CEDH, Cour (troisième section), AFFAIRE PRUTEANU c. ROUMANIE, 3 février 2015, 30181/05

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Chronologie de l’affaire

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Conseil Constitutionnel · Conseil constitutionnel · 28 octobre 2022

Décision n° 2022 - 1021 QPC Requête en nullité d'un acte d'investigation déposée par un journaliste n'ayant ni la qualité de partie à la procédure ni celle de témoin assisté Dossier documentaire Source : services du Conseil constitutionnel - 2022 Sommaire I. Contexte des dispositions contestées ..................................................... 6 II. Constitutionnalité des dispositions contestées ................................... 50 Table des matières I. Contexte des dispositions contestées ..................................................... 6 A. Dispositions contestées …

 

Pauline Le Monnier De Gouville · Lexbase · 23 juillet 2021

Anne Renaux · Dalloz Etudiants · 14 décembre 2020
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Troisième Section), 3 févr. 2015, n° 30181/05
Numéro(s) : 30181/05
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Abramiuc c. Roumanie, no 37411/02, § 125, 24 février 2009
Amann c. Suisse [GC], no 27798/95, § 50, CEDH 2000-II
André et autre c. France, no 18603/03, § 41, 24 juillet 2008
Burden c. Royaume-Uni [GC], no 13378/05, § 60, CEDH 2008
Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000 XI
Klass et autres c. Allemagne, 6 septembre 1978, § 50 et suiv., série A no 28
Kruslin c. France, 24 avril 1990, § 27, série A no 176 A
Lambert c. France, 24 août 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998 V
Matheron c. France, no 57752/00, 29 mars 2005
Petrina c. Roumanie, no 78060/01, § 56, 14 octobre 2008
Rachevi c. Bulgarie, no 47877/99, § 64, 23 septembre 2004
Société Canal Plus et autres c. France, no 29408/08, § 40, 21 décembre 2010
Ulariu c. Roumanie, no 19267/05, § 46, 19 novembre 2013
Valentino Acatrinei c. Roumanie, no 18540/04, § 53, 25 juin 2013
Xavier Da Silveira c. France, no 43757/05, 21 janvier 2010
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Partiellement irrecevable ; Violation de l'article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale (Article 8-1 - Respect de la correspondance ; Respect de la vie privée) ; Dommage matériel - demande rejetée (Article 41 - Dommage matériel ; Satisfaction équitable) ; Préjudice moral - réparation (Article 41 - Préjudice moral ; Satisfaction équitable)
Identifiant HUDOC : 001-150776
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2015:0203JUD003018105
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Sur les parties

Texte intégral

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE PRUTEANU c. ROUMANIE

(Requête no 30181/05)

ARRÊT

STRASBOURG

3 février 2015

DÉFINITIF

03/05/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Pruteanu c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Luis López Guerra,
Ján Šikuta,
Kristina Pardalos,
Johannes Silvis,
Valeriu Griţco,
Iulia Antoanella Motoc, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 janvier 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 30181/05) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Alexandru Pruteanu (« le requérant »), a saisi la Cour le 12 juillet 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme I. Cambrea, du ministère des Affaires étrangères.

3.  Le requérant allègue une atteinte à son droit au respect de sa vie privée et de sa correspondance, en raison de l’interception de ses conversations téléphoniques et d’une impossibilité de contester sa légalité et de demander la destruction des enregistrements y afférents. Il invoque l’article 8 de la Convention, pris seul et combiné avec l’article 13 de la Convention.

4.  Le 15 septembre 2011, les griefs tirés de l’article 8 de la Convention, pris seul et combiné avec l’article 13 de la Convention, ont été communiqués au Gouvernement.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5.  Le requérant est né en 1974 et réside à Bacău. Il est avocat de profession.

A.  L’enregistrement des conversations du requérant

6.  C.I., sa sœur, M.T.O., et le compagnon de cette dernière, M.G.T., étaient associés de la société commerciale M. (« la société M. »), administrée par M.T.O. Le 1er septembre 2004, la société M. fut frappée d’interdiction bancaire. M.T.O. et M.G.T. s’enfuirent alors de la ville de Bacău.

7.  À partir du 2 septembre 2004, la police de Bacău fut saisie de plusieurs plaintes pénales contre la société M. du chef de tromperie.

8.  Le 3 septembre 2004, M.T.O. et M.G.T., qui se trouvaient toujours en fuite, signèrent des pouvoirs en faveur de C.I. pour la vente de deux immeubles.

9.  Le parquet près le tribunal départemental de Bacău (« le parquet ») entama des poursuites pénales contre M.T.O. et M.G.T. du chef de tromperie. C.I. mandata le requérant pour défendre, le cas échéant, ses intérêts.

10.  Par un jugement interlocutoire du 24 septembre 2004, se fondant sur les articles 912 à 915 du code de procédure pénale (« le CPP »), le tribunal départemental de Bacău (« le tribunal départemental ») autorisa le ministère public à intercepter et à enregistrer les conversations téléphoniques de M.T.O., M.G.T. et C.I., pour une durée de trente jours, à partir du 27 septembre 2004.

Il ressort du réquisitoire du 14 avril 2005 portant renvoi en jugement de M.T.O. et M.G.T. (paragraphe 19 ci-dessous) que la mise sur écoute de C.I. était nécessaire pour localiser les personnes mises en cause.

11.  Se fondant sur l’autorisation susmentionnée, du 27 septembre au 27 octobre 2004, le département d’investigation des fraudes auprès de la police de Bacău intercepta et enregistra les conversations de C.I., dont douze tenues entre celle-ci et le requérant. Le contenu de ces enregistrements fut transcrit sur un support papier, lequel comportait également le nom du requérant, sa profession d’avocat et son numéro de téléphone portable.

12.  Le 27 octobre 2004, M.T.O. et M.G.T. furent retrouvés par la police et placés en détention provisoire. Le requérant fut désigné par M.G.T. pour le représenter dans la procédure relative à son placement en détention provisoire et dans la procédure pénale.

B.  La certification des enregistrements

13.  Le 17 mars 2005, le ministère public dressa un procès-verbal par lequel il mettait à la disposition du tribunal départemental le support magnétique et les transcriptions des enregistrements effectués sur le fondement de l’autorisation du 24 septembre 2004. Il nota que ces enregistrements avaient été réalisés dans le cadre des poursuites pénales ouvertes contre M.T.O. et M.G.T.

14.  Se fondant sur l’article 913 du CPP, le ministère public demanda au tribunal départemental de certifier les enregistrements des conversations téléphoniques de C.I. Cette dernière fut citée à comparaître le 21 mars 2005 devant le tribunal départemental. Interrogée par le tribunal, elle déclara que les enregistrements en cause concernaient ses conversations avec sa famille et ses amis.

15.  Par un jugement interlocutoire rendu le 21 mars 2005 en chambre du conseil, le tribunal départemental fit droit à la demande du parquet, jugea que les enregistrements réalisés étaient utiles pour l’affaire et ordonna la mise sous scellés des transcriptions et du support magnétique au greffe du tribunal.

16.  Le requérant, agissant en son nom propre, et non en tant que représentant de C.I., et cette dernière formèrent des pourvois en recours contre le jugement interlocutoire du 21 mars 2005. Le requérant, après avoir indiqué que la loi interne ne prévoyait pas un recours spécifique contre le jugement de certification, demanda à la cour d’appel de déclarer son recours recevable sur le fondement de l’article 13 de la Convention. Il soutint que, par le jugement contesté, le tribunal avait certifié des enregistrements de conversations qu’il avait eues avec C.I. alors qu’il n’avait pas été cité à comparaître dans la procédure et que ces conversations avaient un caractère professionnel. Citant l’article 913 alinéas 2 et 7 du CPP, il indiqua que les conversations professionnelles entre un avocat et son client ne pouvaient être ni mentionnées dans le procès-verbal de transcription, ni utilisées comme moyen de preuve dans la procédure pénale. Il souligna enfin que la mise sur écoute du téléphone de C.I. n’était pas justifiée par un intérêt légitime étant donné que C.I. ne faisait pas l’objet de poursuites pénales, et il demanda à la cour d’appel d’ordonner la destruction des transcriptions des enregistrements de ses conversations avec sa cliente.

17.  L’audience en recours eut lieu le 5 avril 2005 devant la cour d’appel de Bacău. Dans ses conclusions orales, le requérant ajouta que la pratique des juridictions nationales en la matière était d’ordonner la destruction des enregistrements des conversations entre l’avocat et son client. Il versa en ce sens au dossier une décision du 29 mars 2005 du tribunal départemental de Bacău ordonnant la destruction des enregistrements de conversations entre un avocat et son client inculpé dans un procès pénal.

18.  Par un arrêt définitif du 5 avril 2005 rendu en chambre du conseil, la cour d’appel de Bacău déclara le recours du requérant irrecevable, au motif que le CPP ne prévoyait pas de voie de recours contre les jugements de certification d’enregistrements.

C.  La procédure pénale contre M.T.O. et M.G.T.

19.  Par un réquisitoire du 14 avril 2005, la direction d’investigation des infractions liées au crime organisé et au terrorisme du parquet de Bacău ordonna le renvoi en jugement de M.T.O. et M.G.T. pour plusieurs chefs, dont celui de tromperie. Le réquisitoire mentionna comme preuves les enregistrements des conversations téléphoniques de C.I. certifiés par le jugement avant dire droit du tribunal départemental du 21 mars 2005.

20.  Le requérant fut choisi par M.G.T. et M.T.O. pour les représenter dans la procédure pénale.

21.  Par un jugement du 18 avril 2007, le tribunal départemental condamna chacun des inculpés à une peine de dix ans de prison. Sur appel des inculpés, par un arrêt du 27 novembre 2008, la cour d’appel de Bacău confirma le jugement rendu en première instance quant à la peine de prison infligée. Aucun recours n’ayant été exercé, cet arrêt devint définitif.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

22.  Les articles pertinents en l’espèce du CPP régissant l’enregistrement des conversations téléphoniques étaient ainsi libellés à l’époque des faits :

Article 911 – Sur les conditions d’interception et d’enregistrement des conversations et des communications et les cas où cela peut être autorisé

« (1) S’il y a des données ou des indices convaincants de la préparation ou de la commission d’une infraction pour laquelle des poursuites pénales ont lieu d’office et si l’interception est utile pour découvrir la vérité, les enregistrements de communications sur bande magnétique s’effectuent sur autorisation motivée du tribunal, à la demande du procureur, dans les cas et conditions prévus par la loi. L’autorisation est délivrée en chambre du conseil par le président du tribunal qui serait compétent pour trancher l’affaire en premier ressort. L’interception et l’enregistrement de communications s’imposent pour découvrir la vérité lorsque l’identification de l’auteur ou l’établissement des faits ne peuvent être réalisés par d’autres moyens.

(2) L’interception et l’enregistrement de conversations et communications peuvent être autorisés dans le cas d’infractions contre la sûreté nationale prévues par le code pénal et par d’autres lois spéciales, ainsi que dans les cas de trafic de stupéfiants, d’armes ou de personnes, d’actes de terrorisme, de blanchiment d’argent, de fabrication de fausse monnaie, ou d’infractions prévues par la loi no 78/2000 sur la prévention, la découverte et la sanction de faits de corruption, ou bien dans le cas d’autres infractions graves qui ne peuvent pas être révélées ou dont les auteurs ne peuvent pas être identifiés par d’autres moyens, ou encore dans le cas d’infractions commises au moyen de communications téléphoniques ou par d’autres moyens de télécommunication.

(3) L’autorisation est délivrée pour la durée nécessaire à l’enregistrement et au maximum pour trente jours.

(...)

(7) L’autorisation d’interception et d’enregistrement des conversations et des communications est donnée par une décision avant dire droit motivée indiquant : les indices concrets et les faits qui justifient l’interception et l’enregistrement des conversations et des communications ; les raisons pour lesquelles ces mesures sont indispensables à la découverte de la vérité ; la personne concernée, le moyen de communication ou le lieu mis sous surveillance ; la période pour laquelle l’interception et l’enregistrement sont autorisés. »

Article 912 – Les organes qui effectuent l’interception et l’enregistrement

« (1) Le procureur procède personnellement aux interceptions et aux enregistrements prévus à l’article 911 ou peut ordonner que ces mesures soient effectuées par les organes chargés de l’enquête pénale. Le personnel appelé à apporter le concours technique nécessaire pour les interceptions et les enregistrements est tenu de garder le secret sur les opérations, faute de quoi il sera puni sur le fondement du code pénal.

(...)

(4) Le tribunal ordonne que les personnes dont les conversations et communications ont été interceptées et enregistrées soient informées par écrit, avant la clôture des poursuites pénales, des dates auxquelles les interceptions et les enregistrements ont été effectués. »

Article 913 – La certification des enregistrements

« (1) Le procureur ou l’organe chargé de l’enquête pénale dresse un procès-verbal sur le déroulement des interceptions et des enregistrements prévus à l’article 911-2, en y faisant figurer : l’autorisation donnée par le tribunal, le ou les numéros des postes téléphoniques entre lesquels les conversations ont eu lieu, le nom des personnes qui ont participé aux conversations, s’il est connu, la date et l’heure de chaque conversation et le numéro de référence de la bande magnétique ou de tout autre support contenant l’enregistrement.

(2) Les conversations enregistrées sont transcrites intégralement par écrit et annexées au procès-verbal, avec un certificat attestant leur authenticité délivré par l’organe chargé de l’enquête pénale, vérifié et contresigné par le procureur qui effectue ou qui supervise les poursuites pénales. (...) Le procès-verbal est annexé à la bande magnétique ou à tout autre support qui contient l’enregistrement, scellé par l’organe chargé des poursuites pénales.

(3) La bande magnétique des enregistrements, leur transcription écrite et le procès‑verbal sont remis au tribunal, qui, après avoir entendu le procureur et les parties, décide, parmi les informations recueillies, lesquelles sont nécessaires pour l’examen de l’affaire et dresse un procès-verbal en ce sens. Les conversations contenant des secrets d’État ou professionnels ne sont pas mentionnées dans le procès-verbal (...)

(4) La bande magnétique des enregistrements, leur transcription écrite et le procès‑verbal sont gardés au greffe du tribunal, dans des emplacements spécialement prévus, sous pli scellé.

(5) Le tribunal peut autoriser, sur demande motivée de l’inculpé, de la partie civile ou de leurs avocats [respectifs], la consultation des enregistrements et de leur transcription qui sont déposés au greffe et ne sont pas consignés dans le procès-verbal.

(6) Le tribunal ordonne la destruction de tous les enregistrements qui n’ont pas été utilisés comme moyens de preuve en l’affaire. Les autres enregistrements sont gardés jusqu’à l’archivage du dossier.

(7) L’enregistrement des conversations entre un avocat et un justiciable ne peut pas être utilisé comme moyen de preuve. »

Article 916 – La vérification des moyens de preuve

« (1) Les moyens de preuve susmentionnés peuvent être soumis à une expertise technique à la demande du procureur, des parties ou d’office.

(2) Les enregistrements (...) présentés par les parties peuvent servir de moyen de preuve s’ils ne sont pas interdits pas la loi »

23.  Le requérant a versé au dossier un arrêt définitif du 29 mars 2005 du tribunal départemental de Bacău ordonnant la destruction des enregistrements de conversations entre un avocat et son client inculpé dans un procès pénal.

24.  Les articles suivants du CPP, concernant les droits des parties dans une procédure pénale et également pertinents en l’espèce, étaient rédigés ainsi à l’époque des faits :

Article 64 – Les moyens de preuve

« (2) Les moyens de preuve illégalement obtenus ne peuvent pas être utilisés dans le cadre du procès pénal. »

Article 301 – Les droits du procureur et des parties au cours de l’instance

« (1) Au cours de l’instance, le procureur et chacune des parties peuvent formuler des demandes, soulever des exceptions et déposer des conclusions. »

Article 302 – La résolution des questions incidentes

« La juridiction est obligée de soumettre aux débats des parties les demandes et les exceptions mentionnées à l’article 301 (...) et de se prononcer sur ces aspects par un jugement avant dire droit motivé. »

Article 362 – Les personnes qui peuvent interjeter appel

« (1) Peuvent interjeter appel :

a) le procureur, pour ce qui est des volets pénal et civil (...) ;

b) l’inculpé, pour ce qui est des volets pénal et civil (...) ;

c) la partie lésée, pour ce qui est du volet pénal ;

d) la partie civile et la partie civilement responsable (...) ;

e) le témoin, l’expert, l’interprète et le défenseur, pour ce qui est des frais qui leur sont dus ;

f) toute personne dont les intérêts légitimes ont été lésés par une mesure ou un acte de la juridiction. »

25.  Selon la doctrine, l’article 362 § 1 f) du CPP se référait aux personnes dont les intérêts avaient été atteints par les décisions avant dire droit ou l’arrêt rendu pendant le jugement au fond de l’affaire, à condition que des aspects liés au fond ne fussent pas mis en cause (Ion Neagu, Droit processuel pénal, éd. Global Lex, 2004, p. 199, et N. Jidovu, Droit processuel pénal, éd. C.H. Beck, 2007, p. 475).

Article 3852 – Les personnes qui peuvent faire un pourvoi en recours

« Peuvent former un pourvoi en recours les personnes indiquées à l’article 362 (...). »

26.  La Constitution révisée le 31 octobre 2003 est ainsi rédigée dans sa partie pertinente en l’espèce :

Article 20 § 2

« (2)  En cas de contradiction entre les pactes et traités concernant les droits fondamentaux de l’homme auxquels la Roumanie est partie et les lois internes, les dispositions internationales prévalent, sauf si la Constitution ou les lois internes contiennent des dispositions plus favorables. »

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION, PRIS SEUL ET COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

27.  Le requérant dénonce une ingérence dans son droit au respect de sa vie privée et de sa correspondance en raison de l’enregistrement de ses conversations téléphoniques avec C.I., auquel il a été procédé à la suite de la mise sur écoute de cette dernière. Il invoque l’article 8 de la Convention, pris seul et combiné avec l’article 13 de la Convention.

La Cour estime d’emblée que les griefs du requérant se situent principalement sur le terrain de l’article 8 de la Convention et qu’il convient de les examiner sous cet angle. L’article 8 de la Convention se lit comme suit :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A.  Sur la recevabilité

28.  Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B.  Sur le fond

1.  Les arguments des parties

a)  Le requérant

29.  Le requérant estime qu’il y a eu ingérence dans son droit au respect de sa vie privée du simple fait de l’enregistrement de ses conversations téléphoniques, indépendamment de l’existence ou non d’une autorisation délivrée à son nom ou de la mise sur écoute de son appareil téléphonique.

30.  Pour ce qui est de la base légale de l’ingérence, le requérant soutient que les articles 911 et suivants du CPP ne réglementaient pas expressément la situation de mise sur écoute des personnes qui ne faisaient pas l’objet d’une enquête judiciaire et que, par conséquent, ces articles n’étaient ni accessibles ni prévisibles. Selon lui, ces dispositions ne réglementaient pas non plus la situation, rencontrée en l’espèce, de mise sur écoute décidée après la date de commission de l’infraction ou alors que les prévenus et les faits étaient connus des autorités par d’autres moyens de preuve.

31.  Le requérant expose ensuite que le but de la mesure ne pouvait pas viser en l’occurrence la prévention des infractions ou la protection des tiers puisque les actes incriminés avaient déjà été commis à la date à laquelle les enregistrements avaient été autorisés. Il ajoute que les autorités internes n’ont pas justifié dans quelle mesure l’enregistrement, la transcription et l’archivage de ses conversations avec C.I. avaient contribué à la découverte de la vérité dans l’affaire judiciaire concernant M.T.O. et M.G.T. ou à la protection des droits d’autrui.

32.  Il indique ensuite que l’article 913 alinéa 7 du CPP aurait permis aux juridictions internes d’ordonner la destruction des enregistrements litigieux étant donné qu’à l’époque des faits le texte interdisait l’utilisation comme moyen de preuve des enregistrements entre un avocat et un « justiciable ». Il explique à cet égard que C.I. avait été interrogée par la police afin de donner des explications sur l’activité de la société M., ce qui lui aurait conféré la qualité de « justiciable ». Il considère que les autorités internes auraient dû le citer dans le cadre de la procédure de certification des enregistrements pour lui permettre d’exprimer son point de vue sur l’autorisation des enregistrements et la certification des conversations personnelles qu’il avait eues avec C.I., et ce d’autant plus qu’il ressort des procès-verbaux de transcription que son nom et son numéro de téléphone étaient connus des autorités internes.

33.  Le requérant expose enfin qu’il ne disposait pas au niveau interne d’une voie de recours pour faire constater et réparer l’atteinte alléguée à son droit au respect de sa vie privée. Pour ce qui est de la possibilité de contester les enregistrements dans le cadre de la procédure pénale engagée contre M.T.O. et M.G.T., il indique qu’il n’était pas partie à la procédure, que le non-respect de sa propre vie privée n’était pas visé par cette procédure et qu’en application du CPP l’avocat d’un inculpé ne pouvait faire un recours en son nom propre que pour les frais de procédure qui lui étaient dus.

b)  Le Gouvernement

34.  Le Gouvernement soutient à titre liminaire que l’article 8 de la Convention n’est pas applicable en l’espèce, étant donné que le téléphone du requérant n’avait pas fait l’objet d’une autorisation d’interception de conversations.

35.  Il plaide ensuite que, à supposer qu’il y ait eu une ingérence dans le droit du requérant au respect de sa vie privée, cette ingérence était justifiée au regard de l’article 8 § 2 de la Convention. À cet égard, il indique que la mesure était prévue par les dispositions pertinentes en l’espèce du CPP. Se référant aux arrêts Dumitru Popescu c. Roumanie (no 2) (no 71525/01, 26 avril 2007) et Kruslin c. France (24 avril 1990, série A no 176-A), le Gouvernement expose que les dispositions applicables en l’espèce étaient accessibles et prévisibles et qu’elles offraient des garanties suffisantes quant à la nature, l’étendue et la durée de la mesure, aux raisons requises et aux autorités compétentes pour l’ordonner, l’exécuter et la contrôler, et à la possibilité de vérifier ces moyens de preuve.

36.  Il explique également que le but de la mesure litigieuse était en l’espèce la prévention des infractions pénales et la protection des droits d’autrui.

37.  Le Gouvernement soutient que l’ingérence était proportionnée par rapport au but légitime recherché. Il souligne à cet égard la gravité des infractions qui se trouvaient à l’origine de l’ingérence et la nécessité pour les enquêteurs de localiser les auteurs présumés de l’infraction. Il rappelle que l’article 911 du CPP prévoyait que l’interception et l’enregistrement de communications s’imposaient pour découvrir la vérité lorsque l’identification de l’auteur ou l’établissement des faits ne pouvaient être effectués par d’autres moyens.

38.  Pour ce qui est de l’applicabilité de l’article 913 alinéa 7 du CPP en l’espèce, le Gouvernement indique que cette disposition interdisait l’utilisation des conversations entre un inculpé et son avocat comme preuves dans le dossier dans le cadre duquel les enregistrements étaient utilisés. Il ajoute que cet article trouvait sa justification dans la protection du droit à la confidentialité dans les relations entre avocats et inculpés, ce droit dérivant des droits de la défense. Il fait observer que, en l’espèce, C.I. n’était pas inculpée et n’avait pas un autre statut qui aurait pu justifier à son endroit le besoin de se défendre. Le Gouvernement indique également que l’autorisation émise en l’espèce était motivée et qu’elle était accompagnée de garanties spéciales, aucune publicité n’ayant entouré l’affaire.

39.  Sur le terrain de l’article 13 de la Convention, le Gouvernement indique que le requérant, en tant qu’avocat des inculpés M.T.O. et M.G.T., avait la possibilité de contester la légalité de l’interception des conversations téléphoniques dans le cadre de la procédure pénale engagée contre ses clients. Il ajoute que les articles 301 et 302 du CPP permettaient la vérification, par les juridictions, de la légalité des moyens de preuve obtenus dans le cadre des poursuites pénales, dans une procédure préliminaire distincte. Il précise que l’examen de la légalité de la certification des enregistrements et de la procédure d’interception dans son ensemble se réalisait dans le cadre du jugement au fond de l’affaire. Il expose également qu’une éventuelle violation des droits des tiers dans le contexte du procès pénal en tant que tel aurait pu être soumise à la censure de la juridiction civile par le biais d’une action en dédommagement fondée sur les dispositions pertinentes en l’espèce de la Convention.

40.  Le Gouvernement indique enfin que l’absence de recours contre le jugement de certification se justifiait par le caractère confidentiel des poursuites pénales et des procédures d’interception, ainsi que par la difficulté d’identifier les tiers concernés par les enregistrements. Par ailleurs, le Gouvernement s’interroge sur l’existence ou non, à la charge des États contractants, d’une obligation d’informer de l’enregistrement de leurs conversations tous les tiers ayant eu des conversations téléphoniques avec des personnes mises sur écoute.

2.  L’appréciation de la Cour

a)  L’existence d’une ingérence

41.  La Cour souligne que les communications téléphoniques se trouvent comprises dans les notions de « vie privée » et de « correspondance » au sens de l’article 8 § 1 de la Convention et que leur interception s’analyse par conséquent en une « ingérence d’une autorité publique » dans l’exercice du droit garanti par l’article 8 de la Convention (Matheron c. France, no 57752/00, § 27, 29 mars 2005). Peu importe, à cet égard, que les écoutes litigieuses aient été opérées sur la ligne d’une tierce personne (Lambert c. France, 24 août 1998, § 21, Recueil des arrêts et décisions 1998‑V, Valentino Acatrinei c. Roumanie, no 18540/04, § 53, 25 juin 2013, et Ulariu c. Roumanie, no 19267/05, § 46, 19 novembre 2013).

b)  La justification de l’ingérence

42.  La Cour rappelle que l’ingérence susmentionnée méconnaît l’article 8 précité sauf si, « prévue par la loi », elle poursuit un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 dudit article et, de plus, est « nécessaire dans une société démocratique » pour les atteindre (Lambert, précité, § 22).

i.  L’ingérence était-elle « prévue par la loi » ?

43.  Les mots « prévue par la loi » de l’article 8 § 2 de la Convention veulent d’abord que la mesure incriminée ait une base en droit interne. Ils impliquent aussi une certaine qualité de la loi en question : ils exigent l’accessibilité de celle-ci à la personne concernée – laquelle doit de surcroît pouvoir en prévoir les conséquences pour elle – et sa compatibilité avec la prééminence du droit (Amann c. Suisse [GC], no 27798/95, § 50, CEDH 2000-II).

44.  Dans la présente affaire, la Cour relève que le tribunal départemental a ordonné la mise sur écoute litigieuse sur le fondement des articles 911 et suivants du CPP (paragraphe 22 ci-dessus). Sans se pencher sur la « qualité » de cette loi (voir, mutatis mutandis, Kruslin c. France, 24 avril 1990, § 27, série A no 176‑A), la Cour note que les articles susmentionnés réglementaient l’utilisation d’écoutes téléphoniques, sous certaines conditions, sans pour autant indiquer quelle était la situation des personnes écoutées mais non visées par l’autorisation d’interception.

Par ailleurs, la Cour note que la question de la prévisibilité des dispositions applicables aux enregistrements des conversations entre un avocat et son client est sujette à débat entre les parties.

45.  La Cour pourrait dès lors être amenée à se demander si l’ingérence litigieuse était ou non « prévue par la loi » en l’espèce (voir, en particulier, Amann, précité). Toutefois, elle estime ne pas devoir se prononcer sur ce point dès lors que la violation est encourue pour un autre motif, exposé ci‑après.

ii.  La finalité et la nécessité de l’ingérence

46.  La Cour considère que l’ingérence visait en l’espèce à permettre la manifestation de la vérité dans le cadre d’une procédure pénale et tendait donc à la défense de l’ordre.

47.  Il reste à examiner si l’ingérence était « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre ces objectifs. Selon la jurisprudence constante de la Cour, les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour juger de l’existence et de l’étendue de pareille nécessité, mais cette marge va de pair avec un contrôle européen portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l’appliquent, même quand celles-ci émanent d’une juridiction indépendante (Lambert, précité, § 30).

48.  De même, quel que soit le système de surveillance retenu, la Cour doit se convaincre de l’existence de garanties adéquates et suffisantes contre les abus. Cette appréciation ne revêt qu’un caractère relatif, elle dépend, entre autres, du type de recours fourni par le droit interne. Par conséquent, il y a lieu de rechercher si les procédures destinées au contrôle de l’adoption et de l’application des mesures restrictives sont aptes à limiter à ce qui est nécessaire dans une société démocratique l’ingérence résultant de la législation incriminée (Klass et autres c. Allemagne, 6 septembre 1978, § 50 et suiv., série A no 28).

49.  En l’occurrence, la Cour note que le requérant se plaint devant elle d’une interception de ses conversations téléphoniques et qu’il met en avant sa qualité d’avocat et sa relation professionnelle avec C.I. À cet égard, la Cour rappelle que l’interception des conversations d’un avocat avec son client porte incontestablement atteinte au secret professionnel, qui est la base de la relation de confiance qui existe entre ces deux personnes. De ce fait, dans le contexte de l’affaire dont il s’agit, C.I. pourrait dénoncer le cas échéant une atteinte à ses droits en raison de l’interception de ses conversations avec son avocat. Cela étant, le requérant peut également se plaindre d’une atteinte à son droit au respect de sa vie privée et de sa correspondance en raison de l’interception de ses conversations, indépendamment de la qualité pour ester en justice de sa cliente. Certes, le requérant n’a pas fait lui-même l’objet d’une autorisation de mise sur écoute en raison de sa qualité d’avocat ou de sa relation avec C.I. (voir, mutatis mutandis, André et autre c. France, no 18603/03, § 41, 24 juillet 2008). Il n’en reste pas moins que, lorsque les conversations d’une personne sont enregistrées et lorsqu’elles sont utilisées dans le cadre d’une affaire pénale, l’intéressé doit bénéficier d’un « contrôle efficace » pour pouvoir contester les écoutes téléphoniques en cause (voir, mutatis mutandis, Matheron, précité, § 36, et Xavier Da Silveira c. France, no 43757/05, § 44, 21 janvier 2010).

50.  À ce sujet, la Cour note que l’autorisation d’enregistrer les conversations de C.I. a été délivrée par un tribunal. Toutefois, cette autorisation visait C.I. et aucunement le requérant, de sorte qu’il ne peut pas être conclu que le tribunal a examiné a priori la nécessité de la mesure à l’égard de l’intéressé. Par ailleurs, la Cour rappelle avoir déjà rejeté le raisonnement conduisant à considérer que la qualité de magistrat de celui qui ordonne et supervise les écoutes impliquerait, ipso facto, la régularité et la conformité de celles-ci avec l’article 8 de la Convention, pareil raisonnement rendant inopérant tout recours pour les intéressés (voir, mutatis mutandis, Matheron, précité, § 40).

51.  Il convient donc d’examiner si le requérant avait à sa disposition un recours a posteriori pour faire contrôler les enregistrements litigieux.

52.  La Cour note à cet égard que, selon le droit interne en vigueur à l’époque des faits, les enregistrements réalisés devaient être certifiés par le tribunal dans le cadre d’une procédure au cours de laquelle la personne mise sur écoute était présente. Dans ce cadre, le tribunal était appelé à vérifier la pertinence desdits enregistrements et à décider soit leur versement au dossier pénal soit leur destruction. La Cour note également que, d’après le Gouvernement, l’article 913 alinéa 7 du CPP n’était pas applicable en l’espèce dans la procédure de certification au motif que C.I. n’avait pas la qualité d’inculpé. Or, il apparaît que ce texte ne faisait pas expressément référence à la qualité d’« inculpé » de la personne mise sur écoute et qu’il mentionnait le mot « justiciable ». En tout état de cause et quelle que soit l’interprétation à donner au terme « justiciable », la Cour note que le requérant, dont les conversations – jugées utiles – avaient été versées dans une affaire pénale, n’avait pas, selon la loi interne, la qualité pour intervenir en son nom propre dans la procédure de certification : l’intéressé ne pouvait donc ni faire contrôler, sur la base de ses propres arguments, la légalité et la nécessité des enregistrements, ni demander la mise en balance des intérêts de la justice avec son droit au respect de sa vie privée et de sa correspondance.

53.  La Cour note ensuite que, selon le Gouvernement, le requérant aurait pu contester la légalité des enregistrements dans le cadre de la procédure pénale au fond engagée contre M.T.O. et M.G.T. au motif que les enregistrements litigieux avaient été versés dans ce dossier. Or, la Cour remarque que les articles 301 et 302 du CPP mentionnés par le Gouvernement se réfèrent aux droits et obligations des parties dans le procès pénal et, à cet égard, elle observe que le requérant n’était pas partie à la procédure, n’étant ni inculpé ni procureur. Même s’il est vrai que l’intéressé avait représenté l’un des inculpés dans le cadre de cette procédure pénale, sa qualité de représentant ne lui donnait pas le pouvoir d’intervenir dans la procédure en son nom propre. De plus, les articles 362 et 385 du CPP restreignaient aux questions liées aux frais de procédure les situations dans lesquelles l’avocat pouvait faire des appels et des pourvois en recours en son nom propre. Par ailleurs, le requérant n’était pas non plus un tiers dont les droits auraient été méconnus par un acte réalisé par le tribunal pendant le jugement de l’affaire en première instance.

54.  Aussi la Cour ne conteste-t-elle pas que les inculpés auraient pu soulever des arguments liés à la légalité des enregistrements en cause dans le cadre de la procédure pénale ouverte contre eux. Il n’en reste pas moins que le requérant ne disposait pas directement de ce droit, celui-ci étant conditionné par le renvoi en jugement de ses clients et par les intérêts de ces derniers dans la procédure. Dès lors, compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que l’accessibilité de ce recours au requérant était nécessairement rendue incertaine (voir, mutatis mutandis, Société Canal Plus et autres c. France, no 29408/08, § 40, 21 décembre 2010).

55.  En ce qui concerne la voie de l’action civile en dédommagement indiquée par le Gouvernement, la Cour relève qu’en effet la Convention est directement applicable en Roumanie et qu’elle l’emporte sur les dispositions du droit national qui seraient en contradiction avec elle (paragraphe 26 ci‑dessus ; voir, mutatis mutandis, Abramiuc c. Roumanie, no 37411/02, § 125, 24 février 2009). Cependant, en l’espèce, le Gouvernement n’a fourni aucun exemple de jurisprudence qui démontrerait l’effectivité de cette voie de recours (Rachevi c. Bulgarie, no 47877/99, § 64, 23 septembre 2004). De plus, un recours devant le juge civil pour une mise en cause de la responsabilité de l’État, de nature indemnitaire, ne serait pas de nature à permettre la réalisation d’un contrôle de la légalité des enregistrements litigieux et à aboutir, le cas échéant, à une décision ordonnant la destruction de ceux-ci – résultat recherché par le requérant –, de sorte que l’on ne peut y voir un « contrôle efficace » aux fins de l’article 8 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Xavier Da Silveira, précité, § 48)

56.  Dès lors, compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que l’ingérence litigieuse était, dans les circonstances de l’espèce, disproportionnée par rapport au but visé et que, par conséquent, l’intéressé n’a pas bénéficié du « contrôle efficace » requis par la prééminence du droit et apte à limiter l’ingérence à ce qui était « nécessaire dans une société démocratique ».

57.  À la lumière de ces considérations, la Cour estime enfin que nulle question distincte ne se pose sur le terrain de l’article 13 de la Convention invoqué par le requérant, le grief y afférent se confondant avec le grief tiré de l’article 8 de la Convention.

58.  Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.

II.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

59.  Invoquant l’article 14 de la Convention, le requérant s’estime victime d’un traitement discriminatoire, au motif que, dans une décision du 29 mars 2005, le tribunal départemental de Bacău avait ordonné la destruction des enregistrements des conversations entre un avocat et son client inculpé.

60.  La Cour rappelle que l’article 14 susmentionné protège contre toute discrimination les personnes, physiques ou morales, « placées dans des situations analogues ». Aussi, au regard de cette disposition, une distinction est discriminatoire si elle « manque de justification objective et raisonnable », c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un « but légitime » ou s’il n’y a pas de « rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé » (Burden c. Royaume-Uni [GC], no 13378/05, § 60, CEDH 2008). En l’espèce, étant donné que C.I. n’avait pas été inculpée, le requérant n’était pas dans la même situation que l’avocat concerné par la décision citée par lui. Dès lors, à supposer même que l’article 14 fût applicable de manière combinée avec l’article 8 de la Convention, le requérant n’a pas prouvé avoir été soumis à un traitement différent par rapport à des personnes se trouvant dans la même situation que lui. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

61.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommages

62.  Le requérant réclame 40 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel qu’il estime avoir subi, consistant selon lui en la perte de la possibilité de représenter des clients dans des affaires judiciaires, et 10 000 EUR au titre du préjudice moral qu’il dit avoir subi.

63.  Le Gouvernement soutient que les préjudices matériel et moral allégués par le requérant n’ont pas de lien de causalité avec la prétendue violation de la Convention et qu’en tout état de cause ils ne sont pas prouvés. Il estime qu’un constat de violation de la Convention par la Cour pourrait constituer, en lui-même, une réparation satisfaisante du préjudice moral allégué. Il expose enfin que la somme sollicitée au titre du préjudice moral est excessive par rapport à la jurisprudence de la Cour en la matière.

64.  La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande (voir, mutatis mutandis, Petrina c. Roumanie, no 78060/01, § 56, 14 octobre 2008). En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 4 500 EUR au titre du préjudice moral.

B.  Frais et dépens

65.  Le requérant demande également 3 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour.

66.  Le Gouvernement relève que l’intéressé n’a déposé des justificatifs que pour une somme équivalant à 50 EUR. Sur ces justificatifs – au nombre de quatre –, il indique que l’un est illisible et qu’un autre, correspondant à une quittance pour une traduction, ne précise pas s’il a trait à la présente affaire.

67.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000‑XI). En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 50 EUR pour la procédure devant elle et l’accorde au requérant.

C.  Intérêts moratoires

68.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 8 de la Convention, pris seul et combiné avec l’article 13 de la Convention, et irrecevable pour le surplus ;

2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

3.  Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 8 de la Convention ;

4.  Dit

a)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement :

i.  4 500 EUR (quatre mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,

ii.  50 EUR (cinquante euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 février 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

              Stephen PhillipsJosep Casadevall
GreffierPrésident

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure pénale
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CEDH, Cour (troisième section), AFFAIRE PRUTEANU c. ROUMANIE, 3 février 2015, 30181/05