CEDH, Cour (cinquième section), AFFAIRE WALLOVÁ ET WALLA c. REPUBLIQUE TCHEQUE, 26 octobre 2006, 23848/04

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Chronologie de l’affaire

Commentaires6

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CEDH · 16 mai 2007

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Cinquième Section), 26 oct. 2006, n° 23848/04
Numéro(s) : 23848/04
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Bertrand c. France (déc.), no 57376/00, 19 février 2002
Akdivar et autres c. Turquie, arrêt du 16 septembre 1996, Recueil 1996-IV, § 66
Aksoy c. Turquie, arrêt du 18 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI, § 51
Nsona c. Pays Bas, arrêt du 28 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-V, § 106
Couillard Maugery c. France, no 64796/01, §§ 237, 242 et 261, 1 juillet 2004
Covezzi et Morselli c. Italie, no 52763/99, § 104, 9 mai 2003
Dewinne c. Belgique (déc.), no 56024/00, 10 mars 2005
D.H. et autres c. République tchèque (déc.), no 57325/00, 1 mars 2005
Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 37, CEDH 1999-I
Kralicek c. République tchèque, no 50248/99, § 41, 29 juin 2004
Kutzner c. Allemagne, no 46544/99, §§ 56, 58, 61, 68 et 69, CEDH 2002-I
M.G. et M.T.A. c. Italie (déc.), no 17421/02, 28 juin 2005
Nuutinen c. Finlande, no 32842/96, § 110, CEDH 2000-VIII
Rampogna et Murgia c. Italie (déc.), no 40753/98, 11 mai 1999
Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 180, CEDH 2006-...
Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 148, CEDH 2000-VIII
K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, §§ 51, 154 et 173, CEDH 2001-VII
Volesky c. République tchèque, no 63267/00, § 102, 29 juin 2004
Zakharova c. France (déc.), no 57306/00, 13 décembre 2005
Références à des textes internationaux :
Observations du Comité des droits de l'enfant sur les rapports présentés par la République tchèque;Article 44 de la Convention relative aux droits de l'enfant des 17 juin 2002 et 18 mars 2003
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Partiellement irrecevable ; Violation de l'art. 8 ; Non-lieu à examiner l'art. 14 ; Préjudice moral - réparation pécuniaire
Identifiant HUDOC : 001-77713
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2006:1026JUD002384804
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Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE WALLOVÁ ET WALLA c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

(Requête no 23848/04)

ARRÊT

STRASBOURG

26 octobre 2006

DÉFINITIF

26/03/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Wallová et Walla c. République tchèque,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

MM.P. Lorenzen, président,
K. Jungwiert,
V. Butkevych,
MmeM. Tsatsa-Nikolovska,
M.J. Borrego Borrego,
MmeR. Jaeger,
M.M. Villiger, juges,

et de Mme C. Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 2 octobre 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 23848/04) dirigée contre la République tchèque et dont deux ressortissants de cet Etat, Mme Emílie Wallová et M. Jaroslav Walla (« les requérants »), ont saisi la Cour le 22 juin 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Les requérants, qui ont été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, sont représentés par M. F. Musil, juriste. Le gouvernement tchèque (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. V.A. Schorm.

3.  Le 21 février 2005, le président de la chambre a décidé de traiter la requête par priorité (article 41 du règlement).

4.  Le 13 mai 2005, la deuxième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l’article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.

5.  Le 1er avril 2006, la requête a été attribuée à la cinquième section nouvellement constituée (articles 25 § 5 et 52 § 1 du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6.  Les requérants, époux, sont nés respectivement en 1963 et 1949 et résident à Vesce.

7.  Ils ont cinq enfants, nés en 1985, 1988, 1995, 1997 et 2000.

8.  Le 25 septembre 2000, le tribunal de district (Okresní soud) de Tábor, saisi de la demande émanant du département de la protection sociale auprès de l’office de district de Tábor (ci-après « l’autorité sociale compétente »), rendit une ordonnance de surveillance des enfants des requérants, faute de logement satisfaisant. Admettant que les parents déployaient des efforts afin de résoudre cette question, le tribunal nota qu’une solution rapide était compromise par leur manque de ressources. La mesure de surveillance visait donc à s’assurer que les enfants bénéficient rapidement d’un logement correct, à défaut de quoi il faudrait selon le tribunal envisager une autre mesure d’assistance.

9.  Le 15 novembre 2000, l’autorité sociale compétente demanda audit tribunal d’adopter une mesure provisoire ordonnant le placement des enfants dans un établissement d’assistance éducative. Elle affirmait à l’appui de cette demande que, depuis 1997, la famille n’avait pas disposé d’un logement stable et convenable, que les parents n’avaient pas été en mesure de trouver une solution et qu’ils évitaient les contrôles faisant suite à l’ordonnance de surveillance.

10.  Le même jour, cette demande fut accueillie par le tribunal qui décida de placer provisoirement les trois enfants aînés dans un établissement à V. et deux autres enfants dans celui de K. Rendue en vertu l’article 76a du code de procédure civile, la mesure visait à assurer le bon développement et la santé des enfants.

11.  Le 29 décembre 2000, le tribunal régional (Krajský soud) de České Budějovice rejeta comme tardif l’appel de la requérante interjeté contre la mesure provisoire du 15 novembre 2000.

12.  Le 2 février 2001, le tribunal de district entama d’office une procédure relative à la garde des cinq enfants.

13.  Par le jugement du 1er mars 2001, le tribunal décida de placer les enfants dans un établissement d’assistance éducative, considérant que l’éducation dispensée par les requérants souffrait de manquements car ceux-ci n’étaient pas à même d’assurer à leurs enfants un logement adéquat et convenable du point de vue de l’hygiène et de la santé. Il instruisit les intéressés de la possibilité de demander l’annulation de cette mesure dès que les circonstances changent.

Le 26 juillet 2001, ce jugement fut annulé par le tribunal régional qui demanda au tribunal de première instance de compléter les preuves concernant la nécessité d’un tel placement.

14.  Selon les informations fournies par le Gouvernement, le tribunal de district prononça l’extinction de la procédure, en date du 1er novembre 2001, au motif que la requérante avait soumis un contrat de bail sur un appartement approprié. Cette décision fut annulée par le tribunal régional en date du 30 janvier 2002 ; ce dernier releva que les deux parents étaient sans travail et qu’il n’était pas sûr que ledit contrat de bail, conclu à une durée déterminée (jusqu’en février 2002), serait renouvelé.

15.  Le 21 mars 2002, le tribunal de district, saisi de la demande de l’autorité sociale compétente, décida que le consentement des requérants n’était pas nécessaire à l’adoption de leurs deux enfants cadets. Il considéra que, conformément à l’article 68 § 1 a) de la loi sur la famille, les intéressés n’avaient pas manifesté un réel intérêt pour leurs enfants pendant au moins six mois. En particulier, ils ne leur auraient pas envoyé de cadeaux, ne se seraient pas acquittés de leur obligation alimentaire et n’auraient pas essayé de se procurer un logement convenable ; la seule visite de la requérante dans l’établissement de K. aurait échoué en raison d’une quarantaine.

16.  Le 18 avril 2002, le tribunal de district décida de nouveau, en vertu de l’article 46 § 1 de la loi sur la famille, de confier la garde des cinq enfants des requérants à un établissement d’assistance éducative. Il releva que contrat de bail conclu par la requérante (voir paragraphe 14 ci-dessus) n’avait pas été renouvelé, faute pour les intéressés de s’acquitter du loyer et des charges, et que ceux-ci n’avaient demandé qu’une fois à la municipalité de Tábor de leur attribuer un appartement. De surcroît, le requérant n’avait pas d’emploi stable et la requérante, chômeuse, ne figurait sur la liste des personnes cherchant un emploi que depuis février 2001 et n’avait pas encore effectué toutes les démarches pour obtenir des allocations sociales. Dès lors qu’ils n’avaient pas déployé suffisamment d’efforts en vue de surmonter leurs difficultés matérielles et de trouver un logement pour la famille, le tribunal considéra que, pour des raisons subjectives, les requérants n’étaient pas en mesure d’assumer l’éducation de leurs enfants mineurs. Il nota en outre que les intéressés ne manifestaient pas d’intérêt pour leurs enfants, qu’ils ne leur avaient pas rendu visite depuis avril et décembre 2001 et qu’il n’y avait pas entre eux de contact écrit ou téléphonique.

17.  Le 26 juin 2002, l’office de district accéda, pour ce qui est des trois enfants aînés, à la demande des requérants tendant à les accueillir chez eux pendant une partie des vacances scolaires. Une telle visite eut lieu également à Noël 2002.

18.  Le 22 août 2002, le tribunal régional, saisi de l’appel des requérants, confirma le jugement du 18 avril 2002. Sans prétendre que le placement des enfants dans des établissements d’assistance éducative était la solution idéale et admettant qu’il constituait une ingérence considérable dans les droits des parents et des enfants, le tribunal releva qu’il était ainsi subvenu aux besoins matériels de ces derniers, notamment dans la situation où les parents restaient négligents dans l’accomplissement de leurs obligations parentales. Il nota également que selon le principe qui sous-tendait l’article 46 § 2 de la loi sur la famille, le placement dans un établissement public ne pouvait être envisagé que lorsqu’il n’était pas possible de laisser les enfants dans un milieu familial. Or, il avait été démontré en l’espèce que la grand-mère maternelle des enfants n’était pas à même de s’occuper d’eux et qu’il n’y avait pas d’autre personne disposée à assumer leur éducation. Le tribunal déclara enfin que si les parents s’efforçaient vraiment à créer des conditions de vie appropriées et un milieu familial stable, rien n’empêcherait à l’avenir de mettre fin au placement des trois enfants aînés.

Le même jour, le tribunal régional confirma le jugement du 21 mars 2002 concernant le consentement à l’adoption des enfants cadets.

19.  Le 20 novembre 2002, les requérants introduisirent un recours constitutionnel, alléguant que la décision de placement de leurs enfants dans des établissements d’assistance éducative et celle relative au consentement à l’adoption n’étaient pas conformes à la loi, ni à l’article 8 de la Convention, ni à la Convention relative aux droits de l’enfant. Selon eux, ces ingérences n’étaient pas nécessaires dans une société démocratique, faute de satisfaire au critère de proportionnalité, et les tribunaux n’avaient pas dûment pris en compte l’avis des mineurs. Les intéressés faisaient valoir que le placement des enfants dans des établissements publics était motivé uniquement par leurs difficultés matérielles, sans pour autant que les autorités s’acquittent envers eux de leurs obligations positives, sous forme de conseil ou d’assistance, et leur permettent d’améliorer leur situation. Selon eux, c’était seulement si ces démarches positives n’avaient pas abouti que l’ingérence litigieuse satisferait à l’exigence de subsidiarité. Tout en admettant leur part de responsabilité, les requérants alléguaient que leurs difficultés financières étaient dues, entre autres, au fait que la personne ayant acheté leur maison ne s’acquittait plus des acomptes convenus et à l’accumulation de plusieurs circonstances négatives. Ils soulignaient également le droit des enfants de jouir de la présence de leurs parents et attiraient l’attention sur le risque de leur privation affective. Ils alléguaient ensuite que la situation sociale et matérielle insatisfaisante des enfants ne saurait être résolue par une ingérence des pouvoirs publics dans leur droit au respect de la vie familiale, lequel bénéficiait d’une protection qualifiée. Les intéressés soutenaient enfin que les conditions permettant de passer outre à leur consentement à l’adoption n’avaient pas été réunies en l’espèce.

20.  Le 13 novembre 2003, la Cour constitutionnelle (Ústavní soud) désigna aux enfants mineurs un tuteur aux fins de la procédure devant elle, et suspendit la force exécutoire des décisions relatives au consentement à l’adoption.

21.  Par l’arrêt du 28 janvier 2004, la Cour constitutionnelle annula l’arrêt du tribunal régional concernant le consentement à l’adoption, au motif qu’il avait porté atteinte aux droits des requérants à un procès équitable et au respect de leur vie familiale. Elle rejeta cependant le recours dans la partie relative au placement des enfants dans des établissements publics. Relevant que la situation des requérants avait fait l’objet d’un examen minutieux, la cour considéra que l’ingérence litigieuse de l’Etat était la seule solution possible et qu’elle était conforme à la loi ainsi qu’à l’intérêt des enfants. Elle souligna que la responsabilité d’assurer les conditions à la vie et au développement des enfants incombait en premier lieu aux parents, tandis que l’aide des institutions publiques ne pouvait intervenir qu’au moment où la famille était temporairement confrontée, non de sa faute, à une situation difficile. Pour ce qui est de l’audition des enfants dont l’âge le permettait, la cour nota que la fille née en 1988 avait été entendue ; l’audition du fils des requérants né en 1985 échoua car il s’était à l’époque enfui de l’établissement.

Dans cette décision, la cour constata également que le problème principal qui sous-tendait toute la procédure était le manque d’un logement convenant à une famille aussi nombreuse et l’incapacité des requérants, due notamment à leur pauvreté, de se procurer un tel logement. Etant donné que d’autres problèmes s’y étaient ajoutés par la suite, il était selon la Cour constitutionnelle difficile de dire si les requérants étaient les parents irresponsables ou s’ils avaient de la malchance et n’arrivaient pas à réussir, malgré leurs efforts.

22.  Le 29 mars 2004, les époux M. demandèrent de pouvoir préalablement accueillir les deux enfants cadets des requérants. Le 27 avril 2004, leur demande fut accueillie par l’office municipal de Tábor. Les requérants firent appel qui fut rejeté le 22 juin 2004.

23.  Le 6 avril 2004, le tribunal régional, lié par l’avis de la Cour constitutionnelle, rejeta la demande tendant à ce que les enfants cadets des requérants puissent être adoptés sans consentement de ces derniers.

24.  En avril 2004, les requérants furent invités à s’acquitter de leur dette auprès de l’établissement de V. où étaient désormais placés tous leurs enfants (voir paragraphe 10 ci-dessus). Il semble que cette dette ne fût toujours pas réglée, ce qui donna lieu à des poursuites pénales des requérants.

25.  Le 13 mai 2004, la requérante fut informée par l’autorité locale compétente que sa demande de location d’un appartement (dans le cadre d’un appel d’offres) était tardive et ne pouvait donc pas être prise en compte.

26.  A la suite d’une demande des requérants, une enquête fut effectuée chez eux par les assistantes d’une association d’aide aux enfants, le 20 mai 2004. Celles-ci constatèrent que les intéressés vivaient dans des conditions inconvenables et qu’ils formaient irrégulièrement des demandes de logement. Il fut également établi que le 13 juillet 2000, après la naissance de son dernier enfant, la requérante avait accepté un logement temporaire (pour le mois de juillet 2000) dans une structure spécialisée, mais qu’elle n’avait pas eu de moyens pour en payer le prix (7 000 CZK[1]). Elle n’aurait pas été informée de la possibilité pour toute la famille de loger dans un autre établissement, moins cher, géré par l’association, et aucune demande dans ce sens n’avait été formulée par l’autorité sociale compétente.

27.  Le 3 juin 2004, les époux M. saisirent le tribunal de district d’une demande tendant à accueillir les deux enfants cadets. Par la décision du 14 juin 2004, ceux-ci se virent désigner un tuteur. Les requérants firent appel, s’opposant à ce que leurs enfants soient placés dans une famille d’accueil.

28.  En janvier 2005, les requérants s’enquirent sur la possibilité d’accueillir leurs enfants pendant les vacances. Ils furent informés par l’autorité sociale compétente que leur droit de visite n’était pas limité, qu’ils devaient se mettre d’accord avec les époux M. et de coopérer avec l’organe compétent pour ce qui est des deux enfants cadets, et qu’ils devaient s’adresser à l’établissement concerné pour ce qui est des deux autres enfants (le troisième étant déjà devenu majeur), conformément à l’article 30 de la loi no 359/1999. En mars 2005, il les informa qu’il était nécessaire de demander les visites suffisamment en avance pour que les autorités locales compétentes puissent s’y exprimer.

Par la suite, l’autorité sociale compétente convoqua les requérants à un entretien et donna son consentement à plusieurs séjours des enfants aînés (y compris pendant les week-ends).

29.  Par le jugement du 31 janvier 2005, le tribunal de district accueillit la demande des époux M. datée du 3 juin 2004 et décida de leur confier les deux enfants cadets. Il releva que les requérants n’avaient pas dûment conclu un contrat de bail sur l’appartement qu’ils occupaient et que leur situation financière était toujours insatisfaisante car ils n’avaient pas d’emploi stable. Le tribunal observa également que les intéressés n’avaient pas rendu de visite à leurs enfants en 2003 et 2004 ni ne s’étaient enquis de leur état, et qu’il était dans l’intérêt des mineurs d’évoluer dans un milieu familial.

30.  Les requérants firent appel, alléguant qu’ils avaient déjà conclu un contrat de bail et que le père de la famille avait trouvé un emploi.

Le 24 mars 2005, ils demandèrent de se voir confier les enfants cadets.

31.  Le 6 mai 2005, la décision attaquée fut confirmée par le tribunal régional. Selon lui, la situation des requérants n’était pas assez stable car l’intéressé, embauché depuis le 10 mars 2005, était encore en période probatoire, le contrat de bail avait été conclu à durée déterminée (avec une possibilité de renouvellement) et la requérante souffrait des problèmes de santé. Le tribunal considéra donc que, malgré leurs efforts, les requérants n’étaient pas prêts pour accueillir leurs enfants chez eux.

32.  Le 6 mai 2005, les requérants sollicitèrent le retour des deux enfants aînés, relevant que leurs week-ends passés ensemble se déroulaient sans problème.

En même temps, le directeur de l’établissement de V. informa l’autorité sociale compétente que le requérant s’était comporté de manière vulgaire avec lui ; dès lors, il n’allait plus permettre le séjour des enfants aînés dans la famille car il était convaincu qu’un tel comportement de l’intéressé avait de mauvaises répercussions sur leur éducation.

33.  Par le jugement du 9 novembre 2005, le tribunal de district annula le placement des deux enfants aînés (nés en 1988 et 1995) dans l’établissement d’assistance éducative et les confia, sous surveillance éducative, aux requérants. Le tribunal prit en compte que les enfants passaient déjà un week-end sur deux chez leurs parents, sans qu’un manquement ou un problème fût constaté, et qu’ils avaient eux-mêmes souhaité y retourner. Il fut établi que les intéressés louaient depuis novembre 2004, en vertu d’un contrat de bail de six mois renouvelable, un appartement de trois pièces et qu’ils s’acquittaient du loyer, que le requérant travaillait depuis mars 2005 et que la requérante bénéficiait d’une pension d’invalidité. Dans ces conditions, le tribunal estima que les motifs l’ayant amené à la mesure de placement n’étaient plus pertinents.

34.  L’autorité sociale compétente fit appel de ce jugement, relevant notamment que les requérants ne disposaient pas d’un logement stable et qu’ils avaient des dettes (entre autres auprès de l’établissement de V.). Les intéressés s’y opposèrent.

35.  Le 23 février 2006, le tribunal régional confirma le jugement attaqué (tout en corrigeant un vice de forme dans son dispositif). Selon lui, il ressortait de tout le dossier que le problème fondamental auxquels les parents se heurtaient en l’espèce était d’assurer un logement adéquat pour une famille aussi nombreuse. Le tribunal releva que, malgré leurs efforts pour améliorer la situation, les intéressés n’avaient pas jusqu’à lors disposé d’un logement stable, ce qui était dû à leurs difficultés financières ainsi qu’à un certain laxisme. En revanche, il était possible de conclure, au jour de l’adoption de la décision, que les requérants avaient fait tout leur possible et que, ayant trouvé un logement adéquat, ils avaient satisfait à la condition principale de l’éducation de leurs enfants. Par ailleurs, il n’avait pas été établi que le contrat de bail risquait de ne pas être renouvelé prochainement ou que leurs dettes empêcheraient les requérants d’assumer l’éducation de leurs enfants. Le tribunal nota enfin que, dès lors que les relations entre les employés de l’établissement de V. et les requérants étaient loin d’être idéales et que les enfants voulaient retourner chez eux, le placement cessait d’être une solution et devenait en quelque sorte traumatisant.

Cet arrêt passa en force de chose jugée le 23 mars 2006.

36.  Il semble que les deux enfants cadets restent dans la famille d’accueil.

II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

Charte des droits et libertés fondamentaux

37.  Aux termes de l’article 32 § 1, la famille est protégée par la loi. La protection spéciale des enfants et des mineurs est garantie. En vertu de l’article 35 § 5, les parents qui s’occupent des enfants ont droit à une aide de l’Etat.

Code de procédure civile

38.  L’article 76a dispose que si l’enfant mineur est privé de soins ou si sa vie ou son développement favorable sont gravement menacés ou troublés, le président de la chambre rend une mesure provisoire par laquelle il ordonne la remise de cet enfant à une personne (physique ou morale) désignée.

Loi no 94/1963 sur la famille

39.  Selon l’article 46 § 1, si l’éducation de l’enfant est gravement menacée ou troublée et si d’autres mesures éducationnelles n’ont pas abouti à un redressement, ou si pour d’autres motifs graves les parents ne peuvent pas assumer l’éducation de l’enfant, le tribunal peut ordonner le placement de celui-ci dans un établissement d’assistance éducative. Si les intérêts du mineur l’exigent, ladite ordonnance peut être rendue même si elle n’était pas précédée par d’autres mesures éducationnelles.

40.  L’article 46 § 2 impose au tribunal d’examiner, avant d’ordonner le placement susmentionné, la question de savoir si l’éducation de l’enfant peut être assurée par une famille d’accueil, ce type d’éducation étant prioritaire. Si les motifs de l’ordonnance de placement cessent d’exister où si l’enfant peut être confié à une famille d’accueil, le tribunal met fin au placement dans l’établissement public.

41.  Aux termes de l’article 68 § 1 a), le consentement des parents agissant en tant que représentants légaux de l’enfant n’est pas nécessaire à l’adoption de celui-ci si, pendant une période minimum de six mois, ils ne manifestaient pas constamment un réel intérêt pour l’enfant, notamment s’ils ne lui rendaient pas de visite, s’ils ne s’acquittaient pas de leur obligation alimentaire régulièrement et de leur propre gré et s’ils ne déployaient pas d’efforts en vue de redresser, dans la mesure du possible, leur situation familiale et sociale de façon à ce qu’ils puissent eux-mêmes s’occuper de leur enfant.

Loi no 114/1988 sur les compétences des autorités en matière de l’aide sociale

42.  Selon l’article 14 §§ 1 et 2, les municipalités et les offices de district organisent et fournissent aux citoyens la protection sociale. A cette fin, ils recherchent, en coopération avec des autorités nationales, des associations et des églises, les personnes qui ont besoin d’une aide sociale. Si la municipalité n’est pas compétente pour fournir à ces citoyens les services et les allocations nécessaires, elle avertit l’office de district ou agit en tant qu’intermédiaire. Elle peut aussi accorder une allocation exceptionnelle aux citoyens qui se retrouvent dans des conditions sociales très défavorables. Aux termes de l’article 15 § 2, la municipalité informe l’office de district quelles sont les familles, enfants et femmes enceintes qui ont besoin d’une aide sociale.

Loi no 359/1999 sur la protection sociale de l’enfant

43.  L’article 29 § 1 enjoint à l’autorité locale compétente de vérifier le respect des droits de l’enfant placé dans un établissement public, de suivre le développement de ses capacités et de ses relations avec les parents et d’établir si les motifs du placement sont toujours pertinents. Il tend également à ce que les frères et sœurs soient placés dans un même établissement.

44.  Selon l’article 30, l’établissement public dans lequel est placé un enfant peut permettre à ce dernier, sous réserve de consentement écrit de l’autorité locale compétente, de séjourner chez ses parents ou chez d’autres personnes ; un tel séjour est en principe limité à quatorze jours consécutifs. Si les adresses des domiciles fixes des parents et de l’enfant sont différentes, le consentement des deux autorités locales compétentes est nécessaire.

III.  D’AUTRES SOURCES

Comité des droits de l’enfant institué par l’article 43 § 1 de la Convention relative aux droits de l’enfant

1. Les observations sur le rapport présenté par la République tchèque en application de l’article 44 de la Convention, datées du 17 juin 2002 (extrait)

45.  “Children who require special protection and care, who were temporarily or permanently deprived of their family environment, or whom it was not possible to leave in their current environment in their best interests are recorded and monitored by childcare authorities at the appropriate District Offices and Municipal Offices. If all attempts at family therapy fail (material assistance, financial assistance, counselling), the childcare authority files an application with the court to issue a preliminary injunction or an application to order institutional care. In the experience of the NGOs, however, family therapy is often inadequate owing, on the one hand, to a lack of social workers and, on the other hand, to a lack of financial resources for the necessary material and financial assistance.”

2.  Les observations finales sur le rapport présenté par la République tchèque en application de l’article 44 de la Convention, datées du 18 mars 2003 (extraits des paragraphes 31-44)

46.  “While noting that the principle of the “interest and welfare” of the child is contained in the Act on the Family and in the Law on Social and Legal Protection of Children, the Committee is concerned that the principle of primary consideration for the best interests of the child is still not adequately defined and reflected in all legislation, court decisions and policies affecting children. Furthermore, the Committee is concerned that there is insufficient research and training for professionals in this respect.

The Committee welcomes the information on the Policy Statement on measures to be taken relating to child and family welfare and on the preparation of a national programme of support to families with children. The Committee is concerned at the insufficient assistance and guidance given to parents in their child-rearing responsibilities for the upbringing and

development of the child, resulting in numerous cases of custody procedures or in alternative care in institutions. The Committee is further concerned that preventive efforts and family counselling are inadequate and that placement in an institution may be a solution to social problems and crisis situations in the family.

The Committee notes the adoption of the Act of Residential Care in 2002, but is concerned that it has not addressed the full range of rights covered by the Convention. (...) The Committee welcomes the policy of deinstitutionalization, but remains deeply concerned by the increasing number of children placed in institutions by preliminary injunction and at the frequent use of this special measure, which can be revoked only after a lengthy and complex procedure. Furthermore, the Committee is concerned that the general principles of the Convention are not always observed in such situations and that:

(a) Institutional responses to providing assistance to children in difficulty are predominantly used and a disproportionately large number of children are placed in a residential institutional care environment;

(b) Temporary measures may be extended for lengthy periods and that there are no regulations for review of placement;

(c) Children are often placed at significant distances from parents, who, in turn, may not be aware of their visiting rights; punitive measures such as limitation of phone calls or meetings with parents may also be used;

(d) Contacts with parents are sometimes made conditional upon the behaviour of children in care;

(e) The conditions and treatment of children in some institutions may not be provided in a manner consistent with the evolving capacities of the child and the obligation to ensure his or her survival and development to the maximum extent possible;

(f) Institutions are large and an individual approach to each child is lacking, child participation is minimal, and treatment in some institutions (such as diagnostic institutions) may have undesirable effects.”

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

47.  Dans leur formulaire de requête, le requérants se plaignaient notamment d’avoir été séparés de leurs enfants et dénonçaient le manque d’assistance de la part des autorités nationales. A cet égard, ils invoquaient les articles 1, 6, 8 et 13 de la Convention ainsi que l’article 1 du Protocole no 12.

Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause, la Cour estime approprié d’examiner lesdits griefs soulevés par les intéressés uniquement sous l’angle de l’article 8, lequel exige que le processus décisionnel débouchant sur des mesures d’ingérence soit équitable et respecte comme il se doit les intérêts protégés par cette disposition (Kutzner c. Allemagne, no 46544/99, § 56, CEDH 2002‑I). L’article 8 dispose ainsi dans ses parties pertinentes :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie (...) familiale (...).

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire (...) à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

48.  Le Gouvernement s’oppose à la thèse des requérants.

A.  Sur la recevabilité

49.  Le Gouvernement excipe d’abord du non-épuisement des voies de recours internes.

1. Mesure provisoire du 15 novembre 2000 et le placement des enfants cadets dans une famille d’accueil

50.  En ce qui concerne la mesure du 15 novembre 2000, en vertu de laquelle les enfants des requérants ont été provisoirement placés dans un établissement d’assistance éducative, le Gouvernement observe que l’appel formé par la requérante a été rejeté pour tardiveté (voir paragraphe 11 ci-dessus).

Il note ensuite que les requérants n’ont pas introduit de recours constitutionnel contre la décision du 6 mai 2005, en vertu de laquelle leurs deux enfants cadets ont été définitivement transférés de l’établissement public dans une famille d’accueil.

51.  La Cour rappelle que la finalité de l’article 35 de la Convention est de ménager aux Etats contractants l’occasion de prévenir ou redresser les violations alléguées contre eux avant qu’elles ne soient soumises à la Cour. Les Etats n’ont donc à répondre de leurs actes devant un organisme international avant d’avoir eu la possibilité de redresser la situation dans leur ordre juridique interne (Aksoy c. Turquie, arrêt du 18 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996‑VI, § 51 ; Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 37, CEDH 1999‑I). Cette disposition impose donc de soulever devant l’organe interne adéquat, au moins en substance et dans les formes et délais prescrits par le droit interne, les griefs que l’on entend formuler par la suite à Strasbourg (Akdivar et autres c. Turquie, arrêt du 16 septembre 1996, Recueil 1996‑IV, § 66).

52.  En l’espèce, force est de constater que les requérants n’ont pas dûment exercé les voies de recours qui s’offraient à eux pour contester les décisions susmentionnées.

Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

2. Placement définitif des enfants dans un établissement d’assistance éducative en vertu des décisions des 18 avril et 22 août 2002

53.  Le Gouvernement note que les 24 mars et 6 mai 2005, les requérants demandèrent au tribunal de mettre fin au placement de leurs quatre enfants mineurs dans l’établissement public et dans la famille d’accueil et de se voir confier la garde de ceux-ci (voir paragraphes 30 et 32 ci-dessus).

Au moment de l’élaboration par le Gouvernement de ses observations, ces demandes introduites par les intéressés restaient pendantes. Le Gouvernement soutenait que si les allégations des requérants, selon lesquelles leur situation était déjà satisfaisante, devaient s’avérer justifiées, les tribunaux auraient la possibilité de redresser la violation alléguée de la Convention en ordonnant le retour des enfants chez les intéressés. Pour cette raison, il considérait cette partie de la requête comme prématurée.

54.  La Cour observe que les requérants et leurs enfants ont été définitivement séparés en vertu des décisions des 18 avril et 22 août 2002, par lesquelles les tribunaux ont décidé de placer les enfants dans des établissements d’assistance éducative.

Selon les informations dont dispose la Cour à ce jour, les deux enfants cadets restent placés dans la famille d’accueil. Le fait que la procédure relative à l’annulation de ce placement est pendante n’enlève rien à la réalité de l’ingérence dans le droit des requérants au respect de leur vie familiale, résultant de ladite séparation. Dès lors, dans la mesure où les décisions de placement de ces enfants sont devenues définitives dès 2002 et qu’elles ont été approuvées par la Cour constitutionnelle en janvier 2004, l’on ne saurait accueillir l’exception du Gouvernement tiré du caractère prématuré de ce grief.

Pour ce qui est des deux enfants aînés, toujours mineurs, la demande des requérants datée du 6 mai 2005 a été accueillie. Par conséquent, ces enfants ont été réunis avec les requérants en vertu de l’arrêt du tribunal régional du 23 février 2006. Il s’ensuit que la mesure constitutive d’une ingérence dans le droit des requérants au respect de leur vie familiale a été en place pendant presque quatre ans ; partant, le grief qui se fonde sur ces faits ne saurait être prématuré.

Il y a donc lieu de rejeter l’exception soulevée par le Gouvernement.

55.  Par ailleurs, la Cour estime nécessaire de souligner que, nonobstant ledit arrêt du tribunal régional ordonnant le retour des enfants aînés auprès des requérants, ces derniers peuvent toujours être considérés comme étant « victimes » d’une violation de la Convention au sens de son article 34. En effet, « une mesure d’une autorité publique éliminant ou atténuant l’effet de l’acte ou de l’omission en question n’enlève à pareille personne la qualité de victime que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention » (D.H. et autres c. République tchèque (déc.), no 57325/00, 1er mars 2005 ; Nsona c. Pays‑Bas, arrêt du 28 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V, § 106 ; Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 180, CEDH 2006‑...). Or, en l’espèce, les autorités n’ont nullement reconnu une quelconque violation des droits des requérants et la décision du 23 février 2006 ne se basait pas sur la violation alléguée de l’article 8 de la Convention.

56.  La Cour constate donc que ce grief n’est pas manifestement mal fondé sens de l’article 35 § 3 de la Convention et ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B.  Sur le fond

1. Thèses des parties

57.  Le Gouvernement admet que la mesure contestée en l’espèce par les requérants constitue une ingérence dans leur droit au respect de la vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention. Il soutient que la décision de placer les enfants dans un établissement d’assistance éducative se basait sur la disposition de l’article 46 § 1 de la loi sur la famille et qu’elle a été prise dans le but de protéger la santé et la morale ainsi que les droits et libertés des enfants. Le Gouvernement s’oppose fermement aux allégations des requérants selon lesquelles l’office de district avait soumis aux tribunaux des informations incorrectes et les avait traités de manière discriminatoire.

58.  Le Gouvernement affirme également que ladite ordonnance de placement a été nécessaire dans une société démocratique ; sur ce point, il observe que le premier jugement du 1er mars 2001 a été annulé en vue de mieux examiner la question de la nécessité du placement (voir paragraphe 13 ci-dessus).

Par la suite, il a été constaté dans le jugement du 18 avril 2002 que les requérants ne disposaient pas d’un logement convenable, qu’ils n’avaient pas déployé suffisamment d’efforts en vue d’en trouver un et qu’ils étaient sans emploi et sans ressources. Le Gouvernement partage l’avis du tribunal selon lequel les intéressés n’étaient pas en mesure d’assumer l’éducation de leurs enfants mineurs, faute de logement adéquat ; c’est pourquoi une ingérence des autorités nationales, sous forme de la prise en charge des enfants, était indispensable.

Puis, l’arrêt du 22 août 2002 et sa motivation détaillée et convaincante démontrent selon le Gouvernement que la juridiction d’appel était consciente de l’importance et des conséquences de la mesure de placement pour la vie familiale des requérants. En accord avec le principe de la subsidiarité, le tribunal a relevé qu’il n’était possible de placer les enfants dans un établissement public que si le but poursuivi ne pouvait être atteint à l’aide de moyens moins restrictifs, ce qui était le cas en l’occurrence où les enfants ne pouvaient pas être confiés à une autre personne. Après avoir pris en compte les intérêts contradictoires présents en l’espèce, le tribunal a dûment expliqué les raisons pour lesquelles la prise en charge des enfants était, dans les circonstances concrètes de la cause, plus propice à une protection effective de leurs intérêts. Il a enfin informé les requérants dans quelles conditions il serait possible de mettre fin au placement litigieux.

Le Gouvernement note enfin que ces décisions ont été entérinées par la Cour constitutionnelle qui a fait preuve d’une attitude équilibrée face à ce problème complexe.

59.  Selon le Gouvernement, il n’y a donc aucune raison de douter que les décisions susmentionnées des tribunaux nationaux ont satisfait à la condition de « nécessité dans une société démocratique », en ce qu’elles se fondaient sur des motifs pertinents et suffisants. Le motif principal a été l’incapacité de longue date pour les requérants d’assurer à leurs enfants un logement adéquat. Etant donné que les intéressés n’ont remédié à leur situation ni après qu’un placement provisoire des enfants a été ordonné, il ne restait aux autorités nationales que de décider de la prise en charge définitive ; dès lors, l’on ne saurait qualifier d’incompatibles les décisions judiciaires des 25 septembre 2000, 1er mars et 1er novembre 2001, comme le prétendent les intéressés. Avant d’ordonner une pareille mesure, les tribunaux ont également examiné, avec un résultat négatif, la question de savoir s’il existait d’autres solutions moins restrictives. Quant à l’allégation de la requérante que les autorités n’ont pas contacté ses frères et sœurs, le Gouvernement affirme que la plupart de ceux-ci avaient été adoptés ou vivaient dans les mêmes conditions que les intéressés et que ces derniers n’avaient jamais proposé que leurs enfants soient placés chez des proches. Ainsi, ayant à l’esprit le caractère délicat de l’affaire, les tribunaux se sont en l’espèce efforcés de protéger au mieux les droits des requérants et, en particulier, ceux de leurs enfants.

60.  Puis, le Gouvernement estime dépourvu de pertinence l’argument des requérants selon lequel les autorités nationales n’ont pas assumé leurs obligations positives en ce qu’elles ne les ont pas aidés à trouver un logement. Se référant notamment à l’arrêt du 18 avril 2002, il souligne que les intéressés ne se sont pas montrés suffisamment actifs. Puis, il convient de souligner qu’après la naissance de son dernier enfant, la requérante s’est vu proposer par l’office de district un logement pour elle et tous ses enfants, à un prix qui ne saurait être considéré comme disproportionné et que les requérants étaient en mesure de payer. Or, l’intéressée n’a profité de cette offre qu’en juillet 2000 ; par la suite, elle a secrètement déménagé ailleurs et refusé d’y retourner, ce qui a déclenché la procédure menant à la prise en charge des enfants.

61.  Enfin, pour ce qui est des garanties procédurales de l’article 8, le Gouvernement soutient que les requérants ont été suffisamment associés au processus décisionnel et qu’ils ont activement participé aux audiences tenues par les tribunaux de district et régional, de sorte qu’ils ont pu s’exprimer sur la mesure envisagée.

62.  Il s’ensuit, de l’avis du Gouvernement, que les autorités nationales n’ont pas dépassé leur marge d’appréciation que leur reconnaît l’article 8 de la Convention, et que cette disposition n’a pas été violée en l’espèce.

63.  Les requérants allèguent, pour leur part, que les observations du Gouvernement manquent d’impartialité et d’objectivité ; selon eux, le Gouvernement se concentre sur l’aspect procédural de l’affaire et n’examine pas la question de la protection équitable de leurs droits et intérêts. Les intéressés admettent ainsi que, formellement, les tribunaux ont agi conformément à la loi nationale, mais dénoncent qu’ils se sont basés uniquement sur les informations fournies par d’autres autorités nationales, lesquelles étaient fausses et déformées. Ils soutiennent que, malgré leurs demandes, ces autorités ne les ont jamais aidés à redresser la situation et à trouver un logement correspondant à leurs possibilités financières, comme en témoigne, entre autres, le rapport dressé par les assistantes d’une association d’aide aux enfants (voir paragraphe 26 ci-dessus). Au contraire, elles se sont bornées à constater l’incapacité des requérants et à résoudre l’affaire par la voie administrative, en les séparant de leurs enfants et même en séparant les enfants, placés dans deux établissements différents, entre eux. Les requérants affirment donc que les autorités ont commis une injustice envers leurs enfants et leur ont causé un traumatisme psychique.

64.  Les intéressés soutiennent ensuite que leurs efforts pour trouver un logement ont été suivis par le département de la protection sociale de Tábor depuis leur arrivée dans le district en 1997. Or, à part ce suivi, cette autorité n’a développé aucune activité positive. C’est elle au contraire qui est à l’origine de l’ordonnance de surveillance rendue le 25 septembre 2000 par le tribunal de district. Les requérants considèrent que par cette décision, le tribunal a indirectement invité le département de la protection sociale à les aider. Pourtant, seulement deux mois plus tard, il a ordonné le placement provisoire des enfants (voir paragraphe 10 ci-dessus), et ce sans examiner la question de savoir comment ledit département s’était acquitté de son obligation d’assistance. Selon eux, « l’aide » fournie par les autorités se résumait donc à l’adoption de différentes décisions qui ne prenaient pas en compte les circonstances de la cause et violaient les articles 8 et 14 de la Convention.

Les requérants affirment ainsi que la décision de placer leurs enfants dans des établissements publics était en contradiction avec les faits mentionnés dans le jugement du 25 septembre 2000 et se fondait sur des informations déformées telles que les avait présentées l’office de district ; par la suite, les tribunaux n’auraient fait que les reprendre sans vérifier leur authenticité. Les intéressés s’opposent également à l’argument du Gouvernement selon lequel les tribunaux avaient recherché d’autres personnes disposées à s’occuper des enfants ; ils affirment à cet égard que les autorités ne sont jamais entrées en contact avec les cinq frères et sœurs de la requérante.

65.  Selon les requérants, qui soulignent n’avoir obtenu qu’une éducation élémentaire, les autorités ont fait preuve d’une attitude dédaigneuse et discriminatoire à leur égard, et ce en raison de leur origine sociale et leur pauvreté. Ainsi, après la naissance de son dernier enfant et de peur de le perdre, la requérante aurait été contrainte d’accepter le logement dans une structure spécialisée pendant un mois, au prix de 7 000 CZK fixé par la municipalité, bien que le prix normal ait été de 2 695 CZK par mois.

A cet égard, les intéressés notent que dans sa décision du 28 janvier 2004, la Cour constitutionnelle a fait observer, d’une part, leurs efforts et, d’autre part, les limites de leurs capacités. Ainsi, tandis que les tribunaux de district et régional imputaient la situation à leur manque de responsabilité, la juridiction constitutionnelle n’a pas exclu qu’ils étaient frappés par la malchance.

66.  Les requérants concluent par souligner le traumatisme subi par leurs enfants ainsi que leurs efforts incessants visant à obtenir le retour de ces derniers.

2. Appréciation de la Cour

67.  La Cour observe qu’en novembre 2000, les cinq enfants des requérants ont été provisoirement placés dans des établissements publics d’assistance éducative. Cette mesure a été définitivement reconduite par les décisions des 18 avril et 22 août 2002, au motif que les requérants faisaient face à des difficultés matérielles et n’étaient pas en mesure de procurer à leurs enfants un logement adéquat et stable. En 2003, l’enfant aîné a atteint l’âge de la majorité. En avril 2004, les deux enfants cadets ont été placés dans une famille d’accueil où ils se trouvent jusqu’à aujourd’hui. Pour ce qui est des deux autres enfants, leur placement a été définitivement annulé en février 2006, date à laquelle ils ont pu retourner chez les requérants.

68.  Selon la jurisprudence constante de la Cour, pour un parent et son enfant, être ensemble représente un élément fondamental de la vie familiale (Kutzner c. Allemagne, précité, § 58) et des mesures internes qui les en empêchent constituent une ingérence dans le droit protégé par l’article 8 de la Convention (K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, § 51, CEDH 2001‑VII). Pareille ingérence méconnaît l’article 8 sauf si, « prévue par une loi », elle poursuit un ou des buts légitimes au regard du second paragraphe de cette disposition et est « nécessaire, dans une société démocratique », pour les atteindre. La notion de « nécessité » implique une ingérence fondée sur un besoin social impérieux, et notamment proportionnée au but légitime recherché (voir, par exemple, Couillard Maugery c. France, no 64796/01, § 237, 1er juillet 2004).

69.  En l’espèce, il ne se prête pas à controverse devant la Cour que la prise en charge des enfants s’analyse en une « ingérence » dans l’exercice du droit des requérants au respect de leur vie familiale. Fondée sur l’article 46 § 1 de la loi sur la famille, la mesure litigieuse était « prévue par la loi ». Il ressort également des motifs retenus par les juridictions internes que leurs décisions avaient en l’espèce pour objectif la sauvegarde des intérêts des enfants. L’ingérence dont il est question poursuivait donc un but légitime prévu par l’article 8 § 2 de la Convention : « la protection des droits et libertés d’autrui ».

70.  Pour apprécier la « nécessité » de la mesure litigieuse « dans une société démocratique », la Cour considérera si, à la lumière de l’ensemble de l’affaire, les motifs invoqués à l’appui de celle-ci étaient pertinents et suffisants aux fins du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention. A cette fin, elle tiendra compte du fait que l’éclatement d’une famille constitue une ingérence très grave ; une telle mesure doit donc reposer sur des considérations inspirées par l’intérêt de l’enfant et ayant assez de poids et de solidité (Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 148, CEDH 2000‑VIII). Toutefois, la Cour n’a point pour tâche de se substituer aux autorités internes dans l’exercice de leurs responsabilités en matière de réglementation des questions de la prise en charge des enfants par l’autorité publique et des droits des parents dont les enfants ont été ainsi placés, mais de contrôler sous l’angle de la Convention les décisions qu’elles ont rendues dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation (K. et T. c. Finlande [GC], précité, § 154 ; Couillard Maugery c. France, précité, § 242).

71.  Dans ce contexte, la Cour rappelle que le fait qu’un enfant puisse être accueilli dans un cadre plus propice à son éducation ne saurait en soi justifier qu’on le soustraie de force aux soins de ses parents biologiques ; pareille ingérence dans le droit des parents, au titre de l’article 8 de la Convention, à jouir d’une vie familiale avec leur enfant doit encore se révéler « nécessaire » en raison d’autres circonstances (K. et T. c. Finlande [GC], précité, § 173 ; Kutzner c. Allemagne, précité, § 69). De surcroît, l’article 8 met à la charge de l’Etat des obligations positives inhérentes au « respect » effectif de la vie familiale. Ainsi, là où l’existence d’un lien familial se trouve établie, l’Etat doit en principe agir de manière à permettre à ce lien de se développer et prendre les mesures propres à réunir le parent et l’enfant concernés (Kutzner c. Allemagne, précité, § 61).

72.  En l’espèce, la Cour note que toutes les juridictions nationales, dont dernièrement le tribunal régional décidant de mettre fin au placement litigieux des deux enfants aînés (voir paragraphe 35 ci-dessus), ont reconnu que le problème fondamental auxquels les requérants se heurtaient en l’espèce était de trouver un logement adéquat pour une famille aussi nombreuse.

Ainsi, à la différence de la plupart des affaires que la Cour a eu l’occasion d’examiner, les enfants des requérants en l’espèce n’ont pas été exposés à des situations de violence ou de maltraitance (voir, a contrario, Dewinne c. Belgique (déc.), no 56024/00, 10 mars 2005 ; Zakharova c. France (déc.), no 57306/00, 13 décembre 2005), ni à des abus sexuels (voir, a contrario, Covezzi et Morselli c. Italie, no 52763/99, § 104, 9 mai 2003). Ni les tribunaux n’ont constaté en l’occurrence de déficits affectifs (voir, a contrario, Kutzner c. Allemagne, précité, § 68), un état de santé inquiétant ou un déséquilibre de psychique des parents (voir, a contrario, Bertrand c. France (déc.), no 57376/00, 19 février 2002 ; Couillard Maugery c. France, précité, § 261). S’il est vrai que dans certaines affaires déclarées irrecevables par la Cour, le placement des enfants a été motivé par des conditions de vie insatisfaisantes ou des privations matérielles, cela n’a jamais constitué le seul motif servant de base à la décision des tribunaux nationaux, en ce que d’autres éléments tels que les conditions psychiques des parents ou leur incapacité affective, éducative et pédagogique s’y ajoutaient (voir, par exemple, Rampogna et Murgia c. Italie (déc.), no 40753/98, 11 mai 1999 ; M.G. et M.T.A. c. Italie (déc.), no 17421/02, 28 juin 2005).

73.  Dans la présente affaire, les capacités éducatives et affectives des requérants n’ont jamais été mises en cause et les tribunaux ont reconnu leurs efforts déployés afin de surmonter leurs difficultés. Dès lors, la prise en charge des enfants des requérants a été ordonnée pour la seule raison que la famille occupait à l’époque un logement inadéquat. De l’avis de la Cour, il s’agissait donc d’une carence matérielle que les autorités nationales auraient pu compenser à l’aide des moyens autres que la séparation totale de la famille, laquelle semble être la mesure la plus radicale ne pouvant s’appliquer qu’aux cas les plus graves.

74.  La Cour estime que, pour respecter en l’espèce l’exigence de proportionnalité, les autorités tchèques auraient dû envisager d’autres mesures moins radicales que la prise en charge des enfants. En effet, la Cour considère que le rôle des autorités de la protection sociale est précisément d’aider les personnes en difficultés qui n’ont pas les connaissances nécessaires du système, de les guider dans leurs démarches et de les conseiller, entre autres, quant aux différents types d’allocations sociales, aux possibilités d’obtenir un logement social ou quant aux autres moyens de surmonter leurs difficultés. Ainsi, en République tchèque, l’article 14 de la loi no114/1988 met à la charge des autorités locales de rechercher les personnes qui ont besoin d’une aide sociale (voir paragraphe 41 ci-dessus), et la Cour constitutionnelle a également énoncé dans sa décision du 28 janvier 2004 que des institutions publiques devaient intervenir dans les cas où les familles étaient temporairement et non de leur faute confrontées à une situation difficile.

75.  En l’occurrence, les autorités nationales avaient la possibilité de veiller sur les conditions de vie et d’hygiène dans lesquelles les requérants se trouvaient, et elles auraient notamment pu les conseiller sur les démarches à faire pour qu’ils puissent eux-mêmes améliorer la situation et trouver une solution à leurs problèmes. Cela aurait d’ailleurs été conforme à la législation tchèque relative à l’aide sociale.

76.  Or, force est de constater que, bien que les autorités compétentes aient été au courant des problèmes auxquels les requérants se heurtaient, elles se sont contentées de suivre leurs efforts et de remédier à leur situation en ordonnant le placement des enfants dans un établissement public. Par la suite, le département de la protection sociale de Tábor a en plus insisté sur la nécessité de prolonger ce placement (voir paragraphe 34 ci-dessus), sans qu’il ressorte du dossier qu’il eût lui-même régulièrement reconsidéré la situation des requérants ou qu’il eût fait preuve d’une attitude constructive dès que des signes d’amélioration se sont fait sentir.

77.  Il est vrai que, en sus, les requérants reprochent aux autorités de ne pas leur avoir procuré un logement social. Le Gouvernement soutient en revanche que les intéressés ont fait preuve d’une attitude laxiste et qu’ils n’ont pas effectué assez de démarches afin de se voir attribuer un appartement ou des allocations sociales (voir paragraphe 16 ci-dessus). La Cour prend note de ces positions divergentes des parties, tout en relevant que le Gouvernement n’a fourni aucune information concernant la possibilité pour les requérants de se voir, le cas échéant, accorder un logement de type social.

Quoi qu’il en soit, étant donné qu’elle considère en l’espèce la mesure de placement comme disproportionné (voir paragraphes 74-75 ci-dessus), la Cour n’estime pas nécessaire de se prononcer sur cette question.

78.  Eu égard à l’ensemble de ces éléments, la Cour considère que si les raisons invoquées par les autorités et juridictions nationales étaient pertinentes, elles n’étaient pas suffisantes pour justifier cette grave ingérence dans la vie familiale des requérants qu’était le placement de leurs enfants dans des établissements publics. De plus, il ne ressort pas des faits de la cause que les autorités de la protection sociale aient déployé des efforts sérieux en vue d’aider les requérants à surmonter leurs difficultés et à retrouver leurs enfants le plus tôt possible.

79.  Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION AU REGARD DE LA DURÉE DE LA PROCÉDURE

80.  Les requérants dénoncent également que la durée de la « procédure concernant leurs enfants » a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

81.  La Cour observe d’abord que, le 27 avril 2006, est entrée en vigueur en République tchèque la loi no 160/2006 qui prévoit la possibilité d’accorder une indemnisation du préjudice moral résultant de la durée de la procédure. Cependant, elle n’estime pas nécessaire d’examiner en l’espèce la question de savoir si ce recours peut être considéré comme effectif, au sens de l’article 13 de la Convention, et si les requérants devraient l’exercer, puisque leur grief est en tout état de cause irrecevable pour un autre motif indiqué ci-dessous.

82.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes. Sur ce dernier point, l’enjeu du litige pour l’intéressé entre en ligne de compte. Il est donc fondamental de traiter avec célérité les affaires de garde d’enfant ; un retard au cours d’une phase donnée peut se tolérer à condition que la durée totale de la procédure ne soit pas excessive (Nuutinen c. Finlande, no 32842/96, § 110, CEDH 2000‑VIII ; Voleský c. République tchèque, no 63267/00, § 102, 29 juin 2004).

83.  En l’espèce, la Cour considère que la période à considérer a débuté le 2 février 2001, date à laquelle le tribunal a engagé la procédure relative à la garde des enfants des requérants. Celle-ci a pris fin par la décision de la Cour constitutionnelle rendue le 28 janvier 2004. Elle a donc duré presque trois ans pour trois instances, dont deux ont statué à plusieurs reprises. Il convient de noter à cet égard que la procédure portant sur les demandes des requérants tendant à l’annulation du placement, formées après l’introduction de la requête devant la Cour, était une procédure séparée qui faisait suite à un changement de circonstances allégué par les requérants.

84.  La Cour estime que la présente affaire était assez complexe, notamment en raison de la nécessité de suivre l’évolution de la situation des requérants et de réévaluer en conséquence l’intérêt supérieur des enfants. Pour ce qui est du comportement des tribunaux inférieurs, force est de constater qu’ils ont agi à un rythme soutenu. Ainsi, le premier jugement a été rendu en l’affaire un mois après le déclenchement de la procédure ; il a été annulé six mois plus tard (voir paragraphe 13 ci-dessus). Puis, le tribunal de district n’a mis que trois mois pour rendre la décision suivante prononçant l’extinction de la procédure, laquelle a été annulée trois mois plus tard, le 30 janvier 2002 (voir paragraphe 14 ci-dessus). Le nouveau jugement, adopté en date du 18 avril 2002, a été confirmé quatre mois plus tard, le 22 août 2002. Dès lors, le seul retard particulier dont les autorités pourraient être tenues responsables est le laps de temps d’un an et deux mois écoulé entre l’introduction par les requérants de leur recours constitutionnel, le 20 novembre 2002, et la décision rendue par la Cour constitutionnelle le 28 janvier 2004. Cependant, les questions à trancher par cette juridiction étaient de nature complexe, vu également qu’une partie du recours (concernant le consentement à l’adoption) a été accueillie, et la décision de placement des enfants dans un établissement public est devenue définitive avec la force de chose jugée de l’arrêt du 22 août 2002. S’il est vrai que pendant toute cette période (et même après), les requérants continuaient à être séparés de leurs enfants et que l’enjeu était considérable pour eux, la Cour note que l’ingérence prolongée dans l’exercice du droit au respect de la vie familiale a déjà été examinée sous l’angle de l’article 8 de la Convention.

85.  Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION

86.  Les requérants allèguent également que l’attitude des autorités en l’espèce témoigne d’une approche discriminatoire à leur égard, motivée par leur origine sociale et leur pauvreté.

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

87.  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

88.  La Cour relève que ce grief, étroitement lié à celui soulevé sous l’angle de l’article 8, se fonde sur les mêmes faits que ceux examinés ci-dessus. Il convient donc de le déclarer recevable. Néanmoins, vu la conclusion à laquelle la Cour est arrivée sur le terrain de l’article 8, elle estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner l’affaire sur le terrain de cette disposition.

IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

89.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

90.  Les requérants réclament 1 000 000 couronnes tchèques (CZK), à savoir environ 35 150 euros (EUR), au titre du préjudice moral qu’eux et surtout leurs enfants auraient subi. Ils demandent ainsi que l’Etat leur compense le dommage subi à raison de 200 000 CZK (7 030 EUR) pour chacun de leurs enfants.

91.  Le Gouvernement objecte que les requérants formulent leur demande au nom de leurs enfants, ce qui équivaut à une actio popularis car la présente requête n’a pas été introduite par ces derniers. A titre subsidiaire, il invite la Cour à accorder aux requérants une somme correspondant à sa jurisprudence en la matière.

92.  La Cour note que les prétentions des requérants tendent à la réparation du préjudice moral qu’eux-mêmes et leurs enfants ont subi. Elle estime que, dans la mesure où la question du dommage moral demande une approche équitable, il serait trop formaliste de rejeter ces prétentions au motif que les intéressés réclament des moyens financiers pour leurs enfants, et accepte donc cette demande en principe.

La Cour est d’avis que les requérants ont subi un tort moral indéniable en raison de la séparation d’avec leurs enfants. Compte tenu des circonstances de la cause et statuant en équité comme le veut l’article 41, elle leur octroie conjointement la somme de 10 000 euros (EUR).

B.  Frais et dépens

93.  Les requérants, admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, ne demandent pas le remboursement des frais et dépens. La Cour estime qu’il n’est donc pas nécessaire de statuer sur ce point (voir, mutatis mutandis, Králíček c. République tchèque, no 50248/99, § 41, 29 juin 2004.

C.  Intérêts moratoires

94.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés des articles 8 et 14 de la Convention, et irrecevable pour le surplus ;

2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

3.  Dit qu’aucune question distincte ne se pose en ce qui concerne la question de savoir s’il y a eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8 ;

4.  Dit

a)  que l’Etat défendeur doit verser aux requérants conjointement, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ; cette somme est à convertir dans la monnaie nationale de l’Etat défendeur au taux applicable à la date du règlement ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 26 octobre 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Claudia WesterdiekPeer Lorenzen
GreffièrePrésident


[1] Environ 246 EUR.

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
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CEDH, Cour (cinquième section), AFFAIRE WALLOVÁ ET WALLA c. REPUBLIQUE TCHEQUE, 26 octobre 2006, 23848/04