CEDH, Communiqué de presse sur l'affaire 821/03, 15 décembre 2009

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CEDH · 24 février 2017

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, 15 déc. 2009
Type de document : Communiqués de presse
Organisation mentionnée :
  • ECHR
Opinion(s) séparée(s) : Non
Identifiant HUDOC : 003-2968065-3271617
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Sur les parties

Texte intégral

959

15.12.2009

Communiqué du Greffier

Arrêt de chambre[1]


FINANCIAL TIMES LTD ET AUTRES c. ROYAUME-UNI

(requête no 821/03)

LA PROTECTION DES SOURCES JOURNALISTIQUES PRIME DANS UNE AFFAIRE DE FUITE DE DOCUMENTS CONCERNANT UNE OFFRE PUBLIQUE D’ACHAT

A l’unanimité :

Violation de l’article 10 (liberté d’expression)

de la Convention européenne des droits de l’homme

(L’arrêt n’existe qu’en anglais.)

Principaux faits

Les requérants sont quatre journaux – Financial Times Ltd., Independent News & Media Ltd., Guardian Newspapers Ltd., Times Newspapers Ltd. – et une agence de presse, Reuters Group plc.

Ils se plaignaient d’une décision de justice leur enjoignant de communiquer à Interbrew, une société belge de brasserie, des documents susceptibles de permettre l’identification des sources journalistiques qui avaient révélé à la presse l’existence d’une offre publique d’achat.

Le 27 novembre 2001, un journaliste du Financial Times («  le FT ») reçut de X. la copie d’un document résultant d’une fuite et ayant trait à l’éventuelle offre publique d’achat d’Interbrew sur South African Breweries (« SAB »). Le même jour, le journaliste du FT téléphona à Goldman Sachs, la banque d’investissements conseillère d’Interbrew, pour les informer de la divulgation du document et de son intention de le publier. L’article parut vers 22 heures sur le site Internet du FT et, évoquant le document divulgué, indiquait qu’Interbrew préparait une offre concernant SAB.

Le Times, Reuters, le Guardian et l’Independent, se référant également au document divulgué et à l’offre éventuelle, publièrent des articles le même jour et les jours suivants. Après une déclaration d’Interbrew à la presse, ils continuèrent à rendre compte de l’affaire, ajoutant que les documents divulgués avaient peut-être été falsifiés.

L’écho donné par la presse à l’affaire eut des incidences notables sur les parts de marché d’Interbrew et de SAB : le volume des actions de SAB négociées passa de moins de 2 millions à plus de 44 millions en l’espace de deux jours.

La société Kroll, consultant d’Interbrew en matière de sécurité et de risques, tenta, en vain, d’identifier X.

Kroll ayant émis l’avis que l’accès aux originaux des documents divulgués serait extrêmement utile pour l’enquête, Interbrew engagea une procédure contre les requérants devant la High Court en décembre 2001. Cette juridiction se prononça en faveur d’Interbrew et ordonna aux requérants de communiquer les documents en question. En particulier, elle estima, d’une part, que X. avait délibérément divulgué un mélange explosif d’informations confidentielles et fausses, portant ainsi gravement atteinte à l’intégrité du marché des actions, et, d’autre part, qu’un besoin impérieux commandait la communication des documents dans l’intérêt de la justice et de la prévention du crime.

Cette décision fut confirmée en appel. La juridiction d’appel conclut que l’intérêt public à la protection de la source à l’origine de la fuite n’était pas suffisant pour l’emporter sur l’intérêt public prévalant à autoriser Interbrew à demander justice contre la source de la divulgation, le point critique étant l’intention évidente d’X « de nuire à des fins lucratives ou malveillantes (...) ».

En juillet 2002, la Chambre des lords refusa aux requérants l’autorisation de se pourvoir devant elle. A ce jour, les intéressés n’ont toujours pas communiqué les documents et l’injonction de divulgation n’a pas été exécutée.

Griefs, procédure et composition de la Cour

Invoquant les articles 10 (liberté d’expression) et 8 (droit au respect de la vie privée et familiale et de la correspondance), les requérants se plaignaient de la décision de justice leur enjoignant de communiquer les documents qu’ils avaient obtenus grâce à une fuite et susceptibles de permettre l’identification de sources journalistiques. Sur le terrain de l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable), ils dénonçaient le caractère inéquitable de l’action civile engagée par Interbrew en vue d’obtenir la condamnation à des dommages et intérêts de la source à l’origine de la divulgation des documents litigieux et de prévenir de nouvelles fuites.

La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 20 décembre 2002.

L’arrêt a été rendu par une chambre de sept juges composée de :

Lech Garlicki (Pologne), président,
Nicolas Bratza (Royaume-Uni),
Giovanni Bonello (Malte),
Ljiljana Mijović (Bosnie-Herzégovine),
David Thór Björgvinsson (Islande),
Ledi Bianku (Albanie),
Mihai Poalelungi (Moldova), juges,

ainsi que de Lawrence Early, greffier de section.

Décision de la Cour

Article 10

La décision ordonnant aux requérants de divulguer les documents en question a constitué une atteinte à leur droit à la liberté d’expression. Cette atteinte était autorisée par un principe de common law (énoncé dans l’affaire Norwich Pharmacal et selon lequel si une personne se trouve impliquée, sans aucune faute de sa part, dans les actes délictueux d’autrui au point de les faciliter, elle a le devoir d’assister la personne lésée en lui fournissant toute information et en révélant l’identité des malfaiteurs) et par l’article 10 de la loi de 1981 sur le Contempt of Court. Elle était donc « prévue par la loi ». En outre, elle poursuivait des buts légitimes, à savoir la protection des droits d’autrui et la nécessité d’empêcher la divulgation d’informations confidentielles.

La Cour estime tout d’abord que l’intention de nuire qu’aurait eue X. et les doutes entourant l’authenticité du document divulgué n’ont pas constitué des facteurs importants dans l’affaire, aucun n’ayant été établi avec le degré requis de certitude dans le cadre de la procédure dirigée contre les requérants.

En outre, bien qu’Interbrew ait été avisée au préalable que l’article du FT renfermerait des informations commerciales prétendument confidentielles et sensibles, la brasserie n’a pas demandé une injonction pour empêcher la publication de l’article. Par ailleurs, la décision ordonnant la divulgation aux fins de prévenir d’autres fuites ne serait justifiée que dans des circonstances exceptionnelles, en l’absence d’autres moyens raisonnables et moins attentatoires à la vie privée pour découvrir la source. Toutefois, bien que Kroll n’ait pas réussi à identifier X., il ressort des jugements des juridictions nationales que, dans ses témoignages, Interbrew n’a pas révélé tous les détails des investigations menées. En fait, la cour d’appel a conclu, sur la base de déductions, que Kroll avait fait tout son possible à l’époque pour découvrir la source de la fuite.

Soulignant que la participation de journalistes à l’identification de sources anonymes a un effet inhibiteur, la Cour estime que les intérêts d’Interbrew à prévenir, par le biais d’une procédure contre X., la menace d’un dommage susceptible de résulter d’une divulgation future d’informations confidentielles, et à obtenir des dommages et intérêts pour des divulgations passées d’informations confidentielles sont insuffisants pour l’emporter sur l’intérêt public à la protection des sources journalistiques. Aussi la Cour conclut-elle à la violation de l’article 10.

Autres articles

Eu égard aux conclusions ci-dessus, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément les griefs des requérants sur le terrain des articles 6 §§ 1 et 8.

Article 41 (satisfaction équitable)

En application de l’article 41 (satisfaction équitable) de la Convention, la Cour alloue aux requérants 160 000 euros (EUR) pour frais et dépens.

***

Rédigé par le greffe, ce communiqué ne lie pas la Cour. Les arrêts de la Cour peuvent être consultés sur le site Internet de celle-ci (http://www.echr.coe.int).

Contacts pour la presse

Tracey Turner-Tretz (téléphone : 00 33 (0)3 88 41 35 30)
Stefano Piedimonte (téléphone : 00 33 (0)3 90 21 42 04)
Kristina Pencheva-Malinowski (téléphone : 00 33 (0)3 88 41 35 70)
Céline Menu-Lange (téléphone : 00 33 (0)3 90 21 58 77)
Frédéric Dolt (téléphone : 00 33 (0)3 90 21 53 39)
Nina Salomon (téléphone : 00 33 (0)3 90 21 49 79)
 

La Cour européenne des droits de l’homme a été créée à Strasbourg par les Etats membres du Conseil de l’Europe en 1959 pour connaître des allégations de violation de la Convention européenne des droits de l’homme de 1950.


[1] L’article 43 de la Convention européenne des droits de l’homme prévoit que, dans un délai de trois mois à compter de la date de l’arrêt d’une chambre, toute partie à l’affaire peut, dans des cas exceptionnels, demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre (17 membres) de la Cour. En pareille hypothèse, un collège de cinq juges examine si l’affaire soulève une question grave relative à l’interprétation ou à l’application de la Convention ou de ses protocoles ou encore une question grave de caractère général. Si tel est le cas, la Grande Chambre statue par un arrêt définitif. Si tel n’est pas le cas, le collège rejette la demande et l’arrêt devient définitif. Autrement, les arrêts de chambre deviennent définitifs à l’expiration dudit délai de trois mois ou si les parties déclarent qu’elles ne demanderont pas le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre.

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