CEDH, Cour (troisième section), MOLNAR c. ROUMANIE, 23 octobre 2012, 16637/06

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www.revuedlf.com · 12 novembre 2020

Mustapha Afroukh, Maître de conférences en droit public à Université de Montpellier, IDEDH Caroline Boiteux-Picheral, Professeur de droit public à l'Université de Montpellier, IDEDH Céline Husson-Rochcongar, Maître de conférences en droit public à Université de Picardie Jules Verne, CURAPP-ESS, Cette livraison intervenant dans un contexte tout à fait exceptionnel, il est difficile de ne pas évoquer les effets de la lutte contre la pandémie du covid-19 sur le respect des droits fondamentaux. Du point de vue du droit international des droits de l'homme, on sait que le débat s'est …

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Troisième Section), 23 oct. 2012, n° 16637/06
Numéro(s) : 16637/06
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 18 avril 2006
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-114796
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2012:1023DEC001663706
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Sur les parties

Texte intégral

TROISIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 16637/06
Vasile Andrei MOLNAR
contre la Roumanie

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant le 23 octobre 2012 en une Chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Egbert Myjer,
Alvina Gyulumyan,
Ján Šikuta,
Luis López Guerra,
Nona Tsotsoria,
Kristina Pardalos, juges,
et de Marialena Tsirli, greffière adjointe de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 18 avril 2006,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

1.  Le requérant, M. Vasile Andrei Molnar, est un ressortissant roumain qui a la double nationalité roumaine et française, né en 1980 et résidant à Strasbourg.

A.  Les circonstances de l’espèce

2.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

3.  Le requérant déclare être sympathisant de l’organisation non­gouvernementale Le Forum Chrétien la Nouvelle Droite (Forumul Creștin Noua Dreaptă- ci-après « la Nouvelle Droite ») dont l’objet serait l’éveil national, la promotion des traditions et de l’identité nationale, la préservation des traditions et de la religion chrétienne.

1.  La genèse de l’affaire

4.  L’intéressé, qui habitait en France depuis 1991, découvrit en 2001 par le biais de l’internet l’existence de la Nouvelle Droite. Étant donné que ses idéaux se retrouvaient dans le manifeste public de l’organisation, le requérant décida de passer un certain temps en Roumanie afin de contacter les membres de cette organisation.

5.  Pendant une période non précisée, le requérant et B.F. auraient coordonné l’activité de la branche de Sibiu de la Nouvelle Droite, sans bénéficier d’un pouvoir écrit en ce sens de la part du président de cette organisation, mais d’une recommandation orale de sa part.

6.  D’après les faits établis par les juridictions internes (voir le point 2 ci­dessous), en juin et juillet 2001, le requérant aurait collé dans la rue de la ville de Sibiu, sans recevoir les avis légaux nécessaires, des affiches qui portaient l’inscription suivante : « pour une Roumanie des roumains ce qui implique que les finances, la presse, la radio, la télévision et l’enseignement doivent être dans les mains de vrais roumains patriotes et qui travaillent pour le pays, et non pas [dans les mains] de Washington, de Bruxelles, de Jérusalem ou de Moscou. » Il aurait collé également d’autres affiches qui représentaient la carte de Roumanie sur laquelle était dessinée une tête de rom qui disait : « Ta dernière chance, la Nouvelle Droite ! ». Ces affiches contenaient également le sigle de la Nouvelle Droite, la croix celtique, symbole de l’organisation, et les numéros de téléphone de contact ou d’adhésion au mouvement.

7.  Le 17 juillet 2001, le requérant fut interpellé par la police, alors qu’il se déplaçait en voiture. Dans la voiture furent retrouvés des affiches décrites ci-dessus et le matériel nécessaire pour leur affichage. Un procès-verbal de constatation fut établi.

8.  En décembre 2001, le requérant revint en Roumanie et logea chez B.F. Lors d’une perquisition réalisée dans la chambre du requérant, la police retrouva des livres sur la doctrine fasciste et légionnaire, une cassette vidéo sur le mouvement extrémiste en France, du matériel de propagande pour la Nouvelle Droite. Des affiches furent également retrouvées avec les inscriptions suivantes : « Un futur pour les enfants blancs », « Le métissage­un crime contre la nation roumaine » (Corcirea-crimă împotriva nației române), « Empêchez la Roumanie de devenir un pays de roms » (Opriți țiganizarea României), « La Roumanie a besoin d’enfants non pas d’homosexuels », « Ne laisse pas les politiciens parler à ta place - la lutte des jeunes est la Nouvelle Droite » ; « Les produits roumains représentent nos postes de travail ; boycottez les produis importés », « Pour avoir un Etat puissant nous avons besoin de dirigeants (conducere) forts ; ça suffit la démocratie, régime de bavards impuissants » ; « Pour un peuple soumis, pour une nation vendue, une seule solution - la révolution nationaliste ! » ; « Les partis politiques, symbole d’un régime corrompu, ploutocratique et démocratique promouvant la médiocrité et la paresse, doivent disparaître », « Pour une Roumanie et une Europe pures », « L’impérialisme américano-sioniste : un seul ennemi pour la Roumanie et pour l’Europe ! ».

9.  L’ordinateur de B.F. fut examiné par les enquêteurs qui y retrouvèrent un fichier sauvegardant une discussion entre le requérant et B.F. dans laquelle ils parlaient des contenus des affiches et de la manière dont ils devaient agir pour attirer de nouveaux adeptes. Ils faisaient également référence à certaines personnes ainsi qu’au code pénal et au code de procédure pénale.

2.  La procédure pénale contre le requérant

10.  Sur réquisitoire du 29 mars 2003, le parquet près le tribunal départemental de Sibiu (« le parquet » et « le tribunal départemental ») ordonna le renvoi en jugement du requérant et de B.F. du chef de propagande nationaliste chauviniste, délit puni par l’article 317 du code pénal (« CP »). Le parquet reprocha aux inculpés qu’en 2001, en tant qu’adeptes de la Nouvelle Droite, ils s’étaient procuré et avaient distribué des matériaux de propagande visuelle (des affiches) avec un contenu qui incitait à la haine interethnique, à la discrimination et à l’anarchie.

11.  Les témoins à charge interrogés par le tribunal déclarèrent que les inculpés avaient conçu et diffusé des affiches avec un contenu extrémiste. Trois témoins à décharge furent également entendus.

12.  Par un jugement du 21 décembre 2003, le tribunal départemental condamna le requérant à une peine de six mois de prison du chef de propagande nationaliste chauviniste. Ayant établi les faits tels que présentés ci-dessus (voir le point 1 ci­dessus), le tribunal jugea que :

« Le fait pour les prévenus (...) d’avoir diffusé de manière systématique et organisée des idées nationalistes extrémistes qui incitent à la haine nationaliste et raciste, en utilisant des moyens de persuasion (...) dans le but de cultiver l’exclusivisme national et la haine entre les nationalités vivant en Roumanie, constitue l’infraction de propagande nationaliste chauviniste (...).

L’élément matériel de ce délit est réalisé de deux manières. La première consiste dans le fait d’avoir diffusé de manière systématique des idées promouvant l’exclusivisme national, afin de soutenir la supériorité d’une ethnie et le rabaissement des autres, idée qui n’est pas acceptée par les documents internationaux auxquels la Roumanie est officiellement partie.

La deuxième modalité de réalisation de l’élément matériel du délit consiste en l’incitation et l’entretien d’un sentiment de haine contre une ethnie, de sorte que l’accomplissement par l’intéressé des faits imputés est indubitable. Il convient de remarquer qu’il (...) s’agit de matériaux présentant un contenu non démocratique, exprimé sans diplomatie et primitif qui doivent être sanctionnés. »

13.  Le tribunal ordonna également la confiscation des biens trouvés chez le requérant lors de la perquisition, qui auraient servi à l’accomplissement du délit et nota enfin que la peine était graciée.

14.  Le requérant interjeta appel, en demandant sa relaxe, au motif que les faits n’étaient pas sanctionnés par la loi pénale et que les éléments constitutifs du délit de propagande nationaliste chauviniste n’étaient pas réunis en l’espèce. Par un arrêt du 5 mai 2005, la cour d’appel d’Alba Iulia rejeta l’appel et confirma le bien-fondé du jugement rendu en première instance. Elle jugea que les faits avaient été correctement établis sur la base d’un grand nombre de preuves, y compris les aveux partiels des inculpés. Quant à leur qualification juridique, la cour d’appel la jugea correcte, étant donné que les inculpés avaient diffusé de manière organisée et systématique des idées nationalistes extrémistes et avaient incité par là à la haine nationale et raciale.

15.  Par un arrêt définitif du 19 octobre 2005, la Haute Cour de cassation et de justice rejeta le recours du requérant et confirma les décisions des juridictions inférieures.

B.  Le droit interne pertinent

16.  Les articles pertinents du code pénal, tel qu’en vigueur à l’époque des faits, se lisent ainsi :

Article 166 - La propagande en faveur de l’état totalitaire

« La propagande menée afin d’instaurer un état totalitaire, commise par tout moyen, en public, est punie par l’emprisonnement de six mois à cinq ans et l’interdiction de certains droits.

La propagande consiste en la diffusion, de manière systématique, de l’apologie de certaines idées, des concepts ou des doctrines avec l’intention de convaincre et d’attirer de nouveaux adeptes. »

Article 317 - La propagande nationaliste chauviniste

« La propagande nationaliste chauviniste, l’incitation à la haine raciale ou nationale, lorsqu’elle ne constitue pas l’infraction prévue par l’article 166, est punie par l’emprisonnement de six mois à cinq ans. »

GRIEFS

17.  Citant les articles 9, 10 et 11 de la Convention, le requérant voit dans sa condamnation pénale pour propagande nationaliste chauviniste une atteinte disproportionnée à son droit à la liberté d’expression, d’opinion et d’association.

18.  Invoquant l’article 7 de la Convention, le requérant se plaint de l’illégalité de la perquisition, de la manière dont les juridictions internes ont établi sa peine et de la qualification juridique donné aux faits reprochés.

EN DROIT

19.  Citant les articles 9, 10 et 11 de la Convention, le requérant voit dans sa condamnation pénale pour « propagande nationaliste chauviniste » une atteinte disproportionnée à son droit à la liberté d’expression, d’opinion et d’association. La Cour estime qu’il convient d’examiner les allégations du requérant uniquement sous l’angle de l’article 10 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Kamil Uzun c. Turquie, no 37410/97, § 64, 10 mai 2007), ainsi libellé :

« 1.  Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

2.  L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

20.  Le requérant dénonce une atteinte dans son droit à la liberté d’expression. Il relève qu’il avait exprimé ses opinions sans qu’une instigation à la violence soit décelable dans ses messages. Il estime que, dans une société démocratique, toute personne devrait pouvoir exprimer ses opinions, même si elles ne coïncident avec celles de la majorité ou avec celles qualifiées de « correctes ».

21.  La Cour note d’emblée qu’elle n’a pas à se prononcer sur les éléments constitutifs de l’infraction de propagande nationaliste chauviniste en droit roumain. Il incombe au premier chef aux autorités nationales, notamment aux tribunaux, d’interpréter et d’appliquer le droit national (voir, parmi beaucoup d’autres, Lehideux et Isorni c. France, 23 septembre 1998, § 50, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VII). La Cour a seulement pour tâche de vérifier sous l’angle de l’article 10 les décisions rendues par les juridictions nationales compétentes en vertu de leur pouvoir d’appréciation. Ce faisant, elle doit se convaincre que les autorités nationales se sont fondées sur une appréciation acceptable des faits pertinents (Incal c. Turquie, 9 juin 1998, § 48, Recueil 1998‑IV).

22.  Concernant la liberté d’expression, la Cour rappelle que si sa jurisprudence a consacré le caractère éminent et essentiel de celle-ci dans une société démocratique (voir, parmi d’autres, Handyside c. Royaume-Uni, 7 décembre 1976, § 49, série A no 24 et Lingens c. Autriche, 8 juillet 1986, § 41, série A no 103), elle en a également défini les limites. Ainsi, en application de l’article 17 de la Convention, personne ne doit pouvoir se prévaloir des dispositions de la Convention pour se livrer à des actes visant à la destruction des droits et libertés ci-dessus visés (Garaudy c. France (déc.), no 65831/01, 24 juin 2003).

23.  En l’espèce, les affiches retrouvées chez le requérant contenaient différents messages qui exprimaient les opinions de l’intéressé. Si certains de ces messages ne choquent pas par leur contenu, d’autres pouvaient contribuer, surtout dans le contexte roumain, à entretenir des tensions au sein de la population. A cet égard, la Cour relève plus particulièrement les messages qui font des références à la minorité rom et à la minorité homosexuelle. Par leur contenu, ces messages visaient à instiguer à la haine contre ces minorités, étaient de nature à troubler gravement l’ordre public et allaient à l’encontre des valeurs fondamentales de la Convention et d’une société démocratique. Portant atteinte aux droits d’autrui, de tels actes sont incompatibles avec la démocratie et les droits de l’homme de sorte qu’en vertu des dispositions de l’article 17 de la Convention, le requérant ne puisse pas se prévaloir des dispositions de l’article 10 de la Convention.

24.  Cela dit, à supposer même que la condamnation pénale du requérant pour propagande nationaliste chauviniste constitue une ingérence dans la liberté d’expression de l’intéressé, la Cour considère qu’elle était prévue par la loi, à savoir l’article 317 du code pénal. Elle estime que cette ingérence poursuivait au moins deux buts légitimes prévus par la Convention, à savoir la défense de l’ordre et la prévention du crime et la protection de la réputation ou des droits d’autrui.

25.  Pour ce qui est de la proportionnalité de l’ingérence, la Cour considère que, compte tenu de la teneur des affiches, les motifs invoqués par les juridictions nationales pour condamner le requérant pour propagande nationaliste chauviniste étaient pertinents et suffisants. Dès lors, l’ingérence était nécessaire dans une société démocratique au sens de l’article 10 § 2 de la Convention.

26.  Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 (a) et 4 de la Convention.

27.  Invoquant l’article 7 de la Convention, le requérant dénonce l’illégalité de la perquisition, la qualification juridique des faits et la manière dont la peine pénale a été établie par les juridictions nationales. Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour ne relève aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par les articles de la Convention. Il s’ensuit que ces griefs sont soit prématurés, soit manifestement mal fondés et doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Marialena TsirliJosep Casadevall
              Greffière adjointePrésident

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