CEDH, Cour (troisième section), AFFAIRE VITIELLO c. ITALIE, 23 mars 2006, 77962/01

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Chronologie de l’affaire

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CEDH · 4 novembre 2016

 

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PREMIÈRE SECTION AFFAIRE BIGAEVA c. GRÈCE (Requête no 26713/05) ARRÊT STRASBOURG 28 mai 2009 DÉFINITIF 28/08/2009 Cet arrêt peut subir des retouches de forme. En l'affaire Bigaeva c. Grèce, La Cour européenne des droits de l'homme (première section), siégeant en une chambre composée de : Nina Vajić, présidente, Christos Rozakis, Anatoly Kovler, Khanlar Hajiyev, Dean Spielmann, Giorgio Malinverni, George Nicolaou, juges, et de Søren Nielsen, greffier de section, Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 mai 2009, Rend l'arrêt que voici, …

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Troisième Section), 23 mars 2006, n° 77962/01
Numéro(s) : 77962/01
Type de document : Arrêt
Date d’introduction : 6 septembre 2001
Jurisprudence de Strasbourg : Bottaro c. Italie, n° 56298/00, §§ 41-46, 17 juillet 2003
C. c. Belgique, no 21794/93 § 25, CEDH 1996-III
Niemietz c. Allemagne, arrêt du 16 décembre 1992, série A no 251-B, § 29
Gitonas et autres c. Grèce, arrêt du 1er juillet 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-IV, § 39
Aziz c. Chypre, arrêt du 22 juin 2004 no 69949/01, § 25
Dudgeon c. Royaume-Uni, arrêt du 22 octobre 1981, série A no 45, § 43
Mathieu-Mohin et Clerfayt c. Belgique, arrêt du 2 mars 1987, série A no 113, pp. 22-23, § 51
Sgattoni c. Italie, no 77132/01, arrêt du 6 octobre 2005, § 48
Soering c. Royaume-Uni, arrêt du 7 juillet 1989, série A no 161, § 120
Ceteroni et Magri c. Italie, requêtes nos 22461/93 et 22465/93, décision de la Commission du 17 octobre 1994
Sidabras et Dziautas c. Lituanie, nos 55480/00 et 59330/00, § 47 et § 48, arrêt du 27 juillet 2004
Hirst c. Royaume-Uni (no 2), GC, no 74025/01, §§ 58, 62, 74, 75 et 82
Mascolo c. Itali, déc., no 68792/01, 16 octobre 2003
Neroni c. Italie, no 7503/02, § 35, 22 avril 2004
P.G. c. Italie, requête no 22716/93, rapport de la Commission du 26 juin 1996
Podkolzina c. Lettonie, no 46726/99, § 33, CEDH 2002-II
Pretty c. Royaume-Uni, no 2346/02, § 61, CEDH 2002-III
Provvedi c. Italie, déc., no 66644/01, 2 décembre 2004
Rotaru c. Roumanie [GC], no 28341/95, CEDH 2000-V, § 67
Sabou et Pircalab c. Roumanie, no 46572/99, § 48, 28 septembre 2004
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Violation de l'article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale (Article 8-1 - Respect de la vie privée) ; Violation de l'article 3 du Protocole n° 1 - Droit à des élections libres-{général} (Article 3 du Protocole n° 1 - Se porter candidat aux élections ; Vote) ; Violation de l'article 13 - Droit à un recours effectif (Article 13 - Recours effectif) ; Préjudice moral - constat de violation suffisant (Article 41 - Satisfaction équitable)
Identifiant HUDOC : 001-72862
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2006:0323JUD007796201
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Sur les parties

Texte intégral

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE VITIELLO c. ITALIE

(Requête no 77962/01)

ARRÊT

STRASBOURG

23 mars 2006

DÉFINITIF

03/07/2006 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Vitiello c. Italie,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

MM.B.M. Zupančič, président,
L. Caflisch,
MmeM. Tsatsa-Nikolovska,
MM.V. Zagrebelsky,
E. Myjer,
David Thór Björgvinsson,
MmeI. Ziemele, juges,

et de M. V. Berger, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 5 janvier et 2 mars 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 77962/01) dirigée contre la République italienne et dont deux ressortissants de cet Etat, MM. Bernardo Vitiello et Giuseppe Vitiello (« les requérants »), ont saisi la Cour le 6 septembre 2001 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Les requérants sont représentés par Me Giovanni Beatrice, avocat à Bénévent. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Ivo Maria Braguglia, son coagent, M. Francesco Crisafulli, et son coagent adjoint, M. Nicola Lettieri.

3.  Les requérants alléguaient la violation des articles 8 et 10 de la Convention, 1 du Protocole no 1, 2 du Protocole no 4, 6 § 1 et 13 de la Convention et 3 du Protocole no 1.

4.  La requête a été attribuée à la première section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.

5.  Par une décision du 13 mai 2004, la Cour a déclaré la requête partiellement irrecevable et a décidé de communiquer les griefs tirés des articles 8 de la Convention, 1 du Protocole no 1, 2 du Protocole no 4, 13 de la Convention et 3 du Protocole no 1 au Gouvernement. Se prévalant de l’article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.

6.  Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la troisième section ainsi remaniée (article 52 § 1).

7.  Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

8.  Par un jugement déposé le 27 novembre 1996, le tribunal de Bénévent déclara la faillite de la société V.B.G. et des requérants en tant qu’associés de celle-ci.

9.  Le 3 décembre 1996, le syndic de la faillite rédigea l’inventaire des biens des requérants.

10.   Entre le 26 janvier 1998 et le 8 novembre 1999, six audiences eurent lieu afin de vérifier le passif de la faillite. A cette dernière date, le juge délégué (« le juge ») déclara le passif de la faillite exécutoire.

11.  Le 17 novembre 1999, le syndic demanda au juge de pouvoir ouvrir un compte courant relatif à la faillite. Le 22 novembre 1999, le juge fit droit à cette demande.

12.  Le 6 décembre 1999, le syndic demanda au juge de pouvoir prélever une somme sur le compte en question.

13.  Le 14 décembre 1999, le juge autorisa un paiement en faveur du syndic.

14.  Les 11 mai 2000, 7 août 2000 et 4 septembre 2001, le syndic demanda au juge de pouvoir prélever une somme du compte de la faillite. Le juge donna son autorisation respectivement les 13 mai 2000, 15 septembre 2000 et 15 septembre 2001.

15.  A une date non précisée, les requérants introduisirent une demande afin de clôturer la procédure par un concordat.

16.  Selon les informations fournies par les requérants, la procédure était pendante au 18 novembre 2005.

II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

17.  La loi sur la faillite (décret royal no 267 du 16 mars 1942) dispose entre autres :

Article 26

  « Les décisions du juge délégué peuvent faire l’objet de recours (...) devant le tribunal dans un délai de trois jours de la date d’adoption, de la part du syndic, du failli, du comité des créanciers et de toute autre personne intéressée.

  Le tribunal décide en chambre du conseil par acte motivé.

  Le recours ne suspend pas l’exécution de la décision attaquée. »

  Article 36

  « Les actes d’administration du syndic peuvent faire l’objet de recours devant le juge délégué de la part du failli et de toute autre personne intéressée ; le juge statue par décision motivée.

  Contre cette décision, il est possible d’introduire un recours, dans les trois jours, devant le tribunal. Celui-ci statue par acte motivé après avoir entendu le syndic et le demandeur. »

Article 42

« Le jugement qui déclare la faillite prive le failli de l’administration et de la disponibilité des biens existants à la date dudit jugement. (...) »

Article 48

« La correspondance adressée au failli doit être remise au syndic qui a le droit de garder celle relative à des intérêts patrimoniaux. Le failli peut prendre connaissance de la correspondance. Le syndic doit garder le secret sur le contenu de la correspondance qui ne concerne pas lesdits intérêts. »

Article 49

« Le failli ne peut quitter son lieu de résidence sans autorisation du juge commissaire et doit se présenter audit juge, au syndic ou au comité des créanciers chaque fois qu’il est convoqué, sauf les cas où, à cause d’un empêchement légitime, le juge l’autorise à comparaître par l’intermédiaire d’un représentant.

Le juge peut faire amener le failli par la police si ce dernier n’obéit pas à la convocation. »

Article 50

« Un registre public est tenu dans le greffe auprès de chaque tribunal, dans lequel sont enregistrés les noms des faillis. Les noms des faillis sont rayés du registre suite à un jugement du tribunal. Le failli est soumis aux incapacités prévues par la loi jusqu’à ce que son nom soit rayé du registre. »

Article 119

« La clôture de la procédure de faillite est déclarée par une décision motivée du tribunal (...)

Cette décision peut être attaqué devant la cour d’appel dans les quinze jours suivant son affichage au tribunal (...) »

Article 143

« La réhabilitation peut être accordée au failli :

1)      ayant payé intégralement les créances admises à la faillite, y compris les intérêt et les dépens ;

2)      ayant régulièrement exécuté le concordat de faillite, lors le tribunal le considère digne (meritevole) de ce bénéfice, compte tenu des causes et des circonstances de la faillite, des conditions du concordat ainsi que de son pourcentage. La réhabilitation ne peut pas être accordée au cas où le pourcentage pour les créanciers chirographaires est inférieur au vingt-cinq pour cent (...) ;

3)      ayant fait preuve de bonne conduite effective et constante pendant au moins cinq ans après la clôture de la faillite. »

18.  L’article 2, alinéa 1, lettre a) du décret du président de la République no 223 du 20 mars 1967, modifié par la loi no 15 du 16 janvier 1992, prévoit essentiellement la suspension de l’exercice des droits électoraux du failli pendant la durée de la procédure de faillite et, en tout cas, pour une période non supérieure à cinq ans à partir de la déclaration de faillite.

19.  Le décret loi (decreto legislativo) no 5 du 9 janvier 2006, portant sur la réforme de la loi sur la faillite, dispose entre autres :

« Article 45 – Remplacement de l’article 48 du décret royal no 267 du 16 mars 1942

L’article 48 de la loi sur la faillite est remplacé par l’article qui suit :

« Article 48 (correspondance adressée au failli) : L’entrepreneur déclaré failli, ainsi que les administrateurs ou les liquidateurs de sociétés ou d’instituts ayant fait l’objet d’une procédure de faillite sont tenus à remettre au syndic toute correspondance, y comprise celle électronique, concernant les intérêts patrimoniaux (rapporti) faisant parties de la faillite. »

Article 46 – Remplacement de l’article 49 du décret royal no 267 du 16 mars 1942

L’article 49 de la loi sur la faillite est remplacé par l’article qui suit :

« Article 49 (Obligations du failli) : L’entrepreneur déclaré failli, ainsi que les administrateurs ou les liquidateurs de sociétés ou d’instituts ayant fait l’objet d’une procédure de faillite sont tenus à communiquer au syndic tout changement de leur résidence ou domicile.

Si des informations ou des éclaircissements s’avèrent nécessaires pour la gestion de la procédure, les individus susmentionnés doivent se présenter au juge délégué, au syndic ou bien au comité des créanciers.

En cas d’empêchement, le juge peut autoriser l’entrepreneur ou le représentant légal de la société ou des instituts faisant l’objet de la faillite à comparaître par le biais d’un mandataire. »

Article 47 – Abrogation de l’article 50 du décret royal no 267 du 16 mars 1942

L’article 50 du décret royal no 267 du 16 mars 1942 est abrogé.

Article 152 - Normes abrogatives en matière de limitations personnelles du failli

Les normes qui suivent sont abrogées :

a) article 2, alinéa 1, lettre a) du décret du président de la République no 223 du 20 mars 1967 ;

(...) »

20.  Selon la doctrine, l’institution de la faillite trouve ses origines dans le Bas Moyen Age (XIIIe siècle), époque à laquelle le marchand (c’est-à-dire, au sens large, le commerçant, l’entrepreneur, le banquier) était au centre d’une nouvelle classe sociale. Dans ce contexte, où l’intérêt public coïncidait parfois avec celui de la classe marchande, la faillite était destinée à imposer au marchand insolvable des remèdes forts. Ainsi, le failli faisait l’objet de sanctions pénales (telles que le bannissement, l’arrêt et, parfois, la torture ou la peine de mort) ou civiles comme l’inscription de son nom dans un registre, l’application de marques infamants (comme le port d’un béret vert), la perte de nationalité et d’autres incapacités (A. Jorio, La crisi d’impresa, il fallimento, ed. Giuffré, 2000, p. 364 ; S. Bonfatti et P. F. Censoni, Manuale di diritto fallimentare, ed. Cedam, 2004, pp. 1-2-72-73, et L. Guglielmucci, Lezioni di diritto fallimentare, ed. G. Giappichelli Torino, 2004, p. 122).

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 8 DE LA CONVENTION, QUANT AU DROIT AU RESPECT DE LA CORRESPONDANCE, 1 DU PROTOCOLE No 1 ET 2 DU PROTOCOLE No 4

21.  Invoquant les articles 8 de la Convention, 1 du Protocole no 1 et 2 du Protocole no 4, les requérants se plaignent respectivement de la violation du droit au respect de leur correspondance, de leurs biens et ainsi que de la limitation de leur liberté de circulation, notamment en raison de la durée de la procédure.

22.  Ces articles sont ainsi libellés :

Article 8 de la Convention

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa (...) correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Article 1 du Protocole no 1

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

Article 2 du Protocole no 4

« 1.  Quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d’un Etat a le droit d’y circuler librement et d’y choisir librement sa résidence.

2.  Toute personne est libre de quitter n’importe quel pays, y compris le sien.

3.  L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au maintien de l’ordre public, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

23.  Le Gouvernement soutient tout d’abord que les requérants ont omis d’épuiser les voies de recours internes. En effet, les griefs qu’ils soulèvent sont liés à la durée de la procédure. Les requérants auraient dû donc introduire un recours devant la cour d’appel compétente conformément à la loi Pinto.

24.  Il considère en outre que, dans l’arrêt no 362 de 2003, la Cour de cassation, confirmant une décision de la cour d’appel de Venise relative à un recours introduit conformément à la loi Pinto portant sur la durée d’une procédure de faillite, a affirmé que « le dommage moral est le résultat d’une situation de malaise du requérant due à la prolongation, au-delà du délai raisonnable de la procédure, du statut de failli et des limitations y relatives portant sur la liberté de circulation, les droits électoraux, la possibilité d’exercer des professions libérales. La liquidation dudit dommage ne peut se faire qu’à travers une évaluation équitable qui tienne compte, en plus de la durée de la procédure, de la nature particulière des droits de la personne totalement ou partiellement touchés ».

25.  Le Gouvernement observe enfin que la durée de la procédure de faillite a été due, entre autres, au comportement des requérants, la vente des biens qui faisaient partie de la faillite ayant été retardée à la demande de ceux-ci en vue de clôturer la procédure par un concordat de faillite.

26.  Les requérants soutiennent que les observations du Gouvernement ont été présentées tardivement, contrairement à l’article 38 du règlement de la Cour.

27.  Ils considèrent ensuite que la requête ne porte pas sur la durée de la procédure mais sur le manque de proportionnalité de l’ingérence de l’Etat dans leur droit au respect de leur correspondance et de leurs biens ainsi que de leur liberté de circulation, notamment en raison de la procédure.

28.  La Cour relève d’abord avoir fixé au 6 août 2004 un premier délai pour la présentation des observations du Gouvernement. Ensuite, à la demande de ce dernier, ce délai a été prorogé jusqu’au 17 septembre 2004, date à laquelle les observations du Gouvernement ont été envoyées.

29.  Elle relève ensuite que, dans son arrêt no 362 de 2003, déposé le 14 janvier 2003, la Cour de cassation a pour la première fois reconnu que le dédommagement moral relatif à la durée des procédures de faillite doit tenir compte, entre autres, de la prolongation des incapacités dérivant du statut de failli.

30.  Par ailleurs, quant au grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1, la Cour rappelle que dans l’affaire Mascolo c. Italie (déc., no 68792/01, 16 octobre 2003) elle a estimé que la violation du droit de propriété était « strictement liée à la durée de la procédure, dont elle constitue une conséquence indirecte » et que c’était donc « probablement dans le cadre du même remède prévu par la loi Pinto que les requérants pouvaient faire valoir leurs allégations concernant les répercussions financières que la longueur excessive de la procédure a eu sur leur droit de propriété ». De plus, dans l’affaire Provvedi c. Italie (déc., no 66644/01, 2 décembre 2004), la Cour a estimé que « l’action fondée sur la loi Pinto est une voie de recours dont les requérants doivent user (...) pour satisfaire à l’article 35 § 1 de la Convention non seulement pour les allégations concernant l’article 6 § 1, mais aussi pour celles relatives à l’article 1 du Protocole no 1 ».

31.  La Cour rappelle avoir retenu que, à partir du 14 juillet 2003, l’arrêt no 362 de 2003 ne peut plus être ignoré du public et que c’est à compter de cette date qu’il doit être exigé des requérants qu’ils usent de ce recours aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention (voir Sgattoni c. Italie, no 77132/01, arrêt du 6 octobre 2005, § 48).

32.  Les requérants auraient donc pu efficacement saisir la cour d’appel compétente au sens de la loi Pinto pour se plaindre des incapacités dérivant de leur mise en faillite, notamment en raison de la durée de la procédure.

33.  La Cour estime partant que cette partie de la requête est irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes et doit être rejetée conformément à l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DU PROTOCOLE No 1

34.  Les requérants se plaignent de la limitation de leurs droits électoraux dans la mesure où celle-ci constitue une mesure répressive et anachronique, dépourvue d’une justification légitime et visant à punir et marginaliser le failli. Ils invoquent l’article 3 du Protocole no 1, ainsi libellé :

« Les Hautes Parties contractantes s’engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif. »

A.  Sur la recevabilité

35.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B.  Sur le fond

36.  Le Gouvernement soutient que les Etats jouissent d’une large marge d’appréciation pour établir les conditions entourant les droits électoraux garantis à l’article 3 du Protocole no 1 et que, de toute manière, la limitation en question a une durée de cinq ans à partir de la déclaration de faillite.

37.  Les requérants considèrent que la limitation des droits électoraux du failli repose sur l’idée que celui-ci soit pénalement responsable de sa faillite. Cette mesure, n’ayant autre but que celui de sanctionner le failli, apparaît aujourd’hui anti-démocratique et représente une atteinte à la dignité humaine du failli.

38.  La Cour rappelle que l’article 3 du Protocole no 1 implique les droits subjectifs de vote et d’éligibilité (Mathieu-Mohin et Clerfayt c. Belgique, arrêt du 2 mars 1987, série A no 113, pp. 22-23, § 51), et elle considère que ces droits sont cruciaux pour l’établissement et le maintien des fondements d’une véritable démocratie régie par l’état de droit (Hirst c. Royaume-Uni (no 2), GC, no 74025/01, § 58). Elle rappelle également que, pour importants qu’ils soient, ces droits ne sont pas cependant absolus. Dans leurs ordres juridiques respectifs, les Etats contractants entourent les droits de vote et d’éligibilité de conditions auxquelles l’article 3 ne met en principe pas obstacle. Ils jouissent en la matière d’une large marge d’appréciation, mais il appartient à la Cour de statuer en dernier ressort sur l’observation des exigences du Protocole no 1 ; il lui faut s’assurer que lesdites conditions ne réduisent pas les droits dont il s’agit au point de les atteindre dans leur substance même et de les priver de leur effectivité, qu’elles poursuivent un but légitime et que les moyens employés ne se révèlent pas disproportionnés (voir Gitonas et autres c. Grèce, arrêt du 1er juillet 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-IV, § 39, Aziz c. Chypre, arrêt du 22 juin 2004 no 69949/01, § 25, et Hirst, précité, § 62).

39.  En l’espèce, la Cour relève que la mesure litigieuse est prévue par la loi, à savoir l’article 2, alinéa 1, lettre a) du décret du président de la République no 223 du 20 mars 1967, modifié par la loi no 15 du 16 janvier 1992, prévoyant essentiellement la suspension des droits électoraux du failli pendant la durée de la procédure de faillite et, en tout cas, pour une période non supérieure à cinq ans à partir de la déclaration de faillite.

40.  De toute évidence, cette mesure constitue une ingérence dans les droits électoraux des requérants garantis à l’article 3 du Protocole no 1.

Par ailleurs, d’autres incapacités personnelles dérivent de la limitation des droits électoraux, telle que, par exemple, l’impossibilité d’occuper des emplois civils pour l’Etat.

41.  En outre, la Cour note que l’exercice des droits électoraux des requérants a été suspendu du 27 novembre 1996 au 27 novembre 2001 et que, pendant cette période, les élections politiques du 13 mai 2001 ont eu lieu.

42.  Quant au but poursuivi par cette mesure, la Cour rappelle que, contrairement à d’autres dispositions de la Convention, l’article 3 du Protocole no 1 ne précise ni ne limite les buts qu’une restriction doit viser. Une grande variété de buts peuvent donc se trouver compatibles avec lui (voir Hirst, précité, § 74 et, par exemple, Podkolzina c. Lettonie, no 46726/99, § 33, CEDH 2002-II).

La Cour relève également que dans l’affaire Hirst (précité, § 74), la Grande Chambre de la Cour a constaté que la restriction du droit de vote des détenus pouvait passer pour viser le but de prévenir le crime, renforcer le sens civique et le respect de l’état de droit.

La Cour tient à souligner que la procédure de faillite dont il est question relève non pas du droit pénal mais du droit civil. De ce fait, toute notion de dol ou de fraude de la personne déclarée faillie est etrangère aux faits de l’espèce, sans quoi on tomberait dans l’hypothèse du délit de banqueroute simple ou frauduleuse, réglementée par les articles 216 et 217 de la loi sur la faillite. La Cour souligne en outre que la limitation des droits électoraux du failli poursuit une finalité de caractère essentiellement afflictif, visant à dévaloriser et punir le failli en tant qu’individu indigne et couvert d’infamie pour la seule raison qu’il a fait l’objet d’une procédure de faillite civile.

43.  Au vu de ces considérations, la Cour estime que la mesure prévue par l’article 2 du décret du président de la République no 223 du 20 mars 1967 n’a pour but que de diminuer le failli et constitue un blâme moral pour celui-ci pour le seul fait d’être insolvable et indépendamment de toute culpabilité (voir, mutatis mutandis, Sabou et Pircalab c. Roumanie, no 46572/99, § 48, 28 septembre 2004). Elle ne poursuit donc pas un objectif légitime. Par ailleurs, la Cour souligne que, loin d’être un privilège, voter constitue un droit garanti par la Convention (voir Hirst, précité, § 75).

Cette conclusion dispense la Cour de vérifier en l’espèce si les moyens employés pour atteindre le but poursuivi se révèlent disproportionnés.

Il y a donc eu violation de l’article 3 du Protocole no 1.

III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION, QUANT AU DROIT AU RESPECT DE LA VIE PRIVÉE

44.  Invoquant l’article 8 de la Convention, les requérants se plaignent d’une atteinte à leur droit au respect de la vie privée dans la mesure où, en raison de l’inscription de leur nom dans le registre des faillis, ils ne peuvent exercer aucune activité professionnelle ou commerciale. En outre, ils dénoncent le fait que, selon l’article 143 de la loi sur la faillite, leur réhabilitation, qui met fin à leurs incapacités personnelles, ne peut être demandée qu’après cinq ans de la clôture de la procédure de faillite.

45.  L’article 8 de la Convention est ainsi libellé :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée (...).

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A.  Sur la recevabilité

46.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B.  Sur le fond

1.  Applicabilité de l’article 8 de la Convention

47.  La Cour relève que la vie privée « englobe le droit pour l’individu de nouer et développer des relations avec ses semblables, y compris dans le domaine professionnel et commercial » (C. c. Belgique, no 21794/93 § 25, CEDH 1996-III). La Cour considère également que l’article 8 de la Convention « protège (...) le droit au développement personnel et le droit d’établir et entretenir des rapports avec d’autres êtres humains et le monde extérieur » (Pretty c. Royaume-Uni, no 2346/02, § 61, CEDH 2002-III) et que la notion de « vie privée » n’exclut pas en principe les activités de nature professionnelle ou commerciale. D’ailleurs, après tout, c’est dans le domaine du travail que les gens nouent un grand nombre de relations avec le monde extérieur (Niemietz c. Allemagne, arrêt du 16 décembre 1992, série A no 251‑B, § 29). La Cour rappelle enfin avoir récemment noté que l’interdiction d’occuper un grand nombre d’emplois dans le secteur privée touche à la « vie privée » (Sidabras et Džiautas c. Lituanie, nos 55480/00 et 59330/00, § 47, arrêt du 27 juillet 2004), compte tenu aussi de l’article 1 § 2 de la Charte sociale européenne, entrée en vigueur en Italie le 1er septembre 1999, aux termes duquel « En vue d’assurer l’exercice effectif du droit au travail, les Parties s’engagent (...) à protéger de façon efficace le droit pour le travailleur de gagner sa vie par un travail librement entrepris ».

48.  Dans le cas d’espèce, la Cour relève que l’inscription du nom des requérants dans le registre des faillis comporte une série d’incapacités personnelles prévues par la loi, telles que l’impossibilité d’être nommé tuteur (article 350 du code civil), l’interdiction d’être nommé administrateur et syndic d’une société commerciale ou coopérative (articles 2382, 2399, 2417 et 2516 du code civil), l’exclusion ex lege de l’associé d’une société (articles 2288, 2293 et 2318 du code civil), l’incapacité d’exercer la profession de syndic (article 393 du code civil), d’agent de change (article 57 de la loi no 272 de 1913), d’auditeur des comptes (article 5 du décret royale no 228 de 1937), d’arbitre (article 812 du code de procédure civile). D’autres incapacités sont dues au fait que le failli, ne jouissant plus pleinement de ses droits civils, ne peut pas s’inscrire dans certains tableaux professionnels (tels que celui d’avocat, de notaire et de conseil commercial). De l’avis de la Cour, ces incapacités, influençant la possibilité des requérants de développer des relations avec le monde extérieur, tiennent à n’en pas douter à la sphère de la vie privée de ceux-ci (voir, mutatis mutandis, Sidabras et Džiautas, précitée, § 48). L’article 8 de la Convention est donc applicable en l’espèce.

2.  Observation de l’article 8 de la Convention

49.  Le Gouvernement soutient que les incapacités dérivant de l’inscription du nom du failli dans le registre des faillis concernent uniquement l’exercice des fonctions de tuteur, l’administration d’une société et l’interdiction d’occuper certains emplois publics. Il est en fait souhaitable qu’une personne qui n’a pas été réhabilitée, et qui donc n’est pas digne (meritevole), ne se charge pas de la gestion des biens d’autrui. Dans cet esprit, la réhabilitation n’est accordée par le juge qu’à condition que les informations recueillies par la police judiciaire soient positives et qu’il n’y ait pas de condamnations ou de procès à la charge du failli.

50.  Les requérants affirment que l’inscription de leur nom dans le registre des faillis et les obstacles à l’octroi de la réhabilitation constituent des mesures disproportionnées à l’objectif de protection des créanciers. En effet, ladite inscription et les nombreuses incapacités qui en dérivent trouvent leurs racines dans la Renaissance, époque à laquelle la déclaration de faillite avait un caractère essentiellement pénal.

51.  La Cour relève que, pour se concilier avec le paragraphe 2 de l’article 8, une ingérence dans l’exercice d’un droit garanti par celui-ci doit être « prévue par la loi », inspirée par un ou des buts légitimes d’après ce paragraphe et « nécessaire, dans une société démocratique », à la poursuite de ce ou ces buts (Dudgeon c. Royaume-Uni, arrêt du 22 octobre 1981, série A no 45, § 43).

52.  Compte tenu des considérations qui précèdent, la Cour observe que lesdites incapacités constituent de toute évidence une ingérence dans le droit au respect de la vie privée des requérants, et constate que cette ingérence est prévue par la loi, à savoir l’article 50 de la loi sur la faillite ainsi que la législation spéciale dont une partie a été mentionnée ci-dessus.

53.  Pour ce qui est du but poursuivi, la Cour exprime des doutes quant à la légitimité de cette législation spéciale, la plupart des incapacités mentionnées ayant la nature d’une sanction à caractère moral, comme le Gouvernement l’admet implicitement.

54.  En même temps, la Cour reconnaît que certaines incapacités poursuivent le but de protéger les droits d’autrui. Cela est le cas, par exemple, de l’exclusion ex lege de l’associé failli d’une société, dont le but est de préserver la société in bonis des effets de l’insolvabilité personnelle de l’associé (voir arrêt de la Cour de cassation no 75 de 1991).

55.  La Cour considère qu’une analyse exhaustive des objectifs de chaque incapacité est rendue difficile par l’abondance de la législation spéciale en la matière.

56.  Or, même à supposer que les objectifs de l’article 50 de la loi sur la faillite et de la législation spéciale y relative ne soient pas illégitimes, encore faut-il que l’ingérence en cause soit « nécessaire dans une société démocratique » au sens de l’article 8 § 2 de la Convention.

57.  La Cour note que les incapacités en question ne sont pas le résultat d’une décision judiciaire, mais constituent une conséquence automatique de la mise en faillite.

De plus, à la différence de certaines incapacités ayant pour but de protéger les créanciers de la faillite (telles que la limitation du droit au respect des biens, de la correspondance ou de la liberté de circulation), qui débutent avec la déclaration de faillite et se terminent avec la clôture de la procédure, les incapacités dérivant de l’inscription du nom du failli dans le registre ne cessent qu’une fois obtenu l’effacement de cette inscription.

58.  Ce dernier a lieu avec la réhabilitation civile, laquelle, au-delà des hypothèses de paiement intégral des créances et d’exécution régulière du concordat de faillite, ne peut être demandée que par le failli ayant fait preuve d’une « bonne conduite effective et constante » pendant au moins cinq ans après la clôture de la procédure (article 143 de la loi sur la faillite).

59.  Dans cette dernière hypothèse, il ne s’agit pas de protéger les créanciers de la faillite, mais plutôt de réparer le préjudice apporté par la faillite au bonum publicum. En effet, par l’expression « bonne conduite » il faut entendre un comportement moralement correct du failli vis-à-vis de la société (voir La crisi d’impresa, il fallimento, précité, p. 748).

60.  Quant au cas d’espèce, la Cour note que, à une date non précisée, les requérants introduisirent une demande afin de clôturer la procédure par un concordat. Elle relève que, même dans cette dernière hypothèse, la réhabilitation n’est accordée que sous certaines conditions, liées, entre autres, au caractère de dignité de l’ancien failli et aux circonstances de la faillite (voir l’article 143 alinéa 2 de la loi sur la faillite).

Mis à part le cas de paiement des créances, le rétablissement des capacités personnelles du failli dépend donc en partie d’un jugement de nature essentiellement morale sur la dignité de celui-ci.

61.  Tout en rappelant que la procédure de faillite dont il est question relève non pas du droit pénal mais du droit civil, la Cour note avoir déjà constaté la violation de l’article 8 de la Convention, quant au droit au respect de la vie familiale, en raison de l’application automatique et absolue d’une peine accessoire, à savoir l’interdiction d’exercer les droits parentaux, à toute personne purgeant une peine de prison, sans aucun contrôle des tribunaux (voir Sabou et Pircalab, précité, § 48).

En outre, dans l’affaire Hirst (précité, § 82), la Cour a condamné la privation du droit de vote des détenus en raison de ce que cette mesure constituait une restriction globale, automatique et indifférenciée à un droit consacré par la Convention.

Enfin, la Cour rappelle l’affaire P.G. c. Italie (no 22716/93, rapport de la Commission du 26 juin 1996), concernant la mise en faillite d’une société de fait existant entre un père et son fils (mineur à l’époque des faits). La Commission y conclut à la violation de l’article 8 de la Convention, quant au droit au respect de la vie privée de l’enfant. Elle a estimé que le fait que le tribunal de la faillite ait rejeté la demande de réhabilitation introduite par celui-ci en raison du seul fait que les cinq ans après la clôture de la procédure ne s’étaient pas écoulés constituait une ingérence disproportionnée de l’Etat par rapport au but de protéger les créanciers de la faillite. Selon la Commission, le tribunal aurait dû prendre en compte les circonstances particulières de l’affaire, à savoir, entre autres, le fait que le requérant était mineur à l’époque de fait et que son père gérait l’entreprise par la suite en faillite.

62.  La Cour estime donc que, en raison de la nature automatique de l’inscription du nom du failli dans le registre et de l’absence d’une évaluation et d’un contrôle juridictionnels sur l’application des incapacités y relatives, ainsi que du laps de temps prévue pour l’obtention de la réhabilitation, l’ingérence prévue à l’article 50 de la loi sur la faillite dans le droit au respect de la vie privée du requérant n’est pas « nécessaire dans une société démocratique » au sens de l’article 8 § 2 de la Convention.

Il y a donc eu violation de l’article 8 de la Convention.

IV.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

63.  Invoquant l’article 13 de la Convention, les requérants se plaignent de ne pas disposer d’un recours effectif pour se plaindre des incapacités patrimoniales et personnelles les touchant pendant toute la procédure de faillite et jusqu’à l’obtention de leur réhabilitation. Cet article est libellé ainsi :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

A.  Sur la recevabilité

64.  Selon le Gouvernement, les requérants auraient pu introduire un recours en opposition au jugement déclarant leur faillite au sens de l’article 18 de la loi sur la faillite, contestant ainsi les incapacités patrimoniales et personnelles dérivant de celle-ci. Ils auraient pu également introduire un recours conformément aux articles 26 et 36 de la loi sur la faillite.

65.  Les requérants soutiennent que le recours en opposition ne constitue pas un remède efficace pour se plaindre de la limitation prolongée des capacités personnelles et patrimoniales du failli.

66.  La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante, l’article 13 de la Convention exige un recours interne pour les seuls griefs que l’on peut estimer « défendables » au regard de la Convention. Il garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de s’y prévaloir en substance des droits et libertés de la Convention tels qu’ils peuvent s’y trouver consacrés. Cette disposition exige donc un recours interne habilitant « l’instance nationale compétente » à connaître du contenu du grief fondé sur la Convention et à offrir le redressement approprié. Le recours doit être « effectif » en pratique comme en droit (voir Soering c. Royaume-Uni, arrêt du 7 juillet 1989, série A no 161, § 120, et Rotaru c. Roumanie [GC], no 28341/95, CEDH 2000-V, § 67).

67.  Quant à la partie du grief concernant la limitation prolongée du droit au respect des biens (article 1 du Protocole no 1), de la correspondance (article 8 de la Convention) et de la liberté de circulation (article 2 du Protocole no 4), la Cour rappelle avoir conclu à son irrecevabilité. Partant, elle estime que, ne s’agissant pas de griefs « défendables » au regard de la Convention, cette partie de la requête doit être rejetée en tant que manifestement mal fondée selon l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

68.  Quant à la partie du grief portant sur les incapacités personnelles dérivant de l’inscription du nom du failli dans le registre des faillis et perdurant jusqu’à l’obtention de la réhabilitation civile, la Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B.  Sur le fond

69.  La Cour observe avoir conclu à la violation de l’article 8 de la Convention quant au droit au respect de la vie privée des requérants, en raison de la limitation de leurs capacités personnelles dérivant de l’inscription de leur nom dans le registre des faillis et perdurant jusqu’à l’obtention de la réhabilitation civile. Ce grief revêt donc sans conteste un caractère « défendable » au regard de la Convention. Les requérants étaient donc en droit de bénéficier d’un recours interne effectif au sens de l’article 13 de la Convention.

70.  La Cour observe que le recours en opposition au jugement déclarant la faillite, réglementé par l’article 18 de la loi sur la faillite, prévoit la possibilité pour le failli de saisir le tribunal dans le quinze jours suivant la connaissance effective du jugement déclarant sa faillite afin de contester la légitimité de celui-ci et d’en obtenir la révocation. De l’avis de la Cour, ce recours ne constitue donc pas un remède efficace pour se plaindre de la limitation des capacités personnelles des requérants perdurant jusqu’à l’obtention de la réhabilitation civile, compte tenu notamment du délai prévu pour son introduction (voir Neroni c. Italie, no 7503/02, § 35, 22 avril 2004).

71.  De surcroît, la Cour observe que l’article 26 de la loi sur la faillite prévoit certes la possibilité pour le failli d’introduire un recours devant le tribunal. Toutefois, ce recours n’a pour objet que les décisions du juge délégué et ne peut pas, de ce fait, constituer un remède efficace contre la prolongations des incapacités du failli, conséquence directe du jugement déclarant la faillite ou de l’inscription du nom du failli dans le registre des faillis et non pas d’une décision du juge délégué.

Quant à l’article 36 de la loi sur la faillite, il prévoit la possibilité de saisir le juge délégué pour se plaindre des actes d’administration du syndic. Toutefois, la Cour observe que ce recours concerne les activités d’administration du patrimoine du failli accomplies par le syndic jusqu’à la vente des biens et la satisfaction des créanciers. Il ne peut donc en aucun cas être de nature à porter remède à la prolongations des incapacités du failli (Bottaro, précité, § 45, et Ceteroni et Magri c. Italie, requêtes nos 22461/93 et 22465/93, décision de la Commission du 17 octobre 1994).

72.  Par ailleurs, la Cour rappelle avoir constaté la violation de l’article 13 de la Convention quant au manque en droit interne d’un recours effectif pour se plaindre du contrôle prolongé de la correspondance du failli (voir Bottaro, précité, §§ 41-46).

73.  Au vu de ce qui précède, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention.

V.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

74.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

75.  Les requérants présentent une expertise chiffrant à 27 486, 92 euros (EUR) le préjudice matériel subi par chacun des requérants. Cette somme correspond au salaire minimum (pensione sociale) que ceux-ci auraient reçu à partir de leur déclaration de faillite. Ils demandent aussi 500 000 EUR chacun pour le dommage moral.

76.  Le Gouvernement conteste ces prétentions.

77.  La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre les violations constatées et le dommage matériel allégué et rejette la demande. Quant au préjudice moral, elle estime que, eu égard à toutes les circonstances de l’affaire, le constat de violations figurant dans le présent arrêt fournit par lui-même une satisfaction équitable suffisante.

B.  Frais et dépens

78.  Les requérants demandent également 19 979,39 EUR pour les frais et dépens encourus devant la Cour ainsi que 3 606,71 EUR pour les frais d’expertise.

79.  Le Gouvernement s’oppose à ces prétentions.

80.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 2 000 EUR au titre des frais et dépens pour la procédure devant la Cour et l’accorde à aux requérants.

C.  Intérêts moratoires

81.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête irrecevable quant aux griefs tirés des articles 8 de la Convention, quant au droit au respect de la correspondance, 1 du Protocole no 1, 2 du Protocole no 4 et, quant à la limitation prolongée du droit au respect des biens, de la correspondance et de la liberté de circulation des requérants, 13 de la Convention, et recevable pour le surplus ;

2.  Dit qu’il y a eu violation des articles 8 de la Convention, quant au droit au respect de la vie privée, 3 du Protocole no 1 et, quant aux incapacités personnelles dérivant de l’inscription du nom du failli dans le registre des faillis, 13 de la Convention ;

3.  Dit que le constat de violations constitue en soi une satisfaction équitable suffisante pour le préjudice moral subi par les requérants ;

4.  Dit

a)  que l’Etat défendeur doit verser à chaque requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 2 000 EUR (deux mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 23 mars 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Vincent BergerBoštjan M. Zupančič
GreffierPrésident

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  1. Code de procédure civile
  2. Code civil
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CEDH, Cour (troisième section), AFFAIRE VITIELLO c. ITALIE, 23 mars 2006, 77962/01