CEDH, Cour (première section), AFFAIRE ELMALIOTIS ET KONSTANTINIDIS c. GRECE, 25 janvier 2007, 28819/04

  • Reboisement·
  • Conseil d'etat·
  • Gouvernement·
  • Grèce·
  • Acte·
  • Propriété·
  • Recours en annulation·
  • Conseil·
  • Délai raisonnable·
  • Violation

Commentaires2

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

CEDH · 25 janvier 2007

.s32B251D { margin:0pt; text-align:center } .s7D2086B4 { font-family:Arial; font-size:12pt; font-weight:bold } .s8AD2D3F6 { margin:0pt; text-align:right } .s746C8714 { margin:0pt; text-align:justify } .sB8D990E2 { font-family:Arial; font-size:12pt } .sEA881CDF { font-family:Arial; font-size:8pt; vertical-align:super } .s2A6CF492 { font-family:Arial; font-size:6.67pt; vertical-align:super } .s6E50BD9A { margin:0pt } .s38C10080 { font-family:Arial; font-size:12pt; font-style:italic; font-weight:bold } .sCBFD25D9 { width:131.89pt; text-indent:0pt; display:inline-block } .sF8BFA2BC { …

 

CEDH · 19 janvier 2007

.s32B251D { margin:0pt; text-align:center } .s7D2086B4 { font-family:Arial; font-size:12pt; font-weight:bold } .s8AD2D3F6 { margin:0pt; text-align:right } .sB8D990E2 { font-family:Arial; font-size:12pt } .s746C8714 { margin:0pt; text-align:justify } .sF97C7C07 { font-family:Arial; font-size:12pt; text-decoration:underline } .s38C10080 { font-family:Arial; font-size:12pt; font-style:italic; font-weight:bold } .sEA881CDF { font-family:Arial; font-size:8pt; vertical-align:super } .sF8BFA2BC { font-family:Arial; font-size:12pt; font-weight:normal } .s74399D67 { font-family:Arial; …

 
Testez Doctrine gratuitement
pendant 7 jours
Vous avez déjà un compte ?Connexion

Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Première Section), 25 janv. 2007, n° 28819/04
Numéro(s) : 28819/04
Type de document : Arrêt
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Violation de l'art. 6-1
Identifiant HUDOC : 001-79251
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2007:0125JUD002881904
Télécharger le PDF original fourni par la juridiction

Sur les parties

Texte intégral

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE ELMALIOTIS & KONSTANTINIDIS c. GRÈCE

(Requête no 28819/04)

ARRÊT

STRASBOURG

25 janvier 2007

DÉFINITIF

25/04/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Elmaliotis & Konstantinidis c. Grèce,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

MM.L. Loucaides, président,
C.L. Rozakis,
MmesF. Tulkens,
N. Vajić,
MM.A. Kovler,
D. Spielmann,
S.E. Jebens, juges,
et de M. S. Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 janvier 2007,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 28819/04) dirigée contre la République hellénique et dont deux ressortissants de cet Etat, MM. Ioannis Elmaliotis et Ilias Konstantidis (« les requérants »), ont saisi la Cour le 2 août 2004 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Les requérants sont représentés par Me D. Nikopoulos, avocat au barreau de Thessalonique. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les délégués de son agent, M. Y. Halkias, assesseur auprès du Conseil juridique de l'Etat et Mme O. Patsopoulou, auditrice auprès du Conseil juridique de l'Etat.

3.  Le 3 octobre 2005, la Cour a décidé de communiquer le grief tiré de la durée de la procédure au Gouvernement. Se prévalant de l'article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé qu'elle se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

A.  Le contexte de l'affaire

4.  Les requérants sont nés en 1945 et résident à Thessalonique. Par décision administrative no 50113/2580 du 20 mars 1935, une superficie de 14 500 000 m², sise dans la périphérie de la ville de Thessalonique, actuellement connue sous le nom de « Forêt-Parc de Thessalonique », fut destinée au reboisement.

5.  Par décision préfectorale no ΓΔ 2193 du 9 octobre 1973, la superficie à reboiser fut élargie à 29 790 000 m². Seuls quatorze terrains, affectés à un usage particulier (écoles, cimetières, aqueducs, etc.), furent exclus du reboisement.

6.  Le 29 juin 1979, par décision no 1877, le préfet de Thessalonique exclut également du reboisement les propriétés privées et les terres agricoles cultivées.

7.  Le 7 juillet 1989, les requérants obtinrent un permis de construire sur le terrain litigieux des édifices à destination professionnelle (restaurant, cantine, piscine, parking) (acte no 2248/1989).

8.  Le 3 avril 1990, le préfet de Thessalonique révoqua la décision no 1877/1979 pour des motifs « de légalité et d'ordre public ». En effet, il considéra qu'en exemptant du reboisement les propriétés privées et les terres agricoles cultivées, la décision préfectorale de 1979 avait de manière illégale levé en partie la mesure de reboisement (décision no 1157/1990). En conséquence,  la décision préfectorale no ΓΔ 2193/1973 entra de nouveau en vigueur et le permis de construire no 2248/1989 était devenu sans objet.

9.  Le 6 juillet 1997, un incendie détruisit 16 640 000 m² de la région.

10.  Par actes nos ΔΔ 2835 du 29 septembre 1997 et ΔΔ 2871 du 30 septembre 1997, l'administration destina au reboisement 14 869 000 m² des terres forestières incendiées, auxquelles furent ajoutées 1 117 800 m² de terres non forestières pour constituer un ensemble. Par ailleurs, l'administration exempta du reboisement les terrains sur lesquels des habitations avaient été légalement érigées avant 1973 et entre 1979 et 1990.

11.  Le 5 janvier 1998, deux associations écologiques saisirent le Conseil d'Etat d'un recours en annulation des actes administratifs susmentionnés.

12.  Le 15 novembre 1999, la cinquième chambre du Conseil d'Etat annula les actes attaqués au motif qu'ils avaient réduit de façon illégale l'étendue de la zone destinée en 1973 au reboisement. La haute juridiction déclara en outre illégale l'exemption du reboisement opérée au profit des terrains construits (arrêt no 3643/1999).

13.  Par la suite, d'autres personnes propriétaires de terrains dans la région eurent connaissance de l'arrêt no 3643/1999 et se rendirent compte que les actes administratifs de 1997 qui avaient exempté leurs terrains du reboisement avaient été annulés. En 2000, ces personnes saisirent la cinquième chambre du Conseil d'Etat d'une tierce opposition contre l'arrêt no 3643/1999. Il s'agit d'une voie de recours ouverte aux personnes qui n'ont été ni parties ni représentées dans une instance, leur permettant d'attaquer une décision qui leur fait grief. En novembre 2001, le Conseil d'Etat les débouta. Selon la haute juridiction, la qualification d'un terrain comme forestier ou destiné au reboisement n'emportait pas privation de propriété car, même après cette qualification, une propriété demeurait privée, avec les limitations nécessaires découlant de sa nature forestière, dont l'interdiction de construire (voir, notamment, les arrêts nos 4086 et 4088/2001).

B.  La procédure engagée par les requérants

14.  Les requérants sont, depuis 1988, les propriétaires indivis d'un terrain de 8 500 m2 sis à Panorama, une banlieue dans la zone du « Forêt-Parc de Thessalonique ».

15.  Le 5 janvier 1998, les requérants saisirent le Conseil d'Etat de deux recours en annulation contre les actes nos ΔΔ 2835 du 25 septembre 1997 et ΔΔ 2871 du 30 septembre 1997. Ils soutenaient, entre autres, que pendant les périodes de 1973 à 1979 et de 1990 à 1997, l'Etat avait illégalement bloqué l'exploitation de leurs propriétés. De surcroît, ils alléguaient que les actes attaqués étaient illégaux, car l'administration ordonnait à nouveau le reboisement d'une partie de leurs terrains au lieu de lever les charges qui pesaient sur ceux-ci. Ils en concluaient que les actes attaqués portaient atteinte à l'article 17 de la Constitution et à l'article 1 du Protocole no1.

16.  Le 12 août 2003, le Conseil d'Etat constata qu'il avait déjà annulé les actes attaqués dans son arrêt no 3643/1999 et qu'il avait aussi rejeté les tierces oppositions formées contre cet arrêt. Dès lors, il prononça l'annulation de l'instance, en vertu de l'article 32 § 1 du décret présidentiel no 18/1989 qui prévoit l'annulation de l'instance lorsque l'acte qui fait l'objet du recours en annulation a été annulé ou révoqué après l'introduction du recours (arrêts nos 2089 et 2090/2003). Ces arrêts furent mis au net et certifiés conformes les 2 et 25 février 2004 respectivement.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

17.  Les articles pertinents de la Constitution sont ainsi libellés :

Article 17

« 1.  La propriété est placée sous la protection de l'Etat. Les droits qui en dérivent ne peuvent toutefois s'exercer au détriment de l'intérêt général.

2.  Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n'est que pour cause d'utilité publique, dûment prouvée, dans les cas et suivant la procédure déterminés par la loi et toujours moyennant une indemnité préalable complète. Celle-ci doit correspondre à la valeur que possède la propriété expropriée le jour de l'audience sur l'affaire concernant la fixation provisoire de l'indemnité par le tribunal. Dans le cas d'une demande visant à la fixation immédiate de l'indemnité définitive, est prise en considération la valeur que la propriété expropriée possède le jour de l'audience du tribunal sur cette demande (...) »

Article 24 § 1

« La protection de l'environnement naturel et culturel constitue une obligation de l'Etat. L'Etat est tenu de prendre des mesures spéciales, préventives ou répressives, dans le but de sa conservation.

La loi règle les modalités de la protection des forêts et des espaces boisés en général. La modification de l'affectation des forêts et des espaces boisés domaniaux est interdite, sauf si leur exploitation agricole l'emporte du point de vue de l'économie nationale ou si tout autre usage devient nécessaire en vue de l'intérêt public. »

Article 117 § 3

« Les forêts domaniales ou privées et les espaces boisés qui ont été ou qui seraient détruits par incendie ou déboisés par tout autre moyen, ne changent pas leur affectation établie avant leur destruction. Ils sont déclarés obligatoirement des espaces à reboiser ; leur affectation à tout autre but est exclue. »

18.  Entrent également en ligne de compte les dispositions suivantes de la loi d'accompagnement (Εισαγωγικός Νόμος) du code civil :

Article 104

« L'Etat est responsable conformément aux dispositions du code civil relatives aux personnes morales, des actes ou omissions de ses organes concernant des rapports de droit privé ou son patrimoine privé. »

Article 105

« L'Etat est tenu à réparer le dommage causé par les actes illégaux ou omissions de ses organes lors de l'exercice de la puissance publique, sauf si l'acte ou l'omission ont eu lieu en méconnaissance d'une disposition destinée à servir l'intérêt public. La personne fautive est solidairement responsable, sous réserve des dispositions spéciales sur la responsabilité de ministres. »

Article 106

« Les dispositions des deux articles précédents s'appliquent aussi en matière de responsabilité de communes ou des autres personnes de droit public pour le dommage causé par les actes ou omissions de leurs organes. »

19.  L'article 105 de la loi d'accompagnement du code civil établit le concept d'acte dommageable spécial de droit public, créant une responsabilité extracontractuelle de l'Etat. Cette responsabilité résulte d'actes ou omissions illégaux ayant causé un préjudice matériel ou moral à l'administré. Les actes concernés peuvent être non seulement des actes juridiques mais également des actes matériels de l'administration, y compris des actes non exécutoires en principe (Kyriakopoulos, Commentaire du code civil, article 105 de la loi d'accompagnement du code civil, no 23; Filios, Droit des contrats, partie spéciale, volume 6, responsabilité délictueuse 1977, par. 48 B 112 ; E. Spiliotopoulos, Droit administratif, troisième édition, par. 217).

20.  Aux termes de l'article 19 de la loi no 1868/1989, l'action en dommages-intérêts devant les juridictions administratives est un recours indépendant par rapport au recours en annulation ou tout autre recours contre l'acte ou l'omission administratifs dont découle l'obligation éventuelle d'indemnisation ; elle peut donc être exercée de façon autonome au choix de l'intéressé. Puisque la nature illégale de l'acte ou de l'omission est l'une des conditions de recevabilité de l'action en réparation, le tribunal administratif saisi d'une telle action examine aussi la légalité de l'acte ou de l'omission administratifs incriminés, à condition que celle-ci ne soit pas déjà examinée avec force de chose jugée dans le cadre d'une autre procédure.

21.  Il existe une abondante jurisprudence des tribunaux internes au sujet de l'action en dommages-intérêts. Selon cette jurisprudence, si un terrain affecté à la construction d'un ouvrage d'utilité publique demeure bloqué pendant une longue période sans que l'administration ne procède à son expropriation formelle moyennant une indemnité, le propriétaire concerné peut demander le déblocage de son bien, ainsi qu'une indemnisation pour le dommage subi (voir, par exemple, tribunal administratif de Thessalonique, décision no 2839/1991). De même, si l'administration bloque un terrain au‑delà du délai raisonnable, le propriétaire affecté peut demander une indemnité pour le dommage subi en raison du blocage illégal de son bien et de la privation de son usage (voir, par exemple, tribunal administratif de Kalamata, décision no 104/2003). Enfin, si l'administration occupe illégalement un terrain, le propriétaire peut demander, outre la restitution de son bien, une indemnité pour la privation de l'usage de son terrain (voir, par exemple, tribunal de grande instance de Rhodes, décision no 35/2004).

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

22.  Les requérants allèguent que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

23.  La période à considérer a débuté le 5 janvier 1998 avec la saisine du Conseil d'Etat et s'est terminée le 12 août 2003, avec les arrêts nos 2089 et 2090/2003. Elle s'étala donc sur cinq ans et plus de sept mois pour un degré de juridiction.

A.  Sur la recevabilité

24.  Le Gouvernement note, en premier lieu, que les décisions internes définitives ont été rendues le 12 août 2003. Il argue qu'il n'était pas nécessaire pour les requérants de prendre connaissance du contenu des arrêts nos 2089 et 2090/2003 pour formuler leur grief tiré de la durée de la procédure. Le Gouvernement estime donc que les décisions internes définitives ont été rendues plus de six mois avant l'introduction de la présente requête. En second lieu, le Gouvernement plaide l'irrecevabilité du grief pour incompatibilité ratione materiae avec les dispositions de la Convention. En particulier, il soutient que l'issue de la procédure engagée par les requérants devant le Conseil d'Etat n'était pas directement déterminante pour leurs droits civils puisque, le 15 novembre 1999, les actes attaqués ont été annulés dans le cadre d'une autre procédure. A partir de cette date, la contestation n'était ni réelle ni sérieuse.

25.  Selon les requérants, ce grief n'est pas tardif et, en outre, il est incontestable que la procédure litigieuse portait sur leurs « droits et obligations de caractère civil » au sens de l'article 6 § 1.

26.  S'agissant de l'exception tirée de la tardiveté du présent grief, la Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante, lorsque la signification n'est pas prévue en droit interne, comme en l'espèce, il convient de prendre en considération la date à partir de laquelle les parties peuvent réellement prendre connaissance du contenu de la décision interne définitive (voir parmi d'autres Papachelas c. Grèce [GC], no 31423/96, § 30, CEDH 1999‑II).

27.  En l'occurrence, la Cour note que les arrêts nos 2089 et 2090/2003 du Conseil d'Etat, décisions internes définitives au sens de l'article 35 § 1 de la Convention, furent mis au net et certifiés conforme respectivement les 2 et 25 février 2004, dates à partir desquelles les requérants pouvaient en obtenir copie. Il s'ensuit que la requête, introduite le 2 août 2004, n'est pas tardive. Partant, il convient de rejeter cette exception du Gouvernement.

28.  S'agissant de l'exception tirée de l'irrecevabilité ratione materiae du grief en cause, la Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante, les termes « contestations sur (des) droits et obligations de caractère civil » couvrent toute procédure dont l'issue est déterminante pour (de tels) droits et obligations » (voir Ringeisen c. Autriche, arrêt du 16 juillet 1971, série A no 13, p. 39, § 94). L'article 6 § 1 ne se contente pourtant pas d'un lien ténu ni de répercussions lointaines : des droits et obligations de caractère civil doivent constituer l'objet - ou l'un des objets - de la contestation et l'issue de la procédure litigieuse doit être directement déterminante pour un tel droit (voir Le Compte, Van Leuven et De Meyere c. Belgique, arrêt du 23 juin 1981, série A no 43, p. 21, § 46) ; cette disposition ne s'applique qu'à une procédure aboutissant à une décision ayant des effets directs et non des conséquences indirectes ou fortuites sur les droits et obligations de caractère civil de l'intéressé (Surmont et De Meurechy c. Belgique, nos 13601/88 et 13602/88, décision de la Commission du 6 juillet 1989, Décisions et rapports (DR) 62, p. 284). Autrement dit, l'application de cette disposition à une procédure présuppose que l'issue de celle-ci ait « l'effet direct de créer, de modifier ou d'annuler des droits ou obligations juridiques de caractère civil » (Karagiannis c. Grèce (déc.), no 65607/01, 20 mars 2003).

29.  En l'occurrence, en saisissant le Conseil d'Etat, les requérants cherchaient à faire annuler deux actes administratifs qui affectaient directement leurs droits patrimoniaux puisqu'ils apportaient une limitation à l'usage de leur terrain. Au moment de l'introduction de leurs recours, le 5 janvier 1998, ils pouvaient croire qu'ils avaient des chances d'obtenir satisfaction par le biais des procédures qu'ils avaient engagées et n'étaient pas en mesure de prévoir que les actes attaqués seraient annulés dans le cadre d'une autre affaire. Nonobstant donc le fait que durant la litispendance le litige a été vidé de son objet, les recours des requérants concernaient des « contestations » sérieuses portant sur la défense de droits patrimoniaux privés (voir, mutatis mutandis, Belaousof et autres c. Grèce (déc.), no 66296/01, 20 mars 2003 ; voir aussi, a contrario, Astikos Oikodomikos Synetairismos Nea Konstantinoupolis (déc.), no 37806/02, 20 janvier 2005).

30.  Au vu des considérations qui précèdent, la Cour estime que l'article 6 § 1 de la Convention trouve à s'appliquer à la procédure en cause. Il convient donc de rejeter l'exception soulevée par le Gouvernement à ce titre.

31.  La Cour constate en outre que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B.  Sur le fond

32.  Le Gouvernement affirme que la durée de la procédure n'a pas été excessive. Il note que les requérants n'ont pas cherché à l'accélérer. En tout état de cause, le Gouvernement souligne que l'enjeu de l'affaire n'exigeait aucune célérité particulière de la part des autorités puisque les actes attaqués par les requérants dans leurs recours avaient été déjà annulés par le Conseil d'Etat dans le cadre d'une autre procédure.

33.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l'affaire, le comportement des requérants et celui des autorités compétentes, ainsi que l'enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d'autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

34.  La Cour a traité à maintes reprises des affaires soulevant des questions semblables à celles du cas d'espèce et a constaté la violation de l'article 6 § 1 de la Convention (voir Frydlender c. France [GC], précité).

35.  Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n'a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Il est vrai que l'importance de l'enjeu du litige pour les intéressés a diminué sensiblement à partir du 15 novembre 1999, date à laquelle les actes litigieux ont été annulés dans le cadre d'une autre procédure ; il n'en demeure pas moins que le Conseil d'Etat a mis plus de cinq ans et sept mois pour rendre ses arrêts et prononcer l'annulation de l'instance. La Cour estime qu'aucune explication pertinente de ce délai n'a été fournie par le gouvernement défendeur. La Cour réaffirme à cet égard qu'il incombe aux Etats contractants d'organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs juridictions puissent garantir à chacun le droit d'obtenir une décision définitive sur les contestations relatives à ses droits et obligations de caractère civil dans un délai raisonnable (voir Comingersoll S.A. c. Portugal [GC], no 35382/97, § 24, CEDH 2000-IV).

36.  Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu'en l'espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l'exigence du « délai raisonnable ».

Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

37.  Les requérants se plaignent d'une atteinte à leur droit au respect de leurs biens. Ils soutiennent que leur terrain n'est pas une forêt. Ils affirment que l'annulation des instances dont ils avaient saisi le Conseil d'Etat les prive à jamais de la possibilité de faire établir la réalité quant à la nature agricole de leur terrain. En particulier, ils allèguent que leur terrain sera exproprié aux fins de reboisement ; quant à l'indemnité d'expropriation, les requérants affirment que celle-ci sera d'un montant nettement inférieur à la valeur du bien exproprié, en raison de la qualification de ce dernier comme terre forestière. En dernier lieu, ils se plaignent que le permis de construction no 2248/1989 est devenu sans objet en raison de la qualification de leur terrain comme domaine forestier. Ils invoquent l'article 1 du Protocole no 1, qui se lit comme suit :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »

Sur la recevabilité

38.  La Cour note, tout d'abord, qu'en se plaignant que leur terrain sera exproprié et que l'indemnisation qui sera fixée ne correspondra pas à la valeur réelle de ce dernier, les requérants invoquent de façon prématurée un risque futur qui se fonde sur de simples spéculations et qui ne saurait être pris en compte pour l'examen de leur grief. S'il y a expropriation, les requérants devront d'abord épuiser les voies de recours internes, conformément à l'article 35 § 1 de la Convention. En particulier, les requérants pourront, d'une part, attaquer la décision d'expropriation de leur terrain et, d'autre part, participer à la procédure tendant à la fixation de l'indemnité d'expropriation. Par ailleurs, si les requérants estiment que l'atteinte à leur propriété est illégale et qu'en particulier, ils ont subi un préjudice du fait que le permis de construire no 2248/1989 est désormais devenu sans objet, ils peuvent toujours saisir les tribunaux administratifs d'une action en réparation fondée sur l'article 105 de la loi d'accompagnement du code civil (voir paragraphes 18-21 ci-dessus et aussi, parmi d'autres, Roussakis et autres c. Grèce (déc.), no 15945/02, 8 janvier 2004 et Amalia S.A. & Koulouvatos S.A. c. Grèce (déc.), no 20363/02, 28 octobre 2004).

39.  Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l'article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

III.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

40.  Les requérants se plaignent, sous l'angle des articles 6 § 1, 13 et 14 de la Convention, qu'ils n'ont pas pu bénéficier d'une protection judiciaire effective de leurs droits. Ils affirment qu'en prononçant l'annulation des instances, le Conseil d'Etat les a privés indûment de leur droit d'accès à un tribunal pour faire valoir leurs propres arguments contre les actes attaqués, arguments fondés sur l'atteinte illégale à leur droit de propriété. Selon eux, à l'origine de cette situation se trouve la durée de la procédure, durée d'autant plus inacceptable que les autres recours exercés à l'occasion du même litige ont été jugés rapidement par le Conseil d'Etat. De l'avis des requérants, il s'agit là d'une manifestation claire du traitement discriminatoire dont ils firent l'objet.

Sur la recevabilité

41.  La Cour observe tout d'abord que l'objectif des recours en annulation formés par les requérants était l'annulation de deux actes administratifs destinant leur terrain au reboisement. Or, ces actes ont été annulés par le Conseil d'Etat dans le cadre d'une autre procédure. Indépendamment des raisons retenues par le Conseil d'Etat pour annuler les actes en question, il n'en demeure pas moins que ceux-ci ont été bel et bien annulés. Au moment de l'examen de leurs propres recours, les requérants ne sauraient donc se prétendre victimes de la décision du Conseil d'Etat de prononcer l'annulation de l'instance, car leur objectif avait été totalement atteint, ne serait-ce que pour des raisons diamétralement opposées à celles qu'ils avaient proposées. De l'avis de la Cour, aucune atteinte au droit d'accès à un tribunal ou au droit à un recours effectif ne se trouve donc établie en l'espèce (Kortessi c. Grèce, no 31259/04, § 43, 13 juillet 2006). Quant au grief soulevé au titre de l'article 14 de la Convention, la Cour estime qu'il n'a aucunement été étayé.

42.  Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

IV.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

43.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

44.  Les requérants réclament 200 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel qu'ils auraient subi, en raison de la violation des articles 6 § 1, 13, 14 de la Convention et 1 du Protocole no 1.

45.  Le Gouvernement considère qu'il n'existe aucun lien de causalité entre les violations alléguées de la Convention et le dommage prétendument subi. Il affirme qu'un constat de violation constituerait en soi une satisfaction équitable suffisante.

46.  La Cour estime que la seule base à retenir pour l'octroi d'une satisfaction équitable réside dans la méconnaissance, en l'occurrence, de la violation du droit des intéressés à voir leur cause entendue dans un « délai raisonnable ». Dans ces circonstances, la Cour estime que les requérants doivent avoir subi un préjudice moral que ne compense pas suffisamment le constat de violation. Statuant en équité, comme le veut l'article 41 de la Convention, elle accorde à chacun 5 000 EUR à ce titre, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ladite somme.

B.  Frais et dépens

47.  Les requérants n'ont pas présenté aucune demande à ce titre. La Cour estime donc qu'il n'y a pas lieu d'octroyer de somme au titre des frais et dépens.

C.  Intérêts moratoires

48.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de la durée de la procédure et irrecevable pour le surplus ;

2.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;

3.  Dit

a)  que l'Etat défendeur doit verser à chacun des requérants, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 5 000 EUR (cinq mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;

b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 25 janvier 2007 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren NielsenLoukis Loucaides
GreffierPrésident

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires

Textes cités dans la décision

  1. Constitution du 4 octobre 1958
  2. Code civil
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
CEDH, Cour (première section), AFFAIRE ELMALIOTIS ET KONSTANTINIDIS c. GRECE, 25 janvier 2007, 28819/04