CEDH, Commission (deuxième chambre), QUADO c. la FRANCE, 11 janvier 1994, 18837/91

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Commission (Deuxième Chambre), 11 janv. 1994, n° 18837/91
Numéro(s) : 18837/91
Type de document : Rapport
Date d’introduction : 16 juillet 1991
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt Huvig du 24 avril 1990, série A n° 176 B, p. 52, par. 25
Arrêt Kruslin du 24 avril 1990, série A n° 176 A, p. 20, par. 26, 36
Cour Eur. D.H. Arrêt Silver et autres du 25 mars 1983, série A n° 61, p. 33, par. 86
Organisation mentionnée :
  • Comité des Ministres
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Violation de l'art. 8
Identifiant HUDOC : 001-46645
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1994:0111REP001883791
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Sur les parties

Texte intégral

              COMMISSION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME

                           DEUXIEME CHAMBRE

                          Requête N° 18837/91

                           Jean-Pierre Quado

                                contre

                                France

                       RAPPORT DE LA COMMISSION

                      (adopté le 11 janvier 1994)

                          TABLE DES MATIERES

                                                                 Page

I.    INTRODUCTION

      (par. 1 - 13) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1

      A.   La requête

           (par. 2 - 4) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1

      B.   La procédure

           (par. 5 - 8) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1

      C.   Le présent rapport

           (par. 9 - 13). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2

II.   ETABLISSEMENT DES FAITS

      (par. 14 - 21). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3

      A.   Circonstances particulières de l'affaire

           (par. 14 - 16) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3

      B.   Droit et pratique internes pertinents

           (par. 17 - 21) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3

III.  AVIS DE LA COMMISSION

      (par. 22 - 35). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

      A.   Grief déclaré recevable

           (par. 22). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

      B.   Point en litige

           (par. 23). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

      C.   Sur le respect de l'article 8 de la Convention

           (par. 24 - 34) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

      CONCLUSION

      (par. 35) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

ANNEXE I :       HISTORIQUE DE LA PROCEDURE . . . . . . . . . . . .10

ANNEXE II :      DECISION SUR LA RECEVABILITE DE LA REQUETE . . . .11

I.    INTRODUCTION

1.    On trouvera ci-après un résumé des faits de la cause, tels qu'ils

ont été exposés par les parties à la Commission européenne des Droits

de l'Homme, ainsi qu'une description de la procédure.

A.    La requête

2.    Le requérant, né en 1948 et de nationalité française, est

comptable de profession. Il est actuellement détenu à la maison d'arrêt

de Pau.

      Dans la procédure devant la Commission, il est représenté par

Maître Joëlle Assié, avocat au barreau de Biarritz.

      Le Gouvernement défendeur est représenté par son Agent,

M. Jean-Pierre Puissochet, Directeur des affaires juridiques au

ministère des Affaires étrangères.

3.    La requête concerne l'interception et l'enregistrement par la

police agissant sur commissions rogatoires d'un juge d'instruction de

plusieurs conversations téléphoniques du requérant.

4.    Devant la Commission, le requérant allègue une violation de son

droit au respect de sa vie privée et de sa correspondance, garanti à

l'article 8 de la Convention.

B.    La procédure

5.    La requête a été introduite le 16 juillet 1991 et enregistrée le

23 septembre 1991.

6.    Le 13 janvier 1992, la Commission a décidé de donner connaissance

de la requête au Gouvernement défendeur, en application de

l'article 48 par. 2 b) de son Règlement intérieur, et d'inviter celui-

ci à présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et le

bien-fondé du grief présenté au titre de l'article 8 dans un délai

échéant le 10 avril 1992.

      Après avoir obtenu deux prorogations de délai, le Gouvernement

a présenté ses observations le 1er juillet 1992 et le requérant y a

répondu le 1er août 1992.

7.    Le 31 mars 1993, la Commission (Deuxième Chambre) a déclaré la

requête recevable.

8.    Après avoir déclaré la requête recevable, la Commission,

conformément à l'article 28 par. 1 b) de la Convention, s'est mise à

la disposition des parties en vue de parvenir à un règlement amiable

de l'affaire. Vu l'attitude adoptée par les parties, la Commission

constate qu'il n'existe aucune base permettant d'obtenir un tel

règlement.

C.    Le présent rapport

9.    Le présent rapport a été établi par la Commission (Deuxième

Chambre), conformément à l'article 31 de la Convention, après

délibérations et votes en présence des membres suivants :

           MM.   S. TRECHSEL, Président

                 H. DANELIUS

                 G. JÖRUNDSSON

                 J.-C. SOYER

                 H.G. SCHERMERS

           Mme   G.H. THUNE

           MM.   F. MARTINEZ

                 L. LOUCAIDES

                 J.-C. GEUS

                 M.A. NOWICKI

                 I. CABRAL BARRETO

                 J. MUCHA

                 D. SVÁBY

10.   Le texte du présent rapport a été adopté par la Commision le

11 janvier 1994 et sera transmis au Comité des Ministres du Conseil de

l'Europe, en application de l'article 31 par. 2 de la Convention.

11.   Ce rapport a pour objet, conformément à l'article 31 de la

Convention :

      (i)  d'établir les faits, et

      (ii) de formuler un avis sur le point de savoir si les faits

      constatés révèlent de la part de la France une violation des

      obligations qui lui incombent aux termes de la Convention.

12.   Sont joints au présent rapport un tableau retraçant l'historique

de la procédure devant la Commission (Annexe I) et le texte de la

décision de la Commission sur la recevabilité de la requête

(Annexe II).

13.   Le texte intégral de l'argumentation écrite des parties ainsi que

les pièces soumises à la Commission sont conservés dans les archives

de la Commission.

II.   ETABLISSEMENT DES FAITS

A.    Circonstances particulières de l'affaire

14.   A partir du 3 juillet 1989, dans le cadre d'une information

ouverte contre X. du chef de trafic de stupéfiants, le juge

d'instruction du tribunal de grande instance de Bayonne ordonna, par

commissions rogatoires, la mise sur table d'écoutes d'un grand nombre

de personnes.  Lesdites écoutes conduisirent notamment, le

15 février 1990, à l'inculpation du requérant pour entente ou

association en vue de commettre des infractions à la législation sur

les stupéfiants.

15.   Par ordonnance du 27 novembre 1990, le juge d'instruction du

tribunal de grande instance de Bayonne, sur demande du requérant,

saisit la chambre d'accusation de la cour d'appel de Pau de la

prétendue irrégularité des écoutes téléphoniques ordonnées dans le

cadre de l'instruction.  Par arrêt du 12 février 1991, la chambre

d'accusation estima n'y avoir lieu à annuler les actes d'instruction,

les écoutes téléphoniques étant, selon elle, régulières.

16.   Le requérant se pourvut en cassation à l'encontre dudit arrêt

invoquant, notamment, le défaut de clarté et de précision de la loi

française (articles 81 et 151 du Code de procédure pénale) réglementant

la mise sur table d'écoutes, contrairement aux prescriptions de

l'article 8 par. 2 de la Convention.  Par arrêt du 19 juin 1991, la

Cour de cassation écarta le moyen tiré de l'illégalité des écoutes

motivant sa décision comme suit :

      "les écoutes et enregistrements téléphoniques trouvent leur base

      légale dans les articles 81 et 151 du Code de procédure pénale;

      qu'ils peuvent être effectués à l'insu des personnes intéressées,

      qui ne sont pas seulement celles sur qui pèsent les indices de

      culpabilité, s'ils sont opérés pendant une durée limitée, sur

      l'ordre d'un juge et sous son contrôle en vue d'établir la preuve

      d'un crime ou de toute autre infraction portant gravement

      atteinte à l'ordre public, et d'en identifier les auteurs; qu'il

      faut en outre que l'écoute soit obtenue sans artifice ni

      stratagème et que sa transcription puisse être contradictoirement

      discutée par les parties concernées, le tout dans le respect des

      droits de la défense ;

      Que ces transcriptions auxquelles il n'est pas établi qu'il

      ait été dérogé en l'espèce, répondent aux exigences de

      l'article 8, alinéa 2, de la Convention européenne de sauvegarde

      des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dont la

      méconnaissance serait de nature à entraîner l'annulation des

      actes critiqués;".

B.    Droit et pratique internes pertinents

17.   Code de procédure pénale

      Article 81 -

      "Le juge d'instruction procède, conformément à la loi, à tous les

actes d'information qu'il juge utiles à la manifestation de la

vérité... Si le juge d'instruction est dans l'impossibilité de procéder

lui-même à tous les actes d'instruction, il peut donner commission

rogatoire aux officiers de police judiciaire afin de leur faire

exécuter tous les actes d'information nécessaires dans les conditions

et sous les réserves prévues aux articles 151 et 152...".

      Article 151 -

      "Le juge d'instruction peut requérir par commission rogatoire

tout juge de son tribunal, tout juge d'instruction ou tout officier de

police judiciaire, qui en avise dans ce cas le Procureur de la

République, de procéder aux actes d'information qu'il estime

nécessaires dans les lieux où chacun d'eux est territorialement

compétent. La commission rogatoire indique la nature de l'infraction,

objet des poursuites. Elle est datée et signée par le magistrat qui la

délivre et revêtue de son sceau. Elle ne peut prescrire que des actes

d'instruction se rattachant directement à la répression de l'infraction

visée aux poursuites."

      Article 152 -

      "Les magistrats ou officiers de police judiciaire commis pour

l'exécution exercent, dans les limites de la commission rogatoire, tous

les pouvoirs du juge d'instruction...".

18.   Code pénal

      Article 368 -

      "Sera puni d'un emprisonnement de deux mois à un an et d'une

amende de 2000 à 50000 F, ou de l'une de ces deux peines seulement,

quiconque aura volontairement porté atteinte à l'intimité de la vie

privée d'autrui:

      1° En écoutant, en enregistrant ou transmettant au moyen d'un

      appareil quelconque des paroles prononcées dans un lieu privé par

      une personne, sans le consentement de celle-ci...".

19.   Jurisprudence

      - Cour de cassation, arrêt Kruslin du 23 juillet 1985

(Bull. n° 275, pp. 713-715) :

      "... Il résulte des articles 81 et 151 du code de procédure

      pénale et des principes généraux de la procédure pénale que

      notamment, d'une part, des écoutes téléphoniques ne peuvent

      être ordonnées par un juge d'instruction, par voie de

      commission rogatoire, que sur présomption d'une infraction

      déterminée ayant entraîné l'ouverture de l'information dont

      le magistrat est saisi et que ces mesures ne sauraient

      viser, de façon éventuelle, toute une catégorie

      d'infractions ; que, d'autre part, les écoutes ordonnées

      doivent être réalisées sous le contrôle du juge

      d'instruction, sans que soit mis en oeuvre aucun artifice

      ou stratagème et sans qu'elles puissent avoir pour résultat

      de compromettre les conditions d'exercice des droits de la

      défense ;

      Que ces dispositions auxquelles est soumis le recours par

      le juge d'instruction aux écoutes téléphoniques et

      auxquelles il n'est pas établi qu'il ait été en l'espèce

      dérogé, répondent aux exigences résultant de l'article 8 de

      la Convention européenne de sauvegarde des Droits de

      l'Homme et des Libertés fondamentales ;"

      - Cour de cassation, arrêt Bacha du 15 mai 1990 :

       Si les écoutes et enregistrements téléphoniques peuvent être

effectués à l'insu des personnes intéressées, ce ne peut être que sur

l'ordre d'un juge et sous son contrôle, en vue d'établir la preuve d'un

crime, ou de toute autre infraction portant atteinte gravement à

l'ordre public, et d'en identifier les auteurs ; qu'il faut en outre

que l'écoute soit obtenue sans artifice ni stratagème, et que sa

transcription puisse être contradictoirement discutée par les parties

concernées, le tout dans le respect des droits de la défense.

20.   Note circulaire du Ministère de la Justice du 27 avril 1990

      " A l'attention de Mesdames et Messieurs les premiers

      Présidents et Procureurs Généraux, Mesdames et Messieurs

      les Présidents et Procureurs de la République :

      I et II ...

      III  Portée des arrêts :

      ... Il appartient aux juridictions du fond, sous le

      contrôle de la Cour de cassation, d'élargir leur contrôle

      sur les modalités de mise en oeuvre des écoutes

      téléphoniques, telles que précisées par la Cour européenne.

      J'appelle donc tout spécialement votre attention sur

      l'intérêt qui s'attache à ce que, dès à présent, il soit

      tenu le plus grand compte de ces principes, dans le cadre

      des procédures en cours ou à venir. Il s'impose notamment

      de veiller à ce que :

      - les écoutes téléphoniques ne soient ordonnées que pour

      l'élucidation des infractions les plus graves ;

      - leur durée soit toujours limitée dans le temps, quitte à faire

      l'objet de renouvellements ;

      - les modalités de retranscription des écoutes soient définies

      dans la commission rogatoire ;

      - les bandes magnétiques soient placées sous scellés et adressées

      au magistrat mandant ;

      - en cas de décision définitive sur les poursuites, les bandes

      magnétiques soient effacées ou détruites à la diligence du

      Parquet.

      Les commissions rogatoires doivent donc désormais être

      suffisamment explicites, afin de permettre l'exercice du

      contrôle évoqué ci-dessus.  Je ne puis que vous laisser le

      soin de porter, selon les modalités que vous jugerez les

      plus appropriées, les termes de la présente note à la

      connaissance des Présidents de chambres d'accusation et des

      Juges d'instruction."

21.   Loi du 10 juillet 1991- article 100 du Code pénal

      La loi du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances

émises par la voie des télécommunications, qui est entrée en vigueur

le 1er octobre 1991, a ajouté un article 100 au code de procédure

pénale concernant les interceptions ordonnées par l'autorité

judiciaire. Aux termes de l'article 100, le juge d'instruction peut,

si la peine encourue est égale ou supérieure à deux ans

d'emprisonnement et lorsque les nécessités de l'instruction l'exigent,

prescrire l'interception, l'enregistrement et la transcription de

correspondances émises par la voie des télécommunications. La décision

d'interception, qui doit être écrite, n'a pas de caractère

juridictionnel et n'est susceptible d'aucun recours. L'article 100-1

précise que cette décision doit comporter tous les éléments

d'identification de la liaison à intercepter, l'infraction qui motive

le recours à l'interception ainsi que la durée de celle-ci, fixée par

l'article 100-2 à une durée maximale de quatre mois, ne pouvant être

renouvelée que dans les mêmes conditions de forme et de durée.

L'article 100-4 prévoit que chacune des opérations d'interception et

d'enregistrement fait l'objet d'un procès verbal qui mentionne la date

et l'heure auxquelles l'opération a commencé et celles auxquelles elle

s'est terminée. La transcription de la correspondance utile à la

manifestation de la vérité doit également, en vertu de l'article 100-5,

faire l'objet d'un procès verbal qui est versé au dossier.

L'article 100-6 prévoit que les enregistrements sont détruits, à la

diligence du ministère public, à l'expiration du délai de prescription

de l'action publique et qu'il est dressé procès verbal de l'opération

de destruction.

III.  AVIS DE LA COMMISSION

A.    Grief déclaré recevable

22.   La Commission a déclaré recevable le grief du requérant selon

lequel l'interception et l'enregistrement de ses conversations

téléphoniques par des officiers de police judiciaire en exécution de

commissions rogatoires d'un juge d'instruction constitueraient une

atteinte à son droit au respect de sa vie privée et de sa

correspondance.

B.    Point en litige

23.   La Commission est appelée à se prononcer sur le point de savoir

s'il y a eu en l'espèce violation de l'article 8 (art. 8) de la

Convention.

C.    Sur le respect de l'article 8 (art. 8) de la Convention

24.   L'article 8 (art. 8) de la Convention dispose :

      "1.   Toute personne a droit au respect de sa vie privée et

      familiale, de son domicile et de sa correspondance.

       2.   Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans

      l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est

      prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une

      société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à

      la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense

      de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la

      protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des

      droits et libertés d'autrui."

25.   La Commission relève d'emblée que selon la jurisprudence de la

Cour européenne des Droits de l'Homme, les conversations téléphoniques

se trouvent incluses dans les notions de "vie privée" et de

"correspondance" au sens de l'article 8 (art. 8).

      L'interception et l'enregistrement des conversations

téléphoniques du requérant par la police s'analysent dès lors en

l'espèce en une ingérence d'une autorité publique dans l'exercice d'un

droit garanti par le paragraphe 1 de l'article 8 (art. 8-1) (Cour eur.

D.H., arrêts Kruslin et Huvig du 24 avril 1990, série A n° 176 A et B,

respectivement p. 20, par. 26 et p. 52, par. 25).

26.   La question qui se pose en l'espèce est celle de savoir si

l'ingérence en question était "prévue par la loi" au sens de

l'article 8 par. 2 (art. 8-2) et en particulier de déterminer, au vu

des conclusions dégagées par la Cour dans ses arrêts Huvig et Kruslin

précités, si la "loi" applicable à l'époque des faits objet de la

présente requête présentait un degré suffisant de prévisibilité pour

être compatible avec la notion de prééminence du droit.

27.   La Commission rappelle que dans ses arrêts Huvig et Kruslin du

24 avril 1990 la Cour a conclu à la violation de l'article 8 (art. 8)

de la Convention au motif que le droit français, écrit et non écrit,

n'indiquait pas avec assez de clarté l'étendue et les modalités

d'exercice du pouvoir d'appréciation des autorités dans le domaine

considéré (voir arrêt Kruslin précité, par. 36).

28.   Le requérant soutient que ce n'est que par la loi du

10 juillet 1991 (par. 21 ci-dessus) qu'une base légale au sens des

arrêts de la Cour a été donnée aux écoutes téléphoniques ordonnées par

l'autorité judiciaire, en l'espèce en 1989. Selon lui, ni la circulaire

ministérielle du 27 avril 1990, ni les arrêts de la Cour de cassation

rendus en l'affaire Bacha le 15 mai 1990 et le 19 juin 1991 en ce qui

le concerne ne sauraient être regardés comme suffisants au regard des

exigences de la Convention.

29.    En revanche, le Gouvernement soutient que l'absence de

prévisibilité suffisante de ces dispositions de droit interne a été

palliée par l'envoi d'une note circulaire du Ministère de la Justice

aux Parquets dès le 27 avril 1990, soit trois jours après le prononcé

des arrêts de la Cour européenne leur indiquant qu'il appartenait aux

juridictions du fond, sous le contrôle de la Cour de cassation,

d'élargir leur contrôle sur les modalités de mise en oeuvre des écoutes

téléphoniques telles que précisées par la Cour européenne. En outre,

lorsqu'elle statua en l'espèce par arrêt du 19 juin 1991 la Cour de

cassation fit application des critères dégagés par la Cour, comme elle

l'avait déjà fait, et ce dès le 15 mai 1990, dans un arrêt Bacha.

30.   La Commission relève tout d'abord qu'il n'est pas contesté dans

la présente affaire que la "loi" applicable à l'époque des faits était

la même que celle qui a été mise en cause dans les affaires Huvig et

Kruslin à savoir les articles 81, 151 et 152 du Code de procédure

pénale et la jurisprudence y afférente.

31.   La Commission constate ensuite qu'il n'y a guère de différence

dans la motivation utilisée par la Cour de cassation dans les affaires

Kruslin et Huvig, telle que reproduite au paragraphe 12 des arrêts

précités de la Cour européenne, et la motivation utilisée par la Cour

de cassation en l'espèce et qu'il ne saurait dès lors être soutenu

qu'une évolution substantielle de la jurisprudence soit intervenue

entre le 24 avril 1990, date du prononcé par la Cour européenne des

Droits de l'Homme des arrêts Kruslin et Huvig, et le 15 mai 1990, date

de l'arrêt Bacha rendu par la Cour de cassation ou le 19 juin 1991,

date de l'arrêt rendu par la Cour de cassation dans la présente

affaire.

32.   La Commission estime enfin qu'il ressort clairement du libellé

même de la circulaire du 27 avril 1990 qu'il s'agit en réalité d'une

simple note de service adressée par le ministère aux parquets des

juridictions pour les informer de la portée des arrêts de la Cour.

Cette note ne saurait être considérée comme une " loi " au sens donné

à cette expression par la jurisprudence des organes de la Convention

(voir, mutatis mutandis, Cour eur. D.H., arrêt Silver et autres du

25 mars 1983, série A N° 61, p.33, par.86). En effet elle ne visait que

les procédures en cours ou à venir, ne s'imposait pas aux juges

d'instruction devant délivrer des commissions rogatoires ordonnant des

écoutes téléphoniques ni aux juges du fond devant en apprécier la

régularité et enfin n'était pas susceptible d'être invoquée par les

personnes ayant fait l'objet d'écoutes téléphoniques.

33.   Compte tenu de ce qui précède, il ne saurait être soutenu qu'une

note circulaire et un arrêt postérieurs à l'époque où les écoutes

furent ordonnées constituent un fondement juridique suffisant pour

remplir les conditions de "prévisibilité de la loi" telle

qu'interprétée par la Cour dans les arrêts Kruslin et Huvig.

34.   A la lumière des considérants qui précèdent, la Commission

n'estime pas nécessaire de contrôler en l'occurrence le respect des

autres exigences du paragraphe 2 de l'article 8 (art. 8-2) de la

Convention.

CONCLUSION

35.   La Commission conclut, à l'unanimité, qu'il y a eu, en l'espèce,

violation de l'article 8 (art. 8) de la Convention.

      Le Secrétaire de la                   Le Président de la

      Deuxième Chambre                      Deuxième Chambre

        (K. ROGGE)                             (S. TRECHSEL)

                              ANNEXE I

                      HISTORIQUE DE LA PROCEDURE

Date                                   Acte

____________________________________________________________________

16 juillet 1991             Introduction de la requête

23 septembre 1991           Enregistrement de la requête

Examen de la recevabilité

13 janvier 1992             Décision de la Commission de porter la

                            requête à la connaissance du Gouvernement

                            défendeur conformément à l'article 42

                            par. 2 b) devenu article 48 par. 2 b) du

                            Règlement intérieur

1er juillet 1992            Observations sur la recevabilité et le

                            bien-fondé de la requête présentées par le

                            Gouvernement défendeur

1er août 1992               Observations en réponse du requérant

31 mars 1993                Décision de la Commission (Deuxième

                            Chambre) de déclarer la requête recevable

Examen du bien-fondé

11 janvier 1994             Délibérations de la Commission, vote selon

                            l'article 59 par. 2 du Règlement intérieur

                            de la Commission et adoption du rapport

                            prévu à l'article 31 de la Convention

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