CEDH, Cour (grande chambre), AFFAIRE SAADI c. ROYAUME-UNI, 29 janvier 2008, 13229/03

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Chronologie de l’affaire

Commentaires9

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Une Information Lexbase · Actualités du Droit · 23 juin 2017

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Grande Chambre), 29 janv. 2008, n° 13229/03
Numéro(s) : 13229/03
Publication : Recueil des arrêts et décisions 2008
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Al Adsani c. Royaume-Uni [GC], no 35763/97, § 55, CEDH 2001 XI
Bosphorus Hava Yollari Turizm ve Ticaret Anonim Sirketi (Bosphorus Airways) c. Irlande [GC], no 45036/98, § 150, CEDH 2005 VI
Chahal c. Royaume-Uni, arrêt du 15 novembre 1996, Recueil 1996-V, §§ 73, 112, 113, 118
Bozano c. France, arrêt du 18 décembre 1986, série A no 111
Johnston et autres c. Irlande, arrêt du 18 décembre 1986, série A no 112, § 51 et s.
Golder c. Royaume-Uni, arrêt du 21 février 1975, série A no 18, § 29,
Winterwerp c. Pays-Bas, arrêt du 24 octobre 1979, série A no 33, §§ 37, 39
Amuur c. France, arrêt du 25 juin 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996 III, §§ 41, 43, 50
Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, arrêt du 28 mai 1985, série A no 94, §§ 67-68
Bouamar c. Belgique, arrêt du 29 février 1988, série A no 129, § 50
Brogan et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 29 novembre 1988, série A no 145-B, § 58
Aerts c. Belgique, arrêt du 30 juillet 1998, Recueil 1998-V, § 46
Lithgow et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 8 juillet 1986, série A no 102, §§ 114 et 117
Engel et autres c. Pays-Bas, arrêt du 8 juin 1976, série A no 22, §§ 60-66
Conka c. Belgique, no 51564/99, CEDH 2002-I
Enhorn c. Suède, no 56529/00, §§ 42, 44, CEDH 2005-I
Gebremedhin [Gaberamadhien] c. France, no 25389/05, § 74, CEDH 2007 ...
Hilda Hafsteinsdóttir c. Islande, no 40905/98, § 51, 8 juin 2004
McVeigh et autres c. Royaume-Uni, requêtes nos 8022/77, 8025/77, 8027/77, décision de la Commission du 18 mars 1981, Décisions et rapports 25, pp. 81 et 86
O'Hara c. Royaume-Uni, no 37555/97, § 34, CEDH 2001-X
Stafford c. Royaume-Uni [GC], no 46295/99, § 64, CEDH 2002 IV
Stec et autres c. Royaume-Uni (déc.) [GC], nos 65731/01 et 65900/01, § 48, CEDH 2005-X
T. c. Royaume-Uni [GC], no 24724/94, § 103, 16 décembre 1999
Vasileva c. Danemark, no 52792/99, § 37, 25 septembre 2003
Witold Litwa c. Pologne, no 26629/95, §§ 49, 57-59, 78, CEDH 2000-III
Références à des textes internationaux :
Articles 31, 32 et 33 de la Convention de Vienne sur le droit des traités (1969);Articles 3, 9, 13 et 14 § 1 de la Déclaration universelle des droits de l'homme (DUDH);Articles 9 § 1 et 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP);Articles 1, 31 et 33 de la Convention relative au statut des réfugiés (Genève, 1951 - " la " Convention sur les réfugiés ";Conclusion no 44 (XXXVII - 1986) sur la détention des réfugiés et des personnes en quête d'asile du Comité exécutif du Programme du Haut Commissaire des Nations unies pour les réfugiés (HCR), approuvée par l'Assemblée générale (Résolution 41/124);Principe directeur 3 (1999) aux fins d'assurer l'application de la conclusion no 44 du HCR;Recommandation (E/CN.4/1999/63/Add.3) du Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire;Recommandation (Rec(2003)5) du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe;Rapport sur la visite au Royaume-Uni du Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe (CommDH(2005)6);Article 18 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (2000);Articles 7 et 18 de la Directive 2005/85/CE du Conseil (2005), normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres - JO L 326)
Organisations mentionnées :
  • Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés
  • Comité des Ministres
Niveau d’importance : Publiée au Recueil
Opinion(s) séparée(s) : Oui
Conclusions : Non-violation de l'art. 5-1 ; Violation de l'art. 5-2 ; Préjudice moral - constat de violation suffisant
Identifiant HUDOC : 001-84708
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2008:0129JUD001322903
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Sur les parties

Texte intégral

GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE SAADI c. ROYAUME-UNI

(Requête no 13229/03)

ARRÊT

STRASBOURG

29 janvier 2008


En l’affaire Saadi c. Royaume-Uni,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Jean-Paul Costa, président,
Christos Rozakis,
Nicolas Bratza,
Boštjan M. Zupančič,
Peer Lorenzen,
Françoise Tulkens,
Nina Vajić,
Margarita Tsatsa-Nikolovska,
Snejana Botoucharova,
Anatoly Kovler,
Elisabeth Steiner,
Lech Garlicki,
Khanlar Hajiyev,
Dean Spielmann,
Ineta Ziemele,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Päivi Hirvelä, juges,
et de Michael O’Boyle, greffier adjoint.

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 16 mai et le 5 décembre 2007,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 13229/03) dirigée contre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et dont un ressortissant irakien, M. Shayan Baram Saadi (« le requérant »), a saisi la Cour le 18 avril 2003 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant a été représenté par le cabinet de solicitors Messrs Wilson & Co., situé à Londres. Le gouvernement britannique (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. J. Grainger, du ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth.

3.  Le requérant alléguait qu’il avait été détenu en violation des articles 5 § 1 et 14 de la Convention, et qu’au mépris de l’article 5 § 2 on avait négligé de lui donner des motifs adéquats pour justifier sa détention.

4.  La requête a été attribuée à la quatrième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Le 27 septembre 2005, elle a été déclarée recevable par une chambre de ladite section, composée de Josep Casadevall, Nicolas Bratza, Matti Pellonpää, Rait Maruste, Kristaq Traja, Ljiljana Mijović, Ján Šikuta, juges, et de Françoise Elens‑Passos, greffière adjointe de section. Le 11 juillet 2006, une chambre composée des mêmes juges, ainsi que de Lawrence Early, greffier de section, a rendu un arrêt par lequel elle concluait, par quatre voix contre trois, à la non-violation de l’article 5 § 1 de la Convention et, à l’unanimité, à la violation de l’article 5 § 2. Par ailleurs, la chambre concluait, à l’unanimité, qu’il n’y avait pas lieu d’examiner séparément le grief tiré de l’article 14, que le constat d’une violation de l’article 5 § 2 représentait une satisfaction équitable suffisante pour le préjudice moral, et que l’Etat défendeur devait verser au requérant pour frais et dépens une somme de 1 500 euros, plus tout montant pouvant être dû au titre de l’impôt.

5.  Le 11 décembre 2006, à la suite d’une demande déposée par le requérant, le collège de la Grande Chambre a décidé de renvoyer l’affaire à la Grande Chambre en vertu de l’article 43 de la Convention.

6.  La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 27 §§ 2 et 3 de la Convention et 24 du règlement.

7.  Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire. Des observations ont également été reçues, d’une part du AIRE Centre, du Conseil européen pour les réfugiés et les exilés et de Liberty (observations communes) et, d’autre part, du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, que le président avait autorisés à intervenir dans la procédure écrite (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 2 du règlement).

8.  Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 16 mai 2007 (article 59 § 3 du règlement).

Ont comparu :

–  pour le Gouvernement
MM.J. Grainger,agent,
D. Pannick QC,
M. Fordham QC,conseils,
MmeN. Samuel,
M.S. Barrett,conseillers ;

–  pour le requérant
MM.R. Scannell,
D. Seddon,conseils,
M. Hanley,
MmeS. Ghelani,conseillers.

La Cour a entendu M. Scannell et M. Pannick en leurs déclarations ainsi qu’en leurs réponses aux questions des juges Costa et Spielmann.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

9.  Le requérant, Kurde irakien, est né en 1976 et réside actuellement à Londres, où il exerce la profession de médecin.

A.  L’admission provisoire du requérant au Royaume-Uni

10.  En décembre 2000, le requérant fuit la région autonome kurde d’Irak après avoir, dans le cadre de ses fonctions de médecin hospitalier, soigné trois personnes (celles-ci étaient comme lui membres du Parti communiste des travailleurs d’Irak et avaient été blessées lors d’une attaque) et en avoir facilité l’évasion. Arrivé à l’aéroport de Heathrow le 30 décembre 2000, il demanda immédiatement l’asile.

11.  L’agent de l’immigration prit contact avec le centre de rétention d’Oakington (le « centre d’Oakington » ; paragraphes 23-25 ci-dessous), mais comme il n’y avait pas de place au centre à ce moment-là le requérant se vit accorder une « admission provisoire » (paragraphes 20-21 ci-dessous), en vertu de laquelle il pouvait passer la nuit à l’hôtel de son choix mais devait revenir à l’aéroport le lendemain matin. Le 31 décembre 2000, l’intéressé se présenta comme on le lui avait demandé et se vit délivrer le même titre, valable jusqu’au lendemain. Lorsqu’il se rendit à nouveau à l’aéroport comme convenu, on lui accorda pour la troisième fois une admission provisoire valable jusqu’au lendemain 2 janvier 2001, 10 heures.

B.  La détention du requérant au centre d’Oakington et la procédure d’asile

12.  Ce jour-là, lorsque M. Saadi se présenta comme on l’en avait prié, il fut appréhendé et transféré au centre d’Oakington.

13.  Lors de son placement en détention, il se vit remettre un formulaire type intitulé « Motifs de la détention et droits relatifs à la mise en liberté provisoire ». Ce document précisait qu’il n’était recouru à la détention qu’à défaut d’autre solution raisonnable, et énumérait les motifs pertinents, tel le risque de fuite. Il comportait des cases que l’agent de l’immigration devait cocher le cas échéant. Aucune option n’indiquait que la détention visait à permettre un traitement accéléré du dossier de l’intéressé.

14.  Le 4 janvier 2001, au centre d’Oakington, le requérant rencontra un juriste du Centre de consultation juridique pour les réfugiés (Refugee Legal Centre), qui prit contact avec le ministère de l’Intérieur pour connaître les raisons de la détention de M. Saadi et demander sa remise en liberté. Le 5 janvier 2001, alors que le requérant était détenu depuis soixante-seize heures, un agent de l’immigration informa le juriste par téléphone que l’intéressé était détenu parce qu’il était un ressortissant irakien répondant aux critères d’internement au centre d’Oakington. Le juriste écrivit ensuite au ministère de l’Intérieur pour demander la libération de M. Saadi au motif que la détention était illégale. Il se vit opposer un refus. Le requérant sollicita alors le contrôle juridictionnel de la décision de mise en détention, soutenant que cette mesure était contraire au droit interne et à l’article 5 §§ 1 et 2 de la Convention.

15.  Dans un premier temps, soit le 8 janvier 2001, le requérant fut débouté de sa demande d’asile ; le 9 janvier, il fut remis en liberté et se vit accorder une nouvelle admission provisoire en attendant l’issue de son recours. Le 14 janvier 2003, le recours fut accueilli et l’intéressé obtint l’asile.

C.  La procédure de contrôle juridictionnel

16.  Le 7 septembre 2001, dans le cadre de la procédure de contrôle juridictionnel relative à la mise en détention du requérant (R. (on the application of Saadi and others) v. Secretary of State for the Home Department [2001] EWHC Admin 670), le juge Collins considéra que la loi de 1971 sur l’immigration (paragraphe 19 ci-dessous) conférait au ministre de l’Intérieur le pouvoir de prendre pareille décision. Cependant, s’appuyant sur l’arrêt Amuur c. France (25 juin 1996, § 43, Recueil des arrêts et décisions 1996-III) et sur ce qui était à ses yeux une « lecture raisonnable » de l’article 5 § 1 f), il estima que la Convention ne permettait pas de placer en détention, dans un seul but d’efficacité administrative, un demandeur d’asile ayant suivi la procédure adéquate et ne risquant pas de prendre la fuite. Même si la détention relevait de l’article 5 § 1 f), il était disproportionné de priver de liberté des personnes en quête d’asile aux fins du traitement rapide de leurs demandes, dès lors qu’il n’était pas établi que des conditions de résidence contraignantes, sans détention continue, ne suffiraient pas. Il jugea également (de même que la Cour d’appel et la Chambre des lords) que l’on n’avait pas donné au requérant des motifs adéquats pour justifier sa détention.

17.  Le 19 octobre 2001, à l’unanimité, la Cour d’appel infirma ce jugement ([2001] EWCA Civ 1512). Lord Phillips of Worth Matravers, le président (Master of the Rolls), qui rendit le jugement majoritaire, rechercha tout d’abord si la politique consistant à placer en détention les demandeurs d’asile au centre d’Oakington pour permettre un traitement accéléré de leurs dossiers était irrationnelle au point d’être illégale en droit interne. Il observa qu’au cours des dernières années le nombre de demandes d’asile déposées au Royaume-Uni et dans d’autres pays était monté en flèche. Au Royaume-Uni, pendant la période de juillet à septembre 1999, la moyenne mensuelle des demandes déposées avait presque atteint le chiffre de 7 000, ce qui représentait une augmentation de 60 % par rapport à l’année précédente. Faire face à l’arrivée massive de personnes en quête d’asile posait de sérieux problèmes administratifs, et tous les demandeurs avaient intérêt à obtenir aussi rapidement que possible une décision quant à leur statut. Lord Phillips of Worth Matravers poursuivit ainsi :

« Nous partageons les doutes exprimés par le juge Collins sur le point de savoir si la détention est réellement nécessaire pour assurer un traitement effectif et rapide des demandes d’asile. Cependant, concevoir de tels doutes revient (...) à se livrer à des hypothèses et à des spéculations. Il est indéniable que, pour permettre le traitement des demandes d’asile dans un délai de sept jours, les intéressés doivent forcément être soumis à de sévères restrictions de leur liberté. D’une manière ou d’une autre, il leur faut être présents dans un centre à tout moment où l’on pourrait avoir besoin d’eux pour un entretien ; or cela est impossible à programmer selon un calendrier préétabli. Les demandeurs se plieraient-ils de bonne grâce à un tel régime s’ils n’étaient détenus ? Beaucoup le feraient sans doute, mais l’on ne saurait taxer d’irrationalité la stratégie consistant à imposer aux personnes dont la demande semble se prêter à un traitement rapide une brève période de détention visant à permettre le fonctionnement sans heurts du système en place.

Il ne nous a pas été facile d’aboutir à cette conclusion. Les demandeurs d’asile ne sont détenus au centre d’Oakington que s’il paraît possible de traiter leurs demandes dans le délai d’une semaine. Cependant, il doit aussi s’agir de personnes dont on ne craint pas qu’elles prennent la fuite ou se conduisent de façon répréhensible. De prime abord, il semble extrême de mettre en détention des personnes peu susceptibles de s’enfuir, dans le seul but de faciliter le traitement de leurs demandes. Toutefois, on ne saurait ignorer les statistiques présentées au début de notre arrêt. Comme [le ministre de l’Intérieur] l’a fait observer lors d’un débat à la Chambre des lords le 2 novembre 1999, face à des demandes d’asile qui atteignent presque le chiffre de 7 000 par mois, « aucun gouvernement conscient de ses responsabilités ne saurait se contenter d’un haussement d’épaules et de l’inaction » (...) Une brève période de détention n’est pas un prix abusif à payer pour garantir un traitement rapide des demandes formées par une grande partie des personnes qui affluent. Dans ces circonstances, une telle détention peut tout à fait passer pour une mesure de dernier recours. (...) »

La Cour d’appel rechercha ensuite si la détention relevait de la première partie de l’article 5 § 1 f). Elle jugea que le droit à la liberté reconnu par cette disposition était censé préserver le pouvoir souverain des Etats membres de décider s’il y avait lieu de laisser les étrangers pénétrer sur leur territoire à n’importe quelles conditions, et que la détention d’un étranger était couverte par l’alinéa f) tant que l’entrée n’avait pas été autorisée, étant entendu, comme il ressortait de l’arrêt Chahal c. Royaume-Uni (15 novembre 1996, Recueil 1996-V), que la durée de la procédure d’asile ou d’expulsion ne devait pas dépasser les limites raisonnables.

18.  Le 31 octobre 2002, la Chambre des lords rejeta à l’unanimité le recours formé par le requérant ([2002] UKHL 41). Ayant pris note de l’information selon laquelle le centre d’Oakington traitait environ 13 000 demandes d’asile par an, ce qui supposait la programmation d’un nombre d’entretiens pouvant aller jusqu’à 150 par jour, Lord Slynn of Hadley, approuvé par les autres Law Lords, déclara :

« Le droit international a depuis longtemps dégagé le principe qu’un Etat souverain peut contrôler l’entrée des étrangers sur son territoire. (...)

Ce principe vaut sous réserve de toute obligation découlant pour un Etat d’un traité ou de toute règle de droit interne pouvant s’appliquer à l’exercice de ce contrôle. A mon sens, le point de départ est donc que le Royaume-Uni a le droit de contrôler l’entrée et le séjour des étrangers sur son territoire. L’article 5 § 1 f) semble reposer sur ce postulat. Dès lors, la question à trancher est de savoir si les dispositions du paragraphe 1 f) régissent l’exercice de ce droit de telle manière qu’une détention fondée sur une raison et se déroulant selon les modalités prévues dans le système d’Oakington est contraire à cet article, et en conséquence illégale.

A mon avis, il est clair qu’en soi une détention visant à permettre un processus décisionnel rapide quant à une demande d’asile n’est pas forcément et dans tous les cas illégale. Or ce qui est prétendu, c’est que la détention en vue d’un traitement rapide « pour des raisons de commodité administrative » ne relève pas du paragraphe 1 f) ; il faudrait qu’un autre facteur justifiât l’exercice du pouvoir de placer un individu en détention, comme le risque qu’il ne prenne la fuite, ne commette une infraction ou n’agisse de manière contraire au bien public. (...)

Il convient (...) de garder à l’esprit que le pouvoir de mettre une personne en détention est destiné à « empêcher » une entrée irrégulière. A mes yeux, tant que l’Etat n’a pas « autorisé » l’entrée, celle-ci est irrégulière. L’Etat peut placer l’intéressé en détention sans pour autant violer l’article 5 tant que la demande n’a pas été examinée et que l’entrée n’a pas été « autorisée ». (...)

Il reste à savoir si, en admettant qu’une détention qui vise à permettre le traitement rapide d’une demande d’asile relève bien de l’article 5 § 1 f), « la détention était illégale au motif qu’elle constituait une mesure disproportionnée aux exigences raisonnables du contrôle de l’immigration ». (...)

La nécessité de disposer d’un mécanisme fortement structuré et très bien géré – que perturberait l’absence ou le retard de l’intéressé à un entretien auquel il est convoqué – est évidente. A l’inverse, les demandeurs qui ne vivent pas au centre d’Oakington mais à l’endroit de leur choix subiraient forcément des désagréments considérables s’ils devaient être disponibles en permanence et à bref délai pour répondre à des questions.

Il est regrettable de priver quelqu’un de sa liberté autrement qu’en vertu d’une décision judiciaire, mais il est des situations où une telle mesure est justifiée. Dans un contexte comme celui-ci, caractérisé par des chiffres astronomiques, des décisions difficiles à prendre et un risque de longs délais d’attente pour ceux qui souhaitent entrer, il faut mettre les choses en balance. L’obtention d’une décision rapide est dans l’intérêt non seulement des demandeurs eux-mêmes, mais aussi des personnes en nombre croissant qui attendent leur tour. J’estime que les mesures prises au centre d’Oakington offrent des conditions raisonnables tant aux individus qu’aux familles et que les durées en cause ne sont nullement excessives, et considère dès lors que la balance penche pour la reconnaissance du caractère proportionné et raisonnable de la détention dans le cadre du système d’Oakington. Il me semble que, loin d’agir de manière arbitraire, le ministre a fait tout ce que l’on pouvait attendre de lui pour atténuer les rigueurs de la privation de liberté imposée au Royaume-Uni à de nombreux demandeurs d’asile. »

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A.  La loi de 1971 sur l’immigration

1.  La détention

19.  A l’article 2 de son annexe 2, la loi de 1971 sur l’immigration (« la loi de 1971 ») habilite un agent de l’immigration à interroger toute personne arrivant au Royaume-Uni afin de déterminer s’il y a lieu de l’autoriser à y entrer. L’article 16 § 1 de l’annexe 2 dispose :

« Une personne susceptible de devoir subir un interrogatoire en vertu de l’article 2 (...) peut être placée en détention sur décision d’un agent de l’immigration, en attendant son interrogatoire et l’adoption d’une décision lui accordant ou lui refusant l’autorisation d’entrer. »

Les articles 8, 9 et 10 de l’annexe 2 permettent à un agent de l’immigration de procéder à l’éloignement d’une personne qui s’est vu refuser l’autorisation d’entrer ou qui est entrée illégalement. Par ailleurs, l’article 16 § 2 de l’annexe 2 (après amendement par la loi de 1999 sur l’immigration et l’asile – « la loi de 1999 ») est ainsi libellé :

« S’il existe des motifs raisonnables de penser qu’une personne est susceptible de faire l’objet d’instructions fondées sur l’article 8, 9 ou 10 (...), elle peut être placée en détention sur décision d’un agent de l’immigration, en attendant :

a)  l’adoption de la décision de donner ou non pareilles instructions ;

b)  la mesure d’éloignement en exécution de pareilles instructions. »

2.  L’admission provisoire

20.  L’article 21 § 1 de l’annexe 2 de la loi de 1971 habilite un agent de l’immigration à accorder une admission provisoire au Royaume-Uni à toute personne susceptible d’être placée en détention. L’article 21 § 2 (après amendement par la loi de 1999) dispose :

« Tant qu’une personne se trouve en liberté au Royaume-Uni en vertu du présent article, elle est soumise à des restrictions quant à son lieu de résidence, à son emploi ou à son activité, ainsi qu’à l’obligation de rendre compte à la police ou à un agent de l’immigration, qui peuvent de temps à autre lui être notifiées par écrit par un agent de l’immigration. »

Les alinéas 2A) à 2E) de cette disposition donnent au ministre le pouvoir d’édicter des règlements qui imposent des restrictions relatives au lieu de résidence des personnes bénéficiant de l’admission provisoire.

21.  L’article 11 de la loi de 1971 énonce :

« Aux fins de la présente loi, une personne arrivant au Royaume-Uni par voie maritime ou aérienne est réputée ne pas être entrée au Royaume-Uni tant qu’elle n’a pas débarqué. A son débarquement dans un port, elle est également réputée ne pas être entrée au Royaume-Uni tant qu’elle demeure dans la zone (éventuelle) du port désignée à cet effet par un agent de l’immigration. Une personne qui n’est pas entrée d’une autre manière au Royaume-Uni est réputée ne pas l’avoir fait tant qu’elle est détenue ou qu’elle bénéficie d’une admission provisoire ou d’une remise en liberté tout en étant susceptible d’être placée en détention (...) »

Dans l’affaire Szoma (FC) v. Secretary of State for the Department of Work and Pensions ([2005] UKHL 64), la Chambre des lords a déclaré que l’article 11 de la loi de 1971 avait pour objet de priver une personne admise provisoirement du bénéfice des droits reconnus à ceux qui ont été autorisés à pénétrer dans le pays – en particulier du droit de demander la prolongation du permis de séjour – mais que néanmoins un étranger ayant obtenu une admission provisoire « séjourn[ait] légalement » au Royaume-Uni aux fins des droits à la sécurité sociale.

B.  La politique en matière de détention et d’admission provisoire qui était suivie avant la mise en place du système d’Oakington

22.  Avant le mois de mars 2000, époque où fut annoncée l’ouverture du centre d’Oakington (paragraphe 23 ci-dessous), la politique du ministère de l’Intérieur sur le recours à la détention était ainsi présentée dans un livre blanc (document d’orientation publié en 1998) intitulé « Equité, rapidité, fermeté : une approche moderne de l’immigration et de l’asile » (« Fairer, Faster and Firmer – A Modern Approach to Immigration and Asylum »), (Cm 4018) (paragraphe 12.3) :

« Le Gouvernement a décidé que, en présence d’une présomption favorable à l’octroi d’une admission provisoire ou d’une remise en liberté, la détention est en principe justifiée dans les circonstances suivantes :

•  lorsqu’il y a des motifs raisonnables de penser qu’une personne ne respectera pas les conditions de l’admission provisoire ou de la libération temporaire ;

•  dans le but de clarifier au stade initial l’identité d’une personne et le fondement de sa demande ;

•  lorsque la mesure d’éloignement est imminente. Si en particulier il y a une volonté systématique de se soustraire au contrôle de l’immigration, la détention est justifiée dès lors que l’un ou plusieurs de ces critères sont satisfaits. »

Le paragraphe 12.11 du livre blanc précisait que la détention devait durer le moins de temps possible, et le paragraphe 12.7 exigeait que les motifs en soient indiqués par écrit lors de la mise en détention.

C.  Le centre de rétention d’Oakington

23.  Le 16 mars 2000, répondant par écrit à une question parlementaire, la ministre et députée Barbara Roche annonça un changement de politique :

« Le centre de rétention d’Oakington va renforcer notre capacité à traiter rapidement les demandes d’asile, dont beaucoup s’avèrent dénuées de fondement. En marge des critères actuels, un individu sera placé en détention dans ce centre si sa demande semble se prêter à un traitement rapide, y compris si elle peut être déclarée manifestement dénuée de fondement. Le centre d’Oakington examinera les demandes émanant d’individus adultes et de familles avec enfants (pour ces dernières, un hébergement séparé est prévu), mais non les demandes de mineurs non accompagnés. La détention durera dans un premier temps sept jours environ, afin de permettre l’interrogatoire des demandeurs et l’adoption d’une décision initiale. Une consultation juridique sera possible sur place. Si la demande ne peut pas être tranchée dans l’intervalle mentionné, le demandeur se verra accorder une admission provisoire ou, si nécessaire et conformément aux critères existants, sera transféré dans un autre lieu de rétention. Si la demande est rejetée, une décision concernant le maintien en détention sera prise de même, suivant les critères existants. Dans ce dernier cas de figure, la détention interviendra en principe afin de permettre l’exécution d’une mesure d’éloignement, ou s’il est manifeste que l’intéressé ne restera pas en contact avec les services de l’immigration. »

24.  La décision sur le point de savoir si une demande d’asile peut être tranchée au centre d’Oakington repose principalement sur la nationalité de l’intéressé. Selon le manuel du ministère de l’Intérieur sur les modalités pratiques (Operational Enforcement Manual), la détention au centre d’Oakington est contre-indiquée notamment dans les situations suivantes : pour « tous les cas qui ne paraissent pas pouvoir déboucher sur une décision rapide » ; si l’intéressé est mineur ; s’il est handicapé ; s’il a été victime d’actes de torture ; « s’il y a des raisons de penser que le régime assoupli du centre ne convient pas dans un cas donné, notamment si l’on juge que l’intéressé risque de s’enfuir ».

25.  Le centre de rétention se trouve dans une ancienne caserne située près d’Oakington, dans le comté de Cambridgeshire. Il comporte des clôtures d’enceinte élevées et des portails verrouillés ; des gardiens en assurent la sécurité vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Le site est vaste et dispose d’une superficie permettant les activités récréatives de plein air et la vie sociale. Une consultation juridique est possible sur place. Le centre possède une cantine, une bibliothèque, un service médical, une pièce pour les visites ainsi qu’une salle destinée au culte religieux. Les demandeurs d’asile et les personnes à leur charge peuvent en général circuler librement sur le site mais doivent prendre leurs repas et regagner leurs chambres à heure fixe. Les individus de sexe masculin sont hébergés séparément des femmes et des enfants et ne peuvent passer la nuit auprès de leur famille. Les détenus doivent ouvrir leur courrier devant les agents de sécurité et présenter une pièce d’identité si on le leur demande, se présenter lors des appels et se plier aux autres ordres donnés.

III.  LES TEXTES JURIDIQUES INTERNATIONAUX PERTINENTS

A.  Traités, déclarations, conclusions, principes directeurs et rapports internationaux

1.  La Convention de Vienne sur le droit des traités (1969)

26.  En son article 31, la Convention de Vienne sur le droit des traités (entrée en vigueur le 27 janvier 1980) dispose :

« Règle générale d’interprétation

1.  Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but.

2.  Aux fins de l’interprétation d’un traité, le contexte comprend, outre le texte, préambule et annexes inclus :

a)  tout accord ayant rapport au traité et qui est intervenu entre toutes les parties à l’occasion de la conclusion du traité ;

b)  tout instrument établi par une ou plusieurs parties à l’occasion de la conclusion du traité et accepté par les autres parties en tant qu’instrument ayant rapport au traité.

3.  Il sera tenu compte, en même temps que du contexte :

a)  de tout accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de l’interprétation du traité ou de l’application de ses dispositions ;

b)  de toute pratique ultérieurement suivie dans l’application du traité par laquelle est établi l’accord des parties à l’égard de l’interprétation du traité ;

c)  de toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties.

4.  Un terme sera entendu dans un sens particulier s’il est établi que telle était l’intention des parties. »

27.  L’article 32 de la Convention est ainsi libellé :

« Moyens complémentaires d’interprétation

Il peut être fait appel à des moyens complémentaires d’interprétation, et notamment aux travaux préparatoires et aux circonstances dans lesquelles le traité a été conclu, en vue, soit de confirmer le sens résultant de l’application de l’article 31, soit de déterminer le sens lorsque l’interprétation donnée conformément à l’article 31 :

a)  laisse le sens ambigu ou obscur ; ou

b)  conduit à un résultat qui est manifestement absurde ou déraisonnable. »

28.  L’article 33 énonce :

« Interprétation de traités authentifiés en deux ou plusieurs langues

1.  Lorsqu’un traité a été authentifié en deux ou plusieurs langues, son texte fait foi dans chacune de ces langues, à moins que le traité ne dispose ou que les parties ne conviennent qu’en cas de divergence un texte déterminé l’emportera.

(...)

3.  Les termes d’un traité sont présumés avoir le même sens dans les divers textes authentiques.

4.  Sauf le cas où un texte déterminé l’emporte conformément au paragraphe 1, lorsque la comparaison des textes authentiques fait apparaître une différence de sens que l’application des articles 31 et 32 ne permet pas d’éliminer, on adoptera le sens qui, compte tenu de l’objet et du but du traité, concilie le mieux ces textes. »

2.  La Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH)

29.  L’article 3 de la DUDH garantit le droit à la vie, à la liberté et à la sûreté ; l’article 9 consacre le droit de ne pas être arbitrairement arrêté, détenu ou exilé ; l’article 13 assure le droit de circuler librement et de choisir sa résidence.

30.  L’article 14 § 1 déclare que « toute personne » possède le droit fondamental « de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays ».

3.  Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP)

31.  Aux termes de l’article 9 § 1 du PIDCP :

« Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut faire l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraire. Nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n’est pour des motifs, et conformément à la procédure prévus par la loi. »

Dans sa jurisprudence relative à cet article, le Comité des droits de l’homme des Nations unies (« le Comité des droits de l’homme ») a déclaré, notamment, que le manquement des services de l’immigration à se pencher sur des considérations propres à l’intéressé, telles que le risque de fuite et le manque de coopération avec lesdits services, et sur l’existence de moyens moins contraignants d’atteindre les mêmes objectifs, pouvait rendre arbitraire la détention d’un demandeur d’asile (A. c. Australie, communication no 560/1993, CCPR/C/59/D/560/1993 ; C. c. Australie, communication no 900/1999, CCPR/C/76/D/900/1999). Dans A. c. Australie, le Comité des droits de l’homme a observé :

« [I]l ne faut pas donner au mot « arbitraire » le sens de « contraire à la loi », mais (...) il faut l’interpréter plus largement pour viser notamment ce qui est inapproprié et injuste. De plus, la détention provisoire pourrait être considérée comme arbitraire si elle n’est pas nécessaire à tous égards, par exemple pour éviter que l’intéressé ne prenne la fuite ou soustraie des preuves : l’élément de proportionnalité doit intervenir ici. »

32.  L’article 12 du PIDCP protège la liberté de circulation des personnes qui « se trouve[nt] légalement sur le territoire ». Selon la jurisprudence du Comité des droits de l’homme, une personne qui a déposé une demande d’asile en bonne et due forme est réputée « se trouve[r] légalement sur le territoire » (Celepli c. Suède, communication no 456/1991, CCPR/C/51/D/456/1991).

4.  La Convention relative au statut des réfugiés (Genève, 1951 – « la Convention sur les réfugiés »)

33.  La Convention sur les réfugiés (entrée en vigueur le 22 avril 1954), avec son Protocole de 1967, interdit de manière générale aux Etats contractants d’expulser ou de refouler une personne craignant avec raison d’être persécutée sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques (articles 1 et 33). L’article 31 dispose :

« Réfugiés en situation irrégulière dans le pays d’accueil

1.  Les Etats contractants n’appliqueront pas de sanctions pénales, du fait de leur entrée ou de leur séjour irréguliers, aux réfugiés qui, arrivant directement du territoire où leur vie ou leur liberté était menacée au sens prévu par l’article premier, entrent ou se trouvent sur leur territoire sans autorisation, sous la réserve qu’ils se présentent sans délai aux autorités et leur exposent des raisons reconnues valables de leur entrée ou présence irrégulières.

2.  Les Etats contractants n’appliqueront aux déplacements de ces réfugiés d’autres restrictions que celles qui sont nécessaires ; ces restrictions seront appliquées seulement en attendant que le statut des réfugiés dans le pays d’accueil ait été régularisé ou qu’ils aient réussi à se faire admettre dans un autre pays. En vue de cette dernière admission les Etats contractants accorderont à ces réfugiés un délai raisonnable ainsi que toutes facilités nécessaires. »

34.  Le 13 octobre 1986, le Comité exécutif du Programme du Haut Commissaire des Nations unies pour les réfugiés adopta la conclusion no 44 (XXXVII) – 1986 sur la détention des réfugiés et des personnes en quête d’asile. Expressément approuvée par l’Assemblée générale (Résolution 41/124) le 4 décembre 1986, cette conclusion est ainsi libellée :

« Le Comité exécutif,

Rappelant l’Article 31 de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés,

Rappelant, par ailleurs, sa conclusion no 22 (XXXII) relative à la protection des personnes en quête d’asile en cas d’arrivées massives ainsi que sa conclusion no 7 (XXVIII), paragraphe e), relative à la question de la détention, préventive ou non, liée à l’expulsion de réfugiés se trouvant régulièrement dans un pays, et sa conclusion no 8 (XXVIII), paragraphe e), relative à la détermination du statut de réfugié,

Notant que le terme « réfugié » employé dans les présentes Conclusions est à entendre dans le même sens que celui de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, et sans préjudice de définitions plus larges applicables dans différentes régions,

a)  Note avec une profonde préoccupation qu’un grand nombre de réfugiés et de demandeurs d’asile dans différentes régions du monde font actuellement l’objet de détention ou de mesures restrictives similaires du fait de leur entrée ou de leur séjour irréguliers en vue d’obtenir l’asile, dans l’attente d’une solution à leur situation ;

b)  Exprime l’opinion qu’au vu des souffrances qu’elle entraîne, la détention doit normalement être évitée. En cas de nécessité, on peut avoir recours à la détention, mais seulement pour des raisons prévues par la loi pour procéder à des vérifications d’identité, déterminer les éléments constitutifs de la demande de réfugié ou d’asile, traiter les cas où des réfugiés et des demandeurs d’asile ont détruit leurs documents de voyage et/ou d’identité ou se sont servis de faux documents afin d’induire en erreur les autorités de l’Etat dans lequel ils ont l’intention de demander asile, ou sauvegarder la sécurité nationale ou l’ordre public ;

c)  Reconnaît l’importance de procédures équitables et rapides concernant la détermination du statut de réfugié ou pour l’octroi de l’asile, afin de protéger les réfugiés et les demandeurs d’asile de détentions injustifiées ou indûment prolongées ;

d)  Souligne l’importance pour la législation nationale et/ou les pratiques administratives d’établir la distinction nécessaire entre la situation des réfugiés et demandeurs d’asile, et celle des autres étrangers ;

e)  Recommande que les mesures de détention prises à l’égard de réfugiés et de demandeurs d’asile fassent l’objet de recours judiciaires et administratifs ;

f)  Souligne que les conditions de détention des réfugiés et des demandeurs d’asile doivent être humaines. En particulier, les réfugiés et les demandeurs d’asile ne doivent pas, dans la mesure du possible, être emprisonnés avec des personnes détenues en tant que criminels de droit commun, et ne doivent pas être installés dans des régions où leur sécurité physique est menacée ;

g)  Recommande que les réfugiés et demandeurs d’asile qui sont détenus aient la possibilité de contacter le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés ou, s’il n’a pas établi de présence, les agences nationales existantes s’occupant de l’assistance aux réfugiés ;

h)  Réaffirme que les réfugiés et les demandeurs d’asile ont, à l’égard du pays où ils se trouvent, des devoirs qui comportent notamment l’obligation de se conformer aux lois et règlements ainsi qu’aux mesures prises pour le maintien de l’ordre public ;

i)  Réaffirme l’importance fondamentale de respecter le principe de non-refoulement et rappelle, dans ce contexte, la pertinence de la conclusion no 6 (XXVIII). »

35.  En 1995, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) émit des principes directeurs aux fins d’assurer l’application de la conclusion no 44. Révisés et republiés le 10 février 1999, ceux-ci énoncent clairement que la détention des demandeurs d’asile est « indésirable en soi ». Le principe directeur 3 dispose :

« Il est possible d’avoir exceptionnellement recours à la détention des demandeurs d’asile pour les raisons décrites ci-dessous, à condition que ce soit (...) en conformité avec les principes et les normes généraux de la législation internationale des droits de l’homme [notamment l’article 9 du PIDCP]. (...) Là où des mécanismes de contrôle peuvent être employés comme alternatives viables à la détention (telles les obligations de présence ou la nécessité d’un garant (...)), celles-ci devraient être appliquées en premier, à moins qu’il n’existe des éléments tangibles suggérant que de telles alternatives ne seront pas efficaces dans le cas individuel en question. La détention ne devrait avoir lieu qu’après l’examen complet de toutes les alternatives possibles, ou lorsqu’il a été démontré que les mécanismes de contrôle n’ont pas atteint leur but légal et légitime. »

Il se poursuit ainsi :

« (...) on ne devrait faire usage de la détention des demandeurs d’asile que si cela s’avère nécessaire :

i.  Pour vérifier l’identité.

Dans les cas où l’identité est indéterminée ou controversée.

ii.  Pour déterminer les éléments sur lesquels s’appuie la demande du statut de réfugié ou d’asile.

Ceci signifie que le demandeur d’asile peut être détenu exclusivement pour les besoins d’un entretien préliminaire destiné à identifier sur quoi se base la demande d’asile. Ceci comprendrait seulement la clarification des faits essentiels qui motivent la demande d’asile et non l’obtention d’informations plus précises pour la détermination du bien-fondé, ou autres, de la demande. Cette exception à la règle générale ne peut être utilisée pour justifier la détention pendant toute la procédure de détermination du statut, ni pour une durée indéterminée.

iii.  Dans les cas où les demandeurs d’asile ont détruit leurs documents de voyage et/ou d’identité ou ont utilisé de faux documents afin de tromper les autorités de l’Etat où ils ont l’intention de demander asile.

Ce qui doit être établi est l’absence de bonne foi, de la part du demandeur, au cours du processus de vérification d’identité. (...) Les demandeurs d’asile arrivant sans document, parce qu’ils ne sont pas en mesure d’en obtenir dans leur pays d’origine, ne devraient pas être détenus pour cette seule raison. (...) »

36.  Le 18 décembre 1998, le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire formula la recommandation suivante dans un rapport sur sa mission au Royaume-Uni (E/CN.4/1999/63/Add.3) :

« Le Gouvernement devrait s’assurer que les demandeurs d’asile ne sont détenus que pour des motifs légitimes au regard du droit international et seulement en dernier recours (...)

Des mesures de substitution et non privatives de liberté telles que l’obligation de se présenter régulièrement aux autorités devraient toujours être envisagées avant de recourir à la détention.

Les autorités de détention doivent déterminer si la détention est absolument nécessaire au regard des antécédents personnels de chaque demandeur d’asile.

(...) »

B.  Textes adoptés au sein du Conseil de l’Europe

37.  En 2003, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe adopta une recommandation (Rec(2003)5) déclarant notamment :

« L’objectif de la détention n’est pas de sanctionner les demandeurs d’asile. Les mesures de détention concernant les demandeurs d’asile ne peuvent être utilisées que pour l’une ou l’autre des raisons suivantes : a)  lorsque leur identité, y compris leur nationalité, demande, en cas de doute, à être vérifiée, notamment quand l’intéressé a détruit son titre de voyage ou ses papiers d’identité, ou a utilisé de faux papiers pour tromper les autorités du pays d’accueil ; b)  lorsque les éléments sur lesquels se fonde la demande d’asile et qui, en l’absence de détention, ne pouvaient pas être fournis, demandent à être établis ; c)  lorsqu’une décision doit être prise en ce qui concerne leur droit d’entrée dans le territoire de l’Etat concerné ; ou d)  lorsque la protection de la sécurité nationale et l’ordre public l’exigent. (...) Il ne faudrait appliquer des mesures de détention aux demandeurs d’asile qu’après avoir examiné avec soin, et dans chaque cas, si elles sont nécessaires. Ces mesures devraient alors être adaptées, temporaires, non arbitraires et durer le moins longtemps possible. Ces mesures doivent être appliquées dans le respect de la loi et en conformité avec les normes établies par les instruments internationaux pertinents et par la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme. (...) Avant de recourir aux mesures de détention, il faudrait envisager d’autres mesures, non privatives de liberté, applicables au cas particulier. (...) »

38.  Le 8 juin 2005, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, dans son rapport sur sa visite au Royaume-Uni (CommDH(2005)6), releva ce qui suit :

« [Les] procédures [d’asile] posent un certain nombre de problèmes que je souhaiterais soulever. Le premier concerne le recours fréquent à la détention des demandeurs d’asile dès le lancement de la procédure. Bien que la détention ne soit pas automatique dans de telles procédures, elle semble largement utilisée ; les plans réalisés en vue d’augmenter les possibilités des centres de détention précisément dans ce domaine suggèrent que le Royaume-Uni s’oriente dans cette direction. Les autorités du Royaume-Uni m’ont fait savoir que les tribunaux avaient approuvé les détentions pour le seul motif que la demande d’asile est en cours d’examen. Je n’exclus pas que la possibilité de détention soit dans certaines circonstances appropriée, mais je ne crois pas que cela doit être la règle. Les centres ouverts qui offrent un hébergement et dans lequel se déroulent les formalités sont, je crois, la solution [la] plus appropriée à la grande majorité des demandeurs dont la requête peut déboucher sur une réponse rapide. »

C.  Instruments adoptés au sein de l’Union européenne

39.  L’article 18 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (2000) proclame : « Le droit d’asile est garanti dans le respect des règles de la [Convention sur les réfugiés] (...) »

40.  La Directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 (normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres – JO L 326), qui devra être transposée dans le droit interne des Etats membres pour le 1er décembre 2008, dispose en son article 7 :

« Les demandeurs sont autorisés à rester dans l’Etat membre, aux seules fins de la procédure, jusqu’à ce que l’autorité responsable de la détermination [se soit] prononcée conformément aux procédures en premier ressort prévues au chapitre III. Ce droit de rester dans l’Etat membre ne constitue pas un droit à un titre de séjour. »

Par ailleurs, l’article 18 de la directive se lit ainsi :

« 1.  Les Etats membres ne peuvent placer une personne en rétention au seul motif qu’elle demande l’asile.

2.  Lorsqu’un demandeur d’asile est placé en rétention, les Etats membres veillent à prévoir la possibilité d’un contrôle juridictionnel rapide. »

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION

41.  Le requérant allègue avoir été détenu au centre d’Oakington en violation de l’article 5 § 1 de la Convention, qui dispose :

« 1.  Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

a)  s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;

b)  s’il a fait l’objet d’une arrestation ou d’une détention régulières pour insoumission à une ordonnance rendue, conformément à la loi, par un tribunal ou en vue de garantir l’exécution d’une obligation prescrite par la loi ;

c)  s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;

d)  s’il s’agit de la détention régulière d’un mineur, décidée pour son éducation surveillée ou de sa détention régulière, afin de le traduire devant l’autorité compétente ;

e)  s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond ;

f)  s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. »

A.  Sur la question de savoir si le requérant a été privé de sa liberté

42.  Le Gouvernement ne conteste pas que la détention du requérant au centre d’Oakington s’analyse en une privation de liberté au sens de l’article 5 § 1. Pour la Grande Chambre, il est clair que, compte tenu du niveau d’enfermement appliqué au centre d’Oakington, M. Saadi a été privé de sa liberté, au sens de l’article 5 § 1, durant les sept jours où il a été détenu en cet endroit (voir, par exemple, Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, §§ 60-66, série A no 22).

43.  Les alinéas a) à f) de l’article 5 § 1 contiennent une liste exhaustive des motifs autorisant la privation de liberté ; pareille mesure n’est pas régulière si elle ne relève pas de l’un de ces motifs (voir, notamment, Witold Litwa c. Pologne, no 26629/95, § 49, CEDH 2000-III). En l’espèce, le principal argument du Gouvernement consiste à dire que la détention était justifiée au regard du premier volet de l’article 5 § 1 f) ; cependant, il soutient à titre subsidiaire que cette mesure était peut-être également fondée au regard de la seconde partie de l’alinéa en question. Dès lors, la Cour doit tout d’abord rechercher si le requérant a fait l’objet d’une détention régulière qui visait à « l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire ».

B.  Sur la question de savoir si la privation de liberté était justifiée au regard de l’alinéa f) de l’article 5 § 1

1.  L’arrêt de la chambre

44.  Dans son arrêt du 11 juillet 2006, la chambre a considéré, par quatre voix contre trois, que la détention litigieuse relevait du premier volet de l’article 5 § 1 f). Elle a observé qu’il était normal que les Etats, en vertu de leur « droit indéniable de contrôler (...) l’entrée et le séjour des étrangers sur leur territoire », aient la faculté de placer en détention des candidats à l’immigration ayant sollicité – que ce soit ou non par le biais d’une demande d’asile – l’autorisation de pénétrer sur le territoire. Tant que l’immigré potentiel n’avait pas été autorisé à demeurer dans le pays, il n’avait pas pénétré de façon régulière sur le territoire et la détention pouvait raisonnablement être considérée comme visant à l’empêcher d’entrer irrégulièrement.

45.  La chambre a ajouté que la détention d’une personne constituait une atteinte majeure à la liberté individuelle et devait toujours être soumise à un contrôle rigoureux. Lorsqu’un individu se trouvait légalement en liberté dans un pays, les autorités ne pouvaient le mettre en détention que si un « équilibre raisonnable » était ménagé entre les exigences de la société et la liberté de l’individu. Il en allait différemment pour les immigrés potentiels, qu’ils sollicitent ou non l’asile, dans la mesure où, tant que leurs demandes d’immigration et/ou d’asile n’avaient pas été examinées, ils n’étaient pas « autorisés » à se trouver sur le territoire. Sous réserve comme toujours du principe excluant l’arbitraire, la chambre admettait que pour décider s’il y avait lieu de mettre en détention des immigrés potentiels l’Etat jouissait d’une plus grande latitude que lorsqu’il s’agissait d’autres atteintes au droit à la liberté. Dès lors, l’article 5 § 1 f) n’exigeait nullement des motifs raisonnables de considérer la détention d’une personne comme nécessaire pour empêcher celle-ci de pénétrer irrégulièrement sur le territoire, par exemple pour éviter qu’elle ne commît une infraction ou ne prît la fuite. Le seul impératif était que la détention fît véritablement partie du processus tendant à déterminer si l’intéressé devait se voir accorder l’autorisation d’immigrer et/ou l’asile, et que cette détention ne fût pas arbitraire à d’autres égards, par exemple en raison de sa durée.

46.  Pour la chambre, il était clair qu’en l’espèce la détention du requérant au centre d’Oakington avait constitué une application de bonne foi de la politique relative aux décisions « accélérées » en matière d’immigration. Sur la question de l’arbitraire, la chambre a noté que l’intéressé avait été remis en liberté après avoir été débouté de sa demande d’asile, s’être vu refuser l’autorisation d’entrer au Royaume-Uni et avoir formé un recours. Sa détention avait duré sept jours au total, laps de temps que la chambre n’a pas jugé excessif au regard des circonstances. Partant, celle-ci a conclu qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 5 § 1.

2.  Les thèses des parties

a)  Le Gouvernement

47.  Devant la Grande Chambre, le Gouvernement met l’accent sur divers aspects factuels de l’affaire. Premièrement, il souligne que le requérant n’a été détenu que pendant sept jours, et ce dans le cadre du régime assoupli du centre d’Oakington, où il avait accès à des conseils juridiques et à d’autres services. Deuxièmement, il indique que comme toutes les autres personnes retenues au centre l’intéressé sollicitait l’autorisation d’entrer au Royaume‑Uni sur le fondement du droit d’asile et des droits de l’homme, et en vertu de la Convention sur les réfugiés (paragraphe 33 ci-dessus) et de la Convention européenne des droits de l’homme. Le fait qu’on lui eût auparavant accordé une admission provisoire pour une courte période, en remplacement d’une mise en détention, ne changeait pas sa situation, qui était celle d’une personne demandant l’autorisation de pénétrer dans le pays. Troisièmement, le Gouvernement affirme que si le requérant a été détenu, c’était pour permettre l’examen à bref délai de sa demande et l’adoption rapide d’une décision sur le point de savoir s’il fallait lui accorder ou non l’autorisation d’entrer. Les juridictions nationales ont évoqué le nombre de plus en plus élevé d’individus sollicitant l’asile au Royaume-Uni à l’époque de la détention de l’intéressé (paragraphes 17 et 18 ci-dessus) et ont reconnu que le système d’Oakington jouait un rôle central dans la procédure suivie par l’Etat pour traiter avec équité et sans retard excessif ce type de demandes.

48.  Le Gouvernement soutient que la formule « pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement » dans le pays reflète la situation de fait d’une personne qui souhaite entrer dans le pays sans en avoir l’autorisation. A ses yeux, l’article 5 § 1 f) reconnaît qu’il peut y avoir détention lorsque l’Etat est amené à décider d’accorder ou non l’autorisation, dans l’exercice de sa responsabilité souveraine de contrôler l’entrée et la présence des étrangers sur son territoire, qui, comme les juridictions nationales l’ont observé, est depuis longtemps reconnue en droit international.

49.  Le Gouvernement s’appuie sur l’arrêt Chahal c. Royaume-Uni (15 novembre 1996, Recueil 1996-V), dans lequel la Grande Chambre a jugé, au sujet de la seconde partie de l’article 5 § 1 f), que « [c]ette disposition (...) n’exige pas que la détention d’une personne contre laquelle une procédure d’expulsion est en cours soit considérée comme raisonnablement nécessaire, par exemple pour l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir (...) » (ibidem, § 112). Le Gouvernement estime qu’il n’y a aucune raison valable de distinguer entre les deux parties de l’article 5 § 1 f). En effet, pareille distinction reviendrait à estimer qu’une personne qui vit dans le pays peut être détenue dans le cadre d’une procédure d’expulsion même si cela n’est pas nécessaire pour l’empêcher de s’enfuir, tandis qu’une personne récemment entrée ne peut être détenue à l’occasion de son arrivée que si cela est nécessaire pour l’empêcher de s’enfuir.

50.  Par ailleurs, le Gouvernement nie que la détention du requérant ait été irrégulière ou arbitraire. Il juge manifeste, comme les juridictions nationales l’ont confirmé, à trois degrés successifs et à l’unanimité, que la détention de l’intéressé était conforme aux dispositions matérielles et procédurales du droit interne (paragraphes 16 à 18 ci-dessus). Selon lui, la détention n’était pas arbitraire puisque, comme la chambre l’a déclaré, cette mesure faisait partie intégrante du processus devant permettre de déterminer si l’individu concerné devait se voir accorder l’autorisation d’immigrer et/ou le droit d’asile, et que sa durée s’est limitée à ce qui était raisonnablement nécessaire à cette fin. Selon le Gouvernement, il est inapproprié de soutenir, comme le fait l’intéressé, que la détention était arbitraire parce que l’on aurait peut-être pu atteindre le même objectif en plaçant le requérant dans un « centre d’hébergement », où il aurait été soumis à des règles similaires en matière de résidence sans être enfermé, car cela revient à tenter de rétablir un critère de « nécessité » par le biais du principe excluant tout arbitraire. Quoi qu’il en soit, la Chambre des lords a jugé que dès lors que le calendrier était serré pour la tenue des entretiens, toute solution évitant le placement en détention aurait été moins efficace (paragraphe 18 ci-dessus).

b)  Le requérant

51.  Le requérant soutient que la Convention doit être interprétée conformément aux articles 31 à 33 de la Convention de Vienne sur le droit des traités (paragraphes 26 à 28 ci-dessus). Il ne conteste pas le droit souverain de l’Etat de contrôler l’entrée et la présence des étrangers sur son territoire, mais souligne que ce droit doit s’exercer d’une manière compatible avec les obligations internationales contractées par l’Etat, en particulier celles contenues dans la Convention, notamment à l’article 5. L’objectif défini dans la première partie de l’article 5 § 1 f) est d’empêcher l’immigration illégale, c’est-à-dire l’entrée et le séjour dans un pays par le contournement des modalités de contrôle de l’immigration. Il doit y avoir un lien de causalité direct et précis entre la détention et le risque d’une entrée irrégulière. Cet objectif est mis en exergue par le mot « pénétrer » (« his effecting » dans le texte anglais), qui indique que l’accent est placé sur la question de savoir si l’intéressé, s’il n’était pas détenu, pénétrerait de façon irrégulière. Or les faits de la cause montrent bien que s’il n’avait pas été détenu le requérant aurait été présent légalement au Royaume-Uni grâce à son « admission provisoire », qui lui conférait un statut « reconnu » (authorised) en fait et en droit (voir, notamment, la décision de la Chambre des lords dans l’affaire Szoma, paragraphe 21 ci-dessus). L’interprétation qu’il propose permettrait une détention initiale à des fins de vérification et d’appréciation du risque d’une entrée irrégulière présenté par l’individu concerné ; pareille mesure de détention fait partie intégrante du processus ordinaire de contrôle de l’immigration et vise clairement à empêcher une personne de pénétrer irrégulièrement dans le pays. En revanche, le requérant estime injustifié, au regard de l’article 5 § 1 f), de placer un individu en détention pour de simples raisons de commodité administrative.

52.  Le requérant évoque la jurisprudence de la Cour sur d’autres alinéas de l’article 5 § 1 – qui exige que l’on démontre au cas par cas la nécessité objective d’un placement en détention – ainsi que la jurisprudence du Comité des droits de l’homme des Nations unies (paragraphe 31 ci-dessus), et soutient que des principes similaires doivent s’appliquer dans le cadre de l’alinéa f). Même si, dans l’affaire Chahal (précitée), la Cour n’a pas exigé l’application du critère de nécessité à la détention de M. Chahal fondée sur la seconde partie de l’article 5 § 1 f), il existe une bonne raison de faire une distinction entre les deux volets. Tout d’abord, comme il ressort clairement du paragraphe 112 de l’arrêt Chahal, la différence opérée avec les autres alinéas de l’article 5 § 1 repose sur le libellé de la disposition au titre de laquelle M. Chahal était détenu, qui exige seulement qu’« une procédure d’expulsion [soit] en cours », alors que dans sa première partie l’article 5 § 1 f) indique que la détention doit viser à empêcher une personne de pénétrer irrégulièrement. Ensuite, eu égard aux circonstances de l’affaire Chahal, il est évident qu’une libération provisoire aurait été inappropriée puisqu’il était allégué que M. Chahal représentait une menace pour la sécurité nationale. En revanche, il conviendrait d’appliquer le critère de nécessité aux personnes qui, comme le requérant en l’espèce, ne sont pas « des auteurs d’infractions pénales mais (...) des étrangers qui, craignant souvent pour leur vie, fuient leur propre pays » (Amuur, précité, § 43).

53.  Comme pour tous les autres détenus du centre d’Oakington, on avait jugé que le requérant ne risquait pas de prendre la fuite, et l’unique objet de la privation de liberté de l’intéressé était de permettre l’adoption rapide d’une décision sur sa demande d’asile. Or cette raison était manifestement insuffisante aux fins de l’article 5 § 1 f), qui exige l’existence d’un risque, dans un cas donné, que l’intéressé ne pénètre irrégulièrement dans le pays. Le recours à la détention au centre d’Oakington était disproportionné, les autorités n’ayant pas essayé au préalable de prendre des mesures moins sévères (par exemple le placement dans un centre d’hébergement). De plus, certains éléments donnent à penser que la décision d’opter pour une détention au centre d’Oakington était motivée par la réaction des habitants du voisinage et des commissions d’urbanisme, et non par une nécessité manifeste de recourir à une telle mesure pour favoriser un traitement rapide des demandes d’asile.

3.  Les observations des tiers intervenants

a)  Le HCR

54.  Le HCR s’inquiète de ce que l’arrêt de la chambre, qui 1)  assimile la situation des demandeurs d’asile à celle des immigrants ordinaires, 2)  considère qu’un demandeur d’asile n’a dans les faits aucun statut juridique ou officiel avant l’acceptation de sa demande et 3)  rejette l’idée d’appliquer un critère de nécessité pour déterminer si la détention revêt ou non un caractère arbitraire, permet aux Etats de détenir les demandeurs d’asile pour des raisons d’opportunité dans un large éventail de situations qui ne se concilient pas avec les principes généraux du droit international des réfugiés et des droits de l’homme. Or, correctement interprété, l’article 5 § 1 f) offre une protection solide contre la détention des demandeurs d’asile. L’alinéa f) mentionne une tentative – l’entrée irrégulière – que la détention doit empêcher. Les demandeurs d’asile doivent être distingués des catégories générales des personnes entrant illégalement et des personnes susceptibles d’être expulsées. Pour que la détention d’un demandeur d’asile soit conforme à l’article 5 § 1 f), il faut un autre motif qu’une simple absence de décision sur la demande ; la détention doit de surcroît être nécessaire, en ce sens que des mesures moins contraignantes seraient insuffisantes, et être proportionnée à l’objectif poursuivi.

55.  Le HCR rappelle à la Cour que la Convention européenne des droits de l’homme, tout comme la Convention sur les réfugiés, doit être interprétée de manière à se concilier avec les autres règles de droit international, dont elle fait partie intégrante, en particulier lorsque ces autres règles figurent dans des traités relatifs aux droits de l’homme que les Etats parties à la Convention ont ratifiés et sont donc disposés à accepter (Al‑Adsani c. Royaume-Uni [GC], no 35763/97, § 55, CEDH 2001-XI). Elle doit de plus être interprétée de façon à garantir que les droits reçoivent une interprétation étendue tandis que leurs limitations sont interprétées restrictivement, d’une manière qui assure une protection concrète et effective des droits de l’homme, et comme un instrument vivant, à la lumière des conditions de vie actuelles et conformément à l’évolution du droit international de façon à refléter le niveau d’exigence croissant en matière de protection des droits de l’homme.

56.  En droit international, les Etats ont l’obligation de ne pas refouler les personnes qui sont entrées sur leur territoire ou qui se trouvent à leur frontière, et qui invoquent le droit fondamental de chercher asile et d’en bénéficier. Sauf en cas d’afflux massif, les Etats sont en outre tenus de permettre à ces personnes d’accéder à des procédures équitables et efficaces d’examen de leur demande (voir les articles 3 à 31 de la Convention sur les réfugiés, paragraphe 33 ci-dessus). Lorsqu’un Etat donne à un demandeur d’asile accès à une procédure et que l’intéressé respecte le droit interne, son entrée temporaire et sa présence sur le territoire national ne peuvent être considérées comme « irrégulières ». Une admission provisoire est précisément une autorisation en vertu de laquelle l’Etat accepte temporairement l’intéressé sur son territoire, conformément à la loi. Dans une telle situation, la personne en quête d’asile ne cherche pas à entrer de manière irrégulière ; au contraire, elle entre de manière provisoire mais régulière, afin que sa demande d’asile soit examinée (voir le paragraphe 31 de la Convention sur les réfugiés, paragraphe 33 ci-dessus, l’affaire Szoma, évoquée au paragraphe 21 ci-dessus, et l’article 7 de la directive 2005/85/CE du Conseil, paragraphe 40 ci-dessus).

57.  Le HCR invoque un certain nombre d’instruments internationaux relatifs à la détention des demandeurs d’asile, notamment l’article 9 du PIDCP tel qu’interprété par le Comité des droits de l’homme dans des affaires telles que A. c. Australie, l’article 31 de la Convention sur les réfugiés, la conclusion no 44 du Comité exécutif du Programme du Haut Commissaire des Nations unies pour les réfugiés, et les principes directeurs du HCR sur la détention des demandeurs d’asile (paragraphes 31 et 33 à 35 ci-dessus). Le HCR conclut que l’examen de la situation d’un demandeur d’asile peut impliquer une atteinte nécessaire et accessoire à la liberté ; toutefois, lorsque la détention est utilisée à des fins autorisées mais de manière globale et sans considération pour les situations particulières, ou pour de simples raisons d’opportunité ou de commodité administrative, elle ne satisfait pas au critère de nécessité imposé par le droit international des réfugiés et des droits de l’homme.

b)  Liberty, le Conseil européen pour les réfugiés et les exilés et AIRE Centre

58.  Ces trois organisations non gouvernementales soulignent que la présente affaire est la première où la Cour est appelée à se prononcer sur le sens de la première partie de l’article 5 § 1 f). Elles prient la Grande Chambre de poser pour principe général que 1) en l’absence d’éléments donnant à penser qu’un demandeur d’asile, s’il n’était mis en détention, pénétrerait ou chercherait à pénétrer irrégulièrement sur le territoire, pareille détention ne relève pas de l’article 5 § 1 f), et que 2) la détention de demandeurs d’asile qui relève de l’article 5 § 1 f) – comme la détention fondée sur les autres alinéas de l’article 5 § 1 et la restriction moindre de la liberté de circulation prévue à l’article 2 du Protocole no 4 – doit être soumise aux critères de nécessité et de proportionnalité.

59.  La position de la chambre, fondée sur le constat que la détention d’une personne en quête d’asile relève de la deuxième partie de l’article 5 § 1 f) tant que sa demande n’a pas donné lieu à une décision positive, se concilie mal avec le principe suivant lequel un demandeur d’asile qui a présenté une demande de protection internationale en bonne et due forme se trouve ipso facto régulièrement sur le territoire d’un Etat au sens de l’article 2 du Protocole no 4 ainsi que de l’article 12 du PIDCP (paragraphe 32 ci‑dessus). S’il est vrai, comme l’a observé la chambre, qu’une détention qui se prolonge peut devenir arbitraire alors qu’elle ne l’était pas au départ, l’inverse n’est pas vrai : sa brièveté ne saurait justifier une détention qui n’est pas nécessaire. L’article 5 § 1 f) de la Convention doit être interprété en conformité avec l’article 9 du PIDCP (paragraphe 31 ci-dessus), qui exige que toute privation de liberté imposée dans le cadre du contrôle de l’immigration soit légale, nécessaire et proportionnée. De plus, il serait inopportun que la Cour, dans le premier arrêt de Grande Chambre relatif au premier volet de l’article 5 § 1 f), adopte un niveau de protection moins élevé que celui que les Etats membres ont d’ores et déjà approuvé par le biais du Comité des Ministres (paragraphe 37 ci-dessus) ou que celui qui s’applique aux simples restrictions à la liberté de circulation prévues à l’article 2 du Protocole no 4.

60.  Dans bon nombre d’Etats, la base juridique précise de la détention des demandeurs d’asile est incertaine, mais les affaires sont peu susceptibles d’arriver jusqu’aux tribunaux à cause des difficultés de langue, de l’absence de représentation juridique et du fait que les intéressés craignent qu’une plainte quant à leur détention compromette l’issue de leur demande. Le caractère arbitraire de pareille détention se trouverait exacerbé si la Grande Chambre devait confirmer la position adoptée par la chambre et laisser aux Etats toute latitude pour priver les personnes en quête d’asile de leur liberté pendant l’examen de leur demande, sans avoir à démontrer que la détention est nécessaire dans le but précisé à l’article 5 § 1 f), c’est-à-dire pour empêcher les intéressés de pénétrer irrégulièrement sur le territoire.

4.  L’appréciation de la Cour

a)  Sur le sens de la formule « pour (...) empêcher [une personne] de pénétrer irrégulièrement dans le territoire »

61.  Par la présente affaire, la Cour est appelée pour la première fois à interpréter le sens des termes de la première branche de l’article 5 § 1 f), à savoir « la détention régulièr[e] d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire » (en anglais : « lawful (...) detention of a person to prevent his effecting an unauthorised entry into the country ». Pour déterminer le sens de cette formule dans le contexte de la Convention, la Cour s’inspirera, comme toujours, des articles 31 à 33 de la Convention de Vienne sur le droit des traités (voir les paragraphes 26 à 28 ci-dessus et, par exemple, Golder c. Royaume-Uni, 21 février 1975, § 29, série A no 18, Johnston et autres c. Irlande, 18 décembre 1986, §§ 51 et suivants, série A no 112, Lithgow et autres c. Royaume-Uni, 8 juillet 1986, §§ 114 et 117, série A no 102, et Witold Litwa, précité, §§ 57-59).

62.  En vertu de la Convention de Vienne sur le droit des traités, la Cour doit établir le sens ordinaire à attribuer aux termes dans leur contexte et à la lumière de l’objet et du but de la disposition dont ils sont tirés (voir Golder, précité, § 29, Johnston et autres, précité, § 51, et l’article 31 § 1 de la Convention de Vienne). Elle doit tenir compte du fait que le contexte de la disposition réside dans un traité pour la protection effective des droits individuels de l’homme, et que la Convention doit se lire comme un tout et s’interpréter de manière à promouvoir sa cohérence interne et l’harmonie entre ses diverses dispositions (Stec et autres c. Royaume-Uni (déc.) [GC], nos 65731/01 et 65900/01, § 48, CEDH 2005-X). La Cour doit également prendre en considération toute règle et tout principe de droit international applicables aux relations entre les Parties contractantes (voir Al‑Adsani, précité, § 55, et Bosphorus Hava Yolları Turizm ve Ticaret Anonim Şirketi c. Irlande [GC], no 45036/98, § 150, CEDH 2005-VI ; voir également l’article 31 § 3 c) de la Convention de Vienne). Il peut aussi être fait appel à des moyens complémentaires d’interprétation, notamment aux travaux préparatoires de la Convention, soit pour confirmer un sens déterminé conformément aux étapes évoquées plus haut, soit pour établir le sens lorsqu’il serait autrement ambigu, obscur ou manifestement absurde ou déraisonnable (article 32 de la Convention de Vienne).

63.  En examinant le but et l’objet de l’article 5 dans son contexte et les éléments de droit international, la Cour tient compte de l’importance de cette disposition dans le système de la Convention : elle consacre un droit fondamental de l’homme, à savoir la protection de l’individu contre les atteintes arbitraires de l’Etat à sa liberté (voir, notamment, Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 37, série A no 33, et Brogan et autres c. Royaume-Uni, 29 novembre 1988, § 58, série A no 145-B).

64.  Si la règle générale exposée à l’article 5 § 1 est que toute personne a droit à la liberté, l’alinéa f) de cette disposition prévoit une exception en permettant aux Etats de restreindre la liberté des étrangers dans le cadre du contrôle de l’immigration. Ainsi que la Cour l’a déjà observé, sous réserve de leurs obligations en vertu de la Convention, les Etats jouissent du « droit indéniable de contrôler souverainement l’entrée et le séjour des étrangers sur leur territoire » (Amuur, précité, § 41, Chahal, précité, § 73, Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, §§ 67-68, série A no 94). La faculté pour les Etats de placer en détention des candidats à l’immigration ayant sollicité – par le biais d’une demande d’asile ou non – l’autorisation d’entrer dans le pays est un corollaire indispensable de ce droit. Il ressort de la teneur de l’arrêt Amuur que la détention d’immigrés potentiels, notamment de demandeurs d’asile, peut se concilier avec l’article 5 § 1 f).

65.  Sur ce point, la Grande Chambre souscrit à la position de la Cour d’appel, de la Chambre des lords et de la chambre consistant à dire que, tant qu’un Etat n’a pas « autorisé » l’entrée sur son territoire, celle-ci est « irrégulière », et que la détention d’un individu souhaitant entrer dans le pays mais ayant pour cela besoin d’une autorisation dont il ne dispose pas encore peut viser – sans que la formule soit dénaturée – à « empêcher [l’intéressé] de pénétrer irrégulièrement ». La Grande Chambre rejette l’idée que, si un demandeur d’asile se présente de lui-même aux services de l’immigration, cela signifie qu’il cherche à pénétrer « régulièrement » dans le pays, avec cette conséquence que la détention ne peut se justifier sous l’angle de la première partie de l’article 5 § 1 f). Lire celle-ci comme autorisant uniquement la détention d’une personne dont il est établi qu’elle tente de se soustraire aux restrictions à l’entrée reviendrait à interpréter de manière trop étroite les termes de la disposition ainsi que le pouvoir de l’Etat d’exercer l’indéniable droit de contrôle évoqué plus haut. De plus, pareille interprétation cadrerait mal avec la conclusion no 44 du Comité exécutif du Programme du Haut Commissaire des Nations unies pour les réfugiés, les Principes directeurs du HCR et la Recommandation du Comité des Ministres (paragraphes 34, 35 et 37 ci-dessus), textes qui envisagent tous la détention des demandeurs d’asile dans certaines circonstances, par exemple lors de vérifications d’identité ou quand il faut déterminer des éléments fondant la demande d’asile.

66.  Cependant, tout en considérant que la première partie de l’article 5 § 1 f) permet la détention d’un demandeur d’asile ou d’un autre immigrant avant l’octroi par l’Etat d’une autorisation d’entrer, la Cour souligne que pareille détention doit se concilier avec la finalité générale de l’article 5, qui est de protéger le droit à la liberté et d’assurer que nul ne soit dépouillé de sa liberté de manière arbitraire.

La Cour doit à présent rechercher ce que signifie « protection contre l’arbitraire » dans le contexte du premier volet de l’article 5 § 1 f) et si, compte tenu de l’ensemble des circonstances, la détention du requérant se conciliait avec cette disposition.

b)  Sur la notion de détention arbitraire dans le contexte de l’article 5

67.  Il est bien établi dans la jurisprudence de la Cour relative aux alinéas de l’article 5 § 1 que toute privation de liberté doit non seulement relever de l’une des exceptions prévues aux alinéas a) à f), mais aussi être « régulière ». En matière de « régularité » d’une détention, y compris l’observation des « voies légales », la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale et consacre l’obligation d’en observer les normes de fond comme de procédure. Toutefois, le respect du droit national n’est pas suffisant : l’article 5 § 1 exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but consistant à protéger l’individu contre l’arbitraire (voir, parmi bien d’autres, Winterwerp, § 37, Amuur, § 50, Chahal, § 118, et Witold Litwa, § 78, tous précités). Il est un principe fondamental selon lequel nulle détention arbitraire ne peut être compatible avec l’article 5 § 1, et la notion d’« arbitraire » que contient l’article 5 § 1 va au-delà du défaut de conformité avec le droit national, de sorte qu’une privation de liberté peut être régulière selon la législation interne tout en étant arbitraire et donc contraire à la Convention.

68.  Jusqu’à présent, la Cour n’a pas énoncé de définition globale concernant les attitudes des autorités qui sont susceptibles de relever de l’« arbitraire » au sens de l’article 5 § 1, mais elle a au cas par cas dégagé des principes clés. De plus, il ressort clairement de la jurisprudence que la notion d’arbitraire dans le contexte de l’article 5 varie dans une certaine mesure suivant le type de détention en cause (voir ci-dessous).

69.  D’après l’un des principes généraux consacrés par la jurisprudence, une détention est « arbitraire » lorsque, même si elle est parfaitement conforme à la législation nationale, il y a eu un élément de mauvaise foi ou de tromperie de la part des autorités (voir, par exemple, Bozano c. France, 18 décembre 1986, série A no 111, et Čonka c. Belgique, no 51564/99, CEDH 2002-I). La condition d’absence d’arbitraire exige par ailleurs que non seulement l’ordre de placement en détention mais aussi l’exécution de cette décision cadrent véritablement avec le but des restrictions autorisées par l’alinéa pertinent de l’article 5 § 1 (Winterwerp, précité, § 39, Bouamar c. Belgique, 29 février 1988, § 50, série A no 129, O’Hara c. Royaume-Uni, no 37555/97, § 34, CEDH 2001-X). De plus, il doit exister un certain lien entre, d’une part, le motif invoqué pour justifier la privation de liberté autorisée et, de l’autre, le lieu et le régime de détention (Bouamar, précité, § 50, Aerts c. Belgique, 30 juillet 1998, § 46, Recueil 1998-V, et Enhorn c. Suède, no 56529/00, § 42, CEDH 2005-I).

70.  La notion d’arbitraire dans les contextes respectifs des alinéas b), d) et e) implique également que l’on recherche si la détention était nécessaire pour atteindre le but déclaré. La privation de liberté est une mesure si grave qu’elle ne se justifie qu’en dernier recours, lorsque d’autres mesures, moins sévères, ont été considérées et jugées insuffisantes pour sauvegarder l’intérêt personnel ou public exigeant la détention (Witold Litwa, précité, § 78, Hilda Hafsteinsdóttir c. Islande, no 40905/98, § 51, 8 juin 2004, et Enhorn, précité, § 44). En outre, le principe de proportionnalité veut que lorsque la détention vise à garantir l’exécution d’une obligation prévue par la loi, un équilibre soit ménagé entre la nécessité dans une société démocratique de garantir l’exécution immédiate de l’obligation dont il s’agit, et l’importance du droit à la liberté (Vasileva c. Danemark, no 52792/99, § 37, 25 septembre 2003). La durée de la détention est un élément qui intervient dans la recherche de cet équilibre (ibidem, et voir également McVeigh et autres c. Royaume-Uni, nos 8022/77, 8025/77, 8027/77, rapport de la Commission du 18 mars 1981, Décisions et rapports 25, pp. 60, 81 et 86).

71.  La Cour a une approche différente du principe excluant tout arbitraire dans les cas de détention fondés sur l’article 5 § 1 a) où, en l’absence de mauvaise foi ou de tout autre motif évoqué au paragraphe 69 ci-dessus, tant que la détention résulte d’une condamnation régulière ou présente avec celle-ci un lien de causalité suffisant, la décision d’infliger une peine de détention et la durée de cette peine sont des questions qui relèvent des autorités nationales et non de la Cour au regard de l’article 5 § 1 (voir T. c. Royaume-Uni [GC], no 24724/94, § 103, 16 décembre 1999, et aussi Stafford c. Royaume-Uni [GC], no 46295/99, § 64, CEDH 2002-IV).

72.  De même, dans une affaire où une personne avait été détenue en vertu de l’article 5 § 1 f), la Grande Chambre, interprétant la seconde partie de l’alinéa f), a considéré que, tant qu’un individu était détenu « dans le cadre « d’une procédure d’expulsion », c’est-à-dire tant qu’une « procédure d’expulsion [était] en cours » contre lui, rien n’exigeait des motifs raisonnables de croire à la nécessité de la détention, par exemple pour empêcher l’intéressé de commettre une infraction ou de s’enfuir (Chahal, précité, § 112). Dans la même affaire, la Grande Chambre a également déclaré que le principe de proportionnalité ne s’appliquait à une détention fondée sur l’article 5 § 1 f) que dans la mesure où celle-ci ne se prolongeait pas pendant un laps de temps déraisonnable ; ainsi, elle a estimé que « seul le déroulement de la procédure d’expulsion justifi[ait] la privation de liberté fondée sur cette disposition [et que si] la procédure n’[était] pas menée avec la diligence requise, la détention cess[ait] d’être justifiée (...) » (ibidem, § 113, et voir également Gebremedhin [Gaberamadhien] c. France, no 25389/05, § 74, CEDH 2007-II).

73.  Eu égard à ce qui précède, la Cour juge que le principe selon lequel la détention ne doit pas être arbitraire doit s’appliquer à une détention relevant de la première partie de l’article 5 § 1 f) de la même façon qu’à une détention visée par le second volet. Dès lors que les Etats jouissent du droit de contrôler aussi bien l’entrée que le séjour d’un étranger sur leur territoire (voir les affaires mentionnées au paragraphe 63 ci-dessus), il serait artificiel d’appliquer aux affaires de détention d’une personne qui vient d’entrer sur le territoire un critère de proportionnalité différent du critère valant pour les mesures d’expulsion, d’extradition ou d’éloignement d’un individu déjà présent dans le pays.

74.  Pour ne pas être taxée d’arbitraire, la mise en œuvre de pareille mesure de détention doit donc se faire de bonne foi ; elle doit aussi être étroitement liée au but consistant à empêcher une personne de pénétrer irrégulièrement sur le territoire ; en outre, le lieu et les conditions de détention doivent être appropriés, car « une telle mesure s’applique non pas à des auteurs d’infractions pénales mais à des étrangers qui, craignant souvent pour leur vie, fuient leur propre pays » (Amuur, précité, § 43) ; enfin, la durée de la détention ne doit pas excéder le délai raisonnable nécessaire pour atteindre le but poursuivi.

c)  Sur la question de savoir si la détention du requérant était arbitraire

75.  Avant de rechercher si la détention du requérant au centre d’Oakington était arbitraire au sens indiqué ci-dessus, la Cour observe que les juridictions nationales ont jugé, à trois degrés successifs, que cette mesure était fondée en droit interne. Cette conclusion n’a pas été remise en cause par l’intéressé.

76.  Pour déterminer si la détention du requérant était compatible avec les critères exposés au paragraphe 74 ci-dessus, la Cour rappelle par ailleurs les conclusions suivantes de la Cour d’appel et de la Chambre des lords (paragraphes 17 et 18 ci-dessus), auxquelles elle souscrit. Les juridictions nationales ont estimé que le régime de détention appliqué au centre d’Oakington visait à permettre le traitement rapide de quelque 13 000 demandes d’asile, sur environ 84 000 dossiers déposés chaque année au Royaume-Uni à cette époque. Pour atteindre cet objectif, il fallait prévoir jusqu’à 150 entretiens par jour, et des retards même minimes risquaient de perturber l’ensemble du programme. S’il a été décidé de placer l’intéressé en détention, c’est parce que son dossier se prêtait à une procédure accélérée.

77.  Dans ces conditions, la Cour estime qu’en plaçant le requérant en détention les autorités nationales ont agi de bonne foi. En effet, la politique sur laquelle reposait la création du régime d’Oakington devait globalement profiter aux demandeurs d’asile ; ainsi que l’a déclaré Lord Slynn, « [l’]obtention d’une décision rapide est dans l’intérêt non seulement des demandeurs eux-mêmes, mais aussi des personnes en nombre croissant qui attendent leur tour » (paragraphe 18 ci-dessus). De plus, dès lors que la privation de liberté en cause visait à permettre aux autorités de statuer rapidement et efficacement sur la demande d’asile du requérant, la détention de celui-ci était étroitement liée au but poursuivi, à savoir l’empêcher de pénétrer irrégulièrement sur le territoire.

78.  En ce qui concerne le troisième critère, c’est-à-dire le lieu et les conditions de détention, la Cour note que le centre d’Oakington était spécialement conçu pour la détention des demandeurs d’asile et offrait différents services, tels qu’activités récréatives, culte religieux, soins médicaux et – élément important – consultation juridique (paragraphe 25 ci‑dessus). Il ne fait aucun doute qu’il y a eu entrave à la liberté et au bien‑être du requérant, mais celui-ci ne se plaint pas des conditions dans lesquelles il a été détenu et la Cour juge que la mesure en question n’a pas été entachée d’arbitraire à cet égard.

79.  S’agissant enfin de la durée de la détention, la Cour rappelle que le requérant a été retenu au centre d’Oakington pendant sept jours et qu’il a été remis en liberté le lendemain du rejet de sa demande d’asile en première instance. Cette période de détention ne saurait passer pour avoir excédé le délai raisonnable nécessaire aux fins de l’objectif poursuivi.

80.  Dès lors, la Cour conclut qu’eu égard aux sérieux problèmes administratifs auxquels était confronté le Royaume-Uni à l’époque pertinente, où le nombre de demandeurs d’asile connaissait une augmentation vertigineuse (voir également Amuur, précité, § 41), il n’était pas incompatible avec l’article 5 § 1 f) de la Convention de détenir le requérant pendant sept jours dans des conditions convenables, afin de permettre un traitement rapide de sa demande d’asile. De plus, il faut garder à l’esprit que la mise en place d’un système devant permettre aux autorités de statuer plus efficacement sur un nombre élevé de demandes d’asile a rendu inutile un recours plus large et plus étendu aux pouvoirs de mise en détention.

Partant, il n’y a pas eu en l’espèce violation de l’article 5 § 1.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 2 DE LA CONVENTION

81.  Le requérant soutient que le véritable motif de sa détention ne lui a été indiqué que soixante-seize heures environ après son arrestation, soit lorsque cette information a été fournie oralement à son représentant légal, en réponse à une demande de celui-ci. Il allègue la violation de l’article 5 § 2 de la Convention, qui dispose :

« Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu’elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle. »

82.  Le Gouvernement met en avant les déclarations générales d’intention relativement au régime de détention au centre d’Oakington. Il admet que les formulaires utilisés à l’époque de la détention de l’intéressé étaient inadéquats, mais considère que les motifs donnés oralement au représentant dont le requérant disposait sur place (et qui connaissait les raisons générales) à la date du 5 janvier 2001 étaient suffisants pour permettre à l’intéressé de contester s’il le souhaitait la légalité de sa détention en vertu de l’article 5 § 4.

83.  Le requérant souligne qu’à aucun moment on ne lui a indiqué spontanément les motifs de sa détention et que, après demande, des éclaircissements ont été fournis oralement dans l’après-midi du 5 janvier 2001, soit quelque soixante-seize heures après son arrestation et son placement en détention. A ses yeux, la simple référence à des annonces sur la politique à mener ne saurait remplacer l’obligation de communiquer à l’intéressé, de manière suffisamment rapide, des raisons adéquates à sa mise en détention.

84.  La chambre a conclu à la violation de cette disposition au motif que les raisons de la détention n’avaient pas été données « dans le plus court délai ». Elle a jugé que des déclarations générales – en l’occurrence des annonces émanant du Parlement – ne pouvaient répondre à l’obligation, visée à l’article 5 § 2, d’informer l’intéressé des motifs de son arrestation ou de sa détention. La première fois que le requérant s’était vu communiquer le motif véritable de sa détention, c’était par l’intermédiaire de son représentant, le 5 janvier 2001 (paragraphe 14 ci-dessus). Il se trouvait alors déjà en détention depuis soixante-seize heures. La chambre a estimé qu’en admettant qu’une communication orale à un représentant satisfasse aux exigences de l’article 5 § 2 de la Convention, un délai de soixante-seize heures pour indiquer les motifs d’une détention était incompatible avec l’obligation, au regard de cette disposition, de les fournir « dans le plus court délai ».

85.  La Grande Chambre souscrit au raisonnement et à la conclusion de la chambre. Elle conclut donc à la violation de l’article 5 § 2 de la Convention.

III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

86.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

87.  La Cour note que devant la chambre le requérant demandait 5 000 euros (EUR) en réparation du préjudice moral qu’il avait subi du fait de ses sept jours de détention au centre d’Oakington. La chambre, qui a conclu comme la Grande Chambre à la violation de l’article 5 § 2 de la Convention mais non de l’article 5 § 1, a jugé que le constat d’une violation fournissait une satisfaction équitable suffisante.

88.  L’intéressé n’a contesté cette décision ni dans sa demande de renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre ni dans les observations écrites qu’il a soumises à celle-ci.

89.  Compte tenu de l’ensemble des circonstances, la Grande Chambre confirme la conclusion de la chambre selon laquelle le constat d’une violation fournit une satisfaction équitable suffisante pour le manquement à informer le requérant dans le plus court délai des motifs de sa détention.

B.  Frais et dépens

90.  Outre la somme de 15 305,56 livres sterling (GBP) pour les frais exposés devant la chambre, le requérant réclame pour les frais et dépens engagés devant la Grande Chambre la somme de 28 676,51 GBP, à majorer de la taxe sur la valeur ajoutée (« TVA »).

91.  Le Gouvernement souscrit à l’approche suivie par la chambre en ce qui concerne l’article 41. Il juge excessive la somme correspondant aux frais exposés devant la Grande Chambre, en particulier le tarif horaire de 200 GBP facturé par chacun des deux conseils et le nombre d’heures indiqué. Il estime que dans l’hypothèse où la Cour conclurait à la violation de l’article 5 § 1, le montant à allouer au titre des honoraires des conseils ne devrait pas excéder 10 000 GBP, et que si une violation était constatée uniquement pour l’article 5 § 2 seule une faible part des frais réclamés devrait être remboursée.

92.  S’agissant des frais exposés devant la chambre, la Grande Chambre rappelle que la première n’a alloué que 1 500 EUR parce qu’elle a constaté uniquement une violation de l’article 5 § 2 alors que la majeure partie du travail effectué sur le dossier avait tendu à établir une violation de l’article 5 § 1. La Grande Chambre confirme la décision d’octroyer cette somme pour les frais et dépens engagés jusqu’au prononcé de l’arrêt de la chambre. Ayant conclu elle aussi à la seule violation de l’article 5 § 2, et la quasi‑totalité des plaidoiries écrites et orales devant elle ayant porté sur l’article 5 § 1, la Grande Chambre alloue 1 500 EUR supplémentaires pour la procédure ultérieure à l’arrêt de la chambre du 11 juillet 2006. Ainsi, elle octroie pour frais et dépens une somme totale de 3 000 EUR, plus tout montant pouvant être dû au titre de la TVA.

C.  Intérêts moratoires

93.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1.  Dit, par onze voix contre six, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention ;

2.  Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 5 § 2 de la Convention ;

3.  Dit, à l’unanimité, que le constat d’une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant ;

4.  Dit, à l’unanimité,

a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, 3 000 EUR (trois mille euros) pour frais et dépens, à convertir en livres sterling au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5.  Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 29 janvier 2008.

Michael O’Boyle Jean-Paul Costa
Greffier adjoint Président

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion en partie dissidente commune aux juges Rozakis, Tulkens, Kovler, Hajiyev, Spielmann et Hirvelä.

J.-P.C.
M.O’B.


OPINION EN PARTIE DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES ROZAKIS, TULKENS, KOVLER, HAJIYEV, SPIELMANN ET HIRVELÄ

Nous ne partageons pas la conclusion de la majorité selon laquelle il n’y a pas eu, en l’espèce, violation de l’article 5 § 1 f) de la Convention dans une situation où il n’est pas contesté que la détention du requérant, au centre d’Oakington, pendant sept jours, s’analyse en une privation de liberté au sens de la Convention. L’enjeu de cette affaire est important à un double titre. D’un côté, elle concerne les droits des demandeurs d’asile au regard de la Convention et la situation de plus en plus préoccupante aujourd’hui de la détention de ceux-ci. D’un autre côté, il s’agit de la première affaire où la Cour est appelée à se prononcer sur la première hypothèse visée à l’article 5 § 1 f) de la Convention qui autorise « l’arrestation ou la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire » et, notamment, sur l’exigence de nécessité que requiert cette disposition.

Il est généralement admis que, dans son premier volet, l’objectif de l’article 5 § 1 f) de la Convention est d’empêcher l’immigration illégale, c’est-à-dire l’entrée et le séjour dans un pays par le contournement des modalités de contrôle de l’immigration. Or, en l’espèce, le requérant a fui la région autonome kurde d’Irak après avoir, dans le cadre de ses fonctions de médecin, soigné des membres du Parti communiste des travailleurs d’Irak, et il a demandé l’asile dès son arrivée à l’aéroport de London Heathrow. La majorité n’attache aucune importance à ce fait, assimilant la situation des demandeurs d’asile à celle des immigrants ordinaires. Le paragraphe 64 de l’arrêt est très clair à cet égard et situe d’emblée l’exception prévue par l’article 5 § 1 f) dans le cadre général du contrôle de l’immigration. Après avoir rappelé que les Etats jouissent « du droit indéniable de contrôler souverainement l’entrée et le séjour des étrangers sur leur territoire », la majorité estime que « [l]a faculté pour les Etats de placer en détention des candidats à l’immigration ayant sollicité – par le biais d’une demande d’asile ou non – l’autorisation d’entrer dans le pays est un corollaire indispensable de ce droit ».

Sous une forme aussi radicale, cette affirmation se concilie mal avec le principe suivant lequel les demandeurs d’asile qui ont présenté une demande de protection internationale se trouvent ipso facto légalement sur le territoire d’un Etat, notamment au sens de l’article 12 du Pacte international sur les droits civils et politiques (liberté de circuler) et de la jurisprudence du Comité des droits de l’homme selon laquelle une personne qui a déposé une demande d’asile est réputée « se trouve[r] légalement sur le territoire » (paragraphe 32 de l’arrêt). Les circonstances particulières de cette affaire le démontrent d’ailleurs implicitement mais certainement. Lors de son arrivée à l’aéroport le 30 décembre 2000, le requérant se vit accorder une


admission provisoire (paragraphes 20-21 de l’arrêt), en vertu de laquelle il pouvait passer la nuit à l’hôtel de son choix mais devait revenir à l’aéroport le lendemain matin. Le 31 décembre 2000, le requérant se présenta comme on le lui avait demandé et se vit délivrer le même titre, valable jusqu’au lendemain. Lorsqu’il se rendit à nouveau à l’aéroport comme convenu, on lui accorda pour la troisième fois une admission provisoire valable jusqu’au lendemain 2 janvier 2001 à dix heures. Ce n’est que ce jour-là, lorsque le requérant se présenta comme on l’en avait prié, qu’il fut appréhendé et transféré au centre d’Oakington, dans lequel règne une ambiance carcérale. En tout état de cause, le débat théorique sur le point de savoir si tant qu’un Etat n’a pas autorisé l’entrée sur son territoire, celle-ci est irrégulière apparaît sans réelle pertinence en l’espèce dans la mesure où, en fait, le requérant a été admis sur le territoire pendant trois jours.

En examinant le contexte, le but et l’objet de l’article 5 de la Convention, l’arrêt souligne à juste titre « l’importance de cette disposition dans le système de la Convention », laquelle « consacre un droit fondamental de l’homme, à savoir la protection de l’individu contre les atteintes arbitraires de l’Etat à sa liberté » (paragraphe 63). La majorité estime cependant qu’il faut rechercher ce que signifie « protection contre l’arbitraire » en l’espèce et estime que « le principe selon lequel la détention ne doit pas être arbitraire doit s’appliquer à une détention relevant de la première partie de l’article 5 § 1 f) de la même façon qu’à une détention visée par le second volet. Dès lors que les Etats jouissent du droit de contrôler aussi bien l’entrée que le séjour d’un étranger sur leur territoire (...), il serait artificiel d’appliquer aux affaires de détention d’une personne qui vient d’entrer sur le territoire un critère de proportionnalité différent du critère valant pour les mesures d’expulsion, d’extradition ou d’éloignement d’un individu déjà présent dans le pays » (paragraphe 73 de l’arrêt). L’arrêt n’hésite donc pas à opérer un amalgame complet entre toutes les catégories d’étrangers et toutes les situations qui sont les leurs – immigrés clandestins, personnes susceptibles d’être expulsées et celles qui ont commis des infractions –, en les incluant sans nuance dans le contrôle général de l’immigration qui relève de la souveraineté sans limite des Etats.

En fait, dans le contexte migratoire, la seule exigence que l’arrêt retient, pour que la mesure de détention ne soit pas taxée d’arbitraire, est que celle-ci ait été adoptée « de bonne foi » ; elle doit aussi « être étroitement liée au but consistant à empêcher une personne de pénétrer irrégulièrement sur le territoire » (paragraphe 74). Qu’en est-il en l’espèce ?

En ce qui concerne tout d’abord la bonne foi, la Cour n’hésite pas à souscrire aux observations des juridictions nationales qui estiment que le régime de détention appliqué au centre d’Oakington visait à permettre un traitement rapide « de quelque 13 000 demandes d’asile, sur environ 84 000 dossiers déposés chaque année au Royaume-Uni à cette époque. Pour atteindre cet objectif, il fallait prévoir jusqu’à 150 entretiens par jour, et des retards même minimes risquaient de perturber l’ensemble du programme. S’il a été décidé de placer l’intéressé en détention, c’est parce que son dossier se prêtait à une procédure accélérée » (paragraphe 76 de l’arrêt). Dans ces conditions, la Cour estime qu’en plaçant le requérant en détention, les autorités nationales ont ainsi agi de « bonne foi ». En effet, la politique sur laquelle reposait la création du régime d’Oakington devait profiter aux demandeurs d’asile et la détention répondait dès lors à leur meilleur intérêt.

S’il est vrai que des « retards minimes » sont censés perturber l’ensemble du programme, on s’explique mal pourquoi, lors de son arrivée à l’aéroport et du dépôt de sa demande d’asile, le requérant a d’abord été laissé en liberté, invité à se loger à l’hôtel et à se présenter les jours suivants, spontanément, aux autorités en charge de l’examen de son dossier, ce qu’il a d’ailleurs fait.

Plus fondamentalement, non seulement dans le contexte de l’asile mais aussi dans d’autres situations de privation de liberté, soutenir que la détention est dans l’intérêt de la personne nous semble une position extrêmement dangereuse. Soutenir, en outre, en l’espèce, que la détention est dans l’intérêt non seulement des demandeurs eux-mêmes « mais aussi des personnes en nombre croissant qui attendent leur tour » est tout aussi inacceptable : en aucun cas, la fin ne peut justifier les moyens et aucune personne, aucun être humain ne peut être utilisé comme un moyen en vue d’une fin.

En ce qui concerne, ensuite, le but de la détention, lorsque l’arrêt affirme que « dès lors que la privation de liberté en cause visait à permettre aux autorités de statuer rapidement et efficacement sur la demande d’asile du requérant, la détention de celui-ci était étroitement liée au but poursuivi, à savoir l’empêcher de pénétrer irrégulièrement sur le territoire » (paragraphe 77 in fine), la Cour n’hésite pas à franchir un pas supplémentaire et à assimiler tout demandeur d’asile à un immigrant illégal potentiel.

En toute rigueur, nous pensons que si une détention peut être autorisée, les autorités doivent s’assurer, in concreto, que celle-ci a été ordonnée exclusivement pour un des buts visés par la Convention : empêcher la personne de pénétrer irrégulièrement sur le territoire, ce qui n’est nullement établi dans le cas présent, le requérant n’ayant pas pénétré ni tenté de pénétrer irrégulièrement dans le pays. En revanche, si les autorités avaient des motifs objectivement vérifiables de considérer que le requérant risquait de prendre la fuite avant qu’il n’ait été statué sur sa demande, il leur aurait alors été possible de recourir à la détention conformément à l’article 5 § 1 f) de la Convention. Dans ce cas, la détention aurait visé à empêcher le demandeur d’asile de pénétrer ou de rester sur le territoire national dans un but autre que celui pour lequel il a été admis à titre temporaire. A contrario, il n’est pas admissible de placer les réfugiés en détention au seul motif qu’ils demandent que l’asile leur soit reconnu.

Il n’est pas contesté, en l’espèce, que le placement en détention du requérant visait à permettre un traitement accéléré de sa demande d’asile et donc l’adoption, dans les meilleurs délais, d’une décision à ce sujet. La détention poursuivait donc un seul objectif bureaucratique et administratif, étranger à la nécessité d’empêcher une entrée irrégulière sur le territoire. Comme l’observent à juste titre les juges Casadevall, Traja et Šikuta dans leur opinion dissidente jointe à l’arrêt de la chambre du 11 juillet 2006, une telle situation crée une profonde insécurité juridique résultant pour le demandeur d’asile de la possibilité d’être détenu à tout moment pendant l’examen de sa demande, sans aucune possibilité pour lui de prendre les mesures nécessaires pour éviter la détention. Le demandeur d’asile devient un objet et non un sujet de droit.

Enfin, dans la même logique, la Cour admet en l’espèce qu’une détention de sept jours « ne saurait passer pour avoir excédé le délai raisonnable nécessaire aux fins de l’objectif poursuivi » (paragraphe 79 de l’arrêt), acceptant ainsi une durée de détention qu’elle n’accepte généralement pas dans les autres hypothèses de privation de liberté visées par l’article 5 de la Convention. Certes, on peut comprendre que dans certaines situations, comme par exemple en matière d’extradition, l’Etat doit avoir une plus grande latitude que lorsqu’il s’agit d’autres atteintes au droit à la liberté. Toutefois, rien ne nous semble l’expliquer s’agissant des demandeurs d’asile, avec le risque qu’une brèche substantielle s’ouvre ainsi dans le contrôle de la privation de liberté au regard de la Convention européenne des droits de l’homme. En outre, si une détention de sept jours n’est pas jugée excessive, où et comment fixer la limite de l’inacceptable ?

De manière générale en matière de détention, les exigences de nécessité et de proportionnalité obligent l’Etat à fournir des motifs pertinents et suffisants propres à justifier la mesure adoptée et à considérer d’autres mesures moins coercitives ainsi qu’à donner les raisons pour lesquelles ces mesures sont jugées insuffisantes pour sauvegarder l’intérêt personnel ou public justifiant la privation de liberté. Les simples opportunités ou commodités administratives ne sont pas suffisantes. Nous ne voyons pas au nom de quelle valeur ou de quel intérêt supérieur ces garanties fondamentales de la liberté individuelle dans un Etat de droit ne pourraient/devraient pas s’appliquer s’agissant de la détention des demandeurs d’asile.

Dans la mesure donc où ces exigences doivent être incluses dans la notion d’arbitraire, la question des alternatives à la détention aurait dû attirer l’attention de la majorité. Celle-ci ne l’évoque en aucune manière sauf au terme de son raisonnement où, de manière paradoxale, elle reconnaît que « la mise en place d’un système devant permettre aux autorités de statuer plus efficacement sur un nombre élevé de demandeurs d’asile a rendu inutile un recours plus large et plus étendu aux pouvoirs de mise en détention » (paragraphe 80 de l’arrêt). Il est donc ainsi clairement admis qu’une alternative à la détention, permettant de régler le problème là où il se situe, c’est-à-dire au niveau de la gestion des demandes d’asile, pouvait exister, démontrant encore davantage que la détention à cet égard était une fausse réponse à une bonne question.

La Convention européenne des droits de l’homme ne s’applique pas dans un vide mais en relation avec les autres instruments internationaux de protection des droits fondamentaux. A cet égard, au niveau des Nations unies, l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques – qui interdit l’arrestation et la détention arbitraire et qui s’applique à tous les cas de privation de liberté, y compris au contrôle de l’immigration – a été interprété par la jurisprudence du Comité des droits de l’homme en ce sens que la privation de liberté ne doit pas seulement être légale ; il faut encore qu’elle n’ait pas été imposée pour des raisons de convenance administrative (Hugo van Alphen c. Pays-Bas, communication no 305/1988, CCPR/C/39/D/305/1988 (1990)). Elle doit, en outre, satisfaire aux exigences de nécessité et de proportionnalité. Enfin, le contrôle judiciaire de la détention ne doit pas se limiter à vérifier si la détention est compatible avec le droit national mais il doit aussi permettre de déterminer, même en cas d’entrée illégale, si les circonstances propres à l’intéressé (le risque de fuite, le manque de coopération, etc.) justifient de le placer en détention (A. c. Australie, communication no 560/1993, CCPR/C/59/D/560/1993 (1997)). Dans la décision Bakhtiyari c. Australie, le Comité confirme qu’un contrôle judiciaire qui ne permet pas aux tribunaux de réexaminer la justification de la détention de l’intéressé au fond ne satisfait pas aux exigences de l’article 9 (Bakhtiyari c. Australie, communication no 1069/202, CCPR/C/79/D/10069/2002 (2003)).

Au niveau de l’Union européenne, il importe d’évoquer l’article 18 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui reconnaît le droit d’asile aux réfugiés au sens de la Convention de Genève. Par ailleurs, dans la Directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres (JO L 326 du 13 décembre 2005, p. 13), l’article 18 § 1 dispose que « les Etats membres ne peuvent placer une personne en rétention au seul motif qu’elle demande l’asile ». Cette garantie est à nos yeux la garantie minimale et l’affirmation que contient cette disposition vient utilement compléter les règles énoncées à l’article 7 de la Directive 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003 relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les Etats membres (JO L 31 du 6 février 2003, p. 18). Par ailleurs, l’article 23 §§ 3 et 4 de la Directive prévoit la possibilité que des procédures prioritaires ou accélérées soient organisées.

Au niveau du Conseil de l’Europe, la Recommandation Rec(2003)5 du Comité des Ministres du 16 avril 2003 sur les mesures de détention des demandeurs d’asile indique que les personnes qui relèvent du champ d’application du premier membre de phrase de l’article 5 § 1 alinéa f) ne sont pas « des demandeurs d’asile tombant sous le coup d’accusations pénales [ni] des demandeurs d’asile déboutés détenus dans l’attente de leur départ du pays d’accueil » (point 2). Par ailleurs, elle précise qu’il « ne faudrait appliquer des mesures de détention aux demandeurs d’asile qu’après avoir examiné avec soin, et dans chaque cas, si elles sont nécessaires. Ces mesures [doivent] être adaptées, temporaires, non arbitraires et durer le moins longtemps possible. Ces mesures doivent être appliquées dans le respect de la loi et en conformité avec les normes établies par les instruments internationaux pertinents (...) » (point 4). Enfin, « [a]vant de recourir aux mesures de détention, il faudrait envisager d’autres mesures, non privatives de liberté, applicables au cas particulier » (point 6).

Toute la question ici est celle de savoir si la Convention européenne des droits de l’homme peut aujourd’hui se permettre de consacrer un standard de protection moins élevé que celui qui est reconnu et accepté dans les autres enceintes.

En définitive, peut-on aussi accepter aujourd’hui que l’article 5 de la Convention qui a joué un rôle majeur dans le contrôle de l’arbitraire en matière de privation de liberté fournisse un niveau de protection moindre dans le domaine de l’asile et de l’immigration qui sont, socialement et humainement, les questions les plus critiques de ces prochaines années ? Etre étranger est-il un crime ? Nous ne le pensons pas.

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CEDH, Cour (grande chambre), AFFAIRE SAADI c. ROYAUME-UNI, 29 janvier 2008, 13229/03