe 14, ci-dessus). Cette information, qu’il a également reçue au début de chaque audition et interrogatoire ultérieurs, était considérée comme une consécration indirecte du droit au silence en droit belge, à défaut pour la législation de l’époque de prévoir ce droit de façon explicite (voir paragraphe 54, ci-dessus).

181.  Eu égard à la jurisprudence rappelée ci-dessus (paragraphes 129‑130), et sachant que le requérant n’a pas bénéficié de consultation préalable ni de la présence d’un avocat durant la garde à vue, la Cour n’est pas convaincue, dans les circonstances de l’espèce, que l’information ainsi fournie par les enquêteurs était suffisamment claire pour assurer l’effectivité du droit du requérant de garder le silence et de ne pas s’incriminer lui‑même. À cet égard, elle ne peut que noter que le requérant a fait des déclarations importantes et a fait un large usage de sa faculté de sélectionner ou de cacher des faits.

ε)  L’utilisation faite des preuves et, dans le cas où la culpabilité est appréciée par des jurés, la teneur des instructions et éclaircissements donnés au jury

182.  Le procès s’est déroulé devant la cour d’assises, juridiction non permanente composée de magistrats professionnels et siégeant avec l’assistance d’un jury (voir Taxquet c. Belgique, no 926/05, §§ 18-21, 13 janvier 2009, et Castellino c. Belgique, no 504/08, §§ 45-47, 25 juillet 2013, pour la composition de la cour d’assises et les règles régissant la désignation des jurés ; voir Taxquet, arrêt de chambre précité, §§ 25-31, et Lhermitte, précité, §§ 40-44, pour les règles relatives au déroulement du procès en assises).

183.  La lecture de l’acte d’accusation est intervenue au début du procès, avant les débats. Il exposait, sur vingt-et-une pages, la vie familiale et le parcours de vie du requérant, les faits et leur déroulement, les actes et les éléments de l’enquête, ainsi que le contenu des expertises médico‑légales. Il reprenait les éléments que le requérant avait reconnus ainsi que ses différentes versions des faits.

184.  Le Gouvernement conteste l’argument du requérant selon lequel l’acte d’accusation reposait dans une large mesure sur ses déclarations. La Cour observe que l’accusation s’est aussi appuyée sur divers éléments étrangers aux déclarations du requérant et indépendants de celles-ci, à savoir les déclarations des témoins, les constatations des enquêteurs, les éléments matériels recueillis avant son arrestation et les considérations médico‑légales et psychiatriques (voir paragraphe 43, ci-dessus). Il n’en reste pas moins, ainsi qu’elle l’a relevé ci-dessus (paragraphe 178), que les déclarations faites par le requérant dès la garde à vue contenaient un récit détaillé des évènements survenus le jour de l’homicide que ses déclarations ultérieures, également circonstanciées, sont venues compléter ou contredire, et qu’il n’a jamais démenti avoir été présent sur les lieux et avoir menacé un témoin. Il a également spontanément donné des informations à propos de C.L. de nature à l’incriminer. Ces déclarations ont fourni aux enquêteurs une trame qui a nécessairement inspiré l’acte d’accusation, même s’ils disposaient déjà de certains éléments avant la première audition du requérant.

185.  Sur le point de savoir si ces éléments ont ou non influencé le délibéré et la décision à laquelle le jury est finalement parvenu, la Cour tient compte de ce que l’acte d’accusation a une portée limitée pour la compréhension du verdict du jury, puisqu’il intervient avant les débats qui seuls doivent permettre aux jurés de se forger leur intime conviction (Taxquet [GC], précité, § 95, et Lhermitte, précité, § 77).

186.  Cela étant dit, en l’espèce, le jury a retenu la préméditation du requérant dans la tentative d’homicide de C.L., laquelle a pu être établie au moyen notamment de ses déclarations (voir paragraphes 45 et 179, ci‑dessus). La Cour accorde un poids considérable à ce constat qui lui permet de regarder les déclarations faites par le requérant sans la présence d’un avocat comme une partie intégrante des preuves sur lesquelles repose la condamnation du requérant pour ce chef d’accusation.

187.  S’agissant des autres chefs d’accusation, et en particulier l’accusation principale du meurtre de M.B., la Cour convient avec le Gouvernement que le jury a retenu d’autres éléments étrangers aux déclarations du requérant, à savoir, les témoignages constants et concordants des jeunes gens qui n’ont vu que l’accusé et sa victime sur les lieux, hors la présence de toute autre personne, les menaces préalablement émises par l’accusé contre sa victime et les différents actes posés par lui en vue de la préparation du crime commis (voir paragraphe 45, ci-dessus).

188.  Cela étant, la Cour relève, à l’examen du procès-verbal de l’audience du 1er février 2010, que le président de la cour d’assises n’a énoncé aucune mise en garde quant au poids à attribuer aux nombreuses déclarations du requérant dans le cadre de leur délibéré. S’il est vrai qu’il faut tenir compte des particularités de la procédure devant les cours d’assises avec la participation d’un jury populaire, qui décide seul de la culpabilité de l’accusé, la Cour rappelle avoir souligné, dans le contexte d’affaires concernant la compréhension par l’accusé de la motivation du verdict, l’importance des instructions ou éclaircissements donnés par le président de la cour d’assises aux jurés quant aux problèmes juridiques posés ou aux éléments de preuve produits (Taxquet [GC], précité, § 92, et Lhermitte, précité, § 68). Les instructions et éclaircissements donnés au jury peuvent revêtir de l’importance afin de permettre à ses membres de mesurer les conséquences de lacunes procédurales survenues au stade de l’enquête sur l’équité du procès pénal (Ibrahim et autres, précité, §§ 274, 292 et 310). Or, et malgré l’effort fait pour apprécier l’équité de la procédure dans son ensemble au vu de la jurisprudence à l’époque récente de la Cour (voir paragraphe 48, ci‑dessus), dans le cadre de son examen de l’espèce, la Cour de cassation ne semble pas avoir pris en considération l’impact sur la décision du jury de la circonstance que ce dernier n’avait pas été informé d’éléments qui pourraient le guider dans l’appréciation de la portée des déclarations faites par le requérant sans l’assistance d’un avocat.

189.  Aussi la Cour estime-t-elle que le défaut total en l’espèce d’instructions et d’éclaircissements donnés au jury quant à la manière d’apprécier les déclarations du requérant par rapport aux autres éléments du dossier et leur valeur probante, alors qu’elles avaient été recueillies en l’absence d’un avocat et, s’agissant des déclarations faites en garde à vue, sans que le requérant ait reçu une information suffisamment claire de son droit de garder le silence, est une carence importante.

ζ)  L’importance de l’intérêt public

190.  Il ne fait aucun doute que de solides considérations d’intérêt public justifiaient la poursuite du requérant, celui-ci étant poursuivi notamment pour un homicide et de tentatives d’homicide.

η)  L’existence dans le droit et la pratique internes d’autres garanties procédurales.

191.  La Cour constate qu’à l’époque, la Cour de cassation belge tenait compte d’une série de garanties procédurales qui résultaient du droit belge pour apprécier la conformité à la Convention des restrictions légales à l’accès à un avocat pendant la garde à vue (voir paragraphes 48 et 67).

192.  Ainsi que la Cour l’a souligné au paragraphe 171, ce n’est pas l’existence en soi de garanties prévues in abstracto par des dispositions légales qui peut assurer l’équité globale de la procédure. Seul l’examen de leur application au cas d’espèce permettait de déterminer si la procédure était équitable dans son ensemble. En tout état de cause, la Cour a pris en compte dans son examen de la présente espèce l’ensemble de ces garanties mentionnées par la Cour de cassation (paragraphes 165-190, ci-dessous).

θ)  Conclusion quant au respect de l’équité de la procédure dans son ensemble

193.  En conclusion, rappelant le caractère très strict du contrôle auquel elle doit procéder en l’absence de raisons impérieuses justifiant la restriction du droit d’accès, la Cour estime que la procédure pénale menée à l’égard du requérant, considérée dans son ensemble, n’a pas permis de remédier aux lacunes procédurales survenues durant la phase préalable au procès, parmi lesquelles les suivantes apparaissent particulièrement importantes :

– les restrictions au droit du requérant à l’accès à un avocat ont été d’une ampleur particulière ; il a été interrogé durant sa garde à vue sans consultation préalable ni présence d’un avocat et a ensuite été interrogé durant l’instruction hors de la présence de son avocat, lequel n’a pas non plus participé aux autres actes de l’instruction ;

– dans ces circonstances, et sans information préalable suffisamment claire du droit de garder le silence, le requérant a fait au cours de la garde à vue des déclarations circonstanciées ; il a ensuite présenté des versions différentes des faits et a fait des déclarations qui, si elles n’étaient pas auto‑incriminantes au sens strict du terme, ont affecté substantiellement sa position en ce qui concerne notamment le chef d’accusation de tentative d’homicide sur la personne de C.L. ;

– l’ensemble desdites déclarations ont été admises par la cour d’assises au titre de preuves sans que la juridiction ait procédé à un examen adéquat des circonstances dans lesquelles les déclarations avaient été recueillies ni de l’incidence de l’absence d’un avocat ;

– si la Cour de cassation a examiné la recevabilité des poursuites, cherchant en outre à vérifier si le droit à un procès équitable a été respecté, elle s’est concentrée sur l’absence d’un avocat durant la garde à vue sans apprécier les conséquences pour les droits de la défense du requérant de l’absence de son avocat lors des auditions, des interrogatoires et des autres actes qui ont eu lieu pendant l’instruction ;

– les déclarations faites par le requérant ont occupé une place importante dans l’acte de l’accusation, et, s’agissant du chef de tentative d’homicide sur la personne de C.L., ont fait partie intégrante des preuves sur lesquelles reposait la condamnation du requérant ;

– dans la procédure devant la cour d’assises, les jurés n’ont reçu aucune instruction ni éclaircissement quant à la manière d’apprécier les déclarations du requérant et leur valeur probante.

194.  La Cour estime important de souligner, comme elle l’a fait dans d’autres affaires relatives à l’article 6 § 1 de la Convention dans lesquelles un examen de l’équité globale de la procédure était en cause, qu’elle ne doit pas s’ériger en juge de quatrième instance (Schatschaschwili, précité, § 124). Lors de l’examen de l’équité globale de la procédure tel que celui exigé par l’article 6 § 1, elle est toutefois appelée à examiner soigneusement le déroulement de la procédure au niveau interne, un contrôle très strict s’imposant lorsque la restriction au droit d’accès à un avocat ne repose sur aucune raison impérieuse. En l’espèce, c’est la conjonction des différents facteurs précités et non chacun d’eux pris isolément qui a rendu la procédure inéquitable dans son ensemble.

iv.  Conclusion générale

195.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention.

II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

196.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

197.  Le requérant allègue avoir subi un préjudice moral du fait du défaut d’assistance d’un avocat durant la phase préalable au procès (garde à vue et instruction) qu’il évalue à 5 000 euros (« EUR »).

198.  Le Gouvernement estime que si la Cour devait décider d’octroyer une somme au titre de la satisfaction équitable, il serait raisonnable de s’en tenir à un montant de 3 000 EUR.

199.  Ainsi que la Cour l’a fait valoir à maintes reprises, le constat d’une violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention à l’égard du requérant ne permet pas de conclure que celui-ci a été condamné à tort, et il est impossible de spéculer sur ce qui aurait pu se produire si cette violation n’avait pas existé (Dvorski, précité, § 117, et Ibrahim et autres, précité, § 315). Dans les circonstances de l’espèce, la Cour estime qu’une constatation de violation suffit et elle rejette dès lors la demande du requérant.

200.  La Cour note que l’article 442bis du CIC ouvre la possibilité d’une réouverture de la procédure menée contre un condamné (paragraphe 78, ci‑dessus). Elle rappelle à cet égard que si de telles réouvertures peuvent être considérées comme un aspect important de l’exécution de ses arrêts, la révision du procès n’est pas la seule façon d’exécuter un arrêt de la Cour. La mise en œuvre de cette possibilité en l’espèce sera examinée, le cas échéant, par la Cour de cassation au regard du droit national et des circonstances particulières de l’affaire (voir, mutatis mutandis, Moreira Ferreira c. Portugal (no 2) [GC], no 19867/12, §§ 94 et 99, 11 juillet 2017 (extraits)). Il appartient aux autorités nationales et non à la Cour de trancher cette question.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête recevable ;

2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention ;

3.  Dit que le constat d’une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg le 9 novembre 2018.

Johan CallewaertGuido Raimondi
Adjoint au greffierPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion concordante commune des juges Yudkivska, Vučinić, Turković et Hüseynov.

G.R.
J.C.


OPINION CONCORDANTE COMMUNE AUX JUGES YUDKIVSKA, VUČINIĆ, TURKOVIĆ ET HÜSEYNOV

(Traduction)

« L’histoire de la liberté se confond en grande partie avec l’histoire du respect des garanties procédurales. »

Felix Frankfurter

« Ennemie jurée de l’arbitraire, la forme est la sœur jumelle de la liberté »

Rudolf von Ihering

I.  Introduction

1.  Nous avons voté avec nos collègues en faveur d’un constat de violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention en l’espèce. Cela étant, nous exprimons respectueusement notre désaccord sur une partie essentielle du raisonnement exposé dans l’arrêt, à savoir celle dans laquelle sont énoncés les principes directeurs applicables dans les cas où des dispositions législatives de portée générale et obligatoire restreignent le droit d’accès à un avocat pendant la phase préalable au procès. Nous estimons que le raisonnement suivi en l’espèce s’écarte notablement de la jurisprudence de la Cour à cet égard et résulte en définitive d’une interprétation erronée de celle-ci. Nous pensons qu’il va notamment à l’encontre des principes établis dans l’arrêt rendu dans l’affaire Salduz c. Turquie[2] et dans les arrêts ultérieurs pertinents. La position adoptée dans la présente affaire diminue selon nous l’importance des droits ou garanties minimums offerts par le paragraphe 3 de l’article 6 de la Convention, que ceux-ci soient considérés comme des droits indépendants ou comme de simples facettes du droit à un procès équitable ou des droits de la défense.

2.  Principalement pour les trois raisons exposées ci-dessous, nous estimons qu’il était hors de propos de considérer l’arrêt Ibrahim et autres[3] comme un principe directeur en l’espèce. Premièrement, l’affaire Beuze, qui est comparable à l’affaire Salduz, diffère à plusieurs égards importants de l’affaire Ibrahim et autres. Tandis que les griefs soulevés par le requérant dans l’affaire Salduz visaient des restrictions au droit d’accès à un avocat qui trouvaient leur origine dans la législation et avaient un caractère général et obligatoire[4], ceux soulevés par les requérants dans l’affaire Ibrahim et autres portaient sur une restriction d’origine législative, certes, mais dénuée de portée générale et obligatoire[5]. La Grande Chambre l’a reconnu (paragraphe 116 de l’arrêt), mais elle a néanmoins décidé d’examiner ces situations si fondamentalement différentes au travers du même prisme, sans jamais analyser de manière approfondie ce qui les distinguait. Nous considérons quant à nous que lorsqu’il s’agit de garantir des droits minimums à l’assistance d’un avocat pendant la phase préalable au procès, ces deux situations méritent d’être traitées différemment, ce qui était le cas jusqu’à l’arrêt rendu en l’espèce.

3.  Deuxièmement, nous ne considérons pas que l’arrêt Salduz ait introduit une analyse en deux étapes propre à rendre systématiquement nécessaire un examen de l’équité globale de la procédure (paragraphe 139 de l’arrêt). Au contraire, nous estimons que dans cet arrêt la Cour a emprunté une autre voie et a en fait conclu qu’un procès est automatiquement inéquitable dans sa globalité dès lors que certaines conditions sont réunies. En outre, nous considérons que l’arrêt rendu dans l’affaire Ibrahim et autres n’a pas simplement précisé les principes énoncés dans l’arrêt Salduz et qu’il ne l’a donc pas supplanté. Comme nous l’expliquerons ci-après, ces deux affaires sont selon nous complémentaires.

4.  Troisièmement, contrairement à nos collègues, nous ne considérons pas que la jurisprudence établie postérieurement à l’arrêt Salduz relativement à des situations comparables vienne étayer l’interprétation que la majorité a faite de cet arrêt (paragraphe 140 de l’arrêt). Selon nous, depuis l’arrêt Salduz la Cour n’a apprécié l’équité globale de la procédure dans aucune affaire — turque ou autre — comparable. Comme nous le démontrerons, la Cour n’a même pas procédé à un tel examen dans les deux affaires qu’elle cite au paragraphe 140 pour illustrer son propos concernant l’appréciation de l’équité globale de la procédure[6]. En fait, la jurisprudence postérieure à l’arrêt Salduz n’a pas seulement confirmé la portée de la protection du droit à l’assistance d’un avocat avant le procès définie dans cet arrêt, elle l’a considérablement élargie[7].

5.  Nous estimons qu’il est important de confirmer la « doctrine Salduz » pour préserver l’intégrité du processus judiciaire et, partant, les valeurs des sociétés civilisées fondées sur le concept de la prééminence du droit[8].

II.  Salduz – violation automatique c. évaluation globale de l’équité

6.  La question qui se trouvait au centre de l’affaire Salduz (précitée) concernait l’admission comme preuve à charge d’aveux qui avaient été faits par le requérant au cours d’un interrogatoire de police alors qu’on lui avait refusé l’accès à un avocat sur le fondement d’une disposition législative de portée générale et obligatoire qui avait pour effet de restreindre l’accès à un avocat pendant la garde à vue. Adoptant une approche traditionnelle, la chambre avait apprécié l’équité de la procédure considérée dans son ensemble et s’était fondée sur cette évaluation[9] pour conclure à l’absence de violation. Au rebours de la chambre, la Grande Chambre s’écarta de ce raisonnement : après avoir établi que, pour justifier le refus de l’accès à un avocat qui avait été opposé au requérant, le gouvernement turc s’était borné à dire qu’il s’agissait de l’application sur une base systématique des dispositions légales pertinentes, elle conclut que « En soi, cela suffi[sai]t déjà à faire conclure à un manquement aux exigences de l’article 6 (...) » (ibidem, § 56 in fine). Autrement dit, la Grande Chambre décida à l’unanimité de s’écarter de l’approche traditionnelle pour conclure à une violation automatique[10].

7.  La Grande Chambre ne s’arrêta toutefois pas là, mais elle examina également le fond de l’affaire. Pour nos collègues ayant siégé dans la présente affaire, le simple fait que la Cour ait poursuivi son examen dans l’affaire Salduz signifie qu’elle a établi une analyse en deux étapes (la première consistant à vérifier l’existence ou non de raisons impérieuses, la deuxième à apprécier l’équité globale de la procédure) censée s’appliquer aussi bien aux affaires mettant en cause des restrictions législatives de portée générale et obligatoire qu’à celles concernant des restrictions découlant de décisions prises par les autorités compétentes dans des cas concrets (paragraphe 139 de l’arrêt). Nous estimons qu’il s’agit là d’une interprétation trop simpliste, en contradiction non seulement avec l’esprit, mais aussi avec la lettre, de l’arrêt Salduz[11]. Après tout, pourquoi la Cour se serait-elle évertuée, dans l’affaire Salduz, à établir une distinction entre les différentes situations identifiées ci-dessus, pour conclure ensuite qu’elles devaient être traitées de la même façon ?

8.  La réalité, non reconnue par nos collègues, c’est que la Cour n’a procédé à ces analyses complémentaires qu’à titre indicatif (« La Cour observe par ailleurs (...) », ibidem, § 57). Ces analyses complémentaires pourraient donc être considérées soit comme la conséquence d’une prudence excessive, ex abundanti cautela, ainsi que le juge Serghides l’a expliqué de manière très détaillée dans l’opinion en partie dissidente jointe par lui à l’arrêt Simeonovi[12], soit comme un exercice nécessaire auquel il fallait se livrer pour confirmer que le requérant avait effectivement été touché par la restriction en question. La Cour a semble-t-il saisi cette occasion pour confirmer le principe selon lequel lorsque l’absence de raisons impérieuses coïncide avec une disposition législative de portée générale et obligatoire restreignant le droit d’accès à un avocat, le simple fait que la déclaration faite par le requérant à la police en l’absence de son avocat ait été ensuite utilisée aux fins de sa condamnation suffit en soi à prouver que le requérant a effectivement été touché par cette restriction. Elle a indiqué qu’il serait inutile de procéder à une appréciation de l’équité globale de la procédure en pareille situation parce que « [n]i l’assistance fournie ultérieurement par un avocat ni la nature contradictoire de la suite de la procédure n’[avaient] pu porter remède au défaut survenu pendant la garde à vue » (Salduz, précité, § 58). Autrement dit, elle a introduit une présomption en vertu de laquelle la procédure doit être réputée inéquitable dans son ensemble dès lors que des déclarations incriminantes faites par l’accusé dans une situation comparable à celle de l’affaire Salduz ont été utilisés aux fins de sa condamnation. Elle a simplement considéré le premier interrogatoire d’un suspect par la police comme un moment crucial de la procédure pénale dans son ensemble – un moment méritant un traitement particulier.

En pareille situation, on ne peut considérer le fait de refuser à un accusé l’accès à un avocat comme une erreur anodine, ce indépendamment des autres garanties procédurales éventuellement existantes. Aussi la Cour a-t-elle également pris soin de dire clairement que le fait de conclure à une violation automatique en pareilles circonstances ne devait pas être regardé comme un examen in abstracto de la législation interne[13].

III.  La jurisprudence postérieure à l’arrêt Salduz

9.  Les principes établis dans l’arrêt Salduz concernant les restrictions législatives de portée générale et obligatoire au droit d’accès à un avocat ont été suivis plutôt fidèlement, voire développés, dans des affaires ultérieures comparables, que les restrictions fussent applicables à toutes les catégories d’infractions ou à certaines seulement[14]. Dans la plupart de ces affaires, dont la majorité visaient la Turquie, mais dont certaines visaient d’autres États, tels Monaco, le Luxembourg, Malte, la Belgique et la France, la Cour n’a pas analysé l’équité globale de la procédure mais elle a considéré qu’une restriction systématique découlant de la législation emportait automatiquement violation (Dayanan, précité, § 33,[15] ; Boz c. Turquie, no 2039/04, § 35, 9 février 2010[16] ; Yeşilkaya, précité, § 31,[17] ; Stojkovic c. France et Belgique, no 25303/08, §§ 51-57, 27 octobre 2011[18] ; Navone et autres c. Monaco, nos 62880/11 et 2 autres, §§ 80-85, 24 octobre 2013[19] ; et Borg c. Malte, no 37537/13, §§ 59-63, 12 janvier 2016[20]).

10.  En outre, ainsi qu’il ressort clairement de la liste précitée, la Cour a suivi les principes énoncés dans l’arrêt Salduz non pas uniquement dans des affaires turques comme le suggère le présent arrêt (paragraphe 140)[21], mais également dans des affaires dirigées contre d’autres États. Nous estimons que cette suggestion est non seulement infondée, mais aussi néfaste, en ce qu’elle pourrait conduire à conclure que la Cour a fait preuve de partialité envers un pays, la Turquie en l’occurrence, ce qui est bien entendu faux puisque, comme nous l’avons montré ci-dessus, le même principe a été appliqué à d’autres pays qui avaient imposé dans leur législation des restrictions systématiques au droit d’accès à un avocat pendant la procédure préalable au procès.

11.  Par ailleurs, le présent arrêt dit (ibidem) que dans la plupart des affaires pertinentes la Cour a opté pour une approche moins absolue et procédé à un examen de l’équité globale de la procédure. Pour étayer son propos, la Grande Chambre renvoie à d’ « autres affaires », mais elle n’en cite que deux, Çarkçı c. Turquie ((no 2), no 28451/08, §§ 43 à 45, 14 octobre 2014), et A.T. c. Luxembourg (précité). Pourtant, dans la première de ces deux affaires, le requérant plaidait non seulement qu’il n’avait pas bénéficié de l’assistance d’un avocat au cours des premiers stades de la procédure, mais aussi qu’un élément de preuve qu’il estimait avoir été obtenu illégalement (une déclaration qu’il n’avait pas signée et qui, selon ses dires, avait été rédigée alors qu’il était inconscient) avaient été utilisés contre lui. La Cour a jugé qu’il était nécessaire de statuer sur ces deux questions, mais à raison de la précision et de la gravité de chaque grief et non de la nécessité de procéder à une appréciation de l’équité globale de la procédure pour conclure à une violation découlant d’une restriction systématique, prévue par la loi, du droit d’accès à un avocat. Elle a également considéré que dans ces conditions « ni l’assistance fournie ultérieurement par un avocat ni la nature contradictoire de la suite de la procédure n’[avaient] pu porter remède au défaut survenu précédemment » (ibidem, § 45, voir aussi Salduz, précité, § 58).

12.  Dans l’affaire A.T. c. Luxembourg (ibidem), les parties étaient en désaccord quant à la disposition législative qui était pertinente relativement à l’interrogatoire du requérant par la police. Selon le Gouvernement, le requérant aurait pu bénéficier de l’assistance d’un avocat mais il avait renoncé à ce droit. La Cour n’a pas souscrit à cette thèse. Elle a notamment conclu que, concernant l’interrogatoire mené par la police, les dispositions législatives alors en vigueur déniaient implicitement le droit d’accès à un avocat aux personnes arrêtées sur la base d’un mandat d’arrêt européen émis par un juge luxembourgeois. Elle a conclu à une violation de l’article 6 à cet égard au motif que la juridiction interne n’avait pas réparé les conséquences de cette situation en excluant de son raisonnement les déclarations faites au cours de l’interrogatoire. Autrement dit, face à une situation comparable à celle rencontrée dans l’affaire Salduz, elle s’est appuyée sur la présomption qu’elle avait introduite dans l’affaire Salduz. Elle a conclu que le fait que les déclarations incriminantes n’avaient pas été exclues du dossier rendait automatiquement la procédure inéquitable dans son ensemble.

13.  En ce qui concerne la première comparution de l’accusé devant le juge d’instruction, la Cour a dit que la possibilité pour l’intéressé de consulter son avocat au préalable devait être garantie sans équivoque par la loi. Elle a conclu à une violation de l’article 6 au motif qu’A.T. n’avait pas eu la possibilité de s’entretenir avec son avocat avant sa comparution. Elle n’a donc procédé à un examen de l’équité globale de la procédure dans aucune des deux affaires en question.

14.  Comme cela a été indiqué ci-dessus, on ne constate pas de divergences significatives dans la jurisprudence postérieure à l’arrêt Salduz. Contrairement à ce qu’affirme la Grande Chambre, la Cour n’a procédé dans aucune des affaires précitées à une appréciation de l’équité globale de la procédure au titre de l’article 6.

IV.  Salduz et Ibrahim – deux affaires partiellement juxtaposables et partiellement complémentaires

15.  Nous sommes en désaccord avec l’idée qu’avant l’arrêt rendu en l’espèce, les allégations de violation des droits procéduraux de la défense au cours de la phase préalable au procès faisaient l’objet d’une analyse en deux étapes (qui aurait consisté tout d’abord à rechercher l’existence de raisons impérieuses, puis à examiner l’équité de la procédure dans son ensemble) aussi bien dans les affaires mettant en cause des restrictions législatives de portée générale et obligatoire au droit d’accès à un avocat que dans les autres cas (paragraphe 139 de l’arrêt). Comme nous l’avons expliqué ci-dessus, la Cour, dans l’affaire Salduz, où l’absence de raisons impérieuses coïncidait avec une restriction législative de portée générale et obligatoire au droit d’accès à un avocat, a conclu à une violation de l’article 6 § 3 c) de la Convention sans juger nécessaire de procéder à une analyse de l’équité globale de la procédure. Dans l’affaire Ibrahim et autres, elle n’a pas explicitement traité de la question de savoir si l’analyse en deux étapes était valable en présence d’une restriction systématique, c’est-à-dire d’une restriction législative de portée générale et obligatoire. La situation dans ladite affaire ne correspondait tout simplement pas à ce cas de figure. Dans l’affaire Ibrahim, en effet, des personnes soupçonnées de menées terroristes avaient eu tardivement accès à un avocat dans une situation de danger important et imminent où le report exceptionnel de l’accès à un avocat était précisément encadré par la loi de lutte contre le terrorisme. En conséquence, les affaires mettant en cause des restrictions législatives de portée générale et obligatoire ont continué à relever de l’arrêt Salduz, même après l’arrêt Ibrahim et autres.

16.  Il est toutefois une autre partie de l’arrêt Salduz à laquelle la conclusion qui vient d’être énoncée ne s’applique pas : celle où la Cour a confirmé la position qu’elle avait adoptée dans l’arrêt Murray et la jurisprudence ultérieure[22], à savoir que même lorsque des raisons impérieuses pouvaient justifier une restriction au droit d’accès à un avocat pendant une garde à vue, il était nécessaire d’apprécier l’équité globale de la procédure (Salduz, précité, § 55). La Cour a adopté cette position au motif que même une restriction justifiée peut priver l’accusé d’un procès équitable (ibidem, § 52). Dans cette partie de l’arrêt Salduz, elle a confirmé la nécessité de compléter l’analyse par une deuxième étape consistant en un examen de l’équité globale de la procédure, mais uniquement dans les cas où des raisons impérieuses auraient été identifiées, et avec une réserve importante, à savoir qu’il serait en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense dans les cas où des déclarations incriminantes faites lors d’un interrogatoire de police subi sans assistance possible d’un avocat seraient utilisées pour fonder une condamnation (ibidem, § 55). Elle a ensuite clarifié et consolidé cette partie de l’arrêt Salduz dans l’arrêt Ibrahim et autres en donnant une définition de l’expression « raisons impérieuses » et en définissant les critères à appliquer pour juger de la nécessité de procéder à un examen de l’équité de la procédure dans son ensemble[23].

17.  Enfin, l’arrêt Salduz ne traitait pas des situations dans lesquelles le droit d’accès à un avocat aurait, sans raisons impérieuses, été refusé à un suspect ou à un accusé lors de sa garde à vue, au mépris d’une loi consacrant ce droit[24]. Le fait que la méthodologie introduite par l’arrêt Salduz ne s’applique pas en pareille situation a été établi postérieurement à l’arrêt Salduz dans des affaires turques qui portaient sur des cas où l’accès à un avocat avait été refusé sans raisons impérieuses par les autorités après que la Turquie eut modifié la loi incriminée et eut retiré la disposition législative de portée générale et obligatoire qui restreignait le droit d’accès à un avocat[25]. Dans ces affaires, la Cour a considéré qu’il était nécessaire de procéder à une appréciation traditionnelle de l’équité globale de la procédure. Plus tard, dans l’arrêt Ibrahim et autres (précité), elle a clarifié sa position à cet égard, insistant sur la nécessité pour elle de procéder à un contrôle très strict lorsqu’elle évalue l’équité globale de la procédure, et soulignant que c’est au Gouvernement qu’il incombe de démontrer de manière convaincante en quoi, exceptionnellement et eu égard aux circonstances particulières du cas d’espèce, il n’a pas été porté une atteinte irrémédiable à l’équité globale du procès (ibidem, § 265). En réalité, l’arrêt Ibrahim a ainsi permis de faire évoluer cette norme particulière dans le sens d’une protection des droits de l’accusé plus importante que celle qu’offrait la jurisprudence antérieure à l’arrêt Salduz.

18.  À l’instar de nos collègues, nous estimons que l’on pourrait considérer que l’arrêt Salduz a introduit deux paramètres (justification – existence ou non de raisons impérieuses – et contexte juridique – existence ou non d’une disposition législative de portée générale et obligatoire restreignant le droit d’accès à un avocat) permettant d’établir une distinction entre quatre catégories de situations différentes (que l’on pourrait presque considérer comme des « situations types ») dans lesquelles un requérant pourrait se voir privé de l’assistance d’un avocat au cours de la phase préalable au procès (Salduz, précité, §§ 55 et 56 ; voir aussi le paragraphe 139 du présent arrêt). Comme eux, nous sommes également d’avis que l’on pourrait considérer, dans une certaine mesure, que les analyses menées dans les affaires Salduz et Ibrahim et autres suivent ces principes. En revanche, nous sommes en désaccord complet avec leur assertion selon laquelle l’approche en deux étapes adoptée dans l’arrêt Ibrahim n’est qu’une simple clarification et une évolution linéaire de l’approche en deux étapes développée dans l’arrêt Salduz (paragraphes 139, 141 et 152 du présent arrêt). Si l’assertion peut être vraie pour les situations révélant l’existence de raisons impérieuses de restreindre le droit d’accès à un avocat (paragraphe 16 ci-dessus)[26], elle ne vaut pas pour les situations n’attestant pas de pareilles raisons. Dans les arrêts Salduz et Ibrahim, la Cour a développé deux principes différents, chacun correspondant à un contexte juridique distinct. Celui élaboré dans le cadre de l’arrêt Salduz (qui établit une présomption de violation de l’article 6 dès lors qu’est utilisée aux fins de la condamnation d’un accusé une déclaration auto-incriminante faite par lui à la police alors qu’il ne bénéficiait pas de l’assistance d’un avocat) s’applique lorsque le droit d’accès à un avocat est soumis à une restriction de portée générale et obligatoire découlant de la législation (paragraphes 8 et 15 ci-dessus), tandis que celui dégagé dans le cadre de l’arrêt Ibrahim (qui impose un contrôle très strict de l’équité globale de la procédure) s’applique en l’absence de pareille restriction législative de portée générale et obligatoire (paragraphe 17 ci-dessus). En conséquence, les arrêts Salduz et Ibrahim doivent être considérés comme partiellement juxtaposables et partiellement complémentaires. Ils se recoupent et vont tous deux dans le sens de la nécessité de procéder à une appréciation de l’équité globale de la procédure dans les cas où des raisons impérieuses justifient de priver un accusé de l’accès à un avocat. Ils se complètent en revanche dans les situations où aucune raison impérieuse n’existe, la « présomption débouchant automatiquement sur un constat de violation » établie dans l’arrêt Salduz s’appliquant lorsque le droit d’accès à un avocat est restreint par une disposition législative de portée générale et obligatoire, et le « principe d’un contrôle strict de l’équité globale de la procédure » établi dans l’arrêt Ibrahim s’appliquant en l’absence de pareille restriction.

V.  Infirmation du principe établi par l’arrêt Salduz

19.  Nous regrettons que, sous couvert d’interprétation, le présent arrêt s’écarte des standards en matière d’équité procédurale qui ont été établis dans les arrêts Salduz et Ibrahim et autres combinés. Comme nous l’avons démontré ci-dessus, le principe établi par l’arrêt Ibrahim, qui trouve à s’appliquer en l’absence de raisons impérieuses, ne saurait être étendu pour s’appliquer également aux affaires comparables à l’affaire Salduz sans infirmer non seulement l’arrêt Dayanan (précité) et d’autres arrêts rendus contre la Turquie (ainsi qu’il est dit au paragraphe 144 du présent arrêt), mais aussi l’arrêt Salduz lui-même et tous les autres arrêts dans lesquels le principe établi par l’arrêt Salduz a été appliqué. L’arrêt rendu dans la présente espèce déforme et modifie le principe énoncé dans l’arrêt Salduz et dévalue le droit précédemment établi par la Cour.

20.  En outre, le présent arrêt affaiblit, voire infirme, les arrêts dans lesquels la Cour a défini plusieurs autres conditions que les autorités internes doivent respecter lorsqu’elles imposent des restrictions aux garanties de l’article 6, dont le droit d’accès à un avocat : premièrement, aucune restriction ne doit détruire ou vider de sa substance le droit concerné consacré par l’article 6[27] ; deuxièmement, la restriction imposée doit généralement poursuivre un but légitime[28] ; troisièmement, il doit y avoir un rapport raisonnable de proportionnalité entre la restriction imposée et le but visé[29]. Autrement dit, la Grande Chambre a estimé en l’espèce que le droit à un procès équitable peut être préservé même dans les cas où l’absence de raisons impérieuses justifiant de restreindre le droit d’accès à un avocat (c’est-à-dire même en l’absence de but légitime) coïncide avec une restriction législative de portée générale et obligatoire ou avec un déni total du droit d’accès à un avocat (autrement dit avec une situation dans laquelle ce droit est vidé de toute sa substance), et ce même lorsque pareille restriction s’est appliquée à un stade crucial de la procédure pénale (comme le premier interrogatoire de police) et même si la déclaration faite à la police dans ces conditions a été utilisée aux fins de la condamnation de l’intéressé (apparemment au mépris du principe de proportionnalité). Selon nos collègues (paragraphe 144 de l’arrêt) tous ces éléments pouvaient, en l’espèce, être contrebalancés par d’autres garanties procédurales, et l’équité globale de la procédure pouvait encore être préservée (voir, a contrario, Salduz, précité, § 58).

21.  Apparemment, cette conception sacro-sainte de l’appréciation de l’équité de la procédure dans son ensemble (paragraphe 147 de l’arrêt) correspond au rôle de la Cour, qui ne consiste ni à se prononcer in abstracto ni à uniformiser les différents systèmes juridiques (ibidem, § 148). Nous estimons quant à nous qu’il est tout simplement faux de supposer que le fait de constater une violation de l’article 6 en se fondant sur un examen qui ne consisterait pas en une appréciation de l’équité globale de la procédure reviendrait à procéder à un examen in abstracto du droit applicable (paragraphe 8 ci-dessus). Nous considérons également qu’il est faux de laisser entendre que ce n’est qu’au travers d’une appréciation de l’équité globale de la procédure que l’on peut éviter de contraindre les États à uniformiser leurs systèmes juridiques. Il est en outre faux de considérer que le principe d’automaticité énoncé dans l’arrêt Salduz pose une règle contraignante imposant une application uniforme. L’arrêt Salduz a établi le droit à l’assistance d’un avocat au cours de la garde à vue comme un droit implicitement consacré par la Convention, et il a laissé aux États le choix des moyens propres à le mettre en œuvre[30]. Certes, les États membres ajustent continuellement leurs systèmes juridiques afin de les faire correspondre aux principes énoncés par la CEDH[31], mais ce faisant ils sont libres de choisir les solutions qui leur conviennent le mieux, tant que celles‑ci ne contreviennent pas aux principes énoncés par la Convention[32]. Comme la Cour l’a expliqué dans l’arrêt qu’elle a rendu dans l’affaire Al-Khawaja et Tahery[33], la Cour doit examiner les « différences significatives qui peuvent exister entre les divers systèmes juridiques et les procédures qu’ils prévoient » sans établir de distinction conceptuelle mais en appliquant les mêmes critères d’appréciation quel que soit l’ordre juridique dont émane l’affaire.

VI.  Conclusion

22.  En conclusion, nous estimons qu’il est essentiel d’établir une distinction entre les carences systématiques et les carences particulières, qui sont propres à une affaire donnée et découlent de restrictions ciblées dans un contexte particulier (dans des affaires de terrorisme, par exemple) ou d’erreurs ou de lacunes constatées dans des cas particuliers. Il n’est pas judicieux que la Cour apprécie l’équité globale d’une procédure ayant visé un requérant dans les cas où une interdiction systématique s’appliquait à toutes les personnes placées dans la même situation et où, pour cette raison, les autorités internes compétentes n’ont pas procédé à un examen du cas particulier concerné.

23.  La formulation de l’exception est extrêmement claire : toute dérogation doit être justifiée par des raisons impérieuses se rapportant à un besoin urgent de parer une menace pour la vie ou l’intégrité physique d’une ou plusieurs personnes. De plus, toute dérogation doit respecter le principe de proportionnalité, selon lequel les autorités compétentes doivent systématiquement choisir la solution qui restreint le moins le droit d’accès à un avocat et limiter autant que possible la durée de la restriction. Conformément à la jurisprudence de la Cour, aucune dérogation ne peut se fonder exclusivement sur la nature ou la gravité de l’infraction et toute volonté de dérogation nécessite une appréciation par l’autorité compétente du cas particulier concerné. Enfin, une dérogation ne peut être autorisée que par une décision motivée d’une autorité judiciaire.

24.  La Cour doit adopter une démarche stricte lorsqu’un État impose une interdiction générale du droit à l’assistance d’un avocat, sans quoi elle risque de se mettre en porte-à-faux avec sa propre jurisprudence et avec le droit de l’UE.

25.  L’arrêt Salduz a provoqué une révolution en ce qui concerne les droits inhérents à la notion de procès équitable : il a affirmé que toute restriction au droit d’accès à un avocat devait être exceptionnelle et justifiée : en vertu de l’article 6 § 1, « il faut, en règle générale, que l’accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire d’un suspect par la police » et, comme la Cour l’a précisé dans l’arrêt Ibrahim et autres, que « les restrictions à cet accès ne so[ie]nt permises que dans des cas exceptionnels, [qu’elles soient] de nature temporaire et [qu’elles reposent] sur une appréciation individuelle des circonstances particulières du cas d’espèce ». À cet égard, l’arrêt Beuze représente une contre-révolution regrettable : il rend caduque l’exigence correspondant aux mots « en règle générale » – reprise dans plus d’une centaine d’arrêts communément regroupés sous l’appellation « jurisprudence Salduz » – et la relativise dramatiquement au détriment des garanties procédurales.

26.  Qui plus est, le présent arrêt va mécontenter les États membres qui ont déjà modifié leur législation et leur pratique internes pour se conformer à la décision antérieure de la Cour[34]. L’arrêt Salduz a également engendré, et dans une large mesure inspiré, plusieurs mesures au niveau de l’UE, dont la feuille de route visant à renforcer les droits procéduraux des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales, dont relève la Directive 2013/48/UE relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives au mandat d’arrêt européen, qui vise à garantir une protection renforcée des droits procéduraux des suspects et personnes poursuivies dans le cadre de procédures pénales[35], et dont l’objectif est de renforcer les principes établis dans l’arrêt Salduz en les clarifiant pour s’assurer de leur efficacité pratique, ce qui revient à adopter une interprétation expansionniste plutôt que restrictive de la jurisprudence de la Cour.

27.  Il n’est par ailleurs peut-être pas inutile de préciser que la Belgique fait partie des États qui ont adopté une nouvelle loi en réaction à l’arrêt Salduz. Aujourd’hui, quelque neuf années après, la Grande Chambre explique à la Belgique qu’elle est libre de diminuer les protections qu’elle a mises en place en réponse à un arrêt antérieur de la Cour ; la Belgique et d’autres États membres se sont apparemment trop précipités pour se conformer à l’arrêt Salduz.

28.  Il est extrêmement inquiétant que ce revirement décevant se produise dans la sphère des droits procéduraux, qui sont au cœur du principe de l’État de droit. Comme Plutarque nous l’a enseigné, un jardin que l’on replante souvent ne donnera pas de fruits.


[1].  Le principe de spécialité signifie que l'individu pour lequel l'extradition ou la remise a été demandée ne peut être poursuivi, jugé ou détenu que pour les faits qui ont motivé l'extradition ou la remise ou qui sont postérieurs à celles-ci.

[2].  Salduz c. Turquie [GC], no 36391/02, CEDH 2008.

[3].  Ibrahim et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 50541/08 et 3 autres, 13 septembre 2016.

[4].  La législation imposait en matière d’accès à un avocat au cours de la phrase préalable au procès des restrictions qui s’appliquaient automatiquement à toute une catégorie d’infractions (Salduz) ou à tous les justiciables (Beuze). En conséquence, et indépendamment des circonstances de sa cause, le suspect ou l’accusé ne pouvait pas bénéficier de l’assistance d’un avocat.

[5].  La restriction au droit à l’assistance d’un avocat s’appliquait à certaines infractions, mais ponctuellement, en fonction des circonstances de la cause. En conséquence, le droit à l’assistance d’un avocat était consacré en général, mais il pouvait être exclu dans des circonstances bien définies.

[6].  Çarkçı c. Turquie (no 2), no 28451/08, 14 octobre 2014, et A.T. c. Luxembourg, no 30460/13, 9 avril 2015.

[7].  Paragraphe 9 ci-dessous.

[8].  Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, CEDH 2010.

[9].  « (...) le requérant avait été représenté par un avocat tant en première instance qu’en appel et (...) la déposition faite par lui devant la police pendant sa garde à vue ne constituait pas la seule base de sa condamnation. (...) le requérant avait eu l’occasion de contester la thèse de l’accusation dans des conditions qui ne le plaçaient pas dans une situation de net désavantage par rapport à elle. » Salduz, précité, § 46 (résumant l’arrêt rendu par la chambre le 26 avril 2007).

[10].  On pourrait comprendre de la lecture de ce paragraphe que l’absence de raisons impérieuses justifiant une restriction au droit d’accès à un avocat suffit en soit à conclure à une violation de l’article 6. C’est ce qu’a expliqué le juge Serghides dans l’opinion en partie dissidente qu’il a jointe à l’arrêt rendu dans l’affaire Simeonovi (opinion en partie dissidente du juge Serghides, §§ 5-7, jointe à Simeonovi c. Bulgarie [GC], no 21980/04, 12 mai 2017).

[11].  Nous nous référons en particulier à deux phrases importantes : la première, « [p]our justifier le refus au requérant de l’accès à un avocat, le Gouvernement s’est borné à dire qu’il s’agissait de l’application sur une base systématique des dispositions légales pertinentes. En soi, cela suffit déjà à faire conclure à un manquement aux exigences de l’article 6 à cet égard, telles qu’elles ont été décrites au paragraphe 52 ci-dessus. » (Salduz, précité, § 56 in fine, gras ajouté) ; et la deuxième, « [i]l est donc clair en l’espèce que le requérant a été personnellement touché par les restrictions mises à la possibilité pour lui d’avoir accès à un avocat, puisque aussi bien sa déclaration à la police a servi à fonder sa condamnation. Ni l’assistance fournie ultérieurement par un avocat ni la nature contradictoire de la suite de la procédure n’ont pu porter remède au défaut survenu pendant la garde à vue. » (ibidem, § 58).

[12].  Voir l’opinion en partie dissidente du juge Serghides, § 9, jointe à Simeonovi, précité.

[13].  Il était important pour la Grande Chambre de montrer qu’elle ne procédait pas à un examen in abstracto de la législation turque, et que sa seule tâche était de déterminer si l’application de la législation incriminée au cas du requérant était conforme à l’article 6 de la Convention.

[14].  Par exemple, la question du droit d’accès à un avocat se pose également en rapport avec des actes de procédure, comme les procédures d’identification ou de reconstitution des faits (İbrahim Öztürk c. Turquie, §§ 48-49, et Türk c. Turquie, § 47). En outre, il est des cas où la Cour a conclu à une violation nonobstant le fait que le requérant avait gardé le silence pendant sa garde à vue (Dayanan c. Turquie, no 7377/03, § 33, 13 octobre 2009), ou encore malgré l’absence d’aveux dans les déclarations du requérant (Yeşilkaya c. Turquie, no 59780/00, 8 décembre 2009). Dans l’arrêt Dayanan (précité, § 32), la Cour a également dit qu’un suspect doit être assisté d’un avocat « dès qu’il est privé de liberté (…) et cela indépendamment des interrogatoires qu’il subit », et qu’il doit pouvoir « obtenir toute la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil ». Enfin, dans l’arrêt Brusco, la Cour a éliminé tout doute sur le point de savoir si un avocat doit être présent lors des interrogatoires puisqu’elle a dit que l’accusé avait le droit d’être assisté d’un avocat dès le début de sa détention « ainsi que pendant les interrogatoires » (Brusco c. France, no 1466/07, §§ 45 et 54, 14 octobre 2010).

[15].  Dans l’arrêt Dayanan (précité, § 33) la Cour a dit : « En soi, une telle restriction systématique [non-accès à l’assistance juridique au cours de la garde à vue] sur la base des dispositions légales pertinentes, suffit à [faire] conclure à un manquement aux exigences de l'article 6 de la Convention (…). » Dans cet arrêt, le principe d’automaticité a été appliqué de manière stricte, nonobstant le fait que le requérant avait gardé le silence au cours de sa garde à vue. Cet élément n’a pas été jugé pertinent compte tenu de la nature de la restriction, dont l’origine législative et le caractère systématique signifiaient, selon le raisonnement suivi dans l’arrêt Salduz, qu’une appréciation de l’équité globale de la procédure n’était pas nécessaire.

[16].  Dans l’arrêt Boz (§ 35) la Cour a réaffirmé ce même principe : « En soi, une telle restriction systématique sur la base des dispositions légales pertinentes, suffit à [faire] conclure à un manquement aux exigences de l'article 6 de la Convention. »

[17].  Dans l’arrêt Yeşilkaya (§ 31), le principe d’automaticité a de nouveau été appliqué de manière stricte, alors même que les déclarations du requérant ne contenaient aucun aveu. La Cour a en effet considéré que cet élément était dénué de pertinence compte tenu du caractère systématique et législatif de la restriction, lequel, selon le raisonnement suivi dans l’arrêt Salduz, rendait inutile un examen approfondi de l’équité de la procédure considérée dans son ensemble.

[18].  « La Cour considère que si la restriction du droit en cause n’était pas, à l’origine, le fait des autorités françaises, il appartenait à celles-ci, à défaut de motif impérieux la justifiant, de veiller à ce qu’elle ne compromette pas l’équité de la procédure suivie devant elles. À cet égard, l’argument selon lequel cette restriction résulte de l’application systématique des dispositions légales pertinentes est inopérant et suffit à [faire] conclure à un manquement aux exigences de l’article 6 de la Convention (voir, entre autres, Salduz, précité, § 56, et, mutatis mutandis, Boz c. Turquie, no 2039/04, § 35, 9 février 2010). » (Stojković, § 55). En conséquence, dans l’arrêt Stojković, la Cour s’est appuyée sur l’arrêt Salduz pour conclure que la procédure suivie devant les autorités belges étaient contraires à l’article 6, sur la seule base du caractère législatif et systématique de la restriction au droit d’accès à un avocat, sans apprécier l’équité globale de cette procédure. Elle a fini par conclure que rien n’avait été fait en France par la suite pour remédier à cette lacune initiale, qui trouvait sa source dans la législation belge.

[19].  « Par ailleurs, elle a déjà jugé qu’une application systématique de dispositions légales pertinentes qui excluent la possibilité d’être assisté par un avocat pendant les interrogatoires suffit, en soi, à [faire] conclure à un manquement aux exigences de l’article 6 de la Convention (voir, en premier lieu, Salduz, précité, §§ 56 et 61-62). » Dans l’arrêt Navone, le principe d’automaticité a été appliqué de manière stricte et la Cour a jugé que pour établir s’il y avait eu violation, il était inutile de déterminer si l’intéressé avait véritablement renoncé à son droit d’être assisté par un avocat.

[20].  Au paragraphe 62 de son arrêt Borg, la Cour s’est exprimée ainsi : « Il s’ensuit également qu’en l'espèce le requérant s’est vu refuser le droit à être assisté par un avocat au cours de la période préalable au procès du fait d’une restriction systématique applicable à tous les accusés. En soi, cela suffit déjà à faire conclure à un manquement aux exigences de l’article 6, en vertu duquel le droit à bénéficier de l’assistance d’un avocat dès les premiers stades des interrogatoires de police ne peut être restreint que s’il existe des raisons impérieuses commandant semblable restriction (Salduz, précité, §§ 52, 55 et 56). » En outre, la Cour a observé qu’en pareils cas on ne pouvait tenir compte des déclarations selon lesquelles il aurait été rappelé au requérant qu’il avait le droit de garder le silence, et qu’en tout état de cause il était impossible de renoncer à un droit auquel on ne pouvait prétendre.

[21].  « Dans quelques affaires, qui concernaient la Turquie, la Cour ne s’est toutefois pas interrogée sur l’existence de raisons impérieuses et n’a pas davantage procédé à un examen de l’équité de la procédure. »

[22].  John Murray c. Royaume-Uni, 8 février 1996, § 63, Recueil des arrêts et décisions 1996‑I, Magee c. Royaume-Uni, no 28135/95, § 45, CEDH 2000‑VI, et Brennan c. Royaume-Uni, no 39846/98, § 44, CEDH 2001‑X.

[23].  Dans l’arrêt rendu en l'espèce, la Cour présente l’évolution de la jurisprudence depuis l’arrêt Salduz comme une évolution « linéaire » (paragraphe 152). Bien entendu, les opinions dissidentes et en partie dissidentes jointes aux arrêts Ibrahim et Simeonovi permettent de douter de la justesse de cette vision. Les clarifications apportées dans ces deux affaires ont, par certains aspects, pris une tournure inattendue et se sont souvent révélées moins protectrices des droits de la défense que beaucoup l’espéraient et que l’arrêt Salduz lui-même le permettait. Voir l’opinion en partie dissidente, en partie concordante des juges Sajó et Laffranque, §§ 2 à 21, jointe à l’arrêt Ibrahim et autres, précité.

[24].  Cela étant, comme le souligne le juge Serghides dans l’opinion en partie dissidente jointe par lui à l’arrêt Simeonovi (précité, §§ 5 à 7), certains passages de l’arrêt Salduz (précité), à savoir, d’abord, celui (figurant au paragraphe 52) aux termes duquel « l’article 6 exige normalement que le prévenu puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès les premiers stades des interrogatoires de police. Ce droit (…) peut toutefois être soumis à des restrictions pour des raisons valables. Il s’agit donc, dans chaque cas, de savoir si la restriction litigieuse est justifiée et, dans l’affirmative, si, considérée à la lumière de la procédure dans son ensemble, elle a ou non privé l’accusé d’un procès équitable, car même une restriction justifiée peut avoir pareil effet dans certaines circonstances (...) » (gras ajouté), et celui (figurant au paragraphe 55) aux termes duquel « [m]ême lorsque des raisons impérieuses peuvent exceptionnellement justifier le refus de l’accès à un avocat, pareille restriction – quelle que soit sa justification – ne doit pas indûment préjudicier aux droits découlant pour l’accusé de l’article 6 (…) » (gras ajouté) — laissent penser que l’appréciation de l’équité de la procédure dans son ensemble pourrait n’être requise que dans les cas où la restriction est justifiée par des raisons impérieuses.

[25].  Şaman c. Turquie, no 35292/05, §§ 34-38, 5 avril 2011.

[26].  Ni l’arrêt Salduz, ni l’arrêt Ibrahim et autres, ni, à notre connaissance, aucun autre arrêt n’ont réparti les situations de restriction du droit d’accès à un avocat pour des raisons impérieuses en sous-catégories dépendant du contexte juridique concerné.

[27].  Dans l’arrêt Jalloh, la Cour s’est appuyée sur l’affaire Heaney et McGuinness c. Irlande, no 34720/97, § 58, CEDH 2000‑XII) et a souligné que « les préoccupations d’intérêt général ne sauraient justifier des mesures vidant de leur substance même les droits de la défense d’un requérant, y compris celui de ne pas contribuer à sa propre incrimination garanti par l’article 6 de la Convention ». (Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, § 97, CEDH 2006‑IX. Voir également Heglas c. République tchèque, no 5935/02, § 87, 1er mars 2007, et Bykov c. Russie [GC], no 4378/02, § 93, 10 mars 2009). Il semble que l’interrogation concernant la substance du droit ait pour but d’éviter toute prise en compte excessive des considérations d’intérêt général.

[28].  Voir aussi Kostovski c. Pays-Bas, 20 novembre 1989, § 44, série A no 166.

[29].  Voir, relativement au droit d’accès à un tribunal, Waite et Kennedy c. Allemagne [GC], no 26083/94, § 59, CEDH 1999‑I.

[30].  De fait, les réformes de l’assistance juridique au cours de la garde à vue qui ont été menées en Europe au lendemain de l’arrêt Salduz ont pris des formes très différentes selon les systèmes juridiques internes.

[31].  J. Hodgson, « Suspects, Defendants and Victims in the French Criminal Process: The Context of Recent Reform », 51 International and Comparative Law Quarterly (2002), p. 782; I. Motoc et I. Ziemele (eds.), The Impact of the ECHR on Democratic Change in Central and Eastern Europe: Judicial Perspectives (Cambridge, Cambridge University Press 2016).

[32].  Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, § 83, CEDH 2010.

[33].  « (…) s’il importe que la Cour tienne compte des différences significatives qui peuvent exister entre les divers systèmes juridiques et les procédures qu’ils prévoient, notamment quant à la recevabilité des preuves dans les procès pénaux, il reste que, lorsqu’elle examine la question du respect ou non desdites clauses de la Convention dans une affaire donnée, elle doit appliquer les mêmes critères d’appréciation quel que soit l’ordre juridique dont émane l’affaire. » Al-Khawaja et Tahery c. Royaume-Uni [GC], nos 26766/05 et 22228/06, § 130, CEDH 2011.

[34].  L’arrêt Salduz a entraîné l’adoption de réformes de l’assistance juridique en garde à vue — ou, à tout le moins, a suscité un mouvement en ce sens — dans plusieurs États, dont la France, la Belgique, l’Écosse, l’Irlande et les Pays-Bas, pays qui depuis longtemps rechignaient à donner plein effet au droit d’accès à un avocat au cours des interrogatoires de police. Par exemple, dans l’affaire Cadder v Her Majesty’s Advocate ([2010] UKSC 43), la Cour suprême du Royaume-Uni a examiné la législation écossaise relative aux restrictions à l’accès à un avocat. Elle a estimé que si le système de droit pénal écossais offrait aux accusés plusieurs garanties qui, dans certains cas, allaient même plus loin que celles offertes par d’autres systèmes, ces garanties ne compensaient pas l’absence de droit aux conseils d’un avocat avant un interrogatoire : « Le droit d’accès à un avocat, qui est consacré implicitement pour protéger un droit se trouvant au cœur de la notion de procès équitable consacrée par l’article 6, doit lui aussi occuper une place centrale. Pour cette raison, il n’y a pas la moindre chance que la Cour européenne puisse considérer que grâce aux autres garanties offertes aux accusés par le droit écossais, le fait que le système écossais ne garantisse pas ce droit — droit que le Comité pour la prévention de la torture juge « fondamental » — et que les suspects soient régulièrement interrogés sans avoir le droit de consulter un avocat au préalable n’emporte pas violation des articles 6 1) et 3) c). Sur ce point, les juges de Strasbourg ont parlé : les juridictions de ce pays n’ont pas vraiment d’autre choix que d’appliquer le droit établi par elle. » (ibidem, § 93). La Cour suprême est allée jusqu’à dire qu’il « est impossible de déroger à l’arrêt Salduz » (ibidem, § 50). Voici comment nos homologues nationaux ont compris et interprété l’arrêt Salduz : « Je tirerais de l’arrêt Salduz la conclusion que les États contractants ont l’obligation d’organiser leur système interne de manière à garantir que tout détenu bénéficie du droit d’accès à un avocat avant tout interrogatoire de police, sauf dans les cas où il existe des raisons impérieuses de restreindre pareil droit » (ibidem, § 48).

[35].  Résolution du Conseil du 30 novembre 2009 relative à la feuille de route visant à renforcer les droits procéduraux des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales (OJ 2009 C 295/1, considérant 2).

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CEDH, Cour (grande chambre), AFFAIRE BEUZE c. BELGIQUE, 9 novembre 2018, 71409/10