CEDH, Cour (cinquième section), AFFAIRE D.L. c. BULGARIE, 19 mai 2016, 7472/14

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Chronologie de l’affaire

Commentaires8

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CEDH · 18 octobre 2016

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CEDH · 10 octobre 2016

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Cinquième Section), 19 mai 2016, n° 7472/14
Numéro(s) : 7472/14
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : A. c. Royaume-Uni, 23 septembre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-VI
Aerts c. Belgique, 30 juillet 1998, § 46, Recueil 1998-V
A. et autres c. Bulgarie, no 51776/08, 29 novembre 2011
Ashingdane c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 52, série A no 93
Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, § 162, Recueil 1998-VIII
Baybaşın c. Pays-Bas (déc.), no 13600/02, 6 octobre 2005
Bezicheri c. Italie, 25 octobre 1989, §§ 20-21, série A no 164
Blokhin c. Russie [GC], no 47152/06, 23 mars 2016
Botchev c. Bulgarie, no 73481/01, § 94, 13 novembre 2008
Bouamar c. Belgique, 29 février 1988, série A no 129
Calogero Diana c. Italie, 15 novembre 1996, § 32, Recueil 1996-V
Campbell c. Royaume-Uni, 25 mars 1992, série A no 233
Van der Ven c. Pays-Bas, no 50901/99, § 68, CEDH 2003-II
Deweer c. Belgique, 27 février 1980, § 40, série A no 35
D.G. c. Irlande, no 39474/98, CEDH 2002 III
Enhorn c. Suède, no 56529/00, §§ 41 et suivants, CEDH 2005-I
Erdem c. Allemagne, no 38321/97, § 61, CEDH 2001-VII (extraits)
Ichin et autres c. Ukraine, nos 28189/04 et 28192/04, §§ 39-40, 21 décembre 2010
Kipritçi c. Turquie, no 14294/04, § 18, 3 juin 2008
Koniarska c. Royaume-Uni (déc.), no 33670/96, CEDH 2000
M.H. c. Royaume-Uni, no 11577/06, § 94, 22 octobre 2013
Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique, no 13178/03, § 97, CEDH 2006-XI
Petrov c. Bulgarie, no 15197/02, 22 mai 2008
P. et S. c. Pologne, no 57375/08, § 147, 30 octobre 2012
Schiesser c. Suisse, 4 décembre 1979, § 32, série A no 34
Silver et autres c. Royaume-Uni, 25 mars 1983, § 98, série A no 61
Stafford c. Royaume-Uni [GC], no 46295/99, § 87, CEDH 2002-IV
Stanev c. Bulgarie, [GC], no 36760/06, 17 janvier 2012
Stubbings et autres c. Royaume-Uni, 22 octobre 1996, §§ 62-64, Recueil 1996-IV
Szuluk c. Royaume-Uni, no 36936/05, § 45, CEDH 2009
Van Droogenbroeck c. Belgique, 24 juin 1982, §§ 47-49, série A no 50
Vasileva c. Danemark, no 52792/99, §§ 37-42, 25 septembre 2003
Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, série A no 33
X c. Finlande, no 34806/04, CEDH 2012 (extraits)
X. et Y. c. Pays-Bas, 26 mars 1985, §§ 21-27, série A no 91
Z. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 29392/95, §§ 73-74, CEDH 2001-V
Références à des textes internationaux :
Articles 19 et 37 de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant
Niveau d’importance : Importance élevée
Opinion(s) séparée(s) : Oui
Conclusions : Non-violation de l'article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté (Article 5-1 - Privation de liberté ; Article 5-1-d - Mineurs) ; Violation de l'article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté (Article 5-4 - Contrôle de la légalité de la détention) ; Violation de l'article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale (Article 8-1 - Respect de la correspondance) ; Préjudice moral - réparation (Article 41 - Préjudice moral ; Satisfaction équitable)
Identifiant HUDOC : 001-162858
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2016:0519JUD000747214
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Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE D.L. c. BULGARIE

(Requête no 7472/14)

ARRÊT

STRASBOURG

19 mai 2016

DÉFINITIF

17/10/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire D.L. c. Bulgarie,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Angelika Nußberger, présidente,
Ganna Yudkivska,
Khanlar Hajiyev,
André Potocki,
Yonko Grozev,
Síofra O’Leary,
Mārtiņš Mits, juges,
et de Milan Blaško, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 avril 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 7472/14) dirigée contre la République de Bulgarie et dont une ressortissante de cet État, D.L. (« la requérante »), a saisi la Cour le 16 janvier 2014 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). La requête est parvenue à la Cour le 22 janvier 2014. Il a été décidé d’accorder d’office l’anonymat à la requérante (article 47 § 3 du règlement).

2.  La requérante a été représentée par Me D. Fartunova, avocate et membre du Comité Helsinki bulgare (organisation non gouvernementale basée à Sofia). Le gouvernement bulgare (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme R. Nikolova, du ministère de la Justice.

3.  La requérante allègue que son placement dans un centre éducatif – internat (възпитателно училище – интернат) était contraire à l’article 5 § 1 de la Convention et qu’elle ne pouvait faire examiner cette mesure à intervalles réguliers par un tribunal comme le prévoit, selon elle, l’article 5 § 4 de la Convention. Elle se plaint par ailleurs, sur le terrain de l’article 8, du caractère automatique du contrôle du courrier et de la surveillance des appels téléphoniques dans le centre éducatif – internat dans lequel elle se trouvait placée.

4.  Le 17 novembre 2014, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5.  La requérante est née en 1999 et réside à Pleven.

A.  Le placement et le séjour de la requérante dans un centre éducatif – internat

6.  Le 2 août 2012, la requérante, alors âgée de 13 ans, fut placée dans un « centre pour enfants en crise » dénommé « Les portes ouvertes », à Pleven. Ce placement avait été ordonné à titre de mesure de protection en application de la loi sur la protection de l’enfant par le directeur de l’assistance sociale de la municipalité de Pleven, à la demande de la mère de la requérante, laquelle aurait déclaré ne pas être en mesure de s’occuper de sa fille.

7.  Par une décision du 1er octobre 2012, une formation pénale du tribunal de district (Районен съд) de Pleven confirma le placement en question et fixa sa durée à trois mois supplémentaires. Dans ses motifs, le tribunal constatait que les conditions du placement d’un mineur en institution spécialisée se trouvaient réunies, à savoir que les parents de l’intéressée ne pouvaient pas lui donner les soins adéquats et que celle-ci vivait dans un milieu social dangereux pour elle au motif qu’elle y fréquentait des « hommes fichés comme délinquants ». Il indiquait enfin qu’aucun proche de la famille ne pouvait assumer la responsabilité de son éducation.

8.  Le 16 janvier 2013, considérant que les conditions de réintégration de l’intéressée dans son milieu familial n’étaient pas réunies, le directeur municipal de l’assistance sociale ordonna le prolongement de la mesure de placement. Le 1er avril 2013, une formation civile du tribunal de district confirma à son tour la mesure et la prolongea de six mois supplémentaires.

9.  Le 3 avril 2013, la commission locale de lutte contre les comportements antisociaux des mineurs (« la commission locale ») demanda au tribunal de district d’ordonner le placement de la requérante dans un centre éducatif – internat. Le 19 avril 2013, une formation pénale du tribunal de district tint une audience à l’issue de laquelle elle rendit une décision imposant à la requérante une mesure éducative moins lourde, à savoir « l’interdiction de rencontrer et d’établir des contacts avec certaines personnes ». Dans ses motifs, le tribunal précisait que le placement dans un centre éducatif – internat risquait d’avoir un impact négatif sur le développement psychologique et social de la mineure, compte tenu du « contexte défavorable qu’offrait ce type d’établissement ». Il ajouta que, à l’expiration de la durée de placement dans le centre « Les portes ouvertes », il conviendrait de placer la requérante dans un autre établissement régi par la loi sur la protection de l’enfant pour l’éloigner des personnes qui l’avaient livrée à la prostitution.

10.  Le 17 mai 2013, la commission locale adressa au tribunal de district une nouvelle proposition de placement de l’intéressée dans un centre éducatif – internat en vertu de la loi sur la lutte contre les comportements antisociaux des mineurs. Elle y arguait que la requérante ne bénéficiait pas d’un contexte familial favorable, et que, en particulier, son père purgeait une peine d’emprisonnement et que sa mère avait des difficultés à assumer ses responsabilités parentales. Elle indiquait que cela avait conduit l’intéressée à fuguer de son domicile et à entrer dans un cercle d’amis composé de personnes mineures et majeures fichées comme « délinquants », qui l’auraient incitée à la débauche, notamment à la fourniture de « services sexuels ». Enfin, selon la commission locale, la requérante avait aussi fugué à deux reprises du « centre pour enfants en crise » et avait eu des comportements agressifs à l’encontre du personnel.

11.  Le 10 juin 2013, une formation pénale du tribunal de district tint une audience. La mère de la requérante, convoquée à l’audience, était présente et demanda la désignation d’un avocat d’office pour la représentation de sa fille dans la procédure. La requérante demanda également une telle représentation. Le tribunal fit droit à leur demande. Il entendit la requérante, son avocat commis d’office, un représentant de la commission locale, une inspectrice de la brigade chargée des mineurs (Детска педагогическа стая), un représentant du parquet de district, un représentant de la direction municipale de la protection de l’enfant ainsi que deux assistantes sociales du « centre pour enfants en crise » où vivait la requérante. L’inspectrice de la brigade chargée des mineurs indiqua que la requérante se livrait à la prostitution et qu’elle avait été retrouvée en train de se prostituer sur l’autoroute, près de Devnia, soit à une distance d’environ 270 km de sa ville. Les deux assistantes sociales du centre en question précisèrent que cette circonstance avait servi de motivation du placement de l’intéressée dans le centre de crise à titre de mesure de protection pour enfant à risque. Elles ajoutèrent qu’après son placement la mineure continuait à entretenir des relations avec des personnes l’ayant incitée à la prostitution malgré les mesures prises pour la protéger. De l’avis des assistantes sociales, le milieu familial n’était pas adapté pour la requérante. En effet, elle venait d’une famille nombreuse où aucun contrôle parental n’était exercé de la part de la mère. Cette dernière ne travaillait pas et son compagnon consommait de l’alcool et exerçait de la violence sur elle, ainsi que sur ses enfants. La mère avait également séjourné au « centre pour enfants en crise » avec deux autres de ses enfants. Après un travail psychologique et social soutenu, une évolution positive chez la requérante avait été constatée et il était envisagé de chercher un autre mode d’accueil pour elle. Toutefois, les assistantes sociales rajoutèrent qu’au moment de l’audience la situation de la mineure s’était aggravée car celle-ci ne respectait pas le régime établi, rentrait tard après l’école ou était ramenée par la police lorsqu’elle ne rentrait pas, et continuait à fréquenter des personnes fichées par la police, à avoir des relations sexuelles et à être agressive envers le personnel. Elle suivait une série de séances sur la prévention contre le trafic d’êtres humains selon le système de « lover boy » mais n’était pas réceptive aux mesures de protection recommandées. Les assistantes sociales exprimèrent l’avis que la requérante courrait un risque élevé d’être entrainée dans la prostitution et que le régime proposé dans le centre de crise ne lui accordait pas la protection nécessaire. Aussi, estimèrent-elles, une telle protection serait assurée uniquement dans un centre fermé présentant un régime restrictif. Enfin, le représentant de la commission locale indiqua que quatre mesures éducatives avaient déjà été imposées à l’intéressée, parmi lesquelles la surveillance renforcée par un éducateur, l’interdiction de fréquenter certaines personnes et l’avertissement de placement dans un centre éducatif – internat. Il considéra que ces mesures étaient insuffisantes.

12.  Le tribunal recueillit également des rapports sociaux. L’intéressée déclara qu’elle souhaitait ne pas être placée dans un centre éducatif – internat et rester dans le « centre pour enfants en crise ». L’avocat commis d’office plaida pour l’adoption de mesures éducatives moins lourdes. Le représentant du parquet de district et le représentant de la direction municipale de la protection de l’enfant soutinrent la proposition de la commission locale. Le représentant de la direction municipale de la protection de l’enfant déclara qu’au cours de l’audience toutes les garanties de la loi sur la protection de l’enfant avaient été respectées. À son avis, les possibilités d’éducation de l’enfant dans le centre de crise avaient été épuisées, le risque pour elle d’être impliquée à nouveau dans le trafic était très élevé et elle n’en prenait pas conscience. Dès lors, la mesure de placement dans un centre éducatif – internat était, en réalité, dans son intérêt.

13.  Toujours le 10 juin 2013, le tribunal de district rendit un jugement ordonnant le placement de la requérante dans le centre éducatif – internat de Podem (« le centre de Podem »), un village situé à 20 kilomètres de Pleven. Dans ses motifs, le tribunal constatait que, malgré la décision judiciaire du 1er avril 2013 adoptant une solution de compromis pour l’intéressée, à savoir la confirmation et la prolongation de son placement dans le « centre pour enfants en crise », celle-ci continuait à ne pas se conformer au règlement intérieur de cette institution, ne respectait pas l’heure de retour après l’école, entretenait des contacts avec des personnes fichées comme « délinquants » et continuait à se comporter de façon impolie et agressive envers les assistants sociaux de l’établissement. Il notait que, faute d’un contrôle parental adéquat, la requérante avait développé des habitudes antisociales graves et que la mesure de placement dans un « centre pour enfants en crise » n’avait plus l’effet éducatif et préventif attendu sur son comportement. Selon le tribunal, l’intéressée ne montrait aucune volonté de se conformer aux règles de la société, pas même celles de l’institution dans laquelle elle vivait, et il convenait dès lors de la sortir du cercle de ses fréquentations néfastes pour le développement de sa personnalité, et de la faire bénéficier d’un accompagnement éducatif renforcé afin de neutraliser les habitudes comportementales négatives. Le tribunal retint que des mesures éducatives avaient déjà été prises à l’égard de l’intéressée, mais qu’elles n’avaient pas conduit à un résultat positif. Il conclut enfin que la mesure de placement dans un centre éducatif – internat était nécessaire dans l’intérêt non seulement de la requérante, mais aussi de la société.

14.  La requérante, représentée par son avocat, interjeta appel de ce jugement. Elle contesta la mesure imposée, soutenant en particulier que le tribunal n’avait pas précisé la durée de cette mesure, que sa mère n’avait pas été entendue devant la juridiction de première instance et qu’elle-même n’avait pas commis d’actes criminels.

15.  Par un jugement définitif du 16 juillet 2013, une formation pénale du tribunal régional de Pleven confirma la décision de la juridiction de première instance. Dans ses motifs, elle énonçait que la loi n’obligeait pas le tribunal à entendre les parents, en l’occurrence la mère de la requérante, et que, pour le reste, les griefs de l’intéressée étaient non étayés et mal fondés.

16.  Le 13 septembre 2013, la requérante fit une tentative de suicide et fut placée dans le service de toxicologie de l’hôpital de Pleven. Selon une attestation médicale du 15 septembre 2013, elle avait pris dix comprimés de paracétamol à 500 mg et dix comprimés de Remotiv et son état était fragile. Après un lavage de l’estomac, les effets de l’intoxication furent maîtrisés.

17.  Le 15 septembre 2013, la requérante fut conduite au centre de Podem. Elle s’y trouvait toujours à la date des dernières informations versées au dossier, soit le 11 juin 2015.

18.  S’agissant de la vie dans ce centre, la requérante expose dans sa requête que le niveau de l’enseignement y est très inférieur à celui dispensé dans son centre précédent. Elle précise que, pour les quatre années antérieures au dépôt de sa requête, seules six mineures y ont obtenu le diplôme de fin d’études secondaires, et aucune en 2011 et en 2012. Trois élèves auraient obtenu ce diplôme en 2013 avec une moyenne générale de 3,67 sur 6, la moyenne minimale requise étant de 3. La requérante ajoute que, en 2012 et en 2013, le conseil pédagogique n’a formulé aucune évaluation positive sur le comportement ni sur les résultats scolaires et éducatifs des élèves, de sorte qu’aucune proposition de fin de placement n’a, selon elle, pu être proposée au tribunal de district.

19.  La requérante affirme également avoir continué à être menacée de prostitution forcée par ses anciens contacts après son placement au centre de Podem. Le 19 novembre 2013, elle aurait fait une deuxième tentative de suicide, en groupe avec quatre autres filles, en prenant des substances chimiques. Elle aurait été hospitalisée pendant trois jours. D’autres tentatives de suicide auraient eu lieu dans l’établissement.

20.  L’intéressée expose en outre que ses conversations téléphoniques se déroulaient sous la surveillance d’un éducateur. À cet effet, un haut-parleur aurait été raccordé à l’appareil téléphonique et mis en marche à l’occasion de chaque conversation.

21.  Par ailleurs, en raison du nombre important de cas de violence dans les centres éducatifs – internats, le parquet ordonna, le 7 novembre 2013, un contrôle dans tous les établissements éducatifs fermés, y compris celui de Podem. Les résultats de ce contrôle ne sont pas connus.

B.  Le rapport du directeur du centre éducatif – internat de Podem

22.  Lors de la présentation de ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête, le Gouvernement a présenté un rapport relatif à la situation de la requérante, daté du 30 janvier 2015 et établi par le directeur du centre de Podem. Selon ce rapport, la requérante avait, au cours de son placement précédent au centre « Les portes ouvertes », eu un comportement agressif à l’égard du personnel, elle avait incité d’autres filles à se livrer à la prostitution et avait fugué à deux reprises – le 4 février 2013 et le 27 février 2013. Le rapport indique également que l’intéressée confiait sans gêne qu’elle avait des relations sexuelles depuis l’âge de 12 ans et qu’elle effectuait des « services sexuels » contre paiement.

23.  Le rapport mentionne de plus que la requérante ne bénéficiait pas d’un contexte familial favorable et qu’elle se retrouvait sans surveillance, ce qui aurait été par le passé la cause de fugues et de l’état de vagabondage.

24.  Toujours selon le rapport, le centre de Podem bénéficie d’un cadre pédagogique comprenant des experts ayant les qualités requises pour occuper les postes d’enseignant et d’éducateur conformément aux exigences du ministère de l’Éducation et des Sciences. Le programme scolaire de l’école ainsi que les programmes relatifs à toutes les matières spécifiques auraient été établis et approuvés selon les procédures ministérielles. La requérante aurait présenté de nombreuses lacunes et les enseignants auraient travaillé de manière individuelle avec elle en plus des heures de classe.

25.  Le dossier ne contient pas de copie du plan individuel de suivi censé avoir été élaboré au début du placement de la requérante et mis à jour tous les six mois. Toutefois, selon le rapport, ce plan indiquait que la mineure n’était pas consciente des risques que lui faisaient courir des « relations sexuelles décousues », qu’elle ne remettait pas en question les conséquences de ces actes et qu’elle n’était pas prête pour une vie autonome. Selon le plan, elle était naïve et facilement manipulable, impulsive, fragile sur le plan émotionnel et encline au mensonge.

26.  Toujours selon le rapport, le plan individuel tel que mis à jour le 29 septembre 2014 faisait état d’un changement positif dans le comportement de la mineure. Sans s’appliquer de manière constante, celle‑ci aurait cependant montré un intérêt pour le travail scolaire. Le plan individuel aurait recommandé d’intensifier les efforts afin de l’aider à acquérir des connaissances de façon régulière et approfondie.

27.  Le rapport indique en outre que, à la fin de l’année scolaire 2013‑2014, la requérante avait obtenu une note moyenne de 3,69 sur 6 et qu’elle était donc admise dans la classe supérieure, qu’elle avait également obtenu un certificat la qualifiant pour le métier de couturière et qu’elle obtiendrait une note similaire au cours du premier semestre de l’année scolaire 2014-2015.

28.  Concernant les conversations téléphoniques de la requérante, le rapport rappelle le dispositif applicable et précise que la requérante « n’était pas privée de liens téléphoniques avec sa mère », qu’elle n’a pas subi de restrictions quant aux visites de la famille, même si, selon le rapport, celles‑ci ont souvent eu lieu en dehors des horaires prévus par le règlement intérieur de l’établissement. Par ailleurs, la requérante n’aurait jamais reçu de lettre ou de colis de la part de sa famille. Elle serait partie en congé dans son foyer à cinq reprises pendant les vacances scolaires, à savoir du 21 décembre 2013 au 5 janvier 2014, du 30 janvier au 4 février 2014, du 28 mars au 6 avril 2014, du 4 juillet au 15 septembre 2014, et du 19 décembre 2014 au 4 janvier 2015. Chaque fois, la requérante aurait réintégré avec retard le centre de Podem.

29.  Le rapport indique par ailleurs que, selon des informations de la police, le 4 janvier 2014, la mineure avait été suspectée d’avoir commis un vol de téléphone portable et de bijoux dans une maison. Interrogée par la police, elle lui aurait de son plein gré remis les objets en question.

30.  Enfin, le rapport souligne que la commission de l’établissement chargée de prévenir les risques d’agression et de harcèlement à l’égard des mineures n’a pas reçu d’informations selon lesquelles la requérante aurait fait l’objet d’une « exploitation sexuelle » au sein même du centre.

C.  Les rapports de l’Agence nationale pour la protection de l’enfant et le Plan d’action concernant la mise en œuvre du concept de la politique nationale en matière de justice juvénile pour la période 2013-2020

31.  Deux rapports établis en 2009 et en 2013 par l’Agence nationale pour la protection de l’enfant dressent, entre autres, les conclusions d’une évaluation du fonctionnement des quatre centres éducatifs – internats en Bulgarie, dont celui de Podem. Il en ressort que la capacité totale d’accueil des centres en question était de 405 places et que, en 2013, 166 mineurs s’y trouvaient placés. Quant à l’établissement de Podem, il hébergeait 44 filles, toutes placées en vertu de la loi sur la lutte contre les comportements antisociaux des mineurs.

32.  Les rapports font également état d’une rotation importante des pensionnaires en cours d’année scolaire en raison de l’intégration de mineurs sur décision de placement et de départs de mineurs, ayant pour la plupart pour cause soit l’atteinte de l’âge de la majorité – 18 ans –, soit l’écoulement de la période maximale légale de placement. Au cours de 2009, vingt mineurs auraient fugué des centres et huit les auraient quittés à la suite d’une appréciation annuelle positive de la part des conseils pédagogiques. Pour la période 2012-2013, moins de quatre enfants auraient eu des évaluations positives et auraient ainsi pu quitter les centres éducatifs – internats. Au cours de l’année scolaire 2013-2014, il n’y aurait pas eu de cas de départ à la suite d’une évaluation positive. Concernant les résultats obtenus dans l’ensemble des institutions fermées en Bulgarie, il ressort des rapports que, en 2009, 10 % des élèves ont obtenu un certificat d’aptitude professionnelle, 35 % ont réussi leurs études secondaires jusqu’à l’âge de 14 ans et 3 % ont terminé avec succès leurs études secondaires à l’âge de 18 ans. Les mineurs restants, soit 52 %, auraient échoué dans leur scolarité. Le rapport de 2013 fait part d’une faible réussite des élèves, avec des notes moyennes situées entre 3 et 4 sur 6. D’après les rapports, ces chiffres révèlent un problème concernant l’effectivité des mesures éducatives et rééducatives, et posent même la question de savoir si « de telles mesures existent en pratique ».

33.  Les rapports exposent par ailleurs que, en vertu de la législation applicable, chaque centre éducatif – internat forme une équipe chargée de l’évaluation psychopédagogique des élèves et une équipe d’éducateurs chargés de l’encadrement en vue de l’éducation et de la rééducation des enfants. Ces équipes établiraient des plans individuels annuels, pour la plupart formels et standardisés, pour chaque pensionnaire. Les objectifs liés à l’apprentissage, à l’éducation et au développement seraient d’ordre général et ne comporteraient aucune activité concrète répondant aux besoins individuels, aux capacités, à l’âge et à aux centres d’intérêt des mineurs concernés. Le rapport de 2013 critique en particulier l’existence de cas graves de tentatives de suicide ou de violences à l’égard d’autres élèves, et déplore qu’aucune mesure de suivi ne soit prévue pour les intéressés dans les plans individuels afin de tenir compte des motifs de ces actes et de l’état psychologique des mineurs.

34.  Les rapports indiquent encore que le personnel des établissements a suivi une formation portant notamment sur les modes alternatifs d’éducation des mineurs en difficulté, le développement de leurs capacités en termes d’autonomie et l’individualisation des soins assurés. Concernant en particulier le centre de Podem, le personnel pédagogique et éducatif serait soumis à une supervision pédagogique externe. Les rapports concluent tout de même à l’insuffisance du nombre de personnes employées pour les activités extrascolaires, et ce, d’après les rapports, alors même que la variété des besoins des mineurs et leur vulnérabilité commanderaient l’organisation en petits groupes des activités éducatives. Ils critiquent également l’absence de tout programme visant au rapprochement des enfants avec leur famille.

35.  Deux séries de problèmes sont mis en lumière. Les premiers concernent le cursus scolaire et les seconds le programme d’éducation et de rééducation.

36.  Concernant le travail scolaire, les rapports font part, entre autres, d’un taux d’analphabétisme d’autant plus préoccupant que des enfants d’âges et de niveaux hétérogènes seraient réunis dans une même classe. Un grand nombre d’élèves ne sauraient ni lire ni écrire à l’arrivée dans les centres, et les programmes proposés ne leur permettraient pas de combler ces lacunes et de progresser. De plus, beaucoup de mineurs présentant un comportement à problème rencontreraient aussi des difficultés dans leur scolarité et verraient le développement de leurs capacités d’apprentissage effectif et de travail indépendant entravé. Ces mineurs fugueraient souvent, ne fréquenteraient pas régulièrement les cours et manqueraient de contacts avec des adultes.

37.  Quant au programme d’éducation et de rééducation, les rapports indiquent, outre l’insuffisance de personnel, que les groupes existants de plus de sept à huit mineurs en difficulté ne peuvent être encadrés de manière effective, que les activités proposées souffrent d’un manque de méthodologie adaptée aux mineurs vulnérables, et que rien n’est prévu par les institutions pour encourager le contact des enfants avec les familles, ce qui serait à l’origine de comportements agressifs.

38.  Enfin, le rapport de 2009 préconise en particulier : a)  une réforme globale du statut des établissements en question, ainsi que de leur fonctionnement par l’intégration de formes d’éducation et de prévention alternatives ; b)  la création et le développement de services de prévention des comportements déviants, et leur intervention dès le début d’une manifestation de tels comportements chez les mineurs ; c)  des durées de placement courtes, pendant lesquelles l’accent serait mis davantage sur les activités de rééducation et sur le soutien psychologique apporté aux enfants que sur la scolarité ; d)  le retour de ces mineurs dans la scolarisation ordinaire, y compris dans des écoles du secteur de leur domicile, plutôt qu’une scolarisation séparée dans des institutions spécialisées, au terme d’un travail d’adaptation individuelle intense orchestré par des équipes d’experts en pédagogie ; e)  la mise en place de programmes permettant aux mineurs d’acquérir des aptitudes professionnelles ; f)  la création d’un climat de coopération avec les familles ; g)  une réforme par laquelle les commissions locales de lutte contre les comportements antisociaux des mineurs n’auraient pas de rôle décisif dans la prise des mesures éducatives, cette décision appartenant uniquement à un juge spécialisé ; h)  la suppression des sanctions pour les comportements antisociaux des mineurs ; i)  la suppression des mesures pénales imposées aux mineurs de moins de 14 ans et leur remplacement, exclusivement et à titre exceptionnel, par des mesures sociales et de protection ; j)  la limitation du placement dans des institutions spécialisées de mineurs de moins de 14 ans aux seuls cas relevant d’un besoin social et de la nécessité d’une protection ; k)  la fermeture des établissements évalués, à condition que des mesures alternatives de protection et de justice soient mises en place par le législateur et dans la pratique.

39.  Il apparaît que, à la suite du rapport de 2009 de l’Agence nationale pour la protection de l’enfant, le ministère de l’Éducation et des Sciences s’est engagé à réformer les institutions de type fermé pour mineurs afin de garantir un système entièrement orienté vers l’enfant et offrant une approche individuelle. Des mesures ont alors été proposées dans un Plan d’action concernant la mise en œuvre de la politique nationale en matière de justice juvénile pour la période 2013-2020. Les mesures suivantes ont notamment été envisagées : l’abolition de la loi sur la lutte contre les comportements antisociaux des mineurs, et l’adoption d’une nouvelle loi en matière de justice des mineurs en marge de la légalité, visant à proposer aux enfants en difficulté une large gamme de services sociaux, pédagogiques et éducatifs.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A.  Le placement des mineurs dans un centre éducatif – internat

1.  La loi de 1958 sur la lutte contre les comportements antisociaux des mineurs (Закон за борба срещу противообществените прояви на малолетни и непълнолетни)

40.  La loi de 1958 sur la lutte contre les comportements antisociaux des mineurs qualifie d’antisocial tout comportement dangereux pour la société et contraire à la loi, à la morale ou aux bonnes mœurs (article 49a). La loi n’énumère pas les comportements susceptibles de recevoir cette qualification, mais la pratique judiciaire et la criminologie considèrent comme relevant de celle-ci toute une variété d’actes lorsqu’ils sont commis par un mineur, même s’ils ne sont pas incriminés par le droit pénal. Il en va ainsi de la prostitution, de l’emploi de substances narcotiques, de l’abus d’alcool, du vagabondage, de la mendicité, de l’absentéisme scolaire ou des fugues répétées du domicile des parents ou des personnes exerçant la garde. Pour la loi, ces actes considérés comme moins dangereux pour l’ordre public que les infractions pénales appellent tout de même des mesures de défense sociale dont l’application relève de la compétence de « commissions locales de lutte contre les comportements antisociaux des mineurs », qui sont des structures administratives dépendant d’un organe central désigné par le Conseil des ministres. La prostitution des mineurs est qualifiée d’antisociale de manière constante depuis 1993 (Б. Станков, Малолетни, непълнолетни, противообществени прояви, престъпления, отговорност, Варна, 2008 г., стр. 33-35). Il ressort du Plan d’action concernant la mise en œuvre de la politique nationale en matière de justice juvénile pour la période 2013-2020 que, entre 2009 et 2011, les actes antisociaux les plus nombreux ont été les fugues du domicile, l’absentéisme scolaire et le vagabondage.

41.  La loi prévoit toute une série de mesures éducatives qui peuvent être imposées aux mineurs ayant eu de tels comportements. La plus sévère d’entre elles est le placement dans un centre éducatif – internat (article 13, alinéa 1, point 13), ces centres étant des établissements à caractère public. Cette mesure est prise lorsque les autres mesures légales plus légères (par exemple admonestation, surveillance renforcée par les parents ou par des éducateurs, interdiction de fréquenter certains lieux ou personnes, avertissement de placement dans un centre éducatif – internat) ne se sont pas révélées suffisantes ou lorsque l’enfant concerné ne bénéficie pas d’un milieu social approprié pour son éducation (article 28, alinéa 2, en relation avec l’article 13, alinéa 1).

42.  La procédure est déclenchée par la commission locale de lutte contre les comportements antisociaux des mineurs, à qui il revient de soumettre au tribunal de district une proposition de placement. Ce dernier tient une audience à huis clos en présence du mineur concerné dans un délai d’un mois. La présence d’un parent ou d’une autre personne le représentant est obligatoire ; la proposition de la commission locale leur est notifiée avant la tenue de l’audience (article 16, alinéas 5 et 6). Ils ont le droit d’être entendus par le tribunal (article 20, alinéa 4). Le mineur est représenté par une « personne de confiance » ou par un avocat ou, à défaut, par un représentant de la direction municipale de l’assistance sociale (article 19, alinéas 1, 3 et 4, et article 24, alinéa 3). Le tribunal doit statuer dans un délai de sept jours à compter de la date de l’audience. Sa décision est susceptible d’appel devant le tribunal régional compétent dans un délai de quatorze jours après son prononcé (article 21, alinéa 1, point 2, et article 24a).

43.  L’article 30, alinéa 3 préconise que pendant leur placement, les mineurs bénéficient de mesures éducatives. Ils doivent suivre un enseignement conforme aux programmes scolaires généraux ainsi que des programmes d’acquisition de qualifications professionnelles.

44.  L’article 30, alinéa 2, fixe à trois ans la durée maximum d’une mesure de placement. À la fin de chaque année scolaire, le conseil pédagogique du centre éducatif – internat dans lequel l’enfant concerné est placé établit, avec l’assistance d’un procureur et d’un représentant de la commission locale, un rapport d’appréciation sur le comportement de l’enfant, ses résultats scolaires et les effets des mesures éducatives adoptées. En cas d’appréciation positive, la commission locale soumet une proposition de levée de la mesure de placement au tribunal de district, lequel se prononce par une décision insusceptible de recours dans les trois jours suivant cette proposition (article 31, alinéas 1, 4 et 5). Enfin, la mesure de placement dans un centre éducatif – internat peut être levée avant la fin de l’année scolaire, à titre exceptionnel, lorsque la commission locale le propose ou pour des raisons de santé sur la base d’un certificat délivré par une commission de médecins-conseils (article 31, alinéa 3).

2.  Le code pénal

45.  Les articles 61 et 64 du code pénal de 1968 de même que l’article 28, alinéa 2, de la loi sur la lutte contre les comportements antisociaux des mineurs prévoient deux cas de figure dans lesquels des mineurs peuvent être placés dans un centre éducatif – internat. Le premier concerne ceux qui ont commis, par négligence ou par jeu, des infractions pénales de faible gravité. En pareil cas, le procureur peut classer l’affaire ou prononcer un non-lieu et le tribunal peut juger qu’il n’y a pas lieu à statuer, ce qui conduit au placement des mineurs concernés dans un centre éducatif – internat.

46.  Le second concerne les mineurs condamnés à une peine d’emprisonnement ferme d’une durée inférieure à un an : en lieu et place de l’application de la peine, ils peuvent bénéficier d’un placement dans un centre éducatif – internat ou d’une autre mesure éducative prévue par la loi sur la lutte contre les comportements antisociaux des mineurs.

3.  Le règlement sur le fonctionnement des centres éducatifs – internats et internats socio-pédagogiques

47.  Le règlement du 1er septembre 2006 sur le fonctionnement des centres éducatifs – internats et des internats socio-pédagogiques (Правилник за устройството и дейността на възпитателните училища – интернати и социално – педагогическите интернати) soumet les élèves de ces établissements à une surveillance permanente, leur interdit de quitter les lieux sans autorisation préalable et leur impose d’être accompagnés par un enseignant ou un éducateur lors de leurs sorties. Les autorisations de sortie pour les jours fériés et les vacances scolaires sont délivrées après accord écrit de la commission locale. Les élèves absents du centre sans autorisation sont considérés comme fugueurs et doivent être signalés à la police par le directeur de l’établissement pour qu’elle les y reconduise. Les visites sont également subordonnées à l’autorisation du directeur du centre (articles 34-40 du règlement).

B.  Le placement dans une institution spécialisée en application de la loi de 2000 sur la protection de l’enfant

48.  La loi de 2000 sur la protection de l’enfant vise à protéger les enfants, c’est-à-dire les personnes âgées de moins de 18 ans (article 2). Elle garantit notamment une protection aux enfants en danger, c’est-à-dire ceux sur lesquels les parents ne veillent pas suffisamment, ceux qui sont victimes d’abus, de violence, d’exploitation ou de tout autre traitement inhumain ou dégradant au sein ou en dehors de la famille, ou encore ceux dont le développement physique, psychique, moral, intellectuel ou social est en péril (article 5 et disposition additionnelle, § 1, point 11).

49.  La loi prévoit diverses mesures de protection, notamment le placement dans une institution spécialisée. Les demandes de placement sont introduites auprès du tribunal de district, qui se prononce à l’issue d’une audience publique en présence de l’enfant concerné. Le tribunal détermine la durée de la mesure (article 28, alinéas 1, 3 et 5). Un tel placement ne peut être décidé que lorsqu’il n’est plus possible de maintenir l’enfant dans le cadre familial (article 35, alinéa 2).

C.  La correspondance des mineures placées dans le centre de Podem

50.  En vertu de l’article 57, point 4, du règlement sur le fonctionnement des centres éducatifs et des internats socio-pédagogiques, les pensionnaires des centres éducatifs – internats ont droit à la correspondance et aux contacts téléphoniques. Le règlement interne du centre de Podem, adopté par le conseil pédagogique en application du règlement sur le fonctionnement des centres éducatifs – internats et des internats socio‑pédagogiques, ainsi que de la loi sur la lutte contre les comportements antisociaux des mineurs, tel qu’amendé le 14 septembre 2012, précise, dans son article 25, point 10, que les lettres des élèves sont envoyées et reçues par l’intermédiaire de l’éducateur du groupe ou de l’enseignant principal de la classe. Ces derniers les contrôlent pour vérifier qu’elles ne contiennent pas d’argent liquide, de substances narcotiques ou d’informations portant atteinte aux droits d’autrui, nuisant à la réputation du centre, des enseignants, du personnel auxiliaire ou d’autres élèves, menaçant la sécurité nationale ou l’ordre public (contacts avec des groupes animés d’intentions criminelles pour la réalisation de projets en rapport avec celles-ci), ou encore dangereuses pour la santé publique et la morale. Le personnel éducatif contrôle également les colis destinés aux pensionnaires pour détecter la présence éventuelle d’armes, de téléphones portables, de substances narcotiques et anesthésiques, de cigarettes, d’alcool, d’argent liquide, de médicaments, de littérature pornographique ou relative à des sectes, ainsi que de toute autre publication ayant un contenu antisocial.

51.  Selon la même disposition, les pensionnaires ne peuvent avoir des conversations téléphoniques qu’à titre exceptionnel, avec l’autorisation du directeur et sous le contrôle de leur enseignant ou d’un éducateur. Les appels entrants ne sont admis qu’entre 19 et 20 heures, et la conversation doit alors avoir lieu à l’entrée principale de l’établissement, en présence de l’éducateur de permanence. Les conversations téléphoniques depuis le bureau de poste de Podem ont lieu avec l’autorisation du directeur, en présence de l’éducateur ou de l’enseignant principal de l’élève. Les téléphones portables sont interdits.

D.  Les rapports du Médiateur de la République de Bulgarie

52.  Le Médiateur de la République s’est prononcé sur certaines questions relatives au fonctionnement des centres éducatifs – internats dans le rapport sur ses activités en 2013, ainsi que dans un rapport spécialement consacré au contrôle effectué dans ces établissements en mars 2014. Le Médiateur note que les quatre centres éducatifs – internats en Bulgarie sont des établissements à vocation éducative accueillant des mineurs qui ont enfreint la loi et permettant à ceux-ci d’y poursuivre leur scolarité et de corriger leur comportement. Toutefois, il estime qu’en réalité on trouve regroupés dans une même institution aussi bien des mineurs victimes d’actes de violence que des mineurs auteurs de tels actes. Il indique que le niveau de l’enseignement dispensé est faible, que le personnel est insuffisant et inapte à travailler avec des mineurs vulnérables, et que la santé des enfants est négligée. Il souligne que, dans la mesure où le placement d’un enfant dans une institution fermée constitue une privation de liberté, l’État est tenu de mettre en place des garanties institutionnelles assurant la sécurité et la poursuite effective des buts éducatifs. Se fondant sur les cas qui lui ont été soumis et sur les contrôles effectués sur place, il considère que le placement et les conditions de vie dans ces institutions portent atteinte à un certain nombre de droits de l’homme et de droits de l’enfant. Il souligne la nécessité de protéger les mineurs placés dans des centres éducatifs – internats, mais constate que les mesures envisagées par la loi sur la protection de l’enfant ne sont guère mises en œuvre par les assistants sociaux, les placements étant avant tout décidés, selon lui, en application de la loi sur la lutte contre les comportements antisociaux des mineurs. Il encourage dès lors la mise en œuvre rapide et efficace de la réforme des centres éducatifs afin de satisfaire aux buts de protection et d’éducation censés constituer la vocation de ces établissements. Ces encouragements sont rappelés dans le rapport sur les activités du Médiateur en 2014 et dans un rapport dédié à la condition des enfants placés dans les internats socio‑pédagogiques et les centres éducatifs – internats, élaboré en 2015.

III.  LES TEXTES INTERNATIONAUX PERTINENTS

A.  Convention relative aux droits de l’enfant, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies (résolution 44/25 du 20 novembre 1989)

53.  La convention en question a été ratifiée par la Bulgarie le 3 juin 1991. Ses dispositions pertinentes en l’espèce se lisent ainsi :

Article 3

« 1.  Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. »

Article 16

« 1.  Nul enfant ne fera l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes illégales à son honneur et à sa réputation.

2.  L’enfant a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes. »

Article 19

« 1.  Les États parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation (...) »

Article 37

« Les États parties veillent à ce que :

(...)

b)  Nul enfant ne soit privé de liberté de façon illégale ou arbitraire. L’arrestation, la détention ou l’emprisonnement d’un enfant doit être en conformité avec la loi, n’être qu’une mesure de dernier ressort et être d’une durée aussi brève que possible ;

(...)

d)  Les enfants privés de liberté aient le droit d’avoir rapidement accès à l’assistance juridique ou à toute assistance appropriée, ainsi que le droit de contester la légalité de leur privation de liberté devant un tribunal ou une autre autorité compétente, indépendante et impartiale, et à ce qu’une décision rapide soit prise en la matière.

(...) »

54.  Dans ses observations finales adoptées le 21 mai 2008 à l’issue de l’examen du deuxième rapport périodique de la Bulgarie sur le respect de la convention en question, le Comité des droits de l’enfant a constaté que la définition du « comportement antisocial » d’un mineur était contraire aux normes internationales. Aussi a-t-il recommandé que la législation nationale sur la délinquance juvénile et le code de procédure pénale fussent modifiés afin que la notion de « comportement antisocial » y soit supprimée. Il a en outre recommandé aux autorités de ne recourir à la privation de liberté, et notamment au placement dans un établissement d’éducation et de rééducation, qu’en dernier ressort et de procéder, quand pareille mesure a été prise, à des contrôles et à un examen réguliers en tenant compte de l’intérêt supérieur de l’enfant (paragraphes 68-69 des observations finales).

55.  Selon son rapport périodique consolidé sur les troisième, quatrième et cinquième périodes d’évaluation – 2008 à 2012 –, les autorités bulgares ont informé le Comité des droits de l’enfant que ses recommandations n’avaient pas encore été mises en œuvre. Elles ont précisé qu’un projet de loi sur la justice juvénile était en cours d’élaboration et que la future loi avait vocation à remplacer la loi sur la lutte contre les comportements antisociaux des mineurs.

B.  Ensemble de règles minima des Nations unies concernant l’administration de la justice pour mineurs (règles de Beijing)

56.  Les règles de Beijing ont été adoptées par l’Assemblée générale des Nations unies le 29 novembre 1985. Elles n’ont pas force obligatoire en droit international. Leurs passages pertinents en l’espèce sont libellés et officiellement commentés comme suit :

« 1.  Perspectives fondamentales

(...)

1.2  Les États Membres s’efforcent de créer des conditions qui assurent au mineur une vie utile dans la communauté, propre à encourager chez lui pendant la période de sa vie où il est le plus exposé à un comportement déviant, un processus d’épanouissement personnel et d’éducation aussi éloigné que possible de tout contact avec la criminalité et la délinquance.

(...)

Commentaire :

Ces perspectives fondamentales générales touchent à la politique sociale globale en général et visent à favoriser le plus possible la protection sociale des jeunes pour éviter l’intervention du système de la justice pour mineurs et le tort souvent causé par cette intervention. Ces mesures de protection sociale des jeunes, avant le passage à la délinquance, sont absolument indispensables si l’on veut éviter d’avoir à appliquer le présent Ensemble de règles.

(...)

3.  Extension des règles

3.1  Les dispositions pertinentes du présent Ensemble de règles seront appliquées non seulement aux délinquants juvéniles, mais aussi aux mineurs contre qui des poursuites pourraient être engagées pour tout comportement qui ne serait pas punissable s’il était commis par un adulte.

3.2  On s’efforcera d’étendre les principes incorporés dans le présent Ensemble de règles à tous les mineurs auxquels s’appliquent des mesures de protection et d’aide sociale.

(...)

Commentaire :

L’article 3 étend la protection assurée par l’Ensemble de règles minima concernant l’administration de la justice pour mineurs :

a)  Aux « délits d’état » prévus par les systèmes juridiques nationaux où des comportements plus nombreux que pour les adultes sont considérés comme délictueux chez les jeunes (par exemple l’absentéisme scolaire, l’indiscipline à l’école et en famille, l’ivresse publique, etc.) [art. 3.1] ;

b)  Aux mesures de protection et d’aide sociale à l’intention des jeunes (art. 3.2) ;

(...)

5.  Objectifs de la justice pour mineurs

5.1  Le système de la justice pour mineurs recherche le bien-être du mineur et fait en sorte que les réactions vis-à-vis des délinquants juvéniles soient toujours proportionnées aux circonstances propres aux délinquants et aux délits.

Commentaire :

L’article 5 concerne deux des objectifs les plus importants de la justice pour mineurs. Le premier est la recherche du bien-être du mineur. C’est l’objectif principal des systèmes juridiques où les cas des délinquants juvéniles sont examinés par les tribunaux pour enfants ou par les autorités administratives, mais il faut insister aussi sur le bien-être du mineur dans les systèmes juridiques où ils relèvent des juridictions de droit commun, pour éviter que ne soient prises des sanctions uniquement punitives.

(...)

15.  Assistance d’un conseil, parents et tuteurs

15.1  Tout au long de la procédure, le mineur a le droit d’être représenté par son conseil ou de demander la désignation d’un avocat d’office, lorsque des dispositions prévoyant cette assistance existent dans le pays.

(...)

17.  Principes directeurs régissant le jugement et la décision

17.1  La décision de l’autorité compétente doit s’inspirer des principes suivants :

a)  La décision doit toujours être proportionnée non seulement aux circonstances et à la gravité du délit, mais aussi aux circonstances et aux besoins du délinquant ainsi qu’aux besoins de la société ;

b)  Il n’est apporté de restrictions à la liberté personnelle du mineur – et ce en les limitant au minimum – qu’après un examen minutieux ;

(...)

19.  Recours minimal au placement en institution

19.1  Le placement d’un mineur dans une institution est toujours une mesure de dernier ressort et la durée doit en être aussi brève que possible.

(...)

26.  Objectifs du traitement en institution

26.1  La formation et le traitement des mineurs placés en institution ont pour objet de leur assurer assistance, protection, éducation et compétences professionnelles, afin de les aider à jouer un rôle constructif et productif dans la société.

26.2  Les jeunes placés en institution recevront l’aide, la protection et toute l’assistance – sur le plan social, éducatif, professionnel, psychologique, médical et physique – qui peuvent leur être nécessaires eu égard à leur âge, à leur sexe et à leur personnalité et dans l’intérêt de leur développement harmonieux.

(...)

28.  Application fréquente et prompte du régime de la libération conditionnelle

28.1  L’autorité appropriée aura recours à la libération conditionnelle aussi souvent et aussi tôt que possible.

28.2  Les mineurs placés sous le régime de la libération conditionnelle seront assistés et suivis par une autorité appropriée et recevront le soutien total de la communauté.

(...) »

C.  Règles minima des Nations unies pour la protection des mineurs privés de liberté (règles de La Havane)

57.  Les règles de La Havane ont été adoptées par l’Assemblée générale des Nations unies dans sa résolution 45/113 du 14 décembre 1990. Elles n’ont pas force obligatoire en droit international et leurs passages pertinents en l’espèce sont libellés comme suit :

« I.  Perspectives fondamentales

(...)

2.  Les mineurs ne peuvent être privés de leur liberté que conformément aux principes et procédures énoncés dans les présentes Règles et dans l’Ensemble de règles minima des Nations unies concernant l’administration de la justice pour mineurs (Règles de Beijing). La privation de liberté d’un mineur doit être une mesure prise en dernier recours et pour le minimum de temps nécessaire et être limitée à des cas exceptionnels. La durée de détention doit être définie par les autorités judiciaires, sans que soit écartée la possibilité d’une libération anticipée.

(...)

II.  Portée et application des Règles

11.  Aux fins des présentes Règles, les définitions ci-après sont applicables :

(...)

b)  Par privation de liberté, on entend toute forme de détention, d’emprisonnement ou le placement d’une personne dans un établissement public ou privé dont elle n’est pas autorisée à sortir à son gré, ordonnés par une autorité judiciaire, administrative ou autre.

(...)

E.  Éducation, formation professionnelle et travail

38.  Tout mineur d’âge scolaire a le droit de recevoir une éducation adaptée à ses besoins et aptitudes, et propre à préparer son retour dans la société. Cette éducation doit autant que possible être dispensée hors de l’établissement pénitentiaire dans des écoles communautaires et, en tout état de cause, par des enseignants qualifiés dans le cadre de programmes intégrés au système éducatif du pays afin que les mineurs puissent poursuivre sans difficulté leurs études après leur libération.

(...)

J.  Contacts avec l’extérieur

59.  Tout doit être mis en œuvre pour que les mineurs aient suffisamment de contacts avec le monde extérieur car ceci fait partie intégrante du droit d’être traité humainement et est indispensable pour préparer les mineurs au retour dans la société. Les mineurs doivent être autorisés à communiquer avec leurs familles, ainsi qu’avec des membres ou représentants d’organisations extérieures de bonne réputation, à sortir de l’établissement pour se rendre dans leurs foyers et leurs familles et à obtenir des autorisations de sortie spéciales pour des motifs importants d’ordre éducatif, professionnel ou autre.

(...)

60.  Tout mineur doit avoir le droit de recevoir des visites régulières et fréquentes de membres de sa famille, en principe une fois par semaine et pas moins d’une fois par mois, dans des conditions tenant compte du besoin du mineur de parler sans témoin, d’avoir des contacts et de communiquer sans restriction avec les membres de sa famille et ses défenseurs.

61.  Tout mineur doit avoir le droit de communiquer par écrit ou par téléphone au moins deux fois par semaine avec la personne de son choix, sauf interdiction légale, et, le cas échéant, recevoir une assistance afin de pouvoir jouir effectivement de ce droit. Tout mineur doit avoir le droit de recevoir de la correspondance.

(...)

N.  Retour dans la communauté

79.  Tout mineur doit bénéficier de dispositions visant à faciliter son retour dans la société, dans sa famille, dans le milieu scolaire ou dans la vie active après sa libération. Des procédures, notamment la libération anticipée, et des stages doivent être spécialement conçus à cette fin. »

D.  Principes directeurs des Nations unies pour la prévention de la délinquance juvénile (Principes directeurs de Riyad)

58.  Les principes directeurs de Riyad ont été adoptés et proclamés par l’Assemblée générale des Nations unies dans sa résolution 45/112 du 14 décembre 1990 et incluent la disposition suivante :

« 46.  Le placement des jeunes en institutions devrait n’intervenir qu’en dernier ressort et ne durer que le temps absolument indispensable, l’intérêt de l’enfant étant la considération essentielle. Il faudrait définir strictement les critères de recours aux interventions officielles de ce type, qui devraient être limitées normalement aux situations suivantes : a)  l’enfant ou l’adolescent a enduré des souffrances infligées par ses parents ou tuteurs ; b)  l’enfant ou l’adolescent a subi des violences sexuelles, physiques ou affectives de la part des parents ou tuteurs ; c)  l’enfant ou l’adolescent a été négligé, abandonné ou exploité par ses parents ou tuteurs ; d)  l’enfant est menacé physiquement ou moralement par le comportement de ses parents ou tuteurs ; et e)  l’enfant ou l’adolescent est exposé à un grave danger physique ou psychologique du fait de son propre comportement et ni lui, ni ses parents ou tuteurs, ni les services communautaires hors institution ne peuvent parer ce danger par des moyens autres que le placement en institution. »

EN DROIT

59.  La requérante se plaint que son placement dans un centre éducatif – internat n’était pas conforme à l’article 5 § 1 de la Convention et que cette mesure ne pouvait faire l’objet d’un examen à intervalles réguliers par un tribunal comme le prévoit, selon elle, l’article 5 § 4. Elle ajoute que le caractère automatique du contrôle du courrier et de la surveillance des appels téléphoniques dans l’établissement dans lequel elle se trouvait placée était contraire à l’article 8 de la Convention.

I.  SUR LA RECEVABILITÉ

60.  Le Gouvernement excipe du non-respect du délai de six mois. Il indique notamment que la décision interne définitive est datée du 16 juillet 2013 et que la requérante a introduit sa requête le 22 janvier 2014, date, selon lui, du cachet de réception de la requête apposé par la Cour, soit plus de six mois après la date de la décision interne définitive.

61.  La requérante combat cette thèse. Elle indique qu’elle a introduit sa requête le 16 janvier 2014, date, d’après elle, de l’envoi à la Cour. À l’appui de ses dires, elle produit une copie du récépissé du recommandé avec accusé de réception daté du 16 janvier 2014. Elle ajoute avoir introduit sa requête devant la Cour par une télécopie datée du même jour, qui, selon elle, a été versée au dossier et pour laquelle elle a présenté une facture des services de la poste.

62.  La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle la date à prendre en considération pour le calcul du délai de six mois est celle de la date de l’introduction ou de l’envoi de la requête à la Cour – le cachet de la poste faisant foi – et non pas celle du cachet de réception apposé sur la requête (voir, parmi beaucoup d’autres, Kipritçi c. Turquie, no 14294/04, § 18, 3 juin 2008). En l’espèce, eu égard aux éléments du dossier, la Cour estime que la requête a bien été introduite le 16 janvier 2014, date du cachet de l’envoi de la requête par la poste. Dès lors, le délai de six mois à compter de la date de la décision interne définitive a été respecté. Partant, elle rejette l’exception du Gouvernement.

63.  Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

II.  SUR LE FOND

A.  Sur la violation alléguée de l’article 5 § 1 de la Convention

64.  La requérante allègue que son placement dans un centre éducatif ‑ internat est contraire à l’article 5 § 1 de la Convention, dont les parties pertinentes en l’espèce se lisent comme suit :

« 1.  Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

a)  s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;

(...)

d)  s’il s’agit de la détention régulière d’un mineur, décidée pour son éducation surveillée ou de sa détention régulière, afin de le traduire devant l’autorité compétente ;

(...) »

1.  Arguments des parties

65.  La requérante estime que, eu égard aux conditions de vie au centre de Podem et à son placement dans ce centre contre sa volonté et celle de sa mère, la mesure litigieuse constitue une privation de liberté.

66.  Elle allègue ensuite que la loi sur la lutte contre les comportements antisociaux n’est pas suffisamment claire et prévisible. Selon la requérante, ni la loi ni la jurisprudence interne ne définissent l’expression « comportement antisocial » – critique formulée aussi par le Comité des droits de l’enfant (paragraphe 54 ci-dessus) – avec une précision suffisante pour qu’elle eût pu prévoir que son comportement aurait pour conséquence la mesure privative de liberté. De plus, l’intéressée conteste le constat des autorités selon lequel elle aurait commis des actes visés par cette loi et elle s’estime être plutôt dans la situation d’un enfant à risque nécessitant des mesures de protection. En outre, selon elle, cette loi n’indique pas avec clarté l’ordre d’application des mesures éducatives ni l’établissement éducatif le plus adapté eu égard aux actes qui lui étaient reprochés. De surcroît, à ses yeux, la mesure de son placement au centre de Podem n’a pas été décidée en dernier ressort.

67.  La requérante considère qu’elle a fait l’objet d’une mesure de sanction relevant du domaine pénal et que, dès lors, sa privation de liberté pouvait a priori être s’assimilée à celle envisagée à l’article 5 § 1 a) de la Convention. Or, selon elle, la privation de liberté litigieuse n’ayant pas été prise selon la procédure pénale applicable, il y a lieu de la voir comme contraire à cette disposition de la Convention. La requérante indique que, par ailleurs, ce placement n’est pas non plus compatible avec l’article 5 § 1 d) de la Convention, au motif qu’elle n’a pas bénéficié d’un système d’enseignement et d’éducation adéquat au centre de Podem et qu’elle n’y a pas été réellement protégée contre l’exploitation dont elle aurait déjà été victime auparavant et qui aurait fondé la décision de placement.

68.  Le Gouvernement ne conteste pas que la mesure litigieuse s’analyse en une privation de liberté. Excluant l’application de l’article 5 § 1 a), il estime que cette mesure correspond au cas de figure visé à la lettre d) de cette disposition. Il expose en détail le régime d’éducation et d’enseignement proposé dans le centre de Podem. Il indique par ailleurs que la décision de placement a été prise dans le cadre d’une procédure judiciaire contradictoire ayant donné lieu à une analyse des circonstances factuelles et que le comportement de l’intéressée a été qualifié d’antisocial au sens de la loi applicable. Il ajoute que la mesure litigieuse a été motivée par le besoin de corriger, par l’éducation, le comportement de la requérante et d’éloigner celle-ci d’un environnement social défavorable. Il précise que le choix de la mesure éducative la plus rigoureuse, c’est-à-dire le placement dans une institution fermée, s’explique par l’échec d’autres mesures, moins restrictives, qui auraient été appliquées précédemment à l’intéressée.

2.  Appréciation de la Cour

69.  La Cour note d’emblée que le Gouvernement ne conteste pas que le placement de la requérante dans le centre de Podem constitue une privation de liberté au sens de l’article 5 de la Convention. En tout état de cause, elle rappelle avoir déjà examiné ce type de placement dans l’établissement en question et avoir conclu qu’il s’agissait d’une mesure privative de liberté à l’égard des mineurs, compte tenu notamment du régime de surveillance permanente et d’autorisation des sorties, et de la durée du placement (A. et autres c. Bulgarie, no 51776/08, §§ 62-63, 29 novembre 2011). Ce régime étant inchangé, la Cour ne voit pas de raisons de s’écarter de ce constat dans la présente espèce et conclut également que le placement de l’intéressée s’analyse en une privation de liberté.

70.  La requérante estime ensuite que son placement n’entre dans aucune des situations énumérées à l’article 5 § 1, et en particulier dans celles visées aux lettres a) et d) de cette disposition. Le Gouvernement, pour sa part, considère que l’article 5 § 1 a) ne peut être appliqué en l’espèce, mais que la mesure litigieuse était conforme à l’article 5 § 1 d). Par conséquent, et gardant à l’esprit que cette dernière disposition est entrée en jeu quant au placement examiné dans l’affaire A. et autres (précitée), la Cour se concentrera d’abord sur la question de savoir si le placement de la requérante au centre de Podem était conforme à l’article 5 § 1 d).

71.  Elle rappelle à cet égard que le premier volet de l’article 5 § 1 d) prévoit la privation de liberté dans l’intérêt d’un mineur indépendamment de la question de savoir si celui-ci est suspecté d’avoir commis une infraction pénale ou est simplement un enfant « à risque ». Cette disposition autorise en effet la détention d’un mineur lorsqu’elle a été décidée pour son éducation surveillée (A. et autres, précité, § 66). La requérante n’ayant pas atteint l’âge de la majorité pendant l’application de la mesure litigieuse, la seule question qui se pose à la Cour est celle de savoir si la détention de l’intéressée était régulière et avait été décidée « pour » (« for the purpose of ») son éducation surveillée (Bouamar c. Belgique, 29 février 1988, § 50, série A no 129, D.G. c. Irlande, no 39474/98, § 76, CEDH 2002‑III, et plus récemment Blokhin c. Russie [GC], no 47152/06, §§ 166-167, 23 mars 2016). En la matière, la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale et consacre l’obligation d’en respecter les normes de fond comme de procédure, mais elle exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but de l’article 5 : protéger l’individu contre l’arbitraire (Bouamar, précité, § 47, et D.G. c. Irlande, précité, § 75). Par ailleurs, il doit exister un lien entre, d’une part, le motif invoqué pour la privation de liberté autorisée et, d’autre part, le lieu et le régime de détention (D.G. c. Irlande, précité, § 75, et Aerts c. Belgique, 30 juillet 1998, § 46, Recueil des arrêts et décisions 1998-V, avec les autres références y figurant).

72.  Il apparaît en l’espèce que la décision de placement de la requérante a été prise en application de la loi sur la lutte contre les comportements antisociaux des mineurs. L’intéressée soutient à cet égard que la notion de « comportement antisocial » n’était pas suffisamment claire pour répondre à l’exigence de « qualité » de la loi posée par la Convention, ce qui l’aurait empêchée de prévoir les motifs précis pour lesquels elle pouvait se voir placée dans un établissement fermé contre sa volonté. Il incombe dès lors à la Cour de rechercher si les normes internes en question étaient suffisamment accessibles et précises afin d’éviter tout danger d’arbitraire en matière de privation de liberté (Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique, no 13178/03, § 97, CEDH 2006-XI, et A. et autres, précité, § 67).

73.  La Cour peut relever des éléments du dossier que les autorités internes ont justifié le besoin de placement de la requérante par le risque de la voir entrainée dans la prostitution car celle-ci était incitée à accomplir « des services sexuels », ainsi que par son manque de coopération, son comportement agressif et ses fugues (paragraphes 10-13 ci-dessus). Il est vrai que la loi sur la lutte contre les comportements antisociaux des mineurs semble quelque peu obsolète (paragraphe 76 ci-dessous) et ne contient pas de liste exhaustive des actes considérés comme « antisociaux », aussi ceux qui étaient reprochés à la requérante n’y sont-ils pas expressément décrits. La loi en question se borne à donner une définition générale de la notion de « comportement antisocial » (paragraphe 40 ci-dessus). Toutefois, la Cour rappelle son constat dans l’affaire A. et autres (précitée), selon lequel, dans la pratique judiciaire établie, la prostitution et la fugue sont considérées comme des actes antisociaux susceptibles d’entraîner des mesures éducatives, notamment le placement dans une institution spécialisée (A. et autres, précité, § 68, et paragraphes 40 et 41 ci-dessus). Elle estime dès lors que la requérante pouvait raisonnablement prévoir les conséquences de ses actes, et que, dans les circonstances de l’espèce, les « voies légales » ont été respectées.

74.  La « régularité » de la privation de liberté implique aussi la conformité de celle-ci au but des restrictions permises par l’article 5 § 1 d). Il appartient ainsi à la Cour de vérifier si le placement de la requérante était de nature à pourvoir à son « éducation surveillée » (Bouamar, précité, § 50, et Blokhin, précité, §§ 166-167). Dès lors que l’État a choisi de mettre en place un système d’éducation surveillée impliquant une privation de liberté, il lui incombait de se doter d’une infrastructure appropriée, adaptée aux impératifs de sécurité et aux objectifs pédagogiques, de manière à pouvoir remplir les exigences de l’article 5 § 1 d) (Bouamar, précité, § 50, D.G., précité, § 79, et Blokhin, précité, §167). Il est également admis que, dans le cadre de la détention des mineurs, les termes d’« éducation surveillée » ne doivent pas être assimilés systématiquement à la notion d’enseignement en salle de classe : lorsqu’une jeune personne est placée sous la protection de l’autorité locale compétente, l’éducation surveillée doit englober de nombreux aspects de l’exercice, par cette autorité locale, de droits parentaux, au bénéfice et pour la protection de l’intéressé (Koniarska c. Royaume-Uni (déc.), no 33670/96, CEDH 2000, D.G., précité, § 80, A. et autres, précité, § 69, et P. et S. c. Pologne, no 57375/08, § 147, 30 octobre 2012). La Cour a eu récemment l’occasion de préciser que la pratique consistant à dispenser à tous les mineurs privés de liberté placés sous la responsabilité de l’État, même à ceux internés en centre de détention provisoire pour une durée limitée, un enseignement conforme au programme scolaire ordinaire devrait constituer la norme pour éviter des lacunes dans leur éducation (Blokhin, précité, §170). La Cour trouve nécessaire d’ajouter en l’espèce qu’à l’instar des cas de détention prévus dans l’article 5 § 1 b) et e) l’exigence de « régularité » dans le contexte d’une détention « pour » les buts d’une « éducation surveillée » implique aussi le devoir de s’assurer que la mesure prise a été proportionnée à ces buts (voir, mutatis mutandis, Vasileva c. Danemark, no 52792/99, §§ 37-42, 25 septembre 2003, et Enhorn c. Suède, no 56529/00, §§ 41 et suivants, CEDH 2005-I). Lorsque la détention vise un mineur, comme c’est le cas dans la présente affaire, la Cour estime, à la lumière des normes internationales pertinentes, qu’un critère essentiel pour apprécier la proportionnalité est celui de savoir que la détention a été décidée en tant que mesure de dernier ressort, dans le meilleur intérêt de l’enfant, et qu’elle vise à prévenir des risques sérieux pour son développement. Lorsque ce critère n’est plus rempli, la privation de liberté perd sa justification.

75.  Dans la présente affaire, la requérante allègue que la décision de placement des autorités a été prise non pas dans un but éducatif mais à titre de sanction, que le système d’enseignement et d’éducation au centre de Podem n’était pas conforme aux exigences de l’article 5 § 1 d) de la Convention et que le choix de la mesure était arbitraire.

76.  La Cour relève au demeurant que les éléments du présent dossier mettent en cause une série de points du système bulgare quant à la prise en charge des mineurs en difficulté dans le réseau des institutions sociales. Elle note en premier lieu qu’il est vrai que la loi sur la lutte contre les comportements antisociaux des mineurs est obsolète et que, pour des raisons historiques, elle a été fondée plus sur une philosophie « de punition » que « de protection » des mineurs, une circonstance critiquée par les organisations internationales et nationales (paragraphes 39, 54 et 55 ci‑dessus). En outre, lors de l’examen de la première demande de la commission locale concernant le placement de la requérante, le juge a considéré que le centre de Podem présentait un « contexte défavorable » (paragraphe 9 ci-dessus). Ensuite, l’Agence nationale pour la protection de l’enfant, tout comme le Médiateur de la République, se sont dits préoccupés par des questions relatives au caractère adéquat des procédures judiciaires concernant les mineurs, mais aussi à la mise en œuvre des programmes scolaires et éducatifs, ou encore aux conditions matérielles de vie dans les centres fermés pour mineurs (paragraphes 31-38 et 52 ci-dessus). Sur ce point, la Cour se doit de constater qu’une réforme nationale comprenant de larges mesures législatives et administratives, encouragée par le Comité des droits de l’enfant des Nations unies, est en cours d’élaboration (paragraphes 39 et 52 ci-dessus). Elle estime également que sa tâche ne consiste point à examiner in abstracto, au regard de la Convention, le système bulgare concernant les mesures éducatives relatives aux mineurs ni de se livrer à une analyse de la réforme envisagée, mais d’apprécier la manière dont le système existant a été appliqué en l’espèce (Deweer c. Belgique, 27 février 1980, § 40, série A no 35, Schiesser c. Suisse, 4 décembre 1979, § 32, série A no 34, et A. et autres, précité, § 70).

77.  Pour ce qui est du but de la mesure et de la mise en œuvre du système pédagogique et éducatif, la Cour estime que l’État doit bénéficier d’une certaine marge d’appréciation pour organiser ce système d’une manière qui le rende effectif. En l’espèce, elle constate, malgré les critiques exposées en général (paragraphe 76 ci-dessus), que la requérante a pu poursuivre un cursus scolaire, que des efforts individuels ont été déployés à son égard pour tenter d’aplanir ses difficultés scolaires, qu’elle a obtenu une note l’autorisant à passer dans la classe supérieure et qu’enfin elle a pu obtenir une qualification professionnelle lui permettant d’envisager sa réintégration ultérieure dans la société (paragraphes 24 et 26-27 ci-dessus). Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que l’on ne peut reprocher à l’État d’avoir manqué à son obligation découlant de l’article 5 § 1 d) de donner à la mesure de placement un objectif pédagogique (voir, a contrario, Bouamar, précité, § 52, D.G., précité, §§ 83-85, et Ichin et autres c. Ukraine, nos 28189/04 et 28192/04, §§ 39-40, 21 décembre 2010). La Cour redit qu’elle ne s’estime pas compétente pour examiner plus avant les éventuelles défaillances du système national autant que les éléments du cas soumis devant elle lui permettent d’établir que la mesure imposée à la requérante poursuivait un but éducatif d’une portée suffisante au regard de l’article 5 § 1 d) de la Convention.

78.  Concernant les allégations d’arbitraire, la question de proportionnalité de la mesure, ainsi que le point de savoir si celle-ci relevait du dernier ressort, la Cour note que la décision de placement critiquée a été prise par des autorités judiciaires à l’issue d’audiences publiques au cours desquelles l’intéressée, les deux assistantes sociales directement responsables pour la requérante, le représentant de la commission locale, le représentant du service municipal, chargé de la protection de l’enfant et l’inspectrice de la brigade chargée des mineurs ont été entendus. La mère de la requérante était également présente et un avocat a été commis d’office à sa demande. Les tribunaux ont examiné en détail les éléments recueillis et ils ont estimé que, eu égard au milieu dans lequel la requérante vivait à l’époque pertinente, il n’existait pour elle pas de réelle alternative de prise en charge au placement dans un centre éducatif – internat.

79.  Sur ce point, il convient d’observer que la législation bulgare prévoit une large gamme de mesures éducatives en réponse aux comportements antisociaux de mineurs. La plus rigoureuse d’entre elles, le placement dans un centre éducatif – internat, ne peut être appliquée que lorsque les autres, moins sévères, n’ont pas produit d’effet (paragraphe 41 ci-dessus). Il apparaît à la Cour que le dispositif applicable n’impose pas aux autorités prononçant une telle mesure l’obligation d’établir un plan individuel reflétant les objectifs concrets à atteindre en termes d’éducation pour les mineurs concernés. De même, si la durée légale maximale de placement est fixée à trois ans (paragraphe 44 ci-dessus), il ne semble pas que les tribunaux soient tenus de se prononcer sur la durée au moment de la décision initiale. En l’espèce, ces questions, ainsi que le point de savoir si le centre de Podem était une institution adéquate à la situation de la requérante n’ont pas fait l’objet de discussions dans la procédure judiciaire. La Cour note malgré ces lacunes dans le système que les autorités avaient d’abord établi que l’intéressée ne bénéficiait pas d’un milieu naturel familial propice à son développement, ce qui était déjà la raison de son placement dans une institution de protection en août 2012, selon la loi sur la protection de l’enfant. Ensuite, dans le cadre de la procédure judiciaire la situation de la requérante, son mode de vie et les risques qu’elle encourait ont été mis en lumière par les déclarations notamment des deux assistantes sociales du centre de crise qui se trouvaient au contact le plus proche avec l’intéressée. Leurs témoignages ont indiqué en particulier qu’elle avait des relations avec les individus qui l’avaient initialement incitée à la prostitution, qu’elle était victime d’un système de trafic de type « lover boy » mais qu’elle refusait de l’admettre et de se protéger, qu’elle démontrait une attitude agressive envers le personnel de l’établissement et qu’elle ne rentrait pas au centre le soir après l’école. Les assistantes sociales ont confirmé que le contexte familial n’était pas propice à la requérante car il y avait des éléments indiquant que sa mère, elle-même, avait été victime de violence et avait besoin de protection (paragraphe 11 ci-dessus). La Cour observe par ailleurs que la mère avait la possibilité de se faire entendre par le tribunal au cours de l’audience et il n’apparaît pas des éléments du présent dossier qu’elle avait formulé une demande dans ce sens (paragraphe 42 ci-dessus). De plus, la Cour relève que la requérante avait visiblement fait l’objet d’un encadrement éducatif par le passé, comprenant des mesures éducatives moins lourdes que le placement (paragraphes 11 et 13 ci-dessus). Il n’apparaît pas arbitraire à la Cour que les dispositions prises à l’égard de l’intéressée ont été jugées insuffisantes par les autorités en raison des éléments invoqués ci-dessus.

80.  Compte tenu de ces éléments, la Cour ne peut considérer, comme l’allègue la requérante, que son placement représentait une mesure arbitraire et que les tribunaux n’ont pas tenu compte de ses intérêts. Il est vrai que la motivation des tribunaux peut paraître succincte et ne détaillait pas toutes les circonstances pertinentes. Une préoccupation particulière à cet égard tient au fait qu’elle n’examinait pas les questions relatives au plan individuel pour le placement décidé, à la durée et à la réévaluation régulière de ce dernier. Néanmoins, les décisions des tribunaux ont clairement reflété les déclarations des deux assistantes sociales ayant la responsabilité directe de la requérante dans le centre de crise. Ainsi, il apparaît qu’à l’issue d’un examen de la situation familiale de la requérante, de son milieu social, de son comportement et de l’impact des mesures éducatives déjà mises en place par les assistants sociaux, les autorités judiciaires ont réexaminé et confirmé la conclusion des institutions sociales que la mineure avait besoin d’une surveillance éducative renforcée. La Cour constate que c’est notamment le souci d’assurer à la requérante un contexte la mettant à l’abri des risques spécifiques clairement identifiés, et donc de protéger ses intérêts en tant qu’adolescente en pleine évolution psychologique et sociale, qui a inspiré la décision des autorités internes. Les éléments du dossier ne permettent pas à la Cour de remettre en question la conclusion des autorités à ce sujet.

81.  Au vu de tout ce qui précède, la Cour ne peut affirmer que la mesure de placement en cause revêtait un but punitif et elle estime que la décision des autorités s’inscrivait dans le cadre d’efforts durables visant à placer la requérante dans un environnement qui lui offrait une éducation surveillée et la possibilité de poursuivre sa scolarité. Elle rappelle à cet égard que des obligations positives de protéger les mineurs et, le cas échéant, de les soustraire à un milieu qui ne leur est pas favorable pèsent sur l’État (voir, mutatis mutandis, X. et Y. c. Pays-Bas, 26 mars 1985, §§ 21-27, série A no 91, Stubbings et autres c. Royaume-Uni, 22 octobre 1996, §§ 62-64, Recueil 1996-IV, A. c. Royaume-Uni, 23 septembre 1998, § 22, Recueil 1998-VI, Z. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 29392/95, §§ 73-74, CEDH 2001-V, et A. et autres, précité, § 73 ; voir aussi les articles 19 et 37 de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant).

82.  En conclusion, la Cour considère que le placement en cause se situe dans le champ d’application de l’article 5 § 1 d) et était conforme aux exigences de cette disposition, y compris proportionné aux buts éducatifs visés. Elle n’estime dès lors pas nécessaire de rechercher si l’alinéa a) de l’article 5 § 1 entre également en jeu.

83.  Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

B.  Sur la violation alléguée de l’article 5 § 4 de la Convention

84.  La requérante dénonce l’impossibilité en droit bulgare de faire examiner, à intervalles réguliers, la légalité de son placement dans un centre éducatif – internat. Elle invoque l’article 5 § 4 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

1.  Arguments des parties

85.  Le Gouvernement expose que, pour autant que la décision de placement de la requérante dans un établissement surveillé appartenait aux tribunaux, un contrôle de la légalité de cette mesure, tel qu’envisagé par l’article 5 § 4 de la Convention, était incorporé dans leurs décisions. Il ajoute que l’article 31, alinéa 3, de la loi sur la lutte contre les comportements antisociaux des mineurs prévoit la possibilité pour les tribunaux d’examiner une proposition de la commission locale visant à lever la mesure de placement sans attendre la fin de l’année scolaire (paragraphe 44 ci-dessus). Enfin, il précise que, selon la législation applicable, la durée de la mesure est limitée et qu’elle ne peut excéder une période de trois ans.

86.  La requérante ne conteste pas que les tribunaux ont exercé un contrôle de la légalité de la décision initiale de son placement. Elle indique cependant qu’elle n’a pas eu la possibilité de leur demander de réviser par la suite, à des intervalles raisonnables, la légalité de la mesure de placement, cette possibilité étant, selon elle, ouverte uniquement à la commission locale. Elle ajoute que le droit interne ne prévoit pas non plus le réexamen périodique automatique à caractère judiciaire de cette mesure.

2.  Appréciation de la Cour

87.  Les principes de la jurisprudence applicables en l’espèce se trouvent résumés dans l’arrêt Stanev c. Bulgarie ([GC], no 36760/06, §§ 168-170, 17 janvier 2012). Par ailleurs, la Cour rappelle que le contrôle judiciaire « à intervalles réguliers » est requis lorsque la nature même d’une mesure privative de liberté l’exige. En effet, les motifs justifiant à l’origine une détention peuvent cesser d’exister (Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 55, série A no 33). C’est le cas notamment pour des accusés placés en détention provisoire (Bezicheri c. Italie, 25 octobre 1989, §§ 20-21, série A no 164, et Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, § 162, Recueil 1998-VIII), des personnes détenues pour des raisons psychiatriques (voir, par exemple, Winterwerp, précité, X. c. Royaume-Uni, 5 novembre 1981, série A no 46, et Stanev, précité), de certains prisonniers frappés d’une peine de réclusion criminelle à perpétuité lorsque, à l’issue de la période punitive, le maintien en détention est fonction d’éléments de dangerosité et de risque qui peuvent évoluer avec le temps (Stafford c. Royaume-Uni [GC], no 46295/99, § 87, CEDH 2002-IV) et des récidivistes condamnés à une peine préventive d’internement à l’expiration de la peine principale (Van Droogenbroeck c. Belgique, 24 juin 1982, §§ 47-49, série A no 50). Le droit à un recours judiciaire pendant une mesure privative de liberté d’un requérant mineur a également été reconnu par la Cour dans l’arrêt Bouamar (précité, §§ 60-64).

88.  La Cour note que les parties s’accordent à dire qu’il existe en l’espèce un contrôle judiciaire incorporé dans la décision de placement prise par le tribunal régional le 16 juillet 2013. La question se pose en revanche de savoir si la requérante était en droit de demander une révision ultérieure de la détention et, dans l’affirmative, de vérifier si une telle possibilité lui a été offerte.

89.  Or il a déjà été constaté que la détention de la requérante a été ordonnée dans un but d’éducation surveillée afin de corriger son comportement jugé contraire aux normes de la société (paragraphe 82 ci‑dessus). Il s’agissait d’une privation de liberté dont la nécessité dépendait de l’évolution de son comportement dans le temps, facteur à prendre en compte à l’instar de ceux décrits dans les affaires citées ci-dessus (paragraphe 87). Par ailleurs, la Cour observe que la requérante a été placée dans le centre de Podem le 15 septembre 2013 pour une durée non déterminée (paragraphe 17 ci-dessus) qui pouvait, selon la législation applicable, atteindre trois ans (paragraphe 44 ci-dessus). Partant, compte tenu de la possibilité d’évolution du comportement de la requérante au cours d’une telle période, la Cour est d’avis qu’elle devait bénéficier d’un contrôle judiciaire périodique, effectué de manière automatique et à sa demande, à des intervalles raisonnables, de la légalité du maintien de la mesure privative de liberté (voir X c. Finlande, no 34806/04, § 170, CEDH 2012 (extraits) avec les autres références y figurant, où la Cour a affirmé qu’un système de contrôle périodique dans lequel l’initiative appartient uniquement aux autorités n’est pas suffisant).

90.  La Cour rappelle à cet égard que l’article 5 § 4 garantit un recours judiciaire qui doit être accessible à l’intéressé (Ashingdane c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 52, série A no 93, et Stanev, précité, § 170). Or force est de constater que la législation applicable n’autorise pas les mineurs placés dans un centre éducatif – internat à s’adresser aux juridictions pour demander le réexamen de leur détention. La Cour note l’argument du Gouvernement selon lequel le droit interne prévoit la possibilité de faire réviser la mesure de placement par les tribunaux, sur proposition de la commission locale (paragraphe 85 ci-dessus). Toutefois, à supposer que l’intéressée eût voulu passer par cette commission, la Cour observe que cette dernière constitue un organe administratif qui a le pouvoir discrétionnaire d’évaluer la situation de la mineure avant de formuler ou non une demande de révision de la mesure auprès des tribunaux (paragraphe 40 ci-dessus ; voir, a contrario, M.H. c. Royaume-Uni, no 11577/06, § 94, 22 octobre 2013, où l’organe administratif respectif était dans l’obligation de renvoyer une demande d’élargissement à l’autorité judiciaire et le défaut de le faire aurait entraîné une atteinte aux droits protégés par l’article 5 § 4).

91.  Dès lors, la Cour conclut que la voie judiciaire invoquée par le Gouvernement était inaccessible à la requérante.

92.  Par ailleurs, la Cour constate qu’il n’existe pas en droit interne de contrôle judiciaire périodique et automatique concernant la détention en cause.

93.  Il s’ensuit qu’il y a eu, en l’espèce, violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

C.  Sur la violation alléguée de l’article 8 de la Convention

94.  La requérante se plaint ensuite de l’absence de confidentialité de la correspondance au centre de Podem. Elle dénonce le caractère automatique du contrôle du courrier, y compris des lettres envoyées aux organisations non gouvernementales et aux autorités compétentes. Elle se plaint également de ne pas avoir bénéficié de conversations téléphoniques confidentielles avec l’extérieur. Elle invoque à cet égard l’article 8 de la Convention, dont les parties pertinentes en l’espèce se lisent ainsi :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

1.  Arguments des parties

95.  Pour le Gouvernement, la requérante n’a pas été personnellement et directement affectée par le régime en place de contrôle de la correspondance. Il estime en effet qu’elle n’a pas subi d’« ingérence » au sens de l’article 8 de la Convention, au motif qu’elle n’indique aucun fait concret démontrant qu’elle maintenait une correspondance depuis le centre de Podem, que celle-ci a été contrôlée ou que des membres du personnel l’ont empêchée de prendre contact avec des personnes à l’extérieur du centre ou avec des organisations non gouvernementales.

96.  Quant au régime lui-même, le Gouvernement se réfère à l’article 25, point 10, du règlement interne du centre de Podem et argue que le contrôle du courrier est lié aux buts inhérents à la mesure de placement, à savoir l’éducation et la rééducation de la requérante, et qu’il vise également la protection de l’ordre et la sécurité dans l’établissement. Il estime, dans ce contexte, que le contrôle de la correspondance n’est pas incompatible avec les droits des mineurs placés dans le centre et que, les lettres contrôlées étant remises sans faute à leurs destinataires, un équilibre des intérêts en jeu est assuré.

97.  S’agissant des appels téléphoniques de la requérante, le Gouvernement affirme que ceux-ci étaient menés sous la surveillance du professeur principal ou d’un éducateur, en conformité d’après lui avec les dispositions applicables, et que ces conversations n’ont pas été enregistrées ou soumises à une écoute. Il ajoute que, par ailleurs, la requérante n’a pas été privée de « contact téléphonique avec sa mère ». Dès lors, il estime qu’elle n’a pas subi d’ingérence dans son droit protégé par l’article 8 de la Convention. Il conclut que, en tout état de cause, ce régime de surveillance visait à parer au risque que les mineurs placés commettent à nouveau des actes jugés antisociaux, tels que ceux ayant servi de fondement à la décision de leur placement, et qu’il ne peut être vu comme étant contraire à l’article 8 § 2 de la Convention.

98.  La requérante présente en détail le dispositif applicable au contrôle du courrier et des appels téléphoniques et allègue qu’elle n’est pas tenue de présenter des preuves de tout acte d’ingérence, cette dernière découlant, selon elle, directement du régime en cause. Elle précise que, dès lors qu’elle pouvait être certaine que ses lettres et appels à des organisations non gouvernementales seraient automatiquement contrôlés, elle était directement affectée par ce dispositif.

99.  L’intéressée indique en outre que ce régime ne correspond à aucun besoin social impérieux et que la loi interne applicable ne prévoit pas de garanties suffisantes contre une ingérence arbitraire de la part des autorités. Aussi conclut-elle que l’ingérence qu’elle estime avoir subie n’est pas nécessaire dans une société démocratique.

2.  Appréciation de la Cour

a)  Régime de contrôle de la correspondance

100.  Concernant les allégations relatives à la correspondance, la Cour note que la requérante n’a pas produit d’éléments démontrant que des lettres qu’elle aurait envoyées ou reçues pendant son placement au centre de Podem ont été ouvertes ou contrôlées. Elle observe toutefois qu’il ressort clairement de l’article 25, point 10, du règlement intérieur de l’établissement que l’ensemble de la correspondance des pensionnaires est soumis à un contrôle en vue de vérifier tant la présence éventuelle de substances et d’objets interdits que les informations qu’elle contient (paragraphe 50 ci-dessus). Ce contrôle ne résulte donc pas d’une décision prise par les autorités à l’égard de la requérante ou d’une mineure en particulier, mais de l’application directe du droit interne pertinent. Dans ces circonstances, la Cour conclut qu’il y a eu ingérence dans le droit de la requérante au respect de sa correspondance (Campbell c. Royaume-Uni, 25 mars 1992, § 33, série A no 233, et Botchev c. Bulgarie, no 73481/01, § 94, 13 novembre 2008).

101.  Pareille ingérence méconnaît l’article 8 § 2 de la Convention sauf si, « prévue par la loi », elle poursuit un ou plusieurs buts légitimes et, de plus, est « nécessaire, dans une société démocratique », pour les atteindre.

102.  La Cour a déjà observé que le contrôle allégué de la correspondance est prévu par la réglementation applicable (paragraphes 50 et 100 ci-dessus). Elle note également que la requérante ne conteste pas le caractère accessible et prévisible de la disposition en cause. Elle peut par ailleurs admettre que le contrôle de la correspondance des mineurs placés dans un centre d’éducation fermé soit opéré afin de prévenir, entre autres, l’introduction de substances et d’objets dangereux pour la santé et les droits des autres mineurs, ou encore susceptibles de menacer l’ordre établi dans le centre. Cela ressort de la formulation de l’article 25, point 10, du règlement intérieur du centre de Podem (paragraphes 50 et 100 ci-dessus). Il peut dès lors être considéré que l’ingérence en cause visait la « défense de l’ordre », la « protection de la santé » et la « protection des droits d’autrui », au sens de l’article 8 § 2 de la Convention (voir aussi, mutatis mutandis, Campbell, précité, § 41, et Petrov c. Bulgarie, no 15197/02, § 42, 22 mai 2008).

103.  Il reste à déterminer si ce régime de contrôle systématique et automatique de la correspondance des mineures placées au centre de Podem était « nécessaire, dans une société démocratique ». Cette recherche demande d’avoir égard aux exigences normales et raisonnables de la détention. La Cour rappelle en effet qu’un certain contrôle de la correspondance des personnes privées de liberté se recommande et ne se heurte pas en soi à la Convention (Silver et autres c. Royaume-Uni, 25 mars 1983, § 98, série A no 61, et Campbell, précité, § 45).

104.  La Cour note que la présente affaire met en cause la proportionnalité de l’ingérence des autorités dans l’exercice par des mineurs placés en institution fermée de leur droit au respect de la correspondance par rapport aux buts évoqués (paragraphe 102 ci-dessus), mais aussi compte tenu des besoins spécifiques d’une éducation surveillée. Elle estime à cet égard que la marge de manœuvre dont les autorités pourraient se prévaloir dans de telles circonstances est plus réduite que celle observée dans le domaine du contrôle des prisonniers ayant commis des infractions pénales. Ce constat découle de la nature même du placement des mineurs dans un but d’éducation et de préparation à la vie dans la société. En effet, lorsqu’il s’agit d’une prise en charge des mineurs par les autorités, comme c’est le cas dans la présente affaire, tout doit être prévu afin que ceux-ci aient suffisamment de contacts extérieurs, y compris par le biais des échanges écrits, car cela fait partie intégrante de leur droit d’être traité dignement et est indispensable pour les préparer à leur retour dans la société. La Cour se réfère à cet égard aux Règles minima des Nations unies pour la protection des mineurs privés de liberté (paragraphe 57 ci-dessus).

105.  En l’espèce, la Cour relève d’emblée que, à la différence de l’article 8 de la Convention et de ses exigences de « nécessité » et de « proportionnalité », la disposition de l’article 25, point 10, du règlement intérieur du centre de Podem appelle à un contrôle automatique et indifférencié de l’ensemble du courrier des mineures placées (paragraphe 50 ci-dessus). Ce texte n’opère aucune distinction catégorielle entre les personnes avec qui les mineures peuvent correspondre. Or la Cour a dit à maintes reprises que la correspondance des détenus avec leurs avocats jouit en principe d’un statut privilégié (voir, parmi beaucoup d’autres, Campbell, précité, §§ 47-48, Erdem c. Allemagne, no 38321/97, § 61, CEDH 2001-VII (extraits), et Petrov, précité, § 43). Aux yeux de la Cour, des considérations analogues peuvent valoir en l’espèce pour ce qui est de la correspondance que la requérante était susceptible d’avoir avec son avocat ou avec des organisations non gouvernementales de protection des droits de l’enfant. Elle constate que le règlement applicable ne protège pas la confidentialité de ce type de correspondance et qu’il le soumet au régime de contrôle général.

106.  Par ailleurs, ni cette disposition ni aucune autre ne détaillent les éventuels motifs particuliers et les conditions pouvant justifier que dans tel ou tel cas le courrier puisse être soumis à un contrôle et n’indique la durée de la mesure, ce dernier étant opéré d’office. Enfin, les autorités ne sont pas tenues de fournir les raisons de cette surveillance (voir, mutatis mutandis, Calogero Diana c. Italie, 15 novembre 1996, § 32, Recueil 1996-V, et Petrov, précité, § 44). Dès lors, la Cour conclut que l’article 25, point 10, du règlement intérieur du centre de Podem accorde toute latitude aux autorités de l’établissement pour exercer un contrôle de la correspondance des mineures sans avoir égard aux catégories de destinataires, à la durée de la mesure et aux raisons pouvant la justifier, et qu’un tel régime ne peut être considéré comme conforme aux fins de l’article 8.

b)  Régime de contrôle des appels téléphoniques

107.  La Cour note d’emblée que dans la mesure où le droit interne reconnaissait à la requérante la possibilité d’avoir des conversations téléphoniques à partir des postes placés sous le contrôle de l’administration du centre, la Cour estime, à la différence du Gouvernement, que les restrictions et la surveillance imposées à ces communications ont pu constituer une ingérence dans l’exercice du droit de l’intéressée au respect de sa vie familiale et de sa correspondance au sens de l’article 8 § 1 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Baybaşın c. Pays-Bas (déc.), no 13600/02, 6 octobre 2005, et Nusret Kaya et autres, précité, § 36).

108.  Quant à la base légale de cette ingérence, la Cour note qu’elle reposait en droit interne sur l’article 25, point 10, du règlement intérieur du centre de Podem déjà examiné (paragraphe 51 ci-dessus). Elle admet aussi qu’elle poursuivait un but légitime de « protection de l’ordre », comme l’avance le Gouvernement.

109.  La question qui se pose ensuite est celle de savoir si l’ingérence litigieuse était « nécessaire, dans une société démocratique ». Pour y répondre, on peut tenir compte de la marge d’appréciation de l’État (Campbell, précité, § 44). À cet égard, s’il appartient aux autorités nationales de juger les premières de la nécessité de l’ingérence, il revient à la Cour de trancher la question de savoir si les motifs de l’ingérence étaient pertinents et suffisants au regard des exigences de la Convention (Szuluk c. Royaume‑Uni, no 36936/05, § 45, CEDH 2009). De plus, la Cour tient à souligner combien il importe que les autorités veillent à ce que les mesures restrictives à la vie privée et familiale soient le moins rigoureuses possible lorsque ces restrictions s’exercent dans la mise en œuvre d’une privation de liberté motivée par les seuls buts éducatifs. Dans ce sens, la Cour ne peut qu’accorder une marge d’appréciation étroite à l’État et les considérations quant à la nécessité d’assurer des conditions favorables au maintien des contacts des mineurs avec l’extérieur est également valable dans le domaine des échanges téléphoniques (paragraphe 104 ci-dessus).

110.  Se tournant vers la présente espèce, la Cour relève que le Gouvernement se borne à affirmer que le dispositif légal était conforme aux exigences de l’article 8 § 2 de la Convention sans pour autant avancer des arguments concrets pour en étayer la nécessité (paragraphe 97 ci-dessus), et qu’il ne conteste pas que les communications téléphoniques en question se déroulaient sous la surveillance des membres du personnel, ce qui les privait de tout caractère confidentiel. Il convient donc d’examiner les conditions auxquelles les conversations téléphoniques de la requérante étaient soumises, en vertu de la réglementation en vigueur, pour être à même d’apprécier leur compatibilité avec les exigences du second paragraphe de l’article 8 de la Convention.

111.  À cet égard, la Cour estime que, compte tenu du développement psychique et social des enfants placés et de la nécessité pour ceux-ci de bénéficier de liens familiaux aussi étroits que possible, il est essentiel que l’administration les aide à maintenir un contact réel avec leur famille proche (voir, mutatis mutandis, Van der Ven c. Pays-Bas, no 50901/99, § 68, CEDH 2003-II, et Nusret Kaya et autres, précité, § 59).

112.  Il est vrai que la requérante avait la possibilité de recevoir des visites et de rentrer dans son foyer pendant les vacances scolaires (paragraphe 28 ci-dessus). Elle avait dès lors des occasions de maintenir les contacts avec ses proches. Cette circonstance n’enlève rien au constat selon lequel le régime de la correspondance, dès lors qu’il privait celle-ci de toute confidentialité, n’était pas adéquat (paragraphe 106 ci-dessus). Les possibilités de communication de la requérante avec l’extérieur pendant les longues périodes de séjour au centre de Podem ont par conséquent été restreintes. La Cour observe ensuite que le dispositif interne applicable permettait aux mineures placées dans ce centre de maintenir les liens externes par le biais des conversations téléphoniques. Ces conversations étaient, toutefois, pour des raisons de sécurité, soumises à un régime d’autorisation, en particulier s’agissant des appels sortants qui sont l’exception, et de surveillance par le personnel de l’établissement, de sorte que tous les échanges téléphoniques étaient entendus (paragraphe 51 ci‑dessus).

113.  Cette réglementation s’appliquait de manière générale et indifférenciée à toutes les mineures, indépendamment de toute appréciation individuelle des exigences, en termes de sécurité, que pouvait requérir la personnalité de chacune d’elles. La Cour ne perd pas de vue qu’il s’agit de jeunes personnes qui n’ont pas fait objet d’une procédure pénale. Même s’il était reproché à la requérante d’avoir manifesté un comportement qualifié d’« antisocial » et nécessitant une certaine intervention de l’État, les risques allégués par le Gouvernement relativement à ses échanges téléphoniques devaient être scrupuleusement analysés et justifiés par les autorités compétentes. Il ne semble pas que cela ait été le cas en espèce. Par ailleurs, la Cour déduit des termes de ce dispositif que les rencontres avec les représentants d’organisations non gouvernementales, y compris humanitaires, ne pouvaient, elles aussi, avoir lieu que sous la surveillance des membres du personnel de l’établissement, et ce en l’absence de toute étude des situations individuelles mettant en lumière les risques potentiels.

114.  Eu égard aux pièces du dossier et aux informations dont elle dispose, la Cour estime que le régime de surveillance qui était imposé à la requérante lorsqu’elle souhaitait s’entretenir par téléphone avec des personnes de l’extérieur, et qui ne faisait aucune distinction entre, par exemple, les membres de la famille, les représentants des organisations de protection des droits de l’enfant ou d’autres catégories de personnes, et ne s’appuyait sur aucune analyse personnalisée des risques, n’était pas fondé sur des motifs pertinents et suffisants au regard de la restriction en résultant quant aux contacts en question.

c)  Conclusion

115.  En conclusion, la Cour estime que le régime de contrôle automatique de la correspondance, opéré sans aucune distinction quant au type d’échanges, et la surveillance des communications téléphoniques, excluant toute confidentialité de celles-ci, auxquels la requérante s’est trouvée soumise au centre de Podem ne peuvent passer pour nécessaires dans une société démocratique.

116.  Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.

D.  Sur l’application de l’article 41 de la Convention

117.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

1.  Dommage

118.  La requérante ne formule pas de demande pour préjudice matériel. En revanche, elle réclame une somme globale de 14 000 euros (EUR) pour le préjudice moral qu’elle aurait subi en raison d’une violation alléguée des articles 5 et 8 de la Convention.

119.  Le Gouvernement conteste ces prétentions.

120.  La Cour observe que le grief tiré de l’article 5 § 1 a donné lieu à un constat de non-violation de la Convention. Dès lors, il n’y pas lieu d’accorder à la requérante une somme compensatoire à ce titre.

121.  En revanche, la Cour considère que la requérante a subi un préjudice moral à raison de l’absence d’un recours qui lui aurait permis de faire réexaminer la légalité de son placement au centre de Podem à intervalles réguliers, comme le prévoit l’article 5 § 4, et à raison du régime de la correspondance et des appels téléphoniques qui a été appliqué à l’intéressée et qui a donné lieu à une violation de l’article 8 de la Convention. Ce constat justifie l’octroi d’une indemnité. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour estime qu’il y a lieu d’accorder à la requérante 4 000 EUR à ce titre.

2.  Frais et dépens

122.  La requérante demande également 4 500,83 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour. Elle présente des justificatifs correspondant à des frais de poste (24,83 EUR), de traduction (156 EUR), ainsi qu’à des frais de conseil et de représentation pour un total de 54 heures de travail rémunérées à 80 EUR l’heure. Elle demande par ailleurs que le montant octroyé par la Cour soit versé directement sur le compte bancaire du Comité Helsinki bulgare.

123.  Le Gouvernement conteste ces prétentions.

124.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 2 500 EUR tous frais confondus pour la procédure devant elle et l’accorde à la requérante.

3.  Intérêts moratoires

125.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1.  Déclare, à l’unanimité, la requête recevable ;

2.  Dit, par six voix contre une, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention ;

3.  Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;

4.  Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

5.  Dit, à l’unanimité,

a)  que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en levs bulgares, au taux applicable à la date du règlement :

i.  4 000 EUR (quatre mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,

ii.  2 500 EUR (deux mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû par la requérante à titre d’impôt, pour frais et dépens, à verser sur le compte bancaire du Comité Helsinki bulgare ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6.  Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 mai 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Milan BlaškoAngelika Nußberger
Greffier adjointPrésidente

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée de la juge O’Leary.

A.N.
M.B.


OPINION DISSIDENTE DE LA JUGE O’LEARY

(Traduction)

1.  Si en l’espèce je souscris sans réserve au constat majoritaire qu’il y a eu violation des articles 5 § 4 et 8 de la Convention, je me dissocie respectueusement de la majorité en ce qui concerne sa décision sur la légalité de la détention de la requérante au regard de l’article 5 § 1 d).

A.  Les principes établis dans la jurisprudence relative à l’article 5 § 1 d)

2.  L’on rappellera, brièvement, que la liste des exceptions au droit à la liberté figurant à l’article 5 § 1 revêt un caractère exhaustif et que seule une interprétation étroite cadre avec le but de cette disposition : assurer que nul ne soit arbitrairement privé de sa liberté. La Cour n’a jamais énoncé de définition globale concernant les conduites des autorités nationales qui sont susceptibles de relever de l’« arbitraire ». Cependant, elle a au cas par cas dégagé des principes clés. L’ordre de placement en détention et l’exécution de cette décision doivent cadrer véritablement avec le but des restrictions autorisées par l’alinéa pertinent de l’article 5 § 1. De plus, il doit exister un certain lien entre, d’une part, le motif invoqué pour justifier la privation de liberté autorisée et, de l’autre, le lieu et le régime de détention.[1]

3.  Concernant la détention de mineurs visée à l’article 5 § 1 d), selon la jurisprudence les termes d’« éducation surveillée » ne doivent pas être strictement assimilés à la notion d’enseignement en salle de classe. Lorsqu’une jeune personne est placée sous la protection de l’autorité locale compétente, l’éducation surveillée doit englober de nombreux aspects de l’exercice, par cette autorité locale, de droits parentaux au bénéfice et pour la protection de l’intéressé.[2] Par ailleurs, la détention à des fins d’éducation surveillée visée par cette disposition de la Convention doit se dérouler dans un établissement adapté disposant de ressources répondant aux objectifs pédagogiques requis et aux impératifs de sécurité.[3] Dans le récent arrêt Blokhin, la Grande Chambre a souligné que tout placement qui est justifié au regard de l’article 5 § 1 d) doit être « décidé pour » l’éducation surveillée de l’intéressé et se caractériser par la qualité de l’enseignement et les soins assurés, et non pas simplement par le régime disciplinaire en place[4].

4.  Il est vrai que la Cour a déjà examiné le système bulgare de détention dans les établissements éducatifs fermés, que dans Blokhin elle a distingués des centres de détention provisoire en cause dans cette affaire, concluant à la non-violation de l’article 5 § 1 d)[5]. Je développerai plus tard les raisons pour lesquelles j’estime que l’affaire A. et autres c. Bulgarie doit être distinguée de la présente espèce et que la Cour devrait être bien plus stricte dans son appréciation de l’« arbitraire » lorsqu’il s’agit de la détention de mineurs, visée à l’article 5 § 1 d), non seulement en examinant la forme mais aussi en recherchant où et dans quelles conditions l’éducation surveillée est dispensée en pratique.

B.  Application de ces principes à la présente affaire

5.  La légalité de la détention de la requérante en droit interne est confirmée par l’arrêt de la majorité. Cette mesure a été ordonnée par une juridiction nationale sur une base légale. Concernant sa légalité au regard de la Convention, il apparaît qu’une forme de programme éducatif a été dispensé aux détenues. En outre, la décision litigieuse de mise en détention a été adoptée dans le contexte d’indéniables efforts, déployés par diverses autorités internes, en vue de la prise en charge de la requérante. L’arrêt de la majorité met beaucoup de soin à souligner la régularité procédurale des décisions adoptées par les autorités nationales et le caractère de mesure de dernier recours que revêtait de la détention imposée[6].

6.  Pourquoi alors suggérer un constat de violation de l’article 5 § 1 ? Comme il ressort clairement de la jurisprudence de la Cour, dès lors que l’État bulgare a choisi pour combattre la délinquance juvénile un système d’éducation surveillée mis en œuvre par le biais de décisions judiciaires, il lui incombait de se doter d’une infrastructure appropriée, adaptée aux impératifs de ce système en matière de sécurité et d’éducation, de manière à satisfaire aux exigences de l’article 5 § 1 d)[7]. En d’autres termes, le but principal voire exclusif du système doit être l’éducation, et la surveillance assurée, ainsi que le contexte dans lequel il est pourvu à celle-ci, doit cadrer avec le but. Comme indiqué plus haut, dans Blokhin la Cour a évoqué la nécessité, pour que l’article 5 § 1 d) trouve à s’appliquer, d’un « régime dans un milieu spécialisé (...) qui jouisse de ressources suffisantes correspondant à sa finalité »[8].

7.  Après une lecture attentive du dossier de la présente affaire, il est difficile de conclure que ces conditions ont été remplies en ce qui concerne la détention de la jeune fille requérante.

C.  Le caractère punitif ou pénal sous-jacent de la détention de la requérante

8.  Tout d’abord, l’intéressée se plaint, comme les requérantes dans A. et autres c. Bulgarie, qu’alors qu’elle n’avait été condamnée pour aucune infraction elle a été placée en détention au centre de Podem dans un but qui n’était pas purement éducatif mais aussi à des fins qu’elle décrit diversement comme punitives, correctionnelles ou dissuasives.

9.  L’arrêt de la majorité ne nie pas le caractère pénal du régime bulgare, et il est bien difficile de se défaire de l’impression que la requérante, victime de grooming [NdT : sollicitations à des fins sexuelles] dès l’âge de douze ans, a été punie pour les infractions commises par d’autres personnes. Rien dans le dossier n’indique que les individus responsables de – ou impliqués dans – son grooming puis sa prostitution, ont fait l’objet d’une enquête, d’une inculpation ou de poursuites judiciaires. Au contraire, c’est la requérante qui s’est retrouvée plusieurs fois devant la formation pénale du tribunal de district, d’abord visée par des ordonnances d’interdiction (certes pour sa propre protection), puis par une décision de placement en détention la confinant au centre de Podem pour une durée non déterminée, pouvant atteindre trois ans.

10.  Tel qu’énoncé, l’arrêt de la majorité admet la finalité correctionnelle, punitive et dissuasive de la détention lorsqu’il évoque le fait que la détention de l’intéressé a été ordonnée « afin de corriger son comportement jugé contraire aux normes de la société ». Par ailleurs, il décrit le système bulgare de prise en charge comme étant « obsolète » et punitif de par son origine et sa philosophie[9]. Le but d’éducation et de protection de la détention, sans lequel la privation de liberté de la requérante en vertu de l’article 5 § 1 d) ne pourrait être justifiée, est masqué, voire perdu. Si sur le plan factuel il y a lieu de distinguer la situation du requérant dans l’affaire Blokhin – l’intéressé avait été placé dans un centre de détention provisoire pour jeunes délinquants –, la Cour dans ladite affaire a jugé sa détention illégale non seulement en raison de l’absence d’un programme d’enseignement adéquat mais également, et surtout, parce que sa détention visait sa « « rééducation comportementale » et [...] la nécessité d’empêcher le requérant de récidiver », motifs qui pour la Grande Chambre ne figuraient pas parmi ceux dont l’article 5 § 1 d) reconnaissait la légitimité[10]. Se référant au raisonnement de plusieurs décisions du tribunal de district de Pleven, notamment celle ayant ordonné sa mise en détention, la requérante a établi que la procédure mais aussi la philosophie correspondant au placement de mineurs dans des établissements fermés bulgares revêtent essentiellement un caractère pénal ou punitif.

D.  La nécessité d’une éducation surveillée satisfaisant en pratique aux exigences de l’article 5 § 1 d)

11.  Deuxièmement, même si la finalité de la détention peut formellement passer pour conforme à l’article 5 § 1 d) – les origines et la philosophie punitives du régime n’étant rien d’autre qu’un héritage du passé −, la jurisprudence de la Cour requiert également un examen de la proportionnalité de la mesure de détention. Les moyens choisis doivent constituer une mesure de dernier ressort mais aussi être appropriés pour atteindre les objectifs poursuivis. Les conditions établies par la jurisprudence de la Cour à cet égard sont détaillées au paragraphe 3 ci‑dessus[11]. Les éléments dont dispose la Cour ne font pas apparaître que le centre de Podem (ou le système dont celui-ci relève) remplit ces conditions.

12.  Le caractère inadéquat du réseau bulgare d’établissements éducatifs fermés est bien établi, tant du point de vue du dispositif éducatif que des conditions matérielles de vie des détenus. Depuis 2009, l’Agence nationale pour la protection de l’enfant puis le médiateur de la République ont maintes fois souligné les problèmes qui frappent le système, indiquant notamment les points suivants : les programmes éducatifs mis en place ne conviennent pas sur le plan méthodologique à des mineurs vulnérables ; les plans individuels adaptés à chaque mineur ne comportent pas de suivi ; aucun contact avec les familles n’est encouragé, voire dans certains cas autorisé ; la violence prévaut et les taux de suicide sont élevés ; le personnel est en nombre insuffisant pour encadrer les mineurs détenus et n’est pas formé de manière à pouvoir répondre adéquatement à leurs besoins psychologiques. En 2013-2014, 52 % des mineurs détenus dans des établissements éducatifs fermés de Bulgarie n’auraient obtenu aucun diplôme[12]. Pour le médiateur, le placement de mineurs dans ces centres et les conditions qu’ils y subissent portent atteinte à un certain nombre de droits de l’homme et de droits de l’enfant.

13.  Si ces rapports témoignent du fonctionnement de ces centres et des conditions qui y règnent en général, je me dissocie respectueusement de la majorité en ce qu’elle laisse entendre que la requérante demande à la Cour de se livrer à un examen in abstracto du système bulgare[13]. Au contraire, sa requête précise clairement en quoi, dans son cas particulier, le système en cause ne cadrait pas avec sa finalité, argument étayé par les nombreux rapports cités dans l’arrêt de la majorité et résumés ci-dessus, qui remontent à 2009.

14.  Lorsque la mise en détention de la requérante au centre de Podem fut requise pour la première fois par l’autorité locale compétente, en avril 2013, le tribunal de district écarta la demande en raison de ce qu’il considérait comme le contexte défavorable offert par ce centre, et du risque afférent à la détention pour le développement psychologique et social de la jeune fille[14]. Deux mois plus tard, la demande de mise en détention fut accueillie, alors que le travail psychologique et social effectué dans la structure d’accueil moins stricte avait produit des résultats positifs et que le comportement de la requérante avait semblé se dégrader à l’époque de l’audience sur la détention[15]. Après que sa mise en détention avait été ordonnée, la requérante tenta de mettre fin à ses jours, tentative qu’elle parvint à réitérer pendant sa détention. Il est frappant qu’une mineure ayant tenté de mettre fin à ses jours le 13 septembre 2013 et dont l’état de fragilité avait été attesté médicalement ait été mise en détention à peine deux jours plus tard, et ce pour une durée non précisée, sans possibilité de contrôle (voir le grief tiré de l’article 5 § 4, accueilli par la chambre à l’unanimité) et, semble-t-il, sans aucune réévaluation de son état ou de ses besoins psychologiques[16]. Avant son placement en détention, la requérante avait fait appel de la décision de mise en détention, se plaignant que la durée de cette mesure n’avait pas été précisée et que sa mère n’avait pas été entendue. L’arrêt de la majorité déplore l’absence de toute référence, par le tribunal de district, à la durée de la détention et à la possibilité de réexamen, mais déclare que la mère de la requérante aurait pu demander à être entendue par ce tribunal, alors que le tribunal régional a dit que l’audition de la mère n’était pas requise par le droit national[17]. Concernant la détention elle-même, la requérante soutient qu’en 2012 et en 2013 le conseil pédagogique du centre de Podem n’a formulé aucune évaluation positive à propos d’aucune élève, que ce soit sur les résultats scolaires et éducatifs ou sur le comportement, de sorte qu’aucune proposition de fin de placement n’a, selon elle, pu être envisagée. La requérante affirme que les menaces des trafiquants ont continué alors qu’elle était en détention, allégation non contestée par le gouvernement défendeur. Des accès de violence au sein des établissements éducatifs fermés de Bulgarie ont conduit un tribunal à ordonner le contrôle de tous ces établissements, y compris le centre de Podem. Pendant sa détention, la requérante n’a pas pu demander le contrôle périodique de sa privation de liberté. En outre, ses communications avec sa famille ont fait l’objet d’un contrôle automatique et indifférencié par les autorités du centre, alors que pareils contacts sont reconnus comme étant essentiels pour le développement psychologique et social des mineurs et comme devant être l’objectif principal de leur éducation surveillée au sens de l’article 5 § 1 d), à savoir l’éducation, l’amendement et la réinsertion au sein de la société.

15.  Malgré les données générales dont on dispose sur le fonctionnement des centres d’éducation surveillée en cause dans la présente affaire et les détails particuliers que la requérante a fournis sur sa propre détention, l’arrêt de la majorité indique que la décision de mise en détention adoptée par le tribunal de district visait à protéger les intérêts de la requérante, adolescente en pleine évolution sociale et psychologique, et que la Cour ne peut remettre en question la conclusion des autorités nationales. Comme je l’ai dit précédemment, si je ne conteste pas que la détention de la requérante peut paraître formellement régulière et que d’autres mesures ont été tentées, j’estime impossible, à partir des informations figurant dans le dossier, de conclure que les moyens choisis étaient adaptés à la finalité et propres à être jugés adéquats pour atteindre les buts poursuivis. La jurisprudence actuelle de la Cour relative à l’article 5 § 1 d) semble indiquer que lorsqu’un établissement remplit formellement les critères de cette disposition, la Cour ne se livre pas à une appréciation qualitative de la surveillance assurée[18]. Cela est regrettable, eu égard à l’âge et à la vulnérabilité des personnes dont on cherche à justifier la privation de liberté sur le fondement de cet alinéa, et compte tenu des propres critères de la Cour pour apprécier l’arbitraire et la proportionnalité (voir les paragraphes 2, 3 et 11 ci-dessus).

16.  L’inadéquation entre le système et sa finalité – assurément dans le cas spécifique de la requérante – est définitivement confirmée par les violations des articles 5 § 4 et 8. Bien entendu, on peut voir ces griefs séparément et avec un détachement judiciaire clinique ; mais il demeure qu’une jeune fille de quatorze ans a été détenue, sans possibilité de contrôle, dans des conditions non propices à son développement social et psychologique, tandis que les contacts avec sa famille lui étaient refusés ou faisaient l’objet d’immixtions. La Cour a bien sûr dit que les paragraphes 1 et 4 de l’article 5 constituent des dispositions différentes, de sorte que l’observation de l’une n’implique pas forcément l’observation de l’autre[19]. Néanmoins, lorsque l’on recherche si la détention d’un mineur peut être considérée comme « arbitraire » aux fins de l’article 5 § 1 d), on peut difficilement estimer non pertinentes la portée et la nature des violations – distinctes mais liées – des articles 5 § 4 et 8[20].

E.  Conclusions

17.  Nul doute que les États, appelés à s’acquitter de leurs obligations positives pour protéger les mineurs contre les foyers ou milieux où règnent négligence ou abus, sont confrontés à des décisions difficiles, et parfois coûteuses. Peut-être est-il tentant de conclure que, si le système bulgare est imparfait, il vaut toutefois mieux que rien. On peut également trouver rassurant le plan d’action établi par le ministre responsable, mais non mis en œuvre à ce jour. Cependant, priver une personne de sa liberté, c’est la priver d’un droit fondamental considéré par la Cour comme primordial dans une démocratie[21]. Contrairement aux requérantes dans A. et autres c. Bulgarie, détenues de 2008 à 2010, lorsque les problèmes frappant les centres bulgares d’éducation surveillée n’étaient pas encore connus ou commençaient seulement à être mis au jour, la requérante en l’espèce a été placée en détention en septembre 2013, alors que ces problèmes étaient graves et bien établis. L’arrêt de la majorité renvoie à la jurisprudence et aux instruments internationaux exigeant que l’intérêt supérieur de l’enfant constitue la considération primordiale des organes décisionnels dans des circonstances comme celles de l’espèce[22]. Le récent arrêt de Grande Chambre Blokhin est encore plus éloquent à cet égard[23]. Cependant, si la Cour ne condamne pas quand il le faut des systèmes qui tentent ostensiblement de protéger les enfants mais qui, de par leur organisation et leur fonctionnement, sont défaillants, alors ces références ne sont ni nécessaires ni utiles.


[1].  Voir, par exemple, Saadi c. Royaume-Uni [GC], no 13229/03, §§ 68-69, CEDH 2008, et les références qui s’y trouvent citées.

[2].  Voir divers arrêts tels que Blokhin c. Russie [GC], no 47152/06, § 166, 23 mars 2016, P. et S. c. Pologne, no 57375/08, § 147, 30 octobre 2012, D.G. c. Irlande, no 39474/98, § 80, CEDH 2002-III, et Koniarska c. Royaume-Uni, (déc.), no 33670/96, 12 octobre 2000.

[3].  Blokhin, § 167.

[4].  Ibidem, § 170.

[5].  A. et autres c. Bulgarie, no 51776/08, §§ 66-74, 29 novembre 2011.

[6].  Arrêt de la majorité, §§ 78-80.

[7].  A. et autres c. Bulgarie, précité, § 69, D.G. c. Irlande, précité, § 79.

[8].  Voir Blokhin, précité, § 167, et, précédemment, Bouamar c. Belgique, no 9106/80, 28 février 1988, §§ 50 et 52, ou James, Wells et Lee c. Royaume-Uni, nos 25119/09, 57715/09 et 57877/09, §§ 193-194, 18 septembre 2012.

[9].  Voir les paragraphes 73, 76 et 89 de l’arrêt de la majorité, la teneur de la décision de placement rendue par le tribunal de district le 10 juin 2013, évoquée au paragraphe 13, et le rapport du médiateur sur le caractère « correctif » de ce type de détention, mentionné au paragraphe 52.

[10].  Blokhin, précité, §§ 168 et 171.

[11].  Voir aussi D.G. c. Irlande, précité, § 79, A. et autres c. Bulgarie, précité, § 69, et le paragraphe 74 de l’arrêt de la majorité.

[12].  Pour plus de détails, voir les rapports de l’Agence nationale pour la protection de l’enfant, cités aux paragraphes 31 à 39 de l’arrêt de la majorité.

[13].  Arrêt de la majorité, § 76.

[14].  Ibidem, §§ 9 et 76.

[15].  Ibidem, § 11.

[16].  Ibidem, §§ 17-19.

[17].  Voir, dans cet ordre, les paragraphes 80, 79 et 15 de l’arrêt de la majorité.

[18].  L’affaire Koniarska c. Royaume-Uni constitue une rare exception. Des évaluations qualitatives ne semblent avoir lieu que lorsque les mineurs sont détenus dans des maisons d’arrêt ou certains types de centres de détention pour jeunes – voir, par exemple, Bouamar, D.G. c. Irlande et Blokhin ‒, autrement dit dans des établissements qui ne satisfont même pas formellement à l’article 5 § 1 d).

[19].  Douiyeb c. pays-Bas [GC], no 31464/96, § 57, 4 août 1999, et Kolompar c. Belgique, 24 septembre 1992, § 45.

[20].  La pertinence de la violation de l’article 8 est admise par inadvertance aux paragraphes 104 et 111 de l’arrêt de la majorité, qui reconnaît que le développement psychique et social des enfants placés et le succès de leur réinsertion dans la société dépend des mesures prises pour maintenir les contacts avec la famille, mesures qui n’ont pas été prises.

[21].  Ichin et autres c. Ukraine, nos 28189/04 et 28192/04, § 31, 21 décembre 2010.

[22].  Arrêt de la majorité, §§ 53-58.

[23].  Blokhin, §§ 77-89.

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Textes cités dans la décision

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CEDH, Cour (cinquième section), AFFAIRE D.L. c. BULGARIE, 19 mai 2016, 7472/14