CJCE, n° C-156/91, Conclusions de l'avocat général de la Cour, Hansa Fleisch Ernst Mundt GmbH & Co. KG contre Landrat des Kreises Schleswig-Flensburg, 25 juin 1992

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CJUE, Cour, 25 juin 1992, Hansa Fleisch Ernst Mundt, C-156/91
Numéro(s) : C-156/91
Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 25 juin 1992. # Hansa Fleisch Ernst Mundt GmbH & Co. KG contre Landrat des Kreises Schleswig-Flensburg. # Demande de décision préjudicielle: Schleswig-Holsteinisches Verwaltungsgericht - Allemagne. # Contrôle sanitaire - Redevance - Directive 85/73/CEE - Décision 88/408/CEE - Effet direct. # Affaire C-156/91.
Date de dépôt : 13 juin 1991
Précédents jurisprudentiels : Marleasing ( C-106/89, Rec. 1990, p. I-4135
Solution : Renvoi préjudiciel
Identifiant CELEX : 61991CC0156
Identifiant européen : ECLI:EU:C:1992:279
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Sur les parties

Texte intégral

Avis juridique important

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61991C0156

Conclusions de l’avocat général Jacobs présentées le 25 juin 1992. – Hansa Fleisch Ernst Mundt GmbH & Co. KG contre Landrat des Kreises Schleswig-Flensburg. – Demande de décision préjudicielle: Schleswig-Holsteinisches Verwaltungsgericht – Allemagne. – Contrôle sanitaire – Redevance – Directive 85/73/CEE – Décision 88/408/CEE – Effet direct. – Affaire C-156/91.


Recueil de jurisprudence 1992 page I-05567


Conclusions de l’avocat général


++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Dans la présente affaire, le Schleswig-Holsteinisches Verwaltungsgericht a posé trois questions préjudicielles sur l’ interprétation de certaines règles communautaires harmonisant les redevances à percevoir au titre des inspections sanitaires dans les abattoirs. Le Verwaltungsgericht cherche en particulier à savoir si certaines dispositions contenues dans ces règles produisent des effets directs et si une disposition communautaire peut produire des effets directs avant l’ expiration du délai prévu pour sa mise en application. Les dispositions en question figurent dans la décision 88/408/CEE du Conseil, du 15 juin 1988, concernant les niveaux de la redevance à percevoir au titre des inspections et contrôles sanitaires des viandes fraîches (JO L 194, p. 24), qui a été adoptée conformément à l’ article 2, paragraphe 1, de la directive 85/73/CEE du Conseil, du 29 janvier 1985, relative au financement des inspections et contrôles sanitaires des viandes fraîches et des viandes de volaille (JO L 32, p. 14).

2. La demanderesse au principal, la société allemande Hansa Fleisch Ernst Mundt, exploite un abattoir, un établissement de découpage et un entrepôt frigorifique au Schleswig-Holstein. La demande de décision préjudicielle a été présentée dans le cadre du recours introduit par la demanderesse contre un certain nombre de décisions du Landrat des Kreises Schleswig-Flensburg (ci-après « Landrat »), qui a rejeté les réclamations formées par la demanderesse contre le montant des redevances dues pour l’ inspection de ses installations. En vertu du droit allemand, ces redevances sont facturées et perçues au titre de la législation des divers Laender, et non de la loi fédérale allemande. Ainsi, les redevances en cause ont été facturées en vertu d’ un règlement établi par le Land du Schleswig-Holstein, encore que ce règlement, arrêté le 3 avril 1987, soit fondé sur l’ article 24 du Fleischhygienegesetz (loi fédérale sur l’ hygiène de la viande), inséré par la loi du 13 avril 1986.

3. Les avis de recouvrement des redevances en cause ont été établis sur une base journalière entre le 23 mai 1989 et le 27 juin 1990, et les décisions du Landrat contre lesquelles la demanderesse forme un recours ont été prises entre le 31 octobre 1989 et le 9 juillet 1990. Nous désignerons les redevances qui font l’ objet de la réclamation de la demanderesse par les termes « redevances litigieuses ».

Les dispositions communautaires

4. L’ harmonisation communautaire des redevances d’ inspection a été effectuée en deux étapes. L’ article 1er, paragraphe 1, de la directive 85/73 prévoit que:

« Les États membres veillent à ce que, à compter du 1er janvier 1986:

— une redevance soit perçue lors de l’ abattage des animaux visés au paragraphe 2 pour les frais occasionnés par les inspections et contrôles sanitaires;

— toute restitution directe ou indirecte des redevances soit interdite."

L’ article 2, paragraphe 1, prévoit que le Conseil arrête, avant le 1er janvier 1986, le ou les niveaux forfaitaires de ces redevances, ainsi que les « modalités et principes d’ application de la présente directive et les cas d’ exception ». L’ article 2, paragraphe 2, prévoit que

« Les États membres sont autorisés à percevoir un montant supérieur aux niveaux visés au paragraphe 1, sous réserve que la redevance totale perçue par État membre reste inférieure ou égale au coût réel des frais d’ inspection. »

Bien que, comme nous l’ avons vu, le Conseil fût tenu d’ arrêter avant le 1er janvier 1986 les niveaux forfaitaires des redevances, il ne l’ a pas fait en réalité jusqu’ à l’ adoption, le 15 juin 1988, de la décision 88/408. L’ article 2, paragraphe 1, de la décision fixe les niveaux forfaitaires des redevances à percevoir au titre des inspections pour certaines espèces animales. Aux termes de l’ article 2, paragraphe 2:

« … les États membres dont les coûts salariaux, la structure des établissements et le rapport existant entre vétérinaires et inspecteurs s’ écartent de ceux de la moyenne communautaire retenue pour le calcul des montants forfaitaires fixés au paragraphe 1 peuvent y déroger à la hausse et à la baisse jusqu’ à concurrence des coûts réels d’ inspection.

Pour recourir aux dérogations prévues au premier alinéa, les États membres se fondent sur les principes énumérés dans l’ annexe.

En aucun cas, l’ application des dérogations prévues au premier alinéa ne pourra conduire à des baisses supérieures à 55 % jusqu’ au 31 décembre 1992 et à compter du 1er janvier 1993 à 50 % des niveaux moyens figurant au paragraphe 1".

L’ annexe à la décision précise que les États membres peuvent réduire les niveaux forfaitaires d’ une manière générale lorsque le coût de la vie et les coûts salariaux présentent des différences particulièrement importantes, ou pour un établissement donné, sous certaines conditions. L’ annexe énumère également, à titre exemplatif, un certain nombre de circonstances dans lesquelles les États membres peuvent majorer les niveaux pour couvrir les coûts. En vertu de l’ article 11 de la décision:

« Les États membres mettent en application les dispositions de la présente décision au plus tard le 31 décembre 1990. »

Les questions posées

5. Selon l’ ordonnance de renvoi, la demanderesse a fait valoir dans le litige principal que les redevances litigieuses dépassaient les niveaux autorisés par la décision 88/408 et que cette décision était déjà, de fait, transposée en droit allemand par l’ article 24 de la loi sur l’ hygiène de la viande. Il convient toutefois de relever que l’ article 24 ne se réfère qu’ à la directive 85/73, et pas à la décision d’ application du Conseil, qui n’ avait pas encore été adoptée au moment de l’ insertion de l’ article 24 dans la loi sur l’ hygiène de la viande, le 13 avril 1986. Le Landrat, en revanche, n’ a pas admis que la décision 88/408 ait déjà été transposée en droit allemand à l’ époque des avis de recouvrement des redevances litigieuses ni que la décision puisse être invoquée par la demanderesse avant l’ expiration du délai de mise en oeuvre prescrit par son article 11.

6. Le Verwaltungsgericht a dès lors déféré à la Cour les trois questions suivantes:

« 1) La directive 85/73/CEE du Conseil, considérée en liaison avec la décision 88/408/CEE du Conseil, autorise-t-elle une application directe telle qu’ un ressortissant de la Communauté puisse utilement faire valoir devant une juridiction de la République fédérale d’ Allemagne qu’ il résulte en tout état de cause de la prise d’ effet de la décision 88/408/CEE du Conseil que cet État membre ne possède plus le pouvoir de percevoir, au titre des redevances visées à l’ article 1er de ladite décision, des montants dépassant les niveaux forfaitaires prévus à l’ article 2, paragraphe 1, de cette décision?

2) Aux fins de la réponse de la Cour à la première question, importe-t-il que le délai indiqué à l’ article 11 de la décision 88/408/CEE du Conseil soit ou non déjà expiré?

3) Aux fins de la réponse de la Cour à la première question, importe-t-il que l’ article 2, paragraphe 2, de la décision 88/408/CEE du Conseil soit ou non à interpréter en ce sens que le droit de faire usage de cette disposition dérogatoire peut être exercé par un État membre dans son entier, mais non par des subdivisions d’ un État membre telles que les Laender de la République fédérale d’ Allemagne?"

La première question

7. Il ressort clairement de la jurisprudence de la Cour qu’ une décision, notamment si elle est adressée aux États membres, constitue une mesure susceptible en principe, comme une directive, de produire des effets directs: c’ est-à-dire qu’ elle peut, dans certaines circonstances, être invoquée par les particuliers devant la juridiction nationale en l’ absence de mesures nationales d’ exécution. Ainsi que la Cour l’ a observé au point 5 de son arrêt Grad (9/70, Rec. 1970, p. 825):

« Il serait incompatible avec l’ effet contraignant que l’ article 189 reconnaît à la décision d’ exclure en principe que l’ obligation qu’ elle impose puisse être invoquée par des personnes concernées. »

Pour que des dispositions de droit communautaire produisent des effets directs, elles doivent toutefois être inconditionnelles et suffisamment précises. Ainsi que la Cour l’ a déclaré au point 16 de son arrêt Foster (C-188/89, Rec. 1990, p. I-3313), si ces conditions sont remplies, les dispositions d’ une directive peuvent être invoquées,

« à défaut de mesures d’ application prises dans les délais, à l’ encontre de toute disposition nationale non conforme à la directive, ou encore en tant qu’ elles sont de nature à définir des droits que les particuliers sont en mesure de faire valoir à l’ égard de l’ État ».

8. Comme nous l’ avons vu, c’ est la décision 88/408 qui établit les niveaux forfaitaires des redevances à percevoir au titre des inspections. Dans sa première question, le Verwaltungsgericht ne demande pas si la décision 88/408 produit des effets directs, mais plutôt si la directive 85/73 considérée « en liaison avec » la décision 88/408 produit de tels effets. Il ne nous semble cependant pas que la directive 85/73 impose aux États membres des obligations qui soient directement pertinentes en l’ espèce. Il convient de rappeler que l’ article 1er de la directive prescrit aux États membres de percevoir des redevances pour les frais occasionnés par les inspections et contrôles sanitaires dans les abattoirs et interdit toute restitution directe ou indirecte de ces redevances. Il n’ est pas contesté toutefois que la demanderesse puisse se voir appliquer ces redevances, la question étant plutôt celle de savoir si le niveau des redevances facturées dépassait le maximum autorisé en vertu de la décision 88/408.

9. L’ article 2, paragraphe 1, de la directive 85/73, du reste, n’ impose d’ obligations d’ aucune sorte aux États membres, mais exige plutôt que le Conseil arrête les niveaux forfaitaires des redevances et autres modalités d’ application de la directive. Et, nous semble-t-il, l’ article 2, paragraphe 2, de la directive ne vise pas non plus à imposer des obligations aux États membres. Cette disposition présuppose que le Conseil a arrêté les niveaux de la redevance conformément à l’ article 2, paragraphe 1, de la directive et envisage la possibilité, pour les États membres, de s’ écarter de ces niveaux sous certaines conditions. Toutefois, jusqu’ à la mise en application de ces niveaux forfaitaires de la redevance, les limites au pouvoir qu’ ont les États membres de s’ écarter de ces niveaux, évoquées à l’ article 2, paragraphe 2, de la directive, ne sauraient s’ appliquer. Comme nous l’ avons vu, ces limites sont de toute façon spécifiées plus en détail à l’ article 2, paragraphe 2, de la décision 88/408, qui met en oeuvre l’ article 2, paragraphe 2, de la directive. La première question déférée par le Verwaltungsgericht s’ entend donc mieux comme une demande visant simplement à savoir si la décision 88/408 produit des effets directs, bien que, de toute évidence, une décision d’ application doive en tout état de cause être interprétée à la lumière des dispositions qu’ elle met en oeuvre.

10. Dans les observations écrites qu’ il a présentées à la Cour, le Landrat suggère que les niveaux de la redevance fixés par l’ article 2, paragraphe 1, de la décision 88/408 ne peuvent pas faire l’ objet d’ une application directe, étant donné que l’ article 2, paragraphe 2, de la décision donne aux États membres la liberté de s’ écarter de ces niveaux dans certaines circonstances qui sont d’ ailleurs soumises à des modifications continuelles. Dès lors, selon le Landrat, les dispositions de l’ article 2 ne sont pas suffisamment précises et inconditionnelles pour produire des effets directs et elles ne peuvent donc pas être invoquées par la demanderesse.

11. Dans ses propres observations écrites, toutefois, le gouvernement allemand n’ exclut pas qu’ il existe des circonstances dans lesquelles un particulier peut invoquer l’ effet direct des niveaux forfaitaires des redevances fixés par l’ article 2, paragraphe 1, de la décision. Le gouvernement allemand cite le cas dans lequel la liberté de s’ écarter des niveaux forfaitaires de la redevance ne peut pas légitimement être exercée parce que ces niveaux correspondent déjà aux coûts réels d’ inspection. Plus généralement, il nous semble que l’ article 2, paragraphe 1, peut produire des effets directs dans tous les cas où l’ État membre en question n’ a pas légitimement exercé son pouvoir de déroger aux niveaux forfaitaires. Ainsi, lorsque les États membres disposent d’ une marge d’ appréciation leur permettant de déroger à une obligation prescrite par le droit communautaire, il incombe encore à la juridiction nationale de déterminer si les mesures prises se situent dans la marge d’ appréciation autorisée. Car, si les mesures se situent en dehors de la marge autorisée, l’ État membre ne pourra pas invoquer sa liberté d’ action pour échapper à l’ effet direct de dispositions qui sont, par ailleurs, inconditionnelles et suffisamment précises: voir les arrêts Van Duyn, point 7 (41/74, Rec. 1974, p. 1337), et Verbond van Nederlandse Ondernemingen, point 29 (51/76, Rec. 1977, p. 113). Contrairement au point de vue du Landrat, du reste, il ne nous semble pas qu’ un tel effet direct serait exclu par la circonstance que les conditions matérielles touchant à l’ exercice du pouvoir d’ appréciation des États membres peuvent être soumises à des modifications continuelles: il ne s’ agirait là que d’ un des facteurs à prendre en considération afin de décider si les autorités nationales avaient, en tout état de cause, fait un usage correct de leur pouvoir d’ appréciation.

12. Le gouvernement allemand laisse entendre qu’ en l’ espèce on n’ a avancé aucune preuve qui permette de penser que la marge d’ appréciation autorisée par l’ article 2, paragraphe 2, de la décision 88/408 a été dépassée. La demanderesse, en revanche, soutient que le pouvoir d’ appréciation dont dispose la République fédérale d’ Allemagne en vertu de l’ article 2, paragraphe 2, a été exercé illégalement à deux égards: en premier lieu, les niveaux des redevances qui ont été fixés dépassent ce qui est nécessaire pour couvrir les coûts d’ inspection réels, contrairement à ce que prévoit le premier alinéa de l’ article 2, paragraphe 2, et, en second lieu, l’ article 2, paragraphe 2, ne permet pas que des redevances soient fixées par les autorités des divers Laender, plutôt que sur une base uniforme pour la République fédérale d’ Allemagne dans son ensemble. Le premier de ces points comprend des questions de fait qui ne peuvent être réglées que par la juridiction nationale. Le second point, en revanche, relève de toute évidence de la compétence de la Cour. Toutefois, étant donné qu’ il s’ agit en substance du point soulevé dans la troisième des questions posées, nous l’ examinerons sous cette rubrique: voir les points 28 à 31 ci-après.

13. Pour la réponse à la première question posée, il suffit d’ observer que l’ article 2, paragraphe 1, de la décision 88/408 ne peut être invoqué par un particulier devant une juridiction nationale que si l’ État membre concerné n’ a pas exercé comme il convient le pouvoir d’ appréciation que lui confère l’ article 2, paragraphe 2, soit en s’ abstenant de prendre des mesures d’ application, soit en exerçant son pouvoir de façon incorrecte. En revanche, il ne fait, pensons-nous, aucun doute que les dispositions de l’ article 2, paragraphe 1, sont, en elles-mêmes, suffisamment précises et inconditionnelles pour produire des effets directs, de sorte qu’ elles peuvent être invoquées à l’ encontre d’ un État membre qui n’ a pas exercé correctement le pouvoir qu’ il détient en vertu de l’ article 2, paragraphe 2.

La deuxième question

14. Par sa deuxième question, le Verwaltungsgericht demande en réalité si l’ effet direct de la décision 88/408 dépend du point de savoir si le délai prescrit par l’ article 11 de la décision pour la mise en application de ses dispositions est expiré. Il convient de rappeler que le délai prescrit n’ a expiré que le 31 décembre 1990, tandis que les redevances litigieuses ont toutes fait l’ objet d’ avis de recouvrement entre le 23 mai 1989 et le 27 juin 1990. Comme nous l’ avons vu, la directive 85/73 n’ impose pas par elle-même d’ obligations aux États membres en ce qui concerne les niveaux maximaux des redevances facturées et il est, dès lors, sans importance que le délai de transposition de la directive ait expiré le 1er janvier 1986.

15. Dans ses observations écrites, la demanderesse continue à prétendre que l’ insertion, le 13 avril 1986, du nouvel article 24 dans la loi sur l’ hygiène de la viande a eu pour effet de transposer la décision 88/408 en droit allemand dès son adoption par le Conseil. Selon la demanderesse, il s’ ensuit que les niveaux forfaitaires des redevances fixés par l’ article 2, paragraphe 1, de la décision étaient transposés en droit allemand dès le 15 juin 1988. Dans ses observations écrites, le gouvernement allemand confirme que l’ article 24 vise à transposer en droit national non seulement la directive 85/73, mais aussi la décision d’ application arrêtée par le Conseil conformément à l’ article 2 de la directive; il a toutefois expliqué à l’ audience que cette transposition n’ était pas censée produire d’ effets avant l’ expiration du délai prescrit par l’ article 11 de la décision.

16. Il ne nous semble pas que l’ article 24 de la loi sur l’ hygiène de la viande puisse être considéré comme un moyen satisfaisant de transposer la décision 88/408 en droit allemand. Une telle méthode de mise en oeuvre manquerait à tout le moins de la transparence nécessaire, eu égard en particulier au fait que l’ article 24 ne spécifie pas le moment auquel la transposition est censée entrer en vigueur. Il appartient toutefois à la juridiction nationale de statuer sur la question de savoir si la demanderesse peut se prévaloir de certains droits au titre du droit allemand. Dans la mesure où la demanderesse peut invoquer de tels droits, il ne sera naturellement pas nécessaire de s’ appuyer sur l’ effet direct des dispositions communautaires. Aux fins des présentes conclusions, nous partirons de l’ hypothèse que, à l’ époque de la perception des redevances litigieuses, la décision 88/408 n’ était pas complètement transposée en droit allemand.

17. Aux points 46 et 47 de l’ arrêt Marshall (152/84, Rec. 1986, p. 723), la Cour a précisé comme suit les principes qui sous-tendent la doctrine de l’ effet direct:

« Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour … dans tous les cas où des dispositions d’ une directive apparaissent comme étant, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, les particuliers sont fondés à les invoquer, à l’ encontre de l’ État, soit lorsque celui-ci s’ abstient de transposer dans les délais la directive en droit national, soit lorsqu’ il en fait une transposition incorrecte.

Cette jurisprudence se fonde sur la considération qu’ il serait incompatible avec le caractère contraignant que l’ article 189 reconnaît à la directive d’ exclure, en principe, que l’ obligation qu’ elle impose puisse être invoquée par des personnes concernées. La Cour en a tiré la conséquence que l’ État membre qui n’ a pas pris, dans les délais, les mesures d’ exécution imposées par la directive ne peut opposer aux particuliers le non-accomplissement, par lui-même, des obligations qu’ elle comporte" (souligné par nous).

Cette déclaration s’ applique également, mutatis mutandis, aux décisions dont les États membres sont les destinataires et qui doivent être transposées en droit national à l’ expiration du délai prescrit.

18. Il est naturellement évident que lorsqu’ un État membre s’ est abstenu d’ agir, une directive ou une décision ne sauraient produire d’ effets directs avant l’ expiration du délai fixé pour leur mise en oeuvre: voir l’ arrêt Ratti, points 24 et 43 (148/78, Rec. 1979, p. 1629). Lu littéralement, le passage de l’ arrêt Marshall que nous venons de citer pourrait toutefois paraître ne pas exclure la possibilité qu’ une directive (ou une décision) produise des effets directs à l’ encontre d’ un État membre, même avant l’ expiration du délai fixé pour sa mise en oeuvre, lorsque l’ État a entrepris de transposer la directive avant l’ expiration du délai prescrit, mais l’ a fait de façon incorrecte. L’ argument serait que, bien qu’ un État membre ne soit pas obligé de procéder à la mise en oeuvre avant l’ expiration du délai, il doit néanmoins, s’ il choisit de le faire, respecter les termes de la directive (voir Hartley, T. C.: The Foundations of European Community Law, 2e édition, Oxford, 1988, p. 205). Il conviendrait alors d’ établir une distinction entre les cas dans lesquels l’ État membre a omis d’ agir pendant le délai prescrit et ceux dans lesquels il a agi, mais de façon incorrecte. Comme nous l’ avons vu, la demanderesse soutient en l’ espèce que l’ article 24 de la loi sur l’ hygiène de la viande, avec peut-être le règlement d’ application du Land du Schleswig-Holstein, était destiné à transposer la décision 88/408 en droit allemand dès l’ adoption de cette dernière le 15 juin 1988. On pourrait alors faire valoir que, dans la mesure où la mise en oeuvre entreprise était défectueuse, la décision pouvait produire des effets directs à partir de cette date.

19. A notre avis toutefois, aucune distinction ne devrait être établie, aux fins de la doctrine de l’ effet direct, entre le cas où un État membre a omis d’ agir pour mettre en oeuvre la législation communautaire dans le délai prescrit et celui où un État membre a agi en ce sens, mais a effectué une transposition défectueuse. Il nous semble que, dans l’ un et l’ autre cas, la législation ne peut produire d’ effets directs qu’ après l’ expiration du délai de transposition. Toute autre conclusion aboutirait à des distinctions arbitraires entre différents cas et ne serait pas justifiée par les principes qui sous-tendent la doctrine de l’ effet direct.

20. Pour établir une distinction entre, d’ une part, un défaut de transposition et, d’ autre part, une transposition défectueuse, il serait avant tout nécessaire de différencier les deux types de cas. Dans certaines circonstances toutefois, il pourrait s’ agir d’ une distinction ténue, requérant une recherche des intentions du législateur, afin de s’ assurer que les mesures nationales étaient effectivement destinées à transposer la directive. La question de l’ effet direct de dispositions communautaires devrait du reste, à notre avis, être axée sur le point de savoir si l’ État membre concerné a manqué à ses obligations, et pas sur son intention ou non de mettre en oeuvre les dispositions; bien que, comme nous le verrons, la question de savoir si des mesures nationales sont destinées à mettre en oeuvre des dispositions communautaires puisse en réalité rentrer dans les limites du devoir qui incombe aux juridictions nationales d’ interpréter le droit national à la lumière desdites dispositions: voir les points 23 à 26 ci-après.

21. En outre, même en disposant de moyens satisfaisants pour distinguer le défaut de transposition de la transposition incorrecte, on aboutirait à un résultat à la fois arbitraire et injuste. Un État membre qui aurait tenté consciencieusement de mettre en oeuvre une directive avant l’ expiration du délai prescrit, mais qui n’ aurait pas pu le faire de façon entièrement correcte se trouverait, pendant le délai restant à courir, dans une situation pire que l’ État membre qui n’ aurait rien fait. A vrai dire, un État membre pourrait même avoir agi avant la date prescrite de façon à pouvoir remédier aux insuffisances des dispositions nationales avant l’ expiration définitive du délai de transposition. Ainsi, l’ État membre qui aurait été particulièrement diligent dans sa mise en oeuvre du droit communautaire serait désavantagé: comparez les observations faites par l’ avocat général M. Roemer dans ses conclusions dans l’ affaire Grad, citée au point 7 ci-avant, à la page 853.

22. Enfin, une telle distinction n’ est pas compatible, à notre avis, avec les principes qui sous-tendent la doctrine de l’ effet direct. Ainsi que la Cour l’ a précisé dans le passage de l’ arrêt Marshall que nous avons cité au point 17 ci-avant, cette doctrine se fonde sur le principe qu’ un État membre ne peut opposer à un particulier le non-accomplissement, par lui-même, d’ une obligation communautaire. L’ obligation de mettre en oeuvre la législation communautaire ne prend toutefois effet qu’ à l’ expiration du délai prescrit pour sa transposition. En plaidant le non-écoulement du délai, l’ État membre ne s’ appuyerait donc pas sur sa propre défaillance, mais nierait, à juste titre, l’ existence d’ une obligation et ne demanderait en réalité que l’ égalité de traitement par rapport à d’ autres États membres.

23. La position au regard de l’ effet direct doit cependant être distinguée, à notre avis, de la position au regard de l’ interprétation de dispositions d’ application. Même si un État membre peut ne pas encore avoir enfreint son obligation de mettre en oeuvre correctement une directive (ou une autre norme communautaire) parce que le délai prescrit pour sa transposition n’ est pas encore expiré, les juridictions nationales restent tenues, à notre avis, d’ interpréter conformément à la directive toutes dispositions nationales déjà en vigueur en vue de sa mise en oeuvre. En pareil cas, l’ obligation d’ interpréter de cette façon des dispositions d’ application résulte non pas de l’ expiration du délai de transposition prescrit, mais du devoir de coopération de la juridiction nationale avec les autres autorités nationales dans leur effort de mise en oeuvre de la directive. Car, une fois qu’ un État membre a décidé de mettre en oeuvre des dispositions communautaires, il nous semble que toutes les autorités dudit État sont liées, en vertu de l’ article 5 du traité, par le devoir général de faciliter à la Communauté l’ accomplissement de sa mission en assurant la réussite de cette mise en oeuvre. L’ existence d’ un tel devoir échappe aux objections formulées aux points 21 et 22 ci-avant à l’ encontre de l’ effet direct anticipé; et une telle obligation contribuerait à éviter les risques de transposition incorrecte qui surviendraient si les dispositions d’ application étaient interprétées différemment avant et après l’ expiration du délai de transposition prescrit. On peut présumer, en outre, qu’ un État membre entend voir ses dispositions d’ application interprétées à la lumière de la législation qu’ elles mettent en oeuvre.

24. Nous estimons toutefois que, lorsque le délai prescrit n’ est pas encore expiré, le devoir qui incombe à la juridiction nationale d’ interpréter les mesures nationales à la lumière des dispositions communautaires n’ existe qu’ à l’ égard de mesures destinées à mettre en oeuvre les dispositions en question. Car, autrement, la juridiction nationale serait soumise à l’ obligation de devancer la décision du législateur national en donnant effet à la directive avant que ce dernier n’ ait choisi le moment et la méthode de sa mise en oeuvre; et cette situation serait, à notre avis, absurde. Jusqu’ à l’ expiration du délai prescrit, le devoir de la juridiction nationale est donc plus restreint que celui qui prend naissance après la date limite de transposition. Après cette date, le devoir de la juridiction nationale est celui, plus large, d’ interpréter toutes les dispositions du droit national à la lumière des dispositions communautaires: voir, au sujet de ce dernier devoir, l’ arrêt Marleasing (C-106/89, Rec. 1990, p. I-4135), dans lequel la Cour a déclaré au point 8 que

« … l’ obligation des États membres, découlant d’ une directive, d’ atteindre le résultat prévu par celle-ci ainsi que leur devoir, en vertu de l’ article 5 du traité, de prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l’ exécution de cette obligation s’ imposent à toutes les autorités des États membres, y compris, dans le cadre de leurs compétences, les autorités juridictionnelles ».

Ce passage prouve, à notre avis, que le devoir plus large d’ interprétation est fondé sur l’ obligation de mettre en oeuvre la directive, obligation qui ne prend naturellement naissance qu’ après l’ expiration du délai de transposition.

25. En conséquence, en vue de déterminer la portée du devoir d’ interprétation de la juridiction nationale, il peut être nécessaire d’ examiner si les dispositions nationales en cause sont destinées à mettre en oeuvre la directive concernée. Cette appréciation de l’ intention des autorités législatives fait toutefois normalement partie de l’ interprétation de toute législation. Il ne nous semble donc pas inacceptable que l’ obligation d’ interpréter les dispositions nationales à la lumière du droit communautaire soit affectée par le résultat d’ une telle appréciation. Comme nous l’ avons vu, il s’ ensuit dès lors que, à défaut d’ éléments permettant de discerner une intention de mettre en oeuvre la directive, l’ obligation d’ interpréter les dispositions nationales à la lumière de la directive ne prend naissance qu’ après l’ écoulement du délai de transposition.

26. Il est exact que, au point 15 de son arrêt Kolpinghuis Nijmegen (80/86, Rec. 1987, p. 3969), la Cour a déclaré que:

« Quant à la troisième question (posée par la juridiction nationale) dans l’ affaire en question concernant les limites que pourrait poser le droit communautaire à l’ obligation ou à la faculté pour le juge national d’ interpréter les règles de son droit national à la lumière de la directive, ce problème ne se pose pas de manière différente selon que le délai de transposition est écoulé ou non. »

Il convient toutefois de relever que la Cour avait répondu à cette troisième question en déclarant que, bien que la juridiction nationale soit tenue d’ interpréter la législation nationale de façon à atteindre le résultat visé par la directive, une directive ne peut pas avoir comme effet, par elle-même, de déterminer la responsabilité pénale de particuliers: voir le point 14 de l’ arrêt. Il est clair que cette limitation du devoir d’ interprétation de la juridiction nationale prévaut, que le délai de transposition soit écoulé ou non. Nous ne pensons pas, en revanche, que la Cour ait eu l’ intention d’ affirmer que l’ expiration du délai de transposition ne pourrait jamais affecter l’ étendue de l’ obligation de la juridiction nationale d’ interpréter des dispositions nationales à la lumière d’ une directive.

27. Nous concluons dès lors que la décision 88/408 ne peut produire d’ effets directs qu’ à l’ issue de la période fixée à l’ article 11 de la décision, que certaines mesures aient été prises ou non en vue de transposer la décision en droit national avant la fin de cette période; toutefois, même avant l’ expiration du délai imparti, toute législation nationale destinée à mettre en oeuvre la décision doit être interprétée, autant que possible, de façon à atteindre le résultat visé par la décision.

La troisième question

28. Il convient de rappeler que les redevances litigieuses ont été perçues en application d’ un règlement arrêté par le Land du Schleswig-Holstein, qui fixe des taux dépassant les montants forfaitaires prévus par l’ article 2, paragraphe 1, de la décision 88/408. Selon la demanderesse, seul le gouvernement fédéral, par opposition aux autorités des divers Laender, est libre de s’ écarter des niveaux forfaitaires des redevances accordés par l’ article 2, paragraphe 2, de la décision. Le gouvernement allemand estime au contraire que la fixation des redevances par les divers Laender est le moyen le plus approprié d’ assurer, conformément à l’ article 2, paragraphe 2, que les redevances correspondent aux coûts réels d’ inspection. Le gouvernement allemand est donc d’ avis que la République fédérale d’ Allemagne est autorisée à déléguer aux autorités du Schleswig-Holstein son pouvoir de déroger aux niveaux forfaitaires des redevances.

29. Selon la jurisprudence constante de la Cour, en mettant en oeuvre la législation communautaire, un État membre est autorisé, en principe, à déléguer ses pouvoirs aux autorités intérieures. En conséquence, un État membre est libre de mettre en oeuvre la législation communautaire au moyen de mesures prises par les autorités régionales ou locales, pourvu que cette division des pouvoirs soit compatible avec la mise en oeuvre correcte des dispositions en cause: voir les arrêts Commission/Pays-Bas, point 12 (96/81, Rec. 1982, p. 1791), et Commission/Belgique, point 9 (227/85 à 230/85, Rec. 1988, p. 1).

30. A notre avis, rien dans l’ article 2, paragraphe 2, de la décision ne suggère que les États membres sont empêchés de déléguer aux autorités locales ou régionales le pouvoir de déroger aux niveaux forfaitaires des redevances fixés par l’ article 2, paragraphe 1. Il ressort, en outre, clairement des principes énumérés à l’ annexe de la décision que les États membres sont autorisés à réduire les niveaux forfaitaires des redevances à la fois « d’ une manière générale » et « pour un établissement donné »: voir le point 1, sous a) et b), de l’ annexe. Il est suggéré par là que les États membres peuvent adapter les niveaux de la redevance aux conditions qui prévalent dans un établissement donné ou fixer des niveaux correspondant aux coûts moyens d’ un certain nombre d’ établissements, par exemple ceux d’ une localité ou d’ une région particulières. Bien que le point 2 de l’ annexe, qui a trait aux majorations des niveaux forfaitaires des redevances, ne mentionne pas expressément le cas d’ une majoration « générale », nous ne voyons pas de raison de soumettre les majorations et les réductions à des principes différents. Dans l’ un et l’ autre cas, le principe est que tout écart par rapport aux niveaux forfaitaires doit être justifié en termes de coûts réels d’ inspection calculés soit pour un établissement donné soit en tant que moyenne pour un groupe d’ établissements fonctionnant dans des conditions comparables. Il est envisagé clairement que cette moyenne peut être calculée pour une localité ou une région donnée aussi bien que pour un État membre dans son entier.

31. Nous estimons, dès lors, que le pouvoir de s’ écarter des niveaux forfaitaires de la redevance fixés à l’ article 2, paragraphe 1, peut s’ exercer au niveau local ou régional tout autant qu’ au niveau national. Cette interprétation est confirmée par l’ article 5, paragraphe 1, de la décision, aux termes duquel

« Le montant visé à l’ article 2 se substitue à toute autre taxe ou redevance sanitaire perçue par les autorités nationale, régionale ou communale des États membres … »

Le pouvoir peut donc être exercé par une autorité locale ou régionale, qui fixe les redevances pour un abattoir donné ou diverses catégories d’ établissements ou qui fixe une redevance forfaitaire pour tous les établissements de la localité ou région concernées.

Conclusion

32. Nous sommes, dès lors, d’ avis qu’ il convient de répondre aux questions posées par le Verwaltungsgericht de la façon suivante:

« 1) L’ article 2, paragraphe 1, de la décision 88/408/CEE du Conseil peut être invoqué par un particulier devant une juridiction nationale à l’ encontre d’ un État membre qui n’ a pas utilisé correctement la liberté d’ action que lui confère l’ article 2, paragraphe 2, de la décision, mais ne peut être ainsi invoqué que pour une période postérieure à la date fixée par l’ article 11 de la décision.

2) Un État membre peut déléguer l’ exercice des pouvoirs que lui confère l’ article 2, paragraphe 2, de la décision à ses autorités régionales ou locales."

(*) Langue originale: l’ anglais.

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CJCE, n° C-156/91, Conclusions de l'avocat général de la Cour, Hansa Fleisch Ernst Mundt GmbH & Co. KG contre Landrat des Kreises Schleswig-Flensburg, 25 juin 1992