CEDH, Communiqué de presse sur l'affaire 41015/04, 19 novembre 2009

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, 19 nov. 2009
Type de document : Communiqués de presse
Organisation mentionnée :
  • ECHR
Opinion(s) séparée(s) : Non
Identifiant HUDOC : 003-2936449-3229761
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Sur les parties

Texte intégral

855

19.11.2009

Communiqué du Greffier

Arrêt de chambre[1]

Kaboulov c. Ukraine (requête no 41015/04)

RISQUE DE TRAITEMENTS INHUMAINS OU DÉGRADANTS EN CAS D’EXTRADITION VERS LE KAZAKHSTAN

Violation des articles 3 (interdiction des peines ou traitements inhumains ou dégradants), 5 §§ 1, 2, 4 et 5 (droit à la liberté et à la sûreté), 13 (droit à un recours effectif) et 34 (droit de recours individuel),

Non-violation de l’article 2 (droit à la vie)

de la Convention européenne des droits de l’homme.

Principaux faits

Le requérant, Amir Kaboulov, est un ressortissant kazakh né en 1979. Il est actuellement détenu dans une maison d’arrêt en Ukraine. En juin 2003, il fut accusé au Kazakhstan, en son absence, d’avoir commis un meurtre. Les autorités kazakhes émirent un avis de recherche international à son encontre. Le meurtre qualifié est une infraction passible de la peine de mort au Kazakhstan.

M. Kaboulov fut arrêté en Ukraine le 23 août 2003 à 21 heures 20. Depuis cette date, il se trouve en détention. Dans un rapport de détention portant la date et l’heure susmentionnées, il est indiqué que l’intéressé, soupçonné de meurtre, est placé en détention, et que les raisons de son arrestation lui ont été communiquées, mais il n’est pas précisé à quel moment cela aurait été fait. M. Kaboulov fut placé en cellule de dégrisement pour être traité pour éthylisme, puis il fut transféré vers un poste de police où il resta jusqu’au 13 septembre 2004, date à laquelle un tribunal ordonna son placement en détention, en motivant cette décision par l’avis de recherche émis au Kazakhstan et la perspective de l’extradition de l’intéressé vers ce pays.

En septembre 2004, les autorités kazakhes prièrent le procureur général de l’Ukraine de garder M. Kaboulov en détention extraditionnelle, et lui assurèrent, notamment, que l’intéressé ne risquerait pas d’être condamné à la peine de mort au Kazakhstan, et que ses droits et intérêts légitimes y seraient protégés. Les autorités ukrainiennes acceptèrent l’extradition.

Entre octobre et décembre 2004, l’avocat et la mère de M. Kaboulov introduisirent plusieurs recours contre sa détention et contre la décision de l’extrader. L’issue de certaines de ces procédures reste inconnue.

Griefs, procédure et composition de la Cour

Devant la Cour, M. Kaboulov dénonçait le caractère selon lui irrégulier de sa détention et se plaignait de ne pas avoir eu la possibilité de la contester ni d’en obtenir réparation. Il soutenait que son extradition au Kazakhstan mettrait en péril sa vie, son bien-être et ses droits à un procès équitable. Enfin, il alléguait que les autorités ukrainiennes avaient fait pression sur lui pour qu’il retire sa requête devant la Cour. Il invoquait les articles 2, 3, 5 §§ 1 à 5, 6, 13 et 34 de la Convention.

La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 22 novembre 2004. Le grief supplémentaire relatif à l’article 34 a été présenté le 12 mars 2007.

L’arrêt a été rendu dans par une chambre de sept juges composée de :

Peer Lorenzen (Danemark), président,
Karel Jungwiert (République tchèque),
Rait Maruste (Estonie),
Mark Villiger (Liechtenstein),
Isabelle Berro-Lefèvre (Monaco),
Zdravka Kalaydjieva (Bulgarie), juges,
Mykhaylo Buromenskiy (Ukraine), juge ad hoc,


ainsi que de Stephen Phillips, greffier adjoint de section.

Décision de la Cour

Sur le grief tiré de l’article 2 (risque de soumission à la peine capitale en cas d’extradition)

La Cour note qu’aucune exécution n’a eu lieu au Kazakhstan en 2007 – 2008, et que les peines de mort imposées ont été commuées en peines d’emprisonnement à vie. De plus, un moratoire sur l’application de la peine capitale a été prononcé, puis prolongé par une loi de 2004. En outre, les autorités kazakhes ont fourni des assurances que le requérant ne serait pas soumis à la peine de mort. En conséquence, la Cour conclut, à l’unanimité, qu’il ne risquerait pas réellement d’être exécuté en cas d’extradition vers le Kazakhstan, et qu’il n’y a donc pas eu violation de l’article 2.

Sur le grief tiré de l’article 3 (risque de soumission à des mauvais traitements en cas d’extradition)

La Cour a examiné plusieurs rapports dans lesquels différentes organisations kazakhes et internationales décrivent de nombreux cas crédibles de torture, de mauvais traitement de détenus, de passages à tabac réguliers et de recours à la violence par les forces de l’ordre kazakhes contre des suspects d’infractions pénales aux fins d’obtenir des aveux. Ces rapports indiquent également qu’il n’est pas mené d’enquête effective sur les allégations des personnes se disant victimes de tels agissements et que les conditions carcérales sont très mauvaises. Ils font état notamment d’une surpopulation, d’une mauvaise alimentation et d’une absence de soins. Les autorités kazakhes n’ayant communiqué aucun élément, aucune source fiable ni aucun rapport susceptibles de contredire ces affirmations, la Cour juge que M. Kaboulov courrait un risque réel et sérieux d’être maltraité en cas de retour. Elle considère que les rapports susmentionnés ont démontré de manière crédible que tel a été le cas des suspects d’infractions pénales détenus au Kazakhstan. Elle conclut donc, à l’unanimité, que l’extradition de M. Kaboulov vers ce pays emporterait violation de l’article 3.

Sur le grief tiré de l’article 13 (absence de recours effectif contre l’extradition)

La Cour observe que plusieurs procédures ont été engagées au nom de M. Kaboulov, que toutes se sont soldées par un échec et que les tribunaux ont refusé d’en examiner certaines, à l’égard desquelles ils se sont déclarés incompétents. Elle prend note également du droit et de la pratique interne, notamment de la résolution fixant les limites du contrôle de légalité des demandes de détention extraditionnelle adoptée, en octobre 2004 par l’assemblée plénière de la Cour suprême ukrainienne. Elle conclut que le requérant n’a pas bénéficié, comme l’exigeant l’article 13 de la Convention, d’un recours interne effectif qui lui aurait permis de contester son extradition au motif d’un risque de mauvais traitement en cas de retour. Partant, elle constate une violation de cette disposition.

Sur le grief tiré de l’article 6 (absence de procès équitable en cas d’extradition)

La Cour ne voit pas de raison de douter du fait que les autorités ukrainiennes se conformeront à l’arrêt résumé dans le présent communiqué, et conclut donc qu’il n’est pas nécessaire d’examiner la question hypothétique de savoir si l’extradition de M. Kaboulov aurait emporté violation de l’article 6.

Sur les griefs tirés de l’article 5

Article 5 § 1 (détention irrégulière)

La Cour distingue deux périodes dans la détention de M. Kaboulov : la période allant du 23 août 2004 à la décision de justice du 13 septembre 2004, par laquelle sa détention extraditionnelle a été autorisée, et la période consécutive à cette décision.

En ce qui concerne la première période de détention, la Cour constate que les autorités internes ont invoqué plusieurs raisons à l’appui de l’arrestation de M. Kaboulov : elles ont soutenu qu’il avait été trouvé en état d’ébriété sur la voie publique et qu’il devait être placé en cellule de dégrisement, qu’il était soupçonné d’avoir commis une infraction pénale non précisée, et qu’il fallait établir son identité, raison qui aurait motivé son transfert au poste de police. Or elles n’ont fourni aucune justification précise pour le maintien en détention de l’intéressé, en vertu de l’un quelconque de ces motifs. En outre, même à supposer que la véritable raison de la première période de détention du requérant ait été la perspective de son extradition, la Cour rappelle que la législation ukrainienne ne posait pas de procédure d’extradition suffisamment accessible, précise et prévisible. Elle conclut donc, à l’unanimité, que la détention de M. Kaboulov pendant la première période n’était pas compatible avec les exigences de l’article 5 § 1.

En ce qui concerne la seconde période de détention, après la décision de justice du 13 septembre 2004 qui l’autorisait, la Cour conclut également, à l’unanimité, à la violation de l’article 5 § 1 f), au motif que la législation ukrainienne ne posait pas de procédure suffisamment accessible, précise et prévisible permettant d’empêcher les détentions extraditionnelles arbitraires.

Article 5 § 2 (requérant non informé des motifs de sa détention)

La Cour note que le seul document sur lequel les autorités ukrainiennes se sont appuyées en vue de démontrer que les raisons de la détention de M. Kaboulov lui avaient été communiquées est le rapport de détention établi lors de son arrestation. Or ce rapport n’indiquait ni l’heure ni la date auxquelles l’intéressé aurait été informé des motifs de sa détention. En conséquence, la Cour conclut que rien n’indique de manière fiable que, pour la période allant du 23 août au 13 septembre 2004, M. Kaboulov ait été informé des motifs de sa détention. Elle constate donc, à l’unanimité, une violation de l’article 5 § 2.

Article 5 § 4 (impossibilité de contester le maintien en détention)

La Cour note que, depuis octobre 2004, M. Kaboulov a engagé plusieurs procédures aux fins du contrôle de la légalité de son maintien en détention, et que ces procédures n’ont eu aucun résultat. Les demandes de remise en liberté formées par l’intéressé n’ont pas été examinées sur le fond. La Cour rappelle qu’elle a déjà conclu que la législation ukrainienne ne prévoyait pas de procédure effective et accessible permettant de contester la légalité d’une détention extraditionnelle. Elle constate donc, à l’unanimité, une violation de l’article 5 § 4.

Article 5 § 5 (absence d’indemnisation pour détention irrégulière)

La Cour note que M. Kaboulov a été détenu conformément au droit interne et qu’en conséquence, il n’a pu prétendre à aucune indemnisation en vertu de la législation ukrainienne. Elle conclut donc à une violation de l’article 5 § 5.

Sur le grief tiré de l’article 34 (entraves au droit de recours individuel)

La Cour note qu’elle a reçu une lettre de M. Kaboulov datée du 3 septembre 2008 indiquant que l’intéressé souhaitait retirer sa requête devant elle. Cette lettre était accompagnée d’une lettre du directeur de la maison d’arrêt où M. Kaboulov était détenu, ce qui confirmait que les autorités avaient connaissance de la teneur de la lettre du requérant. Elles ont en effet joint à celle-ci une lettre distincte commentant son contenu. La Cour conclut, à l’unanimité, que de tels agissements sont incompatibles avec l’article 34 de la Convention.

Sur l’application de l’article 41 (satisfaction équitable)

En vertu de cet article de la Convention, la Cour octroie 5 000 euros (EUR) pour dommage moral.

(L’arrêt n’existe qu’en anglais.)

***

Ce communiqué est un document rédigé par le greffe. Il ne lie pas la Cour. Les textes des arrêts sont disponibles sur son site Internet (http://www.echr.coe.int).

Contacts pour la presse

Kristina Pencheva-Malinowski (tél : + 33 (0)3 88 41 35 70) or

Stefano Piedimonte (tél : + 33 (0)3 90 21 42 04) ou
Tracey Turner-Tretz (tél : + 33 (0)3 88 41 35 30)
Céline Menu-Lange (tél : + 33 (0)3 90 21 58 77)
Frédéric Dolt (tél : + 33 (0)3 90 21 53 39)
Nina Salomon (tél : + 33 (0)3 90 21 49 79)

La Cour européenne des droits de l’homme a été créée à Strasbourg par les États membres du Conseil de l’Europe en 1959 pour connaître des allégations de violation de la Convention européenne des droits de l’homme de 1950.


[1] L’article 43 de la Convention européenne des droits de l’homme prévoit que, dans un délai de trois mois à compter de la date de l’arrêt d’une chambre, toute partie à l’affaire peut, dans des cas exceptionnels, demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre (17 membres) de la Cour. En pareille hypothèse, un collège de cinq juges examine si l’affaire soulève une question grave relative à l’interprétation ou à l’application de la Convention ou de ses protocoles ou encore une question grave de caractère général. Si tel est le cas, la Grande Chambre statue par un arrêt définitif. Si tel n’est pas le cas, le collège rejette la demande et l’arrêt devient définitif. Autrement, les arrêts de chambre deviennent définitifs à l’expiration dudit délai de trois mois ou si les parties déclarent qu’elles ne demanderont pas le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre.

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CEDH, Communiqué de presse sur l'affaire 41015/04, 19 novembre 2009