CJCE, n° C-271/92, Conclusions de l'avocat général de la Cour, Laboratoire de prothèses oculaires contre Union nationale des syndicats d'opticiens de France et Groupement d'opticiens lunetiers détaillants et Syndicat des opticiens français indépendants et Syndicat national des adapteurs d'optique de contact, 4 mars 1993

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CJUE, Cour, 4 mars 1993, LPO, C-271/92
Numéro(s) : C-271/92
Conclusions de l'avocat général Tesauro présentées le 4 mars 1993. # Laboratoire de prothèses oculaires contre Union nationale des syndicats d'opticiens de France et Groupement d'opticiens lunetiers détaillants et Syndicat des opticiens français indépendants et Syndicat national des adapteurs d'optique de contact. # Demande de décision préjudicielle: Cour de cassation - France. # Interprétation des articles 30, 36 CEE au regard d'une législation nationale qui réserve la distribution au détail des lentilles de contact aux seuls titulaires du diplôme d'opticien-lunetier. # Affaire C-271/92.
Date de dépôt : 16 juin 1992
Précédents jurisprudentiels : Conforama ( affaire C-312/89, Rec p. I-997 ) et Marchandise ( affaire C-332/89
Council of the City of Stoke-on-Trent ( affaire C-169/91, Rec. p. I-0000
Torfaen ( affaire C-145/88, Rec. p. I-3851
Solution : Renvoi préjudiciel
Identifiant CELEX : 61992CC0271
Identifiant européen : ECLI:EU:C:1993:85
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Sur les parties

Texte intégral

Avis juridique important

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61992C0271

Conclusions de l’avocat général Tesauro présentées le 4 mars 1993. – Laboratoire de prothèses oculaires contre Union nationale des syndicats d’opticiens de France et Groupement d’opticiens lunetiers détaillants et Syndicat des opticiens français indépendants et Syndicat national des adapteurs d’optique de contact. – Demande de décision préjudicielle: Cour de cassation – France. – Interprétation des articles 30, 36 CEE au regard d’une législation nationale qui réserve la distribution au détail des lentilles de contact aux seuls titulaires du diplôme d’opticien-lunetier. – Affaire C-271/92.


Recueil de jurisprudence 1993 page I-02899


Conclusions de l’avocat général


++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. La présente procédure a pour objet deux questions préjudicielles par lesquelles la Cour de cassation française demande, en substance, si les articles 30 et 36 du traité s’ opposent à l’ application d’ une législation nationale qui interdit la vente de matériel optique et de verres correcteurs par des personnes non titulaires du diplôme d’ opticien ou d’ un titre équivalent.

La législation française pertinente prévoit en effet que nul ne peut exercer la profession d’ opticien s’ il n’ est pourvu du titre prescrit (article L 505 du code de la santé publique) et que les établissements commerciaux dont l’ objet principal est l’ optique-lunetterie, leurs succursales et les rayons d’ optique-lunetterie des magasins ne pourront être dirigés ou gérés que par une personne remplissant les conditions requises pour l’ exercice de la profession d’ opticien-lunetier (article L 508 de la même loi). Par ailleurs, les produits destinés à l’ entretien des lentilles oculaires de contact peuvent, par dérogation au monopole des pharmaciens, également être vendus au public par les opticiens-lunetiers (article L 521).

2. Le litige dans l’ affaire au principal oppose la société Laboratoire de prothèses oculaires (ci-après « LPO ») qui commercialise, par l’ intermédiaire de ses agents ou des distributeurs qui lui sont liés par des contrats de franchise, des lentilles de contact, des implants intra-oculaires et leurs produits connexes, à quatre associations professionnelles d’ opticiens-lunetiers: le syndicat des opticiens français indépendants (ci-après « SOFI »), le groupement d’ opticiens-lunetiers détaillants (ci-après « GOLD »), l’ Union nationale des chambres syndicales d’ opticiens-lunetiers détaillants (ci-après « UNSOF ») et le syndicat national des opticiens d’ optique de contact (ci-après « SNADOC »).

Considérant que les actions introduites par les associations professionnelles précitées pour l’ empêcher de vendre les produits en cause constituent des pratiques anticoncurrentielles, la société LPO a saisi le Tribunal de grande instance de Paris. Ce dernier a non seulement débouté la société LPO de sa demande, mais, faisant droit à la demande reconventionnelle des organisations professionnelles appelées à la cause, a interdit sous astreinte à cette société de poursuivre la commercialisation des lentilles de contact auprès des particuliers dans les points de vente contrôlés par elle et exploités par des responsables non titulaires du diplôme d’ opticien-lunetier.

Contre cet arrêt, confirmé par la Cour d’ appel, la société LPO s’ est pourvue en cassation, en faisant valoir que la mesure en question constituait une mesure d’ effet équivalent interdite par l’ article 30 du traité. C’ est précisément en vue de vérifier si le monopole de vente dont se prévalent les opticiens-lunetiers constitue une mesure d’ effet équivalant à une restriction quantitative et, dans le cas d’ une réponse affirmative à cette question, si ledit monopole est justifié par des exigences impératives de protection des consommateurs ou de protection de la santé publique au sens de l’ article 36 que la Cour de cassation a saisi la Cour de justice à titre préjudiciel.

3. Nous faisons observer à titre liminaire que le droit communautaire, dans son état actuel, ne prévoit aucun régime spécifique pour la distribution des produits optiques (1). Il en résulte que la détermination des dispositions applicables continue de relever de la compétence des États membres, à condition – bien entendu – que soient respectées les dispositions du traité et notamment celles relatives à la libre circulation des marchandises.

Par ailleurs, en se référant à une jurisprudence de la Cour selon laquelle l’ article 30 ne s’ applique pas à des situations qui ne présentent aucun élément « d’ extranéité » et relèvent par conséquent du droit interne d’ un État membre (1), SOFI et GOLD font valoir que la réglementation en vigueur en matière de circulation des marchandises ne s’ applique pas à la présente affaire puisque LPO n’ est ni productrice, ni importatrice de lentilles de contact.

Disons d’ emblée que cette thèse ne saurait être accueillie, au motif qu’ aux fins de l’ applicabilité de l’ article 30, il est suffisant que LPO commercialise également des produits importés, ce qui n’ est pas démenti par les éléments du dossier, ni contesté par aucune des parties.

4. Sur le fond, il est constant entre toutes les associations professionnelles d’ opticiens-lunetiers que la réglementation contestée ne comporte pas d’ obstacles au commerce intracommunautaire, dans la mesure où il s’ agit d’ une réglementation indistinctement applicable qui n’ a ni pour but, ni pour effet de restreindre les échanges commerciaux et se borne en fait à réserver à des opérateurs qualifiés la vente de lentilles de contact. En effet, l’ unique condition imposée pour la vente des produits en cause est que lesdits établissements commerciaux soient gérés par une personne pourvue du diplôme d’ opticien-lunetier. Les associations professionnelles d’ opticiens font cependant observer que LPO pourrait tout à fait commercialiser les produits en cause sans devoir changer de système de vente ou sans se lancer dans des adaptations particulièrement onéreuses, puisqu’ il est suffisant qu’ elle fasse gérer ses divers points de vente par des opticiens.

En se fondant sur les considérations qui viennent d’ être exposées, l’ UNSOF et le SNADOC soutiennent en outre qu’ une telle législation ne pourrait avoir d’ effets sur la libre circulation des produits que si la condition exigée (vente dans des établissements commerciaux gérés par des opticiens) était tellement difficile à réaliser que seuls quelques points de vente seraient en mesure de fournir les produits en cause et, par conséquent, seulement si le nombre d’ opticiens était limité.

5. La législation en cause, comme de manière générale les dispositions qui réglementent les modalités de commercialisation (où, comment, quand, par qui) des produits n’ est pas en elle-même de nature à rendre la commercialisation des produits importés plus onéreuse que celle des produits nationaux. Il est par conséquent évident, s’ agissant de ce type de législation, que le fait que dans les différents États membres soient en vigueur des systèmes de commercialisation identiques ou différents est tout à fait dépourvu de pertinence.

Il résulte de ce qui précède qu’ une telle réglementation peut effectivement avoir une certaine influence sur les importations, mais uniquement du fait qu’ en imposant des restrictions aux débouchés des produits qui relèvent de son domaine d’ application, elle peut avoir une influence sur la demande et comporter donc une réduction du volume des ventes et, par conséquent, également du volume des importations. En l’ espèce, il n’ a pas toutefois été démontré si et dans quelle mesure l’ abrogation de la législation visée pourrait avoir un effet positif sur les ventes et, partant, sur les importations.

En définitive, nous nous trouvons en face de l’ hypothèse désormais fréquente d’ une réduction potentielle des importations, qui n’ est due ni au fait que l’ on applique un régime différent aux produits importés et aux produits nationaux, ni à une éventuelle différence entre les législations relatives aux impératifs en matière de composition et de présentation du produit (hypothèse Cassis de Dijon). Au contraire, l’ hypothèse en cause ici est celle d’ une mesure ne visant que la commercialisation d’ un produit, qui impose en l’ espèce un diplôme professionnel, mais qui pourrait également avoir pour objet une simple autorisation de vente; mesure qui, en réglementant et donc en restreignant – de manière différente selon les diverses hypothèses envisagées – le nombre de canaux de distribution, peut comporter une réduction des importations. Dans cette hypothèse, par conséquent, le rapport (de causalité) entre la canalisation de la distribution et la réduction des importations n’ est assurément qu’ indirect et éventuel, en ce sens qu’ il n’ existe pas nécessairement et qu’ il ne saurait par conséquent être présumé.

6. Malgré cela, en principe, même l’ hypothèse en cause devrait rentrer dans le cadre de la formule de l’ arrêt Dassonville, selon laquelle toute réglementation commerciale « susceptible d’ entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement le commerce intracommunautaire est à considérer comme mesure d’ effet équivalant à des restrictions quantitatives » (2). En effet, la Cour a dit pour droit qu’ une mesure nationale « n’ est pas soustraite à l’ interdiction visée à l’ article 30 du seul fait que l’ entrave aux exportations est faible et qu’ il existe d’ autres possibilités d’ écoulement des produits importés » (3).

Toutefois, les réponses données par la jurisprudence de la Cour à la question de savoir si et dans quelle mesure les articles 30 et 36 du traité sont applicables à une réglementation commerciale telle que celle qui est en cause ici, qui ne peut donc être rattachée à l’ hypothèse Cassis de Dijon, ont été apparemment différentes et peuvent schématiquement se réduire à trois modèles de solutions.

7. Dans un premier groupe d’ arrêts, la Cour a considéré que les mesures en cause étaient dépourvues d’ un lien quelconque avec les importations (4). La Cour est d’ ailleurs parvenue à ce résultat en mettant l’ accent sur le fait que ces mesures n’ ont pas pour objet de régir les échanges intracommunautaires, ne concernent pas d’ autres formes de commercialisation du même produit (5) ou qu’ en tout état de cause, elles laissent ouverte la possibilité de vente par d’ autres circuits (6): il est à peine besoin de rappeler, respectivement, l’ interdiction de travail et de commercialisation du pain à certaines heures (Oebel), l’ interdiction de consommer des boissons alcoolisées dans certains établissements commerciaux (Blesgen), l’ interdiction de vendre des articles pornographiques dans des établissements non autorisés (Quietlynn).

8. Dans un second groupe d’ arrêts, la Cour a au contraire jugé que les réglementations concernant la vente, tout en n’ affectant pas directement les importations, étaient en tout cas de nature, par le simple fait de leur incidence sur la possibilité de distribution des produits importés, à restreindre le volume des importations, ce qui avait pour conséquence la nécessité de les soumettre à un examen de compatibilité avec les articles 30 et 36 (7).

Tel est le cas de mesures qui, par le simple fait d’ imposer une interdiction de pratiquer une certaine méthode de vente, sont de nature à rendre plus difficile et moins rentable l’ accès au marché; et cela à plus forte raison, comme la Cour elle-même l’ a précisé, lorsque l’ opérateur économique intéressé réalise la quasi-totalité de ses ventes au moyen de la méthode de commercialisation en cause (8). En d’ autres termes, la Cour a strictement lié, dans des affaires comme Oosthoek (vente avec primes), Buet (démarchage à domicile) et Delattre (vente par correspondance), la réduction éventuelle du volume des importations aux obstacles résultant de la réglementation en cause pour un opérateur du secteur en question.

Il en va de même pour une réglementation qui réserve à une seule catégorie d’ opérateurs économiques (les pharmaciens) la vente de certaines catégories de produits, rendant impossible la commercialisation de ces produits hors des canaux de distribution prévus par la loi (9).

Dans ces hypothèses, la Cour procède à un examen destiné à vérifier, d’ une part, si la législation nationale poursuit un objectif d’ intérêt général reconnu par l’ ordre juridique communautaire (selon les cas, la protection des consommateurs ou de la santé publique) et, d’ autre part, si les mesures choisies sont proportionnelles à l’ objectif (légitime) poursuivi.

9. Dans un troisième groupe d’ arrêts, concernant l’ interdiction de pratiquer une activité commerciale le dimanche (10), la Cour semble, à première vue, avoir définitivement admis que le principe énoncé dans l’ arrêt Dassonville s’ applique aux réglementations commerciales du type en cause, avec la conséquence que sa compatibilité avec l’ article 30 est subordonnée à une double condition: a) que la législation en cause poursuive un objectif légitime du point de vue du droit communautaire, et b) que les effets restrictifs qui en résultent ne dépassent pas ce qui est nécessaire pour atteindre le but poursuivi ou également, en rappelant la formule utilisée dans lesdits arrêts, qu’ ils « ne dépassent pas le cadre des effets propres à une réglementation commerciale ».

Il est vrai que, dans ces mêmes arrêts, la Cour, après avoir admis la légitimité – au regard du droit communautaire – d’ un but consistant à assurer une répartition des horaires de travail et de repos qui corresponde aux particularités socio-culturelles nationales ou régionales, s’ est bornée à affirmer que « les effets restrictifs sur les échanges qui peuvent éventuellement découler d’ une telle réglementation n’ apparaissent pas comme excessifs au regard du but poursuivi » (11), en précisant ensuite, dans le plus récent arrêt en la matière, qu’ aux fins de vérifier si les (éventuels) effets restrictifs d’ une telle réglementation ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’ objectif visé, il importe d’ examiner si ces effets « sont directs, indirects ou simplement hypothétiques et s’ ils ne gênent pas la commercialisation des produits importés plus que celle des produits nationaux » (12).

A bien y regarder, par conséquent, la Cour semble s’ être bornée à un contrôle limité portant sur le caractère raisonnable de la mesure en cause, plus précisément sur son opportunité au regard d’ (éventuels) effets restrictifs. Mais au-delà des diverses formules adoptées et de l’ examen plus ou moins approfondi des dispositions en cause, il ne nous semble pas possible d’ ignorer que la Cour procède toujours à un examen centré sur les buts poursuivis et les mesures prises à cette fin par le législateur national.

10. Revenons à l’ affaire qui nous occupe. Comme nous l’ avons dit, la législation en cause réserve la vente de certains produits (notamment les lunettes de vue et les lentilles de contact) à une catégorie professionnelle donnée.

Cette législation canalise les ventes à travers un réseau d’ intermédiaires commerciaux spécialisés, excluant par conséquent les possibilités de distribution du produit par l’ intermédiaire de canaux différents de ceux prévus par la loi.

Sous cet aspect, partant, il n’ y a pas de différences avec l’ hypothèse du monopole des pharmaciens que la Cour a examiné dans les affaires Delattre ainsi que Monteil et Samanni. Il est vrai que, dans la présente affaire, les associations d’ opticiens ont soutenu que les pharmacies sont soumises à un numerus clausus, alors qu’ il n’ y a pas de condition particulière d’ ouverture pour les établissements qui commercialisent des produits optiques, ce qui implique que n’ importe qui peut ouvrir un magasin d’ optique ou installer un rayon d’ optique à l’ intérieur, par exemple, d’ un supermarché, pourvu que celui-ci soit géré par une personne titulaire du diplôme d’ opticien. Toutefois, cet argument n’ est pas décisif. Il est évident en effet que le nombre de points de vente de lunettes et de lentilles de contact peut, tout au plus, être égal au nombre des opticiens (13). En toute hypothèse, par conséquent, nous nous trouverons en face d’ une canalisation plus ou moins importante de la distribution du produit.

11. Or, conformément à la jurisprudence de la Cour, une réglementation de ce type produit sur les échanges une incidence qui, dans certaines conditions, peut relever de l’ article 30.

Dans les arrêts Delattre ainsi que Monteil et Samanni, la Cour précise en effet « qu’ un monopole, conféré aux pharmaciens d’ officine, pour la commercialisation de médicaments ou d’ autres produits, par le fait qu’ il canalise les ventes, est susceptible d’ affecter les possibilités de commercialisation des produits importés et peut, dans ces conditions, constituer une mesure d’ effet équivalant à une restriction quantitative à l’ importation, au sens de l’ article 30 du traité » (14). La Cour a donc estimé nécessaire de vérifier si l’ existence d’ un tel monopole pouvait être justifiée pour des motifs de protection de la santé publique ou de la vie des personnes ou des impératifs de protection du consommateur.

12. Le même examen s’ impose dans le cas qui nous occupe. Nous rappelons en premier lieu que, selon une jurisprudence constante de la Cour (15), il appartient aux États membres, en l’ absence de règles communes ou harmonisées, de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé publique et de la manière dont ce niveau doit être atteint, à condition que le principe de proportionnalité soit respecté.

En outre, la Cour a plusieurs fois admis que les États membres peuvent en principe soumettre à un régime restrictif de vente ou de mise sur le marché des produits qui, bien qu’ ils ne soient pas des spécialités pharmaceutiques au sens de la réglementation communautaire, sont en tout état de cause destinés à satisfaire des exigences qui rentrent dans le cadre de la protection de la santé publique (16).

13. Cela s’ applique assurément dans le cas des dispositions en cause ici, qui réglementent la vente de produits qui sont destinés à corriger le défaut d’ une fonction propre de l’ organisme. Une telle disposition qui réserve aux opticiens-lunetiers la vente des instruments de correction de la vue vise en effet clairement un objectif de protection de la santé publique.

En premier lieu, s’ il est vrai – comme l’ a soutenu LPO -, que la prescription et l’ adaptation des lentilles de contact relève de la compétence de l’ oculiste, il est également vrai que la vente de ces mêmes lentilles ne peut être considérée comme une quelconque activité commerciale. Cela, non seulement parce que l’ opticien est le seul (à part l’ oculiste) en mesure de fournir aux utilisateurs des informations utiles en ce qui concerne l’ usage des lentilles ainsi que sur les produits destinés à leur entretien, mais aussi parce que, en l’ absence de prescription médicale (obligatoire seulement jusqu’ à 16 ans), des vérifications appropriées se révèlent indispensables ainsi que les conseils d’ une personne ayant un minimum de connaissances en la matière. La mesure en question est donc objectivement nécessaire pour garantir la protection de la santé publique.

Ensuite, il n’ apparaît pas possible d’ atteindre un tel objectif si l’ on ne confie pas à des personnes qualifiées la vente des produits en cause. Il ne nous semble pas en effet pouvoir partager la thèse, avancée par la demanderesse, selon laquelle il serait suffisant que ces produits soient vendus uniquement sur prescription médicale et que les préposés à la vente s’ abstiennent de toute prestation technique ou médicale. A cet égard, nous observons en effet que le fait même qu’ une prescription médicale soit nécessaire pour les produits en cause peut être considéré comme décisif pour justifier la présence, dans les magasins d’ optique, d’ un opérateur qualifié, dans la mesure où l’ on peut présumer que, pour pouvoir « lire » la prescription, il soit nécessaire de disposer d’ une personne qui ait des connaissances en optique. Il ne nous semble donc pas qu’ il existe des solutions moins restrictives de nature à garantir le même résultat.

Par ailleurs, nous relevons que le monopole concédé aux opticiens-lunetiers par la législation française n’ a pas une portée disproportionnée par rapport aux objectifs poursuivis. Ce monopole se borne en effet aux seuls produits pour lesquels l’ intervention d’ opérateurs titulaires d’ une qualification professionnelle adéquate apparaît nécessaire. En effet, est réservée aux opticiens uniquement la vente de lentilles de contact ou de verres correcteurs et non la vente d’ autres produits qui ne sont pas liés à la correction des défauts de la vue (ou dont l’ usage ne présente en toute hypothèse pas de risques pour la santé) tels que, par exemple, les lunettes de soleil ou les lunettes de ski.

A la lumière de ces considérations, nous pensons pouvoir affirmer que la réglementation visée dans la présente affaire répond à des objectifs de protection de la santé publique, que ses effets restrictifs, qui sont en tout état de cause indirects et neutres, ne dépassent pas ce qui est nécessaire pour réaliser l’ objectif poursuivi et que, par conséquent, la réglementation en question ne relève pas de l’ interdiction prévue à l’ article 30.

14. Cela dit, nous ne pouvons pas ne pas remarquer que la Cour, dès lors qu’ il s’ agit de mesures destinées à des objectifs de protection de la santé, procède normalement à l’ examen de leur proportionnalité, non dans le cadre de l’ article 30 mais dans celui de l’ article 36. Dans un cas comme dans l’ autre, le résultat pratique ne change pas: en ce sens que les mesures visées sont considérées en tout état de cause comme compatibles avec les règles en matière de libre circulation des marchandises. Dans l’ arrêt Aragonesa (17), la Cour a par ailleurs expressément déclaré que lorsqu’ il s’ agit d’ apprécier si une mesure est justifiée par des motifs de protection de la santé publique, il est inutile de rechercher si un tel objectif pourrait également présenter le caractère d’ une exigence impérative pour l’ application de l’ article 30, puisque la protection de la santé publique est expressément mentionnée dans les motifs d’ intérêt général énumérés à l’ article 36.

A cet égard, nous estimons que dans les cas concernant des mesures indistinctement applicables, et notamment la catégorie spécifique de mesures indistinctement applicables constituée par les dispositions qui réglementent l’ activité de distribution commerciale, il serait plus correct de considérer que les mesures en question, lorsqu’ elles sont justifiées pour des motifs de protection de la santé et proportionnées à leur objectif, relèvent du domaine de compétence propre des États membres et donc ne rentrent même pas dans le champ d’ application de l’ interdiction des mesures d’ effet équivalent. La portée exclusivement théorique d’ une telle question nous amène cependant à penser qu’ il est inutile de se pencher plus avant sur ce point et à prendre acte du choix pratique opéré par la Cour dans l’ arrêt Aragonesa.

15. A la lumière des considérations qui précèdent, nous suggérons par conséquent à la Cour de répondre comme suit aux questions posées par la Cour de cassation française:

« L’ article 30 du traité doit être interprété en ce sens qu’ il ne s’ applique pas à une réglementation nationale qui interdit la vente de lentilles de contact et de produits accessoires dans des établissements commerciaux qui ne sont pas dirigés ou gérés par des personnes remplissant les conditions nécessaires pour l’ exercice de la profession d’ opticien-lunetier, réglementation qui, même si elle constitue une mesure d’ effet équivalent au sens de l’ article 30, peut être justifiée par des raisons de protection de la santé publique au titre de l’ article 36 du traité. »

(*) Langue originale: l’ italien.

(1) – Nous précisons toutefois à cet égard qu’ une proposition de directive relative aux dispositifs médicaux (JO C 237 de 1991, p. 3) est actuellement devant le Conseil. Cette directive, qui harmonise les dispositions nationales en matière de sécurité et de protection de la santé des patients, de manière à garantir la libre circulation de ces dispositifs sur le marché intérieur, s’ applique également aux lentilles de contact, et de manière plus générale, au matériel optique.

(1) – Dans l’ arrêt du 15 décembre 1982 (Oosthoeck, affaire 286/81, Rec. p. 4575), par exemple, la Cour a explicitement déclaré que l’ application de la législation néerlandaise à la vente aux Pays-Bas d’ encyclopédies produites aux Pays-Bas n’ a effectivement aucun lien avec l’ importation ou l’ exportation des marchandises et ne relève donc pas du domaine des articles 30 et 34 du traité (point 9 des motifs).

(2) – Arrêt du 11 juillet 1974, Dassonville, point 5 des motifs (affaire 8/74, Rec. p. 837).

(3) – Voir les arrêts du 5 avril 1984, van de Haar, point 13 des motifs (affaires jointes 177/82 et 178/82, Rec. p. 1797) et du 5 juin 1986, Commission/Italie, point 18 des motifs (affaire 103/84, Rec. p. 1759).

(4) – Voir en ce sens les arrêts du 14 juillet 1981, Oebel (affaire 155/80, Rec. p. 1993); du 31 mars 1982, Blesgen (affaire 75/81, Rec. p. 1211); du 25 novembre 1986, Forest (affaire 145/85, Rec. p. 3449); du 7 mars 1990, Krantz (affaire C-69/88, Rec. p. I-583); du 11 juillet 1990, Quietlynn (affaire C-23/89, Rec. p. I-3059); du 7 mai 1991, Sheptonhurst (affaire C-350/89, Rec. p. I-2387).

(5) – Voir en ce sens l’ arrêt Blesgen, précité, point 9 des motifs.

(6) – Arrêt Quietlynn, précité, point 11 des motifs.

(7) – Voir en ce sens l’ arrêt du 15 décembre 1982 Oosthoek, précité, qui constitue la première application de l’ approche en cause à une réglementation du type qui nous occupe dans la présente affaire. Voir en outre les arrêts du 16 mai 1989, Buet (affaire 322/87, Rec. p. 1235) et du 21 mars 1991, Delattre (affaire C-369/88, Rec. p. I-1487). Dans la même logique, la Cour a considéré que sont de nature à réduire le volume des importations, des mesures nationales comportant l’ interdiction ou la limitation de certaines formes de publicité: voir, par exemple, l’ arrêt du 7 mars 1990, GB-Inno (affaire C-362/88, Rec. p. I-667) et l’ arrêt du 25 juillet 1991, Aragonesa (affaires jointes C-1/90 et C-176/90, Rec. p. I-4151).

(8) – Arrêt Oosthoek, précité, point 15 des motifs; arrêt Buet, précité, points 7 et 8 des motifs, arrêt Delattre, précité, point 50 des motifs.

(9) – Voir arrêt du 21 mars 1991, Monteil et Samanni (affaire C-60/89, Rec. p. I-1547), ainsi que l’ arrêt Delattre, précité.

(10) – Arrêt du 23 novembre 1989, Torfaen (affaire C-145/88, Rec. p. I-3851); arrêts du 28 février 1991, Conforama (affaire C-312/89, Rec p. I-997) et Marchandise (affaire C-332/89, Rec. p. I-1027); ainsi que l’ arrêt du 16 décembre 1992, Council of the City of Stoke-on-Trent (affaire C-169/91, Rec. p. I-0000).

(11) – Arrêts Conforama et Marchandise, précités, respectivement point 12 des motifs et point 13 des motifs.

(12) – Arrêt Council of the City of Stoke-on-Trent, précité, point 15 des motifs.

(13) – A cet égard, nous constatons que selon la LPO la plus grande partie des opticiens vendent uniquement des lunettes. Cependant, les chiffres fournis par les parties ne concordent pas: il s’ agit d’ environ 2000 sur 6000 points de vente selon LPO et de plus de 4000 selon les associations professionnelles.

(14) – Arrêt Delattre, précité, point 51 des motifs.

(15) – Voir, en dernier lieu, arrêt du 25 juillet 1991, Aragonesa, précité, point 16 des motifs.

(16) – Voir, outre les arrêts Delattre ainsi que Monteil et Samanni, l’ arrêt du 30 novembre 1983, Van Bennekom (affaire 227/82, Rec. p. 3883) et l’ arrêt du 20 mars 1986, Tissier (affaire 35/85, Rec. p. 1207).

(17) – Arrêt du 25 juillet 1991, précité, point 13 des motifs.

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