CJCE, n° C-61/97, Conclusions de l'avocat général de la Cour, Foreningen af danske Videogramdistributører, agissant pour Egmont Film A/S, Buena Vista Home Entertainment A/S, Scanbox Danmark A/S, Metronome Video A/S, Polygram Records A/S, Nordisk Film Video A/S, Irish Video A/S et Warner Home Video Inc. contre Laserdisken, 26 mai 1998

  • Propriété intellectuelle, industrielle et commerciale·
  • Libre circulation des marchandises·
  • Rapprochement des législations·
  • Libre prestation des services·
  • Mesures d'effet équivalent·
  • Restrictions quantitatives·
  • Liberté d'établissement·
  • Location·
  • Vidéocassette·
  • Droits d'auteur

Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CJUE, Cour, 26 mai 1998, FDV, C-61/97
Numéro(s) : C-61/97
Conclusions de l'avocat général La Pergola présentées le 26 mai 1998. # Foreningen af danske Videogramdistributører, agissant pour Egmont Film A/S, Buena Vista Home Entertainment A/S, Scanbox Danmark A/S, Metronome Video A/S, Polygram Records A/S, Nordisk Film Video A/S, Irish Video A/S et Warner Home Video Inc. contre Laserdisken. # Demande de décision préjudicielle: Retten i Ålborg - Danemark. # Droit d'auteur et droits voisins - Location de vidéodisques. # Affaire C-61/97.
Date de dépôt : 12 février 1997
Précédents jurisprudentiels : Telemarsicabruzzo e.a. ( C-320/90, C-321/90 et C-322/90
Solution : Renvoi préjudiciel
Identifiant CELEX : 61997CC0061
Identifiant européen : ECLI:EU:C:1998:254
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Sur les parties

Texte intégral

Avis juridique important

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61997C0061

Conclusions de l’avocat général La Pergola présentées le 26 mai 1998. – Foreningen af danske Videogramdistributører, agissant pour Egmont Film A/S, Buena Vista Home Entertainment A/S, Scanbox Danmark A/S, Metronome Video A/S, Polygram Records A/S, Nordisk Film Video A/S, Irish Video A/S et Warner Home Video Inc. contre Laserdisken. – Demande de décision préjudicielle: Retten i Ålborg – Danemark. – Droit d’auteur et droits voisins – Location de vidéodisques. – Affaire C-61/97.


Recueil de jurisprudence 1998 page I-05171


Conclusions de l’avocat général


I – Les faits et le contexte juridique de l’affaire au principal qui font l’objet de la présente demande de décision préjudicielle

1 Retten i Aalborg a demandé à la Cour, en vertu de l’article 177 du traité, de lui fournir les éléments d’interprétation qui lui sont nécessaires pour répondre aux questions suivantes:

«L’article 30, combiné avec l’article 36, ainsi que les articles 85 et 86 du traité CE [ci-après le `traité'] font-ils obstacle à ce qu’une personne, à qui le titulaire de droits exclusifs sur une oeuvre cinématographique a transféré un droit exclusif de production et de distribution de copies de cette oeuvre dans un État membre, puisse donner son accord à la location de ses propres produits et interdire simultanément la location de produits importés, mis sur le marché dans un autre État membre, où le titulaire des droits exclusifs de fabrication et de distribution de copies a transféré la propriété sur ces copies en acceptant tacitement que lesdites copies soient louées dans ce dernier État membre?

Compte tenu de l’entrée en vigueur de la directive 92/100/CEE du Conseil, du 19 novembre 1992, relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d’auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle [ci-après la `directive’ (1)), la même question est posée sur la base de la prémisse que cette directive est pertinente aux fins de la réponse.»

La Cour est ainsi appelée par le juge de renvoi à apporter une précision supplémentaire à la problématique relative au droit de location – entendu comme la faculté de mettre à disposition pour l’usage une création intellectuelle incorporée à un support matériel pour un temps limité -, droit entrant dans l’ensemble des facultés reconnues à quiconque est titulaire du droit d’auteur (2). Le principe de l’épuisement d’un droit à la suite de la première mise en circulation sur le territoire communautaire par la vente du produit sur lequel l’oeuvre protégée a été fixée n’est pas applicable au droit de la location. La Cour en a jugé ainsi dans l’arrêt Warner Brothers et Metronome Video (3), et cette solution a été ultérieurement consacrée sur le plan normatif par la directive. Dans l’arrêt qui vous a été demandé par Retten i Aalborg, vous devrez dire si une solution analogue s’impose lorsque même la première diffusion du support a eu lieu sous forme de location.

2 Les faits à l’origine de l’affaire au principal, tels qu’ils résultent de l’ordonnance de renvoi, peuvent être résumés dans les termes suivants. Laserdisken, la défenderesse dans la présente affaire, est une entreprise dont le siège est à Aalborg et qui distribue des oeuvres cinématographiques sur vidéodisques (c’est-à-dire sur des disques à lecture laser, laquelle garantit une grande fidélité de reproduction) (4). Laserdisken importait directement les vidéodisques du Royaume-Uni où ceux-ci étaient légalement produits par quelques sociétés, conformément à des accords de licence valides. Les produits en question n’étaient commercialisés au Danemark (et ne le sont pas encore aujourd’hui) ni directement par les titulaires du droit d’auteur sur les oeuvres en cause ni par des tiers avec leur consentement (de telles oeuvres sont par ailleurs disponibles en vidéocassettes, voir ci-après point 3). A partir de 1987, Laserdisken a commencé à proposer en location – en plus de la vente – des copies des vidéodisques importés. Par cette politique commerciale, l’entreprise se proposait de stimuler la vente des produits en cause qui, vu leur prix élevé (notamment par rapport à celui des mêmes oeuvres reproduites en vidéocassettes), sont principalement achetés par des consommateurs qui ont déjà visionné et apprécié l’oeuvre. Selon l’ordonnance de renvoi, les titulaires pour le Royaume-Uni des droits d’auteur sur les oeuvres reproduites sur les vidéodisques en cause auraient en fait toléré que ces oeuvres soient proposées en location sur le territoire britannique, après la première vente; et cela également en ce qui concerne les copies mises en vente après le 1er août 1989, date de l’entrée en vigueur du Copyright, Designs and Patents Act 1988 (loi britannique de 1988 relative à la propriété intellectuelle en matière de droit d’auteur, de modèles et de brevets), qui a institué un droit de location exclusif au bénéfice – pour ce qui intéresse le cas d’espèce – des producteurs d’oeuvres cinématographiques (voir les sections 16 à 18) (5). Ce point est cependant contesté par les demanderesses qui affirment n’avoir jamais autorisé, tacitement ou d’une autre manière, la mise en location de vidéodisques au Royaume-Uni ou dans un autre État membre (tout en concluant qu’une telle circonstance est dépourvue de pertinence aux fins d’apprécier si le droit exclusif de location sur le territoire danois est ou non épuisé: voir ci-après, point 4). La circonstance que Laserdisken a proposé les produits en cause en location au Danemark, sans en avoir acquis auparavant le droit auprès des demanderesses, n’est, à l’inverse, pas contestée.

3 En janvier 1992, Laserdisken a été attaquée en justice par Foreningen af danske Videogramdistributører (ci-après la «FDV»), l’association des producteurs danois de vidéogrammes, en vue de répondre de la violation de l’article 23, paragraphe 3, de la loi sur les droits d’auteur (6), selon lequel: «lorsqu’une oeuvre cinématographique est diffusée par vente au public, les copies vendues peuvent être remises en circulation. Elles ne peuvent toutefois, sans l’accord de l’auteur, faire l’objet d’une nouvelle diffusion au public par prêt ou location» (traduction libre). La FDV agit au nom de huit sociétés (7), qui avaient respectivement acquis pour le territoire danois des licences portant sur les droits exclusifs de production et de distribution, sous toute forme existante (y compris, par conséquent, en vidéodisques), des copies doublées en danois de la plus grande partie des oeuvres cinématographiques que Laserdisken distribuait sous forme de vidéodisques. Le juge de renvoi a relevé que les sociétés demanderesses proposaient en location sur le marché danois les oeuvres en cause en vidéocassettes (c’est-à-dire fixées sur un support matériel différent). Selon les observations présentées à la Cour par Warner, c’était la FDV qui négociait pour le compte de ses adhérents les termes de la vente aux revendeurs au détail des vidéocassettes pour lesquelles ces sociétés avaient acquis des droits d’auteur. Les contrats uniformes conclus par la FDV avec les différents revendeurs incluaient des clauses spécifiques restrictives de la faculté de distribution moyennant une mise en location et une interdiction expresse de locations «en chaîne». Par mesure provisoire prise par le fogedret en février 1992, confirmée en appel par le Vestre Landsret au cours du mois de septembre de la même année, il a été interdit à Laserdisken de continuer à proposer en location les produits en cause et ordonné à FDV de verser une garantie de 1 000 000 DKR pour les dommages qui pourraient résulter de l’interdiction mentionnée. C’est précisément dans le cadre du jugement de confirmation de la mesure en question que Retten i Aalborg a adressé à la Cour la présente demande de décision préjudicielle.

II – Les arguments présentés par les parties

4 La FDV et les sociétés au nom desquelles elle agit font observer, en se référant à l’arrêt de la Cour dans l’affaire Warner Brothers et Metronome Video, que la loi danoise qui protège les droits d’auteur qu’elles invoquent en l’espèce ne vise pas à faire obstacle ou à limiter les importations de vidéodisques du Royaume Uni aux fins de la revente au Danemark. Par ailleurs, selon les demanderesses, en dépit du fait que les flux commerciaux transfrontières des supports audiovisuels en cause sont soumis à l’application des règles du traité sur la libre circulation des marchandises, tout acte servant à l’exercice du droit de location doit être assimilé – ce qui n’est pas différent de ce qui est le cas pour le droit de représentation publique – à une prestation de services et constitue une forme d’exploitation de l’oeuvre protégée, tout à fait distincte de l’acte de vente de son support matériel. Le droit de contrôler l’ensemble des possibilités de location des copies vendues relève de l’objet spécifique du droit d’auteur, dont la protection peut, par principe, être de nature à justifier, conformément à l’article 36 du traité, des mesures d’effet équivalent à des restrictions quantitatives, qui sinon seraient incompatibles avec l’article 30 du même traité (8). Selon la FDV et les sociétés au nom desquelles elle agit, le droit de location n’est donc, en raison de sa nature, soumis ni sur le plan national ni sur le plan communautaire au principe de l’épuisement du droit lors de la première mise en circulation du support matériel: la question de savoir si cette première mise sur le marché a eu lieu sous forme de vente ou sous forme de location est dépourvue de pertinence à cet égard. Il en résulte que – indépendamment du fait que les produits visés aient été importés, et même si l’on entendait admettre qu’ils ont été proposés en location au Royaume-Uni avec le consentement tacite du titulaire du droit en cause – Laserdisken les a en tout état de cause proposés en location au Danemark sans en avoir acquis le droit, de manière expresse ou tacite, auprès des différents titulaires légitimes des droits en cause.

5 Selon la FDV, est tout à fait dépourvue de pertinence la circonstance – invoquée en l’espèce par la défenderesse – que les sociétés au nom desquelles elle agit ont autorisé la location au Danemark des films qui font l’objet du présent recours, mais sur un support matériel différent (vidéocassettes). Étant donné la nature du droit en cause, l’auteur peut, d’abord, interdire purement et simplement, lors de la vente du support matériel, toute mise en location ultérieure de l’oeuvre protégée. S’il décidait par la suite d’autoriser la location de certaines copies, il lui serait possible de maximaliser les profits qu’il retire de l’exploitation commerciale, en limitant les licences y relatives à un certain territoire ou à une certaine période ou à un seul bénéficiaire (licence exclusive), ou encore à un support matériel spécifique. Et, par conséquent, pour ce qui est pertinent en l’espèce, l’auteur pourrait, par exemple, consentir la mise en location d’une oeuvre cinématographique en vidéocassettes mais non en vidéodisques (9). Selon les demanderesses, il y a par conséquent violation du droit exclusif de location toutes les fois qu’un exemplaire d’une vidéocassette ou d’un vidéodisque est mis en location sans le consentement du titulaire du droit d’auteur. Si la Cour faisait droit aux prétentions qu’a fait valoir Laserdisken, le consentement tacite ou présumé de l’auteur dans un État membre aurait pour conséquence de priver l’intéressé du droit de s’opposer à la mise en location des copies de l’oeuvre protégée dans l’État membre d’importation, alors que ce droit lui a été reconnu dans ce dernier État. Le résultat serait par conséquent celui de priver l’auteur d’une rémunération d’un montant proportionné au nombre de locations effectivement réalisées, contrairement à ce qui a été jugé par la Cour dans l’affaire Warner Brothers et Metronome Video. Ces arguments sont partagés en substance par les gouvernements danois, français, finlandais et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission (10).

6 Selon Laserdisken, soutenue par les parties intervenantes dans l’affaire au principal (11), la loi danoise sur le droit d’auteur permet aux ayants droit de s’opposer à la location des vidéodisques mais uniquement des produits importés et non de la production nationale. Puisque cette loi est un instrument de discrimination arbitraire et de restriction déguisée dans le commerce intracommunautaire, elle ne saurait être justifiée par l’article 36 du traité. La défenderesse fait observer, par ailleurs, que même la directive – bien que les termes dans lesquels elle est rédigée prévoient que le droit de location n’est pas épuisé par la vente ou tout autre acte de diffusion de copies de l’oeuvre protégée (voir articles 1er, paragraphe 4, et 9, paragraphe 3) – ne précise pas si le droit d’interdire les locations ultérieures doit être considéré comme épuisé lorsque le titulaire du droit a autorisé la mise en location des copies en cause. Laserdisken conclut en ce sens. La directive vise – selon la défenderesse – à instaurer un marché unique caractérisé par le plein et libre exercice de la concurrence commerciale. C’est pour ce motif, ajoute-t-elle, que, puisque le droit de distribution est épuisé du fait de l’autorisation donnée par l’auteur à la première mise en vente, le droit de mise en location sera, quant à lui, épuisé sur tout le territoire communautaire, à la suite de l’autorisation donnée à la première proposition de mise en location dans un État membre quelconque. Cette conclusion, selon Laserdisken, est du reste conforme au principe général qu’elle déduit de la jurisprudence de la Cour (12) selon laquelle le consentement entraîne l’épuisement. L’arrêt Warner Brothers et Metronome Video, précité, est, selon la défenderesse, lui aussi fondé sur ce principe: dans cet arrêt, le droit d’interdire la mise en location sur le marché danois des vidéocassettes importées du Royaume-Uni ne pouvait être épuisé, précisément parce qu’il n’y avait jamais eu (et qu’il ne pouvait y avoir eu, puisque le consentement n’était pas prévu par la législation en vigueur à l’époque) de consentement à l’offre de location dans l’État d’exportation par le titulaire du droit d’auteur ou ses ayants droit. Par ailleurs, il serait contraire aux objectifs de la directive de considérer que le consentement à l’offre de location peut être donné pour un seul État membre, à l’exclusion de tous les autres (tout comme on ne saurait à l’intérieur d’un État membre limiter ce droit à une seule partie de son territoire).

III – La solution à donner à la présente demande de décision préjudicielle

Analyse selon les articles 30 et 36 du traité

7 Dans leurs observations devant la Cour, tant les parties que la Commission et les gouvernements nationaux qui sont «intervenus» dans la présente affaire ont fait indistinctement référence, dans un sens ou dans l’autre, aux principes posés par la Cour dans l’arrêt Warner Brothers et Metronome Video (13). Comme tel est le cas aujourd’hui dans l’affaire au principal, il se posait également dans l’affaire Warner Brothers et Metronome Video un problème de compatibilité entre le droit exclusif de location, prévu par la législation danoise relative à la protection du droit d’auteur (voir ci-dessus, point 3) à laquelle il est fait référence, et les règles du traité en matière de libre circulation des marchandises, en ce qui concernait un cas de mise en location non autorisée au Danemark de vidéogrammes achetés légalement au Royaume-Uni. La Cour a considéré avant tout que la loi en question, qui autorisait l’auteur ou le producteur de l’oeuvre cinématographique reproduite en vidéocassettes à interdire la mise en location des supports en cause sur le territoire national, était «de nature à influer sur le commerce des vidéocassettes dans cet État et, partant, à affecter indirectement les échanges intracommunautaires de ces produits». Une législation de ce type constituait, par conséquent – selon la Cour -, une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative interdite par l’article 30 du traité (voir point 10 de l’arrêt). Lorsqu’elle est ensuite passée à l’analyse de la question de savoir si une telle restriction était justifiée en l’espèce par des raisons de protection de la propriété industrielle et commerciale, au sens de l’article 36, la Cour a souligné qu’il y avait lieu de constater que la législation danoise s’appliquait indistinctement et a exclu qu’elle opérait par elle-même une discrimination arbitraire dans le commerce entre États membres au détriment des vidéocassettes importées d’un autre État membre et en faveur des vidéocassettes produites sur place (points 11 et 12 de l’arrêt). Les principes que nous venons de rappeler nous semblent manifestement applicables également en l’espèce.

8 L’arrêt Warner Brothers et Metronome Video a énoncé d’autres principes relatifs à la détermination d’un droit spécifique de location, prérogative qui relève de l’objet spécifique du droit d’auteur, et à ses conséquences en ce qui concerne la libre circulation des marchandises; et c’est sur ces principes que nous entendons fournir ici quelques éclaircissements. Nous considérons, toutefois, qu’il est opportun d’en faire précéder l’analyse (voir ci-après, point 12) de quelques brèves considérations qui permettent de replacer l’arrêt en cause dans le contexte plus ample de la justification et de la portée du principe de l’épuisement des droits d’auteur.

9 Comme tel est le cas pour le droit des marques ou des brevets, la règle de l’épuisement (national) du droit d’auteur – et, notamment, du droit exclusif de distribution (ou de mise en circulation) – prévue dans les ordres juridiques de nombreux États membres est justifiée sur le fondement du critère selon lequel, lorsque le titulaire d’un droit (ou d’autres personnes avec son consentement) met dans le commerce, en les cédant, les supports matériels sur lesquels a été reproduite l’oeuvre protégée, cette personne reçoit une fois pour toutes la rémunération qui lui est due pour cette reproduction. Dans le contexte du marché unique, la jurisprudence communautaire relative à l’application de l’article 36 du traité s’est préoccupée, en vue de stimuler l’invention et la création ou le lancement de nouvelles marques, de concilier les besoins du titulaire du droit exclusif et l’intérêt général à la libre circulation des différents produits (14). La Cour a par conséquent admis le principe de l’épuisement automatique du droit en cause pour l’ensemble du territoire communautaire, de manière à empêcher que – en raison du caractère territorial des législations nationales sur la propriété industrielle, commerciale et intellectuelle – la rémunération liée à la première mise en circulation ne soit versée une seconde fois au titulaire du droit exclusif du seul fait que le produit en cause dans lequel se sont concrétisés ses efforts d’invention ou de création constitue un objet de revente dans un État membre différent de celui de la première mise en vente (15). La règle inverse, en consacrant l’isolement des marchés nationaux, se heurterait, du reste, à la fusion de ces marchés en un marché unique, prévue par le traité (16).

10 Le principe de l’épuisement ne saurait toutefois s’appliquer au droit exclusif de représentation – c’est-à-dire au droit de communiquer l’oeuvre protégée au public, soit directement par l’intermédiaire des interprètes présents (comme dans le cas d’une représentation théâtrale), soit au moyen du support matériel de l’oeuvre (par exemple, par le biais de la diffusion radiophonique d’un disque, de la diffusion télévisuelle d’un film ou de la projection publique d’un film) -, et, de manière générale, aux droits d’auteur sur une oeuvre dont la communication au public ne nécessite pas la diffusion d’un support matériel. Ici, l’utilisation de l’oeuvre n’entre pas en conflit avec la libre circulation des marchandises: le critère de la commercialisation ne peut, dès lors, servir à déterminer l’étendue du droit exclusif (17). Puisque les représentations ultérieures de l’oeuvre sont indépendantes les unes des autres, la première de ces représentations n’a pas pour conséquence l’épuisement du droit. Chaque représentation, faisant renaître l'«essence commerciale» de l’oeuvre (18), constitue un acte séparé d’exploitation et donne droit au versement d’une rémunération. L’ordre juridique protège cette faculté, qui «fait partie de la fonction essentielle du droit d’auteur sur ce genre d’oeuvres littéraires ou artistiques», en conditionnant l’exercice dudit droit au consentement du titulaire (19).

En ce qui concerne notamment les prérogatives du titulaire des droits de représentation d’une oeuvre cinématographique, la Cour a eu également l’occasion de dire que l’exercice du droit d’auteur, moyennant la perception des redevances y afférentes, «ne peut pas être organisé indépendamment des perspectives d’émissions télévisées de l’oeuvre». Ces transmissions peuvent donc légitimement être interdites jusqu’à l’expiration d’un «créneau» de temps déterminé, réservé à la projection du film dans les salles de cinéma (20). Compte tenu de «l’exigence impérative» de donner une impulsion à la création de telles oeuvres, les ordres juridiques des États membres peuvent, pour ce motif – sans violer les règles communautaires sur la libre circulation des marchandises -, garantir que, durant une période initiale, les films sont d’abord projetés en salles, puisque cela est considéré comme essentiel pour assurer la rentabilité de la production cinématographique, par rapport à d’autres moyens de diffusion et, notamment, à la distribution des oeuvres en cause en vidéocassettes (21).

11 Lorsque, par contre, la représentation publique de l’oeuvre en cause nécessite l’utilisation d’un support matériel (par exemple, dans le cas de la diffusion dans une discothèque d’oeuvres musicales enregistrées sur des disques), «la conciliation des exigences résultant de la libre circulation des marchandises et la libre prestation de services et celles imposées par le respect dû aux droits d’auteur doit être réalisée de telle sorte que les titulaires de droits d’auteur … puissent invoquer leur droit exclusif pour demander les versements de redevances», alors même que la commercialisation de ce support de son ne peut donner lieu, dans le pays de la diffusion publique, à aucun prélèvement de redevances pour la reproduction de l’oeuvre, puisque l’auteur a déjà perçu ces redevances dans l’État membre d’exportation (22). La Cour a par conséquent reconnu que le droit de l’auteur de contrôler l’utilisation publique des supports des oeuvres réservées à l’usage privé, aux fins de tirer un bénéfice de l’utilisation secondaire de ces oeuvres, n’est pas en conflit avec le principe de la libre circulation des marchandises, au moins dans la mesure où ledit droit est invoqué pour imposer à celui qui achète les copies des restrictions d’usage qui ne sont pas susceptibles d’en limiter la circulation (23).

12 Une distinction analogue subsiste entre le droit de mise en circulation du support matériel d’une oeuvre cinématographique (vidéogramme) et le droit de location d’une oeuvre reproduite dans le même support, comme la Cour a eu l’occasion de l’indiquer dans l’affaire Warner Brothers et Metronome Video. La Cour a analysé en détail «l’apparition» progressive, mais qui atteint son plein développement, d’un marché spécifique de la location, distinct de celui de la vente de vidéocassettes: la Cour a fait observer que ce marché, «qui touche un public plus large que celui de la vente[,] constitue, à l’heure actuelle, une importante source potentielle de revenus pour les auteurs de films» (voir points 13 et 14) (24). La Cour a par conséquent affirmé qu’une protection spécifique du droit de location de ces supports semblait nécessaire et justifiée aux fins de garantir aux auteurs de films une rémunération proportionnée au nombre de représentations effectivement réalisées et qui réservent à leurs auteurs une partie satisfaisante du marché de la location. Pour atteindre cet objectif – selon la Cour – la solution consistant à «autoriser la perception de droits d’auteur seulement à l’occasion des ventes consenties tant aux simples particuliers qu’aux loueurs de vidéocassettes» (voir point 15) ne serait par contre pas suffisante. Cette solution serait extrêmement pénalisante pour l’auteur, en lui imposant de déterminer lors de la commercialisation initiale de son oeuvre toutes les utilisations qui peuvent ultérieurement en être faites (25). Il y a lieu d’en déduire que – le droit à une redevance restant acquis au moment de la première mise en circulation du support matériel – le droit de percevoir une «royalty» pour chaque acte de location relève de l’objet spécifique du droit d’auteur d’un film incorporé dans un vidéogramme (à égalité avec la faculté d’exiger une rémunération pour chaque représentation publique de l’oeuvre en cause) (26). Par conséquent, la Cour a exclu dans l’arrêt précité que le droit exclusif de location, prévu par la législation d’un État membre (en l’espèce, le Danemark), soit susceptible d’épuisement, lorsque le titulaire du droit d’auteur a choisi de mettre en vente pour la première fois les vidéocassettes qui incorporent une de ses oeuvres dans un autre État membre (en l’espèce, le Royaume-Uni), dont l’ordre juridique – comme tel était le cas dans l’affaire précitée – ne lui conférait pas de droit analogue. S’écartant de la solution suggérée par l’avocat général M. Mancini (27), la Cour a admis que l’achat par un tiers de la propriété d’un bien dans lequel l’oeuvre est incorporée (c’est-à-dire le support matériel de cette oeuvre) ne se confond pas avec la perte de toute prérogative du titulaire du droit intellectuel. «Lorsqu’une législation nationale reconnaît aux auteurs un droit spécifique de location des vidéocassettes, ce droit serait vidé de sa substance si son titulaire n’était pas en mesure d’autoriser les mises en location», ou de s’y opposer (points 17 et 18) (28).

13 Il y a lieu, selon nous, de se demander si les principes que nous venons de rappeler sont pleinement transposables au litige pendant devant Retten i Aalborg ou si ce litige impose au contraire une solution différente, compte tenu d’une double circonstance, invoquée par Laserdisken. Selon Laserdisken, les titulaires pour le Royaume-Uni des droits d’auteur sur les oeuvres fixées sur des vidéodisques ont omis d’exercer leur propre droit de mise en location pendant la période prévue à cette fin dans l’ordre juridique britannique, pour s’opposer aux transactions non autorisées conclues par des revendeurs anglais; et, par conséquent, – de l’avis de la défenderesse – c’est le consentement tacite fourni à la mise en location des supports sur le territoire britannique, au lieu de la première vente desdits supports, qui aurait déterminé l’épuisement du droit à la mise en location également dans les autres États membres.

14 Selon nous, les éléments que nous venons de mentionner qui distinguent le contexte factuel et normatif de la présente affaire de l’affaire Warner Brothers et Metronome Video, bien qu’ils présentent une indubitable pertinence, ne sauraient conduire la Cour à faire droit aux conclusions avancées par Laserdisken. Les données de départ pour la recherche de la solution à donner à la présente demande de décision préjudicielle ne peuvent être que les principes formulés par la Cour, voici dix ans: le droit de mise en location, même s’il constitue potentiellement un obstacle à la circulation des vidéogrammes entre États membres n’est pas épuisé par la mise en circulation de ces produits sur le territoire communautaire. Nous avons déjà analysé la ratio d’une telle règle. Le droit de l’auteur de contrôler les utilisations de ses oeuvres sur le marché secondaire ne l’autorise pas à mettre en place des obstacles à l’importation ou à la revente des marchandises; et, par conséquent, dans la pondération entre intérêts concurrents, son intérêt à percevoir une rémunération adéquate qui sert de base à son activité créative et artistique ultérieure prévaut sur l’intérêt général de la libre circulation – laquelle est entendue également comme la disponibilité pour la mise en location, à un prix substantiellement inférieur à celui de la vente – des vidéogrammes provenant des États membres.

15 Ceci étant dit, il faut rappeler que le droit exclusif de mettre à disposition pour l’usage, pour un temps limité, les différentes copies de l’oeuvre incorporée dans un vidéogramme est, de par sa nature, susceptible d’une exploitation au moyen d’opérations répétées et potentiellement illimitées, dont chacune comporte un droit à rémunération. Par conséquent, lorsque l’auteur décide de mettre à disposition le droit de location, sur la base d’un contrat de licence, il peut légitimement limiter cette licence à un support matériel spécifique, à une période de temps ou à une certaine aire géographique et, par conséquent, maximaliser ainsi les profits économiques liés à l’exploitation commerciale de l’oeuvre en cause par la location. Or, nous ne voyons pas de quelle manière les auteurs et les producteurs percevraient la juste rémunération, respectivement de leur travail intellectuel et de leurs investissements, si des opérateurs économiques tiers (situation qui est celle de Laserdisken dans l’affaire au principal) étaient libres, en se contentant d’invoquer l’épuisement du droit de mise en location du titulaire, et en l’absence d’accords de licence, de permettre l’utilisation contre paiement des vidéogrammes par le public, et notamment par les consommateurs d’un État membre différent de celui de la première mise en location. Le résultat serait celui de soustraire irrémédiablement aux bénéficiaires légitimes un profit économique résultant de leur création intellectuelle et qui leur est réservé. On ne saurait, par conséquent, admettre que le droit de mise en location est épuisé avec le premier exercice de cet acte, avec pour résultat que les locations successives du support en cause seraient soustraites au contrôle du titulaire, même dans les États membres dans lesquels le droit n’a pas été mis à disposition pour l’usage conformément à des accords de licence. Et il n’est pas besoin de noter que, sur le plan communautaire, il n’y a pas épuisement automatique du droit de mise en location du fait de la première offre de location au motif, principalement, que tel n’est pas le cas – sauf disposition législative contraire – dans l’ordre juridique national de l’État membre de la première offre de location (29); le titulaire du droit d’auteur peut, par conséquent, s’opposer à des mises en location de son oeuvre qu’il n’a pas autorisées, même s’il a procédé à la première mise en location de son oeuvre sur le territoire national. Enfin, le fait de faire droit aux arguments présentés par Laserdisken aurait pour effet de priver l’auteur de la faculté – dont l’existence se déduit des arrêts précités de la Cour, Coditel e.a. et Cinéthèque e.a. (30) – d’organiser la succession dans le temps des diverses formes de distribution d’une oeuvre cinématographique, à laquelle est lié le droit d’interdire, jusqu’à l’échéance du «créneau» réservé à la distribution par projection cinématographique, la commercialisation par location de vidéocassettes du même film, importées d’autres États membres dans lesquels le créneau en cause a déjà pris fin.

Analyse selon la directive

16 Comme les parties demanderesses, les gouvernements nationaux «intervenants» et la Commission l’ont déjà fait observer, la solution que nous proposons ici n’est précisément pas contredite mais plutôt corroborée par les dispositions pertinentes de la directive (voir ci-dessus), qui a précisément harmonisé les législations internes des États membres relatives au droit de location (ainsi que de prêt) à partir du modèle de la réglementation danoise. Nous rappelons ces données, tout en indiquant que la solution choisie par le législateur communautaire est, selon nous, au moins techniquement, dépourvue de pertinence aux fins de la présente demande de décision préjudicielle: en application de l’article 13 de la directive, les dispositions qu’elle comporte ont pris effet le 1er juillet 1994, c’est-à-dire après l’adoption par les juridictions danoises de l’injonction concernant Laserdisken. Comme on le sait, la directive distingue entre les effets du droit spécifique de location (voir article 1er, paragraphe 4) et les effets du droit de distribution (c’est-à-dire du «droit exclusif de mise à la disposition du public de ces objets, y compris de copies, par la vente ou autrement»), réglementés par son article 9, paragraphes 2 et 3 (31). Seul le droit de distribution peut être épuisé, en cas de première vente dans la Communauté d’un des objets visés par le titulaire du droit ou avec son consentement. La vente ou tout autre acte de diffusion de cet objet n’a, par contre, pas pour conséquence l’épuisement du droit de location. C’est précisément parce que l’objet et le champ d’application des deux droits en cause sont différents que la Cour a exclu – dans son récent arrêt Metronome Musik – que l’institution d’un droit de location exclusif par la directive constitue une violation du principe de l’épuisement du droit de distribution (32).

Analyse selon les articles 85 et 86 du traité

17 Pour compléter l’analyse juridique nécessitée par la solution à donner à la présente demande de décision préjudicielle, il resterait, à ce stade de l’analyse, à vérifier s’il y a eu éventuellement violation des articles 85 et 86 du traité dans la présente affaire. Cependant, cela nous paraît exclu en raison de l’absence, dans les motivations de l’ordonnance de renvoi, d’une description même succincte des comportements des parties demanderesses, dont le juge de renvoi demande d’évaluer l’impact sur la concurrence. Les accords ou les pratiques concertées dont le caractère anticoncurrentiel est allégué (accords de licence passés entre les demanderesses et les producteurs? Éventuels accords horizontaux entre les demanderesses associées au sein de la FDV?) ainsi que les comportements par lesquels les demanderesses exploiteraient abusivement leur prétendue position dominante collective (simple refus de permettre à Laserdisken de proposer en location les vidéodisques importés? Ou le refus allégué de lui mettre à disposition pour l’usage, conformément à des accords de licence, même les vidéocassettes produites par les demanderesses?) n’ont pas été identifiés. Il est fait référence à ces ententes et/ou à ces comportements dans la question soulevée par le juge danois en termes extrêmement vagues: ceux-ci consisteraient dans le fait de consentir la location des propres produits (vidéocassettes) et, en même temps, d’interdire la location de produits importés (vidéodisques), offerts en location dans un autre État membre par un tiers (qui n’est pas l’importateur) avec le consentement tacite du titulaire des droits exclusifs de fabrication et de distribution: ce qui, cependant – au moins en l’absence d’autres précisions -, est exactement ce que les droits d’exclusivité dont disposent un auteur et ses ayants droit leur permettent légalement de faire, dans les circonstances qui ont été décrites (acquisition d’un droit exclusif de location au moyen d’un contrat de licence). Nous tenons à préciser que, en formulant cette remarque, nous n’avons pas l’intention de nier la pertinence des règles de concurrence aux fins de l’examen, qui relève de la compétence du juge de renvoi, de la compatibilité avec le droit communautaire du contexte factuel et normatif de la présente affaire. Il nous semble très clair par exemple, et Laserdisken nous l’a rappelé tout au long de la procédure, que, si les demanderesses exerçaient négativement leurs droits exclusifs de location à la seule fin de faire obstacle au développement au Danemark d’un marché de location de vidéodisques – avec le résultat que les consommateurs danois intéressés se verraient contraints à acquérir, à un prix élevé, des produits qu’ils préféreraient louer -, ce comportement serait susceptible de fausser la concurrence sur le marché (33). Nous considérons, cependant, que Retten i Aalborg n’a pas suffisamment explicité ici les hypothèses de fait sur lesquelles ce chef de demande est fondé et n’a pas par conséquent mis la Cour en mesure de lui fournir une interprétation utile des articles 85 et 86 précités (34). Une telle conclusion n’affecte cependant pas la faculté dont dispose le juge de renvoi de faire appel une nouvelle fois, s’il le juge opportun, à l’aide de la Cour en matière d’interprétation, en la saisissant de nouvelles questions préjudicielles dans le contexte de la même affaire au principal.

IV – Conclusions

A la lumière des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre aux questions posées par Retten i Aalborg dans les termes suivants:

«La législation en matière de protection des droits d’auteur d’un État membre qui permet au titulaire de droits de production et de distribution relatifs à une oeuvre cinématographique ou à la personne à qui il a cédé en licence les droits exclusifs dans l’État membre concerné de s’opposer à la mise en location de vidéogrammes importés d’un autre État membre par un tiers non autorisé, même lorsque le titulaire du droit d’auteur les avait mis en circulation par la vente dans l’État d’exportation et avait tacitement consenti à ce que les copies vendues soient offertes en location dans ce dernier État, est compatible avec les articles 30 et 36 du traité CE. Cette compatibilité demeure même après le 1er juillet 1994, date à laquelle la directive 92/100/CEE du Conseil, du 19 novembre 1992, relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d’auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle, a commencé à prendre effet».

(1) – JO L 346, p. 61.

(2) – Comme on le sait, le droit d’auteur est composé d’une pluralité de facultés ou de droits, de caractère patrimonial et moral, indépendants les uns des autres. L’exercice de l’un de ces droits n’exclut pas par conséquent l’exercice exclusif de chacun des autres (voir Fabiani, M.: «Normativa CEE e diritto di autore sul noleggio di videocassette», dans Diritto d’autore, 1990, p. 433, notamment p. 440 et Röttinger, M.: «L’épuisement du droit d’auteur», dans Revue internationale du droit d’auteur, 1993, p. 50, notamment p. 53 à 55).

(3) – Arrêt du 17 mai 1988 (158/86, Rec. p. 2605; voir ci-après, points 7 et 12).

(4) – Le vidéodisque est défini par le Ztek Co. Catolog Multimedia Glossary (http://www.xkt.com/BIBGLOS/glossary.html) dans les termes suivants: «Un support matériel circulaire à lecture optique permettant de mémoriser [les informations], d’un diamètre de 8 ou 12 pouces, qui peut contenir des signaux tant vidéo qu’audio. Les vidéodisques sont disponibles en deux formats: le CLV [Constant Linear Velocity, un format longue durée (jusqu’à 60 minutes de film vidéo par face, plus communément utilisé pour des applications linéaires, telles que des films et des concerts)] et le CAV [Constant Angular Velocity, le format de lecture standard plus communément utilisé pour des applications interactives, qui permet la mémorisation d’environ 54 000 photogrammes accessibles séparément et l’enregistrement de films vidéo avec son, d’une durée allant jusqu’à 30 minutes par face]. Les images sont mémorisées sur un vidéodisque en format analogique, les signaux audio sur des pistes analogiques ou digitales. Par rapport à la vidéocassette, le vidéodisque présente de nombreux avantages, tels qu’une qualité et une durabilité des images plus élevées ainsi que des possibilités plus rapides de recherche [particulièrement en format CAV]; les informations enregistrées sur vidéodisque ne peuvent, en outre, pas être effacées» (c’est nous qui traduisons).

(5) – Avant cette date, le Copyright Act 1956 «ne reconnaît [ne reconnaissait] aucun droit de diffusion au Royaume-Uni à l’auteur ou au producteur et … par conséquent, l’acheteur d’un film enregistré sur cassette vidéo [pouvait] le louer au Royaume-Uni sans l’accord du titulaire des droits exclusifs» – et sans que ce dernier ait droit à une quelconque rémunération -, sauf interdiction expressément prévue dans le contrat de vente (voir l’arrêt Warner Brothers et Metronome Video, précité, note 3, p. 2606 et 2619). Comme l’a fait observer le gouvernement du Royaume-Uni devant la Cour dans la présente affaire, à partir d’août 1989, les titulaires de droits d’auteur fournissent aux revendeurs de vidéogrammes au détail des copies spécifiquement destinées à la location à un prix relativement plus élevé que celui qui est pratiqué sur les copies réservées à la revente.

(6) – Voir la loi n_ 158, du 31 mai 1961, telle que modifiée par la loi n_ 274, du 16 juin 1985. Actuellement, la disposition pertinente est l’article 19, points 1 et 2, de la loi n_ 395, du 14 juin 1995.

(7) – Plus précisément, Warner Home Video (ci-après «Warner»), une branche de la société californienne Time Warner Entertainment, ainsi que les sociétés de droit danois Egmont Film, Buena Vista Home Entertainment, Scanbox Danmark, Polygram Records, Nordisk Film Video, Irish Video et Metronome Video (à l’époque des faits qui font l’objet de la présente affaire, cette dernière société détenait les licences exclusives pour le Danemark des droits de production et de distribution des vidéocassettes pour les films pour lesquels Warner est titulaire des droits de distribution «home video»; ces droits incluaient la vente des supports produits à l’expiration d’un «créneau» de 18 mois à partir de la sortie sur le marché danois des vidéocassettes aux seules fins de location).

(8) – Voir l’arrêt du 22 janvier 1981, Dansk Supermarked (58/80, Rec. p. 181, point 11).

(9) – Cette faculté serait analogue à celle qui permet à l’auteur d’un film de fixer lui-même le nombre, l’ordre de séquence, le support, le moment et le lieu de chaque représentation publique (en fixant, par exemple, des délais et des conditions différentes pour la diffusion dans les salles de cinéma et les retransmissions à la télévision sur des chaînes payantes ou à accès gratuit). La légalité et l’importance de ces «créneaux» de durées différentes pour les différents États membres (pour tenir compte, pour chacun d’entre eux, des périodes de doublage et de sous-titrage, des pics de fréquentation au cours de la saison cinématographique ainsi que de l’importance des moyens de diffusion concurrents), auraient été reconnues par la Cour dans les arrêts Coditel e.a. et Cinéthèque e.a. (voir, respectivement, les arrêts du 6 octobre 1982, 262/81, Rec. p. 3381, et du 11 juillet 1985, 60/84 et 61/84, Rec. p. 2605).

(10) – Pour des motifs de concision, dans les paragraphes précédents – comme du reste dans la synthèse des observations de Laserdisken (voir ci-après, point 6) – nous avons volontairement omis de reproduire les arguments concernant la demande d’interprétation des articles 85 et 86 du traité. Nous considérons en effet que la Cour n’est pas en mesure de fournir au juge de renvoi une réponse utile sur ce point de la demande de décision préjudicielle, puisqu’il n’a pas expliqué ni sous forme succincte ni sous forme de renvoi les raisons précises qui le conduisent à s’interroger sur l’interprétation des règles citées en ce qui concerne le contexte factuel du litige et le cadre réglementaire national (voir ci-après, point 17). Ce n’est pas par hasard que la référence aux règles de concurrence qui figure dans l’ordonnance de renvoi a été entendue de manière différente par les parties de la cause principale, les gouvernements nationaux et la Commission, comme cela résulte clairement des observations qu’ils ont respectivement présentées à la Cour, dans lesquelles ont été analysés soit l’un, soit l’autre des ententes et comportements pertinents en théorie (alors que le gouvernement français a, quant à lui, soulevé aussi le problème distinct de la compatibilité de la règle danoise avec les règles de concurrence, en combinaison avec l’article 5 du traité).

(11) – C’est-à-dire Sammenslutningen af Danske Filminstruktører (l’association des réalisateurs danois), M. Michael Viuf Christiansen (agissant en qualité de représentant de la succession de son père Erik Viuf Christiansen, partie défenderesse au principal dans l’affaire précitée Warner Brothers et Metronome Video), M. Jensen, un revendeur de vidéogrammes déclaré en faillite à la suite de la résiliation en 1991 par la FDV d’un précédent accord de licence lui permettant d’offrir en location des produits, et Pioneer Electronics Denmark, société active dans le secteur de la distribution des lecteurs de vidéodisques.

(12) – Voir, notamment, l’arrêt Dansk Supermarked, précité, note 8.

(13) – Précité, note 3.

(14) – Voir Castell, B.: L'«épuisement» du droit intellectuel en droits allemand, français et communautaire, Paris, 1989, notamment p. 131.

(15) – Voir Doutrelepont, C.: «Les arrêts Coditel face au droit interne et au droit européen», dans Journal des Tribunaux, 1984, p. 397, notamment p. 407.

(16) – Voir, parmi beaucoup d’autres, les arrêts du 8 juin 1971, Deutsche Grammophon (78/70, Rec. p. 487), et Dansk Supermarked, précité, note 8.

(17) – Voir Benabou, V.-L.: Droits d’auteur, droits voisins et droit communautaire, Bruxelles, 1997, notamment p. 100.

(18) – Voir Edelman, B.: commentaire de l’arrêt Warner Brothers et Metronome Video, dans JCP, é.g., 1989, II, p. 21173.

(19) – Voir les arrêts du 18 mars 1980, Coditel e.a. (62/79, Rec. p. 881, points 12 à 14), et du 13 juillet 1989, Tournier (395/87, Rec. p. 2521, point 12).

(20) – Arrêt du 18 mars 1980, Coditel e.a., précité, note 19, points 13 et 14. La Cour a ajouté qu’il peut être convenu que la cession du droit de représentation au moyen d’une transmission télévisée peut être limitée au territoire d’un État membre sans qu’une telle restriction soit incompatible avec les normes du traité relatives à la libre prestation des services. L’arrêt en cause indique, cependant, de manière tout à fait claire que la solution suivie par la Cour se référait à une situation – qui est celle qui existait à l’époque dans les États membres – dans laquelle «l’organisation de la télévision dans les États membres s’appuie dans une large mesure sur des monopoles légaux d’émission, ce qui implique qu’une limitation différente du champ d’application géographique d’une cession serait souvent impraticable».

(21) – A la double condition que: i) l’interdiction d’utilisation des vidéocassettes au cours de la période initiale réservée aux représentations dans les salles de cinéma s’applique indistinctement aux produits fabriqués sur le territoire national et aux produits importés, et que ii) les entraves éventuelles aux échanges intracommunautaires que son application peut provoquer n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif visé (arrêt Cinéthèque e.a., précité, note 9).

(22) – Voir les arrêts Tournier, précité à la note 19, point 13, et du 9 avril 1987, Basset (402/85, Rec. p. 1747).

(23) – Voir Desurmont, T.: «Le droit de l’auteur de contrôler la destination des exemplaires sur lesquels son oeuvre se trouve reproduite», dans Revue internationale du droit d’auteur, 1987, p. 3, notamment p. 61.

(24) – Selon la Cour, les facteurs qui ont déterminé l’apparition d’un tel marché spécifique sont essentiellement «l’amélioration des procédés de fabrication des vidéocassettes, qui a accru leur solidité et leur durée d’utilisation, la prise de conscience par les spectateurs du fait qu’ils ne visionnent que rarement les vidéocassettes qu’ils ont achetées et, enfin, le niveau relativement élevé de leur prix d’achat» (voir arrêt Warner Brothers et Metronome Video, précité, note 3, point 14).

(25) – Voir Benabou (précité, note 17, p. 131), selon lequel la difficulté d’une telle prévision augmente dans la mesure où l’évolution technologique contribue à augmenter de manière exponentielle les nouvelles possibilités de diffusion.

(26) – Voir Bonet, G., note de commentaire sur l’arrêt Warner Brothers et Metronome Video, dans Revue trimestrielle de droit européen, 1988, p. 647, et notamment p. 652.

(27) – Selon l’avocat général, il était exclu de pouvoir assimiler la mise en location – en tant qu’activité d’exploitation commerciale de nature répétitive – à la représentation publique de l’oeuvre incorporée sur la vidéocassette. Il a, par contre, souligné les analogies existant entre la mise en location et la vente: elles sont toutes deux des actes d’exploitation commerciale qui comportent «nécessairement la mise dans le commerce du produit en faveur du consommateur». L’avocat général a fait observer que «l’auteur d’un film, lorsqu’il a vendu les cassettes à un tiers en transférant ainsi de manière définitive son droit de propriété sur cette marchandise et en lui permettant de circuler librement, ne peut pas ensuite se prévaloir des règles d’un autre État membre pour faire primer son droit exclusif sur l’oeuvre enregistrée sur la cassette et lui interdire pratiquement l’entrée dans cet État. En effet, cette prétention est motivée par le même intérêt économique que celui qui a été à la base du premier acte de disposition sur l’oeuvre; et, s’il en est ainsi, elle ne peut que s’incliner devant la règle de l’article 30, [sous peine de] priver les consommateurs, ici les ressortissants danois, de ce qu’ils peuvent obtenir à titre de propriété en vertu du traité» (l’italique figure dans l’original). Dans la solution envisagée par l’avocat général, cependant, l’épuisement du droit de l’auteur du film de s’opposer à la mise en location des vidéocassettes qu’il a mis en circulation sur le territoire communautaire était tempéré par la reconnaissance de son droit à une rémunération équitable ou à d’autres formes de protection patrimoniale, puisque ce dernier gardait la possibilité de se protéger «en introduisant des clauses spéciales dans le contrat de vente» (voir les conclusions présentées le 26 janvier 1988, sous l’arrêt Warner Brothers et Metronome Video, précité à la note 3, p. 2618, notamment p. 2622 à 2624).

(28) – La Cour a, par conséquent, dit pour droit que «Les articles 30 et 36 du traité ne s’opposent pas à l’application d’une législation nationale qui donne à l’auteur la faculté de subordonner à son autorisation la mise en location de vidéocassettes, lorsqu’il s’agit de vidéocassettes déjà mises en circulation avec son consentement dans un autre État membre, dont la législation permet à l’auteur de contrôler la première vente, sans lui donner la faculté d’interdire la mise en location».

(29) – Voir Marenco, G., et Banks, K.: «Intellectual Property and the Community Rules on Free Movement: Discrimination Unearthed», dans European Law Review, 1990, p. 224, notamment p. 248 et 249. Les auteurs font référence en réalité au fait qu’il n’y a pas épuisement du droit exclusif de location à la suite de la première distribution par la vente du support matériel, mais un raisonnement analogue doit s’appliquer dans la présente affaire.

(30) – Voir plus haut, notes 20 et 21. Voir Pollaud-Dulian, V. F.: Le droit de destination: le sort des exemplaires en droit d’auteur, Paris, 1989, p. 464, et Benabou, op. cit., note 17, p. 117 ou pour les références à l’arrêt du 27 mars 1986 du tribunal de Charleroi, affaires jointes 48.587 et 51.363, GPFI e.a./DGD et VRP (Revue internationale du droit d’auteur, 1986, IV, p. 128), selon lequel «lorsque l’on admet qu’un film peut faire l’objet d’une concession territoriale exclusive pour la distribution dans les salles de cinéma mais que cette concession n’est pas opposable aux tiers en matière de vidéocassettes, la concession exclusive pour l’exploitation en salles serait évidemment vidée de son sens, puisque, dans un tel cas, le marché national serait envahi de vidéocassettes qui mettraient en péril l’exploitation du film dans les salles, que la concession exclusive se proposait précisément de protéger».

(31) – L’article 1er de la directive, intitulé «Objet de l’harmonisation», dispose que:

«1. Conformément aux dispositions du présent chapitre, les États membres prévoient … le droit d’autoriser ou d’interdire la location et le prêt d’originaux et de copies d’oeuvres protégées par le droit d’auteur ainsi que d’autres objets mentionnés à l’article 2, paragraphe 1.

2. Aux fins de la présente directive, on entend par `location’ d’objets leur mise à disposition pour l’usage, pour un temps limité et pour un avantage économique ou commercial direct ou indirect.

4. Les droits visés au paragraphe 1 ne sont pas épuisés par la vente ou tout autre acte de diffusion d’originaux et de copies d’oeuvres protégées par le droit d’auteur ou d’autres objets mentionnés à l’article 2, paragraphe 1.»

Selon l’article 2 («Titulaires et objet du droit de location et de prêt»), paragraphe 4: «Les droits visés au paragraphe 1 peuvent être transférés, cédés ou donnés en licence contractuelle».

Enfin, l’article 9 («Droit de distribution»), qui figure dans le chapitre II de la directive, concernant la protection des droits voisins, dispose que:

«…

2. Le droit de distribution dans la Communauté … n’est épuisé qu’en cas de première vente dans la Communauté de cet objet par le titulaire du droit ou avec son consentement.

3. Le droit de distribution s’entend sans préjudice des dispositions spécifiques du chapitre I, et notamment de l’article 1er, paragraphe 4».

(32) – Voir l’arrêt du 28 avril 1998 (C-200/96, points 13 à 20, non encore publié au Recueil) ainsi que les conclusions présentées par l’avocat général M. Tesauro le 22 janvier 1998 dans la même affaire, points 13, 14, 25 et 26.

(33) – Voir, parmi de nombreux autres, l’arrêt du 6 octobre 1982, Coditel e.a. (précité, note 9, points 17 à 20), selon lequel, si le droit d’auteur sur un film et le droit de représentation d’un film qui découle du droit d’auteur ne tombent pas sous les interdictions de l’article 85, «leur exercice peut cependant, dans un contexte économique ou juridique dont l’effet serait de restreindre d’une manière sensible la distribution de films ou de fausser la concurrence sur le marché cinématographique, eu égard aux particularités de celui-ci, relever desdites interdictions». Il appartient par conséquent aux juridictions nationales – a conclu la Cour – de procéder, éventuellement, à ces vérifications, «et en particulier de relever si l’exercice du droit exclusif de représentation d’un film cinématographique ne crée pas de barrières artificielles et injustifiées au regard des nécessités de l’industrie cinématographique, ou la possibilité de redevances dépassant une juste rémunération des investissements réalisés, ou une exclusivité d’une durée excessive par rapport à ces exigences, et si, d’une manière générale, cet exercice dans une aire géographique déterminée n’est pas de nature à empêcher, à restreindre, ou à fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun». Plus récemment, c’est l’avocat général M. Tesauro qui a souligné que, à la lumière de la jurisprudence récente de la Cour, certains doutes se font jour concernant la question de savoir si «les exigences d’intérêt général qui ont justifié l’attribution de ce droit exclusif de location sont de nature à pouvoir justifier également une modalité d’exercice de ce dernier qui serait en contradiction manifeste avec les dispositions visées à l’article 86 du traité» (voir les conclusions présentées le 22 janvier 1998 dans l’affaire Metronome Musik, précitée, note 32, point 33).

(34) – Cette exigence, conformément à votre jurisprudence, s’applique de manière spécifique au secteur de la concurrence, caractérisé par des situations de fait et de droit complexes (voir, par exemple, parmi de nombreux autres, les arrêts du 26 janvier 1993, Telemarsicabruzzo e.a. (C-320/90, C-321/90 et C-322/90, Rec. p. I-393, points 6 et 7), et du 14 décembre 1995, Banchero (C-387/93, Rec. p. I-4663, points 18 à 21).

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CJCE, n° C-61/97, Conclusions de l'avocat général de la Cour, Foreningen af danske Videogramdistributører, agissant pour Egmont Film A/S, Buena Vista Home Entertainment A/S, Scanbox Danmark A/S, Metronome Video A/S, Polygram Records A/S, Nordisk Film Video A/S, Irish Video A/S et Warner Home Video Inc. contre Laserdisken, 26 mai 1998