CEDH, Commission (deuxième chambre), QUADO c. la FRANCE, 11 janvier 1994, 18837/91
Chronologie de l’affaire
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Sur la décision
Référence : | CEDH, Commission (Deuxième Chambre), 11 janv. 1994, n° 18837/91 |
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Numéro(s) : | 18837/91 |
Type de document : | Rapport |
Date d’introduction : | 16 juillet 1991 |
Niveau d’importance : | Importance faible |
Opinion(s) séparée(s) : | Non |
Conclusion : | Violation de l'art. 8 |
Identifiant HUDOC : | 001-46645 |
Identifiant européen : | ECLI:CE:ECHR:1994:0111REP001883791 |
Sur les parties
- Avocat(s) :
Texte intégral
COMMISSION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME
DEUXIEME CHAMBRE
Requête N° 18837/91
Jean-Pierre Quado
contre
France
RAPPORT DE LA COMMISSION
(adopté le 11 janvier 1994)
TABLE DES MATIERES
Page
I. INTRODUCTION
(par. 1 - 13) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
A. La requête
(par. 2 - 4) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
B. La procédure
(par. 5 - 8) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
C. Le présent rapport
(par. 9 - 13). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2
II. ETABLISSEMENT DES FAITS
(par. 14 - 21). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
A. Circonstances particulières de l'affaire
(par. 14 - 16) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
B. Droit et pratique internes pertinents
(par. 17 - 21) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
III. AVIS DE LA COMMISSION
(par. 22 - 35). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
A. Grief déclaré recevable
(par. 22). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
B. Point en litige
(par. 23). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
C. Sur le respect de l'article 8 de la Convention
(par. 24 - 34) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
CONCLUSION
(par. 35) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
ANNEXE I : HISTORIQUE DE LA PROCEDURE . . . . . . . . . . . .10
ANNEXE II : DECISION SUR LA RECEVABILITE DE LA REQUETE . . . .11
I. INTRODUCTION
1. On trouvera ci-après un résumé des faits de la cause, tels qu'ils
ont été exposés par les parties à la Commission européenne des Droits
de l'Homme, ainsi qu'une description de la procédure.
A. La requête
2. Le requérant, né en 1948 et de nationalité française, est
comptable de profession. Il est actuellement détenu à la maison d'arrêt
de Pau.
Dans la procédure devant la Commission, il est représenté par
Maître Joëlle Assié, avocat au barreau de Biarritz.
Le Gouvernement défendeur est représenté par son Agent,
M. Jean-Pierre Puissochet, Directeur des affaires juridiques au
ministère des Affaires étrangères.
3. La requête concerne l'interception et l'enregistrement par la
police agissant sur commissions rogatoires d'un juge d'instruction de
plusieurs conversations téléphoniques du requérant.
4. Devant la Commission, le requérant allègue une violation de son
droit au respect de sa vie privée et de sa correspondance, garanti à
l'article 8 de la Convention.
B. La procédure
5. La requête a été introduite le 16 juillet 1991 et enregistrée le
23 septembre 1991.
6. Le 13 janvier 1992, la Commission a décidé de donner connaissance
de la requête au Gouvernement défendeur, en application de
l'article 48 par. 2 b) de son Règlement intérieur, et d'inviter celui-
ci à présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et le
bien-fondé du grief présenté au titre de l'article 8 dans un délai
échéant le 10 avril 1992.
Après avoir obtenu deux prorogations de délai, le Gouvernement
a présenté ses observations le 1er juillet 1992 et le requérant y a
répondu le 1er août 1992.
7. Le 31 mars 1993, la Commission (Deuxième Chambre) a déclaré la
requête recevable.
8. Après avoir déclaré la requête recevable, la Commission,
conformément à l'article 28 par. 1 b) de la Convention, s'est mise à
la disposition des parties en vue de parvenir à un règlement amiable
de l'affaire. Vu l'attitude adoptée par les parties, la Commission
constate qu'il n'existe aucune base permettant d'obtenir un tel
règlement.
C. Le présent rapport
9. Le présent rapport a été établi par la Commission (Deuxième
Chambre), conformément à l'article 31 de la Convention, après
délibérations et votes en présence des membres suivants :
MM. S. TRECHSEL, Président
H. DANELIUS
G. JÖRUNDSSON
J.-C. SOYER
H.G. SCHERMERS
Mme G.H. THUNE
MM. F. MARTINEZ
L. LOUCAIDES
J.-C. GEUS
M.A. NOWICKI
I. CABRAL BARRETO
J. MUCHA
D. SVÁBY
10. Le texte du présent rapport a été adopté par la Commision le
11 janvier 1994 et sera transmis au Comité des Ministres du Conseil de
l'Europe, en application de l'article 31 par. 2 de la Convention.
11. Ce rapport a pour objet, conformément à l'article 31 de la
Convention :
(i) d'établir les faits, et
(ii) de formuler un avis sur le point de savoir si les faits
constatés révèlent de la part de la France une violation des
obligations qui lui incombent aux termes de la Convention.
12. Sont joints au présent rapport un tableau retraçant l'historique
de la procédure devant la Commission (Annexe I) et le texte de la
décision de la Commission sur la recevabilité de la requête
(Annexe II).
13. Le texte intégral de l'argumentation écrite des parties ainsi que
les pièces soumises à la Commission sont conservés dans les archives
de la Commission.
II. ETABLISSEMENT DES FAITS
A. Circonstances particulières de l'affaire
14. A partir du 3 juillet 1989, dans le cadre d'une information
ouverte contre X. du chef de trafic de stupéfiants, le juge
d'instruction du tribunal de grande instance de Bayonne ordonna, par
commissions rogatoires, la mise sur table d'écoutes d'un grand nombre
de personnes. Lesdites écoutes conduisirent notamment, le
15 février 1990, à l'inculpation du requérant pour entente ou
association en vue de commettre des infractions à la législation sur
les stupéfiants.
15. Par ordonnance du 27 novembre 1990, le juge d'instruction du
tribunal de grande instance de Bayonne, sur demande du requérant,
saisit la chambre d'accusation de la cour d'appel de Pau de la
prétendue irrégularité des écoutes téléphoniques ordonnées dans le
cadre de l'instruction. Par arrêt du 12 février 1991, la chambre
d'accusation estima n'y avoir lieu à annuler les actes d'instruction,
les écoutes téléphoniques étant, selon elle, régulières.
16. Le requérant se pourvut en cassation à l'encontre dudit arrêt
invoquant, notamment, le défaut de clarté et de précision de la loi
française (articles 81 et 151 du Code de procédure pénale) réglementant
la mise sur table d'écoutes, contrairement aux prescriptions de
l'article 8 par. 2 de la Convention. Par arrêt du 19 juin 1991, la
Cour de cassation écarta le moyen tiré de l'illégalité des écoutes
motivant sa décision comme suit :
"les écoutes et enregistrements téléphoniques trouvent leur base
légale dans les articles 81 et 151 du Code de procédure pénale;
qu'ils peuvent être effectués à l'insu des personnes intéressées,
qui ne sont pas seulement celles sur qui pèsent les indices de
culpabilité, s'ils sont opérés pendant une durée limitée, sur
l'ordre d'un juge et sous son contrôle en vue d'établir la preuve
d'un crime ou de toute autre infraction portant gravement
atteinte à l'ordre public, et d'en identifier les auteurs; qu'il
faut en outre que l'écoute soit obtenue sans artifice ni
stratagème et que sa transcription puisse être contradictoirement
discutée par les parties concernées, le tout dans le respect des
droits de la défense ;
Que ces transcriptions auxquelles il n'est pas établi qu'il
ait été dérogé en l'espèce, répondent aux exigences de
l'article 8, alinéa 2, de la Convention européenne de sauvegarde
des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dont la
méconnaissance serait de nature à entraîner l'annulation des
actes critiqués;".
B. Droit et pratique internes pertinents
17. Code de procédure pénale
Article 81 -
"Le juge d'instruction procède, conformément à la loi, à tous les
actes d'information qu'il juge utiles à la manifestation de la
vérité... Si le juge d'instruction est dans l'impossibilité de procéder
lui-même à tous les actes d'instruction, il peut donner commission
rogatoire aux officiers de police judiciaire afin de leur faire
exécuter tous les actes d'information nécessaires dans les conditions
et sous les réserves prévues aux articles 151 et 152...".
Article 151 -
"Le juge d'instruction peut requérir par commission rogatoire
tout juge de son tribunal, tout juge d'instruction ou tout officier de
police judiciaire, qui en avise dans ce cas le Procureur de la
République, de procéder aux actes d'information qu'il estime
nécessaires dans les lieux où chacun d'eux est territorialement
compétent. La commission rogatoire indique la nature de l'infraction,
objet des poursuites. Elle est datée et signée par le magistrat qui la
délivre et revêtue de son sceau. Elle ne peut prescrire que des actes
d'instruction se rattachant directement à la répression de l'infraction
visée aux poursuites."
Article 152 -
"Les magistrats ou officiers de police judiciaire commis pour
l'exécution exercent, dans les limites de la commission rogatoire, tous
les pouvoirs du juge d'instruction...".
18. Code pénal
Article 368 -
"Sera puni d'un emprisonnement de deux mois à un an et d'une
amende de 2000 à 50000 F, ou de l'une de ces deux peines seulement,
quiconque aura volontairement porté atteinte à l'intimité de la vie
privée d'autrui:
1° En écoutant, en enregistrant ou transmettant au moyen d'un
appareil quelconque des paroles prononcées dans un lieu privé par
une personne, sans le consentement de celle-ci...".
19. Jurisprudence
- Cour de cassation, arrêt Kruslin du 23 juillet 1985
(Bull. n° 275, pp. 713-715) :
"... Il résulte des articles 81 et 151 du code de procédure
pénale et des principes généraux de la procédure pénale que
notamment, d'une part, des écoutes téléphoniques ne peuvent
être ordonnées par un juge d'instruction, par voie de
commission rogatoire, que sur présomption d'une infraction
déterminée ayant entraîné l'ouverture de l'information dont
le magistrat est saisi et que ces mesures ne sauraient
viser, de façon éventuelle, toute une catégorie
d'infractions ; que, d'autre part, les écoutes ordonnées
doivent être réalisées sous le contrôle du juge
d'instruction, sans que soit mis en oeuvre aucun artifice
ou stratagème et sans qu'elles puissent avoir pour résultat
de compromettre les conditions d'exercice des droits de la
défense ;
Que ces dispositions auxquelles est soumis le recours par
le juge d'instruction aux écoutes téléphoniques et
auxquelles il n'est pas établi qu'il ait été en l'espèce
dérogé, répondent aux exigences résultant de l'article 8 de
la Convention européenne de sauvegarde des Droits de
l'Homme et des Libertés fondamentales ;"
- Cour de cassation, arrêt Bacha du 15 mai 1990 :
Si les écoutes et enregistrements téléphoniques peuvent être
effectués à l'insu des personnes intéressées, ce ne peut être que sur
l'ordre d'un juge et sous son contrôle, en vue d'établir la preuve d'un
crime, ou de toute autre infraction portant atteinte gravement à
l'ordre public, et d'en identifier les auteurs ; qu'il faut en outre
que l'écoute soit obtenue sans artifice ni stratagème, et que sa
transcription puisse être contradictoirement discutée par les parties
concernées, le tout dans le respect des droits de la défense.
20. Note circulaire du Ministère de la Justice du 27 avril 1990
" A l'attention de Mesdames et Messieurs les premiers
Présidents et Procureurs Généraux, Mesdames et Messieurs
les Présidents et Procureurs de la République :
I et II ...
III Portée des arrêts :
... Il appartient aux juridictions du fond, sous le
contrôle de la Cour de cassation, d'élargir leur contrôle
sur les modalités de mise en oeuvre des écoutes
téléphoniques, telles que précisées par la Cour européenne.
J'appelle donc tout spécialement votre attention sur
l'intérêt qui s'attache à ce que, dès à présent, il soit
tenu le plus grand compte de ces principes, dans le cadre
des procédures en cours ou à venir. Il s'impose notamment
de veiller à ce que :
- les écoutes téléphoniques ne soient ordonnées que pour
l'élucidation des infractions les plus graves ;
- leur durée soit toujours limitée dans le temps, quitte à faire
l'objet de renouvellements ;
- les modalités de retranscription des écoutes soient définies
dans la commission rogatoire ;
- les bandes magnétiques soient placées sous scellés et adressées
au magistrat mandant ;
- en cas de décision définitive sur les poursuites, les bandes
magnétiques soient effacées ou détruites à la diligence du
Parquet.
Les commissions rogatoires doivent donc désormais être
suffisamment explicites, afin de permettre l'exercice du
contrôle évoqué ci-dessus. Je ne puis que vous laisser le
soin de porter, selon les modalités que vous jugerez les
plus appropriées, les termes de la présente note à la
connaissance des Présidents de chambres d'accusation et des
Juges d'instruction."
21. Loi du 10 juillet 1991- article 100 du Code pénal
La loi du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances
émises par la voie des télécommunications, qui est entrée en vigueur
le 1er octobre 1991, a ajouté un article 100 au code de procédure
pénale concernant les interceptions ordonnées par l'autorité
judiciaire. Aux termes de l'article 100, le juge d'instruction peut,
si la peine encourue est égale ou supérieure à deux ans
d'emprisonnement et lorsque les nécessités de l'instruction l'exigent,
prescrire l'interception, l'enregistrement et la transcription de
correspondances émises par la voie des télécommunications. La décision
d'interception, qui doit être écrite, n'a pas de caractère
juridictionnel et n'est susceptible d'aucun recours. L'article 100-1
précise que cette décision doit comporter tous les éléments
d'identification de la liaison à intercepter, l'infraction qui motive
le recours à l'interception ainsi que la durée de celle-ci, fixée par
l'article 100-2 à une durée maximale de quatre mois, ne pouvant être
renouvelée que dans les mêmes conditions de forme et de durée.
L'article 100-4 prévoit que chacune des opérations d'interception et
d'enregistrement fait l'objet d'un procès verbal qui mentionne la date
et l'heure auxquelles l'opération a commencé et celles auxquelles elle
s'est terminée. La transcription de la correspondance utile à la
manifestation de la vérité doit également, en vertu de l'article 100-5,
faire l'objet d'un procès verbal qui est versé au dossier.
L'article 100-6 prévoit que les enregistrements sont détruits, à la
diligence du ministère public, à l'expiration du délai de prescription
de l'action publique et qu'il est dressé procès verbal de l'opération
de destruction.
III. AVIS DE LA COMMISSION
A. Grief déclaré recevable
22. La Commission a déclaré recevable le grief du requérant selon
lequel l'interception et l'enregistrement de ses conversations
téléphoniques par des officiers de police judiciaire en exécution de
commissions rogatoires d'un juge d'instruction constitueraient une
atteinte à son droit au respect de sa vie privée et de sa
correspondance.
B. Point en litige
23. La Commission est appelée à se prononcer sur le point de savoir
s'il y a eu en l'espèce violation de l'article 8 (art. 8) de la
Convention.
C. Sur le respect de l'article 8 (art. 8) de la Convention
24. L'article 8 (art. 8) de la Convention dispose :
"1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et
familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans
l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est
prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une
société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à
la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense
de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la
protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des
droits et libertés d'autrui."
25. La Commission relève d'emblée que selon la jurisprudence de la
Cour européenne des Droits de l'Homme, les conversations téléphoniques
se trouvent incluses dans les notions de "vie privée" et de
"correspondance" au sens de l'article 8 (art. 8).
L'interception et l'enregistrement des conversations
téléphoniques du requérant par la police s'analysent dès lors en
l'espèce en une ingérence d'une autorité publique dans l'exercice d'un
droit garanti par le paragraphe 1 de l'article 8 (art. 8-1) (Cour eur.
D.H., arrêts Kruslin et Huvig du 24 avril 1990, série A n° 176 A et B,
respectivement p. 20, par. 26 et p. 52, par. 25).
26. La question qui se pose en l'espèce est celle de savoir si
l'ingérence en question était "prévue par la loi" au sens de
l'article 8 par. 2 (art. 8-2) et en particulier de déterminer, au vu
des conclusions dégagées par la Cour dans ses arrêts Huvig et Kruslin
précités, si la "loi" applicable à l'époque des faits objet de la
présente requête présentait un degré suffisant de prévisibilité pour
être compatible avec la notion de prééminence du droit.
27. La Commission rappelle que dans ses arrêts Huvig et Kruslin du
24 avril 1990 la Cour a conclu à la violation de l'article 8 (art. 8)
de la Convention au motif que le droit français, écrit et non écrit,
n'indiquait pas avec assez de clarté l'étendue et les modalités
d'exercice du pouvoir d'appréciation des autorités dans le domaine
considéré (voir arrêt Kruslin précité, par. 36).
28. Le requérant soutient que ce n'est que par la loi du
10 juillet 1991 (par. 21 ci-dessus) qu'une base légale au sens des
arrêts de la Cour a été donnée aux écoutes téléphoniques ordonnées par
l'autorité judiciaire, en l'espèce en 1989. Selon lui, ni la circulaire
ministérielle du 27 avril 1990, ni les arrêts de la Cour de cassation
rendus en l'affaire Bacha le 15 mai 1990 et le 19 juin 1991 en ce qui
le concerne ne sauraient être regardés comme suffisants au regard des
exigences de la Convention.
29. En revanche, le Gouvernement soutient que l'absence de
prévisibilité suffisante de ces dispositions de droit interne a été
palliée par l'envoi d'une note circulaire du Ministère de la Justice
aux Parquets dès le 27 avril 1990, soit trois jours après le prononcé
des arrêts de la Cour européenne leur indiquant qu'il appartenait aux
juridictions du fond, sous le contrôle de la Cour de cassation,
d'élargir leur contrôle sur les modalités de mise en oeuvre des écoutes
téléphoniques telles que précisées par la Cour européenne. En outre,
lorsqu'elle statua en l'espèce par arrêt du 19 juin 1991 la Cour de
cassation fit application des critères dégagés par la Cour, comme elle
l'avait déjà fait, et ce dès le 15 mai 1990, dans un arrêt Bacha.
30. La Commission relève tout d'abord qu'il n'est pas contesté dans
la présente affaire que la "loi" applicable à l'époque des faits était
la même que celle qui a été mise en cause dans les affaires Huvig et
Kruslin à savoir les articles 81, 151 et 152 du Code de procédure
pénale et la jurisprudence y afférente.
31. La Commission constate ensuite qu'il n'y a guère de différence
dans la motivation utilisée par la Cour de cassation dans les affaires
Kruslin et Huvig, telle que reproduite au paragraphe 12 des arrêts
précités de la Cour européenne, et la motivation utilisée par la Cour
de cassation en l'espèce et qu'il ne saurait dès lors être soutenu
qu'une évolution substantielle de la jurisprudence soit intervenue
entre le 24 avril 1990, date du prononcé par la Cour européenne des
Droits de l'Homme des arrêts Kruslin et Huvig, et le 15 mai 1990, date
de l'arrêt Bacha rendu par la Cour de cassation ou le 19 juin 1991,
date de l'arrêt rendu par la Cour de cassation dans la présente
affaire.
32. La Commission estime enfin qu'il ressort clairement du libellé
même de la circulaire du 27 avril 1990 qu'il s'agit en réalité d'une
simple note de service adressée par le ministère aux parquets des
juridictions pour les informer de la portée des arrêts de la Cour.
Cette note ne saurait être considérée comme une " loi " au sens donné
à cette expression par la jurisprudence des organes de la Convention
(voir, mutatis mutandis, Cour eur. D.H., arrêt Silver et autres du
25 mars 1983, série A N° 61, p.33, par.86). En effet elle ne visait que
les procédures en cours ou à venir, ne s'imposait pas aux juges
d'instruction devant délivrer des commissions rogatoires ordonnant des
écoutes téléphoniques ni aux juges du fond devant en apprécier la
régularité et enfin n'était pas susceptible d'être invoquée par les
personnes ayant fait l'objet d'écoutes téléphoniques.
33. Compte tenu de ce qui précède, il ne saurait être soutenu qu'une
note circulaire et un arrêt postérieurs à l'époque où les écoutes
furent ordonnées constituent un fondement juridique suffisant pour
remplir les conditions de "prévisibilité de la loi" telle
qu'interprétée par la Cour dans les arrêts Kruslin et Huvig.
34. A la lumière des considérants qui précèdent, la Commission
n'estime pas nécessaire de contrôler en l'occurrence le respect des
autres exigences du paragraphe 2 de l'article 8 (art. 8-2) de la
Convention.
CONCLUSION
35. La Commission conclut, à l'unanimité, qu'il y a eu, en l'espèce,
violation de l'article 8 (art. 8) de la Convention.
Le Secrétaire de la Le Président de la
Deuxième Chambre Deuxième Chambre
(K. ROGGE) (S. TRECHSEL)
ANNEXE I
HISTORIQUE DE LA PROCEDURE
Date Acte
____________________________________________________________________
16 juillet 1991 Introduction de la requête
23 septembre 1991 Enregistrement de la requête
Examen de la recevabilité
13 janvier 1992 Décision de la Commission de porter la
requête à la connaissance du Gouvernement
défendeur conformément à l'article 42
par. 2 b) devenu article 48 par. 2 b) du
Règlement intérieur
1er juillet 1992 Observations sur la recevabilité et le
bien-fondé de la requête présentées par le
Gouvernement défendeur
1er août 1992 Observations en réponse du requérant
31 mars 1993 Décision de la Commission (Deuxième
Chambre) de déclarer la requête recevable
Examen du bien-fondé
11 janvier 1994 Délibérations de la Commission, vote selon
l'article 59 par. 2 du Règlement intérieur
de la Commission et adoption du rapport
prévu à l'article 31 de la Convention
Textes cités dans la décision