CEDH, Cour (troisième section), AFFAIRE MASCOLO c. ITALIE, 16 décembre 2004, 68792/01

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Troisième Section), 16 déc. 2004, n° 68792/01
Numéro(s) : 68792/01
Type de document : Arrêt
Date d’introduction : 15 décembre 2000
Jurisprudence de Strasbourg : Ceteroni c. Italie, arrêt du 15 novembre 1996, Recueil 1996-V, pp. 1755-1756, § 19
Immobiliaire Saffi c. Italie ([GC], no 22774/93, §§ 18-35 et 46-75, CEDH 1999-V
Lunari c. Italie, no 21463/96, §§ 34-46, 11 janvier 2001
Palumbo c. Italie, no 15919/89, §§ 33-48, 30 novembre 2000
Pantea c. Roumanie, no 33343/96, 03 juin 2003
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Exception préliminaire rejetée (forclusion) ; Violation de P1-1 ; Violation de l'art. 6-1 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure nationale
Identifiant HUDOC : 001-67805
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2004:1216JUD006879201
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Sur les parties

Texte intégral

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE MASCOLO c. ITALIE

(Requête no 68792/01)

ARRÊT

STRASBOURG

16 décembre 2004

DÉFINITIF

16/03/2005 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Mascolo c. Italie,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

MM.B.M. Zupančič, président,
J. Hedigan,
L. Caflisch,
MmeM. Tsatsa-Nikolovska,
M.V. Zagrebelsky,
MmeA. Gyulumyan,
M.David Thór Björgvinsson, juges,

et de M. V. Berger, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 25 novembre 2004,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 68792/01) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet Etat, M. Sergio Mascolo (« le requérant »), a saisi la Cour le 15 décembre 2000 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par ses agents successifs, respectivement MM. U. Leanza et I.M. Braguglia, et ses coagents successifs, respectivement MM. V. Esposito et F. Crisafulli

3.  Le 16 octobre 2003, la Cour a déclaré la requête recevable.

4.  Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la troisième section ainsi remaniée (article 52 § 1).

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5.  Le requérant est né en 1964 et réside à Agerola (Naples).

6.  Il est propriétaire d’un appartement à Castellammare di Stabia (Naples), qu’il avait loué à N.R.

7.  Par une lettre recommandée du 16 septembre 1989, le requérant informa la locataire de son intention de mettre fin à la location à l’expiration du bail, soit le 4 mai 1990, et la pria de libérer les lieux avant cette date.

8.  Par un acte signifié le 9 février 1990, le requérant réitéra l’avis de congé et assigna l’intéressée à comparaître devant le juge d’instance de Castellammare di Stabia.

9.  Par une ordonnance du 12 mars 1990, ce dernier confirma formellement le congé du bail et décida que les lieux devaient être libérés au plus tard le 2 janvier 1993. Cette décision devint exécutoire le 12 mars 1990.

10.  Le 29 janvier 1993, le requérant signifia à la locataire le commandement de libérer l’appartement.

11.  Le 18 février 1993, il lui signifia l’avis que l’expulsion serait exécutée le 1er mars 1993 par voie d’huissier de justice.

12.  Entre le 1er mars 1993 et le 29 septembre 2000, l’huissier de justice procéda à vingt-cinq tentatives d’expulsion qui se soldèrent toutes par un échec, le requérant n’ayant pas pu bénéficier de l’assistance de la force publique.

13.  Le 17 octobre 2000, le requérant récupéra son appartement.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

14.  Depuis 1947, la législation en matière de baux d’habitation a été marquée par différentes interventions des pouvoirs publics, portant sur le contrôle des loyers au moyen du blocage de ceux-ci, tempéré par les augmentations légales décrétées de temps à autre par le gouvernement, ainsi que sur la prorogation légale de tous les baux en cours et, enfin, sur la suspension ou l’échelonnement de l’exécution forcée des expulsions. En ce qui concerne la prorogation des baux, la suspension de l’exécution forcée et l’échelonnement des expulsions, le droit interne pertinent est présenté dans l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Immobiliaire Saffi c. Italie ([GC], no 22774/93, §§ 18-35, CEDH 1999-V).

15.  En dernier lieu, un décret-loi no 147 du 24 juin 2003, converti en loi no 200/03, suspendit dans certains cas l’exécution forcée des ordonnances d’expulsion jusqu’au 30 juin 2004.

Par un décret-loi no 240 du 13 septembre 2004, cette suspension fut reportée au 31 octobre 2004.

a)  Le système de contrôle des loyers

16.  En matière de contrôle des loyers, l’évolution de la législation peut se résumer comme suit.

17.  La première mesure pertinente fut la loi no 392 du 27 juillet 1978, qui mit en place un système de « loyers équitables » (equo canone) reposant sur un certain nombre de critères tels que la superficie et les frais de construction de l’appartement.

18.  Une deuxième mesure fut adoptée par les autorités en août 1992, aux fins d’une libéralisation progressive du marché de la location. Entra alors en vigueur une législation qui atténuait les restrictions frappant le montant des loyers (patti in deroga), en vertu de laquelle les propriétaires et les locataires pouvaient en principe s’écarter du loyer fixé par la loi en convenant d’un montant différent.

19.  Enfin, la loi no 431 du 9 décembre 1998 a réformé le régime des locations et libéré les loyers.

b)  Obligations du locataire en cas de restitution tardive

20.  Le locataire est soumis à l’obligation générale d’indemniser le propriétaire de tout dommage causé par la restitution tardive du logement. A cet égard, l’article 1591 du code civil dispose :

« Le locataire qui n’a pas quitté les lieux est tenu de verser au propriétaire le montant convenu jusqu’à la date de son départ, ainsi que de l’indemniser de tout préjudice éventuel. »

21.  Toutefois, la loi no 61 de 1989 a entre autres plafonné l’indemnisation que pouvait réclamer le propriétaire à une somme égale au loyer versé par le locataire au moment de l’expiration du bail, indexée sur la hausse du coût de la vie (article 24 de la loi no 392 du 27 juillet 1978) et majorée de 20 %, pour toute la période pendant laquelle le propriétaire n’avait pu jouir de son appartement.

c)  Les principes fixés par la Cour constitutionnelle

22.  La Cour constitutionnelle fut saisie, à plusieurs reprises, de la question de savoir si le système légal de prorogation des baux, de suspension ou d’échelonnement de l’exécution forcée des expulsions était conforme à la Constitution au regard du droit de propriété et du principe du délai raisonnable du procès. Son intervention fut également demandée au sujet du plafonnement de l’indemnisation pouvant être sollicitée par le propriétaire.

23.  En ce qui concerne la première question, par des arrêts rendus entre 1984 et 2004 (voir notamment les arrêts no 89 de 1984, no 108 de 1986 et nº 155 de 2004), la Cour constitutionnelle conclut par l’affirmative en justifiant l’adoption de ces mesures législatives par leur caractère transitoire et limité. Dans le dernier arrêt cité, en particulier, la Cour constitutionnelle affirma que bien que le législateur se dût de prendre en charge les personnes se trouvant dans des conditions particulières de dénuement, il ne pouvait plus se limiter à transférer à l’infini cette charge exclusivement au propriétaire, car ce dernier pourrait lui-même se trouver dans la même situation de besoin. Par ailleurs, le maintien de la même logique législative ne pourrait pas, à l’avenir, continuer à être considéré comme légitime.

24.  Quant à la deuxième question, dans son arrêt no 482 rendu en 2000, la Cour constitutionnelle répondit par l’affirmative s’agissant des périodes pendant lesquelles la suspension des expulsions avait été prescrite par la loi, et expliqua que cette limitation visait à réguler les locations concernées par la législation d’exception en vigueur et que la pénurie de logements exigeait la suspension des mesures d’exécution forcée. Par ailleurs, le législateur avait accompagné la suspension des expulsions de dispositions déterminant le montant de l’indemnisation due par le locataire, à savoir deux mesures provisoires et exceptionnelles. Du reste, le propriétaire y trouvait une compensation dans le fait qu’il était dispensé de démontrer l’existence d’un préjudice.

25.  La Cour constitutionnelle déclara inconstitutionnel le plafonnement de l’indemnisation pouvant être sollicitée par le propriétaire dans le cas où il s’était trouvé dans l’incapacité de reprendre possession de l’appartement en raison du comportement du locataire et non de l’intervention du législateur.

26.  En conséquence, la juridiction constitutionnelle a ainsi permis au propriétaire d’engager une procédure civile pour obtenir pleine réparation des préjudices causés par le locataire.

d)  L’article 1591 du code civil et la jurisprudence de la Cour de cassation

27.  Par l’arrêt nº 1463 du 5 février 1993, la Cour de cassation affirma que l’article 1591 du code civil n’exclut pas, pour les parties concernées, la possibilité de s’accorder à l’avance sur le montant de l’indemnisation afin d’éviter la nécessité, pour le propriétaire, de fournir la preuve du dommage subi.

28.  Par la suite, dans son arrêt nº 7670 du 12 juillet 1993, la Cour de cassation expliqua que le simple retard dans la restitution du logement pouvait uniquement justifier une condamnation générale du locataire au dédommagement des préjudices subis par le propriétaire. Ce dernier, en effet, devait fournir la preuve spécifique du dommage subi par rapport aux conditions du logement, à son emplacement ainsi qu’à ses possibilités d’utilisation. En l’espèce, la Cour de cassation confirma la décision sur le fond qui avait rejeté la demande d’indemnisation du propriétaire au motif qu’il n’avait pas fourni la preuve du préjudice effectivement subi en se référant à des documents spécifiques concernant des propositions de location bien déterminées et des accords avec les locataires candidats sur les montants du loyer.

29.  Par l’arrêt nº 10270 du 1er décembre 1994, la Cour de cassation estima que l’évaluation du dommage subi par le propriétaire pouvait également être effectuée en équité.

30.  Par l’arrêt nº 5927 du 27 mai 1995, la Cour de cassation établit que le plafonnement de l’indemnisation, pouvant être sollicitée par le propriétaire, ne trouvait à s’appliquer qu’en fonction des périodes pendant lesquelles la suspension des expulsions avait été prescrite par la loi. 

31.  Par l’arrêt nº 6359 du 6 juin 1995, la Cour de cassation réaffirma que le propriétaire était tenu de fournir la preuve, afin de démontrer le dommage subi en terme de perte de loyer ou d’impossibilité de vendre l’appartement, de l’existence de propositions de location ou d’achat bien déterminées. Par la suite, le même principe fut confirmé par les arrêts nº 4864 du 14 avril 2000 et no 9545 du 1er juillet 2002.

32.  Par l’arrêt nº 1032 du 10 février 1996, la Cour de cassation affirma que le dommage subi par le propriétaire pouvait être prouvé par la simple demande d’un loyer supérieur déterminé sur la base du montant qu’il aurait pu percevoir en régime de marché libre.

33.  Enfin, par l’arrêt nº 10560 du 19 juillet 2002, la Cour de cassation fixa le principe selon lequel la mise en demeure du locataire afin qu’il restitue l’immeuble subsiste, indépendamment de la date fixée par le juge pour l’exécution forcée, dès l’expiration du contrat constatée durant le procès.

e)  La question de l’assistance de la force publique et la jurisprudence de la Cour de cassation

34.  Par l’arrêt no 3873 du 26 février 2004, la Cour de cassation se prononça sur la question de l’assistance de la force publique.

35.  Cet arrêt intervint dans le cadre d’une affaire ayant pour objet une demande en réparation faite en 1990 par des propriétaires à l’encontre du ministère de l’Intérieur.

36.  Ils demandaient, en particulier, le remboursement des dommages subis en conséquence du retard avec lequel ils avaient récupéré leur appartement causé, selon eux, par le fait qu’ils n’avaient pas bénéficié du concours de la force publique.

37.  L’huissier de justice avait procédé à vingt et une tentatives d’accès dont dix-neuf s’étaient soldées par un échec. Selon les propriétaires, seules six de ces tentatives avaient eu lieu pendant des périodes de suspension législative de l’exécution forcée des expulsions.

38.  Pour les treize autres, les requérants affirment que l’administration n’avait fourni aucune preuve de la force majeure qui l’avait placée dans l’impossibilité absolue de prêter la force publique nécessaire.

39.  La demande des requérants fut accueillie en première instance par le tribunal de Rome qui leur octroya la somme de 177 886 610 lires italiennes (ITL) [91 870,77 euros (EUR)] à titre de réparation. Suite à l’appel interjeté par le ministère, ce jugement fut réformé par la cour d’appel de Rome au motif que, compte tenu des exigences d’ordre public alléguées par l’administration, les requérants n’avaient pas fourni la preuve du fait que le refus de prêter l’assistance de la force publique était injustifié. Les requérants se pourvurent donc en cassation.

40.  La Cour de cassation rappela que, par l’arrêt no 2478 du 18 mars 1988, elle avait affirmé, en siégeant en assemblée plénière, le principe selon lequel le propriétaire qui dispose d’un titre judiciaire exécutoire a le droit d’obtenir de l’administration les actions nécessaires pour l’exécuter, y compris l’utilisation de la force publique. Il s’agissait donc d’une obligation et non d’une compétence discrétionnaire de l’administration. 

41.  Par ailleurs, la Cour de cassation rappela que, par l’arrêt no 5233 du 26 mai 1998, en siégeant en assemblée plénière, elle avait tiré de cette prémisse le corollaire selon lequel l’éventuelle impossibilité d’obtempérer pour l’administration doit être évaluée avec une rigueur particulière. En particulier, la légitimité du refus de l’autorité de police de prêter l’assistance demandée aux jour et heure indiqués par l’huissier de justice doit être appréciée à la lumière de l’indication alternative d’une heure différente ou, à la limite, d’un jour différent, et de l’indication, au cas par cas, des raisons qui justifient l’impossibilité.

Elle précisa également que l’autorité de police dispose d’une marge discrétionnaire d’appréciation technique du moment concret auquel mettre à disposition sa propre assistance.

42.  Sauf dans l’hypothèse où il y a une impossibilité causée par la force majeure, si l’autorité compétente refuse ces actions, nonobstant la demande de l’huissier de justice, on doit reconnaître au propriétaire la faculté de formuler, devant le juge ordinaire, une demande en réparation à l’encontre de l’administration pour le dommage subi par ce refus.

43.  La Cour de cassation réaffirma le principe fixé dans les arrêts nos 8827 et 8828 du 31 mai 2003, selon lequel la réparation par une indemnisation représente la garantie minimale impérative pour protéger le droit violé au cas où la lésion a une incidence sur un intérêt protégé par la Constitution. Elle déclara que le droit à la réalisation de l’ordre contenu dans un titre judiciaire exécutoire devait être considéré comme tel, car la possibilité d’agir en justice pour la protection de ses droits s’étend jusqu’à la mise en œuvre des décisions judiciaires définitives et obligatoires.

44.  La Cour de cassation cassa l’arrêt de la cour d’appel de Rome avec renvoi. Elle fixa le principe selon lequel, dans les affaires concernant les demandes en réparation formées par les propriétaires à l’encontre de l’administration afin d’obtenir le remboursement des dommages subis en conséquence de l’exécution tardive ou manquée des ordonnances d’expulsion, c’est l’administration qui doit démontrer qu’elle se trouvait dans l’impossibilité de prêter le concours de la force publique. Cette impossibilité, en particulier, n’exclut la responsabilité de l’administration que si elle est due à la survenance d’exigences extraordinaires et non prévisibles. A cet égard, la Cour de cassation souligna que d’éventuelles situations de crise permanentes, comme celles qui peuvent affecter la justice ou l’administration, n’excluent pas la responsabilité pour les dommages causés aux individus mais, au contraire, peuvent en être l’origine. En particulier, la « crise » de le justice n’a pas empêché que l’Etat soit condamné plusieurs fois par la Cour européenne pour la durée excessive des procédures judiciaires et n’empêche pas, à présent, qu’il le soit par les juges nationaux au sens de la loi du 24 mars 2001 no 89, dite « loi Pinto ».

EN DROIT

I.  SUR L’EXCEPTION PRÉLIMINAIRE DU GOUVERNEMENT

45.  Dans les observations du ministère de l’Intérieur datées du 16 décembre 2003 et parvenues au greffe le 18 décembre 2003, le Gouvernement fait valoir que, au sens de l’article 1591 du code civil, les suspensions législatives des expulsions de locataires n’excluent pas la responsabilité du locataire pour les dommages causés au propriétaire en conséquence de la restitution tardive de l’immeuble. Or, il ne résulte pas du dossier que le requérant ait formé une telle action. Partant, s’agissant exclusivement d’une négligence du requérant, la perte subie par celui-ci ne peut pas être mise à la charge de l’Etat.

46.  Dans la mesure où les observations présentées par le Gouvernement sur ce point s’apparentent à une exception préliminaire tirée du non épuisement des voies de recours, la Cour note que, dans ses observations écrites sur la recevabilité de la requête, le Gouvernement n’a ni invoqué l’existence d’une telle voie de recours ni argué de son non épuisement.

Dès lors, cette exception se heurte à la forclusion (voir, parmi d’autres, Ceteroni c. Italie, arrêt du 15 novembre 1996, Recueil 1996-V, pp. 1755-1756, § 19, et l’arrêt Pantea c. Roumanie, no 33343/96, 03.06.2003).

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 ET DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

47.  Le requérant se plaint de l’impossibilité prolongée de récupérer son appartement, faute d’octroi de l’assistance de la force publique. Il allègue la violation de son droit de propriété, tel que reconnu à l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, qui dispose :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

48.  Le requérant allègue aussi un manquement à l’article 6 § 1 de la Convention, dont la partie pertinente dispose :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil. »

49.  La Cour a déjà traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celles du cas d’espèce et a constaté la violation des articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1 (voir arrêt Immobiliare Saffi, précité, §§ 46-75, Lunari c. Italie, no 21463/96, §§ 34-46, 11 janvier 2001, et Palumbo c. Italie, no 15919/89, §§ 33-48, 30 novembre 2000).

50.  La Cour a examiné la présente affaire et considère que le Gouvernement n’a fourni aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Elle constate que le requérant a dû attendre environ sept ans et sept mois à compter de la première tentative d’expulsion de l’huissier de justice avant de pouvoir récupérer son appartement.

51.  Par conséquent, dans cette affaire, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 et de l’article 6 § 1 de la Convention.

III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

52.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage matériel

53.  Le requérant demande 38 114,52 EUR pour préjudice matériel, cette somme correspondant à la différence entre le loyer au prix du marché et celui versé par son locataire sur une période de dix ans.

Le requérant fait valoir qu’il a perçu de son ancien locataire la somme d’environ 154,94 EUR par mois, alors qu’à compter du 1er mars 2001, il a loué son appartement au prix de 619,75 EUR par mois. Le requérant a envoyé le nouveau contrat de location.

54.  Le Gouvernement conteste ces prétentions. Il semble estimer que, dans la mesure où le requérant a négligé de tenter de récupérer les dommages subis en se fondant sur l’article 1591 du code civil, il ne peut pas être tenu pour responsable des éventuelles conséquences négatives d’ordre financier  subies par celui-ci.

En tout état de cause, il considère que le requérant n’a fourni ni la preuve de la valeur commerciale de l’immeuble ni d’autres informations concernant le mode de calcul du manque à gagner, les loyers au prix du marché dans la commune de Castellammare di Stabia et le montant global des loyers perçus.

55.  La Cour observe que le Gouvernement n’avance aucun argument au sujet de la possibilité qui semble avoir été développée dans la jurisprudence de la Cour de cassation d’engager une procédure en dommage intérêts à l’encontre de l’Etat suite à l’absence, non justifiée, d’assistance de la force publique.

La Cour note que le requérant peut saisir les juridictions civiles au sens de l’article 1591 du code civil en introduisant une demande en réparation contre son ancien locataire afin d’obtenir le remboursement des dommages causés par celle-ci en conséquence de la restitution tardive de l’immeuble.

Il s’agit en effet, en l’espèce, de dommages qui découlent du comportement illégal du locataire, qui, indépendamment de la coopération de l’État dans la mise en exécution de la décision judiciaire d’expulsion, se devait de restituer l’appartement à son propriétaire. La violation du droit du requérant au respect de ses biens est avant tout la conséquence du comportement illégal du locataire. La violation de l’article 6 de la Convention commise par l’État et constatée par la Cour est d’ordre procédural et postérieure à la conduite du locataire.

La Cour constate par conséquent que le droit interne italien permet d’effacer les conséquences matérielles de la violation, et estime qu’il y a lieu de rejeter la demande de satisfaction équitable en ce qui concerne le dommage matériel.

B.  Dommage moral

56.  Le requérant demande 36 151,98 EUR pour dommage moral.

57.  Le Gouvernement ne se prononce pas.

58.  La Cour estime que le requérant a subi un tort moral certain. Statuant en équité, elle lui accorde 3 000 EUR à ce titre.

C.  Frais et dépens

59.  Le requérant demande également 3 201,19 EUR pour les frais et dépens de la procédure d’exécution.

60.  Le Gouvernement ne se prononce pas.

61.  Compte tenu des éléments en sa possession et de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime raisonnable la somme de 700 EUR au titre des frais et dépens de la procédure nationale et l’accorde au requérant.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L’UNANIMITÉ,

1. Rejette l’exception préliminaire du Gouvernement ;

2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 ;

3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

4.  Dit

a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i.   3 000 EUR (trois mille euros) pour dommage moral ;

ii.     700 EUR (sept cents euros) pour frais et dépens ;

iii. plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 décembre 2004 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Vincent BergerBoštjan M. Zupančič
GreffierPrésident

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