CEDH, Cour (première section), AFFAIRE POULITSIDI c. GRECE, 11 octobre 2007, 35178/05

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CEDH · 11 octobre 2007

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CEDH · 5 octobre 2007

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Première Section), 11 oct. 2007, n° 35178/05
Numéro(s) : 35178/05
Type de document : Arrêt
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Violation de l'art. 6-1 ; Violation de P1-1
Identifiant HUDOC : 001-82660
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2007:1011JUD003517805
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Sur les parties

Texte intégral

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE POULITSIDI c. GRÈCE

(Requête no 35178/05)

ARRÊT

STRASBOURG

11 octobre 2007

DÉFINITIF

11/01/2008

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Poulitsidi c. Grèce,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

MM.L. Loucaides, président,
C.L. Rozakis,
MmeN. Vajić,
M.A. Kovler,
MmeE. Steiner,
MM.S.E. Jebens,
G. Malinverni, juges,
et de M. A. Wampach, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 septembre 2007,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 35178/05) dirigée contre la République hellénique par deux ressortissantes de cet Etat, Mmes Paressa Poulitsidi et Eleni Poulitsidi (« les requérantes »), qui ont saisi la Cour le 21 septembre 2005 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Les requérantes sont représentées par Me G. Gesoulis, avocat au barreau de Thessalonique. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les délégués de son agent, M. S. Spyropoulos, assesseur auprès du Conseil juridique de l'Etat et Mme Z. Hatzipavlou, auditrice auprès du Conseil juridique de l'Etat.

3.  Les requérantes se plaignaient, sous l'angle de l'article 1 du Protocole no 1 combiné avec l'article 6 § 1 de la Convention, de plusieurs atteintes à leur droit au respect de leurs biens.

4.  Le 1er septembre 2006, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l'article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

5.  Les requérantes sont nées respectivement en 1928 et 1925 et résident à Thessalonique.

6.  Par acte notarial no 8686 en date du 13 février 1964, les requérantes et leur sœur, Kyriaki Poulitsidi, acquirent un terrain de 7 452,59 m², sis à Panorama, un quartier résidentiel dans la périphérie de la ville de Thessalonique.

7.  En 1982 et 1984 respectivement, le bureau d'urbanisme de la municipalité de Thessalonique adopta deux actes de désignation des terrains destinés à l'expropriation et de répartition proportionnelle des indemnisations dues aux propriétaires (πράξη τακτοποίησης και αναλογισμού αποζημιώσεως), en vue de procéder à la modification du plan d'alignement du quartier. Les requérantes et leur sœur, dont le terrain était visé par ces actes, exercèrent les voies de recours prévues par le droit interne et obtinrent leur annulation en 1983 et 1986 respectivement.

8.  Le 17 février 1997, l'administration adopta un troisième acte visant le terrain litigieux (acte no 6911/1997). En vertu de cet acte, les intéressées cédaient aux propriétés avoisinantes une partie de leur terrain et acquéraient d'autres parcelles, afin de créer des terrains ayant des côtés rectilignes et des formes régulières, et de percer de nouvelles routes municipales. L'acte no 6911/1997 précisait en outre la répartition des indemnisations à la charge des propriétaires concernés par l'échange de parcelles de leurs terrains. Dans ce contexte, il avait été décidé que pour une partie de leur terrain, situé hors du plan de la ville, les intéressées ne devraient recevoir aucune indemnité car elles étaient considérées comme avantagées par le nouveau plan d'alignement.

9.  Le 13 mars 1997, les requérantes et leur sœur formèrent une objection (ένσταση), qui fut rejetée par le préfet (décision no 29/115/ΠΕ1152/1997).

10.  Le 4 août 1997, les requérantes, qui avaient entre-temps hérité la part de propriété de leur sœur, attaquèrent la décision préfectorale susmentionnée auprès du secrétaire général de la périphérie de la Macédoine centrale. Le 17 novembre 1997, elles saisirent le Conseil d'Etat d'un recours en annulation du refus tacite de celui-ci de faire droit à leur demande. Elles demandaient aussi l'annulation de l'acte no 6911/1997.

11.  Le 17 décembre 1997, le secrétaire général de la périphérie de la Macédoine centrale rejeta explicitement le recours formé par les requérantes contre la décision préfectorale no 29/115/ΠΕ1152/1997. Celles-ci saisirent alors le ministre de l'Environnement et des Travaux Publics, qui les débouta en vertu d'une décision en date du 13 mai 1998 (décision no 12004/2589/1998).

12.  Le 23 juillet 1998, les requérantes saisirent à nouveau le Conseil d'Etat d'un recours en annulation de la décision ministérielle susmentionnée, en invoquant plusieurs atteintes à leur propriété. Elles se plaignaient d'une part d'avoir été illégalement expropriées de 808,5 m² et du traitement préférentiel réservé à d'autres propriétés avoisinantes au détriment de leur propriété. D'autre part, elles se plaignaient de n'avoir reçu aucune indemnité pour 430,20 m² de la surface expropriée, car elles devaient être considérées comme avantagées par le nouveau plan d'alignement. Elles soulignaient que la législation pertinente prévoyant cette « auto-indemnisation » (voir paragraphes 17-18 ci-dessous) créait une présomption irréfragable de profit, qui serait contraire à l'article 17 de la Constitution, ainsi qu'à l'article 1 du Protocole no 1 à la Convention. Elles affirmaient qu'en l'occurrence, la surface visée par l' « auto-indemnisation » ne tirait aucun avantage pouvant justifier leur participation aux frais d'expropriation.

13.  Par la suite, le Conseil d'Etat renvoya les deux recours en annulation devant la cour administrative d'appel de Thessalonique, désormais compétente pour examiner ce type d'affaires.

14.  Le 19 décembre 2001, la cour administrative d'appel déclara le premier recours irrecevable dans la mesure où il visait l'acte no 6911/1997, au motif que cet acte n'avait pas de caractère exécutoire ; elle rejeta le restant de ce recours, ainsi que le second recours formé par les requérantes, comme étant dénués de fondement (arrêt no 2106/2001).

15.  Le 3 avril 2002, les requérantes interjetèrent appel.

16.  Le 23 mars 2005, le Conseil d'Etat rejeta l'appel. Il valida la procédure suivie par le préfet, en considérant que celui-ci avait correctement appliqué les dispositions pertinentes en l'espèce. Il nota en outre qu'en application des mesures litigieuses, la propriété des requérantes était agrandie de 142,10 m² et bénéficiait d'un accès supplémentaire à deux rues du pâté de maisons. Il jugea aussi que l'obligation des requérantes de participer aux frais d'expropriation ne portait atteinte ni à l'article 17 de la Constitution ni à l'article 1 du Protocole no 1, car, par défaut (κατά τεκμήριο), leur propriété qui se trouvait en dehors du plan tirait avantage du nouveau plan d'alignement ; en effet, selon la haute juridiction, lorsqu'une nouvelle route municipale est percée aux extrémités d'un hameau (οικισμός), le bien qui se trouve hors du plan de la ville devient constructible dans des conditions similaires à celles appliquées aux biens qui se trouvent à l'intérieur de la zone urbaine. Le Conseil d'Etat considéra aussi sur ce point que l'argument des requérantes, selon lequel leur propriété qui se trouvait en dehors du plan de la ville ne tirait aucun profit urbanistique, était dénué de fondement (arrêt no 906/2005).

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

17.  Selon le droit interne, le propriétaire dont le bien acquiert une façade sur une route percée, en tire profit et participe aux frais de l'ouvrage, qui sont engagées par l'Etat, sous la forme de l'« auto-indemnisation » (voir notamment la loi no 653/1977 relative aux obligations de propriétaires riverains en matière de percée de routes nationales). Cette présomption, selon laquelle la plus–value tirée de travaux d'aménagement routier constitue une indemnité suffisante, a longtemps été considérée comme irréfragable. Suite aux arrêts de la Cour dans les affaires Katikaridis et autres c. Grèce, Tsomtsos et autres c. Grèce (arrêts des 15 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996–V) et Papachelas c. Grèce ([GC], no 31423/96, § 49, CEDH 1999-II), les juridictions nationales admettent désormais que la présomption en question n'est plus irréfragable. Dès lors, les intéressés peuvent saisir les juridictions civiles pour faire juger qu'ils ne sont pas des propriétaires avantagés au sens de la loi susmentionnée et percevoir, le cas échéant, une indemnité complémentaire.

18.  En vertu de l'article 95 § 10 de la loi no 1892/1990, les dispositions de la loi no 653/1977 s'appliquent aussi en cas de percée ou d'élargissement des routes qui délimitent le plan de la ville.

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 COMBINÉ AVEC L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

19.  Invoquant l'article 1 du Protocole no 1 combiné avec l'article 6 § 1 de la Convention, les requérantes se plaignent de plusieurs atteintes à leur droit au respect de leurs biens.

A.  Sur la recevabilité

20.  La Cour constate que la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celle-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B.  Sur le fond

1.  Sur les griefs des requérantes tirés des ingérences découlant de l'application des actes administratifs litigieux

21.  Les requérantes se plaignent que, par actes répétés, l'administration a porté atteinte à leur droit au respect de leurs biens. Elles affirment notamment qu'elles ont été illégalement expropriées d'une partie de leur terrain et que la cession d'une partie de ce terrain sans indemnisation, au motif qu'elles étaient présumées tirer profit du nouveau plan d'alignement, n'était pas conforme aux exigences posées par l'article 1 du Protocole no 1. Cette disposition se lit comme suit :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »

a)  Les arguments des parties

22.  Le Gouvernement affirme que le Conseil d'Etat ne s'est pas appuyé sur une présomption légale de profit pour rejeter le grief des requérantes tiré de l'« auto-indemnisation » d'une partie de leur terrain, mais sur un fait notoire connu de tous, n'ayant pas besoin d'être prouvé et non susceptible d'exception : les terrains en limite du plan de la ville, qui acquièrent une façade directe sur des routes percées en tirent toujours profit, sans exception. Il en est ainsi car, grâce à ce percement de route, les terrains en question acquièrent, d'une part, une façade sur une voie publique et, d'autre part, deviennent constructibles dans des conditions similaires à celles, plus profitables, appliquées aux terrains inclus dans le plan de la ville. Dès lors, non seulement est-il permis, mais, bien plus, est-il imposé au propriétaire visé par cette mesure de contribuer aux dépenses de percement de la route, moyennant l'apport de la partie du terrain qui est nécessaire à ce percement.

23.  Le Gouvernement considère qu'il serait illogique et paradoxal que ce propriétaire bénéficie, d'une part, de tous les profits et avantages que sa propriété acquiert grâce à l'application du plan d'urbanisme et le percement d'une route, mais qu'il ait, d'autre part, la prétention de ne supporter aucune dépense que ces mesures engendrent pour le contribuable.

24.  Le Gouvernement note qu'au-delà du grief général allégué par les requérantes au sujet de l'application dans leur affaire de l'article 95 § 10 de la loi no 1892/1990, celles-ci n'ont pas été en mesure, ni devant les juridictions nationales, ni devant la Cour, de prouver par des éléments concrets que les avantages évidents que leur propriété tire de l'application des mesures litigieuses existaient aussi antérieurement, du moins dans la même proportion et le même caractère. Le Gouvernement conclut qu'aucune violation du droit des requérantes au respect de leurs biens ne se trouve établie en l'espèce.

25.  Les requérantes affirment que leur terrain n'a aucunement été avantagé par les mesures litigieuses, car il était de toute façon déjà constructible. Bien qu'elles l'aient clamé à chaque occasion depuis 1982, ni l'administration ni les tribunaux saisis n'ont examiné leurs arguments en substance. En effet, en application d'une présomption irréfragable, elles ont été empêchées de prouver leur manque de profit et n'ont reçu aucune indemnité pour 430,20 m² expropriés.

26.  Les requérantes estiment que le système appliqué dans leur cas ne tient aucun compte de la diversité des situations, en méconnaissant les différences résultant de la nature des travaux et de la configuration des lieux. Elles se réfèrent à la jurisprudence de la Cour dans les affaires Katikaridis et autres, Tsomtsos et autres et Papachelas c. Grèce (précitées) et affirment qu'il n'y a aucune raison pour que la Cour s'écarte en l'espèce de cette jurisprudence.

b)  L'appréciation de la Cour

27.  La Cour juge naturel que, dans un domaine aussi complexe et difficile que l'aménagement du territoire, les Etats contractants jouissent d'une grande marge d'appréciation pour mener leur politique urbanistique (Sporrong et Lönnroth c. Suède, arrêt du 23 septembre 1982, série A no 52, p. 26, § 69). Elle tient pour établi que l'ingérence dans le droit des requérantes au respect de leurs biens était prévue par la loi et répondait aux exigences de l'intérêt général. Sur ce point, la Cour estime qu'il ne lui appartient pas de vérifier en bloc les modalités de la procédure de modification du plan d'alignement et les solutions données par les autorités nationales compétentes. En effet, elle note que les mesures administratives litigieuses ont été validées suite à un examen approfondi de tous les aspects de l'affaire par le Conseil d'Etat, qui a jugé que celles-ci étaient légales et que leur application était conforme à la loi. La Cour ne saurait renoncer pour autant à son pouvoir de contrôle. Il lui appartient de vérifier que l'équilibre voulu a été préservé de manière compatible avec le droit des requérantes au respect de leurs biens, au sens de la première phrase de l'article 1 du Protocole no 1 (Elia S.r.l. c. Italie, no 37710/97, §§ 77-78, CEDH 2001–IX).

28.  La Cour rappelle en effet qu'une mesure d'ingérence dans le droit au respect des biens doit ménager un « juste équilibre » entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu (voir, entre autres, l'arrêt Sporrong et Lönnroth c. Suède, op.cit.). Afin d'apprécier si la mesure litigieuse respecte le juste équilibre voulu et, notamment, si elle ne fait pas peser sur le requérant une charge disproportionnée, il y a lieu de prendre en considération les modalités d'indemnisation prévues par la législation interne. A cet égard, sans le versement d'une somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien, une privation de propriété constitue normalement une atteinte excessive qui ne saurait se justifier sur le terrain de l'article 1 du Protocole no 1. Ce dernier ne garantit pourtant pas dans tous les cas le droit à une compensation intégrale, car des objectifs légitimes « d'utilité publique » peuvent militer pour un remboursement inférieur à la pleine valeur marchande (voir l'arrêt Les saints monastères c. Grèce du 9 décembre 1994, série A no 301-A, pp. 34-35, §§ 70-71).

29.  Par ailleurs, dans la détermination de l'indemnité due aux propriétaires de biens expropriés en vue de travaux de voirie, il peut légitimement être tenu compte des avantages résultant de ces travaux pour les propriétaires riverains (Katikaridis et autres c. Grèce, précité, p. 1688, § 49 ; Tsomtsos et autres c. Grèce, précité, p. 1715, § 40).

30.  Pour ce qui est de la présente affaire, et plus particulièrement du grief des requérantes qu'il y aurait eu dans leur cas application d'une « présomption irréfragable » de profit, la Cour rappelle qu'elle a déjà eu l'occasion de se prononcer sur la présomption posée par la loi no 653/1997, longtemps consacrée par la jurisprudence comme étant irréfragable, et de constater la rigidité excessive du système instauré : dans tous les cas, l'indemnité était réduite, sans qu'il fût permis aux propriétaires intéressés de faire valoir qu'en réalité les travaux de voirie avaient pour effet, soit de ne leur procurer aucun avantage ou un avantage moindre, soit de leur faire subir un préjudice plus ou moins important. La Cour a donc conclu à la violation de l'article 1 du Protocole no 1 à cet égard (voir les affaires Katikaridis et autres c. Grèce, Tsomtsos et autres c. Grèce et Papachelas c. Grèce précitées).

31.  De plus, même lorsque les juridictions nationales ont commencé à admettre que la présomption en question n'était plus irréfragable, la Cour a pourtant considéré que le système d'indemnisation des propriétaires affectés par une mesure d'expropriation ne s'était pas sensiblement amélioré, dans la mesure où les propriétaires qui s'estimaient lésés par les travaux étaient obligés de saisir à nouveau les juridictions civiles afin de prouver que leurs propriétés étaient en réalité désavantagées. La Cour a donc estimé que cette procédure risquait de traîner en longueur si l'une des parties décidait de faire usage des voies de recours qui s'offraient à elle et qu'elle s'ajouterait alors à celle relative à la détermination du montant unitaire de l'indemnité et comportant déjà trois étapes : la détermination du montant unitaire, d'abord provisoire puis définitif de l'indemnité et la reconnaissance des titulaires du droit à indemnisation (Azas c. Grèce, no 50824/99, § 52, 19 février 2002).

32.  Toutefois, la Cour estime que la situation dont se plaignent en l'occurrence les requérantes est différente de celle des affaires susmentionnées. Certes, il y a eu participation des requérantes aux frais de l'expropriation d'une partie de leur terrain, mais il ne ressort pas du dossier que les intéressées furent empêchées de faire valoir devant les juridictions internes leur droit à une indemnisation complète : le Conseil d'Etat n'a ni procédé à une application automatique de la présomption de profit ni invité les requérantes à engager une nouvelle procédure pour prouver qu'elles étaient en réalité désavantagées par les mesures litigieuses. Bien au contraire, l'« auto-indemnisation » dont se plaignaient les requérantes fut contrôlée et validée par le Conseil d'Etat, qui considéra, après un examen de tous les paramètres de l'affaire, que leur propriété tirait réellement profit du nouveau plan d'alignement : elle était agrandie de 142,10 m² et bénéficiait d'un accès supplémentaire à deux rues du pâté de maisons ; quant au terrain qui se trouvait hors du plan de la ville, il devenait constructible dans des conditions similaires à celles appliquées aux terrains qui se trouvent en zone urbaine. Eu égard à la marge d'appréciation que l'article 1 du Protocole no 1 laisse aux autorités nationales (Papachelas c. Grèce, précité, § 49), la Cour n'aperçoit aucun indice susceptible de mettre en cause les conclusions de la haute juridiction.

33.  Partant, il n'y a pas eu en l'espèce violation de l'article 1 du Protocole no 1.

2.  Sur le grief des requérantes tiré de la perte de la jouissance de leur terrain sans indemnité

34.  Les requérantes se plaignent en outre que pendant une longue période, elles ont perdu la jouissance de leur terrain sans aucune indemnité. Elles affirment en particulier que depuis 1982, année du premier acte litigieux, à ce jour, ou alternativement jusqu'en 1997, année du troisième acte visant leur terrain, elles se sont trouvées dans un état d'incertitude et de privation de la jouissance de leur bien, ce qui équivaut, à leurs yeux, à une expropriation de facto.

35.  La Cour note tout d'abord qu'elle ne peut examiner ce grief que dans la mesure où il vise le troisième acte affectant la propriété des requérantes, à savoir l'acte no 6911 adopté en 1997, les procédures conduisant à l'annulation des deux premiers actes ayant pris fin en 1983 et 1986 respectivement. Cela est d'autant plus vrai qu'il n'y a aucun indice donnant à penser qu'entre l'annulation du deuxième acte en 1986 et l'adoption du troisième en 1997, la propriété des requérantes ait subi une restriction particulière.

36.  Par ailleurs, la Cour note que ce grief, que les requérantes soulèvent en principe sous l'angle de l'article 1 du Protocole no 1, se limite à l'impossibilité de bénéficier pleinement de l'usage de leur propriété pendant la durée de la procédure devant les juridictions administratives compétentes. Or, selon la jurisprudence de la Cour, les répercussions patrimoniales négatives éventuellement provoquées par la durée excessive de la procédure s'analysent comme la conséquence de la violation du droit garanti par l'article 6 § 1 de la Convention et ne sauraient être prises en considération qu'au titre de la satisfaction équitable que les intéressées pourraient obtenir à la suite du constat de cette violation (voir, en ce sens, Varipati c. Grèce, no 38459/97, § 32, 26 octobre 1999 ; Dumas c. France (déc.), no 53425/99, 30 avril 2002 ; Capestrani c. Italie (déc.), no 46617/99, 27 janvier 2005). La Cour est donc d'avis que ce grief doit être examiné sous l'angle de l'article 6 § 1 de la Convention qui, dans ses parties pertinentes, est ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

37.  Le Gouvernement ne se prononce pas sur cette question, en considérant que les requérantes n'ont formulé aucun grief relatif à la durée de la procédure litigieuse.

38.  Les requérantes affirment que leur affaire ne présentait aucune complexité particulière et qu'elle a connu une durée excessive.

39.  La période à considérer a débuté le 17 novembre 1997, lorsque les requérantes saisirent le Conseil d'Etat pour contester les mesures imposées par l'acte no 6911/1997, et a pris fin le 23 mars 2005, avec l'arrêt no 906/2005 de la haute juridiction ; elle dura donc sept ans et plus de quatre mois pour deux instances.

40.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l'affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l'enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d'autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

41.  La Cour a traité à maintes reprises d'affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d'espèce et a constaté la violation de l'article 6 § 1 de la Convention (voir l'affaire Frydlender précitée).

42.  Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n'a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu'en l'espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l'exigence du « délai raisonnable ».

43.  Dès lors, la Cour estime qu'en l'espèce il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention au regard de la durée de la procédure.

II.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

44.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

45.  Les requérantes réclament les sommes suivantes au titre du préjudice matériel qu'elles auraient subi :

i.  1 543 500 euros (EUR) ou alternativement 808 500 EUR pour manque à gagner. Ces sommes correspondent aux loyers qu'elles auraient perçus si elles avaient fait construire en 1986 un immeuble de dix appartements sur leur terrain et en avaient loué les appartements jusqu'à ce jour ou jusqu'en 1997, année de l'adoption du troisième acte administratif visant leur terrain ;

ii.  623 790 EUR au titre de l'indemnité qu'elles n'ont pas touchée pour 430,20 m² expropriés en raison de l'application du principe de l' « auto-indemnisation » ;

iii.  463 050 EUR au titre de l'indemnité pour l'expropriation disproportionnée de 808,50 m² de leur terrain.

46.  Les requérantes réclament en outre 20 000 EUR au titre du dommage moral qu'elles auraient subi.

47. Le Gouvernement invite la Cour à écarter la demande présentée au titre du dommage matériel et affirme qu'un constat de violation constituerait en soi une satisfaction équitable suffisante au titre du dommage moral.

48. La Cour rappelle sa conclusion que la procédure engagée devant le Conseil d'Etat pour contester le troisième acte affectant la propriété des requérantes connut une durée excessive et que pendant cette période celles-ci n'ont pas pu bénéficier pleinement de l'usage de leur bien. Cette situation a causé aux requérantes un dommage matériel ainsi qu'angoisse et tension (voir, en sens, Varipati c. Grèce, précité, § 36), pour lesquelles la Cour estime devoir leur allouer conjointement 24 000 EUR, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt.

B.  Frais et dépens

49.  Les requérantes demandent également 7 500 EUR pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes et 5 500 EUR pour ceux encourus devant la Cour. A cet égard, elles produisent deux factures d'un montant total de 1 288 EUR, établies au nom de leur avocat pour la procédure devant la cour administrative d'appel de Thessalonique et le Conseil d'Etat, et affirment qu'elles doivent à leur avocat le restant des sommes réclamées, sommes qui ont été calculées selon les barèmes appliquées devant les juridictions internes. A titre alternatif, les requérantes réclament 10 000 EUR, tous frais confondus.

50.  Pour ce qui est des frais et dépens encourus en Grèce, le Gouvernement affirme qu'ils ne sont pas justifiés dans leur totalité. En tout état de cause, il estime que la demande des requérantes à ce titre est excessive et qu'elle n'a pas de lien de causalité avec les violations alléguées. En ce qui concerne les frais exposés par les requérantes devant la Cour, le Gouvernement affirme que les sommes demandées sont excessives et non justifiées. Le Gouvernement conclut que la Cour doit écarter la demande au titre des frais et dépens ou, alternativement, allouer une somme qui ne saurait dépasser 1 500 EUR.

51.  Selon la jurisprudence constante de la Cour, l'allocation de frais et dépens au titre de l'article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI).

52.  S'agissant des frais et dépens encourus en Grèce, la Cour a déjà jugé que la longueur d'une procédure pouvait entraîner une augmentation des frais et dépens du requérant devant les juridictions internes et qu'il convient donc d'en tenir compte (voir, entre autres, Capuano c. Italie, arrêt du 25 juin 1987, série A no 119-A, p. 15, § 37). La Cour note, cependant, que les frais réclamés en l'occurrence n'ont pas été engendrés par la durée de la procédure, mais sont des frais normalement encourus dans le cadre de la procédure litigieuse. En ce qui concerne les frais réclamées pour la procédure devant elle, la Cour observe que les prétentions des requérantes ne sont pas accompagnées des justificatifs nécessaires permettant de les calculer de manière précise. Il convient donc d'écarter cette demande.

C.  Intérêts moratoires

53.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête recevable ;

2.  Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 ;

3.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;

4.  Dit

a)  que l'Etat défendeur doit verser conjointement aux requérantes, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 24 000 EUR (vingt-quatre mille euros) pour dommage matériel et moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;

b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 11 octobre 2007 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

André WampachLoukis Loucaides
Greffier adjointPrésident

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Textes cités dans la décision

  1. Constitution du 4 octobre 1958
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CEDH, Cour (première section), AFFAIRE POULITSIDI c. GRECE, 11 octobre 2007, 35178/05